N° 2690

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mai 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
 

visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

PAR M. Ludovic MENDES

Député

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Voir les numéros :

 Sénat :  433, 577, 578, et T.A. 122 (2023-2024).

Assemblée nationale :  2618.

 


SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

COMMENTAIREs Des articles

Article 1er (art. 101-1 du code civil) Pérennisation de la délivrance dématérialisée des copies intégrales et des extraits des actes de l’état civil établis par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Article 2 (art. 1er, 2, 10 [abrogé], art. 12, art. 12-1 [nouveau], art. 13 de l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères) Prorogation, pour une durée de trois ans, de l’expérimentation de la dématérialisation de l’établissement, de la mise à jour et de la conservation des actes et des extraits d’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

COMPTE-RENDU DES DÉBATS

PERSONNES ENTENDUES

 


 

 

Mesdames, Messieurs,

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est chargé de gérer les actes de l’état civil consulaire, c’est-à-dire les actes des Français nés à l’étranger ou ayant eu un évènement d’état civil hors de France. Le service central d’état civil (SCEC) est chargé d’exploiter ces actes d’état civil, ainsi que d’établir les actes des personnes qui acquièrent la nationale française et de transcrire les actes de l’état civil étrangers. Il est dépositaire d’environ seize millions d’actes de l’état civil. Ces actes sont aujourd’hui délivrés exclusivement sur support papier : ce sont les seuls actes qui ont une valeur authentique.

La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour expérimenter la dématérialisation de l’exploitation des actes de l’état civil dont le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est dépositaire. Initialement prévue pour une durée de trois ans, elle a été prolongée de deux ans par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

Cette expérimentation s’inscrit dans la modernisation des processus du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). Elle devait aussi répondre aux enjeux spécifiques de traitement des courriers et d’archivage des actes de l’état civil.

Ont été créés, suite à l’ordonnance du 10 juillet 2019 et au décret du 26 septembre 2019, un registre électronique centralisé et un système de gestion des données

Les deux rapports rendus respectivement par la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) et par les inspections du MEAE et de la Justice soulignent les avantages que représente la dématérialisation pour les usagers, notamment les Français de l’étranger, à la fois en termes de délai de délivrance, de simplification des démarches mais également de sécurisation de documents.

En l’absence de modification législative, l’expérimentation doit se terminer le 10 juillet 2024. Or, seul le volet délivrance est, à ce stade, abouti. Cette proposition de loi procède donc à deux modifications.

L’article premier pérennise la possibilité de délivrer des actes d’état civil par la voie dématérialisée en l’inscrivant à l’article 101-1 du code civil. Il sera donc désormais possible de demander et de recevoir en ligne son acte d’état civil, alors qu’aujourd’hui seule la demande pouvait être formulée en ligne.

L’article 2 prolonge l’expérimentation pour trois ans supplémentaires. Cette extension doit permettre d’achever les développements informatiques et de tester le système en vue d’une éventuelle pérennisation de l’ensemble des volets de traitement de l’état civil dont est dépositaire le MEAE.

Le Sénat, au cours de ses travaux, a ajouté la présentation par le Gouvernement de l’état d’avancement de l’expérimentation à l’Assemblée des Français de l’étranger, un ajout qui revient à inscrire dans la loi ce qui est déjà un usage.

Le débat en commission des Lois a été l’occasion pour les commissaires d’affirmer leur attachement au maintien de l’envoi des actes de l’état civil par courrier. Cette possibilité, garantie par la rédaction actuelle du texte qui ne fait de l’envoi dématérialisé qu’une possibilité, est évidemment essentielle pour garantir l’égal accès des citoyens au service public.

 

 

 

 

 


 

 

 

   COMMENTAIREs Des articles

Article 1er
(art. 101-1 du code civil)
Pérennisation de la délivrance dématérialisée des copies intégrales et des extraits des actes de l’état civil établis par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Adopté par la commission sans modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article inscrit dans le code civil la possibilité de délivrer des copies intégrales ou des extraits des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères sur support électronique. Il pérennise ainsi un volet de l’expérimentation de la dématérialisation de l’état civil consulaire débutée en 2019. Cette pérennisation intervient alors que l’expérimentation doit se terminer le 10 juillet 2024.

  1.   L’état du droit
    1.   L’authenticité des actes d’état civil est liée au support papier

● Les règles générales relatives à l’état civil

L’état civil a une finalité de police administrative et d’ordre public. Il garantit à une personne physique son existence juridique. La Cour de cassation, dans un arrêt de 1983 ([1]), définit l’acte d’état civil comme « l’écrit dans lequel l’autorité publique constate d’une manière authentique les principaux évènements dont dépend l’état des personnes ».

Article 40 du code civil

Les actes de l’état civil sont établis sur papier et sont inscrits, dans chaque commune, sur un ou plusieurs registres tenus en double exemplaire.

Lorsqu’elles ont mis en œuvre des traitements automatisés des données de l’état civil, les communes s’assurent de leurs conditions de sécurité et d’intégrité. Les caractéristiques techniques des traitements mis en œuvre pour conserver ces données sont fixées par décret en Conseil d’État.

Par dérogation au premier alinéa, les communes dont les traitements automatisés de données de l’état civil satisfont à des conditions et à des caractéristiques techniques fixées par décret sont dispensées de l’obligation d’établir un second exemplaire des actes de l’état civil.

Cette dispense est également applicable aux actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères.

L’acte d’état civil est un acte authentique, qui doit sa valeur au support papier sur lequel l’officier de l’état civil le consigne, en double exemplaire. Un acte électronique, s’il a une valeur juridique, n’a pas de valeur authentique en l’état du droit. Les registres de l’état civil sont tenus en double exemplaire et mis à jour par l’apposition de mentions marginales.

Le traitement de l’état civil repose sur quatre composantes :

– l’établissement : les actes de l’état civil doivent être tenus en double exemplaire et sont signés de manière manuscrite par un officier de l’état civil ;

– la mise à jour : les actes de l’état civil sont mis à jour pour tenir compte de l’évolution de l’état civil d’une personne et les mentions sont apposées de manière manuscrite sur les registres ;

– la délivrance : l’article 101-1 du code civil prévoit que la publicité des actes de l’état civil est assurée par la délivrance de copies intégrales ou d’extraits, dont la validité résulte de la signature par des officiers de l’état civil ;

– la conservation : les actes d’état civil sont conservés dans des registres papiers, pendant une durée de 100 ans, avant d’être archivés.

L’état civil communal est confié aux maires et à ses adjoints, qui sont officiers d’état civil, comme le prévoit l’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales.

● L’état civil consulaire

L’état civil consulaire est géré par le ministère des affaires étrangères, conformément à l’article 48 du code civil.

Article 48 du code civil

Tout acte de l’état civil des Français en pays étranger sera valable s’il a été reçu, conformément aux lois françaises, par les agents diplomatiques ou consulaires.

La conservation des données de l’état civil est assurée par un traitement automatisé satisfaisant aux conditions prévues à l'article 40 et mis en œuvre par le ministère des affaires étrangères, qui peut en délivrer des copies et des extraits.

L’article 47 du code civil prévoit que tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger fait foi, sous certaines réserves.

Ce sont les officiers de l’état civil du ministère, qui sont présents à la fois dans les postes diplomatiques et consulaires, mais aussi dans le service central d’état civil (SCEC), qui sont chargés de son traitement. Ces officiers exercent leurs missions sous le contrôle du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes.

Le SCEC est un service à compétence nationale qui a trois compétences : l’exploitation des actes d’état civil des personnes ayant connu un évènement civil à l’étranger, l’établissement des actes des personnes qui acquièrent la nationalité française sur décision du ministère de l’Intérieur et la transcription des actes d’état civil étrangers. Il est dépositaire d’environ seize millions d’actes de l’état civil dont il assure la conservation et l’exploitation. Les actes nouveaux au titre de l’état civil consulaire représentent un flux annuel de 100 000 actes – dont environ 90 % sont des actes transcrits – auxquels s’ajoutent les flux relatifs à l’acquisition de la nationalité – environ 70 000 actes.

  1.   Une expérimentation pour dématérialiser le traitement de l’état civil géré par le MEAE a été lancée en août 2018

L’article 46 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite « loi ESSOC ») a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour organiser l’expérimentation de la dématérialisation de l’établissement, de la conservation, de la gestion et de la délivrance des actes de l’état civil dont le service central d’état civil du ministère des affaires étrangères et les autorités diplomatiques et consulaires sont dépositaires.

Alors que le projet de loi prévoyait une expérimentation d’une durée de quatre ans ([2]), durée jugée pertinente par le Conseil d’État au vu des enjeux techniques et de la complexité du projet ([3]), la durée a été raccourcie au cours des travaux parlementaires ([4]) et fixée à trois ans.

L’expérimentation prévoit que les copies intégrales et les extraits d’actes de l’état civil dématérialisés aient la même valeur que les actes d’état civil délivrés sur support papier.

Cette dématérialisation du traitement de l’état civil doit permettre de répondre aux attentes des usagers en matière de simplification des démarches administratives et de réduction des délais, mais aussi aux besoins de sécurisation des actes de l’état civil pour lutter contre la fraude.

À ces enjeux s’ajoutent les problématiques de gestion de l’administration : la dématérialisation doit réduire le coût lié au traitement des courriers, à la conservation des actes civils consulaires au SCEC (notamment le transport des actes établis dans les postes diplomatiques et consulaires en valise diplomatique) mais aussi faciliter l’archivage des actes.

Le coût global du projet était initialement évalué à 8 millions d’euros, dont 2 millions d’euros pour financer les 25 équivalents temps plein (ETP) mobilisés sur le projet ([5]).

Les personnes concernées par l’expérimentation sont les Français nés à l’étranger et les personnes d’origine étrangère ayant acquis la nationalité française.

Le Gouvernement a mis en œuvre les mesures nécessaires pour la conduite de l’expérimentation dans l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères.

L’article 1er fixe le principe général selon lequel, à titre expérimental, l’établissement, la conservation, la mise à jour et la délivrance des actes de l’état civil effectués par le SCEC et les autorités diplomatiques et consulaires sont réalisées sous forme électronique. Pendant la durée de l’expérimentation, les documents continuent d’être exploités dans les conditions prévues aux articles 40, 48 et 49 du code civil (article 2).

L’article 3 crée le registre des actes de l’état civil électronique centralisé (RECE), qui est constitué de l’ensemble des actes de l’état civil électroniques établis par les autorités diplomatiques ou consulaires, ou par les officiers de l’état civil du SCEC. La tenue du registre doit garantir l’intégrité, la confidentialité, l’inaltérabilité et la préservation de la lisibilité de ces actes.

L’article 12 prévoit la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation.

Les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation ont été précisées par le décret n° 2019-993 du 26 septembre 2019 pris en application de l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères.

L’expérimentation a été prolongée de deux ans par l’article 167 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite « loi 3DS »), article issu de deux amendements identiques ([6]) adoptés en séance à l’Assemblée nationale en première lecture. L’échéance de l’expérimentation est fixée au 10 juillet 2024.

  1.   Bien que l’expérimentation soit inachevée, les premiers retours sont plutôt positifs

Les deux rapports déjà rendus tirent un bilan plutôt positif du volet délivrance de l’expérimentation, seul volet abouti à ce jour.

Un premier rapport d’évaluation de l’expérimentation a été transmis au Parlement le 30 mars 2022, comme le prévoyait l’avant-dernier alinéa de l’article 46 de la loi ESSOC. Un second rapport a été commandé conjointement par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et par le ministère de la Justice à l’inspection générale des affaires étrangères (IGAE) et à l’inspection générale de la justice (IGJ). Il a été rendu en décembre 2023.

 Un calendrier révisé

Les rapports permettent de retracer la mise en œuvre de l’expérimentation. Le choix a été fait de prioriser la dématérialisation de la délivrance des actes de l’état civil. Les autres travaux devaient débuter en parallèle, mais les échéances ont progressivement reculé. Ainsi, alors que l’expérimentation devait initialement se terminer en juillet 2022, le calendrier a été révisé à plusieurs reprises, ce qui explique la prolongation faite dans la loi 3DS en février 2022.

La mission des inspections relève cinq facteurs explicatifs de ces retards :

– la complexité du processus aurait été sous-estimée ;

– la crise sanitaire a entraîné un retard de six mois, notamment à cause de l’impossibilité des développeurs de se rendre sur le site du SCEC ;

– la séparation géographique d’une partie des équipes au début de l’expérimentation ;

– l’obligation de maintenir en parallèle d’un système de gestion des actes transcrits ;

– l’articulation avec la dématérialisation de la procédure de demande de naturalisation par décret.

Ces retards ont nécessité d’augmenter le budget alloué à l’expérimentation. Initialement estimé à 8 millions d’euros dans l’étude d’impact de la loi ESSOC, il s’établissait à 9 millions d’euros fin 2023. Le responsable du projet a indiqué au rapporteur que le budget cible était maintenant fixé à 12 millions d’euros.

● Un bilan globalement positif du volet délivrance de la dématérialisation

Si l’usager pouvait formuler sa demande de délivrance d’actes soit en ligne, soit par courrier, la délivrance s’effectuait systématiquement par courrier.

La dématérialisation de la délivrance des actes a été effective à compter du 12 mars 2021. Au 1er janvier 2022, 800 994 copies ou extraits d’actes électroniques avaient été délivrés électroniquement, sur un total de 874 461 copies, soit 92 % du nombre total. Les chiffres ont ensuite progressé : 93,5 % des délivrances entre octobre 2022 et octobre 2023 étaient dématérialisées, selon le rapport des inspections.

Pour l’usager, cela représente un gain de temps, puisque la dématérialisation réduit le délai de délivrance : alors que celui-ci s’établissait à 10 jours en moyenne avant la dématérialisation, il était de 5,25 jours au début du dernier trimestre de l’année 2021. La mission des inspections relève cependant que des incidents techniques fin 2023 ont contribué à la dégradation du délai de traitement de la demande de l’usager. Le responsable du projet a cependant indiqué au rapporteur que ce délai avait été ramené à 4 jours en 2024. Le taux de satisfaction des usagers, mesuré par une note, était de 8,7 sur 10 en 2023.

C’est également un processus plus sécurisant, notamment pour les Français qui résident dans des pays où les services postaux fonctionnent peu et mal. À noter que le demandeur peut toujours adresser sa demande de copie par courrier postal, et demander à recevoir le document par la même voie.

Les deux rapports mettent aussi en avant les économies réalisées par l’administration grâce à cette expérimentation : la réduction du nombre d’extraits et de copies envoyés par courrier devrait entraîner 1,2 million d’euros d’économies en 2023, selon le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. La diminution de l’activité courrier s’est également traduite par la suppression de onze équivalents temps plein (ETP) en septembre 2021.

Les rapports s’intéressent également aux conséquences de l’expérimentation sur les officiers de l’état civil. Le rapport des inspections souligne l’adhésion progressive des officiers de l’état civil au projet et la nécessité de les former aux nouveaux outils.

Les deux rapports constatent un recours assez limité au service de télé-vérification, qui permet à l’usager de vérifier que le document n’a pas subi de modification après la signature. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) travaille à la promotion de ce service.

La création d’actes de manière dématérialisée devant intervenir en janvier 2024, la mission des inspections générales n’a pas pu évaluer cet objectif. Le responsable du projet a indiqué au rapporteur au cours de ses travaux que les premiers actes avaient effectivement été créés en janvier 2024.

L’objectif affiché est de poursuivre les développements informatiques pour permettre une généralisation à horizon fin 2025.

A aussi été évoquée la possibilité à terme pour les usagers de déclarer et de déposer en ligne leur dossier de transcription, démarche qui se fait aujourd’hui soit par courrier, soit au poste consulaire.

  1.   Le dispositif initial

Le présent article modifie l’article 101-1 du code civil pour insérer un nouvel alinéa, qui prévoit la possibilité que les copies intégrales ou les extraits des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères soient délivrés sur support électronique. Il pérennise ainsi l’expérimentation débutée en 2019 sur le seul volet de la délivrance des actes.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

Aucune modification n’a été apportée par le Sénat au cours de ses travaux.

  1.   La position de la commission

La commission n’a apporté aucune modification au présent article.

 

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Article 2
(art. 1er, 2, 10 [abrogé], art. 12, art. 12-1 [nouveau], art. 13 de l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères)
Prorogation, pour une durée de trois ans, de l’expérimentation de la dématérialisation de l’établissement, de la mise à jour et de la conservation des actes et des extraits d’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Adopté par la commission sans modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article modifie l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères pour tirer les conséquences de la pérennisation du volet délivrance des actes d’état civil et pour prolonger l’expérimentation sur les autres volets. Cette prolongation est indispensable, l’expérimentation devant s’achever au 10 juillet 2024 en l’état du droit.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 167 de la loi n° 2022 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a modifié l’article 1er de l’ordonnance du 10 juillet 2019 pour étendre la durée de l’expérimentation à cinq ans, contre trois initialement.

       Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat, outre deux amendements de nature rédactionnelle, a adopté en commission un amendement qui prévoit la présentation annuelle de l’état d’avancée et le bilan provisoire de l’expérimentation à l’Assemblée des Français de l’étranger. Il a également adopté en séance un amendement qui prévoit la transmission du rapport sur l’évaluation de l’expérimentation à l’Assemblée des Français de l’étranger.

  1.   L’état du droit

Comme indiqué supra, l’expérimentation a débuté en 2019 et devait initialement durer trois ans. Elle a été prolongée pour une durée de deux ans par l’article 167 de la loi 3DS. En l’état actuel du droit, après le 10 juillet 2024, l’expérimentation, et notamment le registre RECE, n’aura plus de base légale.

Pour plusieurs raisons énumérées supra, tous les volets de l’expérimentation n’ont pas abouti, nécessitant une nouvelle prolongation par la voie législative.

  1.   Le dispositif initial

Le présent article modifie l’ordonnance n° 2019-724 du 10 juillet 2019 relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères pour tirer les conséquences de la pérennisation de la délivrance des actes d’état civil électroniques prévue à l’article 1er du présent texte et pour prolonger la durée de l’expérimentation s’agissant des autres volets.

Conséquence de la mention dans le code civil de la délivrance d’actes d’état civil dématérialisés, les références au volet délivrance de l’expérimentation sont donc retirées des articles 1er et 2 de l’ordonnance (1° et 2°). L’article 10, qui concernait les conditions de délivrance, est abrogé (3°).

L’expérimentation est prolongée jusqu’au 10 juillet 2027 pour la dématérialisation de l’établissement, de la conservation et de la mise à jour des actes de l’état civil consulaire (1°). Selon le responsable du projet, la moitié de cette prolongation sera consacrée aux développements complémentaires et l’autre moitié à l’évaluation des risques liés à l’expérimentation.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

À l’initiative de son rapporteur, M. Frassa, la commission des lois du Sénat a adopté deux amendements de nature rédactionnelle (COM-5 et COM-6). Toujours sur proposition du rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement (COM-7) qui prévoit une présentation annuelle par le Gouvernement à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) sur le bilan provisoire de l’expérimentation, suivie d’un débat. Ce débat peut donner lieu à un avis de l’AFE.

En séance, le Sénat a adopté, avec un double avis favorable de la commission et du Gouvernement, l’amendement n° 3 déposé par Mme Vogel, qui prévoit que le rapport d’évaluation de l’expérimentation transmis au Parlement est également transmis à l’AFE.

  1.   La position de la commission

La commission des lois n’a apporté aucune modification au présent article.

 


   COMPTE-RENDU DES DÉBATS

Lors de sa réunion du mercredi 29 mai 2024, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (n° 2618) (M. Ludovic Mendes, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/uTib2C

M. le président Sacha Houlié. Nous commençons par l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).

En effet, le Gouvernement a choisi d’inscrire cette proposition de loi sénatoriale à son ordre du jour réservé mercredi prochain. Ce calendrier resserré – le texte ayant été déposé le 18 mars et adopté par le Sénat le 14 mai – s’explique par la nécessité de prolonger une expérimentation qui doit prendre fin le 10 juillet.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le MEAE gère l’état civil consulaire, c’est-à-dire les actes d’état civil qui concernent les Français de l’étranger. Le service central d’état civil, localisé à Nantes, est chargé d’exploiter ces actes, d’établir les actes des personnes qui acquièrent la nationalité française ainsi que de transcrire les actes d’état civil étrangers.

La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour organiser une expérimentation de l’exploitation des actes de l’état civil dont le MEAE est dépositaire.

L’ordonnance du 10 juillet 2019 et le décret du 26 septembre 2019 ont défini les modalités de cette expérimentation. Un registre électronique centralisé et un système de gestion des données de l’état civil ont été créés. Dans le cadre de l’expérimentation, un acte de l’état civil établi et signé électroniquement a la même valeur authentique qu’un acte de l’état civil papier, signé de manière manuscrite par un officier de l’état civil.

L’expérimentation, qui devait durer trois ans, a été prolongée pour deux ans par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.

À l’heure actuelle, à l’exception du volet relatif à la délivrance, les développements informatiques ne sont pas aboutis. Outre la crise sanitaire, qui a compliqué les rencontres entre les équipes, la complexité du processus aurait été sous-estimée lors de l’établissement du calendrier, ce qui explique ce retard.

Selon le nouveau calendrier prévisionnel envisagé par le responsable de projet, les développements informatiques pourraient être achevés à la fin 2025. Or, en l’absence de modification législative, l’expérimentation se terminera le 10 juillet prochain.

Cette proposition de loi procède en conséquence à deux modifications.

L’article 1er pérennise le volet de l’expérimentation relatif à la délivrance : il modifie ainsi l’article 101-1 du code civil pour prévoir la possibilité de délivrer des copies ou des extraits d’acte d’état civil établis par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur support électronique.

Il était déjà possible de formuler sa demande d’acte d’état civil en ligne ; depuis mars 2021, il est en outre loisible de choisir une transmission par la voie dématérialisée. Le document est ainsi déposé sur l’espace documentaire du site service-public.fr.

Deux rapports d’évaluation ont souligné le succès de la délivrance par la voie dématérialisée. La dématérialisation a entraîné une réduction des délais de délivrance, qui sont passés de dix jours avant 2021 à quatre jours aujourd’hui. Elle garantit aussi la bonne réception des documents, notamment dans des pays où les services postaux ne sont pas très fiables. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre octobre 2022 et octobre 2023, 93,5 % des délivrances d’actes ont été dématérialisées.

La dématérialisation présente deux avantages essentiels pour l’administration : elle permet une réduction des coûts, grâce à la diminution du nombre de courriers mis sous pli et affranchis et, surtout, elle limite les risques de fraude aux documents d’état civil.

L’article 2 prolonge l’expérimentation jusqu’au 10 juillet 2027, soit pour trois ans supplémentaires, ce qui doit permettre d’achever les développements informatiques et de tester le système avant de le pérenniser.

Le Sénat a complété le texte en prévoyant que le Gouvernement présente chaque année devant l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) l’état d’avancement et le bilan provisoire de l’expérimentation. Il a en outre souhaité que cette présentation soit suivie d’un débat.

Comme me l’ont indiqué la présidente de l’AFE et la présidente de sa commission des lois, des règlements et des affaires consulaires, le Gouvernement se prête en réalité déjà à cet exercice, à l’occasion de la présentation du rapport sur la situation des Français établis hors de France. Il paraît donc opportun de préciser dans la loi, comme l’a fait le Sénat, qu’à l’occasion de ce débat annuel, l’AFE peut également débattre de l’expérimentation.

Les représentantes de l’AFE m’ont fait part de leur satisfaction quant à la mise en œuvre de ce projet, qui participe à la modernisation des procédures pour les Français de l’étranger.

Je vous propose donc d’adopter le texte dans la version adoptée par le Sénat.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frédéric Petit (Dem). Le sujet dont traite la proposition de loi constitue une préoccupation pour tous les Français résidant à l’étranger. Dans certains pays, il faut prendre l’avion ne serait-ce que pour faire un papier. Depuis 2017, des progrès ont été réalisés ; les mentalités ont évolué dans l’administration, en particulier quant à l’usage des nouvelles technologies, même si nous ne sommes pas encore les plus avancés dans ce domaine. Dans l’un des pays qu’englobe ma circonscription, on peut obtenir un passeport en trois jours.

Il reste deux problèmes à régler, sur lesquels le texte permet d’avancer. Premièrement, nous sommes confrontés à ce que j’appelle l’exotisme exagéré de l’administration. Autrement dit, notre administration a souvent tendance à considérer que les problèmes des Français de l’étranger peuvent être résolus dans un second temps, ce qui ne se justifie guère en matière numérique. Ainsi, concernant l’identité numérique, les Français de l’étranger ont été exclus des premières expérimentations en dépit de leur expertise en la matière. Deuxième problème : l’administration avance systématiquement en silo sur ces sujets novateurs. Or les avancées en matière d’identité numérique auront nécessairement des répercussions sur la dématérialisation. De même, les progrès dans le domaine de l’identité numérique permettront de faciliter et de renforcer le vote électronique. Il faut donc changer ce mode de fonctionnement.

Ce projet pilote doit être prolongé, car il donnera le temps à toutes les administrations de travailler ensemble, ce qu’elles ne sont pas habituées à faire. De tels projets, dont on peut regretter parfois la lenteur de leur mise en œuvre, s’inscrivent dans le processus de modernisation et de transformation de notre administration. Le MODEM votera la proposition de loi sans modification.

M. Michel Guiniot (RN). L’ordonnance du 10 juillet 2019 a permis au Gouvernement de procéder à la dématérialisation de l’établissement, de la conservation, de la gestion et de la délivrance des actes d’état civil relevant du MEAE – les actes de naissance, de mariage ou de décès établis à l’étranger, ainsi que les actes relevant du décret du 1er juin 1965. Ces actes, dont l’établissement relève des consuls et des ambassadeurs, sont gérés par le service central d’état civil, à Nantes. Dans le cadre de l’expérimentation, a été créé le registre de l’état civil électronique, qui a été identifié comme une réforme prioritaire de l’État. L’ordonnance a institué une expérimentation de trois ans – qui a été prolongée de deux ans supplémentaires – et a prévu, à des fins de contrôle, la transmission de rapports d’évaluation au Parlement.

Si les intentions étaient louables –  améliorer la réactivité du service public et réduire les dépenses publiques –, on ne peut tirer qu’un bilan partiel de l’expérimentation. En effet, les deux rapports d’évaluation transmis au Parlement, conformément à l’article 12 de l’ordonnance de 2019, n’ont pu se prononcer sur l’ensemble des composantes de l’expérimentation, faute d’éléments en quantité suffisante à analyser. Privilégiant le service à l’usager, la direction des Français de l’étranger a en effet accordé la priorité, dans un premier temps, à la dématérialisation de la délivrance des copies et des actes d’état civil, au détriment des autres volets de l’expérimentation, qui concernent davantage le fonctionnement de l’administration.

Si l’on considère l’objectif initial de rendre le service public plus confortable pour les agents et plus réactif pour les usagers, les résultats obtenus sont mitigés. Un retard a été pris du fait des crises sanitaires ; ainsi, le délai moyen de traitement a augmenté, passant de huit jours et demi en 2021 à quatorze jours en 2023. On note une augmentation des crédits : alors qu’ils s’élevaient à 5 millions dans le budget prévisionnel, les dépenses ont atteint 11,35 millions en 2023. Par ailleurs, l’équipe a été renforcée par vingt et un assistants externes. Dans le même temps, l’administration a réalisé des économies en supprimant onze équivalents temps plein (ETP) en 2021, dont trois postes de catégorie C, plutôt que de rattraper le retard qui a été pris, ce qui a mis les agents sous pression et placé les usagers dans l’expectative. Les dépenses évitées devraient être de l’ordre de 1,3 million d’euros annuellement, selon les données de 2021.

L’article 1er inscrit dans le code civil la possibilité de délivrer les actes d’état civil établis par le ministère des affaires étrangères sur support électronique.

L’article 2 proroge l’expérimentation jusqu’au 10 juillet 2027 et prévoit la transmission de rapports à l’Assemblée des Français de l’étranger ainsi que la présentation annuelle, devant cette instance, de l’état d’avancement des travaux. Il est regrettable que cette disposition ne s’applique pas au Parlement.

Ce texte a pour ambition d’améliorer l’accessibilité des services publics et de renforcer les moyens engagés pour les Français de l’étranger, comme pour les Français d’origine étrangère. Il convient de poursuivre l’expérimentation afin de déterminer si le nouvel outil permet vraiment de faciliter la vie de nos concitoyens. Notre groupe votera donc en faveur du texte.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous examinons un texte important pour nos concitoyens. L’authenticité de l’acte d’état civil découlant, en application de l’article 40 du code civil, d’une signature manuscrite de l’officier d’état civil, une loi est nécessaire pour autoriser la dématérialisation.

La proposition de loi concerne non seulement les Français de l’étranger mais aussi ceux qui ont connu un événement relevant de l’état civil à l’étranger. Dans le premier cas, les délais de délivrance sont désormais de deux jours au lieu de quinze à trente jours. Le coût de l’expérimentation, qui a commencé il y a cinq ans, s’élève déjà à 5 millions et il est appelé à doubler.

La deuxième partie de l’expérimentation, qui concerne la déclaration en ligne des événements d’état civil survenus à l’étranger et qui consacre la dématérialisation complète du traitement des actes, a seulement été lancée en 2024. Alors qu’elle doit prendre fin le 10 juillet, le texte la prolonge jusqu’au 10 juillet 2027, ce qui porterait sa durée totale à huit ans.

Notre groupe soutiendra évidemment le texte, car il est essentiel d’assurer le déploiement du dispositif dans son ensemble.

Toutefois, la mise en œuvre de l’expérimentation révèle une façon de faire peu moderne. Dans le domaine informatique, les moyens engagés, tant sur le plan des ressources humaines que de l’équipement, ont été limités. Il semble que les équipes nécessaires aient été réaffectées, au fil du temps, à d’autres projets au sein du ministère. Cela soulève des interrogations sur la manière dont le projet a été conduit. L’investissement dans les outils informatiques au bénéfice des Françaises et des Français de l’étranger doit être une priorité. Chaque année, les moyens budgétaires nécessaires font l’objet d’âpres discussions.

Il faut mettre en perspective la dématérialisation en ayant deux principes à l’esprit. D’une part, le service de l’état civil doit rester accessible à celles et ceux qui ne sont pas familiers d’internet ou qui ne disposent pas d’un accès à celui-ci, ce qui n’est pas si rare dans les régions éloignées. D’autre part, le service par internet doit être fiable, ce qui suppose que l’application soit non seulement disponible mais aussi que son fonctionnement et sa sécurité soient garantis de manière durable. Je compte sur vous pour relayer ces demandes auprès du ministère.

M. Philippe Pradal (HOR). Notre code civil consacre, en son article 40, la signature manuscrite de l’officier d’état civil comme garante de l’authenticité d’un acte d’état civil. Les actes sont donc exclusivement établis sur papier, et leur délivrance est faite soit en mains propres, soit par la voie postale. Le support papier présente plusieurs avantages, dont celui de faciliter la conservation sur un ou plusieurs registres, en double exemplaire.

Toutefois, les progrès technologiques, notamment concernant la signature électronique authentifiée et sécurisée, peuvent grandement sécuriser l’ensemble du traitement des actes d’état civil. La dématérialisation a déjà commencé : le dispositif Comedec (communication électronique des données de l’état civil) permet à nos concitoyens de demander une copie ou un extrait d’acte par la voie électronique. C’est un progrès qu’il faut souligner. La plateforme service-public.fr est une solution très prisée par les Français pour l’ensemble de leurs démarches administratives.

Nous pouvons et devons aller plus loin. Pour nos concitoyens résidant à l’étranger, la demande d’un extrait ou d’une copie d’un acte d’état civil pouvait être particulièrement longue et contraignante. L’envoi postal faisait courir le risque que l’acte ne soit pas délivré à temps, voire qu’il soit perdu. C’est pourquoi le Gouvernement a été habilité en 2018 à légiférer par ordonnance pour expérimenter la dématérialisation du traitement des actes déposés au service central de l’état civil du MEAE. La dématérialisation de la délivrance des actes d’état civil est effective depuis mars 2021, mais pour presque 1,7 million de nos concitoyens inscrits au registre des Français résidant hors de France, la dématérialisation du registre permettant l’établissement, la mise à jour et la conservation de ces actes n’est pas encore parfaitement opérationnelle.

Cette proposition de loi, qui vise à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du MEAE, est à la fois opportune et nécessaire. Il paraît bienvenu, au vu du succès de la dématérialisation de la délivrance de ces actes, de pérenniser le dispositif. La dématérialisation est largement plébiscitée par les Français établis hors de France et a déjà permis à l’administration d’économiser 1,3 million de frais postaux annuels. Il est tout aussi nécessaire, voire urgent, eu égard aux contraintes techniques liées à l’établissement, à la mise à jour et à la conservation de ces actes, d’étendre la période d’expérimentation de la dématérialisation qui, en l’état actuel du droit, doit se terminer le 10 juillet.

La proposition de loi permet de franchir une étape supplémentaire dans la simplification des démarches administratives sans faire disparaître l’accès au mode traditionnel de délivrance de ces actes. En conséquence, le groupe Horizons votera en sa faveur.

M. Karim Ben Cheikh (Écolo-NUPES). La proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères est prioritaire pour les Français de l’étranger. En effet, elle touche au lien fondamental qui les unit à la nation. Si l’expérimentation en cours est loin d’avoir atteint ses objectifs, selon le rapport conjoint des inspections du MEAE et du ministère de la justice, son bilan est d’ores et déjà positif : le service central d’état civil a délivré plus de 1 million de copies et d’extraits d’actes aux usagers en 2022, dont 99,5 % par le biais du registre d’état civil électronique créé par cette expérimentation. Pour certaines catégories d’usagers, les délais de délivrance ont ainsi été considérablement raccourcis, passant de trente à trois jours voire, pour certains, de trois mois à trois jours. Nous voterons donc en faveur de ce texte car il s’agit d’une avancée essentielle que nous appelons à pérenniser parallèlement à une densification du réseau d’agents d’état civil.

Cela étant, nous regrettons que quatre des cinq objectifs fixés par la loi n’aient été ni atteints ni évalués dans le rapport des inspections. Outre la sous-évaluation de la complexité du projet et le retard dû au covid-19, cette étude révèle que des moyens humains et financiers ont manqué pour atteindre plus rapidement les objectifs assignés.

Au cours des dernières années, la gestion des actes d’état civil, en ce qui concerne nos compatriotes établis à l’étranger, montre que nous faisons encore trop peu et pas assez vite. Que ce soit au Burkina Faso, au Niger ou au Sénégal, ils m’interpellent souvent, en ma qualité de député des Français de l’étranger, pour me faire part des difficultés qu’ils éprouvent dans leurs démarches liées à l’état civil. Le projet de dématérialisation doit être pensé pour réduire les délais mais ne doit pas occulter le manque de postes. Il est complémentaire de l’indispensable renforcement des moyens humains. La complexité du travail de l’état civil nécessite une connaissance locale et fine des différents types d’états civils étrangers. Un pays comme le Liban, où j’ai eu l’honneur d’officier en qualité de consul général, ne compte pas moins de dix-huit états civils différents comportant des caractéristiques propres.

Comme l’indique le rapport d’évaluation des ministères, la dématérialisation totale, qui permettrait d’établir des actes d’état civil complexes, n’est pas encore à notre portée d’un point de vue technique. Nos postes consulaires disposent de ressources humaines trop réduites – je le constate à chaque déplacement en circonscription ou encore récemment à Madagascar. Certains consulats accusent des retards importants dans la transcription d’actes d’état civil, qui peut prendre plusieurs années. C’est, là, un enfant qui ne peut entrer en maternelle car sa famille attend toujours la transcription de son acte de naissance depuis trois ans ou, ailleurs, des levées d’actes qui ne peuvent se faire car elles nécessitent des déplacements d’agents qui n’existent plus dans des mairies lointaines. Partout, j’ai rencontré des équipes exsangues, en sous-effectif structurel, situation qui serait inconcevable pour un service public situé sur le territoire français.

Les demandes de nos concitoyens résidant à l’étranger en matière de dématérialisation sont loin de concerner seulement l’état civil. Les Français résidant à Niamey – au Niger –, à Fianarantsoa – à Madagascar –, à Bobo-Dioulasso – au Burkina Faso – ou encore à Saint-Louis du Sénégal souhaitent par exemple voter pour les prochaines élections européennes mais ne disposent pas de bureau de vote. Le nombre de bureaux de vote a diminué, à l’instar des représentations consulaires. La procédure de vote électronique, valable pour les élections consulaires ou législatives, n’est pas prévue pour les élections européennes ou présidentielles. Quand bien même ce serait le cas, cette modalité est aujourd’hui largement perfectible – je peux en témoigner. En outre, la dématérialisation complète de la procuration, qui est possible pour les Français vivant sur le territoire national, n’est pas proposée pour nos compatriotes établis hors de France.

C’est pourquoi nous devons nous assurer que les gains potentiels de la dématérialisation seront redéployés au service des Français établis hors de France afin de renforcer les moyens humains et budgétaires, tant à Nantes qu’au sein de notre réseau consulaire.

Mme Amélia Lakrafi (RE). L’intérêt et la nécessité de cette proposition de loi ont été rappelés avec une grande clarté par M. le rapporteur et nos collègues, toutes familles politiques confondues. L’expérimentation a pour objet, à terme, de créer un registre d’état civil géré de bout en bout de manière électronique. Par ce texte, nous entérinons ce qui fonctionne déjà, et de manière satisfaisante : la délivrance numérique des actes. Nous offrons plus de temps pour parachever l’établissement, la mise en œuvre et la conservation dématérialisés des actes.

Par cette prorogation, nous rendons possible une modernisation majeure du service public – je dirais même une petite révolution. Une petite révolution, d’abord, dans l’approche de la gestion de l’état civil : l’expérimentation déroge en effet au droit commun, car la règle est celle du support papier comportant les signatures et les mentions manuscrites que nous connaissons. Le MEAE fait donc, en quelque sorte, office de laboratoire de la simplification. Il ne faut pas mésestimer la technicité que requiert une telle évolution car l’objectif consistant à garantir la sécurité des actes et des données personnelles est particulièrement complexe.

Nous sommes amenés à prolonger pour la deuxième fois la durée de l’expérimentation. Le rapport du Sénat s’en est ému, regrettant un manque d’anticipation du Gouvernement et de l’administration. Permettez-moi, à l’inverse, de saluer l’engagement de tous ceux qui sont à pied d’œuvre pour donner toutes les chances de succès à ce changement majeur.

C’est ensuite une petite révolution pour les usagers. Quelque 15 millions d’actes relèvent aujourd’hui du MEAE ; ils ne concernent pas seulement nos citoyens établis hors de France. Toutefois, en ma qualité de députée des Français de l’étranger, je peux témoigner du fait que ceux-ci attendent impatiemment la dématérialisation. La délivrance des actes par voie numérique, qui est opérationnelle depuis 2021, est déjà accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Dans un pays où le service postal est défaillant, l’accomplissement d’une formalité administrative exigeant la production d’une copie d’acte de naissance de moins de trois mois peut vite s’avérer kafkaïen lorsque l’envoi papier demeure la règle. Les usagers dont l’acte relève du MEAE ne connaissent heureusement plus ces difficultés.

L’établissement des actes et leur mise à jour par la voie numérique constitueront une autre avancée majeure. Déclarer ou transcrire une naissance, un décès, un mariage : toutes ces formalités centrales dans la vie d’un Français demeurent complexes pour bon nombre de nos concitoyens résidant à l’étranger. Les contraintes liées à ces démarches peuvent aussi nuire à l’image de nos consulats, accusés à tort par certains usagers de manquer de souplesse ou d’agilité. Nos agents sont ainsi trop souvent la cible d’un mécontentement qui s’exprime parfois avec beaucoup d’agressivité.

En définitive, tout le monde a intérêt à ce que cette expérimentation soit conduite à son terme dans les meilleures conditions et dans l’intégralité de son périmètre. Il nous revient de lui donner toutes ses chances. Le groupe Renaissance soutient donc sans réserve ce texte et salue une nouvelle fois l’engagement du ministère dans ce projet.

M. Philippe Gosselin (LR). C’est la troisième fois que nous nous penchons sur cette expérimentation, qui a été instituée en 2019 et prorogée en 2022, signe qu’elle n’est pas si simple à mener – même s’il faut, naturellement, tenir compte de la période du covid.

Nous saluons cette initiative, car il nous appartient de faciliter l’accès de nos concitoyens au service public. À cet égard, je me réjouis que plus de 1,2 million de Français se déclarent satisfaits de ce service – qui permet, au surplus, la réalisation d’économies sur les frais d’envoi.

Si le bilan de l’expérimentation est plutôt positif, on relève tout de même un certain nombre de facteurs de complexité et de retards, qui soulèvent la question des moyens humains et financiers.

Il faut poursuivre l’expérimentation, non seulement en raison de ce bilan mitigé, mais aussi parce que l’on a sous-estimé la problématique de la sécurité. L’établissement de l’état civil est une prérogative éminemment régalienne. Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, le français est la langue de l’État. Avant la Révolution, les registres paroissiaux étaient, dans l’ensemble, assez complets. Par la suite, cette attribution a été officiellement confiée aux communes, qui l’ont exercée au nom de l’État, ce qui illustre l’importance de la fonction.

Au-delà des questions touchant à l’identité, dans la mesure où les actes d’état civil servent désormais à l’établissement d’autres documents et à l’ouverture de droits, il importe qu’ils soient d’une fiabilité absolue. Or, si l’expérimentation, en tant que telle, ne semble pas poser de problème particulier, il faut absolument veiller à ce que l’établissement des actes, comme leur transfert, soit parfaitement sécurisé. Cela implique notamment de se protéger des cyberattaques, afin que les données de nos concitoyens ne se retrouvent pas dans la nature, et d’éviter toute falsification. Cela pose aussi la question de la protection et de la conservation des données personnelles, par exemple dans le cloud, et de la souveraineté numérique. Or, à ce stade, nous ne sommes pas totalement rassurés.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous sommes réunis pour légiférer sur la dématérialisation des actes d’état civil du ministère des affaires étrangères pour nos compatriotes résidant à l’étranger ou, plus précisément, pour entériner le dispositif visant à gérer l’octroi des copies et extraits d’actes d’état civil, qui a été introduit par étapes entre 2019 et 2022, ainsi que sur la prolongation de l’expérimentation de la dématérialisation du traitement de l’état civil des Français de l’étranger, c’est-à-dire l’établissement, la mise à jour et la conservation des actes.

Si l’on en croit les retours d’expérience, le bilan du dispositif est plutôt mitigé. Certes, l’expérimentation présente des atouts considérables pour nos compatriotes présents sur tous les continents, mais elle a aussi des limites. Il est évident que la dématérialisation facilite l’accès de nos compatriotes vivant à l’étranger et résidant loin des services consulaires au service d’état civil, car elle leur évite de longs déplacements. Cependant, comme la Défenseure des droits l’a rappelé ici même, la dématérialisation n’est pas anodine, ni sans conséquence pour les usagers. Lors de notre niche parlementaire, en novembre 2023, ma collègue Danièle Obono a fait adopter une proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics, qui est plébiscitée par les usagers comme par les élus locaux. Il s’agit de ne pas fermer les guichets physiques et d’en rouvrir là où ils ont fermé pour garantir à toutes et tous le droit d’accès à un service public de qualité.

Si la dématérialisation peut faciliter les démarches de nombre de nos concitoyens, elle n’est pas un but en soi, mais seulement un moyen de garantir l’égal accès de tous aux services publics, qui est quant à lui un objectif de valeur constitutionnelle, déduit du préambule de la Constitution de 1946. Or en prévoyant d’expérimenter la fermeture des guichets d’ici 2027, vous méconnaissez cet objectif, puisque des régions entières du monde ont un accès limité à internet et que certains de nos compatriotes vivent dans des pays qui restreignent l’accès à des sites essentiels, y compris ceux de notre pays. Vous faites aussi fi des inégalités face au numérique.

Il faut un service informatique de qualité, capable de résister à la fois au hacking et aux fortes demandes. Or, lors d’une énième panne du portail du ministère des affaires étrangères en octobre 2023, les services, qui avaient été abondamment sollicités, ont suspendu les demandes d’extraits ou de copies d’actes en ligne pendant plusieurs jours. En conséquence, le délai de traitement des demandes peu urgentes a fortement augmenté et le nombre d’appels et de courriels a explosé. D’autres pannes ont par la suite entraîné la disparition de plusieurs demandes et de documents.

La dématérialisation suppose une amélioration constante de la technique, mais également des conditions de travail des personnels. Or, depuis septembre 2021, onze ETP ont été supprimés et le ministère a prévu d’en supprimer vingt de plus pour faire des économies – c’est la vraie raison du dépôt de ce texte. La plateforme ne doit pas être un cache-maltraitance et entraîner une déshumanisation, comme celle qu’a causée l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef), avec la disparition progressive de l’accueil en préfecture, donc des fonctionnaires.

La dématérialisation répond peut-être à un besoin des usagers, mais elle ne saurait être synonyme d’inégalité d’accès aux services publics et de déshumanisation.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Après la dématérialisation des démarches relatives à la carte grise, au permis de conduire, au renouvellement de la carte d’identité et au versement des prestations sociales, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de la dématérialisation de l’état civil des Français de l’étranger.

Avant d’en venir au fond, je crois utile de dire un mot de la forme, et d’abord du fait que cette proposition de loi n’est qu’un projet de loi déguisé. Émanant d’une sénatrice Renaissance, elle évite au Gouvernement – et c’est là que le bât blesse – de produire une étude d’impact et de demander l’avis du Conseil d’État. Or si la dématérialisation peut apparaître comme une avancée, parce qu’elle permet de gagner du temps, elle laisse aussi de côté des millions de personnes qui ont des difficultés avec le numérique. Selon l’Insee, 15 % de la population française était en situation d’illectronisme en 2021 et, selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), 54 % des Français avaient des difficultés à effectuer des démarches administratives en ligne en 2022 – soit 16 % de plus qu’en 2020. En février 2020, la Défenseure des droits alertait sur les dérives que pouvait entraîner la dématérialisation totale des démarches ; elle a récidivé en février 2022 en rappelant que toute dématérialisation s’accompagne d’un transfert de charges administratives sur l’usager et sur l’ensemble des acteurs publics ou associatifs qui l’accompagnent.

On peut donc se féliciter que l’article 1er sorte de la logique un peu manichéenne du tout ou rien qui prévalait jusqu’ici en matière de dématérialisation. S’il pérennise dans le code civil la dématérialisation de la délivrance des copies et des extraits d’actes d’état civil établis par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, il n’en fait qu’une possibilité. Cela signifie que les usagers pourront toujours demander la délivrance d’une copie ou d’un extrait d’acte par courrier ou solliciter une impression. Nous proposerons toutefois d’inverser cette logique, afin que la délivrance d’un document papier reste la norme, et non l’exception, la délivrance sur support électronique se faisant seulement sur demande de l’usager.

L’article 2 proroge quant à lui, pour la deuxième fois et pour trois ans, l’expérimentation de la dématérialisation des autres volets de l’état civil, à savoir l’établissement, la mise à jour et la conservation des actes. Je veux d’abord souligner que, l’expérimentation ayant accusé un retard significatif, elle n’a pas pu être totalement déployée et n’a donc pas été pleinement évaluée. Par ailleurs, l’expérimentation, qui devait s’arrêter le 10 juillet 2022, a bénéficié d’une première prorogation, jusqu’au 10 juillet 2024. Le fait que l’on nous demande de la proroger une deuxième fois, alors que nous sommes déjà presque en juin, témoigne d’un manque d’anticipation du Gouvernement. On ne peut donc que se féliciter que les sénateurs aient conditionné cette deuxième prorogation à une transparence accrue du Gouvernement, qui devra présenter chaque année à l’Assemblée des Français de l’étranger l’état d’avancement de l’expérimentation et son bilan provisoire. Nous proposerons que ces informations soient également transmises au Parlement.

Enfin, si la dématérialisation peut améliorer la qualité du service rendu, elle ne doit pas être dictée par un objectif d’économies budgétaires, car elle risque de ne pas être acceptée, et surtout d’être inefficace. Alors même que, dans tous les consulats, les équipes sont sous tension, onze ETP ont été supprimés en 2021 et le ministère des affaires étrangères prévoit d’en supprimer vingt de plus. Ces suppressions de moyens humains interviennent, alors que, dans nombre des pays où nos ressortissants sont établis, il y a une antenne d’accueil physique. Ces pays peuvent être deux à trois fois plus étendus que l’Hexagone et n’assurent pas toujours un accès stable et sécurisé à internet.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Depuis 2019, le ministère des affaires étrangères expérimente la dématérialisation des documents d’état civil des Français de l’étranger. Compte tenu du bilan plutôt satisfaisant de l’expérimentation – on a compté plus de 1,2 million de demandes de copies ou d’extraits d’actes d’état civil sur le site service-public.fr en 2023 –, qui a simplifié les démarches et permis de faire des économies, à la fois pour le ministère et pour les usagers, il nous est proposé de pérenniser la dématérialisation de la délivrance des copies et des actes d’état civil et de prolonger pour trois ans l’expérimentation de la dématérialisation pour l’établissement, la mise à jour et la conservation de ces actes, afin d’alimenter un registre de l’état civil électronique, qui a été ouvert en janvier 2024, avec la création des premiers actes de l’état civil français nativement numérisés.

Je suis favorable à cette proposition de loi, mais j’ai tout de même deux petits bémols. D’abord, il me semble très important que tous les Français établis hors de France puissent accéder à des procédures non dématérialisées, quel que soit leur accès à internet. Les situations de fracture numérique restant fréquentes dans certains pays, il est indispensable que les usagers puissent adresser leur demande de copies ou d’extraits d’actes d’état civil par courrier postal et que cette possibilité soit expressément garantie par la loi. Ensuite, je crois qu’il faut prêter une attention particulière à la question cruciale de la conservation des données.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Il me semble que tout le monde est plutôt satisfait de cette expérimentation, et c’est l’essentiel. Je comprends que l’obligation où nous sommes de la prolonger suscite des critiques, mais j’ai exposé les difficultés qui la justifient – problème de logiciel, covid, etc.

À ceux qui s’inquiètent de la sécurité du dispositif, je rappelle qu’une double authentification est nécessaire pour accéder au registre. Le risque le plus important identifié, est la corruption d’un agent du ministère pour pouvoir accéder à ce registre : c’est bien un risque humain et non numérique.

Vous vous interrogez, monsieur Rimane, sur l’opportunité de cette proposition de loi. Il se trouve que la sénatrice Samantha Cazebonne, qui l’a déposée, et qui représente les Français établis hors de France, ne fait que répondre aux besoins exprimés par nos concitoyens. Elle s’est fondée, pour écrire ce texte, sur le rapport d’évaluation de l’expérimentation.

Nous avons auditionné les différents services concernés et échangé avec l’Assemblée des Français de l’étranger. Ce qui ressort de ces discussions, c’est qu’il est essentiel de pérenniser le dispositif. Certes, la dématérialisation peut parfois poser des problèmes, lorsqu’il y a des difficultés d’accès à internet ou pour des gens éloignés du numérique, mais cette loi ne supprime pas la possibilité de formuler une demande par écrit et de recevoir des documents en version papier. Monsieur Rimane, vous voulez inverser la norme, mais il faut entendre les usagers, qui demandent plus de rapidité. Dans certains secteurs, il fallait jusqu’à trois mois pour obtenir un document en version papier, alors qu’il ne faut plus que trois jours grâce à la dématérialisation. Cet écart montre à lui seul l’intérêt de cette disposition.

Je crois que nous sommes tous convaincus, même si certains ont émis de petits bémols, et je vais tâcher de rassurer ceux qui ont encore des doutes. En refusant de pérenniser cette expérimentation, nous risquerions de mettre en difficulté des millions de nos concitoyens.

Amendements CL7 de M. Davy Rimane et CL1 de M. Michel Guiniot (discussion commune).

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous proposons de préciser que la délivrance des copies ou des extraits d’actes d’état civil sur support électronique ne pourra intervenir que sur demande de la personne concernée.

M. Michel Guiniot (RN). La possibilité laissée à l’administration de délivrer des copies ou des extraits d’actes d’état civil par voie électronique ne doit pas s’exercer au détriment des usagers, notamment de ceux qui ne disposent pas d’un accès à internet. Dans cette perspective, il importe de préciser expressément que les usagers sont en droit d’obtenir, dès lors qu’ils en font la demande, les copies intégrales ou les extraits des actes de l’état civil en version papier.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Vous voulez garantir que l’usager pourra continuer de recevoir son acte d’état civil par courrier. Cette possibilité est déjà assurée par le texte, puisque l’article 1er prévoit bien que la délivrance par voie dématérialisée n’est qu’une possibilité.

D’après le rapport des inspections, entre octobre 2022 et octobre 2023, seuls 6 % des demandes d’actes d’état civil ont nécessité une impression papier ; cela étant, 128 752 demandes ont été formulées en dehors de toute procédure dématérialisée : cela montre que les usagers peuvent toujours demander leurs actes d’état civil par courrier et les recevoir par la même voie. Vos amendements étant satisfaits, je vous invite à les retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous proposons que la transmission par voie électronique ne se fasse qu’à la demande de la personne, par exemple si elle considère que le délai pour recevoir le document papier est trop long. Ce que nous récusons, c’est que la dématérialisation soit la règle et le document papier, un secours ; nous ne voulons pas de cette inversion de la norme. Dans nombre de nos territoires, notamment en outre-mer, l’accès à internet est parfois difficile et l’obtention de documents peut s’apparenter à un parcours du combattant.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il faut absolument tenir compte de la fracture numérique. Vous nous dites que ces amendements sont satisfaits et que toute personne qui n’est pas à l’aise avec internet pourra faire une démarche papier : cela nous convient, mais il faut faire en sorte que ce soit une réalité.

Le premier volet de l’expérimentation a duré cinq ans, ce qui est très long, puisque nous parlons de la délivrance d’actes d’état civil, qui ouvrent des droits. Le covid a bon dos : on aurait très bien pu travailler sur ce sujet, malgré la crise sanitaire.

Par ailleurs, qui dit expérimentation dit bilan partagé. Vous avez évoqué la lutte contre la corruption, qui est effectivement un point très important : j’ai moi-même été interrogée, à ma permanence, sur un trafic d’actes d’état civil et il faut être très vigilant sur cette question.

M. Philippe Gosselin (LR). Vous dites, monsieur le rapporteur, que les risques sont très faibles, mais nous ne pouvons pas nous contenter de cette réponse. Il faut qu’il n’y ait aucun risque, ni de cyberattaque, ni d’usurpation d’identité. Les personnes qui en sont victimes se retrouvent dans des situations terribles et il ne faudrait pas que la dématérialisation de l’état civil augmente ce risque.

Pour en revenir aux amendements, il faut absolument que les usagers aient les deux possibilités et que ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas passer par internet puissent recourir au papier. Et il faut garantir l’effectivité de la démarche papier : ce n’est pas le tout de reconnaître cette possibilité dans la loi, il faut s’assurer que cela fonctionnera en bout de chaîne et qu’une personne qui demande un document papier ne va pas attendre six mois avant de le recevoir. Il faut que cela soit non seulement possible, mais effectif. Je pense que c’était le sens de ces amendements et ils ne me paraissent donc pas inutiles.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. La dématérialisation a limité les possibilités de fraude à l’état civil, puisqu’il est plus difficile désormais de voler les papiers de quelqu’un. La double authentification est un gage de sécurité. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que le risque principal me semble être la corruption.

L’article 1er dispose que « les copies intégrales ou les extraits des actes de l’état civil établis par le ministère des affaires étrangères peuvent être délivrés sur support électronique ». Il est très clair qu’il s’agit d’une possibilité et non d’une obligation. J’ai d’ailleurs indiqué que beaucoup de gens continuent de formuler des demandes par écrit et reçoivent leurs documents en version papier. C’est leur droit et cela ne change pas. On ajoute seulement une nouvelle possibilité, que nos concitoyens privilégieront certainement mais qui ne devient pas pour autant la norme. Vos amendements sont donc satisfaits et je vous invite à les retirer.

J’ajoute que le deuxième volet de l’expérimentation fera l’objet, six mois avant son terme, d’un rapport d’évaluation. Nous ne sommes pas là pour parler du budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, nous le ferons plus tard dans l’année.

M. Karim Ben Cheikh (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur, il y a quand même un historique : le ministère a perdu 50 % de ses effectifs en trente ans et, s’agissant de la création d’actes d’état civil, il n’arrive plus à répondre à la demande. Maintenir la demande papier, c’est aussi conserver les capacités d’accueil des consulats, qui sont exsangues, parce qu’ils ont été ratiboisés. Dans certains d’entre eux, il faut désormais trois ou quatre ans pour obtenir une transcription d’acte : c’est cela aussi, la réalité des Français de l’étranger ! Le fait de mentionner la demande papier dans la loi crée une obligation de lien humain, d’accueil et donc de maintien des effectifs dans les consulats. Vous dites que ce sera une possibilité ; ce doit être aussi une réalité pour ce qui est des ressources humaines.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’article 1er non modifié.

 

Amendement CL8 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Nous proposons que les informations relatives à l’état d’avancement et au bilan provisoire de l’expérimentation, qui seront transmises chaque année à l’Assemblée des Français de l’étranger, le soient aussi au Parlement.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’article 12 de l’ordonnance du 10 juillet 2019 prévoit la remise d’un rapport au Parlement six mois avant la fin de l’expérimentation. Les inspections seront de nouveau mobilisées sur le sujet : votre volonté d’information du Parlement est donc satisfaite. Par ailleurs, nos collègues représentant les Français établis hors de France pourront nous faire remonter des informations à tout moment.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Ce n’est pas du tout la même chose d’avoir un rapport six mois avant la fin de l’expérimentation et d’être informés chaque année de son état d’avancement.

M. Philippe Gosselin (LR). Notre collègue ne demande pas un rapport supplémentaire – on croule déjà sous les rapports. Il souhaite que le Parlement soit destinataire du rapport qui sera remis à l’Assemblée des Français de l’étranger. Cela ne compliquera en rien la tâche de l’administration et cela permettra de mettre le Parlement dans la boucle, ce qui semblerait assez logique.

Mme Amélia Lakrafi (RE). Il est prévu que le Gouvernement présente annuellement, devant l’Assemblée des Français de l’étranger, un point sur l’état d’avancement de l’expérimentation. Cette assemblée réunit 90 des quelque 500 conseillers de l’étranger que nous avons dans le monde. Par ailleurs, le rapport annuel que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères présente aux députés fait toujours état des discussions qui ont eu lieu au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères échange une fois par an avec l’Assemblée des Français de l’étranger et c’est à cette occasion qu’il présentera son rapport. Je ne suis pas certain qu’il faille organiser à l’Assemblée nationale un débat comme ceux que nous pouvons avoir sur l’immigration, au titre de l’article 50-1 de la Constitution.

M. Karim Ben Cheikh (Écolo-NUPES). Certes, grâce à notre collègue Mélanie Vogel, qui a fait adopter un amendement en ce sens au Sénat, un rapport sera présenté chaque année à l’Assemblée des Français de l’étranger, mais il serait souhaitable qu’il soit également transmis au Parlement. Vous dites, monsieur le rapporteur, que le rapport d’évaluation est accessible, mais il n’est pas inclus dans le dossier législatif.

M. Michel Guiniot (RN). Il me paraît important que la représentation nationale soit informée du progrès de cette expérimentation. L’Assemblée des Français de l’étranger ne concerne que les Français établis hors de France, et non tous ceux d’origine étrangère. Or ce dispositif changera radicalement l’accès aux documents d’état civil pour les actes détenus par le ministère des affaires étrangères, et possiblement, par la suite, par les communes : nous devons suivre cela de près.

L’amendement apparaît donc pertinent.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL6 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à inclure, dans la présentation annuelle, la communication d’un document listant les failles de sécurité encore existantes dans l’expérimentation. Six risques résiduels ont été recensés dans le rapport au Parlement de la direction des affaires civiles et du sceau, en 2022.

Des menaces permanentes pèsent sur nos systèmes informatiques ; il s’agit là de s’assurer que les risques résiduels ne s’accroissent pas. Le niveau de sécurité doit rester le plus haut possible, et l’expérimentation doit démontrer que les risques sont stables et contenus.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. J’entends vos inquiétudes, mais votre amendement est satisfait. L’ordonnance du 10 juillet 2019 prévoit déjà une évaluation, et le décret d’application indique que celle-ci aura notamment pour objet « d’apprécier la sécurisation et la simplification des démarches des usagers ainsi que l’impact sur les délais administratifs ».

Comme vous l’avez noté, le rapport de la direction des affaires civiles et du sceau comportait déjà une analyse des risques. Le rapport des inspections faisait également le point sur ce sujet.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 2 non modifié.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (n° 2618) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 


   PERSONNES ENTENDUES

   Mme Raphaëlle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

   Mme Gaëlle Le Pape, sous-directrice de l’état civil et de la nationalité

   M. Maxime Chiappini, adjoint à la sous-directrice

   Mme Hélène Degryse, présidente

   Mme Rosiane Hungbo-Monteverde, présidente de la commission des lois, des règlements et des affaires consulaires de l’AFE


([1])  Cour de cassation, première chambre civile, 14 juin 1983 (n° 82-13247)

([2]) Article 24 du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance déposé le 27 novembre 2017 sur le bureau de l’Assemblée nationale.

([3]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, séance du 23 novembre 2017.

([4]) Amendement de Mme Laure de la Radière adopté en commission à l’Assemblée nationale en première lecture.

([5]) Étude d’impact du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance.

([6])  L’amendement n° 3342 rectifié, présenté par le Gouvernement et l’amendement n° 3176 rectifié présenté par M. Alexandre Holroyd.