N° 2731
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête relative au respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur,
Par M. JÉrÉmie PATRIER-LEITUS,
Député.
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Voir le numéro : 2615 rect.
SOMMAIRE
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Pages
Examen de la recevabilité de la proposition
de résolution
Le président du groupe Horizons et apparentés a fait savoir, à l’occasion de la réunion de la conférence des Présidents du 14 mai dernier, que son groupe souhaitait utiliser son droit de tirage pour la création de la commission d’enquête prévue par cette proposition de résolution, en application du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.
Conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient uniquement à la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, commission permanente compétente au fond, de vérifier que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité ni adopter d’amendement.
De même, il n’y aura pas lieu de soumettre au vote de l’Assemblée nationale la proposition de résolution. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que celle‑ci répond aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.
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Les demandes tendant à la création d’une commission d’enquête doivent satisfaire aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ([1]), ainsi qu’aux critères fixés par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale reproduits ci‑après.
Dispositions encadrant la création des commissions d’enquête
Article 137
Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.
Article 138
1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.
2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.
Article 139
1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.
2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.
3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle‑ci met immédiatement fin à ses travaux.
Source : Règlement de l’Assemblée nationale.
● En premier lieu, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doit satisfaire à l’exigence d’une détermination précise des faits donnant lieu à enquête. Tel est le cas en l’espèce puisque l’article unique ainsi que l’exposé des motifs assignent à la commission d’enquête un champ d’investigations précis.
En effet, selon l’article unique, la commission d’enquête serait chargée « d’évaluer l’étendue et les fondements de la recrudescence des faits qui remettent en cause les valeurs de la République et le pluralisme dans l’enseignement supérieur ces dernières années ; d’identifier, à la lumière de ces faits, les pressions et influences idéologiques qui pèsent sur l’écosystème universitaire ; d’établir si les établissements d’enseignement supérieur et l’État sont dotés de moyens suffisants pour assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur ; d’identifier la pertinence des garanties actuelles du pluralisme et de la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur au regard du respect des principes républicains ; d’identifier les solutions pour remédier aux manquements et dérives constatés, dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique ».
L’exposé des motifs précise par ailleurs que les travaux de la commission porteraient plus spécifiquement sur :
– l’étendue et les raisons de ces dérives, et notamment les influences idéologiques qui pèsent sur l’écosystème universitaire ;
– leurs fondements ;
– les moyens dont sont dotés les établissements et l’État afin d’assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme ;
– l’identification des solutions et des mesures à mettre en œuvre pour remédier aux manquements et dérives constatés, dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique.
La proposition de résolution est donc conforme aux dispositions de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.
La finalité de la commission d’enquête dont il est demandé la création correspond également à l’esprit et à la lettre de l’alinéa 2 de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 : en proposant de faire la lumière sur l’étendue et les raisons des faits remettant en cause les valeurs de la République et du pluralisme, ainsi que l’évaluation des moyens dont disposent les établissements d’enseignement supérieur et l’État pour assurer leur respect la proposition de résolution invite de fait à « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics […] ».
● En second lieu, la proposition de résolution définit un champ d’investigations qui ne paraît pas de nature à interférer avec celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés dans les douze derniers mois.
En effet, le recensement des commissions d’enquête créées depuis plus d’un an à l’Assemblée nationale montre qu’aucune ne présente le même objet ([2]), bien que les travaux menés par la commission des Affaires culturelles et de l’éducation aient pu, en plusieurs occasions, aborder certaines thématiques évoquées par la présente proposition de résolution.
Ainsi, la présente proposition de résolution remplit la condition de recevabilité prévue à l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.
● En dernier lieu, la proposition de résolution ne contrevient pas à l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête portant sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires.
Certes, dans sa réponse en date du 30 mai 2024 adressée à la Présidente de l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux indique que « le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir des procédures pénales en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».
Néanmoins, l’existence de contentieux portés devant les juridictions ne constitue pas en soi un obstacle dirimant. D’une part, la commission d’enquête n’aura ni à connaître ni à se prononcer sur les litiges susceptibles d’opposer les administrations ou services publics et les justiciables, pas plus que sur les demandes de réparation que ces derniers pourront porter devant les juridictions. D’autre part, ainsi que le rappelle le courrier du garde des Sceaux, « l’articulation de l’enquête parlementaire avec les procédures judiciaires […] ne devant pas donner lieu à des investigations sur des aspects relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire » ; la commission d’enquête devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas étendre ses investigations à des faits faisant l’objet d’instances devant l’autorité judiciaire.
Dès lors et sous cette réserve, l’existence de procédures en cours n’entraîne pas l’irrecevabilité de la présente proposition de résolution au regard de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.
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Aussi, il résulte de l’analyse qui précède que la proposition de résolution n° 2615 rectifié est juridiquement recevable au regard des exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 137 à 139 du Règlement.
La Commission procède à l’examen, en application de l’article 140 alinéa 2 du Règlement, de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative au respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur, lors de sa séance du 5 juin 2024 ([3]).
Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative au respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur.
Le président du groupe Horizons et apparentés a fait savoir, lors de la réunion de la conférence des présidents du 14 mai dernier, que son groupe souhaitait utiliser son droit de tirage pour la création de cette commission d’enquête. En application du second alinéa de l’article 140 du règlement, il appartient à notre commission, à laquelle la proposition de résolution a été renvoyée, de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans pouvoir se prononcer sur son opportunité ni adopter aucun amendement.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Lors de la réunion de la conférence des présidents du mardi 14 mai 2024, M. Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons et apparentés, a indiqué faire usage du droit de tirage que le deuxième alinéa de l’article 141 du règlement de l’Assemblée nationale accorde, une fois par session ordinaire, à chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire, pour la création de la commission d’enquête prévue par cette proposition de résolution. En conséquence, conformément au second alinéa de l’article 140 du règlement, il revient à notre commission de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission d’enquête sont réunies. Je souhaite ici préciser, comme vient de le faire Mme la présidente, que nous devons nous prononcer aujourd’hui sur la recevabilité, et non sur l’opportunité de la création d’une telle instance.
Trois conditions sont requises.
En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision […] les faits qui donnent lieu à enquête ». En l’occurrence, les faits semblent définis avec une précision suffisante puisque, selon l’article unique de la proposition de résolution, la commission d’enquête serait chargée « d’évaluer l’étendue et les fondements de la recrudescence des faits qui remettent en cause les valeurs de la République et le pluralisme dans l’enseignement supérieur ces dernières années ; d’identifier, à la lumière de ces faits, les pressions et influences idéologiques qui pèsent sur l’écosystème universitaire ; d’établir si les établissements d’enseignement supérieur et l’État sont dotés de moyens suffisants pour assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur ; d’identifier la pertinence des garanties actuelles du pluralisme et de la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur au regard du respect des principes républicains ; d’identifier les solutions pour remédier aux manquements et dérives constatés, dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique ». Le premier critère est donc rempli.
En deuxième lieu, une telle proposition de résolution est irrecevable si, dans l’année qui précède sa discussion, s’est réunie une commission d’enquête ayant le même objet. Ce n’est pas le cas en l’espèce, bien que les travaux de la commission des affaires culturelles aient pu, à quelques occasions, aborder certaines thématiques évoquées par la présente proposition de résolution. Cette dernière remplit donc le deuxième critère de recevabilité.
Enfin, en application de l’article 139 du règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit même que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».
Interrogé par la présidente de l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a fait savoir, dans un courrier du 30 mai 2024 dont nous n’avons eu connaissance qu’hier, après que le projet de rapport vous a été communiqué, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée « est susceptible de recouvrir des procédures pénales en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». La commission devra donc veiller, au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire, comme le rappelle d’ailleurs la Chancellerie dans son courrier.
Sous cette réserve, il apparaît que la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête est juridiquement recevable.
Mme Julie Lechanteux (RN). La création de cette commission d’enquête est nécessaire. Elle rejoint les propositions que nous avions nous-mêmes formulées après les épisodes de violences et d’intimidations auxquels nous avons assisté ces derniers mois.
Le groupe Rassemblement national avait déjà constaté à plusieurs reprises la montée fulgurante de l’antisémitisme ainsi que la multiplication des cellules et groupuscules œuvrant publiquement contre nos institutions et nos valeurs. Nous avions même proposé la création d’une mission d’information dont le périmètre correspondait, dans les grandes lignes, à celui de la commission d’enquête dont nous discutons ce matin.
Nous voterons donc en faveur de la création de cette commission d’enquête, qui nous semble satisfaisante tant sur le fond que sur la forme.
M. Hendrik Davi (LFI-NUPES). Pour faire face aux enjeux actuels, l’université a besoin de moyens ; or l’effort de la France en recherche et développement (R&D) stagne et Bruno Le Maire exige un milliard d’économies supplémentaires. Voilà le principal problème auquel est confrontée l’université ! Mais l’urgence, pour le groupe Horizons et apparentés, est de jeter la suspicion sur la communauté universitaire en demandant une commission d’enquête et en justifiant sa proposition par un exposé des motifs digne d’un débat sur CNews. Ce n’est pas nouveau. Frédérique Vidal, Jean-Michel Blanquer et Gabriel Attal ont tour à tour repris à leur compte le fantasme obsessionnel du Rassemblement national – qui s’en félicite d’ailleurs – sur le prétendu wokisme islamo-gauchiste de l’université.
Aux termes de l’article 137 du règlement, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision […] les faits qui donnent lieu à enquête ». Or votre exposé des motifs ne cite aucun chiffre. La plupart des postulats sont biaisés, quand ils ne sont pas carrément islamophobes. Vous citez certaines annulations de conférence, mais vous en oubliez d’autres tout aussi graves.
Pour cadrer votre commission d’enquête, vous auriez dû en rester aux principes. Tout d’abord, l’université doit demeurer autonome des pouvoirs politiques et des Églises. Cela commence par le respect des franchises universitaires, un principe datant de 1231 qui interdit aux forces de l’ordre d’intervenir dans les universités sans leur accord. Ensuite, l’université doit garantir la liberté d’expression des étudiants et des personnels ainsi que la liberté académique des scientifiques. Ce sont précisément ces principes qui sont mis à mal dans votre exposé des motifs. L’étude des discriminations et du colonialisme n’entrave en rien les valeurs de la République. S’attaquer à ces recherches, comme vous le faites, constitue une menace réelle pour la liberté académique.
À nos yeux, cette proposition de résolution n’est pas recevable. Nous aurions plutôt besoin d’une commission d’enquête pour examiner les conséquences des attaques terroristes du 7 octobre et de la politique génocidaire conduite à Gaza sur la liberté académique et la liberté d’expression !
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Le groupe Horizons et apparentés est particulièrement sensible aux conditions de travail des professeurs d’université et des étudiants, alors que l’actualité semble témoigner d’une remise en cause croissante des valeurs de la République telles que la liberté d’expression, la liberté d’association, la laïcité et l’égalité devant la loi.
Cette commission d’enquête visera à établir si les faits évoqués sont constitutifs d’une dérive au sein de l’enseignement supérieur, à en identifier les fondements et à déterminer si les établissements et l’État sont dotés de moyens suffisants pour assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme. Il s’agira enfin d’identifier les solutions et les mesures à mettre en œuvre afin de trouver une voie vers l’apaisement, toujours dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique.
Le fameux droit de tirage annuel permet à chaque groupe de demander la création de la commission d’enquête de son choix. Le groupe Horizons et apparentés suivra l’avis du rapporteur, qui estime que cette proposition de résolution doit être déclarée recevable : elle détermine les faits qui donnent lieu à enquête ; ces faits n’ont pas fait l’objet d’une mission d’information précédente ; le garde des sceaux ne semble pas avoir fait connaître que des poursuites judiciaires liées aux faits ayant motivé le dépôt de la proposition sont en cours. En tout état de cause, la commission veillera tout au long de ses travaux à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.
Nous serons donc attentifs aux travaux menés et aux conclusions de cette commission d’enquête.
M. Alexandre Portier (LR). Je salue la création de cette commission d’enquête sur un sujet trop longtemps banalisé, quand il n’était pas tout simplement nié : l’entrisme et le militantisme puissant de certains mouvements radicaux au sein de l’enseignement supérieur. Les valeurs de la République sont inscrites dans l’ADN de l’université et, à ce titre, ne sont pas négociables.
La commission d’enquête fait écho aux travaux de la mission d’information sénatoriale sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, mais elle ne se cantonne heureusement pas à ce seul sujet. C’est bien tout un écosystème qu’il convient aujourd’hui d’analyser.
Je souhaite insister sur un point crucial : le poids de certaines associations étudiantes qui diffusent des discours dangereux et mènent des actions scandaleuses, parfois illégales, alors qu’elles bénéficient de subventions publiques. Je pense notamment à la revendication par l’Unef (Union nationale des étudiants de France) des blocages dans les universités en soutien à la Palestine et à l’annulation d’une conférence le 28 mars dernier à l’université de Grenoble à la suite de violences.
M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Nous sommes pour le moins circonspects.
Les propos de certains collègues révèlent les intentions cachées, quoique si peu, derrière la demande de commission d’enquête. On nous sert toujours la même rengaine : la République serait constamment bafouée ; ses valeurs ne seraient pas respectées ; le pluralisme serait entravé, en particulier dans l’enseignement supérieur.
Après une première tentative déshonorante d’instrumentaliser l’enseignement supérieur avec une enquête sur le prétendu islamo-gauchisme à l’université, les groupes de la majorité s’honoreraient à ne pas persister dans la chasse aux sorcières. Si ce n’était aussi pesant, répétitif et caricatural, nous serions tentés de laisser dire et d’en rire, de ne pas prendre part à cette enquête dont le cadre paraît dépourvu de la rigueur qui devrait le caractériser. Mais nous y serons représentés afin de nous y exprimer et d’entendre ce qu’il s’y dira, et qui parfois nous écorchera les oreilles.
Nous y participerons afin de défendre la liberté académique qui est essentielle à nos yeux. Hendrik Davi l’a dit, l’université doit conserver son autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques et religieux. Cette autonomie dérange nombre de gens et à plusieurs niveaux : lorsque l’on veut minimiser les enjeux climatiques et écologiques, la science est gênante ; lorsque l’on veut museler les libertés individuelles et combattre l’égalité, la liberté d’expression est gênante – je pourrais continuer ainsi longtemps.
Il est préoccupant de nier qu’outre des lieux consacrés à la transmission des connaissances, nos facultés ont toujours été le terrain de joutes politiques et d’expression de la pensée critique.
Je souhaite donc bon courage au futur président de la commission d’enquête pour assurer un débat « de qualité » sans se faire « déborder par d’éventuelles radicalités ». Pour ne pas créer de précédent, nous nous abstiendrons, mais nous resterons extrêmement vigilants.
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). À l’heure où les frais d’inscription à l’université augmentent de 2,9 %, la priorité du groupe Horizons et apparentés est de s’interroger sur les valeurs de la République dans nos universités.
Lorsqu’on considère, de manière raisonnable, la réalité du terrain, on s’aperçoit que la commission d’enquête, loin d’être attendue, est décriée. Les usagers, les organisations étudiantes, les enseignants ainsi que les présidents d’université n’en veulent pas. Ils souhaitent un travail parlementaire qui pense un modèle d’enseignement supérieur dans lequel les frais d’inscription des étudiants ne compensent pas les baisses de dotations des universités. Ils souhaitent un accompagnement financier des établissements, des logements rénovés, des Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) mieux dotés, la fin de la précarité : tout ce que cette commission d’enquête ne propose pas.
Parce que nous réfutons l’opportunité d’une telle commission d’enquête, nous ne prendrons pas part au vote.
Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES). En février 2021, l’ancienne ministre Frédérique Vidal annonçait son intention de demander au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) une étude portant sur l’islamo-gauchisme à l’université. Le CNRS avait alors condamné ceux qui tentaient de profiter de l’usage de ce terme pour remettre en cause la liberté académique ou stigmatiser certaines communautés scientifiques Trois ans plus tard, l’offensive réactionnaire contre les libertés académiques se poursuit.
Le groupe Horizons et apparentés dénonce l’importation depuis les États-Unis d’une culture wokiste ou relativiste qui viserait à réduire au silence, dans l’espace public, tous ceux dont les paroles ou le comportement sont jugés offensants. Les auteurs de la proposition de résolution, comme la ministre de la culture d’ailleurs, sont incapables de définir le wokisme. Pourtant, l’article 137 du règlement dispose que la proposition de résolution doit « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».
Nous sommes convaincus que la commission d’enquête a pour unique objectif d’instrumentaliser l’enseignement supérieur et de dénigrer les mouvements contestataires en les renvoyant à une même identité fictive aux contours poreux.
Le groupe GDR-NUPES ne s’opposera pas à la création de la commission puisqu’elle résulte du droit de tirage d’un groupe politique. Il y participera afin de défendre les valeurs d’indépendance, de liberté d’expression et de réunion inhérentes à notre modèle d’enseignement supérieur.
En application de l’article 140, alinéa 2, du règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont remplies.
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([1]) Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.