______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
portant actualisation de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française
PAR Mme Nathalie BASSIRE
Députée
——
Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2542.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION..................................................... 5
Commentaire de l’article unique DE la proposition de loi
Mesdames, Messieurs,
Par le dépôt de trois propositions de loi au cours des premiers mois de l’année 1946 ([1]), cinq élus ultramarins, représentant les « quatre vieilles » colonies qu’étaient la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane française, manifestèrent clairement la volonté des populations qu’ils représentaient de transformer leurs territoires en départements à part entière.
De ces trois initiatives parlementaires, résulta in fine une proposition de loi unique, devenue la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française, et mettant ainsi un terme aux régimes coloniaux en vigueur dans ces territoires.
Si cette loi acte la départementalisation en droit de ces quatre territoires, elle n’est cependant pas allée au bout de la logique promue par les auteurs des initiatives parlementaires qui en sont à l’origine, se cantonnant à consacrer un nouveau statut tout en refusant l’application du principe d’identité législative réclamé par les parlementaires ultramarins, et sans lequel le processus de départementalisation ne peut être complet.
Comme le faisait ainsi remarquer le professeur des universités André Oraison, « si les quatre départements ultramarins sont effectivement assimilés aux départements de la France métropolitaine, au plan organisationnel et administratif à la date du 19 mars 1946, force est d’admettre qu’ils conservent encore à cette date, au plan législatif, un statut de type colonial qui, par définition est discriminatoire. » ([2])
Les Constitutions des IVème et Vème République ont, par la suite, corrigé cette injustice, mais la loi fondatrice du 19 mars 1946 n’a, quant à elle, fait l’objet d’aucune modification de fond depuis sa promulgation, alors même qu’elle est souvent considérée comme l’acte de départementalisation de nos territoires ultramarins, et est célébrée comme telle.
La présente proposition de loi défend plusieurs ambitions : outre certaines corrections d’ordre sémantique néanmoins hautement symboliques, elle a pour objet de rétablir la rédaction souhaitée par les législateurs ultramarins de 1946, en affirmant l’application du principe d’identité législative dans ces départements.
Consciente que l’écosystème institutionnel a profondément évolué depuis quatre-vingts ans, votre rapporteure tire les pleines conséquences des transformations survenues depuis la promulgation de la loi du 19 mars 1946, intégrant ainsi le département de Mayotte dans le périmètre des dispositions de la loi, et imposant dans le texte de 1946 l’objectif de convergence en droit de ce département avec l’ensemble des normes applicables dans le reste du territoire français d’ici au 1er janvier 2027. La rédaction proposée, qui procède à un renvoi à l’article 73 de la Constitution, n’aura aucune conséquence sur d’éventuelles évolutions institutionnelles pouvant survenir à l’avenir.
En somme, la proposition de loi vise à la fois à rétablir l’esprit du texte de 1946 porté par les parlementaires ultramarins, et à permettre ainsi de célébrer la date du 19 mars comme étant celle de la départementalisation pleine et entière de la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane française, tout en accélérant le processus d’égalité réelle à Mayotte.
Au cours des débats parlementaires autour de la loi du 19 mars 1946 s’expriment deux positions distinctes : d’un côté, celle des élus ultramarins auteurs des trois propositions de loi portant départementalisation des « quatre vieilles » colonies, favorables à l’application du principe d’identité législative et, de l’autre, la position du Gouvernement, inquiet des répercussions budgétaires en cas de mise en œuvre de ce principe, lui préférant le maintien du principe de spécialité législative alors en vigueur dans les colonies françaises.
Les principes d’identité législative et de spécialité législative
La spécialité législative est un régime juridique selon lequel les lois et règlements de la France hexagonale ne s’appliquent dans un territoire d’outre-mer que si un texte le prévoit expressément. En d’autres termes, ces mêmes normes ne sont pas automatiquement applicables ; elles nécessitent une mention explicite dans la loi ou un décret spécifique pour être étendues à ces territoires. Les collectivités d’outre-mer (COM) que sont la Polynésie française, les îles Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ainsi que la Nouvelle-Calédonie sont soumises à ce principe.
À l’inverse, l’identité législative est un régime juridique selon lequel les lois et règlements de la France hexagonale s’appliquent de plein droit dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte, sauf disposition contraire ([3]). Ce principe vise à assurer une uniformité législative entre ces territoires ultramarins et les autres départements français.
L’historien Yvan Combeau, auditionné par votre rapporteure, qualifie ce positionnement des parlementaires ultramarins en faveur de l’assimilation législative, c’est-à-dire du principe d’identité législative, comme une « nouvelle phase [dans l’histoire de ces territoires] : celle de l’égalité et de la justice sociale. » Ainsi, « dans le discours, et plus largement dans cette mémoire des grandes journées françaises, l’acte d’assimilation est présenté comme une étape prolongeant les travaux des Assemblées constituantes de 1789 et de 1848. Après la liberté, la fraternité, vient le temps des égalités. » ([4])
La version initiale de l’article 3 du texte, résultant des synthèses des trois propositions de loi défendues par les députés ultramarins, consacrait le principe d’identité législative, disposant :
« Dès la promulgation de la présente loi, toutes les lois et tous les décrets applicables dans la métropole seront automatiquement appliqués dans ces nouveaux départements, sauf dispositions contraires insérées dans leur texte. »
Or, si la version finale de la loi, telle que votée par l’Assemblée constituante, consacre bien les « quatre vieilles » colonies comme départements à part entière, le principe d’identité législative leur est finalement refusé, la version définitive de l’article 3 disposant que :
« Les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. »
Votre rapporteure se range derrière l’avis du professeur des universités André Oraison, auditionné dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen de la proposition de loi, et qui écrivait à ce sujet que le principe d’identité législative « est un principe fondamental sans lequel [la départementalisation des quatre territoires] n’aurait été ni une véritable assimilation à la Nation française, ni une authentique décolonisation. » ([5])
En cela, la loi du 19 mars 1946, dans sa version finalement adoptée, n’a pas permis de procéder à la décolonisation pleine et entière de la Réunion et des autres départements ultramarins visés dans ses dispositions car elle n’a pas consacré le principe d’identité législative, corollaire nécessaire de la départementalisation de ces territoires.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 19 mars 1946, le paysage constitutionnel et institutionnel a considérablement évolué. D’une part, la Constitution de 1946, et désormais celle de 1958, ont consacré le principe d’identité législative dans les DROM ; d’autre part, Mayotte est devenue, en 2011, le 101ème département français. La présente proposition de loi vise ainsi à tirer les conséquences de ces évolutions majeures pour nos territoires ultramarins.
● L’application du principe d’identité législative dans les DROM depuis la promulgation de la Constitution de 1946
Plusieurs mois après l’entrée en vigueur de la loi du 19 mars 1946, la Constitution de la IVème République a finalement instauré le principe d’identité législative dans les quatre nouveaux départements ultramarins.
Son article 73 dispose ainsi que « le régime législatif des départements d’outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. » Il est le miroir de l’article 74, consacrant un principe de spécialité législative pour les collectivités dotées d’un statut particulier ([6]).
La rédaction adoptée dans la Constitution de la IVème République a par la suite été confortée dans le texte constitutionnel de 1958.
L’article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur
Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.
Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement.
Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.
Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être précisée et complétée par une loi organique.
La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de La Réunion.
Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
La création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités.
● Mayotte est devenue un département à part entière le 31 mars 2011, à l’issue d’un long processus d’évolution institutionnelle. Ainsi, cinq collectivités territoriales ultramarines sont désormais régies par le régime juridique prévu à l’article 73 de la Constitution pour les DROM.
Les étapes de la départementalisation de mayotte
11 avril 1976 |
Par une consultation, les Mahorais se prononcent pour le rejet du statut de « territoire d’outre-mer ». |
24 décembre 1976 |
La loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 relative à l’organisation de Mayotte dote le territoire d’un statut provisoire de collectivité territoriale. |
27 janvier 2000 |
L’accord du 27 janvier 2000 sur l’avenir de Mayotte, approuvé par référendum le 2 juillet, fixe un calendrier de l’évolution vers le statut de « collectivité départementale ». |
11 juillet 2001 |
La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte consacre un statut de « collectivité départementale » et fixe les étapes de la départementalisation tout en maintenant le principe de spécialité législative. |
28 mars 2003 |
La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République Mayotte consacre Mayotte comme une « collectivité d’outre-mer » dans la Constitution. |
27 février 2007 |
La loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer réécrit le statut de Mayotte et étend l’application de plein droit des lois et règlements. |
29 mars 2009 |
Les Mahorais votent très largement (95,2 % des suffrages) pour le statut de département, par un référendum. |
3 août 2009 |
La loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte prévoit la départementalisation de Mayotte à compter du renouvellement de son conseil départemental. Mayotte devient le 101ème département français le 31 mars 2011. |
Toutefois, malgré la départementalisation de Mayotte, force est de constater que l’égalité réelle entre ce département et ceux de France hexagonale demeure imparfaite.
À titre d’exemples, le montant des allocations familiales demeure différencié, selon qu’elles sont versées à Mayotte ou dans un autre département français, hexagonal ou ultramarin. Si les sommes reçues par les allocataires sont identiques à Mayotte à partir du deuxième enfant, l’augmentation est beaucoup plus élevée en France hexagonale et dans les autres départements d’outre-mer à partir du troisième enfant. Une telle différence dans les montants versés existe aussi pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA).
montant des allocations familiales : une illustration des écarts entre La Réunion et Mayotte
Nombre d’enfants à charge |
Montant maximal à La Réunion (en euros) |
Montant maximal à Mayotte (en euros) |
2 enfants |
149,26 |
149,26 |
3 enfants |
340,5 |
223,89 |
4 enfants |
531,74 |
245,49 |
5 enfants |
722,98 |
267,09 |
Le montant du salaire minimum est également différencié. Au 1er janvier 2024, il s'élevait à 1 766,92 euros bruts par mois, représentant 1 398,69 euros nets pour 35 heures hebdomadaires en métropole et dans les départements d’outre-mer (soit un smic horaire brut de 11,65 euros et un smic horaire net de 9,22 euros). Toutefois, à Mayotte, le smic horaire brut a été porté de 8,70 euros à 8,80 euros en début d’année, soit un montant mensuel brut de 1 334,67 € sur la base de la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires.
De tels écarts pouvaient sembler pertinents au début du processus de départementalisation, mais ils paraissent aujourd’hui injustifiés, nuisent au développement de Mayotte et présentent une inégalité de traitement flagrante entre nos concitoyens.
Commentaire de l’article unique DE la proposition de loi
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique comporte douze alinéas modifiant les trois articles de la loi du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française. En particulier, la proposition de loi :
– procède à plusieurs corrections sémantiques dans la rédaction du texte du 19 mars 1946 ;
– intègre Mayotte dans le périmètre de la loi, tirant ainsi pleinement les conséquences de la départementalisation de cette collectivité ;
– prévoit qu’à compter du 1er janvier 2027, les lois et décrets non encore applicables aux départements et régions d’outre-mer doivent faire l’objet de décrets d’application.
Modifications apportées par la Commission
La commission des Lois a, à l’initiative de votre rapporteure, adopté sept amendements rédactionnels modifiant l’article unique, le titre de la proposition de loi et le titre de la loi du 19 mars 1946.
La loi du 19 mars 1946 comprend trois articles :
– le premier énonce la départementalisation des quatre anciennes colonies. Il dispose à cette fin :
« Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et la Guyane française sont érigées en départements français. »
– le second article prévoit un délai d’entrée en vigueur des normes hexagonales non encore applicables aux départements ultramarins. Ainsi, « les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1er janvier 1947, l’objet de décrets d’application à ces nouveaux départements. » Cette date a par la suite été repoussée à trois reprises, pour être finalement fixée au 31 mars 1948 ([7]).
– enfin, le dernier article prévoit le maintien du principe de spécialité législative. Il dispose à cet effet :
« Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. »
Fruit d’un compromis politique au moment des débats parlementaires sur le texte, cette rédaction ne représente pas la position initiale des députés ultramarins, qui avaient proposé un dispositif différent permettant l’application du principe d’identité législative aux nouveaux départements consacrés par la loi.
Les deux derniers articles de la loi de 1946 sont désormais caducs : disposition prise à titre transitoire, l’article 2 n’a en effet plus d’objet depuis le 31 mars 1948, tandis que le principe de spécialité législative prévu par l’article 3 a été substitué par celui, applicable depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de la IVème République, d’identité législative.
La proposition de loi comporte trois séries de modifications ayant tout à la fois un objectif symbolique de réparation historique et visant à renforcer le processus de départementalisation de Mayotte.
● En premier lieu, le dispositif a pour ambition de rétablir la rédaction de l’article 3 proposée par les parlementaires ultramarins à l’origine de la loi du 19 mars 1946. Ainsi, l’alinéa 12 rétablit la rédaction consacrant le principe d’identité législative dans les départements ultramarins.
Si la proposition de loi était adoptée, l’article 3 de la loi disposerait désormais :
« Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sauf mention expresse insérée aux textes »
Cette rédaction aligne ainsi parfaitement la loi de 1946 avec la norme constitutionnelle qui lui est supérieure. Pour Me Jean-Jacques Morel, avocat à La Réunion auditionné par votre rapporteure, elle a aussi pour mérite, bien qu’étant symbolique, de rappeler l’application pleine et entière des lois françaises sur les cinq DROM.
● La proposition de loi vise également à intégrer Mayotte dans le périmètre de la loi du 19 mars 1946. Elle propose une réécriture de l’article 1er, afin d’y disposer que « les anciennes colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de Mayotte et de la Guyane française sont des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. »
Cette rédaction, par sa référence aux dispositions de la Constitution applicables aux départements et régions d’outre-mer, présente par ailleurs l’avantage de n’emporter aucune incidence sur une possible évolution institutionnelle de l’un de ces territoires à l’avenir.
La proposition de loi instaure une période transitoire pour Mayotte s’étendant jusqu’au 1er janvier 2027, à l’issue de laquelle l’ensemble des lois et décrets applicables dans les autres départements devront être appliqués dans ce territoire. Cette disposition vise à affirmer la détermination du Parlement à parachever le processus de départementalisation et de convergence sociale entre la France hexagonale et son 101ème département.
Les élus mahorais auditionnés par votre rapporteure, MM. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental, et Abdoul Kamardine, conseiller départemental, ont d’ailleurs abondé dans le même sens, saluant la démarche d’actualisation du texte de 1946 portée par la proposition de loi. Ils ont également rappelé leur position visant à inscrire la convergence en droit à Mayotte dans les futures initiatives législatives consacrées à ce département devant être débattues dans les prochains mois au Parlement, ce que partage pleinement votre rapporteure.
● Enfin, la proposition de loi procède à plusieurs corrections sémantiques hautement symboliques.
Les termes de « France métropolitaine », « colonies » et « métropole » sont respectivement remplacés par la « France hexagonale », les « territoires ultramarins » et « l’hexagone ».
Après avoir adopté six amendements rédactionnels à l’initiative de votre rapporteure ([8]), la Commission a adopté cet article unique.
Elle a par ailleurs adopté un amendement CL12 de votre rapporteure apportant plusieurs corrections rédactionnelles au titre de la proposition de loi.
Les modifications portées par la proposition de loi à la loi du 19 mars 1946
|
Version en vigueur |
Version modifiée par la proposition de loi |
Article 1er – départementalisation des quatre anciennes colonies |
Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et la Guyane française sont érigées en départements français. |
Les anciennes colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, de Mayotte et de la Guyane française sont des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. |
Article 2 – délai d’entrée en vigueur des normes hexagonales non encore applicables aux départements ultramarins |
Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 31 mars 1948, l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements. |
Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France hexagonale et qui ne sont pas encore appliqués à ces territoires ultramarins feront, avant le 1er janvier 2027, l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements. |
Article 3 – régime législatif applicable aux anciennes colonies |
Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. |
Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la France hexagonale le seront dans ces collectivités, sauf mention expresse insérée aux textes. |
*
* *
Lors de sa réunion du mercredi 5 juin 2024, la Commission examine la proposition de loi portant actualisation de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française (n° 2542) (Mme Nathalie Bassire, rapporteure).
Lien vidéo : https://assnat.fr/VdPJsL
Mme Caroline Abadie, présidente. Nous examinerons ce matin deux propositions de loi présentées par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) dans le cadre de sa journée réservée en séance publique du 13 juin. La proposition de loi par laquelle nous commençons est inscrite en septième position à l’ordre du jour de la séance publique pour la journée réservée du groupe LIOT.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Merci de m’accueillir au sein de votre commission.
Dans le cadre de sa journée réservée, le groupe LIOT a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi portant actualisation de la loi du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française, dont j’ai l’honneur d’être l’auteure et la rapporteure. Je tiens à remercier mon groupe de nous permettre de débattre de ce sujet important pour nos territoires ultramarins.
La loi du 19 mars 1946 représente un jalon historique dans la lutte pour l’égalité et la justice. Fruit de trois initiatives parlementaires distinctes d’élus ultramarins, finalement rassemblées en un texte commun, elle a marqué la fin du régime colonial pour les « quatre vieilles » colonies que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion en leur conférant le statut de départements français. Elle est également le fruit d’un compromis politique dans une France de l’après-guerre surtout préoccupée par la rédaction de sa future Constitution.
Cependant, cette loi n’a pas pleinement concrétisé les ambitions des élus ultramarins qui étaient à son origine et qui aspiraient à une égalité législative complète avec la France hexagonale. En effet, le principe d’identité législative, c’est-à-dire l’application pleine et entière, sauf dispositions contraires, des normes hexagonales dans les départements ultramarins, leur a été refusé à l’époque, singulièrement du fait de l’opposition du ministre chargé du budget, qui y voyait une dépense trop lourde dans le contexte de reconstruction de l’après-guerre. Si ce principe a, par la suite, été consacré par le constituant de 1946 et réaffirmé dans le texte constitutionnel de 1958, la loi du 19 mars 1946 paraît ainsi incomplète et n’est pas entièrement conforme à la pensée politique de ceux qui ont conduit à sa rédaction.
La proposition de loi que je vous soumets comporte deux séries principales de modifications. La première vise un objectif symbolique de réparation historique. La seconde tend à renforcer le processus de départementalisation de Mayotte, qui a rejoint le groupe des départements et régions d’outre-mer en 2011, mais ne bénéficie pas d’une convergence juridique et sociale similaire avec les autres départements français.
La version initiale de l’article 3 de la loi du 19 mars 1946, défendue par les députés ultramarins, consacrait le principe d’identité législative. Cette disposition a cependant été écartée au cours des débats parlementaires au profit du maintien du régime de spécialité législative applicable aux colonies françaises et que les élus ultramarins jugeaient, avec raison, à la fois obsolète et injuste.
La présente proposition de loi, qui suit notre évolution constitutionnelle, vise à corriger cette anomalie historique en rétablissant le principe d’identité législative dans cette loi fondatrice. L’importance du symbole ne doit pas être mésestimée : il s’agit de respecter l’esprit de la loi voulue par nos prédécesseurs ultramarins.
Un point important est ressorti de mes travaux préparatoires : la rédaction que je vous soumets, qui procède à un renvoi à l’article 73 de la Constitution, n’aura aucune conséquence sur d’éventuelles évolutions institutionnelles pouvant être décidées à l’avenir. Elle vise simplement à corriger une erreur historique, sans préjuger du devenir de nos territoires ultramarins, qui ont tous une histoire et une destinée singulières.
La seconde modification concerne Mayotte, territoire devenu le cent unième département français en 2011. La proposition de loi tend ainsi à réécrire l’article 1er de la loi de 1946 pour inclure Mayotte dans son dispositif. Surtout, elle prévoit une période transitoire, jusqu’au 1er janvier 2027, à l’issue de laquelle tous les lois et décrets applicables dans les autres départements devront l’être également à Mayotte. Cette disposition vise à affirmer notre détermination à parachever le processus de départementalisation et de convergence sociale entre la France hexagonale et notre cent unième département.
Je ne vous apprendrai rien en rappelant que des écarts subsistent entre les montants des allocations familiales et prestations sociales, voire du salaire minimum, selon qu’ils sont versés à Mayotte ou dans d’autres départements, hexagonaux ou ultramarins. Par exemple, le montant des allocations familiales et du revenu de solidarité active à Mayotte est significativement inférieur à celui qui a cours dans les autres départements français. De tels écarts, qui pouvaient sembler pertinents au début du processus de départementalisation, paraissent aujourd’hui injustifiés, nuisent au développement de Mayotte et induisent une inégalité de traitement flagrante entre nos concitoyens.
Au fil d’un long processus historique et institutionnel, Mayotte a affirmé à de multiples reprises son désir de convergence législative et sociale avec la France hexagonale. Les représentants mahorais que j’ai eu l’honneur d’auditionner, en premier lieu le président du conseil départemental, M. Ben Issa Ousseni, ont eu l’occasion de rappeler l’enjeu que représente ce sujet pour leur territoire. Ils ont également souligné l’importance de la démarche à laquelle procède la proposition de loi, qui vise à réaffirmer la volonté de l’Assemblée nationale d’aboutir dans des délais très brefs à une égalité de traitement et de droits entre tous les citoyens français.
Enfin, le texte procède à des corrections sémantiques hautement symboliques, remplaçant les termes « France métropolitaine », « colonies » et « métropole » par des termes moins connotés et plus factuels, respectivement « France hexagonale », « territoires ultramarins » et « Hexagone ». Ces modifications sont importantes afin que la loi reflète une vision moderne et respectueuse de nos territoires.
Ce texte est donc non seulement une mise à jour nécessaire, mais également un acte de justice historique. En rétablissant l’esprit du texte de 1946, nous rendons hommage aux parlementaires ultramarins qui, il y a près de quatre-vingts ans, ont posé les bases d’une égalité restant à concrétiser pleinement à Mayotte.
La modernisation de la loi de 1946, en intégrant les évolutions institutionnelles et en affirmant le principe d’identité législative, nous permet de regarder vers l’avenir avec détermination. Nous renforçons le lien indéfectible entre la République et ses territoires ultramarins et nous affirmons notre volonté de garantir une égalité de droits et de traitement entre tous les citoyens français.
Je vous invite à soutenir cette proposition de loi. Soyons solidaires et rassemblons-nous sur l’essentiel, au-delà de nos clivages politiques, dans l’intérêt supérieur de nos territoires d’outre-mer et de nos populations.
Mme Caroline Abadie, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Guillaume Vuilletet (RE). Le texte vise à apporter à la loi de 1946 sur la départementalisation des corrections dont certaines concernent Mayotte – sur ce point, j’espère ne pas dire trop de bêtises en m’exprimant sous l’œil exigeant d’Estelle Youssouffa.
Les corrections sémantiques que vous avez évoquées, madame la rapporteure, sont bienvenues. Une métropole, aujourd’hui, dans notre pays, c’est un périmètre intercommunal intégrant une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants en son centre et organisé autour d’elle, non le cœur d’un empire qui n’existe plus.
De même, aller jusqu’au bout de l’identité législative – en remplaçant simplement un petit mot, « sur », par un autre, « sauf » – est nécessaire et ne réduira en rien la capacité d’adaptation à la situation propre de chaque territoire.
Je suis plus circonspect en ce qui concerne la date de 2027. Non par crainte d’un appel d’air que l’égalité des droits pourrait créer à Mayotte : je veux tordre le cou à cette idée. J’estime à titre personnel que la différenciation entre Mayotte et le reste du territoire s’agissant de certains droits de nos concitoyens est un scandale et que la maintenir ne servirait à rien en l’espèce. Il y a déjà un rapport de 1 à 8 au moins entre les Comores et Mayotte du point de vue de la richesse, de 1 à 20 entre Madagascar et Mayotte ; ce n’est pas parce que l’on passerait à un rapport de 1 à 21 que cela changerait la face du monde. De plus, la restriction de l’accès aux droits sur place est suffisamment protectrice.
Le motif de ma réserve est plutôt qu’un projet de loi a été annoncé par le Président de la République et est en discussion avec les élus mahorais. Les dispositions de la proposition de loi concernant la date de 2027 viendraient percuter ce débat en cours.
En outre, l’application du texte requerrait un très gros travail administratif et s’il n’est pas fourni dans les délais impartis, nos concitoyens pourraient former des recours. Or nous ne sommes pas là pour créer du contentieux. Il faut donc vérifier que notre administration serait capable d’absorber cette transformation. C’est une question qu’il nous faudra poser à l’exécutif en séance.
Enfin, je crains les effets de bord. Il y a à Mayotte – je parle sous le contrôle de Mme Youssouffa – une forme de concordat qui ne dit pas son nom. La justice cadiale, qui y joue encore un rôle, bénéficie ainsi d’un régime juridique particulier. Le texte ne risque-t-il pas d’entrer en contradiction avec ce régime ? Celui-ci mérite peut-être d’être discuté, mais pas ainsi.
Nous nous abstiendrons donc à ce stade, mais avec sympathie pour votre démarche, madame la rapporteure.
En revanche, nous voterons contre les amendements. J’admire la licence poétique de notre collègue Nilor à propos de la « France transocéanique », mais si l’on peut débattre de la façon de rebaptiser ces territoires, ce ne sera peut-être pas de ce nom-là ; j’admire aussi l’imagination du président Rimane en matière d’évolution constitutionnelle, mais c’est dans un autre cadre que nous pourrons en discuter.
M. Yoann Gillet (RN). Bien qu’assez symbolique, la disposition selon laquelle les lois et décrets en vigueur en France hexagonale, mais non encore appliqués dans les départements d’outre-mer, doivent faire l’objet d’un décret d’application d’ici au 1er janvier 2027 trouve son fondement dans l’article 73 de la Constitution de 1958, qui pose déjà le principe de l’assimilation législative de ces territoires.
Quelques décennies après l’abolition de l’esclavage, en 1848, les revendications d’assimilation à la métropole ont émergé dans les « quatre vieilles colonies ». Cette aspiration des élus et des populations visait la complète départementalisation comme moyen d’atteindre l’assimilation.
En 1946, la première Assemblée constituante a voté le projet de loi de départementalisation déclarant que « les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et la Guyane française sont érigées en départements français ». Cette loi promettait l’assimilation juridique à la métropole, l’application du droit commun de la République et, par conséquent, le développement économique et le progrès social. Plusieurs mois après son entrée en vigueur, la Constitution de la IVe République a instauré le principe d’identité législative dans les quatre départements ultramarins.
Aujourd’hui, c’est un régime d’identité législative adapté qui s’applique aux départements d’outre-mer en vertu de l’article 73 de la Constitution de 1958. Ce principe d’adaptation va plus loin que la formulation de la Constitution de 1946, qui renvoie à des exceptions à l’application du droit commun dans les cas prévus par la loi. Cette fois, ces exceptions ne peuvent être que des adaptations à des situations particulières.
Il a fallu plusieurs décennies pour que les conditions sociales et économiques dans ces territoires se rapprochent de celles observées en France hexagonale. Les changements sociaux, l’immigration de masse, l’insécurité, la pauvreté et le taux de chômage inédit ont transformé l’enthousiasme initial en impatience, voire en désillusion, entraînant parfois des crises. La lenteur de la convergence est due à un principe de spécialité législative inscrit dans la loi et dans la Constitution.
Mayotte, en particulier, connaît de graves dysfonctionnements publics, notamment une pénurie d’eau courante prolongée et une immigration massive en provenance des Comores. Il y a dix ans, Mayotte était l’un des départements les moins criminogènes. Désormais, comme pour l’immigration, il est hélas en haut du podium. La situation sociale y est également dramatique : le taux de chômage atteint 35 % et le salaire minimum y est différencié. En 2018, selon l’Insee, 77 % de la population y vivait sous le seuil de pauvreté, soit plus de 200 000 personnes. De tels écarts nuisent au développement de nos territoires ultramarins et induisent une inégalité de traitement flagrante entre nos concitoyens.
Nous voterons donc cette mesure à portée symbolique, tout en soulignant qu’elle ne permet pas de relever le défi de la départementalisation des territoires d’outre-mer. Des solutions plus concrètes et ambitieuses sont nécessaires pour améliorer durablement les conditions de vie de nos compatriotes ultramarins.
Je rappelle la proposition de Marine Le Pen pour y parvenir : la création d’un grand ministère d’État de la France d’outre-mer et de la politique maritime. Nos compatriotes ultramarins savent que nous ne les oublions pas. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à espérer l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen en 2027. Français d’outre-mer, nous, nous ne pensons pas à vous seulement trois mois avant les élections : vous êtes dans notre cœur toute l’année, car vous êtes la France et nous souffrons de voir comment vous êtes traités par les uns et instrumentalisés par les autres. Tenez bon, on arrive !
Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je profite de ma prise de parole pour envoyer un message d’affection à notre président Sacha Houlié, qui vient d’avoir un fils. Je pense que tous les commissaires aux lois se joignent à mes félicitations.
La proposition de loi qui nous est soumise a une portée plus symbolique que réelle. Elle n’apporte rien aux populations d’outre-mer, confrontées à de multiples défis – pouvoir d’achat, accès aux services publics, au logement, et, de manière générale, à une égale dignité et au respect des autorités politiques françaises.
Il était tout à fait légitime de vérifier l’opportunité de la formulation figurant à l’article 73 de la Constitution concernant les compétences des collectivités d’outre-mer, une question dont l’enjeu est le rapport entre les populations d’outre-mer entre elles et le reste de la population nationale. Ce n’est pas un petit sujet. Cette vérification devrait être démocratique et collégiale. Mais tel n’est pas l’objet de la proposition de loi, dont l’effet politique est beaucoup plus neutre – vous l’avez-vous-même admis, madame la rapporteure.
Dans l’esprit que je viens d’évoquer, nous avons consulté au sujet des besoins des populations nos collègues ultramarins membres du groupe La France insoumise, dont nous soulignons le travail de terrain. À les entendre – ainsi, d’ailleurs, que certains membres ultramarins du groupe LIOT –, la proposition de loi n’a pas grand intérêt et isolerait La Réunion, qui serait figée dans le contexte institutionnel actuel alors même qu’elle y fait l’objet de spécificités, énoncées à l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution.
Ainsi, le texte grave dans le marbre l’amendement Virapoullé, qui avait figé le statut de La Réunion en inscrivant dans cet article, lors de la révision constitutionnelle de 2003, que La Réunion ne peut bénéficier de l’adaptation des normes nationales permise aux autres collectivités de l’article 73 en vertu de leurs spécificités. Cet amendement a aussi reconnu La Réunion comme une région et non comme un département, ce qui limite les évolutions institutionnelles.
Autrement dit, la proposition de loi conforte la stabilité institutionnelle alors que les institutions et les compétences doivent être en accord avec leur temps, c’est-à-dire avec les besoins et l’avis des populations.
L’objectif est de fabriquer une égalité réelle en droits entre tous les citoyens de France, notamment dans les collectivités transocéaniques – nous proposons cette évolution lexicale parce qu’elle nous semble plus fidèle à la réalité de ces territoires.
Nous voterons contre la proposition de loi.
Mme Maud Petit (Dem). Merci de m’accueillir au sein de votre commission.
Je tiens à remercier mes collègues du groupe LIOT d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de leur niche. C’est un texte particulier pour moi, qui suis d’origine martiniquaise. Il me renvoie à mon histoire personnelle et au souvenir de mon grand-père, Camille Petit, qui siégeait sur les bancs de notre assemblée comme député de la Martinique et qui, à l’instar d’Aimé Césaire, a œuvré sans relâche pour que, bien des années après l’adoption de la loi sur la départementalisation, le statut de département d’outre-mer prenne tout son sens, en Martinique notamment.
La loi du 19 mars 1946 est un texte fondamental pour La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, un texte fondateur dans l’histoire de ces « quatre vieilles », dans leurs rapports et dans leur relation à la France hexagonale en ce qu’il marque le passage du statut de colonie à celui de département. La Constitution de 1946, puis celle de 1958 ont créé la catégorie de départements et territoires d’outre-mer, faisant de ces territoires des collectivités de notre République à part entière, comme le souhaitaient à l’époque les élus et la population locaux.
L’article 73 de notre Constitution consacre également le principe d’identité législative, rendant le droit hexagonal applicable à ces départements et territoires d’outre-mer de plein droit, aujourd’hui dénommés DROM-COM (départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer), sauf si une exception est déterminée par la loi. Notre Constitution étant une norme supérieure à la loi du 19 mars 1946, la proposition de loi, qui vise à actualiser celle-ci, est surtout symbolique et n’aura pas véritablement d’impact juridique sur le statut des quatre départements d’outre-mer visés.
L’idée de leur adjoindre Mayotte, cent unième département français depuis 2011, dans la mesure où le principe d’identité législative n’y est pas satisfait, part d’une bonne intention. Nous ne pouvons nier que la départementalisation de Mayotte est progressive et inachevée, ni que ce principe ne s’applique pas dans de nombreux domaines, comme celui du logement, de la protection sociale, du droit du travail ou de l’emploi. Mais la proposition de loi n’aura que peu d’effet sur la convergence sociale des droits à Mayotte. Le projet de loi sur Mayotte que nous serons amenés à étudier dans les mois à venir sera plus structurant et j’espère sincèrement qu’il nous permettra de progresser très concrètement vers cette convergence.
Certains termes utilisés dans la loi du 19 mars 1946 n’ont plus leur place dans la législation d’un pays comme le nôtre. Il convient de les actualiser.
Faire œuvre de réparation et de respect, c’est aussi l’objet de cette proposition de loi. Pour cette raison, le groupe Démocrate la soutiendra. Vive les outre-mer !
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Il est louable de souhaiter l’achèvement du processus de départementalisation des territoires d’outre-mer que sont la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Guyane et Mayotte, et de vouloir supprimer la notion de colonie de la loi structurante de 1946. La proposition de loi tire par ailleurs toutes les conséquences de la départementalisation plus tardive de Mayotte et supprime la référence au régime transitoire anciennement applicable pour consacrer le principe d’identité législative.
C’est notamment à l’initiative d’Aimé Césaire que l’Assemblée nationale a reconnu la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion et la Guyane française comme des départements à part entière – et non plus entièrement à part. La loi de 1946 constitue l’aboutissement d’un long processus politique qualifié à l’époque d’assimilation. Elle a marqué le début de l’égalité des droits entre ces territoires et l’Hexagone, par le régime d’identité législative qui se présentait alors comme une véritable révolution par rapport au principe colonial de spécialité législative.
La Constitution de 1946 puis celle de 1958 ont consacré cette identité législative et reconnu les populations d’outre-mer au sein du peuple français au nom d’un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. Ainsi, l’ensemble des lois et règlements sont par principe applicables à tous les départements d’outre-mer visés, sauf si la loi en dispose autrement.
Le processus de départementalisation de Mayotte a eu lieu plus tardivement, après la consultation du peuple mahorais, qui s’est majoritairement prononcé en faveur de cette transformation, définitivement entérinée par la loi organique de 2009.
Ainsi, à Mayotte comme en Guyane et dans l’ensemble des territoires français des Antilles, la loi est la même pour tous sauf disposition spécifique et sous réserve des prérogatives de différenciation des exécutifs locaux.
Cette proposition de loi vise à corriger la sémantique de la loi historique de 1946 afin d’y supprimer la référence à la notion de colonie et d’y intégrer Mayotte. Le groupe Horizons est favorable à cette idée.
Nous partageons néanmoins les interrogations exposées par M. Vuilletet sur la date de 2027 et sur les effets de bord. Nous nous abstiendrons donc à ce stade.
Mme Cécile Untermaier (SOC). Je m’exprimerai à la place de Christian Baptiste, qui regrette de ne pouvoir être là ce matin.
Cette proposition de loi rétablit l’esprit du texte de 1946, celui de l’égalité réelle. Ces territoires ont cessé d’être des colonies pour devenir des départements français. Les promoteurs de ce texte ne demandaient rien d’autre que l’égalité et la justice sociale : « Après la fraternité et la liberté, nous venons vous demander l’égalité devant la loi, l’égalité des droits. » Si l’article 1er consacre le statut départemental du point de vue administratif, la loi de 1946 reste en deçà de la demande d’identité législative.
Cette proposition de loi fait œuvre de réparation historique. Elle est symbolique, mais les symboles comptent ; elle célèbre la victoire des ultramarins en matière de décolonisation et permet une départementalisation de nos outre-mer pleine et entière, fondée sur l’égalité réelle avec la France hexagonale.
Le groupe Socialistes votera ce texte.
M. Jiovanny William (GDR-NUPES). Ne prenez pas mes propos personnellement, chère collègue rapporteure, mais comment avez-vous pu envisager de modifier ce pilier de notre histoire ? Je ne comprends pas votre démarche : en quoi cette proposition de loi fera-t-elle progresser nos territoires, en quoi contribuera-t-elle à l’émancipation de nos populations ?
Tous les Martiniquais sont les héritiers d’Aimé Césaire, l’un des pères fondateurs de cette loi de départementalisation de 1946. Et vous voudriez l’actualiser sans nous consulter ? En tout cas, moi, je ne l’ai pas été ; et je n’ai pas entendu dire que quelqu’un l’ait été en Martinique.
Alors que des missions parlementaires se penchent sur les évolutions statutaires de nos territoires, vous nous proposez un texte qui revêt à mes yeux une allure politicienne, puisqu’il n’a aucun impact juridique.
On ne corrige pas l’histoire ; on la regarde en face.
C’est une question purement idéologique et je constate qu’il manque à votre texte des signatures d’élus ultramarins. Cela devrait en surprendre plus d’un.
Nous avons la prétention d’avoir été élus pour faire avancer les choses, et non pour faire un bond en arrière. Une loi peut être imparfaite, incomplète, inadaptée ; il revient alors au législateur d’intervenir – mais pas soixante-dix-huit ans plus tard, et pour nous redire ce que nous savons déjà ! La Constitution de 1958 – amenée, je l’espère, à évoluer bientôt – nous paraît suffisante.
Le groupe Gauche démocrate et républicaine s’opposera à cette proposition de loi, à l’instar des Martiniquais, que j’ai l’honneur de représenter.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’archipel de Mayotte est français depuis 1841. Il a connu une succession de statuts différents, le travail forcé, appelé engagisme, le régime de l’indigénat et les humiliations coloniales. Mais il reste bleu, blanc, rouge : alors que les déflagrations de la décolonisation et des indépendances font imploser l’empire, Mayotte choisit la France et se bat. En 1946, les mots d’Aimé Césaire et le combat de nos frères ultramarins pour l’égalité dans la République, concrétisé par le statut de département d’outre-mer, résonnent à Mayotte. En novembre 1958, au congrès de Tsoundzou, Georges Nahouda et les figures de Mayotte française présentent pour la première fois le projet de départementalisation de Mayotte. Résistant aux vicissitudes de l’histoire et aux vents adverses des violences politiques de la fin des hypocrisies parisiennes, les Mahoraises et les Mahorais ont lutté, subi l’emprisonnement et les privations et parfois payé le prix du sang pour arracher la sécurité qu’incarne à nos yeux le statut de département. Marcel Henry, Younoussa Bamana, Henry Jean-Baptiste, Jean-François Hory, Younoussa Ben Ali, les Chatouilleuses emmenées par Zéna M’Déré, Boueni M’Titi, Zaïna Méresse et tant d’autres sorodats anonymes ont mené ce combat pendant des décennies : pacifique mais intransigeante, Mayotte a finalement arraché la départementalisation par les urnes. C’était une victoire historique : Mayotte est française parce que nous avons voté pour rester ; Mayotte est un département depuis 2011 parce que nous avons largement voté pour ce statut.
Pourtant, certains estiment que cette démarche va à l’encontre du sens de l’histoire. Je leur répondrai que nous sommes un peuple qui dispose de lui-même et que nos choix doivent être respectés. On ne peut se dire démocrate et républicain et balayer les résultats des scrutins transparents qui se sont succédé parce qu’ils ne vous conviennent pas. Un paternalisme particulièrement raffiné, sinon raciste, sous-entend que nous, Mahorais, serions victimes du syndrome de Stockholm en refusant l’indépendance, que nous serions incapables de savoir ce qui est bon pour nous.
Certains estiment aussi que la départementalisation est la cause de tous les maux de Mayotte. Je note qu’aucun statut ne dispense l’État d’assurer l’accès à l’eau, à la santé et à l’école, de garantir la sécurité publique ou de protéger nos frontières. Ces faux débats statutaires ne sont qu’une procrastination politique très efficace pour continuer de retarder les grands chantiers urgents : la convergence sociale et la construction d’infrastructures vitales – un deuxième hôpital, un meilleur aéroport, des routes, un système d’assainissement.
Nous, Mahorais, voyons dans la départementalisation la protection contre les revendications territoriales des Comores, mais aussi l’accession à l’égalité réelle avec nos concitoyens de l’Hexagone. Reconnaissons que ces questions n’ont pas trouvé d’issue à ce jour : c’est encore un combat que nous menons, un combat républicain pour l’égalité, pour le respect de nos frontières, pour notre place pleine et entière dans la République.
C’est dans ce contexte que résonne cette proposition de loi du groupe LIOT. Je remercie notre rapporteure pour ce texte dont la portée symbolique est forte. Il inscrit dans la loi que les anciennes colonies sont maintenant membres de la République à part entière. Il inclut aussi explicitement Mayotte et y fixe à 2027 l’achèvement du processus de départementalisation : le rattrapage structurel de l’égalité réelle ne peut pas attendre, et tous les élus mahorais défendent ce calendrier.
La loi « Mayotte », dont l’issue est incertaine, ne peut servir à justifier que l’Assemblée nationale se défie de notre archipel et reporte l’égalité de traitement aux calendes grecques. J’ai aussi l’espoir que ce vote marquera le début d’un consensus parlementaire, dans l’attente de cette loi, toujours en négociation.
Nous voterons cette proposition de loi dont j’espère qu’elle recueillera l’unanimité.
Mme Emmanuelle Ménard (NI). Cette proposition de loi fait œuvre de réparation historique ; elle est hautement symbolique puisqu’elle consacre la départementalisation pleine et entière de nos outre-mer, selon le principe de l’égalité réelle avec la France hexagonale, y compris pour Mayotte, avec une courte période de transition.
À l’heure où la crise en Nouvelle-Calédonie est loin d’être terminée et où les velléités d’indépendance, d’autonomie ou d’émancipation reviennent sur le devant de la scène, je salue l’initiative de la rapporteure. On ne peut pas parler des outre-mer comme faisant pleinement partie de notre pays tout en tolérant que les lois votées à Paris ne soient pas pleinement appliquées sur l’ensemble du territoire national.
Quant aux effets de bord redoutés par certains, ils ne peuvent évidemment pas servir d’excuse : c’est une question d’égalité et de justice. Je voterai cette proposition de loi.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Merci à tous et à toutes pour vos interventions.
La situation à Mayotte est un scandale et ce texte doit nous permettre de rétablir la justice et l’égalité sociale. Mayotte est devenue un département en 2011, mais le combat pour la reconnaissance du peuple mahorais comme peuple français est bien antérieur. Ce texte est hautement symbolique mais y intégrer Mayotte montre que nous voulons aller plus loin dans la reconnaissance des territoires ultramarins.
Nous relançons un débat, mais il ne s’agit finalement que de mettre la loi du 19 mars 1946 au même niveau que la Constitution. Les députés ultramarins se sont battus en 1946 pour inscrire la spécialité législative dans la loi. Cela a été refusé, mais on retrouve aujourd’hui cette clause dans la Constitution. Voilà pourquoi cette proposition de loi fait œuvre de réparation historique : nous donnons raison à nos collègues de 1946, et nous rétablissons ainsi un équilibre.
Des auditions ont été proposées à l’ensemble des responsables politiques des territoires ultramarins. Nous avons vraiment voulu recueillir la réflexion de tous ; il aurait été malvenu de ma part de ne parler qu’en mon nom. Seuls quelques-uns ont accepté. Les autres ont fait le choix de ne pas apporter leur contribution. Cela ne m’oblige pas à me taire : je n’oublie pas mes convictions.
Cette proposition de loi est essentiellement sémantique, mais elle ajoute aussi Mayotte, devenue département en 2011, et qui doit donc être mentionnée ici. Nous complétons le texte plus que nous ne le modifions, et nous respectons l’esprit de la loi.
Article unique (art. 1er, 2 et 3 de la loi n° 46‑451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française) : Actualisation de la loi du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française
La commission adopte les amendements rédactionnels CL11 et CL14 de Mme Nathalie Bassire.
Amendement CL13 de Mme Nathalie Bassire
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Cet amendement modifie l’intitulé de la loi du 19 mars 1946 pour y ajouter Mayotte.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL8 de Mme Nathalie Bassire.
Amendement CL1 de M. Jean-Philippe Nilor
Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Il s’agit d’un amendement d’appel qui tend à renommer les outre-mer « collectivités françaises transocéaniques ».
Ce terme met en lumière la réalité géographique de ces territoires situés au-delà des océans, et nous semble mieux refléter la diversité de leurs emplacements ; il indique aussi une situation géographique relative. Ces départements ne sont pas simplement des paradis lointains décrits par les voyageurs, mais des collectivités qui font pleinement partie de la France. Leurs caractéristiques uniques et leurs besoins spécifiques doivent être reconnus et respectés. Le terme que nous proposons respecte et valorise la diversité en adoptant un langage qui reconnaît l’évolution des perceptions et des relations de nos territoires avec l’Hexagone.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Avis défavorable. La représentation nationale a déjà tranché ce débat lors de la discussion de votre proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur la gestion des risques naturels dans les territoires transocéaniques de France : nous avons choisi de maintenir le terme « outre-mer ».
À titre personnel, je suis attachée à ce terme, maintenant largement reconnu. Il faudrait des années pour qu’une nouvelle appellation soit aussi connue de nos concitoyens.
Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Je suis frappée par le degré d’ignorance géographique des Français – et des députés – sur la réalité de ces bouts de France. Il m’est récemment arrivé de demander à des gens où était la Nouvelle-Calédonie : ils la plaçaient à peu près partout – c’était ridicule. Les gens ne savent pas non plus que la Polynésie française s’étend sur une superficie comparable à l’Europe. La simple idée de territoires non hexagonaux ne suffit pas pour appréhender la réalité de l’éloignement et de la dispersion. Nous devons en discuter, et peut-être évoluer pour rendre compte de cette réalité et de la façon dont les citoyens de chaque morceau de France se vivent par rapport au tout.
La commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements CL5 de M. Davy Rimane et CL2 de M. Jean-Hugues Ratenon.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL10 de Mme Nathalie Bassire.
Amendement CL9 de Mme Nathalie Bassire
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Il s’agit d’assurer la cohérence de la loi de 1946 avec notre hiérarchie des normes : la référence aux décrets d’application de la IIIe République n’est plus pertinente aujourd’hui, une loi ne pouvant être modifiée que par une autre loi.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL3 de M. Jean-Philippe Nilor
M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Si les lois nationales ont vocation à s’appliquer dans les territoires transocéaniques, afin de garantir une égalité des droits, elles peuvent être adaptées.
Comme le rappelle cette proposition de loi, la départementalisation des quatre anciennes colonies a été obtenue grâce aux combats des progressistes. Mais, pour atteindre des mêmes droits que n’importe quel autre département de l’Hexagone, il a fallu de très longues luttes menées, là encore, par les forces progressistes.
L’égalité sociale a été entamée en 1981 à l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et achevée quinze ans après, en 1996, sous la présidence de Jacques Chirac. Mais égalité en droits, comme nous le reconnaît la Constitution, ne veut pas toujours dire assimilation ! Nos différents territoires ne sont pas sur le sol continental. Nous sommes dispersés aux quatre coins du monde, apportant à la France son rayonnement sur tout le globe. Nos cultures sont différentes, nos façons de vivre sont différentes, nos climats sont différents, nos langues sont différentes, nos problèmes sont différents ; nous avons tous nos spécificités.
Une loi votée à l’Assemblée nationale ne peut pas toujours s’appliquer à la lettre aux territoires ultramarins. Dernier exemple en date : la réforme de l’assurance chômage. Nous battons tous les records ! Il en va de même pour l’obligation de travailler pour bénéficier du RSA, ou pour la loi « littoral », votée à Paris et qui s’applique dans les outre-mer.
Laurent Vergès proclamait dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale en 1986 : « nou lé pas plis, nou lé pa moin » pour réclamer l’égalité sociale.
Jean Paul Virapoullé, lui, dans sa logique infantilisante d’une relation entre dominant et dominé, a imposé en 2003 – par son amendement à l’article 73, alinéa 5, de la Constitution, adopté avec la complicité du pouvoir en place à l’époque – le verrouillage de La Réunion. Cet alinéa exclut La Réunion de la possibilité dont bénéficient les autres collectivités de l’article 73 de disposer d’un pouvoir normatif dans des domaines relevant de la loi et du règlement.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Avis défavorable. La précision que vous demandez est inscrite dans la Constitution.
Votre exposé est par ailleurs très polémique et M. Virapoullé pourrait le considérer comme insultant ! Je voudrais au contraire cette proposition de loi consensuelle.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL6 de M. Christian Baptiste
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Sagesse. L’amendement est satisfait, mais j’en comprends l’intention symbolique.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement CL4 de M. Jean-Hugues Ratenon
Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Nous voudrions qu’un rapport examine les conséquences de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution sur le développement économique de La Réunion.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Avis défavorable. C’est l’amendement Virapoullé que vous remettez en cause. Chacun peut constater qu’il n’a pas empêché le développement économique de La Réunion, pas plus que l’instauration de la collectivité unique aux Antilles ne l’a accéléré. En laissant penser le contraire, cet amendement me semble contraire à l’esprit de la proposition de loi, dont je voudrais, je le redis, qu’elle soit aussi consensuelle que possible.
Par ailleurs, la commission des lois est par principe défavorable aux demandes de rapport, considérant que les travaux de contrôle de notre assemblée sont généralement de meilleure qualité et qu’il ne tient qu’à nous de nous emparer de ces sujets.
Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Cet amendement, à l’initiative duquel se trouvent Jean-Hugues Ratenon et Perceval Gaillard, élus de La Réunion, vise à ouvrir une discussion sur l’apport économique de l’amendement Virapoullé. On ne peut pas, je crois, dire que cela va de soi et qu’il n’y avait pas d’autre chemin.
Ce rapport, ce serait peut-être le seul effet concret de cette proposition de loi, dont vous admettez vous-même que pour le reste, elle n’en a pas !
Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Si l’amendement dit Virapoullé n’a aucune incidence sur l’adaptation des normes dans notre territoire, il est inutile ; s’il l’empêche, il est dangereux. Dans les deux cas, il doit être supprimé, comme le demandent six des sept députés de La Réunion. Or nous en sommes réduits à l’évoquer dans chaque texte que nous examinons car le réflexe outre-mer n’existe pas. Il n’y a pas de véritable adaptation des lois à notre territoire : le plus souvent, on y légifère par voie d’ordonnance.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement Virapoullé suscite l’envie à Mayotte car la norme induit le déploiement de l’administration et des services de l’État. La différence de développement entre ce département et La Réunion atteste de son bénéfice. Les trois quarts des dispositions débattues et votées par l’Assemblée ne s’appliquent pas à Mayotte. L’argument de la différenciation nous maintient dans l’arriération.
Je soutiens donc ma collègue Nathalie Bassire : le confort dans lequel les Réunionnais vivent, à seulement 1 000 kilomètres de Mayotte, est un rappel constant du traitement particulier dont ils bénéficient.
Mme Karine Lebon (GDR-NUPES). Si vous estimez que l’amendement Virapoullé a été une bonne chose pour La Réunion et qu’il suscite l’envie à Mayotte, vous devriez voter l’amendement CL4, qui demande un rapport sur ce qu’il a apporté. Cela nous permettrait de disposer d’éléments factuels pour étayer nos positions respectives.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Il y a certes sept députés de La Réunion, mais la population s’est exprimée aussi lors d’un sondage du conseil départemental. En conséquence, je maintiens mon avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL7 de Mme Florence Goulet
M. Yoann Gillet (RN). Cet amendement prévoit que le Gouvernement remette un rapport sur l’avancée de la départementalisation de Mayotte. L’article 73 de la Constitution pose déjà le principe de la convergence des droits pour les collectivités d’outre-mer, dont Mayotte. Celle-ci met pourtant du temps à se mettre en place du fait d’un principe de spécialité législative inscrit dans la loi et la Constitution – la récente loi pour contrôler l’immigration l’a montré.
Dans les faits, Mayotte diffère encore beaucoup du territoire hexagonal sur les plans économiques et sociaux, avec des dysfonctionnements majeurs de la puissance publique, dont une pénurie d’eau courante ayant duré plusieurs mois et une submersion migratoire venue des Comores, ainsi qu’une situation sociale dramatique, où le taux de chômage atteint 35 %. Il serait donc utile que la représentation nationale connaisse à quel stade d’application se trouve la départementalisation.
Mme Nathalie Bassire, rapporteure. La départementalisation de Mayotte est au cœur de la proposition de loi mais les travaux parlementaires, notamment ceux menés par nos collègues Mansour Kamardine et Guillaume Vuilletet au sein de cette commission, doivent primer sur les rapports du Gouvernement. Avis de sagesse car il s’agit de Mayotte.
La commission rejette l’amendement.
Titre
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL12 de Mme Nathalie Bassire.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Mme Nathalie Bassire (LIOT). Chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi portant actualisation de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française (n° 2542) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
M. Ben Issa Ousseni, président
M. Abdoul Kamardine, conseiller départemental
Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général
M. Arnaud Lauzier, adjoint au sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles
Votre rapporteure remercie Départements de France, ainsi que Mme Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion, pour leurs contributions écrites.
([1]) Il s’agit des propositions de loi n° 295 du 17 janvier 1946 de MM. Aimé Césaire et Léopold Bissol s’agissant de la Martinique, n° 409 du 12 février 1946 de M. Gaston Monnerville pour la Guyane française et n° 412 publiée le même jour de MM. Raymond Vergès et Léon de Lepervanche pour La Réunion.
([2]) André Oraison, « Radioscopie critique de la loi de départementalisation du 19 mars 1946 », Témoignages, 6 janvier 2023.
([3]) Tous les DROM n’ont néanmoins pas le même régime juridique. Dans un article « Les collectivités territoriales régies par l’article 73 », paru en avril 2012 dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnels (n° 35), le professeur de droit public Ferdinand Mélin-Soucramanien a ainsi dressé un panorama plus complet des régimes juridiques s’appliquant à ces collectivités, faisant référence à une « échelle de l’identité » distinguant au moins quatre degrés :
– le premier degré serait celui de La Réunion, qui bénéficie d’une « identité renforcée » : le principe d’identité législative s’y applique dans son entièreté, le cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution empêchant cette collectivité d’exercer un pouvoir législatif sur habilitation du Parlement ;
– le second degré serait celui de la Guadeloupe, pour laquelle le régime de droit commun de l’article 73 de la Constitution s’applique ;
– le troisième degré serait celui de la Martinique et de la Guyane, qui disposent toutes deux d’une assemblée délibérante unique ;
– enfin, le dernier degré serait celui de Mayotte, où les dispositions d’ordre législatif et réglementaire applicables en France hexagonale ont vocation à s’appliquer pleinement à Mayotte, après une période de transition (voir infra).
([4]) Yvan Combeau, « Les mots de la départementalisation. Mars 1946 », Travaux & documents, 2014, Texte et politique n° 47, pp.84-92.
([5]) André Oraison, « Radioscopie critique de la loi de départementalisation du 19 mars 1946 », Témoignages, 6 janvier 2023.
([6]) Cet article dispose en effet : « les territoires d'outre-mer sont dotés d'un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République.
Ce statut et l'organisation intérieure de chaque territoire d'outre-mer ou de chaque groupe de territoires sont fixés par la loi, après avis de l'Assemblée de l'Union française et consultation des assemblées territoriales. »
([7]) Article 35 de la loi n° 48-24 du 6 janvier 1948 relative à diverses dispositions d'ordre budgétaire pour l'exercice 1948 et portant création de ressources nouvelles.
([8]) Il s’agit, dans l’ordre d’examen, des amendements CL11, CL14, CL13, CL8, CL10 et CL9 de Mme Nathalie Bassire.