N° 2694

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mai 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 2656),
DE M. PIERRE-HENRI DUMONT
 


visant à abandonner la proposition de directive concernant
les associations transfrontalières européennes,

 

 

PAR M. Pierre-Henri DUMONT,

Député

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, David AMIEL, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, Sylvain CARRIERE, André CHASSAIGNE, Mmes Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Thibaut FRANÇOIS, Grégoire DE FOURNAS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Mmes Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, MM. Christophe PLASSARD, Jean Pierre PONT, Richard RAMOS, Mme Sandra REGOL, MM. Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, M. David VALENCE, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Jean-Marc ZULESI.

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : LA France DISPOSE D’UN CADRE LÉGISLATIF HISTORIQUEMENT STRUCTURÉ AUQUEL LA PROPOSITION DE DIRECTIVE PRÉTEND APPORTER DES MODIFICATIONS

A. L’organisation des associations en France est consacrÉe par des textes lÉgislatifs anciens auxquels la loi sÉparatisme est venue apporter des modifications substantielles

1. Les prémices du modèle associatif français

2. Les enrichissements issus de la loi dite Séparatisme

B. la proposition de lÉgislation européenne couvre un champ bien plus large que les associations transfrontaliÈres

1. La volonté de création d’une association européenne s’est manifestée dès les années 1990

2. Le contenu de la proposition de législation européenne

Deuxième partie : la proposition de lÉgislation europÉenne comporte d’importantes zones d’ombre qui la rendent problÉmatique et INacceptable en l’État

A. la pRoposition de directive est très mal établie sur le plan juridique

b. le projet de directive mÉCONNAÎt la doctrine française d’ordre public en matière associative et prÉsente de nombreuses failles

1. La remise en cause des principes des lois de 1901 et 2021

2. Une prise en compte des principes d’ordre public très en deçà des exigences françaises

c. les risques financiers recouvrent les domaines de la fiscalité, de la probitÉ et de la fraude

1. L’absence de définition de la non-lucrativité

2. Une transparence insuffisante et des risques réels en matière de probité et de fraude

3. Le volet fiscal de la directive est un impensé

4. Le projet de règlement comporte également des risques majeurs en termes d’ingénierie

Troisième partie : IL n’existe pas de réel BESOIN DE légiférer sur le sujet

A. Le consensus sur la nécessité de mettre en œuvre la proposition de DIRECTIVE N’EST pas trouvé

b. l’Union européenne dispose déjà d’un cadre de COOPÉRATION TERRITORIALE permettant la réalisation d’activités transnationales

1. Les flottements linguistiques : transfrontalier ou transfrontière ?

2. Le cadre français permet l’activité transfrontalière

3. Les outils européens de coopération transfrontalière existent et permettent déjà de réaliser les objectifs affichés dans le projet de directive

CONCLUSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE visant à abandonner la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ADOPTÉE PAR LA COMMISSION visant à s’opposer en l’état à la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 


   Introduction

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

Il n’existe pas de liberté sans ordre public. La cohésion nationale ne saurait se faire à l’encontre de la sécurité et des impératifs de sûreté.

La France dispose, par son histoire, d’une tradition d’encouragement du modèle associatif et l’a conservée comme en témoigne le fait que les lois de 1901 et 1905 soient demeurées si importantes pour le développement du monde associatif français.

Des menaces constatées ces dernières années ont été intégrées dans l’arsenal législatif pour permettre d’y faire face : c’est le sens de l’adoption de la loi dite Séparatisme du 24 août 2021.

Le projet de directive présenté par la Commission européenne le 5 septembre 2023 porte en lui les germes de son inadéquation. Placé sous le domaine du marché intérieur, alors qu’il a vocation à concerner des associations à l’activité non-lucrative, le texte étudié par votre rapporteur s’est révélé être un véritable « gruyère » juridique. Ordre public, risque de fraude et d’ingérences étrangères, méconnaissance des dispositions fiscales : la gamme des failles constatées dans le texte est large et constitue une source d’inquiétude réelle.

Le texte adopté en première lecture par le Parlement européen ne saurait remplir les exigences fixées par les États membres comme les premiers échanges au Conseil l’ont illustré.

Au demeurant, il est permis de s’interroger sur le bien-fondé d’une nouvelle législation alors que l’Union européenne dispose d’oresetdéjà de dispositifs solides et utilisés en matière de coopération transfrontalière. Par ailleurs, le cadre français est suffisamment souple pour permettre l’exercice de l’activité transfrontalière.

 


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   PREMIÈRE PARTIE : LA France DISPOSE D’UN CADRE LÉGISLATIF HISTORIQUEMENT STRUCTURÉ AUQUEL LA PROPOSITION DE DIRECTIVE PRÉTEND APPORTER DES MODIFICATIONS

A.   L’organisation des associations en France est consacrÉe par des textes lÉgislatifs anciens auxquels la loi sÉparatisme est venue apporter des modifications substantielles

1.   Les prémices du modèle associatif français

La structuration du modèle associatif français trouve ses origines dans les délibérations de la IIIe République. En effet, c’est au détour des XIXe et XXe siècles que les autorités françaises modifient substantiellement une doctrine héritée de la Révolution française.

La loi dite Le Chapelier, votée par la récente Assemblée nationale en 1791, prétendait ainsi empêcher la constitution de corps pouvant mettre en danger l’unité de la Nation. À l’époque, elle visait essentiellement les groupements professionnels considérés sur lesquels pesait une méfiance en matière de revendications collectives.

Partiellement abrogée sous le IIIème Empire avec la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, elle disparaît pleinement à la suite du vote de la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 qui légalise les syndicats.

Confortant son intention réformatrice de 1884, le chef du gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau œuvre au vote de la loi relative au contrat d’association le 1er juillet 1901. L’association y est définie comme : « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. »

Ce texte à la fois libéral et républicain a depuis gagné sa notoriété puisque la loi est demeurée largement inchangée dans sa mouture originelle, signe du consensus politique autour de son architecture et surtout de ses objectifs.

Le texte de 1901 prévoit un dispositif libéral et souple qui marque le retour de la confiance entre les pouvoirs publics et les groupements constitués.

Les citoyens disposent d’un droit d’association (article 2) « sans autorisation, ni déclaration préalable ». Seul le désir d’acquisition d‘une personnalité juridique nécessite une déclaration en préfecture.

Le but de l’association est laissé à l’appréciation de ses membres. Toutefois, toute association qui porterait atteinte à l’intégrité du territoire national ou à la nature républicaine des institutions est nulle et non avenue (article 3).

La rédaction des statuts de l’association se caractérise par une grande liberté découlant de la forme contractuelle revêtue par l’association. Sous réserve des dispositions de l’article 3, les membres de l’association sont libres de leur action.

Les associations reconnues d’utilité publique obtenant des avantages de financement de l’État se voient toutefois imposées des règles. Ces dernières concernent les objectifs de l’association (intérêt général), le nombre minimal de membres et l’effectivité de la vie de l’association et la solidité financière de la structure.

Si les dispositions de la loi de 1901 concernaient tout type d’association, c’est la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises et de l’État qui vint établir des règles plus précises s’agissant des associations cultuelles.

La loi de 1905 contient des dispositions relatives aux associations cultuelles (remplaçant alors les établissements publics du culte) dont l’unique objet concerne l’exercice d’un culte et pour lesquelles des subventions publiques ne peuvent être versées en raison du principe de neutralité de la puissance publique.

Tout comme le texte de 1901, la loi du 9 décembre 1905 est devenu un texte fondateur qui est au cœur de notre pacte républicain.

Ces deux textes présentent un équilibre permettant de concilier le développement d’une société civile riche et vivace avec des préoccupations d’ordre public et de garanties de neutralité de la part de la puissance publique.

2.   Les enrichissements issus de la loi dite Séparatisme

La loi du 24 août 2021 est venue modifier le cadre législatif entourant l’action des activités des associations. Voulu par le Président de la République, ce texte affiche comme objectifs le respect des principes républicains et le contrôle des associations cultuelles. Il s’agit de faire face au repli communautaire et à la percée de l’islamisme radical en France.

Le texte de loi vient apporter des modifications conséquentes à la loi de 1901 concernant les associations ainsi qu’à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Pour rappel, la loi de 1905 contient des dispositions relatives aux associations cultuelles (remplaçant alors les établissements publics du culte) dont l’unique objet concerne l’exercice d’un culte et pour lesquelles des subventions publiques ne peuvent être versées en raison du principe de neutralité de la puissance publique.

La loi Séparatisme contient de multiples dispositions concernant les associations. Désormais les associations demandant une subvention publique (article 12) devront s’engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République dans le cadre d’un contrat d’engagement. En cas de violation de cette obligation, les associations seront tenues de rembourser les subventions versées par la puissance publique. Le Conseil constitutionnel a effectué une réserve d’interprétation sur ce dernier point, indiquant que le remboursement des montants versés ne pourrait être antérieur à la signature du contrat d’engagement.

Par ailleurs, la liste des motifs de dissolution des associations est étendue (article 16). Les agissements de membres de l’association pourront être imputés à cette dernière et conduire à sa dissolution. La capacité à suspendre une association en urgence, dans l’attente de sa dissolution, a été censurée par le Conseil constitutionnel qui a considéré qu’il s’agissait d’une atteinte manifeste à la liberté d’association.

En outre, les fonds de dotation, outil de financement du mécénat, seront mieux contrôlés par les préfets. L’administration fiscale disposera, de plus, d’un droit de regard pour vérifier que la générosité publique pourvoie à des associations remplissant les conditions prévues par la loi. Lors de l’examen du texte au Parlement, les députés ont ajouté une disposition pour contrôler les financements étrangers reçus par les associations loi 1901 à partir de 153 000 euros.

Des dispositions spécifiques visent les associations cultuelles en apportant de la transparence via le renforcement des contrôles (articles 68 à 72). Désormais, les associations percevant plus de 10 000 euros de l’étranger devront le déclarer et se déclarer auprès du préfet tous les cinq ans.

B.   la proposition de lÉgislation européenne couvre un champ bien plus large que les associations transfrontaliÈres

1.   La volonté de création d’une association européenne s’est manifestée dès les années 1990

La proposition de législation européenne relative aux associations n’est pas une nouveauté dans la mesure où une première initiative avait vu le jour en 1992 sous la forme d’une proposition relative au statut juridique d’association européenne. L’exposé des motifs de la directive relative aux associations transfrontalières européennes en fait d’ailleurs mention.

L’initiative s’ancrait alors dans le cadre de l’économie sociale, appellation qui recouvre aujourd’hui le champ de l’économie sociale et solidaire et que la proposition de directive mentionne également.

Cette proposition législative a cependant connu des heurs et malheurs puisque le projet de la Commission n’a pas véritablement avancé dans le cadre du parcours législatif d’alors. Les discussions se sont enlisées et en 2005, la Commission dirigée par José Barroso a acté le retrait du texte dans le cadre d’un mouvement législatif visant à « simplifier et rationaliser la législation communautaire. »

Plusieurs initiatives législatives jugées « inutiles » car ne correspondant pas avec les objectifs de la stratégie de Lisbonne ou bien insuffisamment avancées dans le parcours législatif ont donc été retirées. C’est ainsi que le premier projet a échoué treize ans après son lancement.

2.   Le contenu de la proposition de législation européenne

C’est sous l’égide du marché intérieur qu’a été placée la nouvelle proposition de législation présentée par le commissaire Thierry Breton le 5 septembre 2023. Le texte a fait partir d’un ensemble de textes dévoilés par la Commission européenne.

Il est constitué d’une proposition de directive spécifiquement axée sur les associations transfrontalières européennes et d’une proposition de règlement visant l’utilisation d’un système d’information contenant les informations relatives aux associations sous la forme de registres.

La proposition de la Commission trouve son origine dans la résolution adoptée par le Parlement européen du 17 février 2022 qui contenait des recommandations à la Commission sur un statut pour les associations et organisations à but non lucratif européennes transfrontalières. La Commission a conservé très largement l’architecture de la proposition des parlementaires.

La motivation de l’acte se trouve dans la constatation de législations nationales spécifiques à chacun des vingt-quatre États membres en matière d’associations à but non lucratif et de leurs activités. L’Irlande, le Danemark et la Suède ont quant à eux développé une pratique s’appuyant sur la doctrine et la jurisprudence.

La Commission s’appuie également sur l’impact social qu’ont les associations à but non lucratif, estimées dans son étude d’impact à 3,8 millions au sein des États membres de l’Union et qui contribuent pour près de 2,9 % du PIB.

De plus, la proposition législative estime que la charge administrative causée par les différentes législations nationales serait réduite sur quinze ans à hauteur de 378 millions d’euros liés au surcoût du lancement de nouvelles activités transfrontalières. Serait également réduite la part du surcoût lié aux opérations transfrontières évaluée à 770 millions d’euros par an et à 8.5 milliards d’euros sur quinze années.

La création du statut des ATE pourrait créer 185 000 structures de ce type étant entendu que la Commission européenne estime que 310 000 associations opèrent aujourd’hui dans plus d’un État membre et correspondent donc à l’activité visée par la directive.

La structure juridique de la proposition législative s’articule autour de trois axes.

Tout d’abord, il s’agit de créer au niveau national une forme juridique d’association à but non lucratif caractérisée par une activité transfrontalière et reconnue par les États membres.

Les dispositions des articles 2 et 3 prévoient que, pour être qualifiée d’ATE, l’association doit réaliser une activité dans au minimum deux États membres et compter des fondateurs disposant de liens avec deux États membres, par condition de citoyenneté ou de résidence, ou bien via un siège social dans le cas d’une personne morale.

Le deuxième axe traite des modalités d’enregistrement dans chacun des États membres de l’ATE. La personnalité et la capacité juridiques de la structure sont ainsi reconnues (articles 5, 18 et 19).

L’enregistrement est unique au sein de l’Union et permet d’opérer dans tous les États. Les documents nécessaires à l’enregistrement font également l’objet d’une vérification unique au moment de la création.

Enfin, le dernier axe concerne la simplification des modalités de transfert de siège social entre États membres. Les ATE sont libres du transfert (articles 22 et 23) qui n’entraîne aucune dissolution dans l’État membre initial ni même la création d’une nouvelle entité juridique dans l’État dans lequel l’ATE est transférée.

Les documents nécessaires à l’enregistrement n’auront pas besoin d’être présentés une seconde fois. Les États membres disposent d’un délai de trente jours pour statuer sur la demande de transfert.

    


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   Deuxième partie : la proposition de lÉgislation europÉenne comporte d’importantes zones d’ombre qui la rendent problÉmatique et INacceptable en l’État

A.   la pRoposition de directive est très mal établie sur le plan juridique

La première problématique posée par le texte proposé par la Commission se trouve dans les objectifs affichés par le projet de directive dans son exposé des motifs.

Plusieurs motivations sont avancées et d’autres semblent se dessiner entre les lignes. Ainsi, l’encouragement du développement du monde associatif est mis en avant. La mention de l’économie sociale et solidaire figure elle aussi. Derrière cette expression, il est loisible de penser qu’il s’agit de remédier à la méconnaissance de principes fondamentaux (liberté associative) de tout État de droit ou dans certains États membres spécifiquement (cas de la Hongrie).

Le texte relatif aux ATE a été porté au Parlement européen en commission affaires juridiques (JURI) par une députée du groupe écologiste. La commission saisie pour avis, Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO), a également désigné une rapporteure écologiste.

La question de l’État de droit a été historiquement portée au Parlement européen par le groupe écologiste, et plus particulièrement à l’encontre de la Hongrie depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Viktor Orban en 2010 que certains députés européens ont accusé d’une dérive illibérale.

Le gouvernement hongrois a pris plusieurs mesures à l’encontre du monde associatif en le justifiant par des craintes d’ingérences étrangères avérées ou supposées. Revivifier le monde associatif en contournant un certain arbitraire pourrait être vu par certains comme une voie de passage plus aisée.

Le deuxième point relève de l’étude d’impact annexée au projet de directive. La pertinence et la solidité de l’étude sont très contestables. En effet, l’échantillon choisi par la Commission pour étayer son projet législatif se limite à soixante personnes/structures. Il est permis de s’interroger sur la représentativité d’un échantillon si réduit alors même que le texte présente de grandes ambitions.

Le troisième point à observer concerne la base légale sur laquelle le texte s’appuie. Il s’agit d’une double base juridique reposant d’une part sur l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et sur l’article 114 dudit traité.

Les deux articles font référence au marché intérieur et donc aux quatre libertés constitutives du marché unique (liberté des personnes, des biens, des capitaux et des services). L’article 50 porte plus spécifiquement sur la liberté d’établissement tandis que l’article 114 traite du marché intérieur.

Par le recours à cette double base juridique, la Commission surprime les restrictions, « en particulier celles liées à la réglementation des activités économiques et à la canalisation des capitaux ».

Il paraît curieux et même problématique de se référer à un article relatif au marché intérieur, applicable aux sociétés agissant dans un but lucratif, alors que le projet de directive a vocation à concerner des associations et autres structures sans but lucratif et dont la réalisation d’activités économiques reste accessoire.

Il convient ici de rappeler que l’utilisation de cette base juridique pose problème au regard de l’article 54 du TFUE qui exclut les sociétés à but non lucratif du champ d’application de l’article 50.

La Commission justifie ce choix par une logique de développement d’une économie sociale au sein du marché intérieur. Toutefois, l’intégration des associations dans le marché intérieur aboutit en l’espèce à leur soumission aux règles de libre concurrence et à un fort degré d’harmonisation, notamment par l’interdiction d’ajouter des règles à celles fixées par la directive sauf conditions précises.

Le choix d’une telle base n’est pas neutre en termes d’effets puisque le marché intérieur est une compétence forte de l’Union. Les États ne disposent pas de la capacité de faire obstacle aux libertés régissant ce marché. Dès lors que la vie associative française est régie par des règles spécifiques pour plusieurs secteurs (éducation, santé, sport, chasse, etc.), cette base légale vient heurter de front les compétences des pouvoirs publics.

Le rattachement au marché intérieur de ce projet de directive produit d’ailleurs une conséquence qui n’avait pas été anticipée, celle de renvoyer l’examen du texte aux groupes de travail du Conseil traitant des droits des sociétés. Habitué à délibérer sur les questions économiques et financières, cette filière du Conseil n’a pas à l’esprit les impératifs de sécurité publique pris en compte par les groupes Justice et affaires intérieures.

b. le projet de directive mÉCONNAÎt la doctrine française d’ordre public en matière associative et prÉsente de nombreuses failles

La France a développé une doctrine particulière en matière d’ordre public. Et la liberté conférée aux associations par la loi de 1901 et celle de 1905 s’ancre dans le respect d’un équilibre entre liberté associative et respect de l’ordre public.

La nécessité d’insérer la forme juridique des ATE dans le droit interne nécessitera de rapprocher les règles nationales des nouvelles normes européennes.

1.   La remise en cause des principes des lois de 1901 et 2021

La proposition de directive remet en cause plusieurs principes de la loi de 1901 relative au contrat d’association et heurte de front certaines dispositions de la loi dite Séparatisme.

Ainsi, la possibilité donnée aux ATE de se voir octroyer la personnalité et la capacité juridiques reconnues au sein de tous les États membres sans devoir se déclarer, après l’enregistrement initial, ou sans avoir un siège social en France est particulièrement préoccupante.

Aux termes de la loi de 1901, les autorités françaises disposent lors de l’enregistrement de la possibilité d’accéder à plusieurs informations concernant la structure créée (objet, antécédents des dirigeants, financements, etc.). Cette possibilité ne serait plus envisageable dans le cas d’ATE créées hors de France.

La loi de 1901 rend ainsi obligatoire pour les associations la déclaration en préfecture ainsi qu’un siège social situé en France pour bénéficier des personnalités et capacité juridiques. Dans le cas présent, les ATE créées au sein d’un autre État membre que la France ne nécessiterait aucun enregistrement préalable auprès des autorités administratives françaises.

A contrario de la loi de 1901 qui laisse aux associations une très grande souplesse dans l’organisation de leur fonctionnement interne et dans la rédaction de leurs statuts, le projet de directive vient poser un cadre normatif particulièrement lourd et précis qui méconnaîtrait l’esprit libéral de la loi Waldeck-Rousseau.

Par ailleurs, la directive entraînerait une libéralisation de la capacité des associations à recevoir des libéralités (dons ou legs), que la loi de 1901 réserve aux associations ayant plus de trois ans d’ancienneté et dont les activités sont d’intérêt général au sens de la doctrine fiscale.

Le projet de directive vient également libéraliser la capacité des associations à posséder et administrer des biens immeubles, que la loi 1901 limite à ceux strictement nécessaires au fonctionnement de l’association.

S’agissant de la loi dite Séparatisme, le projet de directive pourrait également en remettre en cause plusieurs dispositions et plus spécifiquement certains des dispositifs qu’elle a instaurés.

La loi confortant le respect des principes de la République (CRPR) prévoit ainsi la signature d’un contrat d’engagement républicain permettant alors l’octroi de subventions publiques. La directive, dans le projet actuel, ne prévoit aucune formalité spécifique pour l’obtention de subventions publiques.

Le projet de directive ne prévoit également aucune obligation de transparence pour les ATE en matière de financements étrangers alors même que la loi dite CRPR rend obligatoire la mention de tout financement étranger à compter de 153 000 euros.

Outre les obligations et spécificités décrites s’agissant des lois de 1901 et 2021, la France dispose d’un cadre particulier en matière associatif avec plusieurs réglementations nationales sectorielles posant des restrictions à la liberté d’exercer dans plusieurs domaines tels que l’éducation hors contrat, la santé et la dépendance, l’environnement, la chasse, ou même le sport.

2.   Une prise en compte des principes d’ordre public très en deçà des exigences françaises

Lors des auditions menées par votre rapporteur, l’hypothèse a été évoquée d’une ATE créée au sein d’un État membre qui encouragerait la création d’une association cultuelle. Une telle hypothèse est rendue possible par la version du projet votée par le Parlement européen.

Ainsi, une association religieuse pratiquant des « thérapies de conversion » ([1]) serait en mesure de se créer dans un État membre n’ayant pas interdit ce type de pratique, contrairement à la France ([2]), et d’opérer en France sans que le législateur national puisse interrompre l’activité délictuelle.

Plusieurs autres lois françaises sont méconnues par le projet de directive, à l’instar des lois de 1901 et 2021 comme votre rapporteur l’a souligné précédemment.

La situation pourrait se présenter s’agissant de la loi dite Gatel relative à l’enseignement hors-contrat.

La base légale choisie pour adopter la proposition de directive pourrait conduire à une harmonisation maximale ne laissant aucune marge de manœuvre aux États même si la rédaction actuelle du projet ne retient pas une telle option. Dès lors, les États membres auraient peu de possibilités pour ajouter des restrictions au texte de la directive.

Dans la présente rédaction, les restrictions ajoutées ne peuvent être que celles « prescrites par la loi », « justifiées par un motif impérieux d’intérêt général » et proportionnées « propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. » (article 12).

La disposition de la proposition de au sein de la directive permettant de ne pas porter atteinte aux mesures adoptées par les États membres pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique visant à se prémunir du risque d’utilisation abusive d’associations n’est pas nécessairement opérante.

En effet, cette disposition chapeau doit s’articuler avec plusieurs dispositions issues du droit du marché intérieur interdisant l’ajout de restrictions non prévues par le texte (articles 6, 12 et 14 du projet de directive).

Certaines dispositions actuelles rendent la possibilité pour un État membre de procéder à une dissolution d’ATE encore plus complexe. L’article 25 indique ainsi que la dissolution involontaire de l’ATE ne peut résulter que d’une décision de l’État membre d’origine dans le cas notamment « d’une menace grave à l’ordre public à la sécurité publique » ou d’une « condamnation pour une infraction pénale grave de l’ATE ou des membres de son organe exécutif. »

L’appréciation de ces dispositions est laissée à l’État membre avec un risque d’interprétation juridique divergente et donc probablement une source de contentieux.

Il est tout à fait envisageable dans ce cas de figure qu’une association dissoute contourne la mesure en se reconstituant ou même en transférant son siège social dans un autre État membre.

À titre d’exemple, le Conseil d’État s’est prononcé favorablement sur la décision du gouvernement de dissoudre l’association dite « Collectif contre l’islamophobie en France » (CCIF), impliquée dans l’assassinat du professeur Samuel Paty. Le collectif a pu se reconstituer en Belgique sous le nom de « Collectif contre l’islamophobie en Europe ».

Dans le cas où l’ATE verrait le jour, ce collectif pourrait de nouveau opérer en France alors même que la plus haute juridiction administrative française l’a déclarée illégal. Un contentieux s’engagerait alors avec très certainement une question préjudicielle du Conseil d’État devant la Cour de Justice de l’Union européenne.

L’association dissoute pourrait continuer d’opérer en France, en s’étant reconstituée dans un autre État membre ou en ayant transféré son siège social, en attendant une décision de la CJUE dont il n’est pas certain qu’elle irait dans le sens des juridictions françaises.

Une autre disposition apparaît problématique au sein du projet de directive. Le considérant 48 fait ainsi mention de la nécessité de définir la notion de « criminalité grave » ainsi qu’une liste d’infractions particulièrement graves qui mériteraient que soient respectées des garanties procédurales particulières, alors même que la base juridique du texte ne repose pas sur l’article 83 (1) du TFUE sur le rapprochement des législations en matière pénale.

La notion d’« infraction particulièrement grave » est en outre insuffisante : l’activité passée d’une personne ne suffit pas toujours, ou (à l’inverse) ne peut être seule à fonder de telles mesures. C’est avant tout la menace à l’ordre public qui doit être prise en compte. Or, celle-ci ne découle pas toujours et pas seulement de condamnations.

La référence à cette notion apparaît peu pertinente en raison des risques de reconstitution d’associations dissoutes mentionnés précédemment et des risques d’interprétation divergente conduisant à l’intervention de la CJUE.

La CJUE se prononcerait sur la légitimité du motif de dissolution ainsi que sur la reconnaissance mutuelle des décisions étrangères portant sur des décisions de dissolution prononcées par les juridictions pénales des États membres pour éviter les risques de contournement.

Il importera donc de permettre à l’État membre d’enregistrement de prendre des mesures restrictives, de l’ordre de celles susmentionnées, en cas de risque à l’ordre public. Ceci devrait également être sans préjudice de la capacité du juge national à prononcer par exemple une peine complémentaire d’interdiction de diriger une association.

En outre, s’agissant de la notion de criminalité grave, l’arrêt C-178/22 « Procura delle Reppublica presso il tribunale di Bolzano » dit « Bolzano » de la CJUE du 30 avril 2024, dans lequel la CJUE a rappelé qu’il incombait aux États membres de définir les « infractions graves » aux fins de l’application de l’article 15, paragraphe, 1, de la directive 2002/58.

Enfin, les préoccupations en matière de sécurité nationale paraissent insuffisamment prises en compte. En effet, là où la loi de 2021 avait tenu compte des risques d’ingérences étrangères en renforçant les contrôles, les modalités de constitution des ATE apparaissent particulièrement lâches.

L’association doit exercer ou prévoir dans ses statuts d’exercer des activités dans au moins deux États membres et/ou compter des membres fondateurs ayant des « liens » avec au moins deux États membres, soit sur la base de leur nationalité soit sur leur résidence légale.

Compte tenu de l’emprise du phénomène d’ingérences étrangères sur les organismes publics constatés ces dernières années, les dispositions citées sont très clairement insuffisantes et présentent des potentiels de risque particulièrement élevés.

Cette question prend une importance toute singulière en considérant la proposition de règlement relatif aux registres nationaux. Les caractéristiques minables exigées des États membres en matière de constitution des registres sont sommaires. Seules les questions d’interopérabilité et de centralisation des données sont mentionnées. Au regard des données contenues dans les registres, la possibilité d’un piratage des premières ne peut pas être écartée.

c. les risques financiers recouvrent les domaines de la fiscalité, de la probitÉ et de la fraude

  1.   L’absence de définition de la non-lucrativité

En premier lieu, il convient de souligner que le champ d’application du texte recouvre les structures aux activités non-lucratives. Cette notion n’est pourtant pas clairement définie dans le texte et il est à craindre que d’importantes divergences se fassent jour entre les États membres et les institutions européennes sur le périmètre recouvert par cette notion.

Le projet de texte applicable aux associations à but non lucratif (« non profit organizations » dans la version anglaise du texte) pose pour définition de la notion de « non-lucrativité » que ces organismes peuvent avoir des activités économiques (prestations de services ou de biens), y compris prépondérantes ou exclusives, dès lors que les revenus tirés de ces activités ne sont pas redistribués aux membres mais sont utilisés pour les missions de l’organisme.

Une telle définition renvoie en droit français à celle de la « gestion désintéressée » mais diverge ainsi de la notion française de « non-lucrativité » qui est un terme fiscal régi par le code général des impôts. Est considérée en droit français comme non lucrative une structure qui n’a pas de gestion désintéressée mais qui ne conduit également pas d’activité de nature concurrentielle.

Des divergences d’interprétations paraissent inévitables entre États membres.

Un alignement du droit national sur la définition contenue dans la directive aurait pour effet notable d’élargir considérablement le champ des organismes sans but lucratif non soumis aux impôts commerciaux et d’accroître ainsi le coût global pour les finances publiques.

2.   Une transparence insuffisante et des risques réels en matière de probité et de fraude

Le gouvernement français a promulgué le 22 avril 2024 la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.

Parmi les dispositions de cet important texte visant à transposer plusieurs directives européennes figure la transposition des quatrième et cinquième directives contre le blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme. L’Union a engagé de longue date un combat contre un fléau qui porte atteinte à la souveraineté des nations, les prive de financements et comporte des menaces contre la sécurité publique.

Pourtant, le projet de directive relatif aux ATE présente des dispositions très en deçà des exigences européennes en matière de lutte contre la fraude renforcée année après année.

En premier lieu, il est observable que les ATE disposeront à la fois de la personnalité et de la capacité juridiques directement reconnues sans avoir besoin de se déclarer au préalable ou de disposer d’un siège social en France. Cette situation est de nature à s’interroger s’agissant des capacités à contrôler les conditions de création des ATE (objet, antécédents des dirigeants, financements) et à refuser leur création le cas échéant.

En l’état, les garanties en matière de capacités de contrôle présentent un recul très net comparé à celles en vigueur actuellement en France. L’impossibilité pour l’administration française de refuser l’enregistrement d’une ATE dans un autre État membre est un des points d’inquiétude les plus importants.

Le texte présente des modalités de création d’une ATE particulièrement souples. Seuls trois fondateurs sont exigés et ces derniers n’ont pas besoin de disposer de la citoyenneté européenne pour créer la structure.

Les droits dont bénéficient les ATE sont très étendus. La grande capacité est admise dès la création. Ce statut est réservé en France aux associations déclarées depuis trois ans et dont les activités sont d’intérêt général au sens de l’article 200 du code général des impôts.

Les ATE pourront recevoir des libéralités (legs ou dons) et détenir ou acquérir tout type de bien, y compris à titre onéreux, et d’en disposer à des fins autres que l’objet statutaire. Une telle règle est de nature à entraîner une distorsion de concurrence entre les associations qui agissent sur le territoire français. Conformément aux dispositions de l’article 13 du projet de directive, le législateur français pourra y apporter des restrictions « justifiées » et « proportionnées », sous le contrôle du juge européen.

Les obligations en matière de transparence sont très insuffisantes puisqu’aucune antériorité d’activité paneuropéenne n’est demandée, qu’aucune preuve d’activité paneuropéenne à venir n’est exigée et qu’aucun document financier ne doit être présenté.

Les garanties relatives à la probité de ces entités juridiques et des personnes physiques paraissent limitées. Le fait que le contrôle soit effectué par l’État membre dans lequel l’ATE est créée, et uniquement par cet État, ne permet pas de s’assurer des conditions de financements de la structure. Le risque de malversation ou d’ingérence est réel.

L’exposé des motifs du texte indique qu’il n’a pas vocation à réglementer les aspects fiscaux. Pourtant son adoption conduirait a minima à un risque de fraude accru résultant de l’absence de transmission d’informations à l’administration française sur les activités réalisées sur son territoire en l’absence d’immatriculation en France.

3.   Le volet fiscal de la directive est un impensé

Le projet de directive se garde d’évoquer précisément les aspects fiscaux qui relèvent au sein de l’Union du vote à l’unanimité des États membres. Pourtant, plusieurs dispositions laissent entrevoir une problématique sur le sujet.

Dès lors que le texte permet l’exercice d’activités économiques dans un autre État membre que celui d’origine, la question du régime fiscal applicable se posera et il convient de se demander quelle sera la règle en la matière. Le risque d’une interprétation divergente ou de contentieux fiscal paraît réel.

De plus, le développement d’activités pérennes au sens du code général des impôts nécessite toujours la création d’un établissement secondaire immatriculé en France ([3]) qui n’est cependant pas aisée lorsque la législation d’origine ([4]) reste muette sur le sujet.

À la lumière des risques fiscaux mis en exergue, un contournement des règles fiscales par certains acteurs malveillants n’est plus une simple hypothèse. Et il est possible d’imaginer une sorte de « forum shopping », pour reprendre l’expression développée par une des personnes auditionnées.

Le texte ne présente pas les garanties nécessaires, ni même des garde-fous suffisamment solides, pour prévenir le risque soulevé lors des auditions.

La capacité à disposer de fonds de dotations ([5]) est envisageable dans la version actuelle du texte. Or, l’observatoire de la philanthropie, rapportait plusieurs personnes auditionnées, a déjà pu constater que 40 % des fonds de dotation existants actuellement en France sont des « coquilles vides » et n’ont aucune activité.

Votre rapporteur a mis en avant le fait que le projet de texte pourrait être utilisé pour contourner le droit des successions. Les personnes auditionnées ont confirmé que la version actuelle du texte ne rendait pas la chose impossible.

Enfin, si les ATE créées peuvent se placer sous le statut de structures réalisant des missions d’intérêt général, cela les rendrait éligibles à la défiscalisation au regard du droit fiscal en vigueur, et notamment de l’article 200 du code général des impôts. L’impact pour les finances publiques d’une telle situation n’a pas été envisagé par le texte, ni même par l’étude d’impact qui l’accompagne. Il est possible de créer ainsi effets d’aubaine et d’éviction et de créer un coût pour les finances publiques d’un pays.

4.   Le projet de règlement comporte également des risques majeurs en termes d’ingénierie

En appui du projet de directive figure un projet de règlement relatif à l’utilisation du système d’information du marché intérieur et du portail numérique unique concernant les associations transfrontalières européennes ([6]). Ce texte présenté comme un simple dispositif technique comporte de multiples failles et suscite des inquiétudes quant à sa solidité.

En effet, le dispositif est censé abriter l’ensemble des données relatives aux ATE. La question de l’interopérabilité est donc posée. Il importe en effet que les États membres dans lesquels opère une ATE créée dans un autre État membre puissent consulter les données relatives à celle-ci.

L’opérabilité est de nature à générer de nombreuses complexités qui présenteront un coût financier, nécessiteront une ingénierie technique spécifique et présenteront des risques en termes de sécurité publique si les données ne peuvent être consultées rapidement et qu’un motif d’ordre public est soulevé.

Le système actuel français relatif aux associations prévoit leur enregistrement auprès des préfectures puisqu’il s’agit d’une compétence déconcentrée des services de l’État.

La proposition envisagée par la Commission n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact solide et il est donc à craindre de multiples ratés à ses débuts. Considérant la difficulté observée dans les dispositifs relatifs aux questions de migrations, envisager un dispositif similaire dans son fonctionnement sans le prévoir suffisamment en amont est d’une grande naïveté.

La centralisation des registres, comme envisagé par la Commission, pose la question de la responsabilité de la structure qui aura la responsabilité d’abriter une masse de données aussi conséquente. Il est envisageable de confier la gestion de ces données à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) mais c’est une réflexion qui n’a pas été posée à ce jour.

Le pilotage d’un nouveau régime juridique européen pose donc une question organisationnelle en France.

Si la France dispose d’une structure à même de centraliser les données relatives aux associations, la question se pose pour plusieurs pays de taille moindre et pour lesquels le coût de cette infrastructure risque d’être un véritable sujet.

Ainsi, dans le cas français, le répertoire national des associations doit être refondu, en 2025, pour contenir des données en format structuré, et donc exploitables informatiquement, compatibles avec les exigences européennes. Le coût de l’opération envisagée est estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros, et il ne prend pas en compte celui de la maintenance. Toute nouvelle exigence viendrait perturber les démarches initiées.

La Commission ne prévoit pas de prise en charge financière du système des registres reportant la charge sur les États membres. Au regard du nombre d’exigences minimales posées dans la version du texte actuel, des considérations de sécurité méritent d’être soulevées. Que prévoit de faire la Commission européenne dans le cas où les fichiers viendraient à être piratés, dérobés et exploités par des puissances étrangères comme il est loisible de le penser ?

La France a pu constater la puissance technique de certains « hackeurs » lorsque des données de patients ont été dérobées à la suite du piratage des fichiers informatiques de plusieurs hôpitaux. Ne pas imaginer un système robuste avec des caractéristiques précises et communes entre États membres c’est ouvrir la porte à des piratages en série et des ingérences répétées.

Au regard des difficultés multiples soulignées précédemment, le délai de transposition prévu pour le règlement (2 ans) paraît très insuffisant pour donner le temps de répondre aux exigences tout en anticipant les difficultés techniques qui ne manqueront pas de surgir.

En outre, la diversité des États membres et de leur situation économique pourraient en amener certains à choisir des solutions techniques faciles, moins coûteuses mais moins sécurisées. L’Union est trop consciente de la menace existant sur les données numériques pour écarter la question du revers de la main.

 


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   Troisième partie : IL n’existe pas de réel BESOIN DE légiférer sur le sujet

A. Le consensus sur la nécessité de mettre en œuvre la proposition de DIRECTIVE N’EST pas trouvé

La proposition de directive faite par la Commission européenne en septembre 2023 a fait l’objet d’une adoption en première lecture par le Parlement européen dans des délais extrêmement rapides puisque le vote est intervenu lors de la session plénière du Parlement de mars 2024.

S’agissant d’un texte soulevant autant de questions et présentant de nombreuses failles juridiques, il semble que le législateur européen n’ait pas analysé toutes les conséquences d’une possible entrée en vigueur du texte.

Plus inquiétant encore, alors que la Commission européenne avait fait le choix d’exclure syndicats, partis politiques et associations cultuelles, les députés européens ont introduit par voie d’amendements la possibilité de rendre ces trois acteurs éligibles au statut d’ATE.

Le texte a été très largement voté avec 490 voix pour et 69 voix contre (64 abstentions). À l’exception des groupes politiques Identité et démocratie (ID) et Européens conservateurs et réformistes (ECR), les différents groupes ont largement voté le texte.

Un vote aussi unanime sur un texte soulevant de réelles questions est de nature à surprendre.

Les conséquences d’un vote aussi massif sont à considérer dans la perspective des trilogues avec le Conseil. Du côté des représentants des États membres au sein du Conseil, les équilibres sont clairement différents.

Il a été indiqué à votre rapporteur que nombre d’États membres n’avaient pas appréhendé la portée exacte de ce texte avant que la France n’alerte sur ses multiples failles et les risques importants inhérents à sa rédaction actuelle.

Cet état de fait pourrait expliquer une partie du résultat du vote au Parlement européen. Il est également possible que ce dernier ait souhaité acter rapidement une position de l’institution donnant ainsi un mandat pour les trilogues avec le Conseil alors que sa mandature s’achève avec les élections européennes du mois de juin 2024.

Il est également observable que les réunions du groupe de travail « droit des sociétés » du Conseil consacrées au projet de directive n’ont pas permis un examen approfondi.

La présidence belge semble ne pas avoir fait de l’adoption du texte une priorité et, au regard des motivations de certains acteurs soutenant le texte, il est loisible de penser que la présidence hongroise – à partir de juillet 2024 – ne fasse pas de l’adoption du texte une priorité ce qui repousserait tout examen en profondeur au mois de janvier 2025.

Les autorités françaises pourraient ainsi mettre à profit cette période de latence pour porter leurs inquiétudes et dégager ainsi une minorité de blocage, voire une majorité qualifiée en faveur d’une autre rédaction.

À l’heure actuelle, la cristallisation politique des positions n’est pas encore faite et un élément important pourrait advenir avec l’analyse du secrétariat général du Conseil s’agissant de la base juridique appuyée sur le marché intérieur qui doit intervenir d’ici quelques semaines.

L’analyse de textes adoptés précédemment, à l’image de celui relatif au financement des partis politiques européens, illustre la possibilité de dégager une voie médiane qui préserve les intérêts des États.

Votre rapporteur forme le vœu que les spécificités du modèle associatif français soient maintenues (exclusions de certains domaines). Il soutient également une redéfinition de la base juridique. Si ces éléments ne peuvent être obtenus dans la négociation, les autorités françaises devraient demander le retrait du texte au nom de l’ordre public et de la sécurité nationale.

Les nouveaux équilibres au Parlement européen à l’issue des élections européennes, de même que la composition de la nouvelle Commission, seront des éléments déterminant quant à l’avenir du texte en discussion.

b. l’Union européenne dispose déjà d’un cadre de COOPÉRATION TERRITORIALE permettant la réalisation d’activités transnationales

1.   Les flottements linguistiques : transfrontalier ou transfrontière ?

Une des ambiguïtés relevées par votre rapporteur au cours des auditions concerne le vocable utilisé. Les termes transfrontières et transfrontaliers sont utilisés de manière interchangeable alors même qu’il désigne des réalités différentes.

Le transfrontière désigne des échanges entre pays différents sans conditions géographiques particulières entre eux alors que le transfrontalier rend nécessaire l’existence d’une frontière commune et limitrophe.

Ce problème tient aux différentes traductions des textes et plus particulièrement aux différences très souvent relevées entre la version anglaise et la version française. C’est un problème qui n’est malheureusement pas exceptionnel et qui interroge dans la mesure où le français est une des langues de travail de l’Union. Il ne devrait pas y avoir de flottement linguistique de la sorte.

La version française a retenu le vocable « associations transfrontalières européennes » et considérant l’usage de ce terme, votre rapporteur considère que la France dispose d’un cadre suffisamment souple et structuré permettant ce type d’échanges sans rendre nécessaire l’ajout d’un nouveau texte européen en la matière.

2.   Le cadre français permet l’activité transfrontalière

La Commission soutient qu’il existerait des « freins » à l’activité transfrontalière. L’étude du droit français actuel permet d’illustrer le contraire (cf. tableau ci-après).

En effet, l’analyse juridique conduite par la France conduit à montrer que les droits ouverts aux associations étrangères sont quasi identiques à ceux offerts aux associations déclarées en application de la loi 1901, dès lors que la jurisprudence reconnaît aux associations étrangères une personnalité morale (et donc les droits associés).

Ainsi, le marché intérieur fonctionne et se trouve accessible aux associations étrangères en l’absence de toute nouvelle disposition législative. Les associations étrangères peuvent déployer leurs activités ponctuelles en France sans enregistrement obligatoire supplémentaire, tant que celles-ci restent non-lucratives ([7]) et sauf exceptions ([8]).

 

 

 

 


Droits

Associations 1901

(enregistrées en France)

Associations étrangères

(non enregistrées en France)

Disposer de la personnalité morale

OUI

Article 5 de la loi de 1901

OUI

CE 24 janvier 2014 n° 331071

Exercer des activités

OUI

Article 6 de la loi de 1901

OUI

CE 24 janvier 2014 n° 331071

Percevoir des dons manuels

OUI

Article 6 de la loi de 1901

OUI

Percevoir des libéralités (legs et donations)

OUI, sous condition d’être déclarée depuis trois ans au moins et d’être d’intérêt général au sens du code des impôts

Article 6 de la loi de 1901

OUI,

* sous condition d’une déclaration au ministère de l’intérieur

Art. 6-1 et s. du décret n°2007-807 du 11 mai 2007

* si elle y est habilitée par son droit national

QPC 2014-424 du 7 novembre 2014

Faire des appels à la générosité du public

OUI, sous réserve d’une déclaration auprès de l’autorité préfectorale et du respect d’un critère matériel (soutenir une cause scientifique, sociale, familiale, humanitaire, philanthropique, éducative, sportive, culturelle ou concourant à la défense de l'environnement)

Article 3 de la loi n° 91-772 du 7 août 1991

OUI, sous réserve d’une déclaration auprès du préfet de Paris

Article 1 du décret n° 92-1011 du 17 septembre 1992 relatif au contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique

Obtenir des subventions

OUI

Article 10-1 de la loi du 12 avril 2000

OUI

Article 10-1 de la loi du 12 avril 2000

Acquérir  à titre onéreux, posséder et administrer des immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose

OUI

Article 6 de la loi de 1901

OUI, si elle y est habilitée par son droit national

Civ. 1re, 4 nov. 1952, Rev. crit. DIP 1953. 367, note H. Battifol

Acquérir à titre gratuit, posséder et administrer tous immeubles non nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose

OUI sous condition d’être déclarée depuis trois ans au moins et d’être d’intérêt général au sens du code des impôts

Article 6 de la loi de 1901

OUI, si elle y est habilitée par son droit national

Civ. 1re, 4 nov. 1952, Rev. crit. DIP 1953. 367, note H. Battifol

Acquérir à titre onéreux des immeubles non nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose

NON

OUI, si elle y est habilitée par son droit national

Civ. 1re, 4 nov. 1952, Rev. crit. DIP 1953. 367, note H. Battifol

Exercer des activités économiques

OUI, avec le risque d’être assujettie aux impôts commerciaux

 

OUI, si elle y est habilitée par son droit national

Civ. 1re, 4 nov. 1952, Rev. crit. DIP 1953. 367, note H. Battifol

Employer des salariés

OUI, sous réserve d’avoir un numéro SIRET/SIREN

OUI

Civ. 1re, 4 nov. 1952, Rev. crit. DIP 1953. 367, note H. Battifol et directive Bolkestein

Faire bénéficier les donateurs d’avantages fiscaux et émettre des reçus fiscaux

OUI

Articles 200 et 238 bis du CGI

NON, sauf exceptions prévues par des conventions fiscales internationales

Ester en justice

OUI

Article 6 de la loi de 1901

OUI

QPC 2014-424 du 7 novembre 2014

Être dissout administrativement

OUI

Article L. 212-1 du code de sécurité intérieure

NON, sauf groupements de fait (reconstitution sur le territoire national d’associations dissoutes)

Article L. 212-1 du code de sécurité intérieure

3.   Les outils européens de coopération transfrontalière existent et permettent déjà de réaliser les objectifs affichés dans le projet de directive

La politique de coopération territoriale développée par l’Union européenne est contenue dans les objectifs de la politique de cohésion recherchant à résorber les déséquilibres observés au sein de l’Union entre États membres.

Ainsi, le programme européen INTERREG (coopération interrégionale) est financé par le Fond européen pour le développement régional (FEDER). Il recouvre la coopération transfrontalière, transnationale, interrégionale et comporte également un programme spécifique à destination des régions ultrapériphériques. Sur la période 2021-2027, couvrant le cadre financier pluriannuel européen, les fonds représentent 8 milliards d’euros.

Afin de faciliter plus encore la coopération territoriale européenne, l’Union a mis en place en 2006 le modèle de groupement européen de coopération territoriale (GECT) en 2006. L’objectif de ce dispositif est de dépasser les barrières juridiques et administratives existant entre régions lorsqu’elles réalisent des projets à dimension régionale transfrontalière.

Les GECT sont composés de collectivités locales et d’organismes publics qui permettent à ces partenaires de réaliser des projets communs, de partager des compétences et d’améliorer la coordination à l’échelle du territoire.

Interrogé sur l’utilisation de tels outils, plusieurs personnes auditionnées ont souligné qu’effectivement il n’existait pas « de besoin brûlant » de créer un nouveau cadre juridique à l’instar de celui imaginé par la Commission européenne avec ce projet de directive. Les difficultés les plus importantes observées, selon les personnes auditionnées, ont trait au transfert de siège social. Cette question peut faire l’objet d’analyse et d’amélioration sans nécessairement devoir pour autant créer un nouvel objet juridique. Toutes les barrières ne pourront pas être abolies et l’exercice d’une activité entre plusieurs États membres nécessitent d’ores et déjà une connaissance juridique suffisante pour pouvoir opérer dans des univers aux règles différentes.

En outre, l’utilisation du GECT présente pour votre rapporteur une utilité forte dans la mesure où il comporte des garanties de sécurité. Chacun des membres d’un GECT est tenu de notifier à l’État au sein duquel il a été créé. Les projets de statuts et de convention sont également transmis. C’est la préfecture qui a la charge d’examiner le projet. Sur la base des documents fournis, l’État est alors libre de refuser la participation s’il estime que le droit national n’est pas respecté ou que le projet n’est pas conforme au règlement instituant le GECT.

 

 


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   CONCLUSION

La coopération transfrontalière présente un intérêt notable pour rapprocher des régions et de développer des coopérations entre plusieurs États membres. L’Union européenne a développé des outils à cette fin présentant les garanties de sécurité indispensables.

La proposition de directive présentée par la Commission européenne en 2023 comporte des failles juridiques que son examen et son adoption en première lecture par le Parlement européen n’ont pas permis de résoudre, bien au contraire.

L’examen du texte par le Conseil devrait permettre de poser l’ensemble des questions qui n’ont jusqu’à présent pas véritablement été abordées laissant la France et plusieurs de ses partenaires très inquiets de la portée du texte envisagé.

Outre les failles inhérentes au texte, il convient d’examiner minutieusement les freins éventuels à l’activité associative transfrontalière. Il semble évident que ce n’est pas l’indigente étude d’impact présentée par la Commission qui a permis de les recenser. Votre rapporteur a entendu des acteurs suffisamment variés pour connaître la réalité des difficultés mises en avant par le projet de directive dans son exposé des motifs.

Le texte à l’étude doit être profondément modifié pour tenir compte de plusieurs impératifs et correspondre plus exactement à l’esprit de la coopération transfrontalière. Votre rapporteur formule le souhait que l’examen du texte au Conseil permette de combler les béances constatées et, si cela n’est pas possible, adopte son rejet.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 29 mai 2024, sous la présidence de M. Pieyre Alexandre Anglade, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

 

Le Président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne relative à la proposition de directive visant à instaurer un nouveau statut d’association à but non lucratif transfrontalière présentée par M. Pierre‑Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur (LR). La France peut se targuer de disposer d’un cadre législatif vieux de plus d’un siècle ayant permis l’éclosion d’une vie associative riche, diverse et respectueuse de l’ordre public. Avec la proposition de directive relative aux associations transfrontalières européennes, la Commission européenne a décidé d’investir le champ des associations opérant dans l’Union européenne. Si l’idée semble a priori porteuse d’opportunités, sa déclinaison concrète contient des imprécisions, des ambiguïtés et d’importantes zones d’ombre faisant de cette proposition de directive une véritable bombe à retardement pour notre pays.

Cette proposition de directive européenne visant à instaurer un nouveau statut d’association à but non lucratif transfrontalière apparaît dans un écosystème français déjà bien structuré et constamment renforcé. En effet, notre pays dispose depuis le 1er juillet 1901 de la loi relative aux associations communément appelée « loi 1901 ». Loi libérale et républicaine, le texte de 1901 a cherché à mettre fin à la méfiance existant à l’égard des corps intermédiaires. Elle a été complétée par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État dont le volet associatif est souvent ignoré. L’État est ainsi venu réguler l’activité des associations cultuelles. Enfin, la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République a apporté des améliorations au cadre existant pour tenir compte du repli communautaire constaté et de la percée de l’islamisme radical qui a endeuillé la France de multiples attentats ces dernières années. Le cadre français est ainsi garant de la cohésion nationale, qui passe par le développement de structures impliquant les citoyens, tout en s’assurant de leur cohérence avec les principes républicains.

La proposition de directive européenne a été présentée par le commissaire européen Thierry Breton le 5 septembre 2023. Cette proposition législative, particulièrement brève, considère que le cadre européen actuel ne permet pas aux associations de se développer en raison de la fragmentation due aux différentes législations nationales. Le texte proposé indique que 185 000 associations pourraient potentiellement voir le jour grâce à ce nouveau statut. Calcul très théorique sur lequel il y a lieu de s’interroger mais dont la succincte étude d’impact ne dit rien.

Trois axes peuvent être retenus pour décrire la structure du texte : la création d’une forme juridique nouvelle d’association à but non lucratif appelée association transfrontalière européenne (ATE), la création de règles d’enregistrement dans chaque État membre pour ce nouveau type d’association, enfin, la simplification des modalités de transfert de siège social entre États membres.

Si l’exercice de la citoyenneté et le dynamisme des sociétés civiles européennes sont des causes louables, la forme prise par la directive sur le sujet est particulièrement problématique. Au cours des auditions réalisées par votre rapporteur, aucune des personnes interrogées n’a pu retracer l’origine précise du texte ni même sa paternité. Si la Commission européenne avait bien proposé un texte en 1992 concernant l’association européenne, celui-ci n’avait pas poursuivi son parcours législatif. La proposition de texte présentée aujourd’hui s’inspire d’une résolution du Parlement européen et se trouve portée par le commissaire en charge du marché intérieur. Plusieurs points du texte méritent un examen attentif. Tout d’abord, les objectifs ne sont pas clairs. S’agit-il d’encourager le développement du monde associatif, comme le laisse à penser l’exposé des motifs de la proposition ? La mention de l’économie sociale et solidaire trouble l’intention. L’objectif est-il de remédier à la méconnaissance de principes fondamentaux, je pense à la liberté associative, de tout État de droit ou bien d’un État en particulier, par exemple la Hongrie ? Ne tranchant pas entre ces différentes pistes le texte choisit l’illisibilité et inquiète par ses ambiguïtés, ses non-dits et ses failles. Une autre dimension problématique se trouve dans la base légale choisie. Il ne s’agit pas d’un simple débat juridique car elle détermine le champ d’application du texte. Fonder la directive sur les articles 50 et 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatifs au marché intérieur entre en totale contradiction avec l’objet visé : les associations à but non lucratif. Cette base signifierait également qu’il s’agirait d’une compétence exclusive de l’Union européenne avec pour corollaire l’impossibilité pour la France ou d’autres États membres d’établir certains garde-fous.

Un autre point d’interrogation concerne le statut des ATE. S’agit-il de créer un nouveau statut dans l’ordre juridique des États membres ou bien de demander aux États de rapprocher leurs statuts existants de celui aujourd’hui proposé par la Commission ? Là également, le texte ne répond pas à la question.

Enfin, les droits rattachés au statut des ATE entrent en contradiction avec ceux aujourd’hui octroyés en France par le statut de la loi de 1901. En l’état, le texte va permettre aux ATE de détenir et d’acquérir tout type de patrimoine – même sans lien avec leur activité ou encore de percevoir des fonds et des legs – y compris de pays étrangers alors que la loi française ne le permet pas. Les incidences fiscales sont loin d’être neutres et pourraient avoir un large effet d’aubaine et d’éviction attirant en France des associations contestables tout en discriminant les associations françaises soumises aux principes et règles en vigueur. Néanmoins, le problème le plus conséquent et le plus inquiétant se trouve dans la problématique de l’ordre public et de la sécurité nationale. Les modalités de création des ATE sont très souples, voire trop, et permettent à n’importe quel citoyen sans condition de citoyenneté européenne d’utiliser ce statut pour créer son association. À l’ère des ingérences étrangères multiples et hybrides, nous en avons encore eu un récent exemple au niveau européen, créer un tel objet associatif c’est ouvrir grand la porte à des acteurs nuisibles. Si les droits octroyés aux ATE sont larges, leurs obligations le sont beaucoup moins. Les obligations en matière de transparence sont particulièrement faibles et il est donc aisé d’imaginer le détournement du véhicule juridique que constituent les ATE. Le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme viennent rapidement à l’esprit compte tenu des possibilités fiscales et patrimoniales permises par le texte en l’état. Les modalités d’enregistrement des ATE visant à faciliter l’exercice de leur activité empêcheront les États de vérifier le statut des membres et l’exercice réel de l’activité de l’association. En effet, seul l’État membre enregistrant initialement l’ATE obtiendra les pièces comptables et administratives. Au regard des applications différenciées entre États membres – rappelons qu’il s’agit d’une directive et non d’un règlement - il est permis de penser que la pratique ne sera pas identique entre États.

Plus inquiétant encore est la prise en compte de l’ordre et de la sécurité publics. Une association qui ne respecterait pas la loi française, après avoir été dissoute sur ce fondement, pourra aisément se reconstituer dans un autre pays et continuer à opérer sur le sol français en se créant dans un autre État membre. Les dispositions de la loi française sont plus rigoureuses sur certains plans, en particulier celles de la loi du 24 août 2021 sur le séparatisme. Dans cette situation, les autorités françaises ne pourraient pas dissoudre l’association en question bien qu’enfreignant la loi nationale. Pour rappel, il n’existe pas de régime de dissolution des associations en Suède et l’Espagne est particulièrement rétive à la dissolution administrative.

Dans le cas où une dissolution serait prononcée en France, l’association transfrontalière européenne concernée pourrait faire appel devant le Tribunal administratif, puis devant le Conseil d’État qui saisirait la Cour de Justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Outre le risque d’une jurisprudence totalement défavorable aux autorités françaises, l’association concernée serait en mesure de continuer à opérer dans l’attente d’une décision en dernier ressort. Par ailleurs, une association transfrontalière européenne créée à l’étranger, pourrait très bien exercer son activité en France, quand bien même ses activités seraient contraires à la législation nationale, sans que pour autant sa dissolution puisse être prononcée. Je prendrai pour exemple une association d’un pays d’Europe centrale qui pourrait potentiellement proposer des soi-disant thérapies de conversion, interdites en France depuis la loi du 31 janvier 2022.

Mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, le projet de directive proposé va bien au-delà des compétences de l’Union européenne et constitue à ce titre une ligne rouge. Les garanties apportées sont maigres quand les zones d’ombre sont pléthoriques et les risques de détournement nombreux. En conséquence, je vous demande de voter en faveur de ma proposition de résolution européenne (PPRE) invitant le gouvernement à mobiliser ses moyens diplomatiques pour obtenir le rejet du projet de directive.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme Constance Le Grip (RE). Le principal objectif de cette proposition de directive étant de faciliter l’émergence et la consolidation d’une société civile européenne du fait de la création d’un statut plus simple à manier pour les associations à but non lucratif. Un tel objectif est louable tant ces associations sont devenues, dans nos pays, incontournables, mobilisant l’engagement et le bénévolat de nos compatriotes européens, dans des secteurs clés tels que la santé, les services sociaux, l’économie sociale et solidaire, la culture, le sport et l’éducation. Nous avons pu observer durant la période de crise sanitaire à quel point cela importait pour la cohésion sociale. Cette proposition de directive, en cherchant à faciliter le développement transfrontalier des associations, relève d’une intention positive. Toutefois, je partage, et mon groupe également, les inquiétudes fortes du rapporteur. En effet, ce développement ne peut pas se faire au détriment des spécificités des États membres, en particulier de la France. Je partage votre crainte d’une remise en cause du modèle associatif français reposant sur les lois de 1901 et de 1905, confortées par la loi du 24 août 2021 dite « loi relative au séparatisme ». Concernant le modèle associatif français, il faut rester vigilant à ce qui fait sa spécificité : respect de l’intérêt général, désintéressement et absence de perspectives lucratives. Je partage également vos inquiétudes relatives à la préservation de l’ordre public. Vous précisez qu’en l’état cette proposition de directive limiterait les capacités de contrôle et de vérification que peuvent exercer nos autorités sur les activités des associations opérant sur notre territoire, en mettant en évidence les failles que représenteraient les risques de blanchiment d’argent, d’optimisation fiscale, d’ingérence étrangère, voire de financement du terrorisme. Aussi, parce que nous partageons vos inquiétudes, nous appelons à demander au Gouvernement de se mobiliser diplomatiquement pour modifier substantiellement la teneur de cette directive, qui en l’état n’est pas acceptable.

Mme Annick Cousin (RN). Le modèle des associations françaises est exemplaire. Il a prouvé son efficacité et son succès ! Toutefois, voici encore un domaine où l’Union européenne veut intervenir et tout chambouler. La Commission souhaite supprimer un verrou important : celui de la vérification de l’activité des associations. Si cette directive était appliquée, l’État membre dans lequel une association s’enregistre serait libre de choisir les pièces à demander aux fondateurs de la structure. Une fois ces pièces vérifiées lors de la création de l’association, les autres États membres ne pourraient plus les redemander. Nous sommes profondément opposés à confier cette responsabilité à d’autres États membres. La citoyenneté européenne ne serait même pas une exigence pour les créateurs d’une association. Une association dissoute dans un pays pourrait se reconstituer dans un autre et poursuivre ses activités dans le premier pays. Tout cela pose un risque d’ingérence étrangère dans nos associations. L’ajout par le Parlement européen des syndicats, des associations cultuelles et des partis politiques à la liste des acteurs autorisés à créer des ATE annonce des dérives. En outre, les conditions de création de ces associations sont trop laxistes ou trop complexes, ce qui peut entraîner des failles ou des abus de la part de ces mêmes associations. À titre d’illustration, en utilisant des fonds de manière inappropriée ou en se livrant à des transactions immobilières non transparentes, les associations pourraient profiter des failles de la réglementation pour acquérir des biens immobiliers. Par ailleurs, les associations pourraient exploiter les différences entre les régimes fiscaux des différents pays européens afin d’optimiser leurs finances de manière abusive. Cette proposition de directive européenne n’est pas sérieuse dans sa conception et dangereuse dans son application : il faut donc l’abandonner !

Mme Louise Morel (Dem). J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre proposition de résolution, qui soulève de nombreuses interrogations auxquelles le groupe Démocrate n’est pas insensible.

Pour débuter, les organisations à but non lucratif jouent un rôle fondamental pour représenter les intérêts des citoyens, de la société civile et pour relever de nombreux défis socio-économiques aux côtés des gouvernements nationaux, régionaux et locaux. Elles agissent aussi en faveur de la liberté d’expression et soutiennent en ce sens la participation active à la vie démocratique, en défendant bien souvent les droits des minorités.

Aujourd’hui, les entreprises commerciales et les groupements économiques peuvent former un groupement européen d’intérêt économique. Au niveau des organismes publics, ils peuvent se regrouper pour créer un groupement européen de coopération territoriale. C’est la raison pour laquelle le groupe Démocrate voit d’un bon œil la perspective de pouvoir créer un statut européen des associations, qui pourrait être accessible aux organisations et aux personnes qui voudraient prendre part à des échanges, à des apprentissages mutuels, par-delà les frontières, et c’est l’objectif de la proposition de directive que nous étudions aujourd’hui.

Pour autant, il faut faire une distinction sur le plan pratique. Sur les plans juridique, culturel et économique, nous avons des différences qui peuvent complexifier les activités transfrontalières de ces associations. Vous l’avez rappelé avec l’exemple des thérapies de conversions : il est inenvisageable d’imaginer qu’une organisation qui permettrait ces pratiques puisse être créée dans un État membre, alors qu’elles sont interdites dans l’État membre voisin.

Nous ne souhaitons pas abandonner cette directive, mais nous préférerions la retravailler et nous sommes prêts à voter quelques changements proposés par des collègues du groupe Renaissance, notamment au niveau du titre, pour dire non pas « abandonner » mais « retravailler » et « compléter », puisque cela nous semble plus juste et plus adapté.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Madame Constance Le Grip et Madame Louise Morel, vous soutenez l’objectif de développer le monde associatif européen. Nous sommes tous d’accord et je pense que cela est très important. La réalité, c’est que l’état actuel du droit n’empêche pas la création d’associations dans différents États membres. Par exemple, les associations de jumelage dans les communes fonctionnent très bien et permettent des échanges. Il n’y a aujourd’hui pas de freins législatifs à la création d’associations, ce qui nous a été confirmé par des représentants d’un syndicat d’associations spécialisées dans la création de ce type d’associations. Cette proposition de directive porte une intention très louable, mais elle a totalement échappé à son créateur.

Vous évoquez l’importance des associations à but non lucratif pour faire respecter les droits des citoyens et les valeurs fondamentales de l’Union, et je suis entièrement d’accord. Mais dans ce cas-là, pourquoi traiter ce problème sous l’angle du marché intérieur ? Alors que nous discutons d’associations à but non lucratif, cette proposition de directive place ces organisations dans un ensemble de normes qui régissent des pratiques extrêmement lucratives ; le marché intérieur. Cet angle a en réalité assez peu de sens. Les seules associations qui pourraient exercer dans ce cadre seraient les associations d’économie sociale et solidaire (ESS). Mais le petit intérêt de quelques associations d’ESS ne justifie pas, à mon sens, de bouleverser le modèle associatif français et de mettre en danger la sécurité de nos citoyens.

Le problème, c’est qu’il sera demain impossible de contrôler les associations transfrontalières européennes : le régime des associations transfrontalières européennes est tellement favorable qu’une association française ne s’enregistrera plus sur le modèle loi 1901 ou 1905, mais basculera directement, même si elle n’a aucune activité transfrontalière, dans un modèle d’association transfrontalière européenne parce que la fiscalité et les contraintes administratives sont plus faibles. Nous pouvons même imaginer que certains pays se spécialiseront dans la création d’associations transfrontalières européennes, notamment si la base juridique qui est celle du marché intérieur permet d’en retirer des gains. Cela posera un problème, en sachant par ailleurs que certains pays ne procèdent pas à des dissolutions administratives et qu’il est impossible de contrôler les pièces transmises à la création d’une association dans un pays étranger si l’État membre qui a reçu la documentation ne désire pas la transmettre. Il y aura donc un secret associatif, comme il peut exister un secret fiscal ou bancaire dans certains pays. Si nous comparons les coûts et les avantages d’une telle proposition, il est clair que la balance est extrêmement défavorable.

Madame Annick Cousin, vous avez évoqué un point important et inquiétant ; l’ouverture par le Parlement européen du champ d’application de ces associations transfrontalières aux champs politiques, syndicaux et cultuels. Cela signifie que notre modèle français de financement des partis politiques serait bouleversé. Il existe des pays en Europe où les entreprises privées peuvent financer des partis politiques. Les partis politiques européens sont d’ailleurs financés par des entreprises privées. Cela serait très dommageable pour le modèle de transparence que nous avons développé en France dans le financement des partis politiques.

Au regard de la tournure actuelle que prend le texte, nous sommes plutôt pessimistes sur notre capacité à retravailler le texte pour atteindre un point d’équilibre au Conseil de l’Union. L’alternative n’est pas entre « renégocier » ou « rejeter » mais entre « adopter » ou « rejeter ». Nous allons en discuter en étudiant les amendements, mais il ne faut pas se faire d’illusion au sujet d’une possible renégociation.

Amendement n° 2 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip (RE). Cet amendement, présenté par le groupe Renaissance, vise à introduire dans les considérants un considérant soulignant le rôle essentiel des associations à but non lucratif dans un certain nombre de secteurs clés, afin de valoriser leur importance et de promouvoir l’émergence d’une société civile européenne dynamique.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Avis favorable.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 3 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip (RE). Comme Madame Louise Morel l’a rappelé, nous avons des inquiétudes partagées concernant la rédaction actuelle de la directive et nous souhaitons écrire très clairement que nous invitons le Gouvernement à s’opposer à la proposition de directive en l’état. Nous souhaitons notamment mentionner nos préoccupations en ce qui concerne la sauvegarde de l’ordre public, de la sécurité nationale ainsi que de la transparence et des financements. Nous invitons donc en l’état le Gouvernement à s’opposer à la proposition de directive.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Cet amendement va dans le sens de ce que j’évoquais, puisqu’il permet de donner un levier aux négociateurs au niveau européen, en montrant que le Parlement français ne peut pas accepter en l’état cette proportion de directive. Cette précision nous permettra de laisser des marges de négociations. J’émets donc un avis favorable.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 1 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip (RE). Cet amendement porte sur l’un des verbes utilisés dans le titre de la proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Pierre-Henri Dumont. Le mot « abandonner » ne me semble pas très adéquat dans le cadre d’un travail politique et diplomatique. D’ailleurs, dans votre proposition de résolution européenne, vous écrivez vous-même, Monsieur le rapporteur, que nous pourrions convenir de remettre sur le métier ladite proposition. Notre idée consiste à remplacer le mot « abandonner » par les mots « retravailler » et « compléter », avec l’idée qu’en l’état, le texte n’est pas satisfaisant, et qu’il a besoin d’une réelle transformation.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Avis défavorable. Autant je peux comprendre que le terme « abandonner » empêche de conserver une ouverture pour la discussion, autant la proposition qui est la vôtre ne permet pas de faire pression et met d’abord sur la table la question de la renégociation. Je vous propose ainsi de reprendre la formulation suivante : « proposition de résolution européenne visant à s’opposer en l’état à la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes ». Cette formulation qui reprend celle qui a été adoptée par voie d’amendement dans la proposition de résolution, permet d’avoir la force du mot « opposer » mais l’adoucit avec l’ajout d’« en l’état », ce qui ouvre la marge à la renégociation. Cela permet de donner un levier à nos autorités pour négocier avec leurs partenaires européens, la Commission puis le nouveau Parlement européen. Il faudra d’ailleurs sensibiliser les nouveaux eurodéputés à ce sujet.

Mme Louise Morel (Dem). Je soutiens l’amendement de Constance Le Grip et salue le sens de compromis du rapporteur. Je regrette toutefois votre pessimisme sur la capacité de l’Union européenne à trouver des solutions. Vous nous dites que l’action des associations transfrontalières est louable mais pour que, tout un tas de raisons et de craintes, notamment sécuritaires, vous préféreriez qu’on abandonne le projet de directive. Notre groupe ne veut surtout pas que soit abandonné le projet. Levons les craintes et faisons confiance à la capacité de travail de l’Union européenne !

Mme Constance Le Grip (RE). Le compromis proposé par le Rapporteur me satisfait.

L’amendement n° 1 rectifié est adopté.

L’article unique de la proposition de résolution européenne est donc adopté.

La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.

 

 

 


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   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE visant à abandonner la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes

 

Article unique

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant que la France dispose d’une législation ancienne en matière de vie associative assurant le bon fonctionnement d’un écosystème tout en assurant la préservation de l’ordre public et la sécurité nationale ;

Considérant que les règles applicables au milieu associatif français tiennent compte des spécificités de chaque secteur concerné et de la nécessité de s’assurer de la réalité de l’activité des associations et de la probité de ses membres ;

Considérant que les pouvoirs publics doivent disposer de la capacité de dissolution de tout groupement associatif donc les activités présenteraient un danger réel et manifeste ;

Considérant par la proposition de législation considérée l’Union européenne étend son champ de compétence de manière disproportionnée ;

Considérant que la base juridique à l’appui de la proposition est inadaptée puisqu’elle traite du marché intérieur alors que l’objet visé concerne des associations à but non lucratif ;

Considérant que la proposition de directive ne présente pas les garanties juridiques suffisantes pour éviter une utilisation malveillante de la nouvelle forme juridique des associations transfrontalières européennes ;

Considérant que les dispositions fiscales et patrimoniales contenues dans le texte sont de nature à créer des effets d’aubaine et à empêcher la transparence en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ;

Considérant que la création de registres des associations contenue dans la proposition de règlement est de nature à représenter un coût administratif et financier conséquents et comporte des risques de manipulations des fichiers par des acteurs étrangers ;

Invite le gouvernement à s’opposer à l’adoption de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les associations transfrontalières européennes et à promouvoir une initiative de reconnaissance mutuelle entre États membres volontaires dans ce domaine.

 


–  1  –

 

   AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

29 mai 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne relative À la directive visant À instaurer un nouveau statut d’association À but non lucratif transfrontaliÈre (n° 2656)

 

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Constance LE GRIP, David AMIEL, Pascale BOYER, Stéphane BUCHOU, Laurence CRISTOL, Benjamin HADDAD, Alexandre HOLROYD, Brigitte KLINKERT, Nicole LE PEIH, Denis MASSÉGLIA, Lysiane MÉTAYER, Jean-Pierre PONT, Charles SITZENSTUHL, Liliana TANGUY

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 4, insérer l’alinéa suivant :

« Considérant le rôle essentiel des organisations à but non lucratif dans des secteurs clés tels que la santé et les services sociaux, la culture, le sport ou encore l’éducation, ainsi que le soutien du Gouvernement au développement de l’économie sociale et solidaire ; Considérant la nécessité d’une société civile européenne dynamique ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

3,8 millions d’associations à but non lucratif sont présentes au sein de l’Union européenne. Cet amendement vise à rappeler leur rôle essentiel, notamment dans des secteurs clés tels que la santé et les services sociaux, la culture, le sport ou l’éducation. Elles encouragent une citoyenneté active et responsable, favorisent la participation des citoyens au processus démocratique, et stimulent le débat public. En outre, en 2021, l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) indiquait dans un rapport que le secteur associatif emploie 1,8 million de personnes en France.

Les organisations à but non lucratif (OBNL) sont des acteurs incontournables de l’économie sociale et solidaire, un domaine représentant un champ d’action essentiel pour le Gouvernement compte tenu de son poids en termes d’emplois et de croissance économique (10% du PIB environ). La crise sanitaire du Covid-19 a mis en lumière l’importance des OBNL et plus particulièrement le rôle incontournable de l’écosystème associatif concernant la cohésion sociétale sur l’ensemble de notre territoire. Cet amendement vise donc à souligner la nécessité de faciliter la constitution d’une société civile européenne, objectif poursuivi par la proposition de directive.

Cet amendement a été adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

29 mai 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne relative À la directive visant À instaurer un nouveau statut d’association À but non lucratif transfrontaliÈre (n° 2656)

 

 

AMENDEMENT

No 3

 

présenté par

Constance LE GRIP, David AMIEL, Pascale BOYER, Stéphane BUCHOU, Laurence CRISTOL, Benjamin HADDAD, Alexandre HOLROYD, Brigitte KLINKERT, Nicole LE PEIH, Denis MASSÉGLIA, Lysiane MÉTAYER, Jean-Pierre PONT, Charles SITZENSTUHL, Liliana TANGUY

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ARTICLE UNIQUE

 

Substituer à l’alinéa 13, l’alinéa suivant :

« Invite le Gouvernement, tant que la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes ne présentera pas suffisamment de garanties en matière de sauvegarde de l’ordre public et de sécurité nationale, de transparence et de financement des ATE, à s’opposer à son adoption en l’état. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à préciser la position du Gouvernement concernant la proposition de directive de la Commission européenne. Il ne s’agit pas d’abandonner la proposition de directive, mais plutôt d’encourager le Gouvernement français à se mobiliser diplomatiquement pour introduire les garanties suffisantes concernant la lutte contre le blanchiment d’argent, les ingérences étrangères, le terrorisme, etc.  Cet amendement de groupe invite donc à retravailler certains aspects du texte, pour répondre au double objectif de renforcement de la société civile européenne et de préservation de la sécurité nationale.  

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

29 mai 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne relative À la directive visant À instaurer un nouveau statut d’association À but non lucratif transfrontaliÈre (n° 2656)

 

 

AMENDEMENT

No 1 rectifié

 

présenté par

Constance LE GRIP, David AMIEL, Pascale BOYER, Stéphane BUCHOU, Laurence CRISTOL, Benjamin HADDAD, Alexandre HOLROYD, Brigitte KLINKERT, Nicole LE PEIH, Denis MASSÉGLIA, Lysiane MÉTAYER, Jean-Pierre PONT, Charles SITZENSTUHL, Liliana TANGUY

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ARTICLE UNIQUE

 

Dans le titre, substituer au mot :

« abandonner »

les mots : 

« s’opposer en l’état à »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

L’objectif poursuivi par la proposition de directive de la Commission européenne est louable et nécessaire : à savoir, la facilitation de la constitution et de l’approfondissement d’une société civile européenne.

La proposition de directive vise à créer une nouvelle forme juridique d’association à but non lucratif conçue à des fins transfrontalières : les associations transfrontalières européennes (ATE). Ce nouveau statut serait bénéfique à l’écosystème associatif français, ouvrant de nouvelles perspectives de coopération et de développement sur le plan européen.


Néanmoins, en l’état, la proposition de directive ne comporte pas de garanties suffisantes pour éviter une utilisation malveillante du nouveau statut ATE. En permettant la reconnaissance automatique d’une ATE dans l’ensemble de l’Union européenne dès lors qu’une telle association sera enregistrée dans un État membre, cette proposition de directive complexifie par exemple le contrôle (légalité des statuts, objet, financements, identification des bénéficiaires effectifs[9], transparence, intérêt général etc.) effectué par les autorités préfectorales et l’administration fiscale.

Cet amendement propose ainsi de revoir le titre de la proposition de résolution européenne. Il ne s’agit pas d’abandonner la proposition de directive, mais plutôt d’encourager le Gouvernement français à se mobiliser diplomatiquement pour introduire les garanties suffisantes concernant la lutte contre le blanchiment d’argent, les ingérences étrangères, le terrorisme, etc. Cet amendement de groupe invite donc à retravailler certains aspects du texte, pour répondre au double objectif de renforcement de la société civile européenne et de préservation de la sécurité nationale.

 

Lors du débat en commission, Madame Constance Le Grip a accepté de rectifier son amendement pour demander au gouvernement de « s’opposer en l’état » et non de « retravailler et compléter ».

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.

 


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   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ADOPTÉE PAR LA COMMISSION visant à s’opposer en l’état à la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes

Article unique

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant le rôle essentiel des organisations à but non lucratif dans des secteurs clés tels que la santé et les services sociaux, la culture, le sport ou encore l’éducation, ainsi que le soutien du Gouvernement au développement de l’économie sociale et solidaire ; considérant la nécessité d’une société civile européenne dynamique ;

Considérant que la France dispose d’une législation ancienne en matière de vie associative assurant le bon fonctionnement d’un écosystème tout en assurant la préservation de l’ordre public et la sécurité nationale ;

Considérant que les règles applicables au milieu associatif français tiennent compte des spécificités de chaque secteur concerné et de la nécessité de s’assurer de la réalité de l’activité des associations et de la probité de ses membres ;

Considérant que les pouvoirs publics doivent disposer de la capacité de dissolution de tout groupement associatif donc les activités présenteraient un danger réel et manifeste ;

Considérant par la proposition de législation considérée l’Union européenne étend son champ de compétence de manière disproportionnée ;

Considérant que la base juridique à l’appui de la proposition est inadaptée puisqu’elle traite du marché intérieur alors que l’objet visé concerne des associations à but non lucratif ;

Considérant que la proposition de directive ne présente pas les garanties juridiques suffisantes pour éviter une utilisation malveillante de la nouvelle forme juridique des associations transfrontalières européennes ;

Considérant que les dispositions fiscales et patrimoniales contenues dans le texte sont de nature à créer des effets d’aubaine et à empêcher la transparence en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ;

Considérant que la création de registres des associations contenue dans la proposition de règlement est de nature à représenter un coût administratif et financier conséquents et comporte des risques de manipulations des fichiers par des acteurs étrangers ;

Invite le Gouvernement, tant que la proposition de directive concernant les associations transfrontalières européennes ne présentera pas suffisamment de garanties en matière de sauvegarde de l’ordre public et de sécurité nationale, de transparence et de financement des ATE, à s’opposer à son adoption en l’état. 

 

 

 


–  1  –

 

   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

-         Mme Aurélia Schaff, secrétaire générale adjointe « Protection, frontières et justice »

-         Mme Magali Michel, cheffe du bureau « Sécurité intérieure de l’Union »

-         Mme Fanny Codol, adjointe à la cheffe du bureau « Parlements »

-         M. Bruno Cruchant, sous-directeur à la Direction des affaires européennes et internationales (DAEI)

-         M. Cyrique Bayle, sous-directeur à la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ)

-         Mme Marina Fabre, cheffe du « Bureau des associations et fondations » à la DLPAJ

-         M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent et ambassadeur

-         M. Yves-Emmanuel Bara, conseiller, adjoint au chef du service économique, commercial et financier

-         M. Jean Peyrony, secrétaire général

-         Mme Petia Tzvetanova, responsable de l’expertise juridique

 

 


([1])  Pratique prétendant « guérir » des personnes homosexuelles de leur sexualité jugée « déviante » par certaines doctrines religieuses.

([2])  Loi du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.

([3]) Auprès de l’INSEE ou du Centre de formalité des entreprises.

([4]) Irlande, Danemark et Suède. Dans ces trois pays, les associations sont régies par des principes issus de la doctrine et de la jurisprudence.

([5]) Organisme de mécénat destiné à collecter des dons pour aider un autre organisme à but non lucratif à réaliser une œuvre ou une mission d’intérêt général.

([6])  Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) nº 1024/2012 et (UE) 2018/1724 en ce qui concerne l’utilisation du système d’information du marché intérieur et du portail numérique unique aux fins de certaines exigences prévues par la directive (UE).../... du Parlement européen et du Conseil concernant les associations transfrontalières européennes.

([7]) À défaut, l’enregistrement est obligatoire aux fions d’assoir les impôts et taxes applicables.

([8]) À noter toutefois l’obligation prévue à l’article 1er du décret n° 92-1011 du 17 septembre 1992 relatif au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique.

[9] Au sens de l’article R561-3 du Code monétaire et financier.