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N° 1685

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIXIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2023.

 

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

MM. Marc FERRACCI et Jérôme GUEDJ,

 

Députés.

 

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SOMMAIRE

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Pages

Avantpropos de M. MARC FERRACCI, co-rapporteur

Avantpropos de M. Jérôme Guedj, co-rapporteur

Introduction

I. Les allègements généraux de cotisations sociales : une politique au coût budgétaire particulièrement élevé dont l’efficacité repose principalement sur un ciblage à proximité du salaire minimum

A. Une politique publique ancienne qui a connu une forte accélération depuis 2014

1. Une politique ancienne renforcée de manière sensible au cours de ces dernières années

a. La réduction générale de cotisations sur les bas salaires

b. L’exonération de cotisations d’assurance-maladie, ou « bandeau maladie »

c. L’exonération de cotisations d’allocation familiale, ou « bandeau famille »

2. Une forte augmentation des montants des réductions générales de cotisations sociales, qui signale un « effet d’emballement » en lien avec un contexte économique singulier

3. La distribution des entreprises concernées par les allègements généraux et leur impact sur celles-ci

a. Les allègements généraux bénéficient davantage aux petites entreprises et aux secteurs d’activité caractérisés par des niveaux de salaires plus faibles

b. La répartition du bénéfice du bandeau famille est moins sensible au profil de l’entreprise que celle de la réduction de cotisations sur les bas salaires

B. Allègements généraux et trappes à bas salaires : des risques théoriques non avérés par les études empiriques

1. Il est régulièrement imputé aux allègements généraux de créer des trappes à bas salaires

2. Toutefois, les études existantes n’identifient pas de lien causal entre les dispositifs d’allègements généraux et les phénomènes de « trappes à bas salaires »

C. Le « bandeau famille » : une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées sans effet significatif sur l’emploi ou la compétitivité

1. Une mesure conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie

2. Des effets sur l’emploi quasiment nuls

3. Des effets difficilement décelables sur la compétitivité

D. Mieux cibler les exonérations de cotisations sociales : des critères à étudier et une mise en œuvre à détailler

1. Les conditions de mise en œuvre d’un ciblage plus fin des allègements généraux de cotisation

2. Des études récentes montrent l’intérêt économique que pourrait revêtir un ciblage des allègements en fonction de critères relatifs aux entreprises bénéficiaires

a. Selon la situation financière des entreprises

b. Selon l’âge des entreprises

II. conditionner les allègements généraux à la négociation salariale : une pratique existante mais marginale, une généralisation qui se heurte à des obstacles importants

A. La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît déjà une forme d’application

1. La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît un regain d’intérêt depuis quelques années

2. Le droit en vigueur prévoit déjà certaines conditions au bénéfice des allègements généraux

a. L’interdiction du travail illégal

b. La condition relative à l’obligation de négociation sur les salaires effectifs

3. L’absence de consensus sur l’opportunité d’étendre la conditionnalité des allègements généraux à d’autres domaines

B. Lier le bénéfice des allègements généraux à la négociation salariale de branche : une proposition qui se heurte à des obstacles importants

1. Une proposition qui s’inscrit dans un contexte particulier de revalorisations importantes et régulières du Smic...

2. … mais qui se heurte à des écueils importants

III. Les exonérations de cotisations et contributions sociales en fonction de l’âge : un outil efficace pour augmenter le taux d’emploi ?

A. malgré une évolution positive sur les dernières années, La situation de l’emploi des seniors reste préoccupante en France

1. Un changement de politiques publiques en ce qui concerne l’emploi des seniors

2. Une évolution favorable mais encore insatisfaisante de l’emploi des seniors

B. Des exonérations supplémentaires nécessiteraient de pouvoir démontrer leur bénéfice pour ces populations spécifiques

1. La France a peu à peu supprimé les exonérations et dispositifs spécifiques en lien avec l’âge

2. En l’absence de consensus, plusieurs pistes sont évoquées en matière d’exonérations ciblées en fonction de l’âge

3. Les principaux risques d’une nouvelle exonération liée à l’âge

Travaux de la commission

ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par lEs rapporteurs

 

    


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   Avant‑propos de M. MARC FERRACCI, co-rapporteur

Évaluer l’efficacité de la dépense publique est une ardente nécessité. Dans les prochaines années les investissements dans nos services publics, dans notre protection sociale et dans notre souveraineté nous imposent de dégager des marges de manœuvres nouvelles. Il faut pour cela avoir le courage de réduire, voire de supprimer les dépenses inefficaces. Ce principe de bonne gestion est aussi un enjeu de transparence démocratique. Nos concitoyens doivent savoir si les dépenses qui sont engagées en leur nom atteignent les objectifs fixés par le législateur, et notamment savoir si elles contribuent à créer de l’activité et des emplois.

Le présent rapport s’inscrit dans cette ambition, en se penchant sur l’impact des exonérations de cotisations sociales qui bénéficient aux entreprises. Évaluer cet impact est d’autant plus essentiel que ces exonérations connaissent une dynamique importante, et atteignent aujourd’hui un montant considérable : les allègements généraux portant sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic sont ainsi passés de 1,1 point du PIB en 2004 à 2,8 points en 2022, soit près de 80 milliards d’euros. Ces chiffres ne sont pas, en soi, problématiques, dès lors que les exonérations permettent de créer ou de maintenir l’emploi, ce qui constitue leur justification essentielle depuis que les premiers dispositifs d’allègements ont vu le jour au début des années 90.

Dans ce rapport nous avons donc cherché à évaluer les effets concrets des allègements, en particulier ceux qui portent sur les plus hauts niveaux de salaires, et dont de nombreuses études économiques suggèrent que leurs effets sur l’emploi et la compétitivité des entreprises sont faibles, voire insignifiants. Nous avons également souhaité éclairer le débat public sur l’opportunité de conditionner les allègements à une négociation salariale plus active, notamment au niveau de la branche. Nous avons enfin interrogé lors de nos auditions l’intérêt de pratiquer des exonérations plus importantes pour les salariés seniors, dans le but théorique de favoriser leur maintien ou leur retour dans l’emploi.

Je suis heureux d’avoir pu bénéficier de la grande expérience de mon collègue Jérôme Guedj sur les enjeux liés à la protection sociale, et d’avoir pu établir sur ces différents points un diagnostic partagé avec lui. Les auditions que nous avons menées pendant plusieurs semaines avec les partenaires sociaux, les administrations et des chercheurs académiques ont été riches et stimulantes, et nous ont permis d’enrichir et d’élargir notre vision des allègements de charges sociales. Certes, les implications politiques que nous tirons de ce diagnostic partagé peuvent différer, mais il est crucial de fonder les débats parlementaires à venir sur un socle solide. C’est le signe qu’un travail transpartisan sur un sujet aussi important est possible et, je l’espère, fertile.

Concernant l’impact des allègements, les auditions ont largement confirmé les résultats issus des évaluations académiques depuis de nombreuses années. Ces résultats montrent qu’alléger le coût du travail sur les plus hauts salaires ne permet pas de soutenir efficacement l’emploi, ni la compétitivité des entreprises. En effet, l’impact des allègements dépend de la capacité des entreprises à ne pas répercuter ces allègements sur les salaires bruts. Or, pour des niveaux de salaires élevés, le pouvoir de négociation des salariés est tel qu’il leur permet de capter une large part des exonérations au travers des augmentations de salaire ultérieures.

La question du seuil de salaire au-delà duquel les allègements perdent leur efficacité reste débattue. Certains chercheurs ont insisté sur le fait que dès 1,6 Smic cette efficacité devient faible, même si elle n’est sans doute pas nulle. En tout état de cause, il nous a semblé que le maintien des exonérations de cotisations familiales (dites « bandeau famille ») portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic ne se justifiait pas, c’est pourquoi nous proposons de les supprimer. Cette suppression se traduirait par un surcroît de ressources de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour le budget de l’État, à travers une moindre compensation due à la branche famille de la sécurité sociale.

Je considère pour ma part que les ressources tirées de la suppression du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic gagneraient à être utilisées pour mettre en œuvre des baisses de prélèvements sur les entreprises plus efficaces pour l’activité et l’emploi que les exonérations sur les hauts salaires. En particulier, un renforcement des exonérations sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic, ainsi qu’un meilleur lissage des exonérations autour du seuil de 1,6 Smic contribueraient à renforcer les effets sur l’emploi, sans surcoût pour les finances publiques. Alternativement, une baisse plus rapide et/ou plus ample des impôts de production pourrait être envisagée, dans l’esprit des propositions du Conseil d’analyse économique dans son rapport de 2019 (« Baisses de charges : stop ou encore ? »).

En d’autres termes, le cap suivi depuis 2017 par la majorité présidentielle est de ne pas augmenter les impôts, et il doit être maintenu. Mais ceci ne doit pas conduire à vitrifier notre système de prélèvements obligatoires, en laissant perdurer des dépenses inefficaces. Être plus sélectif doit permettre d’aller plus vite vers l’objectif du plein emploi. Si cette option de suppression du « bandeau famille » devait être retenue, il serait par ailleurs nécessaire de l’envisager de manière progressive, afin de donner le temps aux entreprises et aux secteurs les plus concernés de s’adapter.

Une autre question essentielle est celle de la possibilité de trappes à bas salaires liées aux allègements. Sur ce sujet, les auditions et la recension des travaux scientifiques n’ont pas mis en évidence de telles trappes. Toutefois nous avons souhaité soulever lors des auditions l’hypothèse selon laquelle les exonérations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic, combinées à la prime d’activité dont le point de sortie est proche – 1,5 Smic – pourraient générer malgré tout des phénomènes de trappes, ou tout du moins, de ralentissement des augmentations salariales vers 1,5‑1,6 Smic. En l’absence de données exploitables pour répondre à cette question dans les délais impartis au présent rapport, nous recommandons de poursuivre la réflexion sur ce point.

L’opportunité de conditionner les allègements à certains objectifs sociaux, et notamment à la conformité des minima de branches au niveau du Smic a également été largement abordée lors des auditions, sur la base des propositions faites par certaines organisations syndicales. Il m’apparaît que les arguments contre une telle proposition l’emportent largement. Certains intervenants, et notamment des chercheurs, ont ainsi insisté sur le fait qu’à un instrument donné de politique publique (ici, les exonérations) devait correspondre un seul objectif (ici, l’emploi), au risque de n’atteindre aucun des multiples objectifs qui seraient poursuivis. Se donner pour ambition de réduire le coût du travail avec les allègements tout en incitant les entreprises à l’augmenter au travers des augmentations du salaire brut apparaît paradoxal, et même assez incohérent. Par ailleurs, les obstacles juridiques et opérationnels à une telle mesure ont été soulignés, notamment par les administrations centrales interrogées, et en feraient probablement une usine à gaz qu’il convient d’éviter.

S’agissant enfin de l’opportunité de renforcer les exonérations pour les salariés seniors, les risques d’effet d’aubaine surpassent largement les effets positifs qu’il serait possible d’en attendre. Cette mesure n’aurait sans doute un effet bénéfique que pour une petite partie des salariés expérimentés et probablement pas pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.

Au final, la rédaction de ce rapport me permet d’insister sur la nécessité de systématiser l’évaluation d’impact des dépenses publiques, et de remettre en cause celles dont l’efficacité n’est pas avérée. Au-delà des exonérations de charges, il conviendrait d’élargir la démarche à l’ensemble des dépenses d’intervention économiques et sociales. Je préconise en particulier d’étudier la mise en œuvre du principe des « clauses d’extinction » (« sunset clauses »), consistant à assortir certains dispositifs d’un calendrier dans lequel ils feraient l’objet d’une évaluation indépendante. La pérennisation de ladite mesure ne serait envisagée que si l’évaluation montre que celle-ci attient les objectifs qui ont été fixés par le législateur. Il s’agirait en somme d’inverser la charge de la preuve : plutôt que de devoir prouver l’inefficacité d’une mesure pour la supprimer – comme c’est le cas pour ce rapport avec les exonérations sur les hauts salaires –, il faudrait prouver son efficacité pour la pérenniser. Ce principe permettrait selon moi de renforcer la confiance de nos concitoyens dans l’action publique, et partant, le consentement à l’impôt.

Qu’il me soit permis, enfin, de remercier l’ensemble des personnes auditionnées lors de cette mission pour la qualité des échanges que nous avons eus. Je souhaite également remercier les administrateurs de l’Assemblée nationale pour leur compréhension fine des enjeux, ainsi que pour l’efficacité et la célérité dont ils ont fait preuve pour la rédaction de ce rapport dans des délais contraints.


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   Avant‑propos de M. Jérôme Guedj, co-rapporteur

À l’heure où l’argent public se fait rare, où le « quoi qu’il en coûte » est terminé, une dépense gonfle et s’emballe : les allègements généraux de cotisations sociales patronales. En trente ans, leur coût a explosé. L’ensemble des allègements de cotisations sociales et exemptions d’assiette représentent désormais plus de 80 milliards d’euros. Les allègements généraux portant sur les salaires inférieurs à 3,5 Smic sont passés de 1,1 point du PIB en 2004 à 2,8 points en 2022. Encore plus frappant est « l’effet d’emballement » de ces dernières années : pour le seul régime général, le montant des exonérations a doublé entre 2013 et 2022, et pour la seule année 2002, il a augmenté de 14,5 % en 2022 pour atteindre un peu plus de 73 milliards d’euros.

Cette dynamique récente s’inscrit toutefois dans une tendance profonde. Toutes les politiques économiques des trente dernières années ont essayé de réduire le chômage des personnes sous-qualifiées en baissant le coût du travail. Trois décennies d’allègements se succèdent et s’empilent. De Balladur à Juppé dans les années 90 en passant par les gouvernements Jospin (1998 et 2002) et Fillon (2003) au « pacte de responsabilité et de solidarité » et au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) du Gouvernement Ayrault (2012 et 2014) – supprimé en 2019, puis transformé en nouveaux allègements – les exonérations de cotisations sociales n’ont cessé de croître dans leurs taux mais aussi dans le nombre de travailleurs concernés. Ces dernières décennies, aucun autre outil de politique publique n’aura été mobilisé avec une telle ampleur et une telle persistance.

C’est la raison pour laquelle, avec mon collègue Marc Ferracci, nous avons eu à cœur de nous emparer du vaste sujet du « contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations et de contributions sociales » à l’occasion du premier cycle d’évaluation « au long cours » de la Mecss de cette XVIe législature. Confirmant ainsi la nécessité de renforcer l’évaluation de sommes aussi importantes, et dès le départ, nous avons manifesté la volonté de dépasser les slogans et les postures, de rendre les auditions riches et vivantes, et d’aller au fond du sujet. De fait, l’ambition de ce rapport est de faire un point d’étape sur l’efficacité économique des baisses de cotisations sociales et de commencer à documenter le droit d’inventaire. Il devra être poursuivi. Pour ce faire, nous avons auditionné une grande variété d’acteurs, organisations syndicales et patronales, les principales administrations centrales compétentes sur le sujet, les corps d’inspection et un panel d’économistes qui ont travaillé sur l’évaluation de ces dispositifs.

Au-delà de ses implications techniques, la lecture de ce rapport doit être l’occasion de reposer les termes du débat à propos des cotisations sociales. Dès le XIXe siècle, les assurances sociales ont été mises en place en dehors de l’État. Les ouvriers ou les employeurs organisaient alors les mutuelles de l’assurance sociale. Ces assurances sociales étaient financées par un prélèvement sur le salaire et non par l’impôt. Dans une société où l’individualisme libéral progressait, la cotisation sociale fut la clé de voûte d’une solidarité qui dépasse l’individu et qui n’attend pas l’État. À la Libération, les fondateurs de la sécurité sociale ont conservé ce principe de la cotisation pour intégrer les travailleurs à la gestion du système de protection sociale, d’une part, et pour éviter que les dépenses sociales ne soient soumises à la contrainte budgétaire d’autre part. Aux yeux des Français, la cotisation sociale se distinguait alors du prélèvement obligatoire : elle se concevait comme un salaire différé, c’est-à-dire comme le pendant des nouveaux droits‑créances de l’État‑Social. Recette générée par le travail, la cotisation, loin d’être une charge, permet de financer notre modèle social protecteur et généreux, c’est-à-dire mettre les moyens en commun pour satisfaire nos besoins sociaux.

Toutefois, depuis le début des années 1980, les cotisations sociales sont l’objet d’une intense bataille culturelle et sémantique. Dès 1982, Yvon Gattaz, président du Conseil National du Patronat Français (CNPF) lance « la bataille des charges » pour réclamer la réduction de la participation des employeurs au financement de la protection sociale, qui serait un poids pour l’activité économique. Dans les années 1990, et notamment avec l’achèvement du marché unique européen, ce discours sur le coût du travail et le poids des « charges sociales » se déploie avec une intensité redoublée. Progressivement, l’idée que les cotisations sociales sont un fardeau qu’il faut réduire se répand et s’impose comme une soi‑disant évidence partagée. Les cotisations sociales deviennent alors des charges qu’il faut réduire sans se poser de questions et non plus les ressources légitimes adossées au travail permettant de financer notre modèle social singulier.

C’est ce postulat de la nécessité et de l’efficacité de la réduction constante des « charges » qui est ici questionné. De fait, recentrer le débat sur l’efficacité des réductions ou des exonérations de cotisations sociales permet d’identifier la réduction des cotisations avant tout comme une perte de recette. Désormais le problème à résoudre n’est plus l’hypertrophie des « charges » mais le coût vertigineux des baisses des cotisations dont, pour une part significative d’entre‑elles, l’efficacité économique est très incertaine, voire totalement nulle.

Au fil de nos auditions, de mon point de vue, deux constats se sont imposés. D’une part, plus une exonération concerne un niveau de rémunération proche du Smic plus elle est susceptible d’avoir des effets bénéfiques sur l’emploi. D’autre part, certains allègements sont insuffisamment ciblés. S’il a été démontré que deux tiers de ces dépenses exercent des effets positifs sur le marché de l’emploi – les allègements portant sur les bas salaires allant jusqu’à 1,6 Smic ayant créé les centaines de milliers d’emplois attendus –, l’impact d’un tiers des exonérations reste vague. Les travaux d’évaluation existants, notamment du CICE, par le Conseil d’analyse économique, France Stratégie, l’Institut des politiques publiques, l’Observatoire français des conjonctures économiques ou du laboratoire interdisciplinaire de Sciences Po (Liepp), invitent au scepticisme et nourrissent une critique raisonnée des exonérations sociales portant sur les salaires situés au‑delà de 1,6 Smic, et a fortiori, envers celles portant sur les salaires au‑delà de 2,5 Smic.

D’ailleurs, au regard de l’objectif de soutien à l’emploi et de lutte contre le chômage, le Conseil d’analyse économique recommandait déjà en 2019 l’abandon des baisses de cotisations au-dessus de 2,5 Smic.

L’exemple du « bandeau famille » est éloquent : l’exonération de cotisations familiales – une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées, pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie en 2014 – a des effets quasiment nuls sur l’emploi et difficilement décelables sur la compétitivité. Son abandon devrait être pris au sérieux. C’est la proposition forte de notre travail transpartisan. Avec mon co‑rapporteur Marc Ferracci, avec qui j’ai eu plaisir à travailler en bénéficiant de son expertise incontestable de chercheur devenu député sur ces enjeux, nous ne partageons pas les conséquences que nous tirons de ce constat et l’usage qui pourrait être fait de l’économie ainsi réalisée. C’est le sel du débat démocratique, qui gagne à être éclairé. Il ne doit pas y avoir de tabou à questionner le « pognon de dingue » que mobilisent ces exonérations.

Priver la sécurité sociale d’autant de recettes à l’heure des crises sanitaires, des pénuries de personnels à l’hôpital ou dans les Ehpad, à ce niveau, avec une telle persistance, et avec une garantie relative d’efficacité interroge et peut inquiéter. Plusieurs questions émergent alors naturellement. Si environ un tiers des allègements n’a pas d’impact positif connu sur les marges, la compétitivité ou l’emploi dans les entreprises françaises, à quoi bon persister dans cette inertie et raréfier davantage les ressources publiques ? Si les rapports d’analyse économique prônent des baisses de cotisations plus sélectives, qu’attendons-nous ?

Ce rapport soulève également la question de la faisabilité de nouveaux chantiers, comme la conditionnalité des allègements, qui pourrait être un levier intéressant pour accélérer la transition écologique et sociale de notre modèle productif. En déterminant de véritables contreparties telles que le développement de l’emploi de qualité, la revalorisation les salaires, la fixation de critères environnementaux, la puissance publique pourrait aménager les dépenses en fonction de l’atteinte d’objectifs précis. Au fil des auditions, nous avons pu constater que ce chantier de la conditionnalité fait l’objet de réflexions intéressantes notamment au sein des organisations syndicales mais qu’à ce stade, les recommandations envisagées ne sont pas pleinement opérationnelles. Aussi, j’appelle de mes vœux à ce qu’un travail d’approfondissement soit mené sur cet aspect, notamment sur la hiérarchisation des conditions entre elles, sur le suivi des contreparties et sur les mécanismes d’incitation ou de sanction à envisager.

Je finis cet avant-propos en soulignant la qualité des auditions qui ont été menées, l’apport décisif des administrateurs de l’Assemblée nationale qui nous ont accompagnés dans ce travail et en faisant le vœu que ce travail soit fécond et utile pour nous faire avancer collectivement sur le sujet.


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   Introduction

En mars 2023, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale (Mecss) a confié à vos rapporteurs la responsabilité de mener des travaux portant sur l’efficacité et le contrôle des exonérations de cotisations sociales. Ces travaux ont abouti à la rédaction du présent rapport dont le champ porte plus précisément sur les réductions générales de cotisations sociales patronales dites « allègements généraux ».

Ces allègements comportent trois principales composantes :

– la réduction dégressive portant sur les salaires compris entre 0 et 1,6 Smic, dite « allègement Fillon » ;

– la réduction de 6 points de cotisations maladies portant sur les salaires compris entre 0 et 2,5 Smic dite « bandeau maladie » ;

– la réduction d’1,8 point de cotisations familiales portant sur les salaires compris entre 0 et 3,5 Smic dite « bandeau famille ».

Initialement conçus dans les années 1990 comme un moyen de lutter contre le chômage de masse via la réduction du coût du travail des salariés rémunérés autour du Smic, les allègements généraux ont peu à peu été étendus tant dans leur ampleur – par l’augmentation du taux d’exonération – que dans leur périmètre – par l’élargissement de l’assiette aux salaires allant jusqu’à 2,5 Smic voire 3,5 Smic pour la réduction de cotisations familiales. Cette extension a conduit à ce que ce dispositif devienne un instrument incontournable de la politique en faveur de l’emploi. En 2022, « l’allègement Fillon » s’appliquait ainsi aux cotisations sociales de plus de 12 millions de personnes représentant 61 % du total des effectifs salariés en France. En prenant en compte l’ensemble des allègements généraux, l’on observe que plus de 78 % de l’ensemble de l’assiette salariale soumise à cotisations de notre pays – c’est-à-dire l’assiette salariale des salariés rémunérés jusqu’à 3,5 Smic – est concerné par au moins l’un d’entre eux.

L’origine de ce travail part du constat selon lequel le coût des allègements généraux a fortement augmenté depuis plusieurs années. En 2022, l’ensemble des exonérations de cotisations sociales s’est ainsi élevé à un montant de 73,6 milliards d’euros contre 37 milliards en 2013 et 19,5 milliards en 2004. Selon l’Urssaf, les allègements généraux représentaient 96 % du montant total des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient le secteur privé en 2022.

Cet « emballement » du coût des allègements généraux – dont les ressorts sont exposés dans le présent rapport – justifiait que soit menée une étude portant sur leur efficacité au regard des objectifs poursuivis en termes d’emploi et de compétitivité. L’étendue des connaissances disponibles sur le sujet a conduit vos rapporteurs à s’interroger plus précisément sur la pertinence du maintien des allègements portant sur les plus hauts salaires, en particulier la part du « bandeau famille » applicable sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

Vos rapporteurs retiennent des études existantes que l’efficacité des dispositifs d’allègements généraux sur l’emploi dépend principalement de leur ciblage sur les salaires proches du Smic et se transmettent selon des canaux de transmission que des chercheurs en sciences économiques continuent d’investiguer mais qui pourraient être liés au profil des entreprises bénéficiaires – selon leur situation financière, leur taille ou leur âge notamment. S’agissant de la compétitivité des entreprises, les mêmes études ne parviennent pas à établir de lien causal entre les allègements généraux sur les hauts salaires et des gains de compétitivité, en particulier à l’export.

Or, les données relatives à la distribution des allègements généraux montrent que le bénéfice de l’allègement dégressif sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic est fortement ciblé sur les petites et les jeunes entreprises, ainsi que sur les secteurs où les salaires sont moins élevés, à la différence notamment du « bandeau famille » et en particulier de sa composante portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

Ces constats conduisent donc vos rapporteurs à proposer, dans un premier temps, de resserrer le périmètre des allègements généraux aux seuls salaires allant jusqu’à 2,5 Smic, pour une économie estimée à près d’1,6 milliard d’euros par les services interrogés.

Le présent rapport a également été l’occasion d’étudier plus spécifiquement certaines propositions régulièrement avancées dans le débat public portant sur les allègements généraux : l’opportunité et la faisabilité de lier le bénéfice de ces allègements au respect de certaines conditions par les entreprises ainsi que la pertinence de prévoir des exonérations de cotisations sociales spécifiquement ciblées sur les seniors, en lien avec les débats intervenus à l’occasion de la dernière réforme des retraites.

Ces travaux ont été menés sur un temps court, de juin à septembre 2023, et constituent le premier jalon d’une réflexion plus globale sur le système des exonérations de cotisations sociales, très spécifique à la France. Les rapporteurs souhaitent adresser leurs vifs remerciements à l’ensemble des organisations, experts et services ayant participé aux travaux préparatoires au présent rapport. Leur contribution a utilement alimenté les réflexions et les recommandations qu’il contient.

I.   Les allègements généraux de cotisations sociales : une politique au coût budgétaire particulièrement élevé dont l’efficacité repose principalement sur un ciblage à proximité du salaire minimum

A.   Une politique publique ancienne qui a connu une forte accélération depuis 2014

1.   Une politique ancienne renforcée de manière sensible au cours de ces dernières années

Le financement de la sécurité sociale française, notamment depuis les ordonnances fondatrices de 1945 ([1]), s’appuie, selon un modèle assurantiel, sur les cotisations des travailleurs afin de couvrir les risques auxquels ceux-ci sont exposés. Aujourd’hui, ces cotisations représentent 49 % des recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss), mais elles en représentaient 82 % en 1993 ([2]). Le poids des prélèvements reposant sur l’activité a été identifié comme un des éléments explicatifs de l’augmentation du chômage, notamment au début des années 1990, en s’appuyant notamment sur l’hypothèse d’une relation négative entre la demande et le coût du travail ([3]). Au cours de cette période, selon l’Insee, le taux de chômage a augmenté de 2,2 points pour l’ensemble et de 2,5 points pour les travailleurs les moins qualifiés. Selon la même source, en 1993, alors que le taux de chômage a atteint 10,1 % sur l’ensemble, il était de 16,6 % pour les travailleurs les moins qualifiés ([4]).

Ces considérations ont conduit à la mise en place d’exonérations générales de cotisations sociales, complétant des exonérations ciblées préexistantes visant certains publics considérés comme fragiles ou prioritaires.

a.   La réduction générale de cotisations sur les bas salaires

● Les travailleurs rémunérés au voisinage du Smic furent la cible principale des politiques publiques d’allègement des cotisations sociales du début des années 1900. Ainsi, la loi du 27 juillet 1993 ([5]) a supprimé les cotisations d’allocation familiales pour les salaires entre 1 et 1,1 Smic et les a diminué de moitié entre 1,1 et 1,2 Smic.

Ce premier texte a ouvert la voie à une législation qui a progressivement élargi et approfondi le champ des réductions et exonérations de cotisations sociales, et dont les principales étapes sont les suivantes :

– création de la « ristourne Juppé » en 1995 ([6]), instaurant une réduction dégressive des cotisations sociales patronales à hauteur de 12,8 points pour les salaires s’échelonnant jusqu’à 1,2 Smic. Dès le 1er octobre 1995, cette ristourne fut fusionnée avec l’allègement créé en 1993 afin de porter le taux maximal d’exonération à 18,2 % pour les salaires inférieurs à 1,33 Smic, puis 1,3 Smic ([7]) ;

– mise en place d’un dispositif d’accompagnement de la réduction du temps de travail dans les entreprises en 2000, créant un dispositif additionnel d’exonération dont le taux maximal est de 26 % pour les entreprises réduisant leur temps de travail, applicable à des rémunérations allant jusqu’à 1,8 Smic ([8]) ;

– harmonisation en 2003 des dispositifs préexistants avec une réduction unique, pour l’ensemble des entreprises, avec un taux maximal d’exonération de 26 % pour les rémunérations inférieures à 1,6 Smic, dite « allègements Fillon » ([9]) ;

– augmentation en 2014 du champ des cotisations concernées par l’exonération, portant le coefficient maximal d’exonération à la somme des taux des cotisations maladie, vieillesse, famille, AT-MP (part hors accidentalité), de la contribution au Fonds national d’aide au logement (FNAL) et de la contribution solidarité autonomie (CSA), dans le cadre des allègements généraux dits « zéro charge Urssaf au niveau du Smic » ([10]) ;

– mise en œuvre en 2019 de l’extension du champ de cette réduction générale aux cotisations de retraite complémentaire et aux contributions patronales d’assurance chômage ([11]).

Cette réduction générale concentrée sur les bas salaires porte donc sur des cotisations et des contributions qui dépassent le seul champ des Robss. Elle s’est accompagnée de deux dispositifs complémentaires, plus ciblés en ce qui concerne les cotisations concernées mais plus larges s’agissant de l’échelle de rémunérations.

Exonérations de cotisations sociales et compensation de la perte de recettes pour la sécurité sociale

Depuis la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite « loi Veil », les exonérations et réductions de cotisations sociales font l’objet d’une obligation de compensation intégrale par l’État. Cette règle, inscrite à l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, a été régulièrement renforcée depuis sa création et s’applique également aux exemptions d’assiette depuis 2004.

La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale confie à la loi de financement le monopole des dérogations au principe général de compensation. Selon l’annexe 2 du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, 48 mesures de réduction ou d’exonération ont fait l’objet d’une disposition expresse de non-compensation dont, notamment, la réduction d’1,8 point de cotisations familiales portant sur les salaires jusqu’à 3,5 Smic et la réduction de 6 points de cotisations maladie portant sur les salaires jusqu’à 2,5 Smic.

Pour autant, l’existence d’une disposition juridique expresse de non-compensation en application de l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale ne signifie pas nécessairement l’absence de compensation financière.

Ainsi, et bien que l’article L. 131-7 précité ne s’applique pas aux allègements généraux, ceux-ci font néanmoins l’objet d’une compensation via l’affectation d’une part des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour « solde de tout compte ».

Il en résulte donc que le nombre des exonérations « non compensées » financièrement est plus restreint que celui des exonérations ayant fait l’objet d’une disposition expresse de non compensation sur le plan juridique. L’annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022 indique ainsi que le montant des mesures d’exonérations non compensées pour les Robss s’élevait à 2,5 milliards d’euros, soit 3,6 % du total des exonérations.

Depuis 2017, les modalités de compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État a fait l’objet d’un chantier de rationalisation. L’article 48 de la loi de finances pour 2017 a supprimé certaines dispositions expresses de non-compensation et a étendu le principe de compensation à certaines exonérations créées avant 1994 (aide à la création ou à la reprise d’une entreprise, aide à domicile employée par un particulier, etc.). Le renforcement du barème des allègements généraux à l’occasion de la « bascule » du CICE en allègements généraux a conduit le législateur à supprimer certaines exonérations spécifiques dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Enfin, depuis la loi de finances pour 2023, le « bandeau maladie » fait l’objet d’une compensation intégrale par affectation de TVA, y compris lorsqu’il s’applique à des employeurs qui bénéficient par ailleurs des exonérations ciblées spécifiques applicables en outre-mer (dites « Lodeom »).

b.   L’exonération de cotisations d’assurance-maladie, ou « bandeau maladie »

Cette exonération est l’héritière du dispositif du crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE), mis en place en 2012 pour améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l’emploi ([12]). Ce crédit d’impôt correspondait à 4 % – puis 6 % à compter du 1er janvier 2014 – de la somme des rémunérations dont le montant était inférieur à 2,5 Smic versées par une entreprise.

Ce crédit d’impôt a été transformé, à compter du 1er janvier 2019, en réduction pérenne de cotisations sociales d’assurance maladie. Il s’agit concrètement d’une réduction proportionnelle du taux de la cotisation d’assurance maladie de 6 points pour les rémunérations annuelles qui n’excèdent pas 2,5 Smic, couramment retenue sous le terme de « bandeau maladie ». À ces échelles de rémunération, le taux de cotisations d’assurance-maladie passe donc de 13 % à 7 %.

c.   L’exonération de cotisations d’allocation familiale, ou « bandeau famille »

Dans la perspective là-encore d’une amélioration du taux d’emploi, le « Pacte de responsabilité et de solidarité » mis en place en 2014 a conduit à la création d’une autre exonération générale de cotisations sociales. Il s’agit d’une réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 Smic, ou « bandeau famille », applicable depuis le 1er avril 2016 ([13]). Concrètement, il s’agit d’une réduction proportionnelle du taux de la cotisation d’allocations familiales de 1,8 point, qui passe, pour ces niveaux de rémunération, de 5,25 % à 3,45 %.

Ces réductions sont cumulables pour les employeurs. Le profil des allègements généraux de cotisations et de contributions sociales est donc le suivant :

https://lh5.googleusercontent.com/0bufsjA2VW0oLwJGRpqeQyzqQOta2d6lZ5WwiNnSEcoKEXIp-O0nvJUoMGFES0PdQI3vc-jnjJ3tkrQvP-9Rkb2rwKYuqziDklh-5-vNRYprQ_JhRiE8gShY5O6Wxsomd2COz7YRsefeh49HrRMIQw

Source : Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, Financement, annexe du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022.

Au total, la réduction du coût du travail au niveau du Smic est de 39,8 points pour les entreprises de moins de cinquante salariés, et 40,2 points pour les entreprises de plus de cinquante salariés au 1er janvier 2022.

2.   Une forte augmentation des montants des réductions générales de cotisations sociales, qui signale un « effet d’emballement » en lien avec un contexte économique singulier

Outre l’augmentation de l’usage des exonérations de cotisations sociales comme instrument de politique publique destiné à favoriser l’emploi, la part des allègements généraux de cotisations sociales a elle-même largement progressé au cours de la dernière décennie au sein de l’ensemble des dispositifs d’exonération, au point de constituer, en ce qui concerne leur montant, un instrument hégémonique. Ainsi, les allègements généraux représentent aujourd’hui 96 % du montant total des exonérations dont bénéficie le secteur privé, soit une augmentation de 12,2 points depuis 2004. Rapporté au total des exonérations et des exemptions d’assiette, la part des allègements généraux s’élève à 75,5 % du montant des « niches sociales » sur le champ des Robss.

https://lh3.googleusercontent.com/W890X1_ju6z4ls3SFjR0lYE3PauSDslkvAmO_0xk6ILr1c12ZYL-28u4AfXr-705WVlT0T5LRKstax-TyF1g5tsg_CLayRBKwCeRnhdgQ52pJUVNXMm-vzOgYlcy4_8Au3CqLBhAvhWvgGvJVoFBiQ

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

https://lh5.googleusercontent.com/DhV9m7eDvL5duwRZC7HXuTcgxvMM6fHwQJkvfiEeuvijO_9FETX-nz7-sRbzuw3KKqaTidWqtzdRBrCcxAx7eAiKp10KyjqW3fCy1ydZYQCWVoBVQMu75AwDFUhQpmPesNrr0F9EphXk6bFic6cL3g

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

S’agissant du seul régime général, les publications les plus récentes, notamment de l’Urssaf Caisse nationale ([14]), démontrent un « effet d’emballement » du montant des exonérations générales de cotisations sociales. Celles-ci, sur ce seul champ, ont augmenté de 13,1 % en 2022, pour atteindre 73,6 milliards d’euros, dont 72,7 milliards d’euros pour le secteur privé.

Cette augmentation est nettement supérieure à l’augmentation de la masse salariale sur la même année, qui s’élève à 8,7 %. S’agissant des allègements généraux, ceux-ci ont augmenté, toujours en 2022, de 14,5 %, et même de 19,1 % pour ceux d’entre eux qui sont concentrés sur les bas salaires. Ce phénomène s’explique notamment par l’augmentation très dynamique de la masse salariale comprise entre 1 et 1,6 Smic ([15]).

S’agissant des trois principaux allègements mentionnés ci-dessus – l’allègement dit « Fillon » ainsi que les exonérations de cotisations « maladie » et « famille » – les données annexées au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022 ([16]) montrent que l’évolution du coût des exonérations tout comme celle des effectifs concernés s’accélère sensiblement.

Évolution du montant des allègements généraux entre 2004 et 2022

https://lh6.googleusercontent.com/bQ3G6nn4zP-f28sc8kuqIEtWLJIGihujH7ybxT3jm8Z_lH5M20Jk98Ct5JTd-9pmm3NODzVrg0qtK7pSKEoDF42u6FfTp4zVyz-0RGCnjfC3ImdSeo2eyouKz40ON7cGcTUsu4Oo60arNAWZH6S9Og

Note de lecture : en 2022, le montant des allègements généraux s’élevait à 69,8 milliards d’euros (axe de gauche) représentant 96 % du total des exonérations de cotisations sociales (axe de droite).

Champ : ensemble des employeurs du secteur privé, y compris la réduction de cotisations sur les retraites complémentaires versées à l’Agirc-Arrco et l’exonération sur les heures supplémentaires.

Source : commission des affaires sociales à partir des données de l’Urssaf.

Évolution des effectifs concernÉs par les exonÉrations au cours des six derniÈres annÉes

 (millions)

Effectifs exonérés

Réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon »

Réduction du taux de cotisations d’assurance maladie pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 2,5 Smic, ou « bandeau maladie »

Réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 Smic, ou « bandeau famille »

2022

12,55

2,28

2,36

2021

12,51

1,95

2,03

2020

12,27

s.d.

s.d.

2019

12,49

s.d.

s.d.

2018

11,04

s.d.

s.d.

2017

9,8

s.d.

s.d.

Note de lecture : par « effectifs exonérés », on entend les salariés pour lesquels les employeurs bénéficient d’une exonération ou d’une réduction de cotisations sociales.

Source : Commission des affaires sociales, à partir des annexes aux lois de financement de la sécurité sociale de 2018 à 2023.

éVOLUTION du montant des EXONÉRATIONS AU COURS DES SIX DERNIÈRES ANNÉES

 (millions d’euros)

Coût (Robss)

Réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

Réduction du taux de cotisations d’assurance maladie pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 2,5 SMIC, ou « bandeau maladie »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

Réduction du taux de cotisations d’allocations familiales pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 3,5 SMIC, ou « bandeau famille »

Pourcentage d’augmentation d’un exercice à l’autre

2022

29 426

+ 43 %

24 499

+ 14 %

8 808

+ 10 %

2021

20 534

+ 18 %

21 429

+ 10 %

8 017

+ 10 %

2020

17 389

- 16 %

19 469

- 12 %

7 289

- 6 %

2019

20 809

- 10 %

22 160

 

7 729

+ 3 %

2018

23 213

+ 4 %

 

 

7 496

+ 7 %

2017

22 343

 

 

 

6 976

 

Note de lecture : Le champ retenu est celui des régimes obligatoires de sécurité sociale, soit le périmètre pertinent des lois de financement de la sécurité sociale, qui intègrent, outre le régime général et des travailleurs indépendants celui de la fonction publique et les régimes spéciaux.

Source : commission des affaires sociales, à partir des annexes au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.

Source : commission des affaires sociales, à partir des annexes aux lois de financement de la sécurité sociale de 2018 à 2023.

● La situation particulière de l’exercice 2022, qui devrait se réitérer en 2023, s’explique par un certain nombre de facteurs :

– la dynamique de la masse salariale, en ce qui concerne notamment les salaires inférieurs à 1,6 Smic. Cette dynamique s’explique elle-même par :

  – le dynamisme propre à la masse salariale dans son ensemble, dans le contexte qui suit la crise sanitaire et ses conséquences économiques. Ainsi que le rappelle la Commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de mai 2023 ([17]), la masse salariale soumise à cotisations a connu un rebond en 2021 (8,9 %) et en 2022 (8,7 %), après une diminution de 5,7 % en 2020. Cette augmentation est principalement portée par une augmentation du montant du salaire moyen au sein de ce même agrégat, à hauteur de 6,7 % en 2021 et de 5,8 % en 2022. Or, cette tendance, selon ce même rapport, devrait se poursuivre en 2023, avec une augmentation respective de la masse salariale soumise à cotisations et du salaire moyen de 5,6 % et de 4,7 %.

  – le dynamisme propre à la masse salariale au voisinage du Smic. Outre son rôle dans la fixation des salaires dans le secteur privé, le Smic sert en effet de critère pour déterminer les « points de sortie » des exonérations et réductions générales de cotisations – à hauteur respectivement de 1,6, 2,5 et 3,5 fois son montant. Or, le Smic est indexé sur l’indice des prix à la consommation non seulement au moment de sa revalorisation annuelle au 1er janvier ([18]), mais également en cours d’année si le taux d’évolution de cet indice est supérieur de 2 % par rapport à la précédente revalorisation ([19]). Alors que le Smic n’avait pas connu pendant plusieurs années de revalorisation infra-annuelle, celle-ci est intervenue en octobre 2021, en mai et en août 2022 ainsi qu’en mai 2023, de telle sorte que le montant du Smic a augmenté de 8 % entre fin 2020 et fin 2022, contre une augmentation de 5,7 % du salaire mensuel de base ([20]). Cette hausse a non seulement pour effet d’augmenter l’assiette des exonérations, mais aussi d’intégrer dans leur champ de nouveaux salariés, compte tenu de l’absence d’effet de rattrapage automatique de l’évolution des salaires sur celle du Smic.

https://lh6.googleusercontent.com/zH747-xPoO0qYyMW2Dtee38w-X8tLk0uf3a1U74hmXEYEc-7uRXyvKwcT6J5-TBy6g3NngB8v4YVSbF_Hx9o63UWpAsw_dDV0f7CgHJbJENrl8i6mxk-g-ubJzUSvPl6fGjRbAiwF8dJcgaE_UL7Gg

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

Ainsi, toujours selon l’Urssaf ([21]), la hausse de la masse salariale entre 2021 et 2022 est de :

– 15 % sur le champ de la réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, dite « allègement Fillon » ;

– 11,1 % sur le champ du « bandeau maladie » ;

– 10 % sur le champ du « bandeau famille ».

Il convient enfin de mentionner comme facteur de « renchérissement » des exonérations de cotisations sociales la création d’emplois, contributrice nette à l’augmentation de la masse salariale soumise à cotisations à hauteur de 2,1 % en 2021 et de 2,7 % en 2022 ([22]).

Les perspectives en 2023 sont naturellement encore soumises à interprétation au moment de la rédaction de ce rapport. Cependant, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023 apporte déjà des éclairages utiles sur l’exercice en cours ([23]). Sur le fondement d’un certain nombre d’hypothèses crédibles – augmentation du montant du Smic de 5,4 % sur l’année, augmentation de la masse salariale soumise à cotisations de 5,6 % en 2023 –, le coût des allègements généraux dans leur ensemble atteindrait 77,2 milliards d’euros pour l’ensemble des Robss, soit une augmentation de 10 %. Dans le détail, la réduction générale de cotisations sur les bas salaires augmenterait de 13,8 %, contre 6,7 % pour les « bandeaux maladie et famille ».

3.   La distribution des entreprises concernées par les allègements généraux et leur impact sur celles-ci

Les rapporteurs ont souhaité s’attacher à préciser l’effet concret de ces allègements généraux ([24]) sur les entreprises selon des critères relatifs à leur taille, au profil de leur masse salariale ou à leur secteur d’activité.

a.   Les allègements généraux bénéficient davantage aux petites entreprises et aux secteurs d’activité caractérisés par des niveaux de salaires plus faibles

Les données fournies par l’Urssaf permettent de conclure que les allègements généraux favorisent les plus petites entreprises ainsi que les secteurs d’activité dans lesquels le salaire moyen par tête (SMPT) ([25]) est le plus bas. Le taux d’exonération apparent – rapport entre le montant d’exonération et l’assiette salariale – y est en effet le plus élevé.

S’agissant de la taille des entreprises, ce taux s’établit en 2022 à :

– 16,2 % pour les entreprises de moins de 9 salariés ;

– 12,7 % pour les entreprises employant entre 20 et 49 salariés ;

– 10,3 % pour les entreprises employant entre 250 et 499 salariés ;

– 7,7 % pour les entreprises employant entre 500 et 1 999 salariés.

Ce taux se relève à 8 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés, compte tenu de la part des intérimaires employés au sein de ces dernières. La variation du SMPT explique largement ces écarts, puisque le SMPT des entreprises de moins de 9 salariés s’établissait à 2 298 euros en 2022, contre 3 299 euros pour les entreprises de 500 à 1 999 salariés.

La distribution du taux d’exonération apparent entre les secteurs d’activité dépend tout autant du SMPT au sein de chacun de ces secteurs. Les secteurs de la restauration, de l’action sociale et de l’hébergement médico-social, dont le SMPT est inférieur à 2 000 euros, bénéficient ainsi d’un taux d’exonération apparent bien supérieur à ceux de la cokéfaction, du raffinage ou encore des activités financières et d’assurance, dont le SMPT est supérieur à 4 500 euros.

https://lh5.googleusercontent.com/VDn5uLFDsl--Yhk9xABX7mFz63NaNbVu85AOxLs2ZhZ50yNeMpxErBB_DZwowfarnHp4R4aQVGDZi6sGA8sAKq-eQqpR4SgnTb_NaBvxPrBG5MQ_-OTi191N47gOp4acfbjN1PQ-9xV-zN5UWSnZwA

Source : Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

Cette distribution a toutefois connu des évolutions récentes, notamment avec la mise en œuvre des « bandeaux » maladie et famille. En effet, en 2012, seule la moitié des secteurs d’activité mentionnés ici présentaient un taux d’exonération apparent proche de la moyenne – entre 0,4 et 1,6 fois le taux moyen d’exonération apparent. Cette part est passée à 80 % en 2022.

Cela confirme que les « bandeaux maladie et famille » ont contribué au nivellement des taux d’exonération par secteur et par entreprise, au profit notamment des grandes entreprises pour lesquelles le SMPT est en moyenne plus élevé.

b.   La répartition du bénéfice du bandeau famille est moins sensible au profil de l’entreprise que celle de la réduction de cotisations sur les bas salaires

● Les données fournies par la direction de la sécurité sociale (DSS) et l’Urssaf permettent d’affiner le raisonnement en distinguant, au sein de l’ensemble des allègements généraux, l’impact relatif des allègements sur les bas salaires, du « bandeau famille » et du « bandeau maladie ».

On observe que le taux d’exonération des allègements « Fillon » décroît avec la taille de l’entreprise tandis que celui du « bandeau famille » reste sensiblement identique quelle que soit la taille de l’entreprise. Le taux d’exonération relatif à la réduction générale sur les bas salaires représente ainsi 9,2 % pour les TPE contre 3,3 % pour les entreprises de 2 000 salariés et plus. Cet écart ne se retrouve pas lorsque l’on regarde le taux d’exonération lié au « bandeau famille » qui oscille entre 1,2 % pour les entreprises de 2 000 salariés ou plus et 1,4 % pour les entreprises de moins de cent salariés.

Taux d’exonération en fonction de la taille de l’entreprise (2022)

https://lh5.googleusercontent.com/pNQeXO8JZdtC6aXdsvaD5SJgwVHFN3izYyjb0Dubum2hCSEGRApO2W28mYXtYnw4bNyyUO_ltnC8ULlD7OSz8E2G4ADkc3UoS04mv2ngSdXuvC_pvXcm6asfZz2uptxmn7KlL7QZYdk59pZHKrsspw

Note de lecture : le taux d’exonération de la réduction générale sur les bas salaires est de 9,2 % dans les très petites entreprises (0 à 9 salariés) contre 3,3 % pour les entreprises de 2 000 salariés ou plus.

Source : Commission des affaires sociales à partir des données fournies par l’Urssaf.

● Le même constat peut être fait lorsque l’on compare les entreprises en fonction de leurs secteurs d’activité. Les entreprises appartenant à des secteurs caractérisés par une plus grande proportion de salariés faiblement rémunérés – restauration, hébergement, services, construction – bénéficient davantage des allègements « Fillon » en proportion de leur assiette salariale que les autres entreprises.

Les secteurs au sein desquels le taux d’exonération lié à la réduction générale sur les bas salaires est le plus élevé sont la restauration (12,3 %), les activités de services administratifs et de soutien (10 %), l’hébergement (10,0 %), les autres activités de service (9,2 %) et la construction (7,4 %). À l’inverse, ce taux est particulièrement faible dans une grande partie des secteurs industriels, notamment dans les secteurs de la cokéfaction et du raffinage (0,4 %), de la production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (0,5 %) et de l’industrie pharmaceutique (0,8 %).

L’effet du « bandeau famille » apparaît quant à lui moins sensible au secteur d’activité des entreprises puisque le taux d’exonération ne varie qu’entre 0,9 % pour le secteur des activités financières et d’assurance et 1,6 % pour la restauration.

Taux d’exonération en fonction du secteur d’activité (2022)

https://lh4.googleusercontent.com/yWWa0EG1qNxbNuktzIFJbal_ua2Rg_qST2OQSzhT28J2nQnd_azLc7G8LtKbnLn29CvvunI8FsLN3tAlUOQENio5gq7zcsW7WK52mZsr_lguuFmuVJxolCK-H4CDkmIxNpb0zp7oh7sVaWsuA0Mlsg

Source : commission des affaires sociales à partir des données fournies par l’Urssaf.

Il en résulte que, selon les secteurs, la part que représente chaque type d’exonération dans le total des allègements généraux varie grandement, comme en témoigne le graphique ci-après. Ainsi, la réduction générale sur les bas salaires représente 63 % des allègements généraux dans le secteur de l’hébergement et la restauration contre 27 % dans le secteur de la fabrication de matériels de transport.

Part relative de chaque type d’allègement rapportée au total des allègements généraux pour chaque secteur (2022)

Source : commission des affaires sociales à partir des données de la DSS.

● Cette répartition recoupe au moins partiellement la distinction entre secteurs abrités et exposés à la concurrence internationale. En se fondant sur des indices de concentration géographique, Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud identifient un certain nombre de secteurs exposés à la concurrence internationale en dépassant la conception traditionnelle liée à la distinction entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire ([26]). Dans leur approche, un secteur est considéré comme exposé lorsque son indice de concentration excède le seuil de l’activité la moins concentrée de l’industrie manufacturière, secteur incontestablement exposé à la concurrence ([27]).

Cette analyse accrédite l’hypothèse selon laquelle les allègements généraux sur les bas salaires ne ciblent pas, en particulier, les secteurs exposés à la concurrence. Dans la mesure où les taux d’exonération relatifs aux « bandeaux famille et maladie » sont plus uniformes en fonction des secteurs, la part que les exonérations de cotisations maladie et familiales prennent dans le total du montant des allègements généraux apparaît donc d’autant mécaniquement plus importante pour les secteurs exposés à la concurrence.

Cela étant rappelé, vos rapporteurs observent que l’exposition à la concurrence internationale ne signifie pas pour autant qu’une réduction du coût du travail sur les hauts salaires soit un moyen efficace d’améliorer la compétitivité des entreprises concernées.

En effet, l’impact des allègements sur la compétitivité dépend de la capacité des entreprises à ne pas répercuter ces allègements sur les salaires bruts. Or, pour des niveaux de salaires élevés, le pouvoir de négociation des salariés est tel qu’il leur permet de capter une large part des exonérations au travers des augmentations de salaire ultérieures.

D’autre part, il est possible que les allègements sur les bas salaires bénéficient indirectement à la compétitivité des secteurs exposés au travers de leurs intrants.

C’est la raison pour laquelle vos rapporteurs ont souhaité s’attacher à analyser les études empiriques permettant d’établir un lien entre différents types d’exonérations et la compétitivité des entreprises (cfinfra section I.C.).

*

*     *

Face à l’ensemble de ces constats concernant le coût des allègements généraux et leur distribution en fonction du profil des entreprises, vos rapporteurs souhaitaient interroger leur efficacité au regard de deux questions principales : les risques d’une forme de « trappe à bas salaires » et la pertinence d’une exonération générale sur les rémunérations les plus élevées en termes d’emplois et de compétitivité.

B.   Allègements généraux et trappes à bas salaires : des risques théoriques non avérés par les études empiriques

1.   Il est régulièrement imputé aux allègements généraux de créer des trappes à bas salaires

● Ainsi qu’il a été exposé, les allègements généraux se caractérisent par un profil dégressif ou constant, fonction du montant des rémunérations des salariés et s’annulent à un niveau de rémunération qualifié de « point de sortie ». Ces points de sortie sont respectivement de 1,6 Smic pour la réduction générale sur les bas salaires, de 2,5 Smic pour le « bandeau maladie » et de 3,5 Smic pour le « bandeau famille ».

Ces points de sortie pourraient être de nature à créer des « effets de seuil », à savoir une incitation, pour les employeurs bénéficiaires des exonérations générales de cotisations et de contributions sociales, à maintenir globalement les rémunérations dans le champ de ces exonérations. Cet argument a souvent été employé pour critiquer le bien-fondé des allègements généraux. Si le terme de « trappe à bas salaire » peut s’employer s’agissant de « l’allègement Fillon », il s’agirait plus généralement d’une rigidité dans la distribution et l’évolution salariales dans les entreprises concernées par les allègements généraux, qui pourrait à la fois déformer les négociations salariales et biaiser les politiques de ressources humaines menées par ces mêmes entreprises.

● Ces critiques sont alimentées par le phénomène de tassement de la distribution des salaires actuellement observable en France. En effet, en se fondant sur le graphique ci-après – partagé par Mathieu Plane lors de son audition –, l’on observe que 50 % des salariés gagnaient moins de 2 012 euros net par mois en 2021 soit environ l’équivalent d’1,6 Smic ([28]).

Par ailleurs, depuis 2010, la proportion de salariés rémunérés au Smic s’est accrue de près de 5 points selon les données publiées par la direction de l’analyse, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), avec une forte accélération en 2022.

Du point de vue macroéconomique, ces données semblent donc accréditer l’hypothèse de l’existence de « trappes à bas salaires ». Toutefois, seules des études empiriques permettraient d’attribuer la responsabilité de ce phénomène à l’existence des exonérations de cotisations sociales.

Distribution des salaires mensuels nets en équivalent temps plein (2021)

https://lh6.googleusercontent.com/mG5gRSr16-3OF79c4jLCWejO3iSqPGT2f96hdCNiH5b6YG-6J-hM-tMjv3ABfAfyQQjwm5TyQ_kiQljZl10dwmGVfpFSBQ9FX3btTtJIwAAKhj5eTnuxUTgxZV--nKfIL9TCMnh531L4jSv7QzM9fA

Champ : France hors Mayotte, salariés du privé, y compris bénéficiaires de contrats aidés et de contrats de professionalisation ; hors apprentis, stagiaires, salariés agricoles et salariés des particuliers employeurs.

Source : Insee.

2.   Toutefois, les études existantes n’identifient pas de lien causal entre les dispositifs d’allègements généraux et les phénomènes de « trappes à bas salaires »

● Les études existantes ont plutôt tendance à démontrer une absence de trappe à bas salaire, notamment pour les allègements généraux portant sur les rémunérations inférieures à 2,5 Smic. Le comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements mis en place au sein de France Stratégie a analysé ce sujet en 2017 ([29]). Il en ressort, sur la base de travaux de la Dares ([30]) concernant la mise en œuvre des premières exonérations sur les bas salaires – à savoir des cohortes observées entre 1995 et 2002 –, que 33 % des salariés initialement rémunérés au voisinage du Smic (jusqu’à 1,05 Smic) obtiennent cinq ans plus tard un salaire plus élevé ; seulement 7 % demeurent au voisinage du Smic de façon permanente, et 11 % alternent salaires au voisinage du Smic et salaires plus élevés au gré de changements d’emplois sur les cinq ans.

Dans le cadre du suivi des effets du CICE, y compris après sa transformation en allègement pérenne de cotisations sociales, les chercheurs de l’Institut des politiques publiques (IPP) ([31]) ont voulu tester l’effet de « saillance » du seuil de 2,5 Smic, applicable désormais à l’exonération générale de cotisations sociales d’assurance maladie. Ainsi, pour rappel, en 2019 – date de l’analyse – une augmentation du salaire brut correspondant à 2,5 Smic (3 802 euros par mois, 45 624 euros annuels) d’un euro mensuel aboutissait à une augmentation du coût du travail annuel de 2 748 euros. Un tel effet est de nature à encourager un comportement d’optimisation à l’échelle micro-économique, comme le montre le tableau suivant :

https://lh3.googleusercontent.com/z1JZBDS9fNYBKDIW3iL3Zqmb7sspDK9gAL-SeduVwXmk4HHYtJRRJCI7vsy9WZqx5Qns_5KbBVoCorHBjvAONoZdspsCWIFZmGEv8o_tYe8VdY6h6-E_1WMwUW6X3s5INrqSQeqK7foU0I5JfFJepA

Note de lecture : un employeur qui offrirait 3 802 euros bruts par mois la première année à son salarié (de facto une localisation au seuil de 2,5 Smic), puis 3 979 euros bruts la deuxième année, aurait le même coût du travail sur deux ans qu’un employeur qui offrirait deux années de suite un salaire mensuel de 3 803euros bruts. Le gain net pour le salarié d’une telle opération serait, lui, de 1 672 euros.

● Malgré les effets théoriques attendus, et en ligne avec les travaux précédents, les auteurs n’observent pas de pic dans la distribution des salaires en amont du seuil de 2,5 Smic, qui viendrait confirmer l’existence d’un effet de seuil et d’une démarche d’optimisation par les employeurs. Toutefois, en 2020, année au cours de laquelle les données doivent naturellement être prises avec prudence, un effet semble poindre, laissant apparaître une moindre opportunité de voir son salaire augmenter lorsque sa rémunération est légèrement inférieure à 2,5 Smic.

https://lh4.googleusercontent.com/st_iylUxKTt0O5g54G63FZE-LkbF4jGr00e474Y5aijhiT6Xk8KdFVmg4k9l29i-ZeypN4oykCdsWVRxTVHerVwwz31742Rz6lCuQcfXt0e5keyOh3PynTLThoYoXM0GbS5Xz5UhmAbSUtn9U1u33g

Source : Bozio A., Cottet S. et Malgouyres C., Évaluation d’impact de la bascule du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de cotisations employeur, rapport de l’IPP, septembre 2022.

Les rapporteurs estiment que ces effets méritent d’être approfondis, dans le cadre des futures études qui pourront être menées autant par France Stratégie que par l’Institut des politiques publiques, afin notamment d’estimer si la « bascule » du CICE vers un allègement de cotisations sociales a in fine tendance à créer une discontinuité dans la distribution des salaires.

Ces résultats ne remettent toutefois pas en cause le constat partagé, qui a été rappelé à plusieurs reprises au cours des auditions, notamment par France Stratégie, selon lequel les exonérations de cotisations ne créent pas de « trappe à bas salaires » visible. Ce constat a par ailleurs été réaffirmé dans le cadre d’articles récents.

Lors des auditions, les rapporteurs ont toutefois souhaité soulever l’hypothèse selon laquelle les exonérations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic, combinés à la prime d’activité dont le point de sortie est proche – 1,5 Smic – pourraient générer malgré tout des phénomènes de trappes, ou tout du moins de ralentissement des augmentations salariales autour de 1,5 et 1,6 Smic.

En l’absence de données exploitables pour répondre à cette question dans les délais impartis au présent rapport, ils recommandent de poursuivre la réflexion sur ce point.

C.   Le « bandeau famille » : une réduction de cotisations sociales sur les rémunérations élevées sans effet significatif sur l’emploi ou la compétitivité

Au regard des débats récurrents sur l’opportunité d’une réduction qui touche des niveaux élevés de rémunération, vos rapporteurs ont souhaité évaluer, autant que possible, l’efficacité de cette réduction, en interrogeant plus spécifiquement la part de cette réduction portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic.

1.   Une mesure conçue en faveur de la compétitivité et de l’industrie

● Cette réduction de cotisations familiales a été engagée en deux temps. Elle a d’abord conduit à baisser les cotisations familiales de 1,8 point pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic, puis, dans un second temps presque immédiat, elle a été étendue aux salaires inférieurs à 3,5 Smic. Inscrite dans un ensemble de mesures d’allègements généraux, cette extension a été présentée comme bénéficiant « davantage que la première étape du pacte à des secteurs d’activité dont la main d’œuvre est plus qualifiée, comme l’industrie manufacturière, les activités scientifiques et techniques et l’information et la communication », afin de faire face à la concurrence internationale.

La mesure s’appuyait notamment sur le rapport dit « Gallois »), selon lequel « les allègements effectués depuis 20 ans ont concerné les plus bas salaires et ont, pour cette raison, très peu impacté directement l’industrie qui se situe à des niveaux de rémunération plus élevés ».

● En ligne avec les prévisions faites au moment de la création de cette réduction, celle-ci a représenté un coût de 7,7 milliards d’euros en 2019, que l’État compense à la sécurité sociale par l’affectation d’une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour solde de tout compte. Ce coût a toutefois sensiblement augmenté, comme celui de l’ensemble des allègements généraux ([32]), pour atteindre 8,8 milliards d’euros en 2022, pour 2,36 millions de salariés éligibles ([33]). Ce coût se répartit de manière relativement équitable de part et d’autre de la « borne » à 1,6 Smic.

S’agissant plus spécifiquement des salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic, le montant du « bandeau famille » afférent à cette tranche ne peut être connu avec la précision qui caractérisent les données comptables. Pour des raisons qui tiennent à la nomenclature de la déclaration sociale nominative (DSN), ce montant n’est pas directement visible par les services des Urssaf. Sa détermination nécessite donc des retraitements de données qui permettent néanmoins d’estimer un coût de l’ordre d’1,6 milliard d’euros en 2022.

Modalités d’estimation du montant du « bandeau famille » portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Les montants des réductions de taux maladie et famille ne figurent pas en lecture directe dans les déclarations aux Urssaf car leurs modalités déclaratives sont spécifiques :

– les cotisations famille et maladie aux taux réduits sont déclarées au niveau de l’établissement sur un code-type de personnel (CTP) « cas général » (CTP 100) ;

– pour les salariés dont la rémunération excède les bornes (2,5 Smic pour la réduction maladie et 3,5 Smic pour la réduction famille), le supplément de cotisations (6 % pour la maladie, 1,8 % pour la famille) est déclaré sur des CTP spécifiques.

Pour calculer le montant des réductions, l’Urssaf raisonne par différence, à l’échelle de l’établissement, en appliquant le taux « supplémentaire » sur l’ensemble de l’assiette et en déduisant les cotisations supplémentaires déclarées, selon les formules suivantes :

Montant de la réduction maladie = 6,0 % x assiette déclarée - cotisations déclarées sur les CTP spécifiques

Montant de la réduction famille = 1,8 % x assiette déclarée - cotisations déclarées sur les CTP spécifiques

Le montant des exonérations de cotisations familiales correspondant aux salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic est calculé indirectement par l’Urssaf, par différence avec l’assiette des salaires concernés par les exonérations de cotisations maladie.

D’ores et déjà, afin de pouvoir parvenir à terme à un recalcul de la réduction générale en masse et au fil de l’eau à partir des données individuelles déclarées, l’Urssaf a déclaré travailler dans deux directions :

– elle a formulé des demandes d’évolution de la norme DSN afin de l’enrichir pour mieux prendre en compte la diversité des situations. Ces évolutions sont en cours d’instruction pour être intégrées dans la norme 2025 ;

– elle a entrepris de nombreuses actions de fiabilisation qui visent à améliorer la qualité déclarative de cet allègement et des données mobilisées par son recalcul. Ainsi, des campagnes de fiabilisation sont déployées afin de vérifier le respect des consignes déclaratives, la cohérence des montants déclarés et plus largement l’éligibilité de l’entreprise ou du salarié à la réduction générale. D’autres campagnes de fiabilisation sont menées également sur les données constitutives (Smic, quotités). Ces actions sont complétées par des actions de communication, l’élaboration de nouvelles fiches consignes et des rencontres avec les entreprises ou les éditeurs de logiciels en difficulté.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

La même méthode de calcul permet d’analyser la répartition du bénéfice du « bandeau famille » au-delà de 2,5 Smic en fonction de la taille et du secteur d’activité des entreprises.

Selon les données fournies par l’Urssaf, on constate que la réduction des cotisations familiales portant sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic bénéficie sensiblement plus aux grandes entreprises qu’aux plus petites : les entreprises de 2 000 salariés ou plus concentrent 28,3 % du montant total de cette exonération, contre 13,8 % pour l’allègement dégressif sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic. À l’inverse, les entreprises de 10 à 19 salariés ne perçoivent que 5,9 % du montant total de ces exonérations alors qu’elles représentent 12,7 % de l’effectif salarié total.

Montant des exonérations du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Taille d’entreprise

Montant du « bandeau famille » compris entre 2,5 et 3,5 Smic

Répartition (en %)

Part de l’effectif salarié total (en %)

0 à 9 salariés

109 millions d’euros

7,3 %

23,1 %

10 à 19 salariés

88 millions d’euros

5,9 %

12,7 %

20 à 49 salariés

151 millions d’euros

10,2 %

17,9 %

50 à 99 salariés

115 millions d’euros

7,8 %

13,0 %

100 à 249 salariés

178 millions d’euros

12,0 %

14,2 %

250 à 499 salariés

141 millions d’euros

9,5 %

8,3 %

500 à 1 999 salariés

278 millions d’euros

18,8 %

7,9 %

2 000 salariés et plus

418 millions d’euros

28,3 %

2,8 %

Total

1,5 milliard d’euros

100 %

100 %

Note : le montant total est arrondi à la centaine de millions d’euros la plus proche. La part de l’effectif salarié total est calculée sur l’ensemble des effectifs des salariés, indépendamment de leur niveau de salaire.

Source : réponse de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

S’agissant des secteurs d’activité, le taux d’exonération lié au « bandeau famille » portant sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic est plus de 12 fois plus élevé pour les entreprises de la cokéfaction et du raffinage (0,75 % du total de l’assiette salariale du secteur) que pour les entreprises de la restauration (0,06 %).

Naturellement, ces chiffres apparaissent faibles au regard de ceux relatifs aux allègements « Fillon » lorsqu’on les exprime en valeur absolue, mais ils montrent que la répartition du bénéfice des allègements en fonction du profil des entreprises bénéficiaires varie grandement selon le type d’allègement considéré et, au sein d’un même dispositif, selon la tranche de salaire étudiée. Le graphique ci-après illustre avec éloquence ce phénomène. Ainsi, 75 % du montant total des exonérations dont bénéficie le secteur de la cokéfaction et du raffinement au titre du « bandeau famille » provient des exonérations sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic.

Si l’on compare ces données à l’aune de la classification de Frocrain et Giraud, on observe que les secteurs qui bénéficient le plus du « bandeau famille » pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic sont également les plus exposés à la concurrence. C’est le cas de la plupart des secteurs industriels mais également d’un certain nombre de services : la recherche et le développement (44,5 % du montant total du « bandeau famille »), les activités informatiques (35,9 %) ou les activités financières et d’assurance (34,8 %) notamment.

Taux d’exonération lié au « bandeau famille » en fonction de la tranche de salaire concerné (2022)

Note de lecture : Dans le secteur de la cokéfaction et du raffinage, le taux d’exonération de la part du « bandeau famille » sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic est de 0,75 % alors que le taux d’exonération global du « bandeau famille » est de 1 % sur le même secteur.

Source : commission des affaires sociales à partir des données de l’Urssaf.

2.   Des effets sur l’emploi quasiment nuls

● Les effets de cette mesure sur l’emploi ont été contestés dans un ensemble de travaux économiques antérieurs et postérieurs à sa mise en œuvre, aboutissant à la conclusion selon laquelle les allègements de cotisations sont d’autant plus efficaces qu’ils portent sur des salaires modestes.

Ainsi que le démontrent Mathieu Bunel, Céline Emond et Yannick L’Horty, dans un article de 2012 ([34]), les exonérations générales de cotisations sociales poursuivent un objectif macroéconomique d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance. Il s’agit de rendre le prélèvement social progressif en fonction du salaire, ce qui, à niveau donné de prélèvement, permet de réduire le coût relatif du travail peu qualifié et est favorable à l’emploi si l’on suit la théorie classique de la demande de travail.

La principale question qui se pose porte donc sur l’impact relatif des exonérations sur les différents niveaux de distribution des salaires. Dans leur note pour le Conseil d’analyse économique (CAE), Yannick L’Horty, Philippe Martin, et Thierry Mayer ([35]) estiment que l’élasticité de l’emploi au coût du travail est décroissante – en valeur absolue – avec le salaire. Autrement dit, le coût du travail est un déterminant de moins en moins important au fur et à mesure que les salaires augmentent. D’abord, les possibilités de substitution entre le travail peu qualifié et le capital sont fortes alors qu’au contraire le travail qualifié et le capital sont relativement complémentaires. Ensuite, les bas salaires sont surreprésentés dans les secteurs d’activité où les baisses de coûts sont fortement répercutées dans les prix et non dans les marges, ce qui produit un effet plus important sur le volume de production et sur l’emploi. La troisième raison est qu’une exonération de cotisation sociale peut aussi augmenter les salaires, ce qui réduit les effets sur l’emploi.

Pour ce qui concerne le calcul des élasticités, les études sont relativement convergentes. Ainsi, pour Mathieu Bunel, Céline Emond, et Yannick L’Horty dans l’article précité, sur la base d’une étude microéconomique, estiment que l’élasticité moyenne au coût du travail correspond à 0,516.

● Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ([36]) partagent également l’analyse d’un impact maximal des allègements de cotisations sur les salaires au voisinage du Smic en raison du jeu des élasticités.

Les auteurs tâchent d’apprécier l’impact des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi sur la base du schéma classique de l’offre et de la demande de travail. Compte tenu du fait qu’au voisinage du Smic la principale problématique en France relève d’une insuffisance de la demande de travail, une augmentation de la demande de travail entraîne un accroissement de l’emploi sans augmentation du salaire tant que la demande reste inférieure à l’offre de travail.

Figure 1

Daniel Hamermesh, dans son livre de 1993, Labor Demand, – qui constitue aujourd’hui encore la synthèse de référence sur le sujet – avait estimé que l’ordre de grandeur des élasticités concernant la demande de travail était de l’ordre d’1/3 pour l’ensemble des travailleurs et de 1 pour les travailleurs les moins qualifiés. Ces résultats sont confirmés par une analyse pour la France menée en 2009 par Mathieu Bunel confirme cet ordre de grandeur. Les auteurs en tirent la conclusion que la réduction d’1 % du coût du travail au niveau du Smic se traduit en France par la création de 20 000 emplois.

S’agissant des salaires supérieurs au Smic, l’impact d’un allègement de cotisations sociales n’a pas d’effet que sur l’emploi mais également sur les salaires, selon la même pente de la fonction d’offre de travail. L’effet sur l’emploi est donc diminué par rapport à l’effet sur le salaire.

Figure 2

Or, les auteurs constatent une faible élasticité tant de l’offre que de la demande de travail, pour des salaires avoisinant 1,6 Smic. En ce qui concerne l’offre de travail, les auteurs estiment l’élasticité moyenne à 0,25, ce qui implique qu’une diminution de 1 % des cotisations sociales se traduit par un accroissement des salaires de 0,75 % et une augmentation de l’emploi de 0,25 %. Un calcul cohérent avec une élasticité de la demande de travail de 0,33 % aboutit à ce que l’accroissement de l’emploi, pour des revenus de 1,6 Smic, ne soit que de 0,08 %.

Ces études plaident donc pour concentrer les allègements de cotisations sur les rémunérations les plus faibles et permettent d’estimer que la suppression d’exonérations sur les salaires les plus élevés bénéficierait aux salariés aux travers d’augmentations de rémunération ultérieures.

 

Les nuances dans l’appréciation de la part de l’emploi et du salaire des effets du « bandeau famille »

Une étude récente, portant sur l’impact de l’augmentation des cotisations, à partir de données françaises, laisse toutefois entendre que cette augmentation, s’agissant des salaires élevés, pourrait être portée au moins partiellement par les employeurs.

L’article, signé par Antoine Bozio, Thomas Breda et Julien Grenet, porte sur l’augmentation des cotisations patronales au-dessus du plafond annuel de la sécurité sociale (Pass), affectant donc les trois déciles les plus hauts de la distribution des salaires, dont le taux a augmenté de 7 % en 1976 à 38 % en 2001.

Sont étudiés en particulier :

– le déplafonnement des cotisations d’assurance-maladie en 1981. Le taux de cotisations patronales sur la part déplafonnée est ainsi passée de 4,5 % en juillet 1981 à 12,6 % en janvier 1984, avec une baisse de 0,85 % sur la part plafonnée ;

– le déplafonnement strict des cotisations « famille » en 1989 et 1990, avec la création de cotisations à hauteur de 7 % au-dessus du Pass et une réduction de 9 à 7 % pour la part inférieure au Pass ;

L’augmentation des cotisations de retraite complémentaire au-dessus du Pass, de 4,5 % en 1999 à 12 % en 2005.

Il ressort de cette étude deux conclusions. La première porte sur les deux premières réformes, pour lesquelles les auteurs ont étudié l’impact des hausses de cotisations sur les salaires nets, bruts et superbruts au cours des quatre à six années suivant les réformes. Il apparaît que l’augmentation du montant des cotisations s’est traduite par une augmentation du coût du travail pris en charge par les employeurs à hauteur de plus de 55 %, voire de près de 90 %, tandis que le salaire brut a connu une très légère diminution. À l’inverse, s’agissant de la troisième réforme, les salaires bruts connaissent une diminution progressive et le coût du travail revient, après quelques années, au niveau qu’il connaissait avant la réforme.

Les auteurs en tirent les conclusions suivantes : à l’encontre du modèle traditionnel qui permet de prédire que les salariés sont les acteurs qui portent le coût, in fine, des augmentations de cotisations, il semble que, en l’espèce, ce soit majoritairement les employeurs par le canal du coût du travail. Si les hausses sont in fine supportées par les salariés, ce n’est dans tous les cas que partiellement.

Par ailleurs, il semble que la compréhension par les acteurs de la dimension assurantielle des cotisations de retraite complémentaire explique la différence entre les deux premières réformes et la troisième : le coût de cette dernière est beaucoup plus massivement porté par les salariés, via une forme de modération salariale.

3.   Des effets difficilement décelables sur la compétitivité

● Les effets des exonérations sur la compétitivité des entreprises sont difficiles à estimer. Des organisations auditionnées comme l’AFEP, France Industrie ou le Medef ont insisté sur les points suivants :

– les allègements sur les rémunérations élevées permettent aux entreprises industrielles concernées non seulement de maintenir des emplois à haute valeur ajoutée, mais aussi de pouvoir continuer de recruter à ces niveaux de salaires ;

– les entreprises bénéficiant des allègements peuvent utiliser les marges de manœuvre financières qu’ils leur permettent à d’autres fins que la seule politique salariale, et ce d’autant plus qu’ils sont « fondus » plus largement dans le poste de dépenses qu’est la masse salariale ;

– les grandes entreprises internationales seraient attachées à la stabilité en matière de prélèvements sociaux, notamment dans un contexte international où le coût du travail serait perçu comme une fragilité française. À l’appui de cet argument, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a partagé avec les rapporteurs les graphiques suivants :

https://lh5.googleusercontent.com/Z_0EMa5peu7G-q83oeiY4PDYgDHdYpRJzLa5WBbCbPbr0x5cVowTDG0dfgDT7j0lgC8VNj-Ji_ZdjbW6iyzwJaHEQ-Unsq1uaCy1krdpF7tDkGOA8V6-6UhqzEEC2j0-IlTmwi9cANsWSU9xe1d2ew

Source : données Eurostat 2022.

https://lh6.googleusercontent.com/tqPaNKlybp7R0U08MisRMnSLTEXLdPCQSJMvdNC_kFaQ_8G-tyCvYs5b4HWzdkKrkNiFAbFMH2SOoSXKzHsrr_ShO00vXM5wgeWze9nUKu9ujIlVGHYxJFRIkvQxfwL_sPYhzPYaZztlEQPPfeOHNg

Source : données Eurostat 2022.

● D’autres personnes auditionnées, comme les chercheurs de l’IPP – Antoine Bozio, Sophie Cottet et Clément Malgouyres – ont cependant expliqué que l’effet des réductions de cotisations sociales sur la décision d’exporter était difficilement identifiable, compte tenu de l’ensemble des facteurs qui rentrent en ligne de compte dans la décision d’exporter.

Compte tenu de l’ensemble des données qui leur ont été fournies, vos rapporteurs estiment qu’il est probable, en l’état des connaissances, que la réduction de cotisations que constitue le « bandeau famille » se traduise très majoritairement par des augmentations de salaires, qui ont certes des effets favorables en matière de gestion des ressources humaines et de politique salariale dynamique, mais qui n’ont pas d’effet sur l’emploi ou sur la compétitivité des entreprises et un effet au mieux marginal sur l’attractivité de la France.

Dans ce contexte, les rapporteurs proposent de supprimer le « bandeau famille », c’est-à-dire la réduction de 1,8 point de cotisations patronales familiales, entre 2,5 et 3,5 Smic, tout en prêtant une attention particulière à l’accompagnement des secteurs qui seraient les plus fortement affectés par cette suppression.

D.   Mieux cibler les exonérations de cotisations sociales : des critères à étudier et une mise en œuvre à détailler

L’audition des chercheurs de l’IPP susmentionnée a permis de mettre en avant des mécanismes encore peu étudiés concernant la manière dont les exonérations cotisations sociales produisent des effets sur l’emploi. Outre leur intérêt académique, ces éléments de réflexion pourraient servir de base à l’évolution des critères de fonctionnement des allègements généraux.

Faute de pouvoir en faire une analyse complète et détaillée dans les temps retenus pour la publication du présent rapport, vos rapporteurs se contenteront à ce stade d’évoquer ces éléments après avoir rappelé quelques principes s’agissant des caractéristiques nécessaires pour qu’un critère puisse entrer dans la définition des exonérations de cotisations sociales.

1.   Les conditions de mise en œuvre d’un ciblage plus fin des allègements généraux de cotisation

● Comme l’ont rappelé les services et les économistes auditionnés par vos rapporteurs, pour qu’un ciblage ou une modulation des allègements généraux puisse être opérationnel, il faut retenir des critères simples et ne prêtant pas lieu à divergence d’interprétation. L’expérience montre d’ailleurs que des notions pourtant simples et univoques en apparence – rémunération, valeur du Smic, temps de travail... – peuvent s’avérer plus complexes à appliquer qu’escompté.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la diversité des modes de calculs retenus pour déterminer la valeur du Smic à prendre en compte dans le cadre des « allègements Fillon » selon la durée travaillée par le salarié concerné.

 

https://lh5.googleusercontent.com/cxrmGPYwlBXG83o0nmYlgcflKvLHsOj6xbr4GDfeY4-Z3FRghXjshVxb7eyhFpXJ3RgFzXKraMBgHdFNk_M1gPZ5275FBu2EDmbnhbIvQUOSpTzfenF2Ar6WC9jpNvuuSq3qwYr6qHHFIoivaw4uFw

Source : présentation d’un logiciel de paie partagé à vos rapporteurs par l’Urssaf.

Or, l’abondance des questions et complexités qui existent en matière déclarative pour les allègements généraux montre qu’il ne faut pas sous-estimer les difficultés opérationnelles qui se présenteraient pour les entreprises si de nouveaux critères étaient susceptibles d’être introduits en remplacement ou en complément de ceux déjà existants.

À ces contraintes pour les entreprises, s’ajoutent également des difficultés pour les organismes chargés de définir les règles d’utilisation desdits critères et pour ceux chargés de leur contrôle, au risque de rendre le dispositif inapplicable.

2.   Des études récentes montrent l’intérêt économique que pourrait revêtir un ciblage des allègements en fonction de critères relatifs aux entreprises bénéficiaires

a.   Selon la situation financière des entreprises

● Les études actuelles de Sophie Cottet, portant sur la Suède comme sur la France ([37]), démontrent que l’effet de ces exonérations est variable en fonction de la situation des entreprises. Ainsi, les réductions de cotisations dites « Juppé » ont principalement touché les entreprises avec un grand nombre de salariés proches du Smic. Ces entreprises ont ainsi bénéficié d’un « effet liquidité », d’autant plus fort qu’il a touché des entreprises ayant des difficultés de liquidité ou un accès restreint au crédit.

Or, comme l’illustre le graphique suivant, le bénéfice des allègements généraux sur les bas salaires et du « bandeau maladie » est d’autant plus important qu’il touche des entreprises ayant d’importantes créances auprès des Urssaf. Ce constat ne se vérifie cependant pas s’agissant du « bandeau famille » lequel n’apparaît donc pas particulièrement ciblé sur les entreprises en difficulté.

Taux d’exonération en fonction du taux de créances accumulé

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Note : l’Urssaf appréhende la situation financière des entreprises à partir des créances cumulées sur vingt ans constatées sur l’entreprise et rapportées aux cotisations dues sur le dernier exercice.

Source : Urssaf.

Bien que ce constat permette d’éclairer les mécanismes de transmission des allègements généraux sur l’état de l’emploi, il semble délicat de définir des critères permettant de cibler les entreprises ayant des difficultés de liquidité, pour au moins deux raisons :

D’une part, la notion de « difficultés de liquidité » prête à des divergences d’interprétations et n’est pas aisément quantifiable. Il n’est en outre pas exclu que cette notion connaisse des variations en fonction d’autres caractéristiques de l’entreprise, tels que son âge, sa taille ou son secteur d’activité.

D’autre part, cette notion n’est pas observable en temps réel. Les exonérations ne pourraient alors s’appliquer qu’avec retard, avec le risque d’un découplage entre le moment où l’entreprise a le plus besoin de bénéficier des aides et le moment où elle les perçoit. En outre, Stéphane Carcillo, auditionné par vos rapporteurs, a également souligné le risque d’aléa moral – en incitant les entreprises à gérer leurs liquidités avec moins de rigueur afin de pouvoir bénéficier des aides – et de rupture d’égalité avec les autres entreprises.

b.   Selon l’âge des entreprises

● Un autre indicateur pourrait être l’âge des entreprises concernées. Les entreprises les plus jeunes sont en effet celles qui ont un besoin de liquidité généralement le plus important. Ce sont souvent ces entreprises qui sont également créatrices nettes d’emploi. Des exonérations de cotisations ciblées existent toutefois déjà en faveur des entreprises qui présentent une forte valeur ajoutée, comme les « jeunes entreprises innovantes » ([38]).

La généralisation d’une exonération ciblée sur les jeunes entreprises en fonction de leur degré de valeur ajoutée ou, à l’inverse, de leurs contraintes de liquidité, pourrait donc constituer une piste de ciblage des exonérations de cotisations sociales.

● Selon les évaluations fournies à vos rapporteurs par l’Urssaf, on observe qu’à secteur d’activité et taille d’entreprise données, le taux d’exonération apparent des entreprises lié à l’allègement de cotisations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic décroît déjà avec l’ancienneté. Par exemple, dans les entreprises âgées de plus de 30 ans, le taux d’exonération est inférieur de 5 points à celui des entreprises de moins d’un an ([39]).

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié à l’allègement de cotisations sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic

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Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux d’exonération lié aux allègements de cotisations sur les salaires jusqu’à 1,6 Smic inférieur de 5 points à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Cet effet ne se vérifie pas lorsque l’on examine les « bandeaux maladie et famille ». Ainsi, le taux d’exonération afférent au « bandeau famille » varie légèrement avec l’ancienneté de l’entreprise. Il est globalement moins élevé dans les entreprises dont l’ancienneté est comprise entre un et dix ans et un peu plus élevé pour les entreprises dont l’âge excède dix ans.

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié au « bandeau famille » sur les salaires jusqu’à 3,5 Smic

https://lh5.googleusercontent.com/Tq0lFGSmKp7Ik8-9nXgLljNID-TPZKqSG57F4IQe74KVL6HHE1LLQh0E0S7kiQXKQMgUmCwCqAy5MftzhLicwk-NB_0I-pBxPLDI_7x9stc5rgX7Q0G5jgdEUAHPzCOCR3c9SkROlPSrJ4DD7z9l_w

Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux de réduction lié au « bandeau famille » supérieur de 0,03 point à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Quant au « bandeau maladie », son effet apparaît significativement plus faible pour les entreprises dont l’ancienneté est comprise entre un et cinq ans que pour les entreprises âgées de dix à trente ans.

Effet isolé de l’ancienneté de l’entreprise sur le taux d’exonération lié au « bandeau Maladie »

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Note de lecture : à secteur d’activité et taille d’entreprise donnés, les entreprises ayant plus de 30 ans d’existence ont un taux de réduction lié au « bandeau maladie » inférieur de 0,01 point à celui des entreprises créées il y a moins d’un an.

Source : réponses de l’Urssaf au questionnaire des rapporteurs.

Ces résultats permettent donc de constater qu’à l’inverse des « bandeaux maladie et famille », l’allègement de cotisation sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic cible de facto davantage les jeunes entreprises.

Le montant brut des rémunérations semble donc constituer, à ce stade et compte tenu de l’absence actuelle d’effet de seuil identifié, la base la plus objective pour des exonérations qui visent à favoriser l’emploi et la compétitivité des entreprises.

II.   conditionner les allègements généraux à la négociation salariale : une pratique existante mais marginale, une généralisation qui se heurte à des obstacles importants

A.   La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît déjà une forme d’application

1.   La conditionnalité des allègements généraux est une question récurrente qui connaît un regain d’intérêt depuis quelques années

● Aussi ancienne que la création des allègements généraux, la question de la mise en place de conditions ou de contreparties aux exonérations de cotisations sociales est un thème récurrent qui ressurgit dans le débat chaque fois que le législateur se saisit du sujet des exonérations de cotisations sociales.

Dès 1995, les discussions autour du projet de loi relatif à des mesures d’urgence pour l’emploi et la sécurité sociale se sont accompagnées de diverses propositions visant à assortir les exonérations de cotisations sociales patronales de contreparties liées notamment à la création d’emplois par les entreprises bénéficiaires ([40]).

● La question de la conditionnalité des allègements généraux semble cependant connaître un regain d’intérêt ces dernières années en lien avec le débat plus global concernant les contreparties des aides publiques versées aux entreprises dans un contexte où l’État a produit un effort considérable pour soutenir l’activité et l’économie face à la crise sanitaire ([41]).

Le sujet revient régulièrement dans les débats parlementaires, en particulier lors de l’examen annuel du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l’occasion duquel sont systématiquement discutés des amendements visant à conditionner le bénéfice des exonérations de cotisations sociales au respect d’engagements en matière d’emploi, d’investissement, de relocalisation, d’égalité professionnelle ou d’objectifs environnementaux, ainsi qu’à l’occasion de la discussion de textes relatifs au droit du travail et au partage de la valeur en entreprise.

Dans ce contexte, les rapporteurs ont souhaité rappeler l’état du droit concernant la conditionnalité des allègements généraux d’une part, et interroger les différentes parties prenantes sur l’opportunité de l’étendre à d’autres types de conditions et sur les modalités concrètes que pourraient prendre lesdites conditions d’autre part.

2.   Le droit en vigueur prévoit déjà certaines conditions au bénéfice des allègements généraux

Il convient tout d’abord de rappeler que le bénéfice des allègements généraux est déjà soumis à un certain nombre de critères d’éligibilité.

a.   L’interdiction du travail illégal

● Le code de la sécurité sociale conditionne le bénéfice des allègements généraux au respect de la législation relative à l’interdiction du travail illégal. En application de l’article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, le recours au travail illégal entraîne la suppression totale ou partielle des réductions ou exonérations de cotisations sociales lorsque l’entreprise commet une ou plusieurs des infractions suivantes :

– travail dissimulé ;

– marchandage ;

– prêt illicite de main d’œuvre ;

– emploi d’étranger non autorisé à travailler.

L’article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale exclut cependant deux situations constitutives de travail illégal des hypothèses pouvant conduire à la suppression des allègements généraux :

– le cumul irrégulier d’emplois ;

– la fraude aux allocations consacrées aux actions de reclassement et de reconversion professionnelle, à l’activité partielle et à l’aide aux travailleurs privés d’emploi.

● Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([42]), la suppression du bénéfice des allègements généraux peut n’être que partielle dans les deux hypothèses suivantes :

– lorsque la dissimulation d’activité ou de salarié résulte uniquement de la requalification d’une prestation de services en relation salariée ([43]) ;

– lorsque la dissimulation d’activité est limitée ([44]), c’est-à-dire qu’elle représente moins de 5 % des rémunérations déclarées au titre de la période d’emploi faisant l’objet du redressement – 10 % pour les entreprises de moins de vingt salariés.

Le montant de l’annulation des réductions et exonérations de cotisations sociales correspond alors au rapport suivant :

La sanction ne peut cependant pas être modulée lorsque l’infraction concerne des mineurs soumis à l’obligation scolaire, des personnes dont l’état de vulnérabilité ou de faiblesse sont apparents ou connus de l’auteur ou lorsque l’infraction est effectuée en bande organisée.

● Selon les données fournies à vos rapporteurs par l’Urssaf, les annulations d’exonérations liées au travail dissimulé ont représenté un montant de 27 millions d’euros en 2022 sur un total de 789 millions d’euros de redressement prononcé par les Urssaf.

b.   La condition relative à l’obligation de négociation sur les salaires effectifs

● En outre, dans l’objectif d’inciter les entreprises à revaloriser leurs grilles salariales, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail ([45]) a instauré une forme de conditionnalité des allègements généraux à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, liée à l’obligation pour l’employeur d’engager une négociation annuelle portant sur les salaires effectifs et l’organisation du temps de travail.

Dans sa version initiale, cet article prévoyait un abattement du montant des exonérations de cotisations sociales applicable aux employeurs ne remplissant pas l’obligation de négociation sur les salaires prévue au 1° de l’article L. 2242-8 du code du travail. L’abattement était de 10 % du montant des exonérations de cotisations sociales dues au titre de l’année concernée par l’absence de négociation. Le dispositif prévoyait en outre que, lorsque l’employeur ne remplissait pas cette obligation pour la troisième année consécutive, le bénéfice des exonérations de cotisations sociales lui était intégralement supprimé.

Malgré une évolution progressive de ses modalités, le principe de cette conditionnalité reste applicable aujourd’hui sous la forme d’une pénalité pouvant être prononcée par l’autorité administrative ([46]). L’article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ([47]) a ainsi substitué à l’abattement initial un mécanisme de sanction financière. Lorsqu’aucun manquement relatif à l’obligation de négociation n’a été constaté au cours des six exercices précédents, la pénalité est plafonnée à un montant équivalent à 10 % de la réduction de cotisations au titre de chaque année au cours de laquelle le manquement a été observé et dans la limite de trois années consécutives.

En cas de constatation d’un précédent manquement au cours des six années précédentes lors d’un contrôle de l’inspection du travail, le plafond de la pénalité est porté à un montant équivalent à 100 % des exonérations de cotisations sociales.

Il appartient à l’autorité administrative compétente – la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) – de fixer le montant exact de la pénalité, en tenant compte des efforts constatés pour ouvrir les négociations, de la situation économique et financière de l’entreprise, de la gravité du manquement et des circonstances ayant conduit au manquement. Cette sanction est dorénavant prévue à l’article L. 2242-7 du code du travail dans sa rédaction résultant des ordonnances dites « travail » de 2017 ([48]).

● Ce dispositif appelle plusieurs remarques de la part des rapporteurs. Tout d’abord, cette sanction ne s’applique qu’aux entreprises concernées par l’obligation de négociation sur les salaires effectifs. Elle ne concerne donc que les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives ([49]) c’est-à-dire les entreprises d’au moins cinquante salariés ([50]) ou celles de moins de cinquante salariés dès lors qu’un membre de la délégation élue du personnel au comité social et économique y a été désigné en tant que délégué syndical ([51]).

Or, selon les données publiées par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques du ministère chargé du travail (Dares) ([52]), en 2021, 85 % des entreprises de cinquante salariés ou plus disposent d’au moins une instance élue et seulement 42,5 % disposent de délégués syndicaux.

En outre, si 88,5 % des entreprises de 300 salariés ou plus disposent à la fois d’une instance représentative du personnel et de délégués syndicaux, cette proportion n’est que de 35,4 % dans les entreprises de 50 à 299 salariés et de 4,1 % des entreprises de 10 à 49 salariés.

Le graphique ci-après illustre les grandes disparités dans la représentation des salariés dans les entreprises – et donc dans l’existence d’une obligation de négociation – en fonction de la taille des entreprises.

Couverture des entreprises par au moins une instance représentative du personnel élue ou des délégués syndicaux selon la taille, de 2018 à 2021

 

https://lh4.googleusercontent.com/wMaOlJ_odXinwlKnWYC_Ar79E6tVTjgipbjnfagfn6Fj4u-PlVDf0z75oJii_w3Lszy1rLZ5BJngbg5qECthUXp2cw8tTjykDSmMWPKj5YxYspnSHJ3SEQR5ExhyOhC1hmLrqFAu8kwNobVGBz39kg

Lecture : en 2021, parmi les entreprises de 10 à 49 salariés, 29 % sont couvertes par une instance représentative du personnel (IRP) élue, et 4,5 % par au moins un délégué syndical.

Champ : entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole en France (hors Mayotte).

Source : Dares, enquête Acemo « Dialogue social en entreprise ».

Au total, et toujours selon la Dares, 11,2 % des entreprises de dix salariés ou plus – représentant 57,5 % des salariés du même champ – disposent d’au moins un délégué syndical.

D’autre part, elle ne s’applique pas lorsque la périodicité de la négociation sur les salaires effectifs a été portée à une durée supérieure par un accord d’entreprise pris en application de l’article L. 2242-11 du code du travail.

Vos rapporteurs ne remettent naturellement pas en cause le fait que les obligations de négociation dans l’entreprise soient modulées en fonction de leur taille, et donc de leur capacité à négocier efficacement. Toutefois, force est de constater qu’il résulte de cette situation que la possibilité d’une sanction est loin de concerner l’intégralité des entreprises bénéficiant des allègements généraux.

● Enfin, cette condition est satisfaite dès lors que l’entreprise a ouvert la négociation. Le bénéfice des allègements généraux n’est donc pas subordonné à la signature d’un accord. Les travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2008 éclairent le choix alors fait par le législateur. Comme le mentionnait Gérard Cherpion, rapporteur du projet de loi, « lier le bénéfice des allègements généraux à la conclusion d’une négociation présenterait deux inconvénients fondamentaux :

« – le risque, en privant d’une partie du bénéfice des allègements les entreprises qui connaissent des difficultés, d’aggraver ces difficultés qui constituent précisément l’une des raisons pour lesquelles elles ne sont pas en mesure d’offrir davantage en termes de salaires ;

« – une obligation de conclure qui paraît difficilement compatible avec les principes de liberté et d’autonomie des partenaires sociaux. » ([53])

Vos rapporteurs ajoutent que conditionner le bénéfice des allègements généraux à la conclusion d’un accord emporte le risque d’un phénomène de « culpabilité pour fait d’autrui » puisqu’une entreprise pourrait être pénalisée dans l’hypothèse où les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d’accord.

● Les données fournies à vos rapporteurs par les Urssaf tendent à montrer que cette mesure a donné lieu à un nombre de sanctions relativement faible pour des montants dérisoires au regard du coût budgétaire des allègements généraux. Entre 2009 et 2014, le nombre d’entreprises sanctionnées chaque année a varié entre 74 et 325 pour des montants associés compris entre 1,43 million d’euros et 9,9 millions d’euros. Le nombre de sanctions et les montants ont chuté à partir de 2015. Au total, 1 056 sanctions ont donné lieu à pénalités déclarées depuis 2009 pour un montant cumulé de 25,2 millions d’euros soit moins que le montant des annulations d’exonérations liées au travail dissimulé pour la seule année 2022.

Cela étant rappelé, vos rapporteurs ne sauraient en déduire que cette disposition est inefficace ou superfétatoire. En effet, le degré d’efficacité d’une sanction ne doit pas s’apprécier à l’aune du nombre de décisions prononcées mais davantage à sa capacité à prévenir la survenance du comportement qu’elle vise à réprimer. À ce sujet, vos rapporteurs regrettent n’avoir eu connaissance d’aucune étude permettant d’identifier avec précision les effets que cette mesure a pu avoir sur la dynamique des négociations salariales au moment de sa mise en œuvre.

3.   L’absence de consensus sur l’opportunité d’étendre la conditionnalité des allègements généraux à d’autres domaines

● Vos rapporteurs se sont intéressés à la question de savoir s’il était pertinent et souhaitable de créer de nouvelles conditions au bénéfice des allègements généraux. Ils regrettent que la littérature économique et les études relatives aux exonérations générales de cotisations sociales n’aient pas davantage creusé la question de la conditionnalité.

Rappelons avant tout qu’aucun consensus ne se dégage sur le principe même de renforcer la conditionnalité des allègements généraux, pas davantage qu’il n’en existe sur les modalités concrètes que pourraient revêtir lesdites conditionnalités.

● Lors de leur audition, les syndicats de salariés ont unanimement souhaité instaurer de nouvelles conditions à l’octroi du bénéfice des allègements généraux et, plus globalement, mettre en place des contreparties à l’octroi d’aides publiques aux entreprises. S’agissant des allègements généraux, les syndicats – en particulier la CFDT et la CFE‑CGC – ont indiqué à vos rapporteurs souhaiter suspendre les allègements généraux pour les entreprises appartenant à des branches professionnelles dont les minima conventionnels se situent en dessous du Smic. La CFDT a également proposé d’interrompre le bénéfice des exonérations portant sur les revenus versés aux salariés rémunérés au Smic et ayant au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise. La CFE‑CGC a quant à elle évoqué l’idée de suspendre les exonérations de cotisations aux entreprises de plus de cinquante salariés qui ne proposent pas de forfait mobilités durables.

Après avoir rappelé leur opposition à tout type d’exonération de cotisations sociales, la CGT et FO ont néanmoins indiqué être favorables à la conditionnalité des aides publiques liée, entre autres critères, à des engagements en termes de création et de maintien de l’emploi, au respect des obligations légales et conventionnelles, au respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Bien que ce sujet dépasse la seule question des allègements généraux – et excède donc à ce titre le champ du présent rapport –, l’enjeu de la transparence et de la gouvernance des aides publiques a également été mise en avant par les organisations syndicales. La CFDT et la CFE‑CGC souhaitent ainsi une transparence accrue sur l’usage des aides publiques aux entreprises, en particulier à destination des membres du comité social et économique. La CFE‑CGC propose en outre la création d’une commission de contrôle de l’utilisation des fonds publics attribués aux entreprises, qui serait placée auprès du Haut‑commissariat au plan. Les syndicats ont également exprimé le besoin que soient renforcés les moyens des inspecteurs du recouvrement et des inspecteurs du travail.

● Si l’on peut aisément comprendre l’enjeu sous-jacent qui est d’obtenir un meilleur « retour sur investissement » des aides publiques, le nombre et la diversité des conditions évoquées apparaissent pour le moins ambitieux : respect des stipulations conventionnelles et engagements en matière de salaires ; création ou maintien d’un certain nombre d’emplois dans l’entreprise ; interdiction des délocalisations ou engagements à relocaliser ; maintien des effectifs en contrat à durée indéterminée ; respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ; interdiction des « super-profits » ou des dividendes ; rénovation de la gouvernance des entreprises ; engagements environnementaux

● De leur côté, les organisations patronales ont exprimé leur opposition à la mise en place de conditionnalités au bénéfice des allègements généraux. Le Medef a mis en avant les obstacles juridiques et techniques à la mise en œuvre d’une conditionnalité des allègements généraux ainsi que les risques de réduction de l’efficacité économique de ces dispositifs en faveur de l’emploi. La CPME et l’U2P ont quant à elles évoqué le risque de déstabilisation pour les TPE‑PME dans un contexte économique marqué par l’inflation.

Compte tenu du périmètre retenu pour le présent rapport, vos rapporteurs ont toutefois fait le choix de concentrer leurs travaux sur la proposition actuellement la plus débattue concernant les allègements généraux, à savoir celle visant à lier le bénéfice de ces allègements au respect, par les branches professionnelles, de l’obligation de fixer des minima conventionnels d’un niveau au moins égal au Smic.

B.   Lier le bénéfice des allègements généraux à la négociation salariale de branche : une proposition qui se heurte à des obstacles importants

1.   Une proposition qui s’inscrit dans un contexte particulier de revalorisations importantes et régulières du Smic...

● Dans un objectif d’incitation à la négociation salariale de branche, plusieurs syndicats de salariés – la CFDT et la CFE-CGC notamment – ont proposé de restreindre le bénéfice des allègements généraux de cotisations sociales aux entreprises qui appartiennent à une branche professionnelle ayant des minima conventionnels au moins égal au Smic. Cette proposition rejoint plusieurs initiatives parlementaires discutées récemment lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise ([54]).

Dans un contexte de forte inflation, la dynamique de revalorisation du Smic conduit en effet à ce qu’un nombre important de branches professionnelles présentent des minima conventionnels inférieurs au Smic. À la date du 9 juin dernier, 140 des 171 branches professionnelles présentaient ainsi des minima inférieurs au Smic suite à sa dernière revalorisation du 1er mai 2023 ([55]). Ce phénomène peut s’expliquer aisément par le fait qu’un certain nombre de branches peinent à suivre le rythme récent des revalorisations du Smic et sont en cours de négociation à la date de rédaction du présent rapport. Selon les données du ministère chargé du travail, seules 13 branches étaient en situation de non-conformité depuis plus d’un an au 31 août 2023.


– 1 –

dates d’entrée en vigueur des revalorisations du salaire minimum de croissance depuis le 1er janvier 2019

(en euros)

Date d’entrée en vigueur

Smic horaire brut

Smic mensuel brut pour 151,67 heures de travail

1er janvier 2019

10,03

1 521,22

1er janvier 2020

10,15

1 539,42

1er janvier 2021

10,25

1 554,58

1er octobre 2021

10,48

1 589,47

1er janvier 2022

10,57

1 603,12

1er mai 2022

10,85

1 645,58

1er août 2022

11,07

1 678,95

1er janvier 2023

11,27

1 709,20

1er mai 2023

11,52

1 747,20

Source : Commission des affaires sociales à partir des données de l’Insee.

Évolution du salaire minimum de croissance depuis le 1er janvier 2019

Source : Urssaf.

La loi imposant aux entreprises de rémunérer leurs salariés à un niveau au moins égal au Smic ([56]), cette situation est financièrement neutre pour les salariés concernés. Elle peut néanmoins conduire à renforcer le phénomène de tassement des grilles de rémunération qui freine l’augmentation salariale des salariés au niveau du Smic malgré leur progression de carrière.

Face à ce problème, la proposition de conditionner le bénéfice des exonérations de cotisations sociales aux entreprises appartenant à des branches ayant fixé des minima au moins égaux au Smic poursuit donc l’objectif d’inciter les partenaires sociaux à la négociation salariale.

● Il est à noter qu’un dispositif similaire avait été voté par le législateur en 2008 ([57]) afin d’inciter les branches présentant des minima conventionnels structurellement inférieurs au Smic à procéder à des renégociations salariales. Concrètement, l’article 27 de la loi en faveur des revenus du travail prévoyait de substituer le minimum conventionnel au Smic comme base de calcul de la réduction générale de cotisations sociales patronales lorsqu’il était inférieur au Smic au cours des deux années civiles précédant celle du mois au titre duquel le montant de la réduction était calculé. Sans aller jusqu’à la suspension du bénéfice des allègements, cette mesure devait permettre de réduire le montant des exonérations de cotisations octroyées aux entreprises appartenant à des branches dont les minima ne respectaient pas le niveau du Smic.

Cet article devait en principe s’appliquer à partir du 1er janvier 2011, sauf si le ratio entre le nombre de branches de plus de 5 000 salariés dont les minima conventionnels étaient inférieurs au Smic depuis au moins deux ans, d’une part, et le nombre de branches de plus de 5 000 salariés avait diminué d’au moins 50 % depuis la date de publication de la loi du 3 décembre 2008. Compte tenu de cette dernière condition, ce dispositif n’est cependant jamais entré en vigueur et aucune évaluation n’a pu en être faite.

2.   … mais qui se heurte à des écueils importants

Si vos rapporteurs souscrivent à l’objectif que poursuit une telle proposition, utiliser l’outil des allègements généraux pour y parvenir se heurte néanmoins à des écueils de taille qui ont été rappelés à plusieurs reprises lors des auditions.

● En premier lieu, un tel dispositif pose des questions de principe. Sur le plan éthique et juridique, son application aurait pour conséquence de pénaliser des entreprises vertueuses pour des comportements dont elles ne sont pas responsables puisque la fixation des minima conventionnels incombe aux partenaires sociaux au niveau de la branche.

Outre l’injustice que représenterait cette « culpabilité pour fait d’autrui », il n’est pas certain qu’une telle mesure, dont il pourrait être alléguée qu’elle est assimilable à une sanction, puisse être regardée par le juge constitutionnel comme étant conforme aux principes de proportionnalité et de nécessité des délits et des peines. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que les principes énoncés par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne concernent pas uniquement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. En tout état de cause, cette mesure de conditionnalité devrait faire l’objet d’un examen de constitutionnalité plus approfondi au regard du risque juridique qu’elle présente.

● Sur le plan des principes de politique économique, les allègements généraux ne semblent en outre pas constituer l’outil idoine pour renforcer le dynamisme des négociations salariales.

Bien connu des économistes, le principe de Tinbergen postule que, pour être efficace, chaque instrument de politique économique doit être affecté à la résolution d’un seul problème ou à l’atteinte d’un seul objectif ([58]). Or, comme vos rapporteurs l’ont rappelé à de multiples reprises dans le présent rapport, le dispositif des exonérations générales de cotisations sociales a été conçu dans un objectif de lutte contre le chômage via l’abaissement du coût du travail sur les bas salaires.

Dans le prolongement de ce constat, il apparaît contradictoire d’utiliser un outil initialement destiné à limiter le coût du travail afin de favoriser des hausses de salaires. Comme cela a été rappelé par les économistes et les services auditionnés par vos rapporteurs, ajouter une telle condition risquerait donc de divertir les exonérations de cotisations sociales de leur but originel avec le risque d’atténuer les effets positifs et avérés qu’elles ont sur l’emploi.

● Sur le plan du dialogue social, en ajoutant la condition selon laquelle les entreprises des branches ayant des minima conventionnels inférieurs au Smic perdent le bénéfice des allègements généraux, et compte tenu des enjeux financiers qu’ils représentent, il existe un risque de dénaturer les négociations et d’inciter les partenaires sociaux à privilégier la signature rapide d’un accord qui se contenterait d’augmenter les minima conventionnels au niveau du Smic, au détriment de la qualité de la négociation.

Au demeurant, cette situation exceptionnelle de forte inflation est conjoncturelle tandis que certaines dispositions du droit en vigueur poursuivent déjà l’objectif d’un renforcement de la dynamique des négociations salariales. D’une part, la loi impose aux branches professionnelles d’ouvrir des négociations lorsque les minima conventionnels de la branche deviennent inférieurs au Smic suite à sa revalorisation ([59]).

D’autre part, depuis la loi dite « pouvoir d’achat », le délai laissé aux organisations patronales pour entamer ces négociations a été raccourci à quarante‑cinq jours contre trois mois précédemment, précisément dans l’objectif de prendre en compte le dynamisme des revalorisations du Smic en période de forte inflation ([60]). Le même article a par ailleurs renforcé les outils permettant au ministre du travail d’engager une procédure de fusion de branches lorsqu’une branche professionnelle ne négocie pas régulièrement sur le niveau des minima conventionnels.

● En second lieu, les services des ministères auditionnés ainsi que le directeur général de l’Urssaf Caisse nationale ont mis en avant les redoutables questions d’opérationnalité que ne manquerait pas de poser la mise en œuvre de cette nouvelle règle, notamment eu égard au fait qu’il n’est pas toujours évident de savoir quelle convention collective s’applique à quelle entreprise. En effet, une entreprise peut relever de plusieurs branches différentes, notamment lorsqu’elle est divisée en établissements ou en filiales. De même, certaines branches se caractérisent par l’existence de plusieurs conventions collectives. Il en résulte qu’une entreprise peut relever de plusieurs conventions collectives à la fois. En outre, certaines conventions collectives peuvent prévoir plusieurs grilles salariales différentes avec des minima distincts. Cette réalité impose donc de prévoir des règles spécifiques dans chacun de ces différents cas.

Une telle règle s’ajouterait aux éléments de complexité déclarative que les allègements généraux représentent déjà pour les entreprises, en particulier pour les plus petites d’entre elles. En effet, comme l’ont rappelé les services auditionnés, les mesures d’exonérations constituent un sujet complexe et source d’erreurs pour les entreprises. Selon l’Urssaf Caisse nationale, les difficultés se concentrent plus particulièrement sur la compréhension de ce qu’il convient d’intégrer au champ des rémunérations à prendre en compte pour le calcul des exonérations, ainsi qu’à la valeur du Smic à laquelle est rapportée la rémunération annuelle brute.

Cette complexité est appréhendée par les Urssaf à travers un indicateur objectif : la part que représentent les allègements généraux dans le total des restitutions qu’elles sont amenées à verser aux entreprises qui ont commis des erreurs de déclaration en leur défaveur.

Or, en 2022, les exonérations en faveur de l’emploi représentaient 51 % des restitutions aux entreprises, contre seulement 25 % des redressements. S’agissant des entreprises de moins de cinquante salariés, cette part s’élevait à 59 % du total des restitutions. Au total, 124 millions d’euros ont été restitués à ce titre en 2022.

 

*

*     *

Compte tenu de ces éléments et de l’impact des allègements sur les bas salaires en termes d’emploi, il n’apparaît pas opportun aux rapporteurs de mettre en place une conditionnalité portant sur la négociation salariale de branche. Pour envisager une telle conditionnalité, les conséquences et la faisabilité gagneraient à en être mieux connues et appréhendées par les chercheurs, les administrations et la représentation nationale.

III.   Les exonérations de cotisations et contributions sociales en fonction de l’âge : un outil efficace pour augmenter le taux d’emploi ?

Les débats autour du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023 ont mis au jour, notamment par la voie de l’article relatif à « l’index seniors » ([61]), toute l’importance de l’enjeu de l’emploi des personnes les plus âgées sur le marché du travail. Dans ce cadre, le Sénat a souhaité ajouter un article créant un contrat de travail spécifiquement dédié aux travailleurs âgés et assorti d’une exonération de cotisations « famille » à la charge de l’employeur ([62]).

Si la commission mixte paritaire sur le PLFRSS s’était accordée sur le principe d’une expérimentation ciblée sur les travailleurs âgés les plus éloignés de l’emploi ([63]) et si, finalement, le Conseil constitutionnel avait censuré cet article ([64]), il n’en reste pas moins que la problématique est centrale et régulièrement débattue. Les rapporteurs ont donc souhaité approfondir cette question afin d’analyser dans quelle mesure une exonération ciblée sur l’âge des salariés, qui n’existe pas encore en France, pourrait avoir un effet positif ([65]).

A.   malgré une évolution positive sur les dernières années, La situation de l’emploi des seniors reste préoccupante en France

1.   Un changement de politiques publiques en ce qui concerne l’emploi des seniors

Depuis les années 1990, la France a connu un changement drastique de stratégie économique vis-à-vis de l’emploi des travailleurs dits « seniors ». En effet, entre l’entre-deux-guerres et les années 1980, les départs anticipés étaient facilités, par plusieurs dispositifs, auxquels participaient la réforme des retraites de 1982 ([66]), les mesures de pré-retraite ([67]) et les règles spécifiques d’assurance chômage ([68]).

Face à l’enjeu désormais de plus en plus important de conserver les salariés les plus âgés sur le marché du travail, ces différents dispositifs ont peu à peu été éteints. En créant la « surcote » et en instaurant une taxe sur les pré-retraites privées ([69]), la réforme des retraites de 2003 a permis d’accélérer l’augmentation du taux d’emploi des salariés expérimentés. Des mesures visant à faciliter le cumul emploi-retraite, récemment réformé par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ([70]), ont ensuite été prises dans le but de permettre aux personnes en situation de cumul de continuer à se créer de nouveaux droits à la retraite, accessibles dans le cadre d’une seconde liquidation.

Le « contrat de génération », introduit en 2013 ([71]) et supprimé en 2017 ([72]) faute d’avoir trouvé son public ([73]), octroyait une aide financière aux entreprises de moins de 50 salariés en cas d’embauche de jeunes de moins de 26 ans et de maintien en emploi des salariés de 57 ans ou plus. Pour les entreprises dont l’effectif était compris entre 50 et 300 salariés, le bénéfice de l’aide était conditionné à la mise en place d’un accord ou d’un plan d’action portant sur le contrat de génération. En parallèle, ce « contrat de génération » comprenait un volet dissuasif, conduisant à ce que les entreprises de plus de 300 salariés qui ne mettaient pas en place cet accord ou ce plan d’action se voyaient financièrement pénalisées.

2.   Une évolution favorable mais encore insatisfaisante de l’emploi des seniors

● Ces évolutions législatives ont logiquement conduit à augmenter, dans de fortes proportions, le taux d’emploi des salariés seniors, après que celui-ci a chuté jusqu’à 17 % au milieu des années 1990 ([74]). Le Conseil d’orientation des retraites précise ainsi que ce taux a augmenté de 25 points de pourcentage entre 2000 et 2017 pour les 55-59 ans, de 20 points pour les 60-64 ans et de 4 points pour les 65-69 ans ([75]).

Taux d’emploi et d’activité des seniors

https://lh4.googleusercontent.com/lLgmcOLBHUm4E2jz5q5TRP6ZzRjVonf-B3MG4S0-LJeu1D8VYPWDToo-jeaj4rj4FZFufoqOKapKyNCR44rNDdOwE25jkfnw3EoZMrGuUkPzwwThXTJHsYaTS5-aTDx58_wBl42zxDm_MfihY12htA

Source : Dares, 2023.

La situation des travailleurs seniors varie bien entendu en fonction de leur âge. En mai 2023, l’Insee a publié une note ([76]) qui résume les principales données disponibles jusqu’à l’année 2021. Elle montre ainsi qu’à 55 ans, 79 % des personnes sont en emploi, les autres situations étant minoritaires : 5 % sont au chômage, 15 % inactifs sans être à la retraite et 1 % retraités. À l’opposé, à 69 ans, 91 % des personnes sont retraitées. Seulement 5 % sont en emploi, la majorité en situation de cumul emploi‑retraite, et 3 % sont ni en emploi ni à la retraite (NER).

Toutefois, l’Insee rappelle bien qu’une personne de 55 à 69 ans sur six n’est ni en emploi ni à la retraite et que cette situation est, la plupart du temps, subie. Plus précisément, « de 20 % à 55 ans, la part de personnes ni en emploi ni à la retraite atteint 28 % à 61 ans. À 62 ans, du fait de l’augmentation des départs à la retraite, cette part chute de 11 points, puis continue de baisser jusqu’à atteindre 3 % à 69 ans. » La part des personnes ni à la retraite ni en emploi dans la tranche d’âge 55‑69 ans a augmenté sur la période récente, passant de 14 % en 2014 à 16 % en 2021, malgré une stabilisation du nombre de chômeurs sur la période.

Surtout, le taux d’emploi des travailleurs seniors reste, en France, structurellement inférieur à celui des pays comparables : 53,8 % en 2020, contre 59,6 % pour l’ensemble de l’Union européenne et même 60,2 % pour les pays membres de la zone euro ([77]). Les États du cœur et du nord de l’Europe se distinguent par des performances particulièrement notables en la matière. L’Insee rappelle en outre que cet écart est particulièrement important pour la tranche 60-62 ans, avec par exemple un taux d’emploi de 62 % en Allemagne contre seulement 36 % en France ([78]).

Taux d’emploi des seniors dans quelques pays de l’Union Européenne (2021)

https://lh6.googleusercontent.com/aN8e6ywIjSGU1BgvfcwHmwqEuiapzXTCo7HqUcXIM-VlCUa_0JDJOWXlVYUF_k4jLUYrKd_h_Eo809gY5mpjJvAkGX9Hq7GuugtoxFTskKtXDD5NFtfjHGo9yvAJid2Hlt3pxttjAUSkKp5J3fvrRQ

Source : Dares, 2023.

 

Enfin, selon les dernières données disponibles ([79]), il faut noter que les seniors étaient payés 1,2 fois plus que les plus jeunes (contre 1,10 dans l’OCDE), niveau similaire à l’Allemagne.

écart de salaire moyen des seniors vis-à-vis des plus jeunes

https://lh3.googleusercontent.com/2DHdncu5KJy9hWi85TFjvv1CP-exY6iz0ifX2MPP5wokRuyIBSoS0zD2XpfwPfIY99IKBSXP-yncvAHWkbpHJ_7ziLbdRIKF9WXg_ZwdOIri1dmoW1MS1JIxmRL5wcOE7CXz9lpKvWLr7iv8d9jsJQ

Source : France Stratégie, 2018.

Cette différence s’explique d’abord par un différentiel de coût du travail compte tenu de l’importance des allègements de cotisations sur les bas salaires. Ce différentiel de coût ne saurait toutefois trouver, dans la littérature économique, une explication dans un éventuel différentiel de productivité entre les salariés les plus jeunes et les salariés les plus expérimentés, même si ce sujet reste fortement débattu. Comme l’indiquait France Stratégie en 2018 ([80]), même si la productivité individuelle n’est souvent pas directement observable, il faut noter la surreprésentation mécanique des seniors dans les secteurs et structures les moins dynamiques, la mise en évidence de hausses de productivité en cas d’équipes intergénérationnelles, ainsi que l’importance à cet égard des « soft skills » liées à l’expérience. Toutefois, « certaines études microéconomiques ([81]) n’identifient aucun écart de productivité entre différentes générations de travailleurs sur une même ligne d’assemblage » ([82]).

B.   Des exonérations supplémentaires nécessiteraient de pouvoir démontrer leur bénéfice pour ces populations spécifiques

1.   La France a peu à peu supprimé les exonérations et dispositifs spécifiques en lien avec l’âge

● La France a peu à peu supprimé les dispositifs qui visaient spécifiquement les salariés les plus âgés. C’est le cas en particulier de la contribution dite « Delalande » créée par la loi en 1987 ([83]) et supprimée en 2008 ([84]), qui prévoyait la taxation des licenciements des plus de 50 ans en contrat à durée indéterminée.

Depuis le 1er janvier 2019, le « contrat de professionnalisation » ([85]), qui octroie une aide forfaitaire de l’État d’un montant maximal de 2 000 euros pour les employeurs qui embauchent des demandeurs d’emploi de 45 ans ou plus, n’est plus assorti d’exonérations de cotisations spécifiques ([86]). Les employeurs qui en bénéficiaient sont toutefois éligibles à la réduction générale, renforcée, de cotisations sociales pour les employeurs.

Ainsi, il n’existe en France que peu d’exonérations qui fassent intervenir l’âge comme critère d’éligibilité. La plus identifiée reste l’exonération en faveur des jeunes chefs d’exploitation ou d’entreprises agricoles ([87]). Créée en 1985 ([88]), il s’agit d’une exonération partielle et dégressive de cotisations d’assurance maladie, vieillesse de base, famille et invalidité-décès, pour une durée de cinq ans à compter de la première année au titre de laquelle les cotisations sont dues. Le taux d’exonération est de 65 % la première année, 55 % la deuxième année, 35 % la troisième année, 25 % la quatrième année et 15 % la cinquième année. Pour en bénéficier, il est nécessaire d’exercer une activité d’exploitant agricole ou de chef d’entreprise à titre principal ou exclusif, de bénéficier des prestations d’assurance maladie des exploitants agricoles et surtout d’être âgé de 18 à 40 ans ([89]). Pour un coût de 41,3 millions d’euros en 2022, cette mesure bénéficie à un peu plus de 45 000 personnes ([90]).

● Pour les plus jeunes, des exonérations spécifiques existent pour les contrats d’apprentissage, qui donnent lieu à l’exonération de la quasi-totalité des cotisations patronales et salariales ainsi qu’à un non-assujettissement à la CSG et à la CRDS.

D’autres États ont expérimenté un soutien indirect aux employeurs par la voie d’exonérations ciblées en fonction de l’âge. C’est le cas de la Suède, où le taux de cotisations diminue avec l’âge – 31,42 % jusqu’à 65 ans, 16,36 % à partir de 65 ans, 6,15 % à partir de 81 ans. Les cotisations de retraite professionnelle y sont, par ailleurs, supprimées à partir de 65 ans par la voie de certains accords collectifs ([91]).

2.   En l’absence de consensus, plusieurs pistes sont évoquées en matière d’exonérations ciblées en fonction de l’âge

● La situation inquiétante de l’emploi des seniors en France a conduit à ce que beaucoup d’institutions et d’organismes formulent des recommandations en la matière, comme cela a été le cas de l’Assemblée nationale ([92]), du Conseil d’analyse économique ([93]), ou encore de l’Institut Montaigne ([94]). Alors que la Cour des comptes avait alerté le Premier ministre en 2019 sur ce sujet ([95]), un rapport avait été remis au Gouvernement dès 2020 afin d’alimenter les réflexions en vue de futures évolutions ([96]).

Peu de ces rapports font état de pistes d’évolutions qui pourraient concerner les cotisations sociales. Certains d’entre eux, notamment celui remis au Gouvernement en 2020, faisaient plutôt état des difficultés liées à la multiplication des ruptures conventionnelles pour des salariés âgés de 59 ou 60 ans, pouvant expliquer, compte tenu de la période de chômage, un départ « anticipé » à la retraite par cet intermédiaire. La dernière réforme des retraites a été l’occasion, à l’initiative de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, d’harmoniser certains régimes fiscaux et sociaux auparavant divergents entre les indemnités de mise à la retraite et les indemnités de rupture conventionnelle individuelle ([97]), afin de lutter contre les sorties anticipées d’emploi.

● Il a également pu être envisagé, notamment dans le rapport parlementaire de MM. Martin et Viry ([98]), de « réduire l’impact de la sinistralité [pour les cotisations accidents du travail-maladie professionnelle ATMP] pour des salariés recrutés après 60 ans ». En effet, « l’état de santé ou la sinistralité est moins liée à l’attitude vertueuse de leur employeur en matière de prévention qu’au résultat de l’ensemble des risques pris au cours de la carrière du salarié ». Comme cela a également pu être proposé à l’occasion de la dernière réforme des retraites par des amendements rejetés par l’Assemblée nationale ([99]), il ne s’agirait pas d’une exonération en tant que telle mais plutôt d’une révision de la modulation, déjà complexe, des cotisations AT‑MP.

Le Conseil d’analyse économique (CAE) recommandait, quant à lui, d’instituer un « système de bonus-malus pour les cotisations employeur d’assurance-chômage », afin de faire en sorte que « les entreprises contribuent pour partie au coût de l’indemnisation chômage de leurs ex-salariés » ([100]). Toutefois, le CAE précise que « pour qu’il ne désavantage pas les seniors, comme c’était le cas pour la contribution Delalande, ce système doit s’appliquer à tous les salariés, indépendamment de leur âge ».

L’Institut Montaigne a proposé plus directement de « moduler le taux de cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié ». Plus précisément, l’Institut demande, pour un coût fiscalo-social neutre, à ce que « les personnes de moins de 30 ans et celles de plus de 55 ans, dont les taux d’emploi sont les plus faibles, [puissent] voir le taux des charges sociales patronales qui leur sont appliquées diminuer ». Le raisonnement inverse est appliqué aux personnes entre 30 et 55 ans, dont le taux d’emploi est meilleur, et qui se verraient donc appliquer un taux de cotisation supérieur ([101]).

3.   Les principaux risques d’une nouvelle exonération liée à l’âge

● Alors que le Sénat a proposé une exonération des cotisations familiales patronales pour l’embauche de demandeurs d’emploi seniors, toutes ces propositions ne se recoupent pas et ne forment aucun consensus. Les auditions des rapporteurs ont confirmé ce constat. Les organisations patronales auditionnées, pourtant enclines à défendre les exonérations, ne paraissent pas en demande d’une exonération supplémentaire, dans un maquis jugé déjà complexe et peu lisible d’exonérations aux objectifs divers. Ces dernières n’ont donc pas défendu le principe d’un allègement supplémentaire pour les seniors, susceptible de générer des comportements de mise en préretraite de la part des employeurs en ciblant les seniors dans les fins de contrat, préférant mettre l’accent sur la nécessité de revoir les paramètres de l’indemnisation du chômage spécifiques aux seniors.

Les rapporteurs identifient quatre principaux risques à créer une nouvelle exonération en fonction de l’âge :

– le risque constitutionnel : si le Conseil constitutionnel a censuré l’article de la LFRSS 2023 relatif au « CDI seniors » en le considérant comme un « cavalier social », d’autres importantes incertitudes constitutionnelles pèsent sur l’idée d’exonérer de cotisations sociales sur la base de l’âge, comme le rappelle le rapport de l’Institut Montaigne ([102]), notamment sur le fondement du principe d’égalité. En effet, il serait difficilement justifiable, au regard de ce principe, que deux salariés ayant un salaire identique dans une même entreprise ou un même secteur, l’un juste avant la borne d’âge choisie et l’autre juste après, ne bénéficient pas des mêmes exonérations, sur le seul fondement de leur âge ;

– le risque d’effet d’aubaine, lié à la difficulté de cibler les bons publics. Une exonération liée à l’âge pourrait conduire les entreprises à adopter des stratégies économiques, en coopération avec les salariés, conduisant à acter un licenciement ou une rupture conventionnelle, avant de reprendre le salarié, afin de remplir les critères permettant d’accéder à l’exonération. Cette stratégie reviendrait bien entendu à rendre l’exonération totalement inutile, puisqu’elle ne permettrait pas de création d’emploi.

Par ailleurs, il faut rappeler que les études montrent clairement que les seniors ne sont pas égaux face au risque de chômage et que le diplôme reste l’élément le plus déterminant en ce sens. Comme le précise la note de l’Insee de mai 2023 ([103]), « entre 55 et 61 ans, la moitié des [personnes ni en emploi ni à la retraite] pour raison de santé ou de handicap sont peu ou pas diplômés ». Ils sont 28 % au chômage (contre 14 % en cas de diplôme supérieur à bac + 2). Au total, 42 % des personnes entre 55 et 61 ans sans diplôme ne sont ni en emploi ni à la retraite, contre 16 % pour ceux qui en possèdent. Cette situation conduit plutôt à interroger la formation tout au long de la vie, afin d’assurer un maintien dans l’emploi, plutôt que des exonérations de cotisations qui ne toucheraient probablement qu’imparfaitement les personnes au faible niveau de diplôme ;

Taux de personnes entre 55 et 61 ans qui ne sont ni en emploi ni à la retraite en fonction du niveau de diplôme (en %) 

 

Au chômage au sens du BIT

Pour des raisons de santé ou de handicap

Pour une autre raison

Ensemble

Diplôme du supérieur

25

9

19

16

Baccalauréat, CAP, BEP, ou équivalent

47

40

43

42

Aucun diplôme, CEP ou brevet des collèges

28

51

38

42

Source : Insee, 2023.

– le risque d’entrer à nouveau dans une stricte logique générationnelle en matière de politique de l’emploi. Tous les dispositifs ciblant spécifiquement une catégorie d’âge ont été peu à peu supprimés, après le constat d’une trop faible efficacité ;

– le risque du mauvais calibrage. Comme il est possible de le constater à la lecture des différentes études, il n’y a de consensus ni sur les cotisations précises dont il faudrait exonérer l’employeur ou le salarié ([104]), ni sur l’ampleur que devrait avoir cette nouvelle exonération. Aucune bonne solution ne semble ainsi se dégager en ce qui concerne le ciblage des exonérations.

Face à l’ensemble de ces risques, les rapporteurs estiment qu’une nouvelle exonération de cotisations ne permettrait pas de réduire rapidement et profondément les obstacles qui empêchent encore notre pays de disposer d’un taux d’emploi des seniors équivalent à celui de nos voisins. L’effet d’aubaine étant trop fort, les risques qui s’attacheraient à cette nouvelle exonération surpassent largement les effets positifs qu’il serait possible d’en attendre. Cette mesure n’aurait sans doute un effet bénéfique que pour une petite partie des salariés expérimentés et probablement pas pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.


– 1 –

   Travaux de la commission

Dans sa séance du 27 septembre 2023, la commission des affaires sociales examine le rapport d’information de MM. Marc Ferracci et Jérôme Guedj en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales »

Cette réunion fera l’objet d’un compte rendu écrit accessible ultérieurement. Les débats sont sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/dxkahR

 

*

*     *

La Commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport de la MECSS sur « le contrôle de l’efficacité des exonérations de cotisations sociales ».

 

 

 

 


– 1 –

ANNEXE :
Liste des personnes auditionnÉes par lEs rapporteurs

(Par ordre chronologique)

        Membres de la mission IGAS-IGF sur la méthodologie d’évaluation des exonérations de cotisations sociales :

– M. Rodolphe Gintz, inspecteur général des finances ;

M. Thomas Brand, ancien inspecteur des finances ;

Mme Laurence Eslous, inspectrice générale des affaires sociales ;

M. Antoine Magnier, inspecteur général des affaires sociales.

        Table ronde des organisations représentatives des salariés :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Luc Mathieu, secrétaire national responsable de la politique de financement de la protection sociale et de la fiscalité, M. Paul Busi, secrétaire confédéral en charge de la fiscalité et des questions économiques, Mme Sara Mirasadi, stagiaire à la confédération ;

 Confédération générale du travail (CGT)Mme Cécile Velasquez, dirigeante confédérale, et M. Victor Duchesne, conseiller confédéral ;

 Force Ouvrière (FO) – M. Éric Gautron, secrétaire confédéral en charge de la protection sociale collective, et M. Léo Lasnier, assistant confédéral ;

 Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  Mme Christelle Thieffinne, secrétaire nationale du secteur « protection sociale », et Mme Anaïs Filsoofi, chargée d’études « économie et fiscalité » ;

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Raffaël Margherita, chef de file CFTC CA Acoss, et M. Nassim Chibani, conseiller technique « protection sociale ».

        France Stratégie  M. Cédric Audenis, commissaire général adjoint, M. Antoine Naboulet, auteur du rapport de 2017 sur les exonérations générales de cotisations, et M. Vincent Aussilloux, auteur du rapport « Les politiques industrielles en France - Évolutions et comparaisons internationales »

        Association française des entreprises privées (Afep)* – Mme Julie Leroy, directrice des affaires sociales, et M. Nicolas Ragache, chef économiste

        Audition conjointe :

 CroissancePlus – Mme Audrey Louail, présidente de CroissancePlus et d’Ecritel, M. Arnaud Marcilly, coresponsable du groupe « future of work » chez CroissancePlus et fondateur de Thinkmarket, et M. Thibault Baranger, affaires publiques de CroissancePlus ;

 France Industrie* – M. Alexandre Saubot, président, M. Vincent Moulin Wright, directeur général, et Mme Murielle Jullien, directrice des affaires publiques.

        Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)* – M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, M. Nicolas Bondonneau, directeur de la protection sociale et de la santé sécurité au travail, et Mme Fanny Forest-Baccialone, directrice des relations extérieures

        Table ronde des organisations représentatives des employeurs :

– Mouvement des entreprises de France (Medef)*M. Hubert Mongon, président de la commission « dynamique du marché du travail et de l’emploi », Mme France Henry-Labordère, responsable du pôle social, et Mme Élizabeth Vital Durand, responsable du pôle Affaires publiques ;

– Union des entreprises de proximité (U2P)* – M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires.

        M. Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS)

        Audition conjointe :

– M. Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques ;

 Mme Sophie Cottet, doctorante ;

 M. Clément Malgouyres, économiste.

        M. Stéphane Carcillo, chef de la division « emploi et revenus » à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

        Audition conjointe :

 Direction générale des entreprises : M. Benjamin Delozier, chef du service de la compétitivité, de l’innovation et du développement des entreprises (SCIDE), et M. Balthazar Vatimbella, chargé de mission au pôle compétitivité et écologie de la sous‑direction de la prospective, des études et de l’évaluation économique du SCIDE ;

 Direction générale du Trésor : M. Antoine Deruennes, chef du service des politiques publiques, M. Édouard Chrétien, chef du bureau marché du travail et politiques de l’emploi, et Mme Rania Benyamina, adjointe au chef du bureau marché du travail et politiques de l’emploi.

        Direction de la sécurité sociale : M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Ramilijaona, adjoint au sous-directeur du financement de la sécurité sociale, Mme Mava Lamand, adjointe à la cheffe du bureau de la législation financière, et M. Marin GuédoGuilloteau, chargé de mission sur les exonérations de cotisations sociales.

        M. Thomas Breda, professeur associé à l’École d’économie de Paris

        M. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf Caisse nationale

        Audition conjointe :

 M. Yannick L’Horty, économiste, professeur de sciences économiques à l’université Gustave Eiffel ;

 M. Mathieu Plane, économiste, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale.

([2]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf

([3]) Exemple de l’article de Daniel Hamermesch, « The Demand for Workers and Hours and the Effects of Job Security Policies: Theory and Evidence », National Bureau of Economic Research, 1986.

([4])  Garsaa, Aziza. « Les exonérations de cotisations sociales patronales : une évaluation à partir d’un modèle de croissance et de rentabilité de la firme », La Revue de l’Ires, vol. 85-86, no. 2-3, 2015, pp. 3-43.

([5]) Loi n° 93-353 du 27 juillet 1993 relative au développement de l’emploi et de l’apprentissage.

([6]) Loi n° 95-882 du 4 août 1995 relative à des mesures d’urgence pour l’emploi et la sécurité sociale.

([7]) Loi n° 951356 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996.

([8]) Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

([9]) Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi et loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

([10])  Loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale.

([11]) Lois n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et n° 2017-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([12]) Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

([13]) Loi n° 2014892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.

([14]) Urssaf Caisse nationale, « Stat’Ur, Bilan », juillet 2023.

([15]) Comme cela est décrit aux pages 11 à 13 du présent rapport.

([16]) Annexe 2, disponible ici :

https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/PLACSS/2022/PLACSS%202022%20-%20Annexe%202.pdf

([17]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf

([18]) Précisément, cette revalorisation tient compte de l’évolution de l’inflation constatée pour les 20 % de ménages ayant les plus faibles revenus.

([19]) Article L. 3231-5 du code du travail.

([20]) Urssaf Caisse nationale, op. cit.

([21]) Ibid.

([22]) Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai 2023, consultable ici : https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/DSS/2023/CCSS-Mai2023.pdf.

([23]) Id.

([24]) Les analyses qui suivent ne portent pas sur les exonérations dites ciblées, dont le montant est estimé à environ 10 milliards d’euros pour l’année 2023.

([25]) Le salaire moyen par tête (SMPT) rapporte les masses salariales brutes versées par l’ensemble des employeurs au nombre de salariés en personnes physiques.

([26]) Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud, « L’évolution de l’emploi dans les secteurs exposés et abrités en France », Économie et statistique, n°503-504, 2018.

([27]) L’indice de concentration est obtenu par le calcul d’un indice de Gini comparant la distribution de la demande à celle de l’offre. Si l’emploi – un indicateur de l’offre – dans un secteur donné est plus concentré que la demande à laquelle il fait face au niveau local, cela veut dire qu’une partie de sa production est consommée en dehors de la zone. La production est donc échangeable.

([28]) Le montant mensuel net du Smic pour 35 heures de travail par semaine était de 1230,60 euros par mois au 1er janvier 2021.

([29]) Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements : « Les exonérations générales de cotisations », juillet 2017.

([30]) S. Ananian, O. Calavrezo, « Les trajectoires salariales des individus payés au voisinage du Smic dans le secteur privé. Une analyse empirique sur données françaises entre 1995 et 2007 », Économie et Statistique, n° 448-449, 2011, consultable ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1377690/ES448C.pdf.

([31]) Bozio A., Cottet S. et Malgouyres C., Évaluation d’impact de la bascule du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements de cotisations employeur, rapport de l’IPP, septembre 2022.

([32]) Voir le I du présent rapport.

([33]) Annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022.

([34]) Bunel, Mathieu, Emond, Céline et L’Horty, Yannick. « Évaluer les réformes des exonérations générales de cotisations sociales », Revue de l’OFCE, vol. 126, n° 7, 2012, pp. 57-103.

([35]) L’Horty, Yannick, Martin, Philippe, et Mayer, Thierry. « Baisses de charges : stop ou encore ? », Notes du Conseil d’analyse économique, vol. 49, n° 1, 2019, pp. 1-12.

([36]) Cahuc, Pierre, et Carcillo, Stéphane. « Les conséquences des allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires », Revue française d’économie, vol. xxvii, n° 2, 2012, pp. 19-61.

([37]) S’agissant du cas français, l’étude porte sur l’impact des exonérations de cotisations sociales mises en œuvre à compter de 1995, sur les bas salaires.

([38]) Cette exonération de cotisations d’assurance maladie, d’assurance vieillesse et d’allocations familiales porte sur la rémunération des personnels impliqués dans des activités de recherche et développement ainsi que d’innovation, dans la limite de la septième année suivant celle de la création de l’entreprise et dans la limite d’une rémunération de 4,5 Smic.

([39]) Les résultats présentés dans les graphiques ci-dessous sont issus d’une régression linéaire faisant dépendre le taux d’exonération apparent des établissements de l’ancienneté de l’entreprise à taille et secteur d’activité donnés.

([40]) Voir notamment le compte rendu des débats de la deuxième séance du vendredi 28 juillet 1995.

([41]) Le lecteur pourra utilement se référer au rapport de la mission d’information commune sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises présenté le 31 mars 2021 par les rapporteurs Saïd Ahamada, Barbara Bessot-Ballot, Dominique Da Silva et Laurianne Rossi.

([42]) Article 21 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([43]) II de l’article L. 8221-6 du code du travail.

([44]) Article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale.

([45]) Article 26 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([46]) Article L. 2242-7 du code du travail.

([47]) Article 17 de la loi n° 20015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

([48]) Article 7 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([49]) Article L. 2242-1 du code du travail.

([50]) Article L. 2143-3 du code du travail.

([51]) Article L. 2143-6 du code du travail.

([52]) Dares, « Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2021 », Résultats, n° 32, juin 2023.

([53]) Assemblée nationale, XIIIe législature, rapport (n° 1107) de M. Gérard Cherpion, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur le projet de loi en faveur des revenus du travail, 17 septembre 2008, p. 41.

([54]) Projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, déposé le mercredi 24 mai 2023 devant le bureau de l’Assemblée nationale.

([55]) Données communiquées par le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion lors de la réunion du comité de suivi de la négociation salariale de branches du 14 juin 2023.

([56]) Article L. 3231-2 du code du travail.

([57]) Article 27 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([58]) Jan Tinbergen, À propos de la théorie en politique économique, 1952.

([59]) Article L. 2241-10 du code du travail.

([60]) Article 7 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([61]) Article 2 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, n° 760.

([62]) Amendement n° 2112 rect. Présenté par M. RenéPaul Savary et Mme Élisabeth Doineau, au nom de la commission des affaires sociales (https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/368/Amdt_2112.html).

([63]) Article 2 bis A du texte élaboré par la commission mixte paritaire (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0950_texte-adopte-commission#D_Article_2_bis_A), devenu article 3 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([64]) Décision n° 2023-849 du 14 avril 2023.

([65]) Ce débat sur une exonération en fonction de l’âge est évidemment applicable à d’autres catégories que les seuls seniors : les jeunes connaissent aussi des difficultés d’insertion sur le marché du travail, notamment après la crise sanitaire.

([66])  Ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles.

([67]) Il s’agissait notamment de l’allocation spéciale du Fonds national de l’emploi (éteinte en 2012), de la garantie-ressource (éteinte en 1982), des contrats de solidarité, de la cessation progressive d’activité dans la fonction publique (éteinte en 2009), de la pré-retraite progressive (éteinte en 2005), de l’allocation de remplacement pour l’emploi (éteinte à partir de 2003), du congé de fin d’activité dans la fonction publique (éteint par la réforme des retraites de 2003 pour les personnes nées après 1946), de la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (les branches ne peuvent plus négocier des accords prévoyant cette cessation depuis 2005) et du congé de solidarité outre-mer (abrogé en 2007). Cf. Sénat, rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’emploi des seniors, par Mme Monique Lubin et M. René-Paul Savary, 26 septembre 2019.

([68]) Il s’agissait notamment du mécanisme de dispense de recherche d’emploi, en vigueur entre 1984 et 2012, qui permettait d’exonérer les demandeurs d’emploi de plus de 57 ans (et même, à partir de 1999, 55 ans en cas de cotisation d’au moins 160 trimestres) de rechercher un emploi, tout en continuant de percevoir leurs allocations chômage.

([69]) Article L. 137-10 du code de la sécurité sociale.

([70])  Article 26 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([71]) Loi n° 2013-185 du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération.

([72]) Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

([73]) Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, « Le contrat de génération : les raisons d’un échec », février 2016.

([74]) Insee, Économie et Statistique, n° 355-356, 2002.

([75]) Conseil d’orientation des retraites, « La situation des seniors sur le marché du travail : éléments de cadrage statistique », document de travail n° 2, séance plénière du 21 novembre 2018.

([76]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n° 1946, 11 mai 2023 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7617420#:~:text=En%202021%2C%20en%20France%20(hors,de%20retraite%20(13%20%25)

([77]) Dares, « Les seniors sur le marché du travail en 2021. Un taux d’emploi toujours en progression », n° 2, janvier 2023.

https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/7f3c893f7955adc07a5ab3390503f2a4/Les%20seniors%20sur%20le%20march%C3%A9%20du%20travail%20en%202021.pdf

([78]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n° 1946, 11 mai 2023.

([79]) 2016, sur la base de données 2014.

([80])  France Stratégie, « Les seniors, l’emploi et la retraite », octobre 2018, p. 60 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport-seniors-emploi-retraite_01102018_0.pdf

([81]) Börsch-Supan A. et Weiss M., « Productivity and age: Evidence from work teams at the assembly line », MEA discussion paper series 07148, Munich Center for the Economics of Aging (MEA) at the Max Planck Institute for Social Law and Social Policy, 2011.

([82]) France Stratégie, op. cit., p. 60.

([83])  Loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée.

([84]) Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social.

([85]) Créé par la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

([86])  La suppression de cette exonération a été permise par l’article 8 de la loi n°2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([87])  Articles D. 731-56 et D. 762-14 du code rural et de la pêche maritime.

([88]) Décret n° 85-570 du 4 juin 1985.

([89]) Cette limite pouvant être reculée de la durée du service national et, sous réserve d’avoir la qualité d’allocataire des prestations familiales, d’un an par enfant à charge.

([90])  Annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, p. 189.

([91]) Assemblée nationale, rapport d’information (n° 4443) déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission d’information sur l’emploi des travailleurs expérimentés et présenté par M. Didier Martin et M. Stéphane Viry, 16 septembre 2021, p. 85.

([92]) Id.

([93]) Conseil d’analyse économique (Pierre Cahuc, Jean-Olivier Hairault et Corinne Prost), « L’emploi des seniors : un choix à éclairer et à personnaliser », note n° 32, mai 2016.

([94]) Institut Montaigne, « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers », octobre 2022.

([95]) Cour des comptes, référé au Premier ministre, « Les fins de carrière : un risque de précarité pour les seniors exclus du marché du travail, un coût croissant pour la solidarité », 23 juillet 2019 https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191010-refere-S2019-1878-fins-de-carriere.pdf

([96]) Sophie Bellon, Olivier Mériaux, Jean-Manuel Soussan, mission sur le maintien en emploi des seniors, « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés », rapport remis au Gouvernement le 14 janvier 2020.

([97]) Article 4 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([98]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 4443 précité, p. 91.

([99])  Par exemple, en première lecture en séance publique à l’Assemblée nationale, l’amendement n°20386 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/0760/AN/20386

([100]) Conseil d’analyse économique (Pierre Cahuc, Jean-Olivier Hairault et Corinne Prost), « L’emploi des seniors : un choix à éclairer et à personnaliser », note n° 32, mai 2016, p. 12.

([101]) Institut Montaigne, « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers », octobre 2022, p. 35.

([102]) Ibid., p. 37

([103]) Castelain, Eliette, « En 2021, une personne de 55 à 69 ans sur six ni en emploi ni à la retraite, une situation le plus souvent subie », Insee première n°1946, 11 mai 2023.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/7617420#:~:text=En%202021%2C%20en%20France%20(hors,de%20retraite%20(13%20%25)

([104]) Toutes cotisations patronales pour l’Institut Montaigne, les cotisations d’assurance chômage pour le CAE, les cotisations AT‑MP pour le rapport de l’Assemblée nationale, les cotisations familiales pour le Sénat.