N° 2625

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

 

en conclusion des travaux d’une mission d’information

sur l’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe ?

 

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Jean-Charles LARSONNEUR et Jean-Louis THIÉRIOT,

Députés.

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SOMMAIRE

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Pages

RÉSUMÉ

Introduction

Première partie : une contribution insuffisante de l’industrie de défense à l’autonomie stratégique en Europe

I. Une industrie dimensionnée pour les temps de paix

A. Les faiblesses structurelles de l’industrie de défense en Europe

1. Une industrie fragmentée

a. Des champions européens qui manquent de taille critique

b. Une forte dispersion des acteurs industriels opérant sur les mêmes segments

c. Des modèles nationaux d’industries de défense hétérogènes

2. Une industrie qui a souffert des « dividendes de la paix »

3. Une industrie sous-financée

a. Au niveau national, des améliorations pour le financement bancaire mais des difficultés persistantes pour le financement en capital

b. Au niveau européen, des difficultés de financement majeures pour les PME de défense

4. Une industrie fortement dépendante des pays tiers pour ses approvisionnements et exposée aux menaces hybrides

B. Le défi des coopérations industrielles dans un secteur dominé par les enjeux de souveraineté nationale

1. Des coopérations difficiles compte tenu des intérêts nationaux en jeu

2. L’essor de stratégies nationales concurrentes

a. Le spatial européen, victime de l’affirmation des stratégies nationales

b. La stratégie d’influence non coopérative de l’Allemagne en Europe

II. La guerre en Ukraine, révélatrice et amplificatrice des carences de l’industrie de défense européenne

A. Le conflit en Ukraine, amplificateur de notre dépendance aux pays tiers

1. Une augmentation des dépenses de défense des pays européens…

2. … qui a peu profité à la BITD européenne

B. Une BITD européenne menacée par la domination américaine et l’émergence de nouveaux concurrents

1. Les ressorts de la domination américaine en Europe

a. Les facteurs de la domination des États-Unis

b. Un exemple de préférence américaine en Europe : le F-35

2. Les risques associés à la constitution d’une « BITD transatlantique »

a. L’interpénétration croissante des BITD européenne et américaine

b. La sous-traitance de produits américains, horizon ultime des industriels européens ?

3. La Corée du Sud, nouvel acteur sur le marché européen

III. La guerre en Ukraine, levier de l’affirmation du rôle de l’Union européenne dans la politique industrielle de défense

A. Le rôle limité de l’UE avant la guerre en Ukraine

1. Des tentatives inabouties d’harmonisation du marché européen de la défense

2. Un soutien à la recherche et au développement : le fonds européen de défense

B. L’essor des financements communautaires à la faveur de la guerre en Ukraine

1. Le « plan munitions »

2. Le soutien à la production : le dispositif ASAP

3. L’incitation aux acquisitions conjointes : le dispositif EDIRPA

4. La stratégie de l’UE pour l’industrie de défense, un risque de « communautarisation rampante » de la politique de défense ?

a. Une stratégie ambitieuse…

b. … qui soulève de nombreux points de vigilance

Deuxième partie : transformer la BITD européenne en un véritable outil de dissuasion économique et industrielle, au service de l’autonomie stratégique du continent

I. Au niveau européen, l’impératif d’une nouvelle ambition pour l’industrie de défense, dans le respect de la souveraineté des États

A. Lever les obstacles aux coopérations industrielles

1. Malgré leurs limites, les coopérations restent essentielles à l’autonomie stratégique en Europe

2. Lever l’obstacle du contrôle des exportations

3. Lever les obstacles dans la conduite des programmes

4. Favoriser les consolidations industrielles

a. De réelles perspectives de consolidations, notamment dans le domaine terrestre

b. MBDA : un modèle pour de futures consolidations

B. Favoriser le financement de la BITD européenne

1. Lutter contre les pratiques discriminatoires des acteurs privés

2. Modifier la politique de prêts de la banque européenne d’investissement

3. Promouvoir de nouveaux financements européens

C. Donner une nouvelle impulsion aux dispositifs de l’UE, dans le respect de la souveraineté des États membres

1. Réformer le fonds européen de défense

2. Assumer une préférence européenne pour lutter contre nos dépendances aux pays tiers

II. Au niveau national, amplifier la contribution de notre industrie de défense à l’autonomie stratégique en Europe

A. Une BITD encore insuffisamment orientée vers le marché européen

1. La culture traditionnelle du « grand export »

2. Une timide dynamique vers le marché européen qu’il convient d’amplifier

B. Favoriser l’adaptation de notre BITD au marché européen

1. Adapter nos outils de soutien aux exportations

a. Proposer des contrats de gouvernement à gouvernement faciles d’emploi

b. Renforcer nos réseaux militaires dans les pays européens

2. Adapter nos programmes d’équipements

a. Prévoir des « commandes surnuméraires » destinées à l’exportation

b. Veiller à garantir l’exportabilité de nos équipements

3. Diversifier nos partenariats en Europe

a. La Suède

b. La Pologne

Examen en commission

Annexe 1 :  Recommandations de vos rapporteurs

Annexe 2 : Auditions et déplacements des rapporteurs

1. Auditions

2. Déplacements

 


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   RÉSUMÉ

L’industrie de défense est au cœur des deux défis stratégiques que doit relever l’Europe : à court terme, le défi du soutien à l’Ukraine ; à moyen terme, le défi d’assumer la défense collective de notre continent, dans un contexte d’incertitude quant à la pérennité de l’engagement américain en Europe.

● Or, l’industrie de défense souffre de plusieurs faiblesses structurelles.

Elle est tout d’abord trop fragmentée. Les champions européens manquent de taille critique : une seule entreprise européenne – le britannique BAE Systems – figure dans le top 10 mondial. La forte dispersion des acteurs entraîne en outre une duplication des systèmes d’armement, préjudiciable à l’interopérabilité de nos armées et à la compétitivité de nos entreprises de défense.

La BITD européenne a également souffert de décennies de sous-investissement, qui ont obéré la capacité des chaînes de production à remonter en puissance. L’abandon de certaines compétences critiques, telle que la filière souveraine de la poudre, et la promotion d’un modèle basé sur les flux tendus et l’optimisation des stocks sont les conséquences d’un tel sous-investissement.

L’industrie de défense européenne, et plus particulièrement ses PME-ETI, est en outre sous-financée. Elle pâtit notamment de la forte réticence des investisseurs institutionnels à investir dans la défense, en raison d’un prétendu risque réputationnel et d’une interprétation erronée des normes économiques, sociales et de gouvernance (« ESG »).

Enfin, l’industrie de défense est fortement dépendante des pays tiers pour ses approvisionnements stratégiques. Or, cette dépendance est devenue une arme dans les mains de nos compétiteurs stratégiques. La Chine a ainsi réduit ses exportations de nitrocellulose – un composant essentiel pour la fabrication de poudres – aux industriels européens pour privilégier son partenaire russe, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

● Ces faiblesses s’inscrivent au surplus dans un contexte d’intensification de la concurrence intra-européenne. Les coopérations industrielles ne représentent que 18 % des dépenses d’investissement des États membres, contre un objectif de 35 %. Ce déficit de collaboration tient aux difficultés des programmes en coopération eux-mêmes : délais excessifs ; exigence d’un retour sur investissement des pays participants pour leurs propres industries ; développement de sur-spécifications nationales qui réduisent la plus-value des coopérations en terme d’harmonisation capacitaire.

Un renforcement des stratégies industrielles nationales est également à l’œuvre. Le spatial européen en est la première victime, comme l’illustre le lancement d’une compétition intra-européenne sur les lanceurs, actée au sommet de Séville de novembre 2023. L’Allemagne promeut également ses intérêts sur le marché européen de la défense, dans une logique essentiellement non-coopérative. L’abandon de plusieurs programmes en coopération avec la France, le projet de bouclier anti-missiles fondé sur des systèmes non européens, ou encore la stratégie expansionniste de Rheinmetall en Europe, traduisent une telle dynamique.

● La guerre en Ukraine a révélé, voire amplifié, les carences de l’industrie de défense européenne.

Si les pays européens ont augmenté significativement leurs dépenses de défense depuis février 2022, cet effort financier n’a que peu bénéficié aux industriels européens. Plus de 80 % des budgets des pays de l’UE dédiés aux acquisitions d’équipements militaires sont ainsi consacrés aux importations extra-européennes. Les États-Unis sont les principaux bénéficiaires de ces acquisitions européennes, grâce notamment à l’attractivité du mécanisme des foreign military sales (« FMS »).

La domination des États-Unis sur le marché européen de la défense est en outre confortée par l’interpénétration croissante entre les BITD européenne et américaine. Face à la saturation de leurs chaînes de production, les entreprises américaines du secteur de la défense tendent en effet de plus en plus à sous-traiter la fabrication de leurs équipements aux industriels européens.

L’industrie de défense européenne est au surplus confrontée à l’émergence de nouveaux concurrents, ainsi que l’a mis en exergue le marché conclu entre la Pologne et la Corée du Sud en 2022. Ce contrat illustre que la rapidité des livraisons est devenue aujourd’hui le facteur prédominant dans la politique d’acquisition des pays européens, au regard du contexte d’urgence résultant du conflit ukrainien.

● Le conflit en Ukraine a également eu pour conséquence d’accroître le rôle de l’Union européenne (UE) dans la politique industrielle de défense.

Le rôle de l’UE était jusqu’ici essentiellement limité au soutien à la recherche et au développement à travers le fonds européen de défense (« FED »). Celui-ci souffre cependant de plusieurs lacunes, avec des crédits qui sont saupoudrés sur un trop grand nombre de projets, pilotés par un trop grand nombre d’acteurs, et aux perspectives capacitaires incertaines.

Dans le prolongement de la guerre en Ukraine, l’UE a mis en place plusieurs dispositifs d’urgence, tels que le dispositif ASAP, pour augmenter la production d’obus, ou le dispositif EDIRPA, pour inciter aux acquisitions conjointes. Ces dispositifs bienvenus souffrent toutefois de leur budget limité, de la lenteur de leur mise en place et de leur champ d’application trop étroit.

La publication par la Commission en mars 2024 de la stratégie pour l’industrie de défense européenne (« EDIS ») et du projet de règlement y afférent (« EDIP ») marque une rupture. Il s’agit de mettre en place un soutien structurel et pérenne à l’industrie de défense européenne. Cette stratégie ambitieuse soulève cependant de nombreux points de vigilance relatifs (i) au financement, qui n’est pas en l’état à la hauteur de l’enjeu, (ii) à la gouvernance, avec une duplication des compétences entre les acteurs existants et les instruments créés par EDIP, (iii) au risque d’une communautarisation rampante de la politique de défense, au regard du rôle renforcé de la Commission européenne, à la lisière des traités européens.

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Il est aujourd’hui impératif de changer de paradigme. Il s’agit de transformer la BITD européenne en un véritable outil de dissuasion économique et industrielle, au service de l’autonomie stratégique de notre continent.

● Il convient tout d’abord de lever les obstacles aux coopérations industrielles, qui malgré leurs limites, restent essentielles. Cela exige notamment de préserver la liberté d’exportation des États quant au produit développé en coopération. La conduite des programmes en coopération doit également être revue, afin d’appliquer systématiquement le principe du best athlete. Il serait enfin opportun de supprimer, ou à tout le moins d’aménager, la règle du « retour géographique », si préjudiciable à la compétitivité du spatial européen.

Il faut également favoriser les consolidations industrielles, afin de réduire la fragmentation de l’industrie de défense européenne, notamment dans le secteur terrestre. Le groupe MBDA fournit à cet égard un modèle de gouvernance pour les consolidations à venir, en ce qu’il permet une intégration opérationnelle poussée entre industriels tout en préservant les intérêts souverains des États concernés.

● L’optimisation du financement de l’industrie de défense est également un impératif pour que les PME-ETI soient en capacité de monter en puissance. Il convient à cet égard de lutter contre les pratiques discriminatoires des acteurs financiers privés, en leur interdisant par exemple d’utiliser dans leur politique d’investissement la notion d’« armes controversées », dépourvue de toute pertinence juridique.

L’exclusion par la banque européenne d’investissement (BEI) du financement des « armes et munitions » est une aberration au regard du contexte stratégique actuel et doit par conséquent être levée. Le financement par la BEI du secteur de la défense constituerait un surplus un signal stratégique fort à l’égard des acteurs du monde financier.

De nouveaux financements pour l’industrie de défense au niveau européen doivent être également établis, notamment au titre du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE. Le fonds de 100 milliards d’euros évoqué par le commissaire européen Thierry Breton paraît adapté aux enjeux, pourvu qu’il soit piloté dans un cadre intergouvernemental. En outre, la création d’un fonds de fonds au niveau européen, doté a minima d’un milliard d’euros, permettrait d’améliorer le financement en capital des PME-ETI de défense. Au niveau national, il y a également urgence à créer un mécanisme permettant de flécher l’épargne collective vers le financement de l’industrie de défense.

● Il est par ailleurs nécessaire de réformer les dispositifs de l’UE en faveur de l’industrie de défense. L’efficacité du FED serait renforcée si les projets financés correspondaient davantage aux besoins capacitaires des États membres. Le FED pourrait ainsi utilement financer des briques technologiques de programmes en coopération en cours, plutôt que de développer des projets concurrents à ces derniers.

Le projet EDIP doit promouvoir une véritable préférence européenne pour notre industrie de défense. Cela implique d’établir des critères d’éligibilité stricts : les entreprises contrôlées par des entités de pays tiers, de même que les sociétés qui produisent sous licence des équipements de pays tiers, ne devraient pas pouvoir bénéficier des financements européens. Faire d’EDIP un Buy European Act requiert également d’introduire un système de bonus/malus, pour inciter les États européens à acheter des équipements militaires européens.

● La BITD française, encore trop dépendante actuellement du « grand export », doit quant à elle contribuer davantage à l’autonomie stratégique en Europe. Les pays du Moyen-Orient et l’Inde ont ainsi représenté 65 % du total de nos exportations d’armement en 2022, contre 23 % pour les pays européens. Il convient donc d’amplifier la timide dynamique actuelle de notre BITD vers le marché européen.

Les outils de soutien aux exportations pourraient être ainsi adaptés, notamment en développant des contrats de gouvernement à gouvernement plus faciles d’emploi que des partenariats de type CaMo, afin de répondre aux besoins en ce sens de nos partenaires européens.

La création, pour certains segments aux fortes perspectives d’exportation, de « commandes surnuméraires » permettrait de répondre à l’exigence de rapidité des livraisons des États acquéreurs. Le critère de l’exportabilité doit être mieux pris en compte, dès la phase de conception de nos équipements. L’actualisation de la LPM 2024-2030 pourrait être aussi l’occasion de privilégier des segments qui correspondent davantage aux besoins capacitaires actuels de nos partenaires européens (artillerie, munitions, défense sol-air, véhicules à chenilles…).

Enfin, au-delà de la nécessaire collaboration avec l’Allemagne, la France doit diversifier ses partenariats en Europe. À cet égard, la Pologne et la Suède sont deux pays avec lesquels des collaborations structurantes dans le domaine capacitaire peuvent être envisagées.

 

 


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Introduction

L’Europe avait « oublié que l’Histoire est tragique » ([1]).

Nous, Européens, avons vécu, depuis la chute du mur de Berlin, dans l’illusion de la « fin de l’Histoire » ([2]). Dans un monde voué à être pacifié par le triomphe annoncé de la démocratie libérale et de « la mondialisation heureuse »  ([3]), l’Europe s’est crue fondée à abandonner la puissance militaire sur l’autel du soft power. « La norme sans la force » ([4]), soit une puissance fondée sur les seules vertus du marché et du droit, tel a été le credo de l’Europe durant ces dernières décennies.

C’est dans ce contexte que les Gouvernements européens, saisissant l’opportunité des « dividendes de la paix », ont réduit drastiquement leur effort de défense.

La tutelle américaine, conséquence du renoncement des Européens à assumer leur sécurité collective, était jugée d’autant moins problématique que la menace sécuritaire paraissait faible voire inexistante.

Quant à nos dépendances industrielles, énergétiques voire alimentaires à l’égard de puissances telles que la Russie ou la Chine, elles étaient appréhendées sous le seul prisme du bien-être des consommateurs, érigé en finalité ultime des politiques européennes. Du reste, le « doux commerce » cher à Montesquieu finirait, croyait-on collectivement, par transformer à terme nos liens économiques avec ces pays en intimité stratégique.

● Le conflit en Ukraine a mis fin à cette illusion collective.

Le retour de la guerre de haute intensité en Europe a en effet mis en lumière la réaffirmation des logiques de puissances et des rapports de force, qui était de fait à l’œuvre depuis des décennies.

Pendant que les Européens se félicitaient des « dividendes de la paix », nos compétiteurs ont quant à eux renforcé leur outil de défense. De 1999 à 2021, les dépenses de défense ont augmenté de 292 % pour la Russie et 592 % pour la Chine, contre 20 % pour les pays de l’Union européenne et 66 % pour les États-Unis ([5]).

Pendant que les Européens se réjouissaient du renforcement des liens économiques avec nos compétiteurs stratégiques, ces derniers construisaient patiemment leur autonomie et considéraient nos dépendances à leur égard comme autant de vulnérabilités susceptibles d’être exploitées le moment venu.

La guerre en Ukraine marque ainsi l’entrée dans une nouvelle ère de « confrontation stratégique »  ([6]) globale, multi-milieux et multi-champs.

Face à ce changement de contexte stratégique, l’Europe s’est trouvée largement démunie du fait de décennies de sous-investissement dans notre défense, comme l’illustre de façon dramatique notre incapacité collective à répondre aux besoins ukrainiens en munitions et en équipements militaires.

Compte tenu de l’urgence, les pays européens ont certes commencé à se réarmer, mais en acquérant du matériel principalement auprès des États-Unis, c’est-à-dire en accroissant encore davantage notre dépendance à la tutelle américaine.

● Dans ce contexte, l’Europe doit opérer sa mue stratégique et pleinement réinvestir la dimension militaire de la puissance, le hard power en lieu et place du recours au seul soft power. Cet impératif requiert de mettre en place un agenda d’autonomie stratégique en Europe. Un tel changement de paradigme constitue certainement un des enjeux majeurs des élections européennes à venir.

Pour définir l’autonomie stratégique, vos rapporteurs reprennent à leur compte la définition suivante : « L’autonomie stratégique est la capacité d’anticiper, de décider et d’agir avec des partenaires – mais seul si nécessaire – pour la défense de ses intérêts en menant en toute indépendance les actions nécessaires à l’appréciation, l’évaluation, la décision puis, si cela se révèle nécessaire, l’action. Elle repose notamment sur une maîtrise et un approvisionnement indépendant en matière d’armements » ([7]).

À l’échelon du continent, faut-il parler d’« autonomie stratégique européenne », concept franco-français parfois mal compris par nos partenaires, ou plus prudemment d’ « autonomie stratégique en Europe », comme le proposent vos rapporteurs dans l’intitulé de cette mission d’information ?

Ce débat sémantique importe finalement peu, pourvu que les Européens convergent vers les objectifs communs suivants : construire un véritable pilier européen de l’Alliance atlantique ; être en mesure de peser collectivement sur la sécurité de notre continent ; au final, prendre en main notre destin et ne plus « jouer notre sécurité aux dés à chaque élection américaine », pour reprendre une formule du commissaire européen Thierry Breton.

Le président de la République évoque régulièrement, pour la regretter, « la minorité géopolitique de l’Europe » ([8]). Or, l’autonomie, c’est précisément sortir de « l’état de minorité dont nous sommes nous-mêmes responsables », pour paraphraser Emmanuel Kant ([9]).

● Le renforcement de notre autonomie stratégique est une exigence pour relever les deux défis que doit affronter l’Europe.

À court terme, le défi du soutien militaire à l’Ukraine. Comme l’a affirmé à vos rapporteurs le chercheur Pierre Haroche, « les Ukrainiens ont besoin de l’autonomie stratégique européenne et, inversement, l’autonomie stratégique de l’Europe ne peut être crédible que si elle permet d’aider opérationnellement l’Ukraine. La situation actuelle en Ukraine nous place de facto dans une situation où il faut être autonome stratégiquement : la question est de savoir si nous sommes collectivement à la hauteur de ce défi ».

Il est symptomatique que l’un des plus ardents défenseurs de l’autonomie stratégique de l’Europe soit le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a lancé cet appel aux dirigeants européens : « Notre Europe a besoin d'une réelle autosuffisance en matière de défense. Cela ne peut être atteint que par l'augmentation de la production d'armes et de munitions sur le continent. S'il vous plaît, ne gaspillez pas le temps nécessaire à activer la production de défense » ([10]).

À moyen terme, le défi de l’« ambition impérialiste » ([11]) de la Russie. Quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine, vos rapporteurs ont la conviction que la Russie poursuivra sa confrontation contre ce qu’elle désigne comme « l’Occident collectif ». La Russie a mis en place dans le cadre du conflit ukrainien une véritable économie de guerre, au sens strict du terme, avec plus de 30 % des dépenses fédérales qui seraient allouées au secteur de la défense. Or, l’Histoire montre que lorsque des puissances aux ambitions révisionnistes assumées, telles que la Russie, atteignent un tel niveau de dépenses militaires, elles tendent à vouloir exploiter leur avantage plutôt qu’à revenir à une « économie de paix ». Voilà pourquoi la défense de l’Ukraine est existentielle pour l’Europe !

Ces deux défis devront au surplus être relevés par les Européens dans un contexte d’incertitude quant à la pérennité de l’engagement américain sur notre continent, tel qu’illustré par les récentes tergiversations de la Chambre des représentants sur le dernier paquet d’aides à l’Ukraine.

Dans cette perspective, une éventuelle élection de M. Donald Trump constituerait un moment de vérité pour l’autonomie stratégique de l’Europe, comme l’a souligné une personne auditionnée   : « soit elle agit comme un électrochoc aboutissant à une prise de conscience collective des Européens en vue de renforcer notre autonomie stratégique ; soit elle alimente encore davantage l’acquisition d’équipements militaires américains par des pays européens désireux de sauvegarder le parapluie américain dans le cadre d’une relation bilatérale privilégiée ».

Cependant, quelle que soit l’issue de la prochaine élection présidentielle américaine, les Européens doivent garder à l’esprit que le pivot vers l’Asie dans le cadre de la compétition stratégique avec la Chine constitue une tendance structurelle de la politique étrangère américaine, comme l’a relevé M. Camille Grand, du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). En outre, les États-Unis ne pourront pas être présents simultanément sur deux fronts en cas de conflit à Taïwan.

● Dans la perspective d’un tel renforcement de l’autonomie stratégique en Europe, l’industrie de défense joue naturellement un rôle crucial.

Or, celle-ci a été affaiblie par des décennies de sous-investissement, comme l’a révélé la guerre en Ukraine. Les lacunes de notre soutien à l’Ukraine proviennent en effet non seulement de la faiblesse des stocks de nos armées, mais également des capacités de production limitées de l’industrie de défense en Europe.

Les cadences de production de l’industrie de défense européenne n’ont en effet pas permis à cette dernière de répondre efficacement aux deux enjeux soulevés par la guerre en Ukraine : d’une part, le recomplètement rapide, au bénéfice des forces armées européennes, des stocks cédés aux Ukrainiens ; d’autre part, la production de nouveaux équipements et munitions au bénéfice direct de l’Ukraine.

En outre, les lacunes de l’industrie de défense européenne n’ont pas permis à cette dernière d’être en capacité de répondre au « choc de demande » résultant de l’augmentation de l’effort de défense des pays européens. Cette incapacité de l’industrie européenne à livrer rapidement les équipements demandés a abouti à ce que les pays européens se sont majoritairement approvisionnés auprès de pays tiers, tels que les États-Unis ou, dans une moindre mesure, la Corée du Sud.

● Au regard de ce constat, une « révolution copernicienne » de l’industrie de défense en Europe s’impose, pour être en capacité de produire collectivement plus et plus vite.

Il en va tout d’abord de la crédibilité dans notre soutien à l’Ukraine. La guerre en Ukraine a rappelé une évidence trop oubliée par les Européens : les capacités de production des belligérants et de leurs alliés sont déterminantes dans l’issue d’un conflit de haute intensité. Ne laissons pas la Russie remporter la bataille de la production ! Nous, Européens, pouvons être l’arsenal de la démocratie ukrainienne si nous nous en donnons les moyens.

Il en va également, à plus long terme, de notre capacité de dissuasion à l’encontre de la Russie et de nos autres compétiteurs stratégiques. Les capacités de production de l’industrie de défense contribuent en effet pleinement à l’objectif de « gagner la guerre avant la guerre » cher au chef d’état-major des armées. Il est symptomatique à cet égard qu’une des principales finalités de la récente stratégie américaine pour l’industrie de défense soit de renforcer l’« economic deterrence », c’est-à-dire l’effet de dissuasion conféré par la profondeur de leur outil de production industriel ([12]).

Il en va enfin de la souveraineté des armées européennes. Tant que les pays européens s’approvisionneront majoritairement en équipements auprès des États-Unis, les armées européennes resteront sous la tutelle opérationnelle des Américains. Ce sont en effet les États-Unis qui décident des conditions d’emploi et d’exportation des matériels américains achetés par les Européens, comme l’a illustré l’interminable attente de l’autorisation américaine pour équiper nos drones Reaper de charges électromagnétiques.

Il y a donc un enjeu majeur de souveraineté à ce que les pays européens soient autorité de conception des équipements utilisés par leurs propres armées. Ainsi que l’a rappelé M. Eric Béranger, directeur général de MBDA, « si nous avons réussi à intégrer des Storm Shadow sous des avions de chasse de l’armée ukrainienne en quelques semaines, et non en plusieurs années, c’est que nous étions ‘‘ autorité de conception ’’ et que nous n’avons pas eu besoin de demander une quelconque autorisation à un pays tiers qui aurait pu nous adresser un refus ou simplement nous retarder ».

● Dans le cadre de leurs travaux, vos rapporteurs, M. Jean-Charles Larsonneur (non inscrit) et M. Jean-Louis Thiériot (Les Républicains), ont mené une cinquantaine d’auditions à Paris et effectué trois déplacements, à Rome, Stockholm et Varsovie.

Au terme de leurs travaux, vos rapporteurs partagent une même conviction : l’avenir de notre sécurité collective, la défense du « monde libre », dépendra en grande partie de notre capacité à renforcer notre industrie de défense.

Au-delà du constat sur l’état actuel de l’industrie de défense en Europe, vos rapporteurs se sont par conséquent attachés à proposer un plan d’action pour accroître la contribution de l’industrie de défense à l’autonomie stratégique en Europe.

Ces propositions n’ont qu’un seul objectif : que la France et l’Europe restent des acteurs de l’Histoire et n’en deviennent pas les témoins tremblants.

Vos rapporteurs formulent le souhait que ce rapport contribuera à éclairer utilement le débat public, notamment dans la perspective des prochaines élections européennes, sur les évolutions exigées par le changement de contexte stratégique en Europe.

Ils espèrent enfin que leur travail sera de nature à faire mieux comprendre aux citoyens le rôle et les enjeux de l’industrie de défense, dont l’importance est malheureusement trop méconnue dans nos sociétés européennes.


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Première partie : une contribution insuffisante de l’industrie de défense à l’autonomie stratégique en Europe

  1.   Une industrie dimensionnée pour les temps de paix

A.   Les faiblesses structurelles de l’industrie de défense en Europe

1.   Une industrie fragmentée

a.   Des champions européens qui manquent de taille critique

● L’industrie de défense en Europe est un « marché de niche », eu égard à d’autres grands secteurs industriels. Selon la Commission européenne, la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne réalise un chiffre d’affaires annuel de 70 milliards d’euros et emploie environ 500 000 personnes ([13]). À titre de comparaison, l’industrie automobile en Europe représente plus de 13 millions d’emplois et 7 % du PIB européen (soit un chiffre d’affaires annuel de plus de 1 100 milliards d’euros)  ([14]).

Les échelles de production dans l’industrie de défense sont par conséquent sans commune mesure avec les pratiques de l’industrie civile. Selon l’exemple donné par M. Emmanuel Levacher, président d’Arquus, « la production de 72 châssis de canons Caesar, c’est l’équivalent d’une demi-journée de production pour une usine civile dans le véhicule industriel ». L’industrie de défense en Europe relève ainsi davantage de l’« artisanat », pour reprendre la formule de M. Léo Péria-Peigné de l’IFRI, que de l’industrie lourde.

● L’étroitesse du marché européen de la défense est illustrée par le fait que les entreprises de défense européennes ont un déficit de taille critique notable par rapport aux industriels américains.

Il résulte en effet du classement des plus grandes entreprises de défense ([15]), établi en fonction du chiffre d’affaires développé en 2022, que les entreprises européennes sont largement surclassées par leurs concurrentes américaines  :

- les cinq premières entreprises du classement sont américaines. Elles représentent à elles seules 32 % du chiffre d’affaires total des sociétés du Top 100 ;

- le chiffre d’affaires combiné des trois premières sociétés américaines est supérieur au chiffre d’affaires total de l’ensemble des sociétés européennes du classement ;

- une seule entreprise européenne figure dans le top 10 : il s’agit de la société britannique BAE Systems (6ème) ;

- seuls quatre industriels européens figurent au top 20, contre neuf industriels américains ;

- au total, sur les 100 premières industries de défense mondiales, 26 sont européennes pour un chiffre d’affaires combiné de 121 milliards de dollars (soit 20 % du total), contre 42 sociétés américaines réalisant 302 milliards de dollars de chiffres d’affaires consolidé (soit 51 % du total).

TOP 12 DES ENTREPRISES DE DÉFENSE EUROPÉENNES (2022)

Source : tableau établi par vos rapporteurs à partir des données du SIPRI.

 

 

 

 

TOP 20 MONDIAL DES ENTREPRISES DE DÉFENSE (2022)

Source : SIPRI, « The SIPRI Top 100 arms producing and military services companies, 2022 », décembre 2023.

b.   Une forte dispersion des acteurs industriels opérant sur les mêmes segments

● La fragmentation de l’offre sur le marché européen de la défense se matérialise tout d’abord par le fait que de nombreux industriels interviennent sur les mêmes segments et se retrouvent par conséquent en situation de concurrence frontale sur les marchés non domestiques.

Le tableau ci-dessous, qui présente, pour certains segments capacitaires, « l’industriel pivot » des six principaux pays européens en matière d’industrie de défense, illustre ce phénomène.

INDUSTRIELS EUROPÉENS PIVOTS PAR SEGMENT capacitaire

Source : tableau établi par vos rapporteurs à parti des données fournies par Mme Hélène Masson de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

● Le corollaire de cette fragmentation de l’offre est la duplication de nombreux systèmes d’armements. Selon une estimation en date de 2017, l’Europe comptait ainsi 178 types d’équipements militaires majeurs contre 30 pour les États-Unis ([16]).

Dans une étude plus récente, un chercheur de l’agence suédoise de recherche pour la défense (FOI), avec lequel vos rapporteurs se sont entretenus lors de leur déplacement à Stockholm, aboutit également au constat d’une forte duplication des systèmes d’armement en Europe, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

comparaison EUROPE/USA du nombre de systèmes d’armement par Segments MAJEURS (2021)

Source : M. Per Olsson, « The European Defence Market – Unevenly Fragmented », FOI, décembre 2021.

Cette fragmentation est particulièrement prononcée sur certains segments, tels que les bâtiments de surface ou les véhicules terrestres, où cohabitent de nombreux systèmes avec de faibles parts de marchés.

EXEMPLE de la fragmentation du segment des bâtiments de surface (2021)

Source : M. Per Olsson, « The European Defence Market – Unevenly Fragmented », FOI, décembre 2021


● Or, cette situation n’a que peu évolué au cours des dernières années, comme l’a souligné le président d’Arquus, M. Emmanuel Levacher : « Lorsque j’ai pris mes fonctions au sein d’Arquus il y a près de dix ans, la première chose qui m’a frappé était la grande fragmentation de l’industrie terrestre, avec une faible mutualisation entre les acteurs. Or, ce constat perdure aujourd’hui ». Dans la même perspective, M. Nicolas Chamussy, directeur général de KNDS France, a également relevé qu’il « existe aujourd’hui plus de programmes de chars en Europe que dans le reste du monde ».

Cette fragmentation est d’autant plus préjudiciable qu’elle se répercute au niveau des chaînes de sous-traitance. Celles-ci sont en effet particulièrement cloisonnées entre les différents systèmes d’armement, comme l’a indiqué M.  Bruno Berthet, président de l’équipementier aéronautique Aresia : « Alors que dans l’aéronautique civile, il n’y a pas de difficulté à ce qu’un fournisseur travaille à la fois avec Airbus et Boeing, il est rare dans le domaine militaire de travailler simultanément pour le Rafale et l’Eurofighter. Ainsi, les différentes sociétés qui ont par la suite constitué le groupe Aresia ont été de facto exclues du marché du reste de l’Europe du fait qu’elles travaillaient sur le Rafale ».

c.   Des modèles nationaux d’industries de défense hétérogènes

Le marché européen de la défense est caractérisé par une forte hétérogénéité des modèles de BITD selon les pays. De nombreux enjeux actuels sur le rôle de l’industrie de défense dans l’autonomie stratégique en Europe tirent leur origine de ces différences de modèles nationaux.

● La première source d’hétérogénéité provient logiquement de la taille respective des différentes BITD nationales. Il est traditionnellement distingué entre, d’une part, les pays européens ayant une BITD structurée autour de grands maîtres d’œuvre, à savoir l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède ([17]), et, d’autre part les autres pays qui disposent d’une BITD principalement composée de systémiers et d’équipementiers.

Cette distinction a deux conséquences majeures. Tout d’abord, les pays n’ayant pas de BITD structurée sont de facto contraints d’acquérir des équipements sur étagère. Le renforcement de l’autonomie stratégique en Europe requiert donc que ces pays trouvent un intérêt à privilégier les acquisitions auprès des pays européens plutôt qu’auprès des pays tiers, tels que les États-Unis. Par ailleurs, ces pays ne sont pas spontanément favorables au renforcement du budget communautaire en faveur de l’industrie de défense, dès lors que leur industrie nationale n’est susceptible d’en retirer qu’un bénéfice marginal.

 

Au sein des pays ayant une BITD structurée, seuls la France et le Royaume-Uni comptent plus de 200 000 emplois directs et indirects dans le secteur de l’industrie de défense. Cette prépondérance de la BITD française au sein de l’Union européenne (UE) est la raison pour laquelle les initiatives de l’UE en faveur de l’industrie de défense sont souvent perçues par les autres pays comme des outils au service des intérêts industriels français, ainsi que l’ont confirmé à vos rapporteurs de nombreuses personnes auditionnées.

● Le second facteur d’hétérogénéité tient au lien consubstantiel entre les industries de défense et le modèle national d’armée.

La France a fait le choix dans les années 1950 de construire une industrie de défense autonome pour équiper son « modèle d’armée complet » de façon souveraine. L’industrie de défense revêt par conséquent un caractère intrinsèquement stratégique. Ce choix structure encore aujourd’hui notre BITD : il explique notre faible taux d’importations militaires, ainsi que la présence de l’État au sein de l’actionnariat de plusieurs industriels de défense.

Dans la même perspective, la politique historique de neutralité de la Suède a incité cette dernière à s’approvisionner de façon autonome sur l’ensemble des segments capacitaires. C’est la raison pour laquelle la Suède est par exemple le seul pays européen, avec la France, à avoir développé son propre avion de chasse, le Gripen de l’entreprise Saab.

A contrario, d’autres pays européens, tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont privilégié une logique de marché, ce qui s’est traduit par une ouverture plus importante aux importations et une faible présence de l’État au capital des entreprises (même si le Royaume-Uni a développé un système de golden share).

Dans la tradition allemande, l’industrie de défense a ainsi longtemps été considérée sous le seul prisme économique, à rebours de la conception française. Ces différences d’approche du rôle de la BITD constituent un facteur non négligeable dans les difficultés que peuvent rencontrer les coopérations franco-allemandes. Ainsi que l’a résumé le général Franz Chapuis, attaché de défense auprès de l’ambassade de France en Allemagne, les Allemands s’abritent derrière les industriels et la loi du marché, alors que les coopérations en France obéissent à une logique davantage politique.

● Une autre cause d’hétérogénéité entre les BITD nationales est liée aux politiques de contrôle des exportations d’armement, qui divergent fortement entre les pays européens ([18]). La France, en raison de sa position traditionnelle d’« allié non aligné », a ainsi une culture du « grand export », notamment auprès des pays du Moyen-Orient, dans le respect du contrôle effectué par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).

Des pays comme l’Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas ont au contraire développé des politiques particulièrement restrictives de contrôle des exportations, ainsi que l’a illustré le veto allemand – levé récemment – à l’exportation par le Royaume-Uni des Eurofighter Typhoon à l’Arabie Saoudite.

Ces différences d’approche constituent là encore un obstacle majeur aux coopérations entre industriels européens. Certains industriels craignent ainsi de ne pas pouvoir être libres d’exporter si des composants allemands sont intégrés à leurs produits. Comme l’a indiqué un industriel, « les règles d’exportation allemandes nous conduisent à éviter la sous-traitance en Allemagne partout où c’est possible ». Dans le prolongement la recherche de produits « Itar free » ([19]) se développe donc en Europe un  réflexe « German free », pour reprendre les termes de M. Jean-Pierre Maulny de l’IRIS.

2.   Une industrie qui a souffert des « dividendes de la paix »

● Le sous-investissement structurel des pays européens dans leur outil de défense au cours des dernières décennies est suffisamment connu et documenté, pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir dans le détail dans le cadre du présent rapport. Vos rapporteurs se contenteront de citer trois données, issues de la communication de la Commission européenne sur les déficits d’investissement dans la défense ([20]), pour illustrer l’ampleur du phénomène :

– si tous les États membres avaient consacré 2 % de leur PIB à la défense de 2006 à 2020, plus 1 100 milliards d’euros supplémentaires auraient bénéficié aux politiques de défense, dont 270 milliards d’euros d’investissements en équipements  ([21]) ;

– la crise financière de 2008 a eu un impact majeur sur les dépenses de défense des pays de l’UE : celles-ci sont en effet passées de 183 milliards d’euros en 2008 à 159 milliards d’euros en 2014. Les dépenses de défense n’ont atteint leurs niveaux d’avant crise qu’en 2018-2019. Entre 2009 et 2018, les réductions opérées par les États membres équivalent à un sous-investissement d’environ 160 milliards d’euros, par rapport au niveau des dépenses de 2008 ;

– entre 2007 et 2016, on estime que plus de 60 % du budget des pays de l’UE dédié à l’acquisition d’équipements de défense a été consacré à des importations militaires en provenance de pays tiers. Cela signifie que les entreprises européennes de défense n’ont bénéficié que de 40 % des budgets d’équipements des États membres.

● La première conséquence de ce sous-investissement est la réduction drastique du parc de nos armées. Entre 1992 et 2021, les pays européens ont réduit de 80 % leur parc de chars, de 64 % leurs stocks de munitions de 152 et 155 mm et de 58 % leur flotte d’aviation de chasse, selon certaines estimations ([22]).

RÉDUCTION DES PARCS DES ARMÉES EUROPÉENNES entre 1992 et 2021

Source : Munich security report, « Defense sitters – Tranforming European Militaries in times of war », juin 2023.

En outre, certaines capacités critiques ont été purement et simplement abandonnées pour des raisons budgétaires, telles que les missiles anti-radars en France depuis la fin des années 90.

● La seconde conséquence de ce sous-investissement réside dans la réduction des capacités de production des industriels.

De nombreuses chaînes de production ont été stoppées du fait de l’absence de commandes. Or, il est particulièrement complexe de remettre en marche une ligne de production une fois que celle-ci a été arrêtée, notamment en raison des effets d’hystérèse liés à la perte de compétences au sein de l’entreprise.

Revenant sur son expérience au sein de MBDA, M. Olivier Martin, président de la chaire Économie de défense de l’IHEDN, a ainsi rappelé que « la production de Mistral a été mise à l’arrêt pendant plusieurs années. Aujourd’hui, MBDA aurait pour objectif de doubler la cadence de production, en passant de 20 à 40 Mistral par mois grâce à une récente commande groupée, mais il faut remettre ces chiffres en perspective : au début des années 90, la capacité de production de missiles Mistral installée s’élevait à 400 Mistral par mois, cette ligne ayant atteint un pic de production effectif de 250 missiles par mois ».

De façon générale, la baisse des commandes a plus particulièrement affecté la capacité de réactivité de la chaîne de sous-traitance, comme l’a souligné M. Léo Péria-Peigné de l’IFRI : « Si les grands maîtres d’œuvre ont conservé une capacité de remontée en puissance de leur capacité de production, il n’en va pas de même de la chaîne d’approvisionnement, avec des sous-traitants qui ont adapté leur production au faible niveau de commandes depuis des décennies ». La déstructuration de la supply chain et la fragilisation de certains fournisseurs critiques ont ainsi été mises en exergue par plusieurs industriels auditionnés.

Or, la réduction de capacités au niveau de la chaîne d’approvisionnement est d’autant plus préjudiciable que 30 à 70 % du processus de production des équipements, selon les programmes, est effectué par les sous-traitants des maîtres d’œuvre. « En outre, l’activité des sous-traitants se place généralement au début du processus de production, le maître d’œuvre ayant souvent un rôle d’intégrateur. Il en résulte que le maître d’œuvre est dépendant des sous-traitants pour pouvoir lui-même avancer dans la production de l’équipement. À titre d’exemple, sur les deux ans de fabrication des radars qui équipent le Rafale, la première année de production est entièrement effectuée chez les sous-traitants de Thales » ([23]).

● Enfin, la baisse de la demande étatique a également entraîné deux autres conséquences structurelles pour l’industrie de défense européenne, dont nous payons le prix aujourd’hui :  d’une part, le choix d’abandonner la production de certaines compétences critiques au niveau national, telles que la filière souveraine de poudres ; d’autre part, la promotion d’un modèle industriel basé sur les flux tendus et l’optimisation des stocks, ce qui a obéré durablement la capacité des industriels à remonter en puissance pour répondre aux situations de crise.

            3. Une industrie sous-financée

a.   Au niveau national, des améliorations pour le financement bancaire mais des difficultés persistantes pour le financement en capital

● Les enjeux liés au financement bancaire de l’industrie de défense française ont fait l’objet de plusieurs travaux, dont celui mené par un de vos rapporteurs avec sa collègue Mme Françoise Ballet-Blu ([24]).

Ces travaux ont abouti à des initiatives positives, telles que la mise en place de « référent défense » au sein des banques. Ce dispositif a indéniablement fluidifié le dialogue entre les établissements bancaires, d’une part, les entreprises de défense et la DGA, d’autre part, ce qui a permis de faire avancer de nombreux dossiers.

Certaines banques telles que le Crédit Agricole ont également été mentionnées par plusieurs personnes auditionnées comme étant particulièrement actives pour soutenir l’industrie de défense, ce qui ne peut être que salué par vos rapporteurs.

Il ressort cependant des auditions que des difficultés persistent, notamment pour les PME. Ainsi que l’a mis en exergue M. Bruno Berthet, président d’Aresia, « si les dirigeants de banque sont en général de bonne volonté, la problématique réside davantage au niveau des chargés d’affaires, qui sont souvent rebutés par la complexité et la sensibilité des dossiers liés à l’industrie de défense, en raison notamment des exigences de compliance ».

Le coût de traitement administratif plus élevé pour les dossiers liés au secteur défense se traduit ainsi souvent soit par un refus pur et simple des banques, soit par un renchérissement des conditions de prêt pour les entreprises de défense eu égard aux conditions qui seraient proposées à une société équivalente du secteur civil. Ces difficultés peuvent au surplus être de nature à dissuader des sociétés innovantes d’orienter leur activité vers le secteur de la défense. Un tel effet d’éviction pèse certainement sur l’attractivité de la BITD.

● Si la situation relative aux financements bancaires connaît des évolutions positives, le financement en capital demeure en revanche particulièrement complexe, en raison de la forte réticence des investisseurs privés à financer le secteur de la défense ([25]).

À titre d’exemple, les promoteurs du fonds Eiréné de Weinberg Capital Partners, dédié au secteur de la défense et de la sécurité, se sont heurtés au refus de nombreux investisseurs institutionnels privés. Selon M. Lionel Mestre, associé de Weinberg Capital Partners, « ce refus était souvent justifié en invoquant les règles internes des établissements en matière ESG, mais également le risque réputationnel perçu ».

De nombreux investisseurs interprètent en effet les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) comme prohibant le financement du secteur de la défense ([26]). Or, une telle interprétation est parfaitement erronée, ainsi que l’a confirmé l’association française des investisseurs institutionnels elle-même : « un investisseur n’a pas besoin d’exclure l’industrie de la défense pour respecter ses engagements ESG et les réglementations en vigueur »  ([27]).

Des agences de notation ESG exercent à cet égard un rôle particulièrement préjudiciable sur le financement de la défense. Ainsi, certaines agences n’hésitent pas à mettre sur « liste rouge » toute entreprise, y compris civile, qui serait impliquée dans des chantiers liés à la dissuasion nucléaire. Ces agences n’hésitent pas à classer la dissuasion nucléaire comme une « arme controversée », en se prévalant du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).

Dans la même perspective, M. Stéphane Audrand a confirmé que les entreprises liées à la dissuasion nucléaire souffrent d’une certaine désaffection des investisseurs européens, ce qui pourrait s’avérer problématique à terme pour les souscriptions en capital de ces entreprises.

b.   Au niveau européen, des difficultés de financement majeures pour les PME de défense

● Selon une récente étude de la Commission européenne, les PME européennes actives dans le secteur de la défense connaissent des difficultés majeures pour accéder à des financements.

Au cours de la période 2021-2022, deux tiers des entreprises consultées par la Commission se sont abstenues de chercher des financements sur fonds propres et près de 50 % d’entre elles se sont abstenues de chercher des financements en dette, contre une moyenne de 6,6 % pour l’ensemble des PME de l’UE au cours de la même période ([28]).

Cette étude évalue le déficit d’investissement en capital dans les PME européennes du secteur de la défense à deux milliards d’euros et le déficit de financements en dettes entre un et deux milliards d’euros.

Parmi les facteurs invoqués par les investisseurs comme obstacles au financement du secteur de la défense figurent notamment, selon cette étude : les coûts de traitement administratif et l’absence de transparence des marchés publics de défense ; les risques liés à l’investissement dans des programmes de R&D ; la dépendance aux contrats publics ou encore la difficulté à revendre sa participation au capital au terme du cycle d’investissement. Les critères réputationnels et ESG sont invoqués par 46 % des investisseurs sondés.

principaux FACTEURS FREINANT LES INVESTISSEMENTS DANS Les entreprises de DÉFENSE

Source : Commission européenne, « Access to equity financing for European defence SMEs », 11 janvier 2024.

● Enfin, l’étude de la Commission met en exergue qu’il existe aux États-Unis un écosystème de fonds financiers – fonds de private equity (PE) ou fonds de capital-risque (venture capital ou VC) – investissant dans le secteur de la défense bien plus dense qu’en Europe, malgré les exemples de Tikehau Capital et de Weinberg Capital Partners en France.

FONDS INVESTISSANT dans le secteur AÉRONAUTIQUE, défense et sécurité

Source : Commission européenne, « Access to equity financing for European defence SMEs », 11 janvier 2024.

Au-delà de la plus grande profondeur du marché financier américain, cette disparité provient d’une différence d’approche culturelle entre les investisseurs américains et européens à l’égard du secteur de la défense. Comme l’a rappelé M.  Marwan Lahoud de Tikehau Capital, les entreprises de défense américaines sont en effet considérées aux États-Unis comme « l’arsenal de la liberté ». Il n’existe donc aucune difficulté d’ordre éthique de la part des investisseurs américains à financer ces dernières.

4.   Une industrie fortement dépendante des pays tiers pour ses approvisionnements et exposée aux menaces hybrides

● L’industrie de défense européenne, tout comme du reste l’industrie civile, est fortement dépendante des approvisionnements stratégiques à l’égard des pays tiers. Une étude de l’IRSEM a ainsi mis en exergue que « l’UE dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs pour un groupe de 27 matières premières qu’elle a identifiées et qualifiées de critiques. » ([29]). La dépendance aux approvisionnements chinois est particulièrement élevée. À titre d’exemple, il est estimé que 78 % des matières et composants nécessaires à la production d’un drone militaire viennent de Chine ([30]). La Chine représente notamment 50 % de la production mondiale d’aluminium et 70 % de la production de graphite naturel, deux matières critiques que l’on retrouve sur tous les systèmes d’armements occidentaux, comme l’illustre le graphique ci-dessous ([31]).

Principaux risques d’approvisionnements en matières critiques

Source: Mme Benedetta Girardi, Mme Irina Patrahau, M. Giovanni Cisco and M. Michel Rademaker « Strategic raw materials for defence - Mapping European industry needs », The Hague Centre for Strategic Studies, janvier 2023.

La Chine raffine également près de 90 % des terres rares, ensemble de 17 métaux indispensables aux produits technologiques de pointe et notamment aux équipements militaires.

● Or, la Chine n’hésite plus à instrumentaliser la dépendance des industries de défense européennes à ses approvisionnements stratégiques, en vue d’affaiblir le soutien occidental à l’Ukraine dans un contexte de renforcement de son partenariat stratégique avec la Russie.

La Chine joue ainsi un rôle majeur dans les goulets d’étranglement que connaissent actuellement les fabricants d’obus en Europe. Selon plusieurs personnes auditionnées, cette dernière a en effet réduit drastiquement, depuis le début du conflit en Ukraine, les livraisons aux industriels européens de nitrocellulose - un dérivé du coton nécessaire à la fabrication de poudres - dont elle est le principal producteur mondial. Les industriels européens ont donc été contraints de trouver d’autres fournisseurs, ce qui engendre des délais de requalification, ou de développer des substituts, le groupe norvégien Nordic Ammunition Company produisant par exemple de la cellulose à partir du bois.

De nombreux industriels auditionnés ont également alerté vos rapporteurs sur les restrictions imposées par la Chine aux exportations de gallium et de germanium, des minerais utilisés notamment dans les semi-conducteurs. S’agissant des semi-conducteurs, la dépendance à Taïwan constitue également une vulnérabilité stratégique majeure de l’industrie de défense européenne, notamment en cas de montée des tensions avec la Chine. À titre d’exemple, un missile de type Javelin contient plus de 200 puces électroniques. Or, l’Europe fabrique sur son territoire moins de 10 % de la production mondiale de semi-conducteurs ([32]).

● Une autre conséquence de la guerre en Ukraine en matière d’approvisionnement stratégique, notamment pour les industriels du secteur de l’aéronautique de défense, concerne le titane, dont la Russie constitue le principal producteur.

Si l’approvisionnement en titane n’est pas à ce stade concerné par les sanctions occidentales à l’égard de la Russie, la rupture de la dépendance au titane russe constitue naturellement un enjeu majeur pour les industriels de défense européens. À court terme, les États-Unis et la Chine constituent cependant les seules véritables alternatives à l’approvisionnement en Russie. Il est donc impératif de renforcer nos propres capacités de production de titane. Ainsi que l’a rappelé le général (2S) Frédéric Parisot, délégué général du GIFAS, la France mise notamment sur la constitution d’une filière de recyclage du titane.

 

● Enfin, les industries de défense constituent des cibles privilégiées dans un contexte d’intensification de la guerre hybride menée par la Russie sur le territoire européen. Celle-ci prend notamment la forme d’« actes de sabotage » ou d’« activités cyber », ainsi que l’ont relevé récemment les Alliés de l’OTAN ([33]). S’il appartient naturellement à la justice d’identifier leur cause, les récents incidents survenus dans une usine de munitions de BAE Systems au Pays de Galles et dans un établissement du groupe Diehl à Berlin – qui fabrique notamment le système de défense antiaérienne IRIS-T –, rappellent combien la sécurisation des sites industriels constitue un enjeu majeur pour la résilience de la BITD européenne.

M. Bruno Durand, président d’Aubert & Duval, a par exemple mis en exergue le défi posé par la cybersécurité, le groupe Eramet (ancien propriétaire d’Aubert & Duval) ayant dans le passé été victime d’une cyberattaque, qui a ciblé spécifiquement la production de poudres. La sécurisation matérielle des sites est également un enjeu majeur, comme l’a illustré le sabotage du réseau électrique de deux sites de production d’Aubert & Duval en 2023.

  1.   Le défi des coopérations industrielles dans un secteur dominé par les enjeux de souveraineté nationale

1.   Des coopérations difficiles compte tenu des intérêts nationaux en jeu

● Théoriquement, les coopérations industrielles sont toujours financièrement opportunes, en ce qu’elles permettent notamment aux pays participants de partager les coûts de développement et de bénéficier d’économies d’échelle. Un programme en coopération est par conséquent moins coûteux pour un pays participant que si ce dernier avait développé un tel programme de façon autonome ([34]).  

La Cour des comptes, étudiant six coopérations majeures (dont l’avion A400M, les hélicoptères Tigre et NH90 et la frégate FREMM), a ainsi évalué à huit milliards d’euros l’économie pour les finances publiques françaises résultant du partage des coûts de développement entre les États, « par rapport à ce qu’aurait coûté le lancement de six programmes nationaux similaires » ([35]).

La coopération franco-britannique sur le missile « Scalp-Storm Shadow » fournit un bon exemple des bénéfices en termes d’économie d’échelle que la France a pu retirer des coopérations industrielles, comme l’a rappelé l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller du président de MBDA : « Grâce à la coopération, le coût du développement a été partagé entre les deux pays, ce qui a permis d’augmenter d’autant le budget de production. Le Royaume-Uni souhaitant une quantité très importante de missiles, le coût unitaire du missile a été fortement réduit par cet effet de série unissant les commandes des deux pays (passage d’une centaine à plus d’un millier de missiles). La France a finalement commandé plusieurs centaines de missiles, soit plusieurs fois le nombre envisageable sans coopération ».

● Or, les coopérations industrielles européennes semblent marquer le pas depuis plusieurs années. En 2022, seulement 18 % des dépenses d’investissement des États membres ont été effectuées de manière coopérative ([36]), ce qui est bien en-deçà de l’objectif fixé de 35 % ([37])

La coopération capacitaire franco-allemande illustre cette tendance. En dépit des accords récents sur les phases 1A du MGCS et 1B du SCAF, trois des cinq programmes de coopération franco-allemands annoncés par la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron en juillet 2017 ont été abandonnés ou suspendus ([38]) : le programme de futur avion de patrouille maritime (MAWS) a été de facto abandonné, à la suite de l’acquisition par l’Allemagne en juillet 2021 de cinq avions Poseidon P-8 auprès de Boeing ; les Allemands se sont également retirés du programme de modernisation de l’hélicoptère Tigre au standard 3 ; enfin, le programme d’artillerie du futur « Common Indirect Fire System  » (CIFS) a été repoussé à une date indéterminée.

● Un tel déficit de coopération entre industriels européens peut être attribué à un manque de volonté politique. M. Marwan Lahoud, a ainsi rappelé la facilité avec laquelle a été constitué le groupe EADS en 1999, grâce au soutien des dirigeants de l’époque (MM. Lionel Jospin et Gerhard Schröder). A contrario, la fusion EADS-BAE a échoué en 2012, principalement en raison du manque de soutien politique, notamment de la chancelière Angela Merkel. M. Philippe Coq d’Airbus partage ce constat d’un changement d’état d’esprit des autorités à l’égard des coopérations européennes : « Dans les années 90, à la DGA, la coopération était la solution privilégiée lorsqu’était lancé un programme. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ».

Mais au-delà de la volonté politique, vos rapporteurs estiment que le déficit de coopération provient avant tout des difficultés rencontrées par les programmes en coopération eux-mêmes ([39]). Ces difficultés proviennent de plusieurs facteurs.

● Tout d’abord, les modalités de structuration des programmes en coopération engendrent des délais supplémentaires significatifs. Ainsi que l’a relevé la Cour des comptes, « la nécessité d’un consensus entre les États partenaires allonge les processus de décision, tant avant le lancement qu’en cours de développement, lorsque des difficultés appellent des choix » ([40]).

À titre d’exemple, alors que les premières discussions sur le programme de drone Male européen (Eurodrone) ont débuté en 2013, le contrat de développement n’a été notifié qu’en février 2022 pour une entrée en service au début des années 2030 au sein des forces armées. Les retards accusés par l’Eurodrone sont tels que l’Italie est aujourd’hui à la recherche d’une solution transitoire, ainsi que l’ont confirmé des officiers italiens à vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome.

Or, de tels délais sont non seulement peu compatibles avec les exigences actuelles de l’économie de guerre, mais peuvent surtout aboutir à ce que les spécifications du produit, une fois livré, ne correspondent plus aux besoins des armées, compte tenu de l’évolution du contexte stratégique.

● L’efficacité des programmes en coopération est en outre limitée par les exigences des pays participants en matière de retour sur investissement pour leurs industriels. Le critère du best athlete est malheureusement trop souvent sacrifié sur l’autel du « retour géographique ». M. Lizandier, directeur adjoint de l’OCCAr, a ainsi confirmé que le critère de la nationalité des entreprises est de fait prédominant dans la sélection des industriels au titre d’un programme en coopération.

Dans cette perspective, le risque est que les coopérations européennes obéissent principalement à une logique de soutien des industriels nationaux, reléguant les aspects capacitaires au second plan, ainsi que l’a mis en avant Mme Hélène Masson de la fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Une répartition du travail entre industriels dictée par des considérations liées au « retour géographique » est en outre susceptible d’obérer fortement les cadences de production. À titre d’exemple, la répartition du travail entre la France et l’Italie a abouti à ce que les composants du missile antiaérien Aster de MBDA doivent « franchir les Alpes à plusieurs reprises » au cours de la fabrication du missile ([41]). Cette organisation peu optimale explique en partie les délais de production conséquents de ce missile, qui sont régulièrement dénoncés par le ministre des Armées Sébastien Lecornu (42 mois entre la commande et la livraison en 2022).

● Enfin, la plus-value des coopérations en termes d’harmonisation et d’interopérabilité se heurte à la tendance regrettable des États participants à développer des spécifications purement nationales. L’hélicoptère NH 90, fruit d’une coopération entre Airbus et Leonardo, se décline ainsi en 23 variantes, soit plus que le nombre de pays clients. Les frégates FREMM, issues d’une coopération entre la France et l’Italie, ont également des spécifications majoritairement nationales, comme l’ont rappelé les représentants de Thales.

Certains programmes en cours témoignent de la difficulté persistante des pays participants à s’accorder sur des spécifications communes. Ainsi, le programme franco-britannique FMAN/FMC s’oriente, selon les indications fournies par M. le vice-amiral Hervé Hamelin, attaché de défense auprès de l’ambassade de France au Royaume-Uni, vers la conception de deux missiles différents : un missile subsonique furtif pour les Britanniques (TP) et un missile supersonique manœuvrant piloté (RJ) pour les Français : « Il s’ensuit que la coopération est relativement limitée, puisqu’elle se situe à hauteur de 10 %. Ainsi, pour leur missile turbopropulseur (TP), les Britanniques effectuent 90 % du travail et nous en faisons 10 %, et vice-versa pour le missile à statoréacteur, ou ramjet (RJ) », avait ainsi relevé l’ancien délégué général pour l’armement ([42]).

De même, selon les indications fournies par les représentants de Naval Group et de Naviris (joint-venture entre Naval Group et Fincantieri), il existe un risque fort que le programme d’European Patrol Corvette aboutisse à la simple définition de briques technologiques communes, et non au développement en coopération d’un bâtiment commun entre la France et l’Italie.

2.   L’essor de stratégies nationales concurrentes

a.   Le spatial européen, victime de l’affirmation des stratégies nationales

Le secteur spatial symbolise le déclin de la volonté de coopération. Le soutien à l’exploitation d’Ariane 6 décidé dans le cadre du sommet de Séville de l’ESA (agence spatiale européenne) en novembre 2023 n’a en effet pu être obtenu qu’en contrepartie de deux concessions majeures.

● D’une part, l’Italie a obtenu que la commercialisation du lanceur italien Vega-C soit effectué par l’entreprise Avio, et non plus par Arianespace, ce qui met de facto fin à la mission d’ArianeGroup de fédérer l’accès européen à l’espace.

Une telle reprise en main de la commercialisation de Vega-C par Avio s’inscrit dans une stratégie globale de l’État italien de développer des capacités souveraines complètes dans le domaine de l’espace. Cette stratégie italienne met ainsi à mal l’ensemble des partenariats établis de longue date entre les acteurs français et italiens, aussi bien dans le domaine des lanceurs que dans celui des satellites.

● D’autre part, l’Allemagne a obtenu le lancement d’un processus compétitif dit « European launcher challenge » pour les lanceurs. Au titre de cette compétition, qui sera lancée au printemps 2025 seront sélectionnés deux opérateurs qui bénéficieront d’un financement de l’ESA à hauteur de 150 millions d’euros chacun pour un contrat d’achat de services pour les missions européennes.

Certes, ArianeGroup participera à cette compétition, avec le projet de sa filiale Maiaspace pour développer le premier lanceur réutilisable européen, comme l’ont confirmé les représentants du groupe à vos rapporteurs.

Cependant, la conséquence concrète de cette compétition est que les futurs compétiteurs d’ArianeGroup sont aussi ses principaux fournisseurs dans le programme Ariane 6. Il y a donc un risque majeur que cette compétition rende encore plus complexe l’exploitation Ariane 6 qui assurera au cours de la prochaine décennie notre accès à l’espace.

En outre, l’instauration d’une compétition intra-européenne constitue un non-sens dans un contexte où la véritable compétition se joue à l’échelle mondiale, notamment face aux États-Unis, qui concentre plus de trois quarts des investissements dans l’économie spatiale.

Comparaison du spatial européen et du spatial américain

 

 

États-Unis

 

 

Europe

 

Budget annuel consacré au secteur spatial (2022)

 

62 Md$

15,7Md$

 

 

Nombre de lancements institutionnels (2022)

 

 

27

 

 

4 prévus /1.5 réalisé ([43])

 

 

Revenus institutionnels de lancement (2022)

 

2.9 Md$

 

 

355 M$ prévus / 83 M$ réalisés ([44])

 

 

Commandes institutionnelles (2022)

 

31 missions américaines pour

7.2 Md$ (dont 83 % pour SpaceX)

 

 

7 missions européennes pour

360M$

 

Source : tableau établi par vos rapporteurs.

 

● Le repli national allemand dans le secteur spatial est également illustré par la volonté du Gouvernement allemand de suspendre le projet de constellation de satellites européen Iris2, au motif qu’il serait trop favorable aux intérêts industriels français ([45]). Or, le projet Iris2 est fondamental pour préserver la souveraineté spatiale européenne.

● Enfin, le spatial européen souffre des dégâts causés par le principe du « retour géographique » instauré dans le cadre de l’ESA. Alors que le soutien à l’exploitation d’Ariane 6 décidé dans le cadre du sommet de l’ESA est conditionné à un objectif de réduction des coûts de 11 % de la part des industriels, le principe du retour géographique n’incite guère les sous-traitants à faire des efforts, comme l’a confirmé M. Philippe Baptiste, président du CNES, le 28 mars dernier lors d’un séminaire : « Sur Ariane 6, on est trop chers (…) On n'arrive pas à boucler le contrat d'acquisition de la deuxième tranche de lanceurs parce qu'on n'arrive pas à réduire les coûts chez les sous-traitants européens » ([46]).

Le déficit de compétitivité du spatial européen résultant de ce « retour géographique » a également été dénoncé par le patron de Safran, M. Olivier Andriès : « La réalité aujourd'hui, c'est que les sous-traitants ont été imposés par leurs pays à ArianeGroup, et que ces partenaires se retranchent derrière le retour géographique pour ne faire aucun effort de compétitivité (…)Certains réclamaient des hausses de prix de 50 à 60 % en 2022, sous prétexte de compenser l'inflation, ce qui était proprement délirant » ([47]).

b.   La stratégie d’influence non coopérative de l’Allemagne en Europe

● Le programme de bouclier anti-missile « European Sky Shield » (ESSI) lancé en octobre 2022 symbolise la nouvelle capacité d’entraînement de l’Allemagne auprès de ses partenaires, dans le prolongement du « changement d’époque » (« Zeitenwende ») promu par les dirigeants allemands. L’Allemagne a pleinement tiré parti du Framework Nation Concept (FNC) de l’OTAN pour s’imposer comme Nation-cadre des 21 États aujourd’hui membres de cette initiative.

Or, ce projet non concerté avec la France s’appuie principalement sur des équipements israéliens (Arrow 3) et américains (Patriot), alors même que des équipements européens, tels que le système franco-italien de défense sol-air SAMP- T, auraient pu répondre au besoin allemand.

Selon les indications fournies par des représentants de la mission défense à Berlin, le bouclier ESSI intègre ainsi les capacités suivantes : le système israélien Arrow 3 (coût de 4 milliards d’euros), qui n’a été commandé que par l’Allemagne ; les missiles Patriot, pour lesquels l’agence NSPA de l’OTAN a passé une commande de 1 000 missiles (montant estimé de 5,5 milliards d’euros) au profit de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Roumanie de l’Espagne ([48]); pour la couche basse, l’Allemagne a passé une commande d’Iris-T SLM à hauteur d’un milliard d’euros pour elle-même et de 400 millions d’euros pour l’Estonie et la Lettonie ; enfin, la dernière couche est constituée du système Skyranger de Rheinmetall (600 millions d’euros de commandes).

● L’extension de la sphère d’influence allemande en Europe orientale et dans les pays Baltes à la faveur de la guerre en Ukraine a été mise en exergue par de nombreuses personnes auditionnées. Ainsi que l’a relevé M. Guillaume Ollagnier du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « le projet de l’Allemagne de déployer une brigade en Lituanie a fortement marqué les esprits au sein des États Baltes. Ce type de déploiement massif constitue ainsi un véritable atout dans la stratégie d’influence de l’Allemagne dans la zone ».

L’initiative « Ringtausch » constitue une illustration de la volonté de l’Allemagne de renforcer sa présence sur les marchés de défense du flanc oriental de l’Europe à l’occasion de la guerre en Ukraine. Cette initiative consiste en effet à inciter les pays d’Europe de l’Est à livrer leur matériel soviétique au bénéfice de l’Ukraine pour le remplacer par du matériel allemand prélevé sur les stocks de la Bundeswehr : « Berlin a ainsi proposé à la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne de leur fournir des Leopard 2A4 – une version plus ancienne – afin de compenser l’envoi de leurs T-72 respectifs. Plusieurs accords ont été conclus, la Slovaquie recevant quinze Leopard 2 en échange de trente blindés d’infanterie périmés, et la Grèce quarante blindés d’infanterie Marder en échange d’un nombre égal de blindés soviétiques » ([49]).

● La stratégie allemande repose notamment dans le secteur terrestre sur le rôle central joué par l’entreprise Rheinmetall, qui développe une politique de forte expansion en Europe :

– au Royaume-Uni, Rheinmetall a repris en 2019 les activités véhicules blindés de BAE Systems à travers la création d’une joint-venture avec la société britannique qu’elle contrôle à 55 % ;

– en Espagne, Rheinmetall est devenu un acteur important, avec l’acquisition en 2023 de la société Expal Systems dans le secteur des munitions, comme l’a rappelé l’attaché de défense auprès de l’ambassade de France à Madrid ;

– en Hongrie, le groupe allemand a signé en décembre 2023 un partenariat avec le groupe public N7 pour co-développer le char KF51 ;

– enfin, la Lituanie a annoncé en avril 2024 un accord avec Rheinmetall pour l’ouverture d’une usine de production d'obus d'artillerie de 155 mm dans l'État balte.

Le groupe allemand tire ainsi pleinement profit du nouveau contexte stratégique en Europe. Son carnet de commandes a augmenté de 44 % l'an dernier, pour atteindre 38,3 milliards d'euros, les commandes de véhicules militaires à roues et chenilles ayant notamment plus que quadruplé ([50]).

Enfin, autre illustration de la « Zeitenwende », l’État allemand n’hésite plus à prendre des participations capitalistiques dans ses entreprises de défense, comme l’illustre son investissement à hauteur de 25,1 % du capital dans Hensoldt. En cas de cession par le groupe Thyssen Krupp de sa branche navale TKMS, il est également probable que l’État fédéral allemand entre au capital de l’entreprise navale, selon les indications fournies à vos rapporteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II.   La guerre en Ukraine, révélatrice et amplificatrice des carences de l’industrie de défense européenne

A.   Le conflit en Ukraine, amplificateur de notre dépendance aux pays tiers

1.   Une augmentation des dépenses de défense des pays européens…

● Si les pays européens ont commencé à augmenter leur effort de défense en 2014, dans le prolongement de l’invasion de la Crimée, la guerre en Ukraine a significativement renforcé cette dynamique.

Les dépenses de défense des pays européens (UE et hors UE) en 2023 ont représenté collectivement 588 milliards de dollars, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2022 ([51]). Entre 2014 et 2023, les pays européens auront ainsi accru leurs dépenses de défense de 62 %.

Pour les seuls États membres de l’UE, les dépenses de défense ont atteint 270 milliards d’euros en 2023, soit 30 milliards de plus qu’en 2022 (+12,5 %)([52]), après une première augmentation de 6 % entre 2021 et 2022([53]). À titre de comparaison, les États-Unis ont dépensé en 2023 916 milliards de dollars pour leur défense (+2,3 %), la Chine 296 milliards de dollars (+6 %) et la Russie 109 milliards de dollars (+24 %) ([54]).

Illustration de l’urgence capacitaire, ce sont les dépenses d’équipements qui ont principalement bénéficié de cet effort financier, puisque celles-ci ont augmenté de 43 % entre 2022 et 2023 pour les pays de l’UE membres de l’OTAN ([55]). La politique d’équipements de la France symbolise une telle dynamique :  ainsi que l’a rappelé le ministre des Armées lors de sa conférence de presse du 26 mars 2024, la moyenne des commandes passées à la BITD était de 9,5 milliards d’euros entre 2012 et 2016, de 15 milliards entre 2017 et 2022, pour atteindre 20 milliards d’euros en 2023.

L’accroissement de l’effort de défense se traduit par un meilleur respect des deux objectifs budgétaires de l’OTAN, comme l’illustrent les graphiques ci-dessous : 18 Alliés atteignent la barre des 2 % du PIB consacrés à la défense, contre 3 seulement en 2014 ; en outre, 28 Alliés consacrent au minimum 20 % de leurs dépenses de défense à l’acquisition d’équipements majeurs, contre 7 en 2014 ([56]).

Source : rapport annuel 2023 du Secrétaire général de l’OTAN, mars 2024.

● Cette augmentation globale de l’effort de défense européen a toutefois plusieurs limites.

Tout d’abord, les pays de l’UE n’atteignent toujours pas collectivement le seuil des 2 % de leur PIB consacrés à la défense. En 2022, il manquait ainsi 76 milliards d’euros d’investissement cumulés par les États membres en faveur de leur défense pour atteindre cet objectif ([57]).

dépenses de défense des pays de l’UE par rapport à l’objectif des 2 % du PIB (2022)

Source : Agence européenne de défense, « 2022 Defence Data Publication », novembre 2023.

Par ailleurs, il existe naturellement une forte hétérogénéité entre les pays. Entre 2022 et 2023, la Pologne a augmenté ses dépenses de défense de 75 % (+181 % depuis 2014) tandis que l’Italie a par exemple vu ses dépenses de défense baisser de 5,9 % sur la même période (+31 % depuis 2014 toutefois) selon l’institut SIPRI ([58]).

Enfin, le caractère soutenable de l’accroissement des dépenses de défense des pays européens constitue un enjeu majeur. Pour l’Allemagne, le général Franz Chapuis, attaché de défense à l’ambassade de France à Berlin, a indiqué qu’il est désormais acté que le fonds spécial ne sera pas prolongé au-delà de 2028, ce qui nécessitera de trouver chaque année 30 à 35 milliards d’euros en plus pour le budget de la défense. Quant à la Pologne, le financement du « fonds spécial de soutien aux forces armées », administré par la banque nationale de développement (BGK), dépendra notamment du succès de ses émissions obligataires.

2.   … qui a peu profité à la BITD européenne

● Les importations par les pays européens d’équipements militaires auprès de pays tiers ne constituent certes pas un phénomène nouveau. Entre 2007 et 2017, plus de 60 % du budget des États membres de l’UE dédié à l’acquisition d’équipements de défense était déjà consacré à des importations militaires en provenance de pays tiers, selon certaines estimations ([59]).

D’autres études relatives aux importations militaires des pays européens confirment la domination très nette des États-Unis sur le marché européen. Selon l’institut SIPRI, les importations européennes d’armements entre 2019 et 2023 ont augmenté de 94 % par rapport à la période 2014-2018 ([60]). Or, parmi ces importations, plus de 55 % proviennent des États-Unis (contre 35 % entre 2014 et 2018). Les deux autres principaux pays fournisseurs des Européens sont déclassés : l’Allemagne compte pour 6,4 % du total des importations des pays européens, et la France pour seulement 4,6 %.

La part des États-Unis dans le total des importations d’armements réalisées entre 2019 et 2023 est de nature quasiment monopolistique pour certains pays européens, selon les données de SIPRI ([61]) : 99 % pour les Pays-Bas ; 95 % pour l’Italie ; 89 % pour le Royaume-Uni ; 89 % pour la Norvège : 71 % pour la Roumanie ; 63 % pour l’Allemagne. Pour la France, cette part est de 20 %, le Royaume-Uni étant le principal fournisseur d’armes de notre pays avec 38 % de parts de marchés.

● Cependant, la guerre en Ukraine a encore amplifié cette dépendance aux importations envers les pays tiers. Comme l’a mis en exergue l’étude – aujourd’hui célèbre – de M. Jean-Pierre Maulny de l’IRIS ([62]), 78  % des 100 milliards de commandes d’équipements militaires des États membres de l’Union européenne passées entre février 2022 et juin 2023 ont bénéficié aux pays tiers à l’UE. Parmi ces acquisitions hors UE, 80 % des commandes (soit 63 % des commandes totales des pays de l’UE) ont bénéficié aux États-Unis, 13 % à la Corée du Sud, 3 % au Royaume-Uni et à Israël.

Les acquisitions intra-européennes d’équipement militaires ne représentent donc que 22 % des investissements réalisés par les États membres. Au sein de ce marché intra-européen, l’Allemagne domine largement la France, avec respectivement 50 % et 12 % de parts de marché. A contrario, les États-Unis soutiennent l’Ukraine en s’appuyant sur leur propre base industrielle et technologique : 80% du matériel cédé par les États-Unis à l’Ukraine provient de l’industrie de défense américaine, selon le récent rapport de M. Enrico Letta sur le marché intérieur européen ([63]) .

Depuis la publication de cette étude en septembre 2023, cette tendance s’est malheureusement poursuivie, voire amplifiée. Selon les calculs de vos rapporteurs à partir des données publiques de l’agence chargée des exportations d’équipements militaires américains, le pays européen ayant eu le plus recours aux FMS est la Pologne, avec des contrats FMS conclus pour un montant cumulé de près de 47 milliards de dollars entre janvier 2023 et mars 2024. L’Allemagne est le second client européen avec près de 12 milliards d’euros engagés au titre de FMS sur la période (montant qui ne comprend pas les F-35 commandés en décembre 2022), suivie par la Grèce, avec 11 milliards d’euros (dont 8,6 milliards de dollars pour l’acquisition de 40 F-35 autorisée en janvier 2024).

ACQUISITIONS PAR LA POLOGNE D’ÉQUIPEMENTS MILITAIRES AMÉRICAINS VIA DES FOREIGN MILITARY SALES (janvier 2023- mars 2024)

 

Types de matériels

Montant

(en dollars)

févr-23

18 lanceurs HIMARS + missiles

10 000 000 000

mars-23

Missiles AGM-114 "Hellfire"

 

150 000 000

 

mai-23

34 Pods de ciblage de précision Sniper ATP

 

124 700 000

 

juin-23

Système de défense aérienne IAMD

15 000 000 000

août-23

96 Hélicoptère AH-64E Apache + Moteurs + Équipements (radars, systèmes d'acquisition de cible, systèmes anti-missiles, transmetteurs) + Missiles (AGM-114 Hellfire, AGM-179 JAGM, Stinger)

12 000 000 000

sept-23

Maintenance des F-16 +  Système de commandement IBCS

4 389 000 000

déc-23

Équipements de communication et de navigation inertielle

 

255 000 000

 

févr-24

Aérostats de surveillance aérienne

1 200 000 000

mars-24

Missiles (AIM-9 Sidewinder, AIM-120 AMRAAM, AGM-158 JASSM)

3 679 100 000

Total

 

46 797 800 000

Source : tableau établi par vos rapporteurs à partir des données publiques de la Defense Security Cooperation Agency [DSCA]

 

Les équipements les plus structurants et coûteux acquis par les pays européens via les FMS concernent notamment les avions de chasse F-35, les hélicoptères (Chinook, Apache, Black Hawk), les chars Abrams, les systèmes de défense sol-air Patriot, les lance-roquettes Himars, les missiles (missiles de croisière JASMM, missiles air-air AIM, missiles anti-chars Hellfire et Javelin, missiles sol-air Stinger…), ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

FOREIGN MILITARY SALES supérieurs à un milliard de dollars CONCLUS par les pays européens (janvier 2023 - mars 2024)

 

Année

Mois

Pays concerné

Principaux types de matériels

Montant

(en dollars)

2024

Mars

Pologne

Missiles (AIM-9 Sidewinder, AIM-120 AMRAAM, AGM-158 JASSM)

3 679 100 000

Février

Pologne

Aérostats de surveillance aérienne

1 200 000 000

Pays-Bas

Missiles (AGM-158 JASSM, AGM-114 Hellfire) + Véhicules d'essai

1 058 000 000

Janvier

Grèce

40 F-35 + Moteurs

8 600 000 000

2023

Décembre

Grèce

35 Hélicoptères UH-60M Black Hawk + Moteurs + Équipements (systèmes anti-missiles, systèmes de navigation, systèmes radio)

1 950 000 000

Novembre

Roumanie

54 Chars de combat M1A2 Abrams + Chars du génie + Mitrailleuses + Munitions

2 530 000 000

Octobre

Espagne

Systèmes PATRIOT

2 800 000 000

Septembre

Pologne

Maintenance des F-16 +  Système de commandement IBCS

4 389 000 000

Bulgarie

183 Véhicules Stryker

1 500 000 000

Août

Pologne

96 Hélicoptère AH-64E Apache + Moteurs + Équipements (radars, systèmes d'acquisition de cible, systèmes anti-missiles, transmetteurs) + Missiles (AGM-114 Hellfire, AGM-179 JAGM, Stinger)

12 000 000 000

Juillet

Allemagne

Missiles AIM-120 AMRAAM

2 900 000 000

Juin

République

Tchèque

24 F-35 + Moteurs + Missiles et bombes

5 620 000 000

Pologne

Système de défense aérienne IAMD

15 000 000 000

Mai

Allemagne

60 Hélicoptères CH-47F Chinook + Moteurs + Équipements (systèmes anti-missiles, systèmes radio)

8 500 000 000

Avril

Norvège

6 Hélicoptères MH-60R Seahawk + Moteurs + Équipements (systèmes radios, systèmes de navigation, sonars)

1 166 000 000

Février

Pologne

18 lanceurs HIMARS + Missiles

10 000 000 000

Source : tableau établi par vos rapporteurs à partir des données publiques de la Defense Security Cooperation Agency [DSCA]

 

 

Les commandes des pays européens représentent la grande majorité des FMS conclus en 2023 par les États-Unis pour un montant total de 80,9 milliards de dollars (+ 56% par rapport à 2022), ce qui constitue un record historique ([64]). Le précédent record était de 69 milliards de dollars en 2012 (année de la vente de F-15 à l’Arabie Saoudite et de F-35 au Japon).

ÉVOLUTION des montants des FOREIGN MILITARY SALES (FMS)

(en milliards de dollars)

Source : graphique établi par vos rapporteurs à partir de l’actualisation pour 2023 des données transmises par Mme Hélène Masson, de la fondation pour la recherche stratégique.

B.   Une BITD européenne menacée par la domination américaine et l’émergence de nouveaux concurrents

1.   Les ressorts de la domination américaine en Europe

  1.   Les facteurs de la domination des États-Unis

● Tout d’abord, des facteurs politiques sont incontestablement à l’œuvre dans ces acquisitions auprès des États-Unis.

Comme l’a souligné M. Guillaume Ollagnier, du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, les achats d’armement ont une dimension éminemment politique, en ce qu’ils sont souvent motivés par la volonté des pays acquéreurs d’obtenir des garanties de sécurité de la part du pays cédant.

 

En l’espèce, ces acquisitions massives auprès des États-Unis reflètent l’attachement des pays européens au maintien de la garantie américaine de sécurité, qui constitue la pierre angulaire de leur politique de défense – au contraire d’une Europe de la défense encore largement perçue comme une garantie de second rang et incomplète.

À cet égard, il convient de souligner que les acquisitions des pays européens s’inscrivent dans une véritable recherche de partenariat stratégique global avec les États-Unis, dont elles ne constituent finalement qu’un pan. Ainsi que le souligne Mme Hélène Masson de la fondation pour la recherche stratégique, « la coopération opérationnelle (exercices et entraînements conjoints, présence militaire permanente ou par rotation) se prolonge ainsi dans la vente d’équipements, dans une logique ‘‘ integrated by design ’’ largement promue par les responsables militaires américains ».

Enfin, au-delà de l’achat du « parapluie américain », la recherche de l’interopérabilité avec les armées américaines est également un critère majeur pour les armées européennes de l’OTAN sur le plan opérationnel.

● L’autre cause principale de telles acquisitions auprès des États-Unis tient à l’attractivité du mécanisme des foreign military sales (FMS).

Les FMS constituent en effet des accords de Gouvernement à Gouvernement conclus en dehors de tout appel d’offres. Dans le cadre de ce dispositif, ainsi que le souligne la Cour des comptes, « l’État fédéral américain [devient] l’unique interlocuteur de l’État client auquel il se substitue dans la relation avec les industriels fournisseurs (…) Les FMS peuvent permettre de fournir : des équipements en stock dans les armées américaines / des équipements que les armées américaines sont en train d’acquérir, le partenaire étranger se joint alors à la commande en cours / des équipements spécifiques. Dans les deux premiers cas, l’administration américaine assure procurer au pays demandeur les équipements à un prix identique à celui auquel il les achète lui-même » ([65]).

Le premier atout du FMS est qu’il constitue donc un gage de simplicité pour l’État client, qui a une relation directe avec le Gouvernement américain. Ainsi que le soulignait le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « ce processus constitue une garantie de simplicité en substituant une logique de gouvernement à gouvernement à une relation entre administration et industriels. Ainsi la livraison des matériels peut être effectuée sans avoir à conduire de procédure d’acquisition formelle – et les différents contrôles juridiques, financiers et techniques afférents – en se fondant sur un interlocuteur unique faisant le lien avec plusieurs industriels. Cela représente un avantage certain pour les États ne disposant pas d’une administration dédiée à l’équipement de défense aussi structurée que la DGA ».

La plus-value de ce dispositif réside également dans le mécanisme de prélèvements sur stocks, qui assure une livraison rapide des premiers exemplaires. L’enjeu de la disponibilité des équipements est en effet devenu un critère majeur pour les pays acheteurs, comme l’a souligné une personne auditionnée : « Les acquisitions massives d’armements américains par les pays européens ont à cet égard une cause principale : le fait que les États-Unis sont capables de livrer très rapidement les premiers matériels, grâce à leur mécanisme de FMS leur permettant de prélever directement sur leurs stocks ».

avantageS et INCONVÉNIENTS des FOREIGN MILITARY SALES (FMS)

Source : Cour des comptes, « Le soutien aux exportations de matériel militaire », janvier 2023.

  1.   Un exemple de préférence américaine en Europe : le F-35

● Une vague de F-35 s’apprête à déferler sur l’Europe. 560 avions de chasse F- 35 ont en effet été commandés par les pays européens. Parmi les 19 pays participant au programme F-35, treize sont européens, étant précisé que des négociations sont en cours pour les commandes de F-35 de la part de la Roumanie.

Sur les dix pays européens ayant commandé des avions de chasse entre 2019 et 2023, huit ont ainsi choisi des avions américains (F-16 ou F-35), contre seulement deux des Rafale (Grèce et Croatie) ([66]).

Il est également frappant de constater que trois des quatre pays (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne) ayant développé l’Eurofighter achètent du F-35, certaines rumeurs prêtant au surplus à l’Espagne la volonté d’acquérir ces avions.

pays ACQUÉREURS de F-35

Source : Lockheed Martin. La Grèce a rejoint le programme début 2024

 

VOLUME DES ACQUISITIONS DE F-35 PAR PAYS EUROPÉENS

CLIENTS

Commandes confirmées ou attendues

version A

version B

ROYAUME-UNI

74

0

74

PAYS-BAS

52

52

0

ITALIE

90

60

30

NORVÈGE

52

52

0

DANEMARK

27

27

0

BELGIQUE

34

34

0

POLOGNE

32

32

0

ALLEMAGNE

35

35

0

FINLANDE

64

64

0

SUISSE

36

36

0

GRÈCE

40

40

0

REP. TCHÈQUE

24

24

0

ROUMANIE

32

32

0

Total

560

456

104

 

 

 

 

 

 

 

 

 

● Les acquisitions de F-35 sont particulièrement préjudiciables pour l’autonomie stratégique en Europe pour deux raisons principales.

Tout d’abord, ces acquisitions représentent des montants significatifs pour les budgets de défense des pays européens. Les récentes acquisitions de F-35 sont évaluées à 10 milliards de dollars pour l’Allemagne et à 8,6 milliards de dollars pour la Grèce. Pour les États-Unis, la valeur des exportations de la seule nouvelle version du F-35 représenterait ainsi 24 % du total des exportations américaines d’armement selon l’institut SIPRI ([67]).

D’autre part, contrairement à l’acquisition d’équipements « consommables », ces acquisitions créent des dépendances pour plusieurs décennies, comme l’a souligné M. Pierre Maulny de l’IRIS : « Si les acquisitions auprès des États-Unis concernent un large spectre de capacités (missiles et munitions - Stinger, Javelin, Himars, Patriot -), le plus préoccupant est l’acquisition d’avions F-35 qui crée une dépendance pour plusieurs décennies ».

Cette dépendance est encore renforcée par l’accoutumance des industriels locaux à travailler avec Lockheed Martin. Selon M. Maulny, le fait que les chaînes d’approvisionnement belges et hollandaises aient travaillé sur le F-16 explique ainsi largement que ces pays ont choisi le F-35.

Le vice-amiral Hervé Hamelin, attaché de défense à l’ambassade de France au Royaume-Uni, a également rappelé que le programme F-35 constitue une « machine à cash » pour l’industrie de défense britannique et notamment BAE System, qui participe au fuselage de l’avion. Les dirigeants britanniques ont cependant conscience que la valeur ajoutée de la contribution britannique dans la chaîne de valeurs est faible, ce qui ne permet pas de conserver les compétences industrielles à terme.

● Un des ressorts du succès de la stratégie américaine mise en place pour le F-35 dans les années 2000 a été d’associer financièrement les pays européens avant même le développement de l’avion, comme l’a souligné M. Bruno Giorganni de Dassault : « Les Européens ont ainsi participé au développement du F-35 à hauteur de plus 7 milliards d’euros, sans aucune garantie d’un quelconque retour industriel. Le but des Américains est d’annihiler toute industrie de défense aéronautique européenne pour être en situation de monopole car il s’agit du segment le plus stratégique. C’est la première arme de guerre utilisée par les Occidentaux et c’est aussi là où sont développées les technologies de pointe ».

Enfin, l’autre facteur de succès du F-35 tient aux considérations propres à la dissuasion nucléaire au sein de l’OTAN. Les États-Unis ont largement instrumentalisé le « nuclear sharing », c’est-à-dire l’emport de la bombe B61 par des pays alliés de l’OTAN, pour imposer leur F-35. M. Giorgianni a ainsi souligné qu’il n’y avait auparavant aucune difficulté à ce que la bombe B61 soit portée par le Tornado. Les Américains n’ont imposé l’emport de la bombe par des F-35 qu’à l’occasion de la nouvelle version du B61.

Cette instrumentalisation du « nuclear sharing » en faveur des intérêts industriels américains illustre un changement de paradigme : « Alors que les États-Unis promouvaient la notion d’interopérabilité entre Alliés pendant la période de la guerre froide, comme l’illustre l’exemple de la liaison L16, aujourd’hui ils promeuvent l’uniformisation sous leur égide », ainsi que l’a mis en exergue M.  Giorgianni.

2.   Les risques associés à la constitution d’une « BITD transatlantique »

a.   L’interpénétration croissante des BITD européenne et américaine

● Tout d’abord, il convient de relever que les deux plus grandes entreprises de défense européennes entretiennent des liens particulièrement étroits avec les États-Unis.

La société italienne Leonardo, dont les représentants ont été auditionnés par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome, présente ainsi les États-Unis comme son « marché domestique », en raison de l’importance de son implantation dans ce pays (7 000 salariés aux États-Unis) et de la part significative de son chiffre d’affaires réalisé dans cette zone géographique (plus de 26 % du chiffre total). En Italie, Leonardo est par ailleurs responsable de la seule ligne finale d'assemblage européenne du F-35, alors même qu’elle est impliquée dans l’Eurofighter, avec Airbus et BAE Systems.

Le tropisme transatlantique de Leonardo a été récemment illustré par le partenariat noué avec la société américaine Bell sur les hélicoptères. L’objectif à terme pour Leonardo est certainement de récupérer la chaîne d’assemblage du programme otanien d’hélicoptère du futur NGRC (« Next Generation Rotorcaft Capability »), alors même que les Européens cherchent à développer un modèle d’hélicoptère plus adapté à leurs besoins spécifiques dans le cadre du projet FED ENGRT (« European Next Generation Rotorcraft Technologies »). Comme l’a souligné M. Michel Cabirol, « À travers cet accord avec Bell, Leonardo fait entrer le loup dans la bergerie non seulement dans le cadre de l'autonomie stratégique européenne (et française) mais aussi dans le cadre de la compétitivité de l'industrie européenne de défense et de la filière hélicoptère » ([68]).

La société britannique BAE Systems constitue un autre exemple de champion européen fortement dépendant des États-Unis. La filiale américaine de BAE représente près de la moitié des effectifs et du chiffre d’affaires du groupe britannique, selon les indications fournies par la mission de défense de l’ambassade de France au Royaume-Uni. En 2023, BAE Systems a encore renforcé son implantation aux États-Unis, en acquérant l’équipementier aérospatial Ball Aerospace pour plus de cinq milliards de dollars. Un des programmes phares de BAE Systems est actuellement le programme de construction de sous-marins dans le cadre de l’alliance Aukus avec les États-Unis et l’Australie. BAE Systems est enfin impliqué dans le fuselage du F-35 (162 fuselages livrés en 2023) ([69]).

 

 

● Parallèlement, certaines entreprises de défense américaines sont fortement implantées sur le territoire européen à travers des filiales qu’elles contrôlent. À titre d’exemple, la société américaine General Dynamics contrôle la société espagnole Santa Barbara Systemas, la société autrichienne Steyr ou encore la société suisse Mowag. De même, le motoriste italien Avio est contrôlé par l’entreprise General Electric (GE) depuis 2013.

En outre, les fonds américains, présents au capital de plus de 90 % des principaux groupes de défense américains ([70]), deviennent de plus en plus influents au sein des entreprises de défense européennes :

– en Espagne, le fonds américain Bain Capital contrôle depuis septembre 2022 le motoriste ITP Aéro ;

– au Royaume-Uni, Capital Group et BlackRock sont les deux premiers actionnaires de BAE Systems, dont ils détiennent respectivement près de 13 % et 10 % du capital ;

– en Allemagne, le fonds de private equity General Catalyst a investi dans la société allemande Helsing, spécialisée dans l’intelligence artificielle. En outre, le groupe Thyssenkrupp a annoncé en mars 2024 étudier l’entrée du fonds d’investissement américain Carlyle dans le capital de sa filiale Thyssenkrupp marine systems (TKMS), un des leaders mondiaux des sous-marins non nucléaires, une cession à terme du contrôle de TKMS n’étant pas exclue.

b.   La sous-traitance de produits américains, horizon ultime des industriels européens ?

● Les industries de défense américaines connaissent des difficultés pour répondre à l’augmentation des commandes qui leur sont adressées depuis la guerre en Ukraine.

M. Julien Malizard, de la chaire Économie de défense de l’IHEDN, a ainsi mis en exergue que l’industrie américaine est confrontée aux mêmes défis de montée en cadence que l’industrie européenne : « Si les États-Unis ont été en mesure de livrer rapidement des équipements militaires à l’Ukraine, ce n’est pas tant en raison des cadences de production de leur industrie que parce qu’ils ont prélevé massivement sur leurs stocks pléthoriques. Cette logique de prélèvement arrive toutefois à son terme avec l’épuisement des stocks. Or, l’industrie américaine est aujourd’hui confrontée à des difficultés pour accroître ses capacités de production et faire face à l’augmentation de la demande. Il est ainsi symptomatique que le chiffre d’affaires de l’industrie de défense américaine n’a que très peu augmenté entre 2022 et 2023, voire a même reculé si on tient compte de l’inflation ».

Selon le GICAT, « les États-Unis mettront six ans pour remplacer les obus de 155 mm et trois ans pour remplacer les missiles sol-air Stinger livrés à l’Ukraine, compte tenu des capacités de production actuelles et des commandes qui doivent être honorées ».

● Dans ce contexte de saturation de leurs chaînes de production, la sous-traitance aux industries européennes constitue la solution promue par les industriels américains, comme l’a souligné M. le général (2S) Guy Girier, conseiller chez Airbus : « La production en Europe de matériels américains est en effet conçue par les États-Unis comme une réponse aux difficultés de montée en puissance de leur propre industrie face à l’accroissement de la demande ».

Le contrat de sous-traitance le plus emblématique est celui confié en janvier 2024 à MBDA Allemagne ([71]) pour la production de missiles Patriot. Cette dernière s’est vue en effet confier la production de 1 000 missiles Patriot, d’une valeur de 5,5 milliards de dollars, par l’agence de soutien et d’acquisition de l’OTAN (la « NSPA ») pour le compte de plusieurs pays européens (Allemagne, les Pays-Bas, la Roumanie et l’Espagne). Au regard du volume de la commande, un site de production de missiles Patriot sera ainsi implanté à Schrobenhausen, en Allemagne. Ce contrat est d’autant plus problématique que les filiales française et italienne de MBDA fabriquent le système de défense sol-air SAMP-T Mamba, concurrent du Patriot.

Selon le général Franz Chapuis, attaché de défense à l’ambassade de France en Allemagne, la sous-traitance par les industriels allemands des produits américains est un moyen pour l’Allemagne de se positionner comme le « taulier de la sécurité européenne », sous parapluie américain. En outre, l’Allemagne considère que le développement d’intérêts économiques américains en Europe constitue un moyen efficace d’assurer la présence des États-Unis en cas de crise majeure.

Dans la même perspective, en septembre 2023, le groupe polonais PGZ a signé un accord avec la joint-venture entre Lockheed Martin et Raytheon pour produire en Pologne le missile antichar Javelin. Cet accord porte notamment sur l'établissement d'une installation d'assemblage final et de capacités de production de composants en Pologne.

● La présence d’emplois locaux issus de ces productions sous licence américaines constitue un vecteur d’influence fort pour les États-Unis afin de contrecarrer toute tentative d’autonomie stratégique européenne. Elle légitime chez certains pays l’opposition à tout renforcement d’une BITD véritablement européenne, comme l’a souligné M. Jean-Pierre Maulny de l’IRIS : « Lors des débats sur le fonds européen de défense, les parlementaires italiens ont fait valoir que la production d’équipements militaires américains représentait 15 % des emplois de la BITD italienne, pour essayer d’obtenir un assouplissement des règles d’éligibilité du FED qui était réservé aux entreprises européennes ».

Il est à cet égard consternant que la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Von der Leyen, ait explicitement promu ce modèle de production sous licence américaine dans son discours à la conférence de Munich sur la sécurité de février 2024 : « Nous devons avoir un retour sur investissement. C'est-à-dire développer une production européenne. Cela ne signifie pas automatiquement avoir des compagnies européennes (…) Le bon exemple c'est, par exemple, la fabrication des Patriot sur le sol européen. L'important est de se doter d'une capacité de montée en puissance et d'avoir de bons emplois européens ([72]) ».

● Dans ce contexte, le rôle croissant de l’OTAN en matière capacitaire, à travers son agence de soutien et d’acquisition (la « NSPA ») doit être particulièrement surveillé, compte tenu de la tendance bien connue de l’Alliance à promouvoir essentiellement des équipements américains.

Alors que la NSPA a traditionnellement un rôle centré sur les services de soutien aux matériels, l’OTAN souhaite en effet transformer celle-ci en une véritable agence d’acquisition sur le modèle de l’OCCAR. M. Denis Lizandier, directeur adjoint de l’OCCAR a ainsi alerté vos rapporteurs sur le fait que « beaucoup de personnels de l’OCCAR ont rejoint la NSPA ».

Illustration de cette dynamique, la NSPA a conclu ces derniers mois trois contrats-cadres significatifs ayant pour objet (i) les missiles Patriot (5,5 milliards de dollars sur 10 ans) déjà évoqués (ii) les munitions 155 mm (un milliard de dollars), dont bénéficie KNDS France et (iii) l’iAFSC (Initial Alliance Future Surveillance and Control au profit du Boeing E-7A dans le cadre d’un FMS).

Ce renforcement de la NSPA s’inscrit dans le cadre du nouveau « plan d’action sur la production pour la défense » qui a été arrêté lors du sommet de l’OTAN à Vilnius en juillet 2023. Ce plan a notamment abouti à la création au sein de l’OTAN d’un « bureau production industrielle de défense » (DIPB). Selon les indications de Mme Muriel Domenach, ambassadrice à la représentation permanente de la France à l’OTAN, le DIPB a mis en place à ce stade trois groupes de travail sur (i) les capacités de production, (ii) les chaînes d’approvisionnement et l’interopérabilité et (iii) la levée des restrictions entre exportations entre Alliés.

 

 

3.   La Corée du Sud, nouvel acteur sur le marché européen

L’émergence de la Corée du Sud comme nouveau compétiteur sur le marché européen a été mise en lumière par le contrat-cadre conclu à l’été 2022 avec la Pologne pour la livraison de 1 000 chars d'assaut K2, 672 canons automoteurs K9, 288 lance-roquettes K239 et 48 avions de chasse multirôles FA-5039 pour un montant de près de 14 milliards de dollars selon certaines estimations.

● La conclusion d’un tel contrat par la Pologne s’explique tout d’abord par la capacité des industries coréennes à livrer rapidement les premiers exemplaires des équipements commandés. Les livraisons des dix premiers K-2 et des 24 premiers K-9 ont ainsi eu lieu dès la fin de l’année 2022, soit moins de cinq mois après la conclusion du contrat. Les deux premiers avions FA-50 ont quant à eux été livrés dès août 2023 ([73]). Cette réactivité de l’industrie coréenne s’appuie sur sa capacité à prélever sur les stocks importants de l’armée de mobilisation qu’est la Corée du Sud.

Le critère de la rapidité des livraisons a de facto exclu les entreprises de défense européennes et même américaines, comme l’ont indiqué des officiers polonais à vos rapporteurs lors de leur déplacement à Varsovie. Ces dernières n’étaient tout simplement pas en capacité de livrer de tels volumes dans les délais exigés par les autorités polonaises.

Les acquisitions polonaises auprès de la Corée du Sud symbolisent ainsi l’incapacité de la BITD européenne à répondre aux besoins capacitaires des pays européens issus de la guerre en Ukraine, comme le résume M. Péria-Peigné de l’IFRI : « Avec la réduction des formats militaires européens et le désinvestissement massif des États dans les capacités de guerre en haute intensité, la plupart des industries de défense sont passées à un mode de production quasiment artisanal, se concentrant davantage sur le maintien de l’activité ou la souveraineté technologique que la capacité à produire vite et en quantité. Face à la menace russe, les États ont choisi la facilité et la rapidité, commandant à des États dont l’industrie n’avait pas cessé de produire, ou qui étaient en mesure de leur fournir les produits adaptés à leurs besoins dans des délais raisonnables. Les décisions polonaises, bien qu’en suspens, en sont un exemple flagrant : qui en Europe aurait pu leur fournir 200 chars de combat, 400 systèmes d’artillerie dans un délai aussi court ? Personne, pas même l’Allemagne ».

● L’autre facteur d’attractivité de l’offre coréenne tient aux coopérations industrielles et transferts de technologie proposés à la Pologne. Lors de leur déplacement à Varsovie, vos rapporteurs ont pu mesurer à quel point la question des compensations industrielles (« offset ») constitue un enjeu majeur pour les autorités polonaises désireuses de faire monter en compétence leur propre industrie de défense, structurée autour du conglomérat PGZ.

Ainsi que le rappelle la chercheuse Louise Souverbie de l’IRIS, « Plus qu'aucun autre, les partenariats avec la Corée du Sud permettent, en effet, à la Pologne de mettre en œuvre sa stratégie industrielle de polonisation, puisqu'une part importante des équipements doivent être produits sur le sol polonais et spécialement adaptés aux besoins des armées polonaises (…) Cette coopération doit ainsi permettre à la Pologne de (re) construire un véritable potentiel de production, voire d'exportation, de chars. Les deux partenaires envisagent, en effet, de faire de la Pologne un hub d'exportation vers le reste du marché européen. Plusieurs pays d'Europe centrale et orientale entendent acquérir des chars de nouvelle génération pour remplacer leurs équipements soviétiques et pourraient donc se tourner vers les K2, plus abordables que leurs équivalents américains ou européens » ([74]).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III.   La guerre en Ukraine, levier de l’affirmation du rôle de l’Union européenne dans la politique industrielle de défense

A.   Le rôle limité de l’UE avant la guerre en Ukraine

1.   Des tentatives inabouties d’harmonisation du marché européen de la défense

Les premières initiatives de l’UE en matière d’industrie de défense ont porté sur l’approfondissement du marché intérieur de la défense, à travers l’harmonisation des procédures de passation des marchés de défense. À la suite du « Livre vert sur les marchés publics de la défense », deux directives ont été prises à cette fin : la directive 2009/42/CE sur les transferts de produits liés à la défense dans l’Union et surtout la directive 2009/81 relative à la coordination des procédures de passation.

La directive 2009/81 avait pour principal objet d’établir un cadre juridique normé pour la passation de leur marché de défense par les États membres, avec des obligations de publicité et de mise en concurrence. La finalité poursuivie était de favoriser la libre compétition et de limiter les exigences en matière de compensations industrielles (« offsets ») de la part des États membres acquéreurs.

Cette directive souffre cependant de deux défauts majeurs.

● Tout d’abord, en vertu de son article 13(f), la directive ne s’applique pas aux contrats de gouvernement à gouvernement. Or, il a été vu au sujet des FMS que ce type de contrat est particulièrement plébiscité par les États membres. La directive ne s’applique donc pas de facto aux marchés de défense les plus structurants actuellement passés par les pays européens.

Certes, la note d’orientation publiée par la Commission européenne relative à la mise en œuvre de cette exception ([75]) prévoit que le recours à ces marchés de gouvernement à gouvernement devrait en principe être limité aux seuls cas où « la concurrence est absente ou impossible ». A contrario, si la « concurrence semble possible », l’État membre doit, selon cette note d’orientation, mettre en œuvre les procédures de publicité appropriées. Dans cette hypothèse, « la décision d'attribution d'un marché à un autre gouvernement devrait dès lors être prise à l'issue d'une analyse appropriée, dont il résulte clairement qu'une telle attribution est la seule ou la meilleure solution pour répondre aux besoins définis par le gouvernement acquéreur » ([76]).

 

Cependant, force est de constater que la Commission ne contrôle guère l’application de ces « orientations ». Du reste, apporter la preuve que le recours au contrat de gouvernement à gouvernement ne constitue pas la « meilleure solution pour répondre aux besoins définis par le gouvernement acquéreur » serait un exercice particulièrement délicat.

● Le second défaut majeur de cette directive est qu’elle n’a pas mis un terme aux pratiques des compensations industrielles réclamées par l’État acquéreur, en contrepartie de l’attribution d’un marché.

Certes, l’article 21 de la directive 2009/81/CE indique que l’attributaire ne doit pas se comporter « de façon discriminatoire à l’égard de sous-traitants potentiels en raison de leur nationalité ». Cette précision vise à interdire la pratique, très courante, par laquelle l’adjudicateur exige de l’attributaire qu’il serve une part du marché à des entreprises nationales ([77]).

Cependant, une autre note d’orientation de la Commission prévoit qu’un État membre peut s’exonérer des règles du marché intérieur en se prévalant de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il lui appartient dans ce cas de démontrer que « les exonérations sont nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, ceci étant le seul objectif justifiant l'exemption » ([78]).

article 346 TFUE

1. Les dispositions des traités ne font pas obstacle aux règles ci-après :

a) aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité,

b) tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.

L’exigence de démontrer que les compensations industrielles sont nécessaires aux « intérêts essentiels de sécurité » a pu encadrer quelque peu la pratique des offsets, en ce qu’elle exclut a priori toute possibilité d’offsets indirects, c’est-à-dire non directement liés au marché de défense, ainsi que des compensations fondées sur le taux de la valeur du marché, ainsi que l’a souligné un précédent rapport parlementaire à ce sujet ([79]).

Cependant, de nombreux États membres s’abritent derrière une interprétation extensive de l’article 346 TFUE pour réclamer de telles compensations industrielles, comme le met en avant le guide du GIFAS sur les compensations industrielles ([80])

● Cette situation est d’autant plus susceptible de créer des distorsions de concurrence que la transposition de la directive est très variable entre les pays, selon une étude de la fondation pour la recherche stratégique ([81]).

Les représentants du GICAN ont ainsi mis en exergue que « la France est quasiment le seul pays à respecter la clause d’interdiction des offsets. Les autres pays la contournent largement et ne s’en cachent pas. À titre d’exemple, la Roumanie a créé un office des compensations dans le domaine de la défense, qui dépend du ministère de l’économie ». La Finlande, la Grèce, la Pologne sont autant de pays qui instaurent des obligations d’investissement dans le pays au titre des contrats d’export, selon des personnes auditionnées.

Au final, la directive 2009/81 est en pratique largement contournée par les États membres, comme l’a rappelé M. Maulny : « La Pologne invoque ses intérêts de sécurité pour conclure des FMS, l’Italie publie des appels d’offres dans une seule langue pour s’assurer d’avoir des sous-traitants du pays concerné, contournant ainsi la règle qui veut que les offsets soient interdits dans l’Union européenne, tandis que d’autres États invoquent artificiellement leurs intérêts essentiels de sécurité pour protéger certains secteurs et s’exonérer des obligations de la directive en invoquant l’article 346 du TFUE ».

2.   Un soutien à la recherche et au développement : le fonds européen de défense

Outre les tentatives d’harmonisation du marché européen de la défense, l’Union européenne a promu la coopération en matière de recherche et de développement (R&D), avec la création en 2021 du fonds européen de défense (FED), dans le prolongement de deux dispositifs pilotes mis en place de 2017 à 2020.

L’objectif du fonds européen de défense est de favoriser la collaboration entre industriels de plusieurs États membres pour développer des projets de R&D. Ce dispositif marque une rupture, en ce que pour la première fois, l’UE mobilise le budget communautaire, à hauteur de 8 milliards d’euros de 2021 à 2027, pour financer l’industrie de défense européenne.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU FED

-          Objet : soutenir la recherche et le développement de la BITDE.

-          Les projets de R&D soutenus doivent être menés par un consortium composé d’au moins trois entités de trois États membres différents.

-          Budget : 7,9 milliards d’euros courants (du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2027), à hauteur d’un tiers (2,6 milliards d’euros) pour les projets de recherche et de deux tiers (5,3 milliards d’euros) pour les projets de développement.

-          Contribution UE : l’UE contribue jusqu’à 100 % des coûts éligibles pour la recherche, 80 % des coûts liés aux essais, à la qualification et à la certification d’un produit ou technologie de défense, et jusqu’à 20 % des coûts pour le prototypage d’un système. Un bonus de 10 % est accordé aux projets mis en œuvre dans le cadre d’une coopération structurée permanente (CSP), et lorsqu’au moins 10 % de l’activité est allouée aux PME.

-          Entités éligibles : les destinataires du financement et les sous-traitants du marché doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion, dans l’Union ou un pays associé (Islande, Liechtenstein ou Norvège). Les infrastructures, biens et ressources employés au titre du projet de R&D sont situés dans l’Union ou un pays associé, sauf s’il n’y a pas de solutions de substitution facilement disponibles. Ceux-ci ne doivent pas être contrôlés par un pays tiers non associé, sauf dérogation accordée par les États membres.

-          Le financement est octroyé à la suite d’appels à propositions concurrentiels. Une possibilité d’attribution directe est autorisée dans certaines circonstances exceptionnelles.

Source : M. Mounir Belhamiti, « Rapport pour avis sur le budget 2024 du programme 146 », Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, octobre 2023.

● À ce jour, la Commission a sélectionné plus d’une centaine de projets (61 en 2021 et 41 en 2022) pour un montant d’environ deux milliards d’euros (1,12 milliard d’euros en 2021 et 832 millions d’euros en 2022).

Les grands maîtres d’œuvre français contribuent pleinement aux projets sélectionnés : ils sont présents dans 80 projets et en coordonnent une trentaine, ce qui classe la France comme première bénéficiaire du FED ([82]). Parmi ces projets figurent notamment certains programmes structurants tels que l’European Patrol Corvette, le cargo médian tactique (FMTC) ou encore l’intercepteur de missiles hypersoniques.

La situation est en revanche plus difficile pour les PME/ETI françaises. En effet, comme l’a souligné M. Bruno Berthet, président du groupe Aresia, les grands maîtres d’œuvre français qui pilotent les projets sont incités par les règles du FED à former des consortiums avec des PME étrangères, et non avec des entreprises nationales.

La réussite du FED se mesurera à l’aune d’un seul critère : les projets de R&D financés ont-ils abouti au développement de capacités utiles pour les armées européennes ? S’il est donc prématuré de tirer un bilan de l’efficacité de cet instrument, les industriels auditionnés ont toutefois souligné certaines lacunes existantes.

● Tout d’abord, les critères de sélection des projets sont parfois peu intelligibles, comme l’illustre le choix de l’entreprise espagnole Sener, entreprise sans expérience dans le domaine des missiles, aux dépens de MBDA pour le projet d’intercepteur de missiles hypervéloces Hydef. Ce choix était si saugrenu que la Commission a dû confier un autre projet Hydis, ayant le même objet, à MBDA par la voie de l’attribution directe. Cet exemple tend à démontrer que « la Commission concentre d’abord son évaluation sur la base du seul dossier de proposition, avec une faible prise en compte des acquis des industriels », pour reprendre les termes d’un représentant de Thales.

Les règles de conflits d’intérêts qui s’appliquent aux collèges d’experts chargés d’évaluer les offres peuvent aussi contribuer à un certain manque d’expertise. Mme Desjeux du GICAT a ainsi expliqué que la Commission sélectionne trois experts-évaluateurs par projet, mais qu’aucun ne doit avoir la même nationalité que l’industriel leader du consortium dont le projet est évalué (ou d’un concurrent direct), ce qui limite le pool d’experts mobilisable et soulève la question de la véritable compétence desdits experts sur certains projets.

Enfin, certains choix peuvent également être dictés par la volonté de la Commission de satisfaire l’ensemble des États membres, dans le cadre d’une règle implicite de « retour géographique ». Alors que la BITD européenne souffre de sa trop grande fragmentation, le FED aurait ainsi tendance à renforcer encore davantage la concurrence intra-européenne.

● Une autre faiblesse du FED est le risque de saupoudrage des crédits, au regard de l’ampleur du nombre de projets financés et compte tenu de l’enveloppe limitée du fonds. Les projets les mieux dotés financièrement bénéficient de subventions de 50 à 75 millions d’euros, ce qui est peu pour des projets de R&D en matière de défense. L’effet de levier induit par le FED est donc faible, notamment pour les projets les plus structurants.

Cette problématique est accentuée par le fait que les consortiums d’industriels sont composés de très nombreux acteurs. À titre d’exemple, près de 37 industriels de 12 pays participent au projet relatif au cargo médian tactique (FMTC) dans le cadre d’une étude de préfaisabilité. Or, il ne fait aucun doute que parmi ces douze pays, peu ont les capacités industrielles et les moyens financiers de développer un tel avion dans le cadre d’un programme en coopération.

En conséquence, de nombreux industriels s’interrogent sur la réelle finalité capacitaire du FED. Ainsi que l’a souligné une personne auditionnée, « pour beaucoup d’États, le FED est simplement un guichet pour financer la R&D des acteurs de la BITDE » et non un instrument pour développer à terme de véritables capacités militaires. Quant aux industriels qui souhaiteraient passer au stade du développement, ils n’ont aucune visibilité sur « l’après-FED » faute de coordination entre les instruments européens.

À ce titre, l’articulation du FED avec les programmes en coopération déjà lancés par les États membres est déficiente : quel sens y a-t-il en effet à lancer dans le cadre du FED un projet Future Main Battle Tank (FMBT) à hauteur de 30 millions d’euros alors qu’il existe déjà un programme MGCS de plusieurs dizaines de milliards d’euros ?

● Enfin, de nombreuses personnes ont mis en exergue l’absence de continuité des projets FED, qui font l’objet d’une remise en compétition systématique pour chaque phase du projet dans le cadre des appels à projets (« calls ») de la Commission, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous. Cette discontinuité est particulièrement préjudiciable non seulement pour l’avancement des projets, mais également pour la mobilisation des équipes au sein des industriels et pour la pérennité des consortiums.

calendrier des appels à projets (« calls ») du FEd

 

Source : Graphique établi par vos rapporteurs à partir d’éléments transmis par des personnes auditionnées.

 

 

 

 

 

 

B.   L’essor des financements communautaires à la faveur de la guerre en Ukraine

  1.   Le « plan munitions »

Pour répondre à la demande ukrainienne d’approvisionnements en munitions, la Commission européenne a lancé en mars 2023 un « plan munitions ». Deux milliards d’euros au titre de la facilité européenne pour la paix (la « FEP ») ont ainsi été mobilisés dans le cadre de ce plan pour inciter les États membres à livrer à l’Ukraine des munitions en prélevant sur leurs stocks (phase 1 du plan) et en effectuant des acquisitions communes (phase 2 du plan). L’objectif affiché par la Commission était de fournir plus d’un million d’obus à l’Ukraine en un an.

● C’est dans ce contexte que la Commission a établi une cartographie des capacités de production en munitions des industries de défense européennes.

Ce travail de cartographie a notamment permis d’identifier, comme l’a relevé M. Fabrice Comptour, conseiller du commissaire européen Thierry Breton, que « l’Europe avait une capacité de production agrégée supérieure à celle des États-Unis : 500 000 obus de 155 mm par an contre 250 000 à 300 000 pour les États-Unis à cette époque. La Commission a ainsi identifié plus de 40 acteurs industriels intégrés dans la chaîne de valeurs (poudres, nitroglycérine, cellulose…), qui sont répartis dans 17 pays ».

Ce travail de cartographie était d’autant plus utile que les différentes agences d’acquisitions nationales connaissent mal les capacités de production ou les goulets d’étranglement des industriels des pays voisins. Or, la chaîne de valeurs européenne, bien qu’éclatée, est interdépendante : un problème d’approvisionnement dans un pays a un impact direct sur les acteurs situés dans d’autres pays.

● La seconde phase du plan a consisté à inciter en l’acquisition commune de munitions entre États membres, notamment sous l’égide de contrats-cadres passés par l’agence européenne de la défense (AED) - même si les États membres avaient la possibilité d’utiliser d’autres procédures contractuelles ([83]).

Ainsi que l’ont rappelé les représentants de l’agence à vos rapporteurs, l’AED a ainsi conclu plus de 60 contrats-cadres avec les industriels européens pour la fourniture de munitions ou de composants au titre de quatre systèmes d’artillerie : le Caesar français, le Krab polonais, le Panzerhaubitze 2000 allemand et le Zuzana slovaque.

 

Cependant, ce dispositif se heurte à un déficit important de commandes des États membres. À ce stade, l’AED a en effet reçu sept commandes pour un montant de 250 millions d’euros. L’agence espère atteindre dans les prochains mois un total de 12 commandes pour un montant cumulé de 350 millions d’euros ([84]). Or, les industriels sont susceptibles de fournir des composants pour près de 1,3 milliard d’euros au titre des contrats-cadres conclus avec l’agence. Il manque donc à l’appel à ce stade près d’un milliard d’euros de commandes étatiques, comme l’ont confirmé les représentants de l’AED.

Outre le déficit des commandes des États, une autre difficulté dans la mise en œuvre du « plan munitions » soulignée par les représentants de l’AED réside dans les problématiques de certification. Les composants peuvent en effet être physiquement interchangeables sur différents systèmes d’armements, mais l’absence de certification empêche leur intégration audit matériel et ne garantit pas leur performance.

● Au final, il est estimé au final que seules 500 000 munitions ont été achetées et livrées à l’Ukraine dans le cadre du « plan munitions » de l’UE en un an ([85]), ce qui correspond à la moitié de l’objectif annoncé, qui était certainement trop ambitieux. Cependant, cet échec relatif ne doit pas masquer l’augmentation significative de la production de munitions des industriels européens : celle-ci est désormais d’un million de munitions par an, contre 500 000 en mars 2023. L’objectif de la Commission est de doubler ce chiffre d’ici la fin de 2025, pour atteindre en 2026 une capacité de production de 2,5 millions de munitions par an, ce qui serait l’équivalent de la production russe actuelle.

2.   Le soutien à la production : le dispositif ASAP

Le dispositif ASAP ([86]) représente le troisième volet du « plan munitions ». Doté d’un budget de 500 millions d’euros, il a pour objet de subventionner des projets industriels destinés à augmenter les capacités de production de munitions en Europe, notamment grâce à la réduction des goulets d’étranglement.

La Commission a annoncé le 15 mars 2024 la sélection de 31 projets dans cinq domaines : explosifs, poudres, obus, missiles, et certification d'essais et de reconditionnement. Les trois quarts de l’enveloppe sont cependant destinés aux seuls projets renforçant les capacités de production de poudres (248 millions d’euros) et aux explosifs (124 millions), qui constituent les goulets d'étranglement principaux sur le segment des munitions. Les contrats de subvention devraient être conclus d’ici mai 2024. Les industriels français Eurenco, KNDS France, Nobelsport et Roxel participent aux projets sélectionnés.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU MÉCANISME ASAP

-          Objet : développer les capacités de production de munitions des États-membres et réduire les goulets d’étranglement de la chaîne de production.

-          Budget : 500 millions d’euros (pour la période du 25 juillet 2023 au 30 juin 2025).

-          Contribution UE : l’UE contribuera à 35 % des coûts éligibles d’une action liée aux capacités de production des munitions, et jusqu’à 40 % des coûts éligibles d’une action éligible liée aux capacités de production des composants et des matières premières. Un bonus de 10 % sera ajouté si le bénéficiaire est une PME ou une entreprise de taille intermédiaire, ou s’il s’agit de répondre prioritairement à des commandes de munitions à destination de l’Ukraine ou dans le cadre de l’acquisition conjointe d’au moins trois États membres ou associés.

-          Entités éligibles : les bénéficiaires doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion, dans l’Union ou un pays associé (Islande, Liechtenstein ou Norvège). Ceux-ci ne doivent pas être contrôlés par un pays tiers non associé n’ayant pas fait l’objet d’un filtrage au titre des investissements étrangers, sauf dérogation accordée par les États membres. Les bénéficiaires doivent utiliser des installations et des ressources situées en Union européenne.

-          Produits éligibles : munitions sol-sol et munitions d’artillerie ainsi que les missiles. Les actions financées doivent viser à réduire les goulets d’étranglement, à augmenter ou créer des capacités de production, des capacités de fabrication de matières premières et de composants entrant dans la production, à former le personnel, à mettre en place des partenariats industriels transfrontières. Les produits issus des capacités de production financées ne doivent faire l’objet d’aucune restriction de la part de pays tiers non associés.

Source : M. Mounir Belhamiti, « Rapport pour avis sur le budget 2024 du programme 146 », Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, octobre 2023.

Les industriels auditionnés ont salué cette initiative de la Commission, qui répond à un véritable besoin compte tenu du contexte stratégique et des goulets d’étranglement actuels dans la filière munitions. Les représentants de Simmel Difesa, filiale italienne de KNDS, auditionnés par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome, ont ainsi mis en exergue que les financements du dispositif ASAP seront structurants pour atteindre leur objectif de doubler la production de charges modulaires.

La Commission estime que ce co-financement européen se traduira par un investissement total (financement de l’industriel inclus) d'environ 1,4 milliard d'euros dans la chaîne d'approvisionnement. L’objectif annoncé est d’augmenter la capacité de production annuelle de 10 000 tonnes pour les poudres et de 4 300 tonnes pour les explosifs.

Naturellement, un tel soutien financier à l’augmentation des capacités de production se fonde sur l’hypothèse que les États augmenteront leurs commandes aux industriels, pour soutenir l’Ukraine ou reconstituer leurs propres stocks. Il conviendra donc d’être attentif, comme le souligne le GICAT, à ce que ces capacités industrielles répondent à un besoin de long terme, y compris le cas échéant après la guerre en Ukraine. Cependant, au regard de l’ampleur des besoins des États, il ne fait guère de doute que les investissements effectués par les industriels seront amortis en quelques années seulement. La prise de risque est donc limitée.

3.   L’incitation aux acquisitions conjointes : le dispositif EDIRPA

Le dispositif EDIRPA ([87]), doté de 310 millions d’euros, vise à inciter les États membres à acquérir conjointement des équipements militaires, en subventionnant une partie de ces acquisitions.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU MÉCANISME EDIRPA

-          Objet : inciter les États-membres à procéder à des acquisitions conjointes, pour répondre à leurs besoins d’équipements urgents et critiques. Les acquisitions conjointes doivent faire intervenir des consortiums d’au moins trois États membres.

-          Budget : 310 millions d’euros (jusqu’au 31 décembre 2025).

-          Contribution UE : l’UE contribuera à hauteur de 15 % au maximum de la valeur estimée du marché d’acquisitions conjointes, dans la limite d’un plafond global de 15 % du budget total du programme (soit 45 millions d’euros maximum par projet). Un bonus de 5 % sera ajouté si des PME ou des entreprises de taille intermédiaire sont associées au processus de fabrication des équipements achetés (à hauteur d’au moins 15 % de la valeur du marché) ou si l’Ukraine ou la Moldavie bénéficient d’une action d’achat. Le taux du soutien financier dépend de la complexité de l’acte d’acquisition, des caractéristiques de la coopération (conséquences sur l’interopérabilité et impacts sur l’industrie) et du nombre de participants aux acquisitions.

-          Rétroactivité : financement des actions à compter du 24 février 2022 si lesdites actions ne sont pas terminées à la date du contrat de signature du contrat de subvention.

-          Entités éligibles : les contractants et sous-traitants du marché doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion, dans l’Union ou un pays associé (Islande, Liechtenstein ou Norvège). Ceux-ci ne doivent pas être contrôlés par un pays tiers non associé n’ayant pas fait l’objet d’un filtrage au titre des investissements étrangers, sauf dérogation accordée par les États membres.

-          Produits éligibles : les coûts des composants provenant de pays tiers non associés ne doivent pas dépasser 35 % de la valeur estimée du produit final. En outre, les produits de défense achetés ne doivent faire l’objet d’aucune restriction d’utilisation de la part de pays tiers non associés. Cette dernière règle ne s’applique toutefois pas aux produits de défense acquis qui étaient utilisés avant le 24 février 2022 par la majorité du consortium, et si les membres du consortium s'engagent à étudier la faisabilité du remplacement de ces composants restreints par des composants sans restriction et d'origine européenne.

Source : M. Mounir Belhamiti, Rapport pour avis sur le budget 2024 du programme 146, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, octobre 2023.

● La Commission européenne a annoncé le 15 mars 2024 que l’enveloppe sera répartie à parts égales entre trois domaines : (i) les munitions ; (ii) la défense antiaérienne et antimissile, (iii) les autres systèmes et plateformes, notamment pour remplacer ceux existants.

La France a joué un rôle précurseur au titre des acquisitions en commun, avec la signature de la lettre d’intention pour l’achat groupé de missiles Mistral lors du salon du Bourget en 2023. Cette acquisition commune regroupe la France, la Belgique, l’Estonie, la Hongrie et Chypre. Selon les informations fournies par MBDA, un contrat-cadre a été conclu à ce titre le 11 janvier 2024 pour un montant maximal d'un milliard d'euros. Il est intéressant de relever que la DGA joue dans ce dispositif le rôle d’agence d’acquisition au nom et pour le compte des autres pays.

Outre les missiles Mistral, de nombreux systèmes français sont susceptibles de bénéficier de ce type d’acquisitions en commun dans le cadre du dispositif EDIRPA, tels que les canons Caesar au titre de la coalition artillerie, les radars GM200 de Thales ou encore les missiles VL Mica de MBDA.

● Si le principe de favoriser les acquisitions conjointes entre Européens est particulièrement opportun, le dispositif EDIRPA souffre cependant de plusieurs lacunes.

Tout d’abord, les délais de mise en œuvre sont peu compatibles avec la présentation initiale qui a été faite de ce mécanisme comme un « dispositif d’urgence ». Le projet de règlement EDIRPA date de juillet 2022 ; il n’a été adopté qu’en octobre 2023 ; les propositions doivent être soumises à la Commission en juillet 2024 pour une signature de contrats de subvention au mieux au printemps 2025. Au final, les acquisitions communes seront financées par l’UE plus de trois ans après l’annonce du dispositif.

Le faible montant d’EDIRPA est également de nature à limiter l’effet de levier. L’UE financera en principe un maximum de 45 millions d’euros par projet d’acquisition commune, soit au maximum 15 millions d’euros par État membre, à raison du seuil imposé de trois États membres par consortium. Ces montants sont bien trop faibles pour véritablement inciter un État à privilégier les acquisitions européennes.

Enfin, les critères d’éligibilité du dispositif sont problématiques en ce qu’ils permettent d’acquérir des matériels dont 35 % des composants sont issus de pays tiers, ainsi que, dans certaines hypothèses, des matériels soumis à des restrictions aux exportations de type Itar.

La conséquence de ces règles d’éligibilité est que le budget communautaire finance en partie les concurrents des industries européennes. L’autonomie de la BITD européenne a donc été sacrifiée au nom de l’« urgence » capacitaire dans le contexte de la guerre en Ukraine, à la demande expresse de plusieurs États membres, dont l’Allemagne.

 

4.   La stratégie de l’UE pour l’industrie de défense, un risque de « communautarisation rampante » de la politique de défense ?

a.   Une stratégie ambitieuse…

● Le 5 mars 2024, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne pour l’industrie de défense (« EDIS ([88])»), déclinée dans un projet de règlement relatif à un « programme européen pour l’industrie de défense » (« EDIP ([89])») pour la période 2025-2027. Ce paquet EDIS/EDIP marque une rupture par rapport aux précédentes initiatives à plusieurs titres.

Tout d’abord, il s’agit de passer d’une logique d’urgence, qui a présidé à l’établissement d’ASAP et d’EDIRPA, à un soutien structurel et pérenne à l’industrie de défense européenne.

En outre, contrairement à ASAP et EDIRPA dont le champ d’application est relativement étroit, le projet EDIP promeut une approche plus transversale de soutien au financement de la BITD.

Les subventions européennes concerneraient en effet non seulement les projets visant à augmenter les capacités de production de l’industrie de défense en général (et non plus les seules capacités de production de munitions), ainsi que l’ensemble des acquisitions conjointes, mais également des « projets de défense d’intérêt commun » ou encore des « activités de soutien ». EDIP institue également un « fonds pour accélérer la transformation de la chaîne d’approvisionnement dans le domaine de la défense » (FAST), en vue de soutenir les PME et ETI de défense.

● Une autre illustration de cette rupture réside dans le fait que le programme EDIP porté par la Commission ne se limite pas aux financements de l’industrie de défense, mais inclut la création de nouveaux acteurs et de nouveaux instruments :

– une « structure pour programmes européens d’armement » (SEAP), vecteur de soutien aux coopérations tout au long du cycle de vie des capacités, et dont le recours permettrait notamment aux États membres de bénéficier d’une exonération de TVA ;

– un « conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense » (DIRB), présidé par la Commission européenne, qui aurait notamment une fonction de programmation conjointe et de mise en œuvre du programme EDIP. Un « groupe de haut niveau de l’industrie européenne de la défense » serait chargé de l’assister, en ayant un rôle consultatif ;

– un « mécanisme européen de ventes militaires » pour faciliter les acquisitions intra-européennes, à travers notamment la création d’un catalogue de produits de défense européens et un soutien financier à la création de réserves stratégiques d’équipements ;

– un « instrument de soutien à l’Ukraine », qui permet à l’Ukraine d’être éligible à certaines actions d’EDIP.

Enfin, EDIP comporte un important volet réglementaire sur la sécurité des approvisionnements. Celui-ci institue des outils de surveillance et de contrôle de la chaîne d’approvisionnements, ainsi que des mesures d’urgence en cas de crise d’approvisionnement.

● L’ambition affichée du paquet EDIS/EDIP est que d’ici à 2030 :

- au moins 50 % du budget des marchés publics de défense des États membres soit passé au sein de l'UE (contre 20 % aujourd’hui) ;

- au moins 40 % des marchés publics des États membres concernent des acquisitions d’équipements de défense de manière collaborative (contre 18 % aujourd’hui).

- la valeur des échanges commerciaux intra-UE liés à la défense représente au moins 35 % de la valeur du marché européen de la défense (contre 15 % aujourd’hui).

b.   … qui soulève de nombreux points de vigilance

Vos rapporteurs saluent la volonté de la Commission européenne d’accroître son soutien à l’industrie de défense européenne. Certaines dispositions du paquet EDIS/EDIP sont parfaitement opportunes, telles que l’accroissement du soutien aux acquisitions conjointes, à l’augmentation des capacités de production et aux programmes de coopération structurants.

Toutefois, ce programme soulève de nombreux points de vigilance.

● Tout d’abord, le financement annoncé à hauteur d’1,5 milliards d’euros pour la période 2025-2027 n’est guère cohérent avec l’ambition affichée par le programme européen. 500 millions par an, cela représente à titre de comparaison la moitié des crédits de paiement engagés pour le seul programme Scorpion en France. Le décalage entre l’ambition affichée et l’effort financier est donc criant.

● Le second point d’attention porte sur la gouvernance du programme, et notamment l’articulation entre les acteurs existants (AED, OCCAr, coopérations structurées permanentes) et les nouveaux acteurs institués dans EDIP, tels que le « conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense ». Mme l’Ambassadrice Mathilde Félix-Paganon, représentante permanente de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l’UE, a ainsi mis en garde quant à la duplication par EDIS des instruments déjà existants.

Le risque est en effet de créer une « usine à gaz » institutionnelle, avec une forte fragmentation des acteurs et des instruments, doublée d’un enchevêtrement des compétences. Et ce alors que les instruments sont déjà particulièrement complexes, comme l’a rappelé le député européen Arnaud Danjean : « il y a plus d’une centaine de projets FED, 68 projets PESCO et 12 priorités capacitaires de l’AED ».

Alors que le paysage institutionnel de l’Europe de la défense mériterait d’être simplifié et rationalisé, EDIP semble ainsi rajouter à la confusion, aux dépens de l’efficacité.

● Le troisième point de vigilance concerne le risque de communautarisation rampante de la politique de défense dont est porteur le paquet EDIS/EDIP, a fortiori dans un contexte où certains projettent la création d’un « commissaire européen à la défense » lors de la prochaine législature.

Le programme EDIP illustre en effet la volonté de la Commission de s’arroger des pouvoirs nouveaux, tel que celui de présider le « conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense », chargée d’une fonction de programmation conjointe. Le projet de règlement EDIP confère également à la Commission la possibilité d’agir comme centrale d’achat pour le compte des États-membres (article 35), alors que même que la Commission n’a pas d’expertise dans un tel domaine et que l’OCCAR et l’AED jouent déjà un tel rôle.

En outre, certains outils d’EDIP semblent remettre en cause les compétences exclusives des États membres en matière de politique de sécurité nationale, en vertu de l’article 4.2 du traité sur l’Union européenne (TUE). À titre d’exemple, la sécurité des approvisionnements de défense relève à l’évidence de la politique des États membres. Pour fonder sa compétence dans un tel domaine, la Commission se fonde dans EDIP sur l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à l’harmonisation des législations dans le cadre du marché intérieur, ce qui est non seulement inédit pour un texte européen relatif à l’industrie de défense, mais surtout fort contestable juridiquement, selon l’analyse de la direction des affaires juridiques du ministère des Armées ([90]). Un tel dispositif communautaire sur la sécurité des approvisionnements pourrait en outre entrer en contradiction avec le régime crée à cette fin par la LPM 2024-2030, comme l’a souligné Mme Laurence Marion, directrice des affaires juridiques du ministère des Armées.

 

● Cette tendance de la Commission à profiter de l’augmentation des financements communautaires pour s’arroger de nouveaux pouvoirs aux dépens des acteurs intergouvernementaux doit être surveillée. Ainsi que l’ont souligné les représentants de la DGRIS : « la Commission européenne n’a pas et ne devait pas avoir de fonction stratégique. Elle n’est donc pas légitime pour disposer de prérogatives en matière d’identification des besoins et d’orientation du choix des équipements militaires, qui relèvent de la souveraineté des États dans une logique intergouvernementale ».

Les effets de bord d’une telle communautarisation rampante de la politique de défense sur le rôle du Parlement européen sont par ailleurs incertains, comme l’a mis en exergue le député européen Arnaud Danjean : « L’augmentation des financements communautaires, ainsi que la création éventuelle d’un commissaire à la défense au sein de la Commission risquent de se traduire par un contrôle accru du Parlement européen sur la politique de défense, a fortiori si une commission de la défense de plein exercice était instituée, comme le proposent certains. Or, le Parlement européen, outre qu’il est structurellement instable dans ses équilibres politiques, connaît de fait mal ces sujets ».

● Enfin, EDIS doit bénéficier à la seule industrie de défense européenne et favoriser une véritable préférence européenne. Or, en l’état du projet, des industriels contrôlés par des sociétés non européennes sont susceptibles de bénéficier des financements européens ([91]), ce qui n’est pas acceptable.


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   Deuxième partie : transformer la BITD européenne en un véritable outil de dissuasion économique et industrielle, au service de l’autonomie stratégique du continent

I.   Au niveau européen, l’impératif d’une nouvelle ambition pour l’industrie de défense, dans le respect de la souveraineté des États

A.   Lever les obstacles aux coopérations industrielles

1.   Malgré leurs limites, les coopérations restent essentielles à l’autonomie stratégique en Europe

Malgré les difficultés exposées précédemment par vos rapporteurs, les coopérations européennes restent essentielles pour renforcer l’autonomie stratégique en Europe.

Tout d’abord, en raison de l’augmentation structurelle des coûts des équipements de défense du fait de leur haute technologie (en vertu de la loi dite « d’Augustine »), aucun État européen n’a aujourd’hui les moyens de développer seul les équipements nécessaires à ses armées sur l’ensemble du spectre capacitaire. Le développement en coopération de l’avion du futur (SCAF) et du char du futur (MGCS) est non seulement un moyen d’assurer l’interopérabilité entre les armées des pays participants, mais constitue aussi un gage de soutenabilité financière de ces programmes.

En outre, les programmes en coopération représentent bien souvent le seul moyen de préserver l’autonomie stratégique de notre continent, notamment face à la domination de l’industrie américaine.

Ainsi que l’ont mis en exergue les représentants d’Airbus, « seul un système de combat aérien comme le SCAF pourra faire contrepoids au F-35 et à son successeur de 6ème génération sur le marché européen. La finalité du SCAF est ainsi de construire un système de système pour l’aviation de combat du futur qui soit européen et compatible avec l’OTAN, pour ne pas se voir imposer un système américain via l’OTAN (…). Au final, il s’agit ainsi de préserver la souveraineté européenne dans l’usage qu’on fait de nos avions de combat, alors que les pays européens qui sont équipés de F-35 n’ont de facto plus une telle souveraineté aujourd’hui ».

 

La logique est similaire dans le domaine de l’hélicoptère du futur. L’amiral (2S) Olivier Lebas d’Airbus a précisé à ce sujet que « les Américains poussent en effet à ce que les spécifications du projet d’hélicoptère du futur (Next Generation Rotorcraft Capability ou NGRC) développé à l’OTAN répondent à leurs besoins d’allonge et de vitesse notamment sur le terrain Indopacifique, sans prise en compte des besoins des armées européennes et des enseignements de la guerre en Ukraine. Les Américains visent également à imposer leurs matériels par ce biais ».

Seul le développement d’un hélicoptère européen, notamment dans le cadre du « EU Next Generation Rotorcraft Technologies Project », est ainsi susceptible de répondre non seulement aux besoins spécifiques des armées européennes, mais aussi d’éviter une future vague de « H-35 » en Europe similaire à celle du F-35.

2.   Lever l’obstacle du contrôle des exportations

● Le contrôle export représente un irritant majeur pour les coopérations européennes.

Un dirigeant de la société Naviris (joint-venture entre Naval Group et Fincantieri) auditionné par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome, a ainsi expliqué passer la moitié de son temps à gérer des problématiques de contrôle export, que ce soit dans le cadre d’échange d’informations entre actionnaires de part et d’autre des Alpes ou au titre du développement de programmes en coopération, tels que la rénovation à mi-vie des frégates Horizon ou la phase 1 de l’European Patrol Corvette.

Dans la même perspective, le ministre des Armées, lors de sa déclaration conjointe avec son homologue italien M. Guido Crosetto du 29 avril 2024, a souligné que « des sujets douaniers entre la France et l’Italie peuvent retarder la production des missiles Aster » et qu’il y a dans ce contexte « une urgence de simplification administrative ».

L’ampleur des coûts de traitement administratifs des programmes en coopération généré par ces « sujets douaniers » est en effet de nature à réduire significativement l’attractivité et l’efficacité des coopérations. Il s’agit donc d’un enjeu politique majeur, malgré son caractère technique.

● Au niveau national, une étape importante a été franchie pour simplifier les transferts effectués dans le cadre de coopérations européennes, avec la création de la « licence générale LGT FR 111 » par arrêté du 29 avril 2022. Cette licence générale a notamment pour objectif de faciliter et de fluidifier les échanges au sein des consortiums, ainsi que l’a rappelé l’ingénieur général de l’armement Cyril Crozes du secrétariat général de la défense et de la sécurité (SGDSN).

 

La demande de licence générale est ainsi effectuée par un seul industriel, pour le compte des autres participants au consortium. Cette licence couvre tout le spectre de la coopération depuis les échanges d’informations et de technologies nécessaires au montage d’un projet (documentation, résultats d’études, logiciels de démonstration) jusqu’aux transferts de « matériels de guerre et assimilés » au titre des phases ultérieures (production et évolution des produits).

Actuellement, 18 projets FED s’inscrivent dans ce cadre juridique et 61 entreprises ont demandé et obtenu la possibilité d’utiliser cette licence. Le choix d’un tel mécanisme de licence générale n’a cependant été retenu à ce stade que par l’Espagne au niveau européen.

Il est donc critique que la France assure la promotion de cette option de licence générale, notamment dans le cadre du Comité Armement (COARM) – le comité intergouvernemental du Conseil de l’Union européenne où les États membres échangent en matière d’exportation de matériels de guerre - afin d’harmoniser le plus largement possible les procédures entre États membres pour les transferts liés aux projets en coopération.

● Une fois le produit en coopération développé, le contrôle des exportations est susceptible d’être à l’origine de nouvelles difficultés, puisqu’un seul pays coopérant est susceptible de bloquer l’exportation de l’équipement, ainsi que l’a illustré le veto allemand à l’exportation de l’Eurofighter par le Royaume-Uni à l’Arabie Saoudite.

Cette incertitude sur la capacité des coopérants à pouvoir exporter librement les équipements issus de coopérations constitue une source de préoccupation majeure pour les industriels, comme cela est ressorti de nombreuses auditions de vos rapporteurs. Plus particulièrement, les aléas de la politique allemande en matière de contrôle des exportations sont régulièrement dénoncés par les industriels impliqués dans le SCAF.

À court terme, un tel risque ne semble pas majeur, puisque le Gouvernement allemand a finalement donné son accord à l’export du Typhoon en Arabie Saoudite et a même vendu à cette dernière des missiles Iris-T. Selon le général Franz Chapuis, cette décision « reflète une inflexion des pouvoirs publics allemands sur la question des exportations, dans le prolongement du Zeitenwende. Une forme de realpolitik a ainsi succédé à une diplomatie des valeurs ». En revanche, à moyen et long terme, nul ne peut garantir que cette réorientation de la politique allemande perdurera.

● Certes, l’accord franco-germano-espagnol sur le contrôle des exportations du 23 octobre 2019, qui prévoit une autorisation de principe à l’exportation de la part des pays signataires, permet théoriquement de limiter de telles difficultés. L’exportation du SCAF s’inscrirait en effet dans le cadre du premier article de cet accord, qui porte sur les coopérations intergouvernementales.

ACCORD FRANCO-GERMANO-ESPAGNOL RELATIF AU CONTRÔLE DES EXPORTATIONS EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Cet accord a été initialement conclu entre la France et l’Allemagne en 2019, puis a été étendu à l’Espagne en 2021.

Sauf s’il estime que cette autorisation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale, un État partie à l’accord s’engage à délivrer dans les meilleurs délais l’autorisation d’exportation ou de transfert nécessaire à l’exportation, depuis le territoire d’un autre État partie, d’un équipement conçu ou fabriqué conjointement.

Ce principe peut être mis en œuvre dans les cas suivants :

- pour les programmes développés conjointement dans le cadre d’une coopération intergouvernementale (article 1) ;

- dans le cadre de coopérations industrielles (article 2) ;

- lorsque leur participation au produit final est inférieure en valeur à 20 %, règle également appelée de minimis (article 3).

Source : rapport au Parlement 2023 sur les exportations d’armement de la France.

Cependant, un tel accord souffre d’un défaut majeur : l’absence de toute définition de l’atteinte aux « intérêts directs » ou à la « sécurité nationale », qui permet à un État partie à l’accord de s’opposer à l’autorisation d’exportation demandée par un autre État.

Ces notions sont en effet très vagues, ce qui engendre une certaine insécurité juridique : un Gouvernement allemand dirigé par une autre majorité que celle actuellement en place pourrait parfaitement invoquer que la livraison du SCAF à un pays non démocratique est contraire aux « intérêts directs » de l’Allemagne.

Cet accord n’est donc pas de nature en l’état à rassurer les industriels qui participent au SCAF - et demain au MGCS - sur les conséquences en matière de contrôle d’exportations d’aléas politiques internes des pays coopérants.

À cette aune, il paraît fondamental de trouver un accord avec nos partenaires allemands et espagnols pour définir plus précisément ces notions d’atteinte aux « intérêts directs » et à « la sécurité nationale », afin de mieux encadrer juridiquement les cas dans lesquels un pays peut s’opposer aux exportations projetées.

Une autre révision de cet accord, certes moins fondamentale que la précédente, pourrait être de prévoir un délai maximal pour qu’un pays puisse notifier son éventuel refus. Cela permettrait d’accélérer les procédures, qui sont parfois trop lentes, comme l’ont mis en exergue plusieurs personnes auditionnées.

Vos rapporteurs soutiennent par ailleurs le processus d’élargissement de cet accord à d’autres pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie).

 

 

● Au niveau européen, dans le cadre de la révision de la position commune du Conseil sur les exportations de matériels de guerre, la France doit continuer à œuvrer au sein du groupe COARM pour promouvoir un modèle basé sur la libre exportation pour chaque pays coopérant des équipements issus de coopérations européennes et/ou financés par des fonds européens.

Enfin, il est impératif de s’opposer à toute communautarisation du contrôle des exportations. Si celle-ci n’est pas envisagée à ce stade par la Commission européenne dans le paquet EDIS/EDIP, la tentation est grande pour certains pays à la politique restrictive, tels que l’Allemagne et la Suède, de transférer ce sujet politiquement sensible à la Commission européenne, avec le soutien de leurs industriels nationaux.

3.   Lever les obstacles dans la conduite des programmes

● La répartition de la charge de travail des industriels dans le cadre d’un programme en coopération est nécessairement le fruit de négociations délicates, aux rapports de force subtils et évolutifs, étant donné les intérêts économiques en jeu. La volonté politique joue également un grand rôle. Le général Franz Chapuis a ainsi mis en exergue que l’accord politique sur le MGCS doit beaucoup côté allemand à l’implication personnelle du ministre de la défense, M. Boris Pistorius.

Il ne s’agit donc pas de nier la complexité des rapports de force inhérente à toute organisation industrielle d’un programme en coopération. En revanche, vos rapporteurs ont la conviction que les coopérations européennes fonctionneraient de façon plus optimale et seraient donc plus attractives si certains principes étaient davantage respectés.

● Tout d’abord, le déficit de coordination de la demande des États membres constitue un écueil pour le succès des coopérations. Ces dernières butent en effet régulièrement sur des problématiques de synchronisation des besoins, une coopération supposant que plusieurs États aient besoin du même équipement au même moment.

À ce titre, le renforcement des instruments intergouvernementaux de coordination, tels que le « Coordinated Annual Review on Defence » (CARD) ou « Capability Development Plan (CDP) développés par l’agence européenne de défense pourraient contribuer à mieux coordonner la demande des États membres.

Une étape supplémentaire serait de promouvoir auprès des États membres, dans le cadre intergouvernemental de l’AED, un modèle inspiré du tableau capacitaire prévu dans les lois de programmations françaises. Ce tableau précise en effet le nombre d’équipements majeurs envisagés à un horizon temporel donné. Une telle procédure harmonisée permettrait aux États membres d’avoir de la visibilité sur les besoins capacitaires pluriannuels de leurs partenaires européens.

Dans la même perspective, au niveau national, les lois de programmation militaire devraient être davantage transparentes sur les capacités qui seront développées prioritairement en coopération et au contraire celles qui ont vocation à être développées de façon souveraine.

● Une fois le principe de la coopération acté, il est impératif que le programme soit fondé sur l’expression préalable d’une analyse commune du besoin des armées des pays participants. Il s’agit d’un prérequis nécessaire avant toute négociation entre industriels : une telle méthode permet en effet de garantir que ce ne sont pas les industriels, aux termes d’accords laborieux, qui dictent les spécifications techniques du programme aux armées.

La méthode suivie pour le MGCS doit être saluée à ce titre. Les états-majors des armées de terre français et allemand ont tout d’abord exprimé un besoin commun dans le cadre du « High Level Common Operational Requirements Document » et c’est sur cette base que les industriels se sont réparti les travaux dans le cadre de la structuration en piliers décidée au niveau politique.

● Concernant la conduite des programmes, les trois principaux facteurs de succès d’un programme en coopération ont été rappelés en leur temps par l’ancien délégué général pour l’armement, M. Joël Barre : « Premièrement, les schémas de coopération et d’organisation industrielle doivent définir clairement les responsabilités. Pour chaque sous-système majeur d’un programme de coopération, il doit y avoir un industriel responsable, et non deux, trois ou quatre regroupés d’une manière plus ou moins souple. Deuxièmement, l’industriel responsable de tel sous-système majeur doit être le meilleur, celui qui a acquis, au fil de son histoire, la meilleure expertise et le meilleur savoir-faire. Troisièmement, il faut assurer un équilibre, et cet équilibre doit être trouvé de manière globale, car s’il l’était sous-système par sous-système, les programmes seraient ingérables et n’aboutiraient pas » ([92]).

Le respect du principe du best athlete comme critère de sélection pour l’industriel responsable d’un sous-système constitue notamment un facteur de réussite majeur des coopérations. M. Philippe Errera, de Safran, a ainsi indiqué que la coopération avec l’industriel MTU Aero Engines dans le cadre du SCAF donne pleine satisfaction, notamment parce que « les délicates questions de répartition de la charge de travail avaient été traitées par les partenaires en amont, en conformité avec le principe de ‘‘ best athlete ’’ (notamment attribution des parties chaudes et corps HP pour Safran) ».

Il n’est au surplus pas efficient de financer dans le cadre d’un programme en coopération la montée en compétence d’un industriel sur un segment, alors qu’un autre industriel européen dispose déjà du savoir-faire concerné, comme l’a mentionné M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint de Thales.

Une telle montée en compétence peut être assurée par d’autres canaux que les programmes en coopération, tels que les partenariats entre industriels conclus lors d’acquisitions majeures. L’intégration dans la chaîne de sous-traitance, le cas échéant facilitée par des financements européens, est également une piste à approfondir.

● Enfin, le principe du « retour géographique » doit être supprimé dans le secteur spatial où il met à mal la compétitivité de l’industrie européenne, ainsi qu’il a été souligné précédemment.

Ce principe a en effet pour conséquence qu’un industriel choisi pendant la phase de développement est assuré de rester responsable de son produit quel que soit son prix de production pendant toute la phase d’exploitation. Ce principe fige donc l’organisation industrielle et interdit à ArianeGroup de remettre en compétition ses partenaires.

Il est donc indispensable de modifier un tel système. Une réforme pourrait être de prévoir un « retour géographique a posteriori », où la contribution des Etats serait calculée sur la base de la charge de travail allouée à ses industriels au terme d’un processus compétitif, alors que le système actuel repose sur une souscription a priori des Etats qui détermine la répartition du travail entre industriels. Le cas échéant, il pourrait être envisagé a minima de réserver le retour géographique aux seules phases de développement et de l’exclure pour la phase de production. Si l’ESA s’oppose à une telle réforme, il conviendra alors s’interroger sur l’opportunité de développer des produits en dehors de l’ESA, par exemple dans le cadre de l’UE.

4.   Favoriser les consolidations industrielles

  1.   De réelles perspectives de consolidations, notamment dans le domaine terrestre

● L’industrie européenne de défense souffre d’une trop grande fragmentation, comme il a été mis en exergue dans la première partie du présent rapport. Ainsi que l’a résumé M. Roberto Cingolani, le président de Leonardo, « quand les États-Unis passent, à eux seuls, des commandes pour un montant de 250 milliards de dollars, pour acheter une douzaine de plates-formes (avions, navires, chars, etc.), les Européens en investissent deux fois moins sur une trentaine de plates-formes » ([93]).

Cette fragmentation a deux conséquences majeures. Sur le plan opérationnel, elle réduit l’interopérabilité de nos armées avec des systèmes d’armes qui ne répondent pas aux mêmes standards, comme les Ukrainiens en font malheureusement l’expérience chaque jour sur le front avec les matériels cédés par les Européens. Sur le plan industriel, elle conduit à des chaînes de production limitées et à une absence de taille critique préjudiciable pour la compétitivité de l’industrie de défense européenne.

Le secteur terrestre est non seulement le plus fragmenté, mais également un des plus exposés à la concurrence de pays tiers, notamment des États-Unis et de la Corée du Sud, mais également de la Turquie, qui a par exemple remporté en octobre 2023 un marché important de véhicules blindés en Estonie. Dans ce contexte, les perspectives actuelles de consolidation sur le segment terrestre doivent être favorisées pour maintenir la compétitivité de l’industrie terrestre européenne.

● La fusion envisagée entre Arquus et John Cockerill est cohérente industriellement, puisque les produits développés par les deux groupes sont complémentaires. Elle conférera à Arquus une taille critique qui lui fait défaut aujourd’hui, notamment sur les marchés à l’export. Elle est également de nature à renforcer un partenariat franco-belge déjà particulièrement dense dans l’industrie terrestre (programme CaMo et désormais projet VBAE). Enfin, cette fusion peut être le début d’un processus de consolidation plus large, comme l’a souligné le président d’Arquus, M. Emmanuel Levacher : « Une consolidation avec d’autres acteurs du terrestre européen menée par John Cockerill est une perspective envisageable ».

L’autre perspective de consolidation dans le secteur terrestre concerne le partenariat entre KNDS et Leonardo annoncé en décembre 2023. Ce partenariat s’inscrit certes dans le cadre de l’acquisition par l’Italie de chars Leopard 2A8, mais il matérialise également la volonté italienne de participer au projet MGCS. À terme, des échanges capitalistiques entre les deux groupes, avec une entrée de Leonardo au sein de KNDS, pourraient être envisagés. Cette coopération industrielle renforcée avec l’Italie est soutenue par les autorités françaises, comme l’a rappelé le ministre des Armées le 29 avril 2024 lors de la rencontre avec son homologue italien, M. Guido Crosetto.

● Le soutien aux consolidations requiert toutefois que le contrôle des investissements étrangers au niveau national ne constitue pas une barrière aux rapprochements entre industriels européens.

À cet égard, l’exercice par le gouvernement italien de son veto (« golden power ») à l’acquisition par Safran de la société Microtecnica constitue un mauvais signal pour l’industrie de défense européenne. Ce refus est d’autant plus illégitime que Microtecnica était détenue par une société américaine, Collins Aerospace.

Le contrôle des investissements étrangers devrait au contraire être assoupli lorsque l’entreprise concernée est sous contrôle d’une société d’un pays tiers et qu’elle est destinée à passer sous le contrôle d’une entreprise européenne.

En revanche, la mise en place d’actions à droits spécifiques (« golden shares ») au bénéfice des États est nécessaire pour préserver les intérêts souverains en cas de consolidation entre différentes entreprises nationales stratégiques.

  1.   MBDA : un modèle pour de futures consolidations

● MBDA constitue certainement un modèle pour la consolidation à venir du secteur terrestre en Europe. Il est symptomatique à cet égard que lors de leur déplacement en Italie, de nombreux interlocuteurs italiens ont explicitement fait référence à la constitution d’un « MBDA du terrestre », dans le contexte de l’accord de partenariat entre KNDS et Leonardo.

La création en 2001 du groupe MBDA, issu de la fusion en 1996 entre Matra et la filiale missilière de BAE, s’est inscrite dans un contexte de crise de l’industrie missilière en Europe. L’importante fragmentation de la filière missilière, conjuguée à la baisse des commandes étatiques du fait des « dividendes de la paix », mettait en effet en péril la compétitivité des missiliers européens. Cette consolidation industrielle a été en outre portée par un programme en coopération majeur, à savoir le développement du missile de croisière Scalp - Storm Shadow.

RÉPARTITION DES COMPOSANTS FRANÇAIS ET BRITANNIQUES DU MISSILE SCALP-STORM SHADOW

 

Source : Financial Times, “How the Storm Shadow missile maker launched a new model of defence co-operation”, 8 avril 2024.

 

 

 

● MBDA obéit à un modèle original, qui permet d’assurer une intégration industrielle poussée, tout en préservant la souveraineté nationale des États clients.

L’intégration résulte tout d’abord de son actionnariat paneuropéen, puisque le groupe MBDA est détenu conjointement par Airbus (37,5 %), BAE (37,5 %) et Leonardo (25 %). La diversité de son actionnariat est reflétée dans l’implantation de ses filiales au sein de ses cinq « pays domestiques » : la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne.

Sur le plan opérationnel, l’intégration est notamment fondée sur une logique de spécialisation industrielle entre la France et le Royaume-Uni, mise en place dans le cadre des accords de « Lancaster House » : les calculateurs de missiles et les équipements de test sont développés sur le territoire français, tandis que les liaisons de données embarquées sur les missiles et les actionneurs de gouvernes le sont sur le territoire britannique. Un tel partage industriel a permis de supprimer les redondances dans les capacités de développement et de production, ainsi que d'optimiser les investissements, notamment en matière de recherche.

Cette intégration industrielle poussée s’articule toutefois avec une forte autonomie opérationnelle et financière de chacune des filiales, ce qui permet à celles-ci de fonctionner « en silos » si nécessaire dans le cadre de programmes souverains. Ainsi, la chaîne de production de MBDA France pour le missile de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire (ASMP-A puis le futur ASN4G) est composée uniquement d’acteurs français. Comme l’a mis en exergue M. Eric Béranger, PDG de MBDA, « la spécificité de MBDA, qui en fait, un exemple unique au monde, est d’être un groupe plurinational qui opère au cœur du cœur de la souveraineté au profit des clients Nations (…) par principe, on partage seulement ce qu’on est autorisé à partager, étant précisé que tout partage découle d’un accord intergouvernemental ».

La souplesse permise par cette organisation agile permet ainsi la structuration de coopérations ad hoc, en fonction des besoins des États clients. À titre d’exemple, le missile air-air Meteor est le fruit d’une coopération incluant l’ensemble des pays domestiques de MBDA ainsi que la Suède, alors que le missile sol-air Aster est issu d’une coopération franco-italienne et que le missile de croisière Taurus a été développé dans le cadre d’une joint-venture entre MBDA Allemagne et le groupe suédois Saab.

● Cependant, l’équilibre d’un tel modèle transnational repose nécessairement sur le renouvellement des programmes en coopération, qui demeurent aujourd’hui le « carburant » de MBDA. Ainsi que l’a mis en exergue M. Eric Béranger, « il y a un véritable enjeu aujourd’hui à ce que ce ‘‘carburant’’ continue d’alimenter la structure MBDA. Le risque est d’assister à un repli des filiales du groupe sur les programmes nationaux respectifs. Dans cette perspective, la volonté politique est déterminante pour donner une nouvelle impulsion aux coopérations européennes ».

Dans cette perspective, la pérennité du modèle MBDA dépendra donc notamment des avancées relatives aux nouveaux champs de coopération que sont par exemple le programme de frappes dans la profondeur FMAN/FMC (successeur du Scalp et de l’Exocet), le projet d’intercepteur de missiles hypersoniques Hydis2, ou encore la suite du missile Meteor.

B.   Favoriser le financement de la BITD européenne

1.   Lutter contre les pratiques discriminatoires des acteurs privés

● Il appartient tout d’abord à l’Union européenne de lever un malentendu gravement préjudiciable pour les industries de défense européennes :  de trop nombreux acteurs du monde financier ont interprété les réglementations européennes relatives à la finance durable comme prohibant tout investissement dans la défense, alors que ce n’est nullement le cas.

M. Fabrice Comptour, conseiller du commissaire Thierry Breton, a ainsi mis en exergue que « les acteurs du monde financier ont largement sur-interprété la législation sur la taxonomie, qui n’interdit en rien le financement de la défense ». Le fait que la défense, dans le cadre de la réglementation européenne sur la taxonomie verte ([94]), ne soit pas considérée comme une industrie « verte » par nature, comme du reste de nombreuses autres industries, n’enlève rien à la légitimité d’investir dans cette dernière.

Outre la surinterprétation des réglementations en vigueur, les acteurs financiers ont également anticipé une éventuelle évolution de la réglementation européenne en matière de taxonomie sociale, alors même que ce projet n’est plus d’actualité. Ainsi que l’a indiqué une représentante de la DGA, si les initiatives européennes en matière de taxonomie ont été suspendues, la difficulté réside dans le fait que les organismes bancaires et financiers ont devancé cette réglementation, en les intégrant de façon disparate dans leur politique interne.

● Dans ce contexte, la clarification apportée par la Commission européenne dans sa stratégie pour l’industrie de défense européenne est particulièrement opportune : « En vertu du cadre de l’UE en matière de finance durable, aucune règle de l’UE, ni aucune règle envisagée par l’UE, ne fait obstacle aux investissements privés dans l’industrie de la défense » ([95]).

Vos rapporteurs se félicitent également de la volonté affichée par la Commission de « fournir des orientations sur l’application du cadre de l’UE en matière de finance durable dans le domaine de la défense » ([96]).

● Il faut désormais aller plus loin. L’agence européenne de défense et la Commission européenne doivent instituer un véritable dialogue renforcé et régulier avec les acteurs du monde financier, dans le cadre d’un forum ad hoc à déterminer, pour lever ces incompréhensions.

Une communication conjointe entre l’Union européenne, d’une part, et la fédération bancaire européenne et l’association européenne des gérants d’actifs, d’autre part, qui mettrait en exergue l’absence de contradiction entre l’investissement dans la défense et les réglementations en vigueur, serait par exemple particulièrement opportune.

● Outre ce travail de pédagogie nécessaire, une réflexion pourrait être initiée au niveau européen sur la possibilité d’interdire aux acteurs financiers de discriminer le secteur de la défense dans leur politique d’investissement, dans un cadre compatible avec l’ordre public économique européen.

Mme Maya Atig, présidente de la fédération bancaire française, a ainsi suggéré qu’une piste de travail pourrait être de réfléchir au niveau européen à la mise en place de réglementations interdisant les labels financiers d’exclure le secteur de la défense, ce qui semble plus réaliste que de créer des labels spécifiques au secteur de la défense. Vos rapporteurs, dont l’un d’entre eux a initié un tel débat avec une proposition de loi en ce sens, estime qu’il y a urgence à porter désormais ce sujet au niveau européen ([97]).

Une telle réflexion devrait également porter sur l’opportunité d’interdire l’usage de la notion d’« armes controversées » – qui ne repose sur aucun fondement juridique –, au regard des pratiques baroques de certaines institutions financières qui assimilent la dissuasion nucléaire d’États dotés aux mines antipersonnel. À ce titre, la référence au traité sur l’interdiction des armements nucléaires (TIAN), « utilisée par certains investisseurs institutionnels pour exclure la défense » devrait être également prohibée, comme le propose la fédération bancaire française elle-même ([98]).

 

 

2.   Modifier la politique de prêts de la banque européenne d’investissement

● Les « armes et munitions » font partie de la liste des activités et secteurs exclus de l’admissibilité aux financements de la banque européenne d’investissement (BEI), au même titre par exemple que le « tabac », les « jeux de hasard », le « commerce du sexe » ou « le clonage d’êtres humains et d’animaux à des fins de reproduction » ([99]).

Pour cette raison, « l’initiative stratégique pour la sécurité européenne » (ISSE) de la BEI, dotée d’une enveloppe de huit milliards d’euros d’ici 2027, ne finance que des projets dits à « double usage ». Du reste, la BEI connaît des difficultés à identifier des projets susceptibles de financement, comme l’a reconnu M. Ambroise Fayolle : « A ce jour, seul 2,3 milliards d’euros ont été consommés sur cette enveloppe, ce qui tend à suggérer que nous avons beaucoup de marge pour financer des projets dans ce secteur ».

● Pour justifier une telle exclusion du secteur des armes et munitions, la BEI invoque deux raisons principales.

D’une part, la crainte que les investisseurs se détournent de la BEI si celle-ci investit dans les armes et munitions. Cette perte d’attractivité auprès des investisseurs risquerait, selon les responsables de la BEI, de lui faire perdre sa notation AAA, ce qui aurait pour effet de détériorer significativement ses conditions de financement.

M. Fayolle a ainsi rappelé que la BEI emprunte sur les marchés près de 50 milliards d’euros par an à environ 500 grands investisseurs. « Or, parmi ces grands investisseurs, beaucoup acceptent de financer la BEI à condition que celle-ci ne finance pas les armes et munitions. Ces investisseurs estiment en effet que la BEI n’est pas un État et que ce n’est donc pas son rôle de financer des armes. Cette perception des investisseurs semble avoir peu évolué dans la période récente ».

La deuxième raison invoquée porte sur le statut de banque multilatérale de développement de la BEI, qui lui permet notamment d’être considérée comme un créancier privilégié, dans le cadre des restructurations de dettes décidées par le Club de Paris. Or, aucune de ces banques ne financent le secteur de la défense, de sorte que la BEI craint de se différencier de ces dernières et de perdre in fine son statut privilégié.

● De tels arguments ne convainquent guère vos rapporteurs.

Comme l’a rappelé M. Fabrice Comptour de la Commission européenne, la BEI se doit de financer l’industrie de défense pour une raison simple : la BEI a pour mandat de financer les projets qui contribuent aux objectifs de l’UE ; or le renforcement de l’industrie de défense constitue précisément une des priorités actuelles de l’UE.

Quant à l’argument tiré de la perte de sa notation triple A en cas de financement du secteur de la défense, il appelle les observations suivantes de vos rapporteurs. Tout d’abord, la perte du triple A paraît peu vraisemblable : comme l’a relevé une personne auditionnée, la notation de la BEI tient avant tout à la qualité de la signature des États membres, qui sont ses ultimes garants. À supposer même qu’il existe un véritable risque en ce sens, il appartiendrait à la BEI de convaincre ces investisseurs de maintenir leur confiance en l’institution.

En outre, il est pour le moins paradoxal que la BEI se fonde sur les préjugés des investisseurs à l’encontre de la défense, alors même que le rôle d’une banque publique est précisément de donner l’exemple aux acteurs privés. À ce titre, de nombreuses personnes ont mis en avant le « signal stratégique » auprès des institutions financières que constituerait la modification de la politique de prêts de la BEI en faveur de la défense. Comme l’a rappelé M. Comptour, « l’enjeu n’est pas tant le montant des financements que la BEI pourrait accorder à l’industrie de défense que ‘‘l’effet signal’’ que constituerait un tel financement pour l’ensemble des acteurs du monde financier ».

● Certes, des évolutions récentes vont dans le bon sens. La BEI a ainsi annoncé le 12 avril 2024 un « plan d’action pour la sécurité et la défense », qui prévoit notamment un élargissement de la notion de biens à double usage : « la Banque renoncera au critère imposant que les projets à double usage tirent plus de 50 % de leurs recettes escomptées des applications civiles. De cette manière, le Groupe BEI s’alignera sur les institutions financières publiques qui limitent également leur financement aux équipements et infrastructures répondant aux besoins défensifs, militaires ou policiers en même temps que civils» ([100]). La mise en place d’un guichet unique pour les PME de défense est également prévue dans le cadre de ce plan.

Mais l’ambition de cette réforme reste trop modeste, compte tenu de l’urgence du contexte stratégique. Vos rapporteurs estiment, au même titre du reste que la Commission ([101]) et le Parlement européen ([102]), que la BEI doit renoncer purement et simplement à son exclusion injustifiée des armes et munitions dans le cadre de sa politique de prêts.

3.   Promouvoir de nouveaux financements européens

● Comme il a été relevé dans la première partie du rapport, les PME et ETI de défense en Europe souffrent d’un déficit structurel d’investissement en capital. Cette situation tient en partie aux manques de fonds financiers investissant dans la défense. Or, le soutien dans la phase d’amorçage d’une société innovante est crucial, comme l’a illustré à titre d’exemple le soutien du fonds public Definvest à la société Preligens, spécialisée dans l’intelligence artificielle.

À cet égard, l’initiative conjointe de janvier 2024 du fonds européen d’investissement (« FEI », filiale du groupe BEI) et de la Commission européenne pour mettre en place un fonds de fonds, baptisé « Defence equity facility, » est à saluer. Comme l’a souligné M. Ambroise Fayolle : « Le FEI est un outil très intéressant car si les grands maîtres d’œuvre du secteur de la sécurité et de la défense rencontrent au final peu de problèmes pour se financer, le développement du segment du capital risque semble en revanche plus adapté aux problématiques de financement des PME-ETI de ce secteur ».

Cependant, ce mécanisme de Defence equity facility souffre de deux défauts majeurs. Tout d’abord, il est destiné à financer les équipements à double usage, conformément à la politique de financement de la BEI. Ainsi, un fonds spécifique défense tel que celui créée par Weinberg Capital Partners ne serait a priori même pas éligible à un tel financement. D’autre part, l’enveloppe financière allouée à ce fonds de fonds, d’un montant de 175 millions d’euros, est bien trop modeste comparé aux besoins.

À court terme, il serait donc particulièrement opportun de développer au niveau européen un fonds de fonds tel que celui du Defence equity facility, en ouvrant les critères d’éligibilité aux fonds investissant dans les entreprises de défense non duales et en prévoyant une enveloppe budgétaire qui permette d’obtenir un véritable effet de levier en termes d’investissement en capital dans les PME-ETI de défense. Un financement d’un milliard d’euros semble être un minimum dans cette perspective.

● À moyen terme, il est en outre impératif que le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période postérieure à 2027 fasse du soutien à l’industrie de défense une priorité majeure.

Le commissaire Thierry Breton a évoqué un fonds de 100 milliards d’euros à cette fin. Si ce montant a pu interpeller, il doit être remis en perspective : 100 milliards d’euros sur six ans, cela revient à 15 milliards d’euros par an, ce qui est inférieur aux seules commandes annuelles de l’État français auprès de sa BITD (20 milliards en 2023). À titre de comparaison, le dispositif Next Generation EU mis en place dans le cadre de la crise du Covid a bénéficié d’un total de financement de 750 milliards d’euros. Compte tenu de l’enjeu stratégique et des besoins de l’industrie de défense européenne pour monter en puissance, le montant de 100 milliards d’euros n’a donc rien d’extravagant.

Bien au contraire, seul un montant de cet ordre permettrait de financer les grandes capacités dont les armées européennes auront besoin dans les prochaines décennies, dans le domaine des infrastructures spatiales, de la protection des infrastructures sous-marines ou encore de la défense sol-air.

Les modalités de financement d’un tel fonds restent à déterminer. Une piste serait, comme le proposent notamment le président de la République Emmanuel Macron et la Première ministre d’Estonie Kaja Kallas, de créer un emprunt mutualisé européen, avec l’émission de « sovereign bonds », sur le modèle du fonds de relance de Next Generation EU. La création d’un emprunt mutualisé de type Next Generation EU 2 pourrait du reste permettre de financer non seulement la défense, mais aussi d’autres priorités européennes telles que la transition climatique.

La gouvernance d’un tel fonds devra en tout état de cause être un point d’attention majeur. Aux yeux de vos rapporteurs, il devrait nécessairement être piloté par les États membres dans une logique intergouvernementale, selon le modèle de la facilité européenne pour la paix (FEP). Confier la mise en œuvre d’un tel fonds à la Commission européenne constituerait en effet le parachèvement de la logique de la communautarisation de la politique de défense, qui est d’ores et déjà à l’œuvre dans le paquet EDIS/EDIP.

● Favoriser le financement de l’industrie de défense requiert également d’inciter les États membres à augmenter leurs dépenses de défense.

À ce titre, vos rapporteurs saluent la réforme du pacte de stabilité adoptée récemment par le Parlement européen. Celle-ci prévoit notamment de tenir compte de l’augmentation des dépenses de défense pour apprécier l’existence d’un déficit excessif : « Compte tenu de la montée des tensions géopolitiques et des défis en matière de sécurité et de la nécessité qui en découle pour les États membres de renforcer leurs capacités, l'augmentation des investissements publics dans le domaine de la défense, le cas échéant, devrait être considérée comme un facteur pertinent lors de l'évaluation de l'existence d'un déficit excessif conformément à l'article 126, paragraphe 3, du TFUE » ([103]).

Cependant, vos rapporteurs regrettent que cette réforme du pacte de stabilité n’ait pas été plus radicale. Compte tenu du contexte stratégique, l’exclusion pure et simple dans le calcul du déficit des augmentations de dépenses de défense (par rapport à un seuil à définir), aurait été un signal stratégique fort envoyé par les États membres en faveur de l’effort de défense. Les interlocuteurs de vos rapporteurs rencontrés en Pologne et en Italie militaient par exemple pour une telle approche.

 

● Enfin, au niveau national, la création d’un mécanisme de fléchage de l’épargne collective vers le financement de l’industrie de défense, comme le proposaient vos rapporteurs dans une proposition de loi concernant le livret A ([104]), est cruciale. Là encore, les modalités d’un tel dispositif sont ouvertes, la mobilisation du livret A étant une piste parmi d’autres. M. Marwan Lahoud a par exemple fait référence à juste titre au modèle des « fonds Tibi », qui consiste à mobiliser l’épargne des investisseurs institutionnels, et notamment celle des assureurs, aux fins de financement des entreprises technologiques. La création d’un livret d’épargne spécifique (« livret épargne souveraineté ») ou encore la mobilisation des plans d’épargne PEA-PME constituent d’autres pistes de financement. Si vos rapporteurs sont donc ouverts sur les modalités d’un tel mécanisme, ils estiment en revanche qu’il y a urgence à agir en ce sens.

C.   Donner une nouvelle impulsion aux dispositifs de l’UE, dans le respect de la souveraineté des États membres

  1.   Réformer le fonds européen de défense

Le fonds européen de défense (FED) doit évoluer pour gagner en efficacité et favoriser l’éclosion de projets susceptibles d’aboutir au développement de véritables capacités, une fois clôturée la phase de R&D.

● Le FED gagnerait tout d’abord à financer moins de projets, mais plus structurants en matière capacitaire pour les États membres. Il convient par conséquent de favoriser une meilleure adéquation entre les projets financés par le FED, d’une part, et les besoins capacitaires des États membres, d’autre part.

Dans cette perspective, les projets du FED devraient être nécessairement alignés sur les priorités capacitaires identifiées par l’agence européenne de défense dans le cadre de son plan de développement des capacités (CDP).

De même, les projets issus des coopérations structurées permanentes (PESCO) développés entre États membres devraient être priorisés pour l’obtention d’un financement FED.

Enfin, un meilleur alignement entre le FED et les priorités des États membres pourrait être favorisé par un renforcement des financements par le FED des briques technologiques de programmes en coopération en cours, comme c’est déjà le cas pour l’Eurodrone. Le FED pourrait par exemple utilement financer certaines briques technologiques du MGCS ou du SCAF.

Le fonctionnement du FED doit être également optimisé.

● Au stade de l’évaluation, les capacités industrielles du candidat doivent être davantage prises en compte, pour éviter de réitérer les erreurs commises dans le dossier Hydis/Hydef relatif aux intercepteurs de missiles hypersoniques.

En outre, la possibilité d’un dialogue entre experts-évaluateurs et industriels, impossible à l’heure actuelle, serait opportune, comme l’a suggéré M. Philippe Errera de Safran : « le processus gagnerait en efficacité s’il était autorisé un dialogue entre industriels et experts dans un cadre normé, pour lever les éventuelles incompréhensions qui peuvent naître lors de l’examen d’un dossier ».

Enfin, la France doit s’assurer que ses règles nationales de classification ne sont pas de nature à limiter la présence de représentants français au sein des comités d’experts-évaluateurs. Mme Isabelle Desjeux, représentante du GICAT, a en effet mis en exergue que « le système des habilitations nationales en France repose sur l’appartenance à une entreprise ou à une institution qui demande pour le compte de son salarié ladite habilitation, de sorte que les jeunes retraités de la BITD ou de la DGA qui souhaiteraient proposer leur service à la Commission ne peuvent pas en principe en bénéficier intuitu personae ».

● Une fois les projets sélectionnés, il convient de garantir une certaine visibilité aux industriels dans la conduite de leurs travaux. Comme il a été précédemment indiqué, la remise en compétition permanente des projets, à travers les « calls » successifs lancés par la Commission, fragilise la continuité des projets.

Pour que les projets FED s’inscrivent davantage dans une logique pluriannuelle, il pourrait être prévu de privilégier la voie d’une attribution directe de principe de la Commission pour les projets qui ont déjà été sélectionnés dans le cadre d’un précédent appel d’offres compétitif. Pour s’assurer de ne pas maintenir en vie artificiellement des projets peu efficients, la Commission pourrait valider la bonne avancée des travaux avant de statuer sur une telle attribution directe.

● Enfin, vos rapporteurs estiment que le Royaume-Uni aurait toute sa place comme pays participant au FED. La France et le Royaume-Uni représentent en effet une part très importante des dépenses de recherche et technologie de défense en Europe, comme l’a rappelé M. l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller du président de MBDA.

Cela serait d’autant plus cohérent que le Royaume-Uni a rejoint depuis le 1er janvier 2024 le programme de recherche et d'innovation civile de l’Union européenne, « Horizon Europe », dont le FED est directement inspiré.

2.   Assumer une préférence européenne pour lutter contre nos dépendances aux pays tiers

● Assumer une préférence européenne requiert tout d’abord de réduire nos dépendances aux approvisionnements stratégiques auprès des pays tiers.

Si la Commission a déjà créé un observatoire des technologies critiques, il serait opportun que celui-ci, en lien par exemple avec l’agence européenne de défense, établisse une cartographie précise de nos dépendances spécifiques pour les équipements de défense. Sur la base de ce travail, des financements européens pourraient être alloués à des projets visant à relocaliser au niveau national des chaînes de production critiques pour l’industrie de défense (poudres, recyclage de titane, semi-conducteurs…).

Au niveau national, il serait également opportun que la DGA recense les dépendances de nos industries de défense, à l’aune du retour d’expérience de la guerre en Ukraine et de la situation en Mer Rouge.

● Assumer une préférence européenne consiste également à réserver les financements européens aux entreprises européennes fabriquant des produits européens. C’est tout l’enjeu actuel des critères d’éligibilité des financements européens.

La définition des critères d’éligibilité sera en effet certainement au cœur de la négociation du programme EDIP. Ainsi que l’a souligné une personne auditionnée, « un des principaux enjeux à ce sujet pour EDIP concernera le traitement réservé aux produits américains fabriqués sous licence par des Européens. La question de fond posé par ces productions sous licence est de savoir si le pays européen maîtrise véritablement l’usage du produit américain qu’il fabrique ».

EDIP devra donc être l’occasion de favoriser l’émergence d’une position commune sur ces critères d’éligibilité, en vue de favoriser l’autonomie stratégique de notre continent. La DGA a parfaitement résumé les termes de cet enjeu : « Pour appartenir à la BITDE, il ne s’agit pas simplement d’être implanté sur le territoire de l’Union, il faut que cette entreprise ne fasse pas l’objet d’une prise de capital étranger, tel que les décisionnaires puissent prendre des décisions allant à l’encontre des objectifs européens (…) Pour qu’un produit soit considéré européen, il doit être conçu, développé et produit en Europe. Cela permet, d’une part, de conserver la propriété intellectuelle sur le sol européen, et, d’autre part, de s’assurer que les produits ne seront pas soumis à des restrictions (d’usage ou d’export) d’un pays tiers ».

Il est par conséquent impératif de réserver les financements d’EDIP aux seules sociétés européennes entendues comme celles dont le contrôle effectif est européen. Quant aux équipements financés, ils doivent être conçus et fabriqués en Europe, pour être libres de toutes restrictions imposées par des pays tiers. Comme l’ont souligné les représentants d’Airbus « Un Black Hawk n’est pas un produit européen par le seul fait qu’il soit assemblé en Pologne ».

 

En outre, il paraîtrait cohérent d’exclure du bénéfice des financements européens (hors dispositifs d’urgence) les sociétés qui produisent sous licence des équipements de pays tiers, notamment américains. MBDA Allemagne ne peut pas à la fois porter délibérément atteinte à l’autonomie stratégique de l’Europe en fabriquant des missiles Patriot et réclamer des subventions communautaires pour ses autres produits. Les financements européens doivent être réservés aux seules entreprises œuvrant à notre autonomie stratégique.

● Assumer une préférence européenne exige également de lutter contre les acquisitions massives d’équipements auprès des pays tiers et d’inciter les pays européens à acquérir des équipements européens.

Dans ce cadre, EDIP pourrait constituer un véritable « Buy European Act », en mettant en place un système de bonus/malus des financements européens, en fonction de la part que représente dans le pays en question les acquisitions auprès de pays tiers. Dans la même perspective, les pays respectant les objectifs d’EDIP, tels que celui d’atteindre 40 % d’acquisitions de manière collaborative, pourraient également bénéficier de financements supplémentaires pour leur industrie de défense.

Il est en outre impératif de prioriser les financements européens sur les segments capacitaires où il existe un risque fort de dépendance aux équipements provenant de pays tiers (avion de chasse de sixième génération, hélicoptères du futur, frappes dans la profondeur…), plutôt que de favoriser, comme le fait le FED actuellement, la duplication des compétences intra-européennes.

Enfin, la Commission européenne devrait contrôler et sanctionner davantage le recours des pays européens aux marchés FMS, en cas de recours abusif à l’exception prévue pour les marchés de gouvernement à gouvernement par la directive 2009/81 relative aux marchés publics dans le domaine de la défense. La récente procédure d’infraction lancée par la Commission contre la République tchèque pour contournement abusif de cette directive au titre de l’acquisition par FMS d’hélicoptères Viper américains constitue à ce titre un signal encourageant ([105]).

● Assumer une préférence européenne, c’est également favoriser systématiquement les lanceurs européens pour les lancements institutionnels, à rebours du choix de la Commission européenne de recourir à Space X pour le lancement de deux satellites Galileo fin avril 2024.

 

 

L’application d'une préférence européenne est nécessaire pour garantir un volume de commandes institutionnelles suffisant et limiter les distorsions de concurrence avec des entreprises étrangères qui bénéficient de davantage de subventions étatiques. La consolidation de la demande de lancements institutionnels au niveau européen pourrait garantir l’application de cette préférence européenne.

● Enfin, le renforcement de notre autonomie stratégique exige de veiller à ce que les politiques transversales de l’UE n’aient pas d’impacts préjudiciables sur nos industries de défense, comme cela a pu être le cas de la réglementation dite Reach sur les substances chimiques. À ce titre, plusieurs personnes auditionnées ont alerté sur le projet d’interdiction du polyfluorure (PFAS) utilisé par les industriels de la défense, alors même qu’il n’existerait pas à ce stade de solution de remplacement.

Une meilleure intégration des problèmes spécifiques au secteur de la défense dans l’élaboration des textes législatifs européens pourrait être garantie par l’établissement d’un « mécanisme d’alerte précoce » au sein du secrétariat général de la Commission européenne.

Un tel dispositif aurait pour objet d’identifier les propositions de réglementation européenne qui seraient préjudiciables à la BITDE et de proposer des solutions pour adapter celles-ci aux spécificités du secteur de la défense. Le cas échéant, des études d’impact préalables obligatoires « spécifique défense » pour les textes européens pourraient également être instituées.


II.   Au niveau national, amplifier la contribution de notre industrie de défense à l’autonomie stratégique en Europe

A.   Une BITD encore insuffisamment orientée vers le marché européen

1.   La culture traditionnelle du « grand export »

● À la fin de la guerre froide, la baisse des commandes publiques liée aux « dividendes de la paix » et la privatisation des entreprises de la BITD ont abouti à ce que l’export devienne en enjeu crucial pour assurer la pérennité desdites entreprises, à rebours du modèle d’arsenal préexistant : « Pour la BITD, il faut désormais exporter ou mourir » pour reprendre l’expression de M. Stéphane Audrand.

Dans ce contexte, ainsi que l’a souligné M. Jean-Pierre Maulny de l’IRIS, la BITD s’est tournée vers le « grand export » pour des raisons essentiellement historiques, : la position traditionnelle d’« allié non aligné » de la France a favorisé les exports au Moyen-Orient ; la réintégration tardive au sein du commandement intégré de l’OTAN a ralenti la standardisation avec nos partenaires occidentaux (exemple des roquettes de 70 mm qui n’ont pas la même dimension que les normes OTAN) ; enfin, les coopérations capacitaires européennes ont connu un creux après les grands programmes des années 90 (A400M, Tigre, NH90, Meteor…).

La conséquence de cette situation est que la BITD, qui exporte chaque année environ la moitié de son chiffre d’affaires, est devenue particulièrement dépendante de certains pays.

Selon les calculs de vos rapporteurs, les pays du Moyen-Orient (Émirats Arabes Unis, Qatar, Arabie Saoudite, Égypte…) et l’Inde ont ainsi représenté jusqu’à près de 80 % du total des exportations françaises en 2015. Encore en 2022, cette part est majeure, puisqu’elle représente 65 % des exportations d’armements de la France, comme le rappelle le tableau ci-dessous.

Au total, selon l’institut SIPRI, la zone Asie-Océanie représenterait plus de 42 % du total des exportations d’armements entre 2019 et 2023 et le Moyen Orient 34 % ([106]).

 

 

 

PArt des Pays du moyen-Orient et de l’Inde dans les exportations d’armement français

(en millions d’euros)

Année

Prises de commandes pays du Moyen Orient + Inde

Total des prises de commandes

Part des pays du Moyen Orient + Inde dans le total des prises de commande

2013

2 782,30

6 873,9

40 %

2014

5 959,70

8 217,6

73%

2015

13 219,50

16 921,6

78%

2016

9 935,50

13 942,8

71%

2017

4 308,20

6 940,8

62%

2018

4 496,60

9 118,2

49%

2019

2 356,70

8 322,1

28%

2020

1 445,60

4 860,6

30%

2021

5 730,80

11 720,4

49%

2022

17 539,80

26 973,8

65%

Source : tableau établi par vos rapporteurs sur la base des données issus des « Rapports au Parlement sur les exportations d’armement de la France »

Cette dépendance au « grand export » est fortement alimentée par les exportations des Rafale. En effet, ces dernières représenteraient près de 78% du total des exportations françaises d’armement en 2022 ([107]). Or, une très large majorité des livraisons (96 sur 117) et commandes (178 sur 193) de Rafale sur la période 2019-2023 concernent des pays non européens (notamment Égypte, Inde, Qatar et Émirats Arabes Unis) ([108]).

● Une telle dépendance au « grand export » est problématique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le corollaire de celle-ci est que la France exporte traditionnellement peu en Europe et ne contribue donc pas suffisamment au renforcement de l’autonomie stratégique de notre continent.

En outre, de la même manière qu’un gérant d’actifs limite les risques de ses investissements en diversifiant son portefeuille, la France a tout à gagner à diversifier les zones géographiques de ses exportations. Une telle diversification est en effet de nature à limiter les conséquences d’aléas politiques ou de modifications de la stratégie partenariale d’un pays, a fortiori dans une zone aussi instable géopolitiquement que le Moyen-Orient. À titre d’exemple, les Émirats arabes unis (EAU) constituent un partenaire stratégique de la France dans la région. Or, les EAU ont récemment accéléré leur rapprochement à la Chine([109]), de sorte que les États-Unis eux-mêmes sont de plus en plus prudents sur ce qu’ils vendent aux EAU selon M. Jean-Pierre Maulny.

Un rééquilibrage serait d’autant plus opportun que la compétition pour la vente d’armes dans les pays clients traditionnels de la France s’intensifie, comme l’ont souligné de nombreux industriels français. Pour reprendre la formule des représentants d’Airbus, « la devise de certains États clients ‘‘si je n’achète pas américain, j’achète européen donc français’’ tend ainsi de plus en plus à disparaître pour de nombreux matériels ».

Ainsi que l’a résumé un représentant de la DGRIS, « les pays du Moyen- Orient tendent à développer une approche davantage transactionnelle avec la France dans leurs contrats exports et n’hésitent plus à se tourner vers de nouveaux pays (Corée du Sud) voire vers nos compétiteurs stratégiques (Chine) pour leurs achats d’équipements. Dans ce contexte, il est important de développer davantage nos exportations à destination des pays européens, a fortiori dans une période d’augmentation des dépenses de défense en Europe ».

2.   Une timide dynamique vers le marché européen qu’il convient d’amplifier

● La part des exportations européennes dans le total des exportations françaises a fortement augmenté depuis 2017 : les exportations européennes ont représenté en effet en moyenne 31 % du total de nos exportations entre 2018 et 2022 (avec un pic à 45 % en 2019), contre une moyenne de 7,6 % seulement entre 2013 et 2017. En 2022, la part des exportations européennes a été de 23 %.

PArt des Pays européens dans les exportations françaises d’armement

Source : tableau établi par vos rapporteurs sur la base des données issus des « Rapports au Parlement sur les exportations d’armement de la France »

L’importance de l’Europe varie cependant selon les segments : alors que l’Europe représente 30 % des exportations défense des représentants de l’industrie navale selon le GICAN, les représentants du GICAT ont quant à eux indiqué que l’Europe représente près de 43 % du total des exportations de leurs adhérents contre 23 % en 2019, dans un contexte certes marqué par la baisse globale des exportations des industriels du secteur terrestre (la part de l’export étant passé de 50 à 38 % sur les cinq dernières années).

● Parmi les contrats structurants conclus avec nos partenaires européens ces dernières années, il peut être cité notamment : le contrat CaMo relatif aux véhicules blindés Griffon et Jaguar avec la Belgique (2018), la vente de chasseurs de mines à la Belgique et aux Pays-Bas (2019), des Rafale à la Grèce et à la Croatie (2021 et 2022), des frégates de défense et d’intervention (FDI) à la Grèce (2022), de canons Caesar à la République tchèque (2021) ou encore de satellites d’observations à la Pologne (2022).

Au titre des principaux facteurs de ces succès, les industriels ont plus particulièrement cité, d’une part, la rapidité des livraisons, permise notamment par les prélèvements sur les stocks (exemple des Rafale) ou la réallocation des commandes nationales (exemple des FDI), et, d’autre part, l’association des industriels locaux dans la chaîne de valeur. À titre d’exemple, la représentante de Naval Group a ainsi rappelé qu’une quarantaine de sociétés grecques sont impliquées dans le programme de FDI.

L’exigence des pays européens d’obtenir des compensations pour leur BITD locale a été ainsi soulignée de nombreuses personnes auditionnées. Il est remarquable à cet égard que même dans un contrat de gouvernement à gouvernement comme CaMo, la Belgique a obtenu de nombreuses contreparties pour ses industriels, ainsi que l’a rappelé le colonel Florent Lavigne, attaché de défense auprès de l’ambassade de France en Belgique. L’industriel FN Herstal fournit ainsi une partie de l’armement, notamment le tourelleau, tandis que le groupe Mol Cy réalisera l’assemblage des véhicules Griffon, l’usine ayant été inaugurée en avril 2024. Enfin, des négociations sont en cours pour intégrer les industriels belges au soutien des véhicules. Un des enjeux actuels porte cependant sur la capacité de FN Herstal à livrer les tourelleaux dans les délais prévus, selon l’attaché de défense.

● Malgré ces succès, les industriels français n’ont cependant pas pleinement bénéficié de l’augmentation des dépenses des pays européens postérieure à la guerre en Ukraine. Selon l’étude de M. Jean-Pierre Maulny, les industriels français n’auraient bénéficié que de 2,6 % des 100 milliards de commandes d’équipements en armements passés par des États membres de l’Union européenne entre février 2022 et juin 2023 ([110]).

La faiblesse des marchés conclus par les industriels français avec certains de nos partenaires est particulièrement édifiante. En 2022, les commandes passées par l’Allemagne à la France s’élèvent à seulement 63 millions d’euros, celles de l’Espagne à 67 millions d’euros, et celles de la Roumanie, où est pourtant engagé le bataillon Aigle, à 7,5 millions d’euros ([111]). En 2023, aucun contrat supérieur à 200 millions d’euros n’aurait été conclu par un industriel français auprès d’un pays européen, selon les indications données par la DGA.

Dans ce contexte, l’accroissement de nos exportations au bénéfice de l’Europe constitue une priorité pour les autorités, comme l’a souligné le ministre des Armées : « Je ne vais pas commencer à accabler une entreprise française en particulier, mais on rate aussi parfois des marchés parce qu’on livre moins vite que les Américains. Quand, dans certains cas, on est plus cher, en particulier sur le maintien en condition opérationnelle (MCO), on a beau être les plus forts parce qu’on est français, on finit par ne pas avoir le marché. Ce n’est pas faute de le répéter depuis un an et demi : les questions de délai nous ont mis dans la panade avec des clients européens (…) Il faut assumer : nous n’avons pas, toujours été bons, parce qu’il y avait aussi, chez les industriels comme au sein du ministère, un goût exotique des marchés lointains, qui a conduit à faire le deuil du marché européen. Il faut le reconquérir, et c’est ce que nous allons nous employer à faire » ([112]).

● Dans un environnement stratégique où les délais de livraisons deviennent un critère majeur de choix pour les pays acquéreurs, l’augmentation des cadences de production des industriels français en cours dans le cadre l’« économie de guerre » constituera certainement un atout pour renforcer la présence de notre BITD en Europe.

Rappelons que la capacité de production de canons Caesar est passée de deux à six par mois avec un objectif à terme de 12 par mois, tandis que la production de missiles Mistral est passée de 10 à bientôt 40 par mois, et que celle du Rafale atteindra 3 par mois d’ici la fin de l’année, contre un par mois il y a quelques années.

À ce titre, certains industriels commencent déjà à percevoir les fruits de leurs efforts sur le marché européen.

L’Europe représente par exemple aujourd’hui la majorité du chiffre d’affaires à l’export de KNDS France, avec notamment la vente de canons Caesar en Belgique, Lituanie et République tchèque, de véhicules blindés à la Belgique dans le cadre de CaMo ainsi que la conclusion contrats munitionnaires au profit de l’Allemagne, de l’Italie, la Slovaquie et de la Pologne.

Dans la même perspective, les trois quarts des commandes exports du groupe MBDA en 2023 proviennent des pays européens (hors « pays domestiques »), en raison notamment de la priorité capacitaire accordée par ces pays au renforcement de la défense sol-air (vente de missiles Mistral, VL Mica et Camm) ([113]). Le carnet de commandes de MBDA totalise 28 milliards d’euros, avec une augmentation de 10 milliards d’euros pour la seule année 2023.

Les succès récents des radars de Thales GM200 et GM400 en Estonie, aux Pays-Bas et désormais en Bulgarie constituent d’autres exemples de produits français attractifs sur le marché européen.

Enfin, l’entrée en négociations exclusives de Naval Group avec le Gouvernement hollandais pour un marché de quatre sous-marins de la famille Barracuda, l’annonce par le Luxembourg de l’achat de véhicules blindés du programme Scorpion, ainsi que l’éventuelle acquisition de douze Rafale par la Serbie et dix autres par la Grèce, confirment cette intégration croissante des industriels français sur le marché européen.

B.   Favoriser l’adaptation de notre BITD au marché européen

1.   Adapter nos outils de soutien aux exportations

  1.   Proposer des contrats de gouvernement à gouvernement faciles d’emploi

● Il a été mis en exergue, lors de l’analyse des acquisitions effectuées par les pays européens depuis le début de la guerre en Ukraine, l’appétence croissante pour le recours à des contrats de gouvernement à gouvernement.

Dans ce contexte, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne ont adapté leurs procédures pour répondre à un tel besoin des pays acquéreurs, comme le rappelle le dernier rapport au Parlement sur les exportations : « La Defence and Security Industrial Strategy 2021 du Royaume-Uni (…) prévoit également l’établissement d’un nouveau mécanisme d’accord de gouvernement à gouvernement (…) L’Italie a également adapté son cadre normatif et propose des accords de gouvernement à gouvernement à ses clients sur le modèle des FMS américains. L’Allemagne, pour sa part, propose des acquisitions groupées en se positionnant en tant que ‘‘nation d’appui’’ en associant à ses contrats nationaux d’autres pays européens intéressés. L’ensemble de ces activités s’inscrit dans une conjoncture de demande croissante des clients d’une intervention étatique à leur profit  » ([114]).

 

La France est elle-même sollicitée de manière croissante pour la conclusion de tels accords de gouvernement à gouvernement : « Certains de nos clients, ne bénéficiant pas de structures d’acquisition suffisamment étoffées ou ne disposant pas des compétences nécessaires à la réalisation de toutes leurs acquisitions en matière d’armement (expertise technique, capacité à spécifier, capacité à contractualiser, capacité à suivre l’exécution contractuelle) font régulièrement part à l’État de leur souhait de le voir intervenir en leur nom pour réaliser les acquisitions auxquelles ils portent intérêt pour des matériels français » ([115]).

● Or, les instruments mis en place à ce stade par la France répondent peu ou mal à un tel besoin de nos clients.

Certes, la France a déjà mis en œuvre un contrat dit de partenariat gouvernement (CPG) au titre de l’accord CaMo avec la Belgique relatif aux véhicules Griffon et Jaguar. Cet accord est un succès, comme l’illustre son élargissement en 2022 à l’acquisition de canons Caesar par la Belgique, ainsi que sa possible extension, l’année prochaine, aux véhicules Serval selon les indications transmises par M. Nicolas Chamussy. Opérationnellement, ce partenariat permet d’assurer une interopérabilité totale avec l’armée de terre belge sur les équipements concernés.

Toutefois, ce type d’accord est particulièrement lourd à mettre en œuvre. Ainsi que l’a rappelé la Cour des comptes, la négociation de ce partenariat a demandé près de trois années ([116]). Il va sans dire qu’un tel délai est incompatible avec les besoins actuels des pays européens.

En outre, la structuration ce type d’accord est très mobilisatrice en termes de ressources humaines. De nombreuses personnes auditionnées ont ainsi mis en avant que la DGA ne disposait pas des effectifs nécessaires pour structurer des contrats de gouvernement à gouvernement de manière régulière.

Enfin, les CPG sont adaptés à des partenariats particulièrement intégrés. En conséquence, comme l’a mis en exergue le dirigeant de KNDS France, « ce type d’accords ne peut être conclu qu’avec des pays pour lesquels existe une relation de confiance très forte : au titre de CaMo, la DGA et les armées intègrent ainsi des officiers belges ».

● En pratique, la lourdeur des CPG et la réticence traditionnelle de la France à s’engager dans de tels contrats aboutissent à concevoir des substituts complexes pour répondre à la demande de certains clients. À titre d’exemple, la vente de Rafale à l’Inde a pris la forme d’un accord intergouvernemental conclu en 2016, mais celui-ci stipule la rétrocession immédiate, dès signature de l’accord, des droits et obligations de l’État à l’industriel ([117]).

Quant à la solution la plus pratiquée, à savoir un contrat commercial doublé d’un « arrangement technique » au titre duquel la DGA (ou l’EMA) apporte son assistance technique au pays partenaire pour le bon déroulement du contrat, elle ne répond pas à la volonté des pays de s’affranchir du cadre des contrats commerciaux au bénéfice d’une relation directe d’État à État.

Il est donc impératif de disposer d’un modèle de contrat d’État à État plus aisé d’emploi, pour faciliter les exportations de certains matériels particulièrement demandés par nos partenaires européens, tels que les missiles Mistral ou les canons Caesar. Selon les indications fournies par le général (2S) Guy Girier d’Airbus, un groupe de travail formé d’industriels réfléchit actuellement à ce sujet, en vue de proposer aux autorités un dispositif plus léger que le contrat de partenariat gouvernemental. Vos rapporteurs expriment le souhait que les autorités avancent de concert avec les industriels pour promouvoir une formule qui garantissent les intérêts de l’État, tout en répondant aux besoins de nos pays partenaires.

  1.   Renforcer nos réseaux militaires dans les pays européens

● Outre l’adaptation des cadres contractuels, l’optimisation de notre dispositif de soutien aux exportations en Europe passe par un renforcement du réseau d’attachés de défense et d’armement. Celui-ci n’est en effet pas assez étoffé, comme l’a indiqué le ministre des Armées lui-même : « Autre domaine dans lequel nous pouvons progresser (…) le réseau des attachés de défense et des attachés d’armement (…) Vous me l’aviez rappelé pendant la discussion de la LPM, il était anormal que dans certains pays, notre mission de défense soit aussi faible voire inexistante » ([118]).

Ce déficit de présence de notre réseau d’attachés de défense est également symptomatique d’une tendance de l’armée française à ne pas suffisamment valoriser les partenaires européens, notamment les « petits pays », comme l’a souligné le député européen Arnaud Danjean : « Au sein du monde militaire, il y a également une faible acculturation aux enjeux institutionnels européens et un manque d’appétence pour dialoguer avec les ‘‘petits’’ pays européens ».

Des premiers efforts ont été réalisés. Les représentants de la DGRIS ont ainsi mentionné que des postes d’attachés de défense avaient été créés en 2023 en Arménie, en Ukraine, mais aussi en Roumanie et en Moldavie. En 2024, de nouveaux postes seront également ouverts en Pologne, Géorgie, Autriche ou Hongrie. Cet effort doit être prolongé et amplifié.

 

Au-delà de l’aspect quantitatif, une véritable révolution culturelle doit être opérée pour valoriser davantage les carrières d’attachés de défense. Disons-le clairement : à l’heure actuelle, les postes d’attaché de défense, à de rares exceptions, ne constituent pas une étape du cursus honorum vers les plus hautes fonctions de l’armée. Cela est particulièrement préjudiciable, car ces postes sont stratégiques, notamment pour renforcer nos partenariats en Europe. À cet égard, placer davantage de généraux aux postes d’attachés de défense constituerait un geste fort pour valoriser ces fonctions.

● Le soutien aux exportations au sein de la DGA pourrait également être optimisé. Tout d’abord, le réseau d’attachés d’armement est particulièrement peu développé en Europe. Il existe en effet des attachés d’armement résidents dans seulement 6 pays (hors ceux en poste à Bruxelles dans les représentations permanentes UE et OTAN) : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la Roumanie, le Royaume-Uni et l’Ukraine. C’est bien trop peu au regard des enjeux capacitaires sur le marché européen.

Il est anormal que des attachés d’armements ne soient pas déployés, même de façon temporaire, lorsque des marchés structurants sont en jeu. À titre d’exemple, aucun attaché d’armement n’était en poste aux Pays-Bas, malgré le contexte du marché de plusieurs milliards d’euros relatif aux sous-marins. De même, aucun attaché d’armement n’est déployé actuellement en Pologne alors que les perspectives de coopérations sont importantes. Vos rapporteurs estiment que la création de postes d’attachés d’armement doit être une des priorités des autorités.

Par ailleurs, les effectifs de la DGA en charge de l’Europe sont bien trop modestes. À l’occasion de la mise en place de son plan stratégique « Impulsion », les effectifs dédiés à l’Europe au sein de la DGA sont passés de 13 à 19. Cette augmentation est à saluer, mais force est de constater que cela reste faible au regard des enjeux, et à l’aune des effectifs totaux de la DGA (plus de 10 000 personnes). Par ailleurs, ces effectifs ne sont pas regroupés dans un service dédié à l’Europe, mais dispersés dans plusieurs services : direction internationale, direction de la préparation de l’avenir et de la programmation, direction de l’industrie de la défense, direction des opérations, du MCO et du numérique… Une telle dispersion n’est pas optimale et la DGA gagnerait à réfléchir à mettre en place un point d’entrée unique pour les industriels sur les sujets européens.

● Il ne faut pas non plus négliger le rôle essentiel des armées pour promouvoir les équipements français en Europe. Comme l’ont rappelé de nombreuses personnes auditionnées, le label « combat proven » est un facteur d’attractivité important, y compris sur le marché européen.

M. le vice-amiral Éric Malbrunot de l’état-major des armées ainsi rappelé que « c’est un tir réussi d’Aster 30 dans le cadre de l’exercice Formidable Shield qui a relancé l’intérêt de la Grèce pour les FDI ». Selon les indications de l’état-major des armées, les armées ont réalisé 36 actions de soutien aux exportations à destination de l’Europe dans les cinq dernières années.

Dans le cadre du rééquilibrage de nos exportations vers l’Europe, il convient d’amplifier cette dynamique, en lien étroit avec la DGA et les industriels concernés.

● Enfin, un instrument de soutien aux exportations qui pourrait être davantage valorisé concerne les clubs d’utilisateurs. À cet égard, vos rapporteurs se réjouissent du lancement réussi du club utilisateur des canons Caesar, dont la première réunion s’est tenue en novembre 2023, avec le soutien actif de l’armée de terre. Un axe de développement du club Caesar, selon le dirigeant de KNDS France, « serait de l’utiliser comme outil d’acquisition groupée pour le développement de nouvelles capacités du système, sur le modèle de ce qui se pratique dans le cadre du club Leopard ». Ce principe de club utilisateur pourrait utilement être dupliqué à d’autres systèmes, comme le promeut la loi de programmation militaire ([119]).

2.   Adapter nos programmes d’équipements

  1.   Prévoir des « commandes surnuméraires » destinées à l’exportation

● Le critère de la rapidité de livraisons et de la disponibilité du matériel est devenu central pour les pays acquéreurs européens, comme l’a reconnu le ministre des Armées lui-même : « Désormais, plus aucun ministre de la défense en Europe ou dans le monde n’omet la question des délais de livraison. Alors que, outre la technologie, le prix était jusqu’à présent la variable permettant d’emporter le choix, le calendrier de livraison et la disponibilité du matériel tendent à devenir les critères centraux. En Europe, plus on se rapproche de la ligne de front et de l’Ukraine, plus les puissances – qui ne sont pas dotées de l’arme nucléaire – se trouvent confrontées à des risques de sécurité potentiels ou à la pression de l’opinion publique, et plus les délais deviennent un sujet clef » ([120]).

Si la France a remporté le marché des Rafale et des frégates en Grèce, c’est ainsi en grande partie parce qu’elle a été en capacité de livrer rapidement les équipements commandés, grâce au prélèvement sur les stocks de nos armées (pour le Rafale) ou sur les chaînes de fabrication initialement destinées à nos armées (pour les FDI).

 

 

Cependant, une telle démarche de prélèvement mise en œuvre dans le cadre du dispositif dit de « cessions remboursables en nature » ([121]) ne peut être généralisée, sauf à pénaliser excessivement nos forces armées, dont les stocks d’équipements et de munitions ont déjà été affaiblis par des décennies de sous-investissement ([122]).

C’est la raison pour laquelle de très nombreuses personnes auditionnées ont mis en avant la proposition d’établir des « commandes surnuméraires » aux fins d’exportation. Le principe est de commander davantage d’équipements que ce qui est prévu pour les besoins de nos propres forces armées, afin d’être en mesure de livrer très rapidement le surplus d’équipements à l’exportation une fois la commande passée.

Ce modèle est notamment pratiqué par l’Italie pour ses bâtiments navals et rencontre un certain succès à l’export, comme l’illustre le récent contrat conclu avec l’Indonésie sur deux patrouilleurs « PPA » prélevés sur les stocks de la marine italienne, dans le cadre d’un marché de plus d’un milliard d’euros.

Ce modèle de commandes surnuméraires pourrait être mis en œuvre pour un certain nombre de systèmes ciblés, pour lesquelles les perspectives d’exportations sont importantes. Pour reprendre un exemple donné par M. Péria-Peigné de l’IFRI, « on pourrait ainsi prévoir un dispositif où la DGA commanderait par exemple une trentaine de Caesar à moindre prix de plus par rapport aux besoins initiaux. Ceux-ci seraient utilisés temporairement par l’armée de terre dans le cadre d’activités peu abrasives (formation) et auraient pour vocation d’être prélevés par Nexter dès qu’un contrat export a été conclu, ce qui relancerait une nouvelle commande de l’État français à hauteur dudit prélèvement. Les atouts d’un tel dispositif seraient ainsi nombreux : d’une part, les forces armées disposeraient de davantage de stocks à travers ce fonds de roulement et, d’autre part, les industriels seraient en capacité de livrer rapidement leurs équipements aux clients à l’export, ce qui constituerait un avantage compétitif indéniable ».

Si un tel dispositif est certainement plus aisé à mettre en œuvre pour les matériels consommables (missiles et munitions), il conviendrait d’analyser in concreto les équipements qui se prêtent le mieux à un tel mécanisme. À titre d’exemple, une grande partie du processus de production des FDI (version nationale) et des Gowind (versions export) est commune, de sorte que des « commandes surnuméraires » pour ce type d’équipements paraissent envisageables.

Dans le cadre de l’actualisation de la LPM 2024-2030, il pourrait ainsi être identifié certains segments susceptibles de bénéficier de telles commandes surnuméraires aux fins d’exportations.

  1.   Veiller à garantir l’exportabilité de nos équipements

● Les revers subis par la France sur le marché en Europe, notamment dans le secteur terrestre en Europe de l’Est, proviennent d’une certaine inadéquation entre notre offre d’équipements et les besoins actuels de nos partenaires européens.

Cela tient tout d’abord à la différence de doctrine entre un modèle expéditionnaire français privilégiant la mobilité et des pays d’Europe de l’Est axés sur la défense territoriale, comme l’a résumé M. Stéphane Audrand : « Le programme CaMo a été rendu possible en raison de la proximité des armées de terre française et belge, fondées sur un modèle expéditionnaire privilégiant le segment médian, la roue et l’aéroterrestre. Or, ces caractéristiques sont en décalage avec la demande actuelle des pays européens, qui veulent avant tout des blindés, de la chenille, de gros volumes rapidement, et des munitions téléopérées à faible coût ».

En outre, la tendance à la sur-spécification de certains systèmes, tels que les véhicules Scorpion, peut également s’avérer être une contrainte forte pour l’exportation. Ce risque est également un enjeu pour des programmes à venir, ainsi que l’a relevé M. Nicolas Chamussy, pour lequel « il faudra veiller à préserver l’exportabilité du VBAE en n’alourdissant pas trop le niveau de spécifications exigées ».

Enfin, de nombreuses personnes auditionnées ont mis en exergue que l’absence de priorité accordée au secteur terrestre par la LPM 2024-2030 - qui a privilégié « Tahiti plutôt que Varsovie » pour reprendre une formule de Jean-Dominique Merchet ([123]) - été perçue par nos partenaires européens comme témoignant d’un désintérêt relatif de la France pour le flanc oriental de l’Europe.

● Dans ce contexte, il est essentiel, selon vos rapporteurs, d’adapter notre politique d’équipements selon trois axes principaux.

Tout d’abord, il convient de renforcer le critère de l’exportabilité de l’équipement au stade de la définition des spécifications. Il s’agit de veiller à un meilleur équilibre entre, d’une part, les besoins de nos armées, et, d’autre part, les conséquences de certaines spécifications en matière d’exportabilité.

Dans ce cadre, comme l’a souligné le général (2S) Frédéric Parisot du GIFAS, il est impératif de développer davantage « l’analyse de la valeur », pour identifier les conséquences des spécifications demandées par les états-majors sur le coût des équipements et les délais de livraisons. Ce rehaussement de l’importance du critère d’exportabilité pourrait être matérialisé par une réforme de l’instruction n° 1618 sur le déroulement des opérations d’armement.

Un autre axe de travail, souligné également par de nombreuses personnes auditionnées, réside dans le développement d’une approche davantage incrémentale pour certains de nos équipements. Il s’agit de privilégier une architecture ouverte permettant de spécifier l’équipement par incrément successif. Une telle démarche permet non seulement d’affiner l’expression des besoins, mais aussi de laisser suffisamment de marges de manœuvres pour adapter les équipements aux éventuelles exigences des clients à l’export.

Enfin, l’actualisation de la LPM 2024-2030, prévue avant la fin de l’année 2027, devra être l’occasion de privilégier davantage les segments qui correspondent aux besoins capacitaires actuels de nos partenaires européens, dans des domaines tels que l’artillerie, les munitions et missiles, ou encore la défense sol-air.

Il serait à ce titre opportun d’entamer une réflexion approfondie sur la nécessité de relancer, le cas échéant en coopération, une filière de véhicules à chenilles, afin de répondre à la forte demande sur ce segment de la part de nos partenaires, notamment sur le flanc oriental de l’Europe, à l’aune du retour d’expérience du conflit en Ukraine.

3.   Diversifier nos partenariats en Europe

Le renforcement de la BITD française en Europe exige certainement une diversification de nos partenariats stratégiques et capacitaires. La France a en effet misé trop exclusivement sur la coopération avec l’Allemagne au cours de la dernière décennie. L’axe franco-allemand est naturellement fondamental pour les grands programmes capacitaires, ainsi que le rappellent le SCAF et le MGCS, mais les récents échecs de la coopération avec l’Allemagne (programmes Tigre, MAWS, CIFS…) démontrent que la France a tout intérêt à renforcer ses partenariats avec d’autres pays européens.

À ce titre, vos rapporteurs sont revenus confiants de leurs déplacements à Stockholm et à Varsovie sur les perspectives d’approfondissement de notre coopération capacitaire avec ces deux pays.

  1.   La Suède

● La France et la Suède partagent un même modèle de BITD pourvoyeuse d’autonomie stratégique pour leurs forces armées. La politique de neutralité défendue par la Suède sur la scène internationale nécessitait en effet de ne pas dépendre d’acteurs extérieurs pour l’approvisionnement de son armée.

Aujourd’hui, la BITD suédoise rassemble plus de 200 entreprises employant près de 30 000 salariés. L’entreprise Saab constitue l’entreprise phare de la BITD nationale : le groupe emploie plus de 21 000 personnes dans le monde, dont 16 000 en Suède, et a développé un chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros en 2023 (+23 %). Selon les indications fournies à vos rapporteurs lors de leur déplacement à Stockholm, Saab est bénéficiaire de près de 65 % du montant total des commandes nationales d’équipements militaires et le groupe représente également environ 65 % des exportations d’armements suédoises.

Certes, les industriels suédois et français sont souvent en situation de concurrence à l’export, comme l’a récemment illustré le marché des sous-marins où Naval Group était opposé à Saab (associé au néerlandais Damen).

Cette situation de concurrence n’a pas cependant empêché l’émergence de plusieurs coopérations entre industriels français et suédois, tels que le démonstrateur de drones Neuron avec Dassault, le missile air-air Meteor avec MBDA ou les munitions Bonus avec KNDS France. En outre, la Suède a acquis certains équipements français (NH 90, missile anti-char Akeron), tandis que France a acheté les radars Giraffe et les lance-roquettes AT4 de Saab.

● Cette coopération, aujourd’hui limitée, pourrait prendre une nouvelle ampleur.

Tout d’abord, la Suède a engagé un effort de défense significatif, dans le prolongement de la guerre en Ukraine et de son intégration dans l’OTAN. Le budget défense de la Suède, qui représentait 1 % du PIB en 2017, a augmenté de plus de 65 % en cinq ans. Il dépassera le seuil des 2 % du PIB fin 2024 avec un budget de 119 milliards de couronnes (environ 10 milliards d’euros), l’objectif récemment fixé par le parlement étant de fixer 2,6 % du PIB en 2030. Les commandes de matériels militaires par la Suède sont ainsi passées de 19 milliards de couronnes en 2021, à 36 milliards en 2022 et 52 milliards en 2023 ([124]).

En outre, les relations bilatérales entre nos deux pays connaissent une nouvelle ambition, avec la signature d’un nouveau partenariat stratégique conclu lors de la visite d’État du président Emmanuel Macron les 30 et 31 janvier. Ce partenariat accorde une place importante à la coopération en matière de défense.

Au surplus, le groupe Saab, en dépit de ses liens étroits avec les États-Unis, a explicitement affiché son ambition de renforcer ses coopérations avec les industriels européens pour contribuer davantage à l’autonomie stratégique de notre continent ([125]). Dans cette perspective, les représentants du groupe ont confirmé à vos rapporteurs que le renforcement des liens avec les industriels français représentait un axe de développement important du groupe en Europe.

● Les axes de coopérations sont nombreux.

Dans le domaine des missiles, un accord-cadre a été signé entre MBDA et Saab pour le développement commun du système de missile anti-char moyenne portée de 5èmegénération Akeron MP. En matière de défense aérienne, l’acquisition de missiles Aster 30 par la Suède ne peut être exclue à moyen terme. La France a également décidé d’acquérir les missiles anti-chars NLAW de Saab.

Enfin, et surtout, le groupe Saab, avec leur avion Global Eye, s’est positionné pour le remplacement des quatre avions de surveillance et de commandement aéroporté Awacs (Airborne Warning and Control System) de l’armée de l’air et de l’espace. L’acquisition par la France de ce système suédois, qui pourrait le cas échéant être adapté sur un avion français, constituerait un signal majeur en faveur de l’autonomie stratégique en Europe. En effet, l’unique alternative sur ce segment est constituée par une solution américaine, à savoir le E-7A Wedgetail de Boeing choisi par l’OTAN. Évidemment, le prérequis d’une telle acquisition est que le système suédois corresponde effectivement au besoin de l’armée de l’air et de l’espace, notamment en termes d’interopérabilité dans un environnement OTAN.

  1.   La Pologne

● Comme précédemment mentionné, la Pologne déploie un effort de défense considérable, en portant son budget défense à 160 milliards de zlotys (environ 37 milliards d’euros), soit plus de 4 % du PIB. Près de 50 % de cet effort budgétaire est alloué au renforcement capacitaire, selon les indications données par les autorités polonaises à vos rapporteurs.

Naturellement, il existe une incertitude sur la soutenabilité financière d’un tel effort à terme pour la Pologne. Il convient de rappeler à cet égard que la Corée du Sud a participé au financement de l’acquisition de ses propres armements par la Pologne, sous la forme de prêts. En outre, le financement du fonds spécial de 50 milliards d’euros dédié aux acquisitions sur étagère n’est pas non plus assuré.

L’ampleur des investissements capacitaires polonais à terme est également incertaine, du fait que les contrats passés avec les États-Unis et les Coréens constituent des contrats-cadres, avec des tranches optionnelles. Il est par exemple peu vraisemblable que la Pologne commande effectivement les 500 Himars prévus dans le cadre du FMS conclu avec les États-Unis. Enfin, les audits réalisés actuellement par le nouveau Gouvernement sur les contrats passés par l’ancienne majorité pourraient être le préalable d’une remise en cause de certaines acquisitions réalisées par la Pologne au cours des deux dernières années.

Ces incertitudes budgétaires expliquent que la Pologne soit particulièrement favorable à l’exclusion des dépenses de défense du pacte de stabilité au-delà des 2 % du PIB ainsi qu’au renforcement des financements européens, comme l’ont indiqué les autorités polonaises à vos rapporteurs lors de leur déplacement à Varsovie.

Cependant, quelles que soient les incertitudes et difficultés, le renforcement de son outil de défense restera une priorité pour la Pologne, à tout le moins tant que la menace russe perdurera.

● Il peut certes apparaître paradoxal d’identifier la Pologne comme un partenariat à privilégier pour la France, alors que les Polonais ont acquis jusqu’ici essentiellement du matériel militaire auprès de pays tiers et que les relations avec la France ont été durablement détériorées en raison des conditions brutales de l’annulation du marché de 50 hélicoptères Caracal passé avec Airbus en 2016.

Cependant, lors de leur visite à Varsovie, vos rapporteurs ont pu mesurer les conséquences bénéfiques que le changement de majorité gouvernemental pourrait avoir sur la coopération franco-polonaise. Sur le plan politique, ce renouveau est illustré par la réactivation du triangle de Weimar et la perspective de la conclusion d’un nouveau partenariat stratégique avec la Pologne d’ici la fin de l’année.

Ce contexte politique favorable se décline sur le plan capacitaire par une forte volonté des autorités polonaises d’accentuer leurs coopérations avec les industriels européens, et notamment français. Les autorités polonaises souhaitent notamment s’appuyer sur de nouveaux partenariats industriels pour faire monter en compétence leur propre industrie de défense, qui est structurée autour du groupe étatique PGZ, qui rassemble plus de 100 filiales et emploie près de 20 000 salariés.

L’objectif des autorités est en effet que 50 % des dépenses de défense de la Pologne bénéficient à terme aux entreprises polonaises. Dans ce contexte, le critère des compensations industrielles (« offset ») est absolument majeur pour l’attribution des marchés.

● Les segments susceptibles d’être concernés par ce partenariat renforcé entre la France et Pologne sont variés.

Dans le domaine des munitions, qui constitue la priorité actuelle pour la Pologne, Eurenco et KNDS France pourraient s’associer à PGZ pour la fabrication de poudre propulsive et le développement technologique des munitions de 155 mm.

Sur le segment naval, outre l’actuelle participation de Thales à l’équipement des trois frégates polonaises Miecznik, la relance du marché des trois sous-marins (dont un en option) dans le cadre du programme « Orka » pourrait être une opportunité majeure pour l’industrie française.

Naval Group et MBDA proposent en effet à la Pologne la solution d’un sous-marin Scorpène équipé du missile de croisière naval MdCN, ce qui serait de nature à accroître significativement la capacité de frappe dans la profondeur des Polonais. La sélection du Gouvernement polonais pour ce marché devrait être annoncée d’ici la fin de l’année.

Enfin, dans le domaine aérien et spatial, la vente d’hélicoptères H145 ainsi qu’une coopération dans le domaine des satellites de télécommunication sont également susceptibles de constituer des axes de développement du partenariat franco-polonais.


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   Examen en commission

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur « l’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe ? » au cours de sa réunion du mercredi 15 mai 2024.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous entamons aujourd’hui avec Jean-Charles Larsonneur et Jean-Louis Thiériot la restitution des travaux des cinq missions d’information lancées en novembre dernier.

Conformément à la nouvelle règle adoptée par le bureau, vous avez tous reçu le projet de rapport. Je tiens à remercier les rapporteurs pour leur respect de cette nouvelle règle. J’espère que cette transmission préalable favorisera une interactivité renforcée avec des échanges plus nourris et plus denses.

Concernant le thème de cette mission d’information, le bureau de la commission a fait preuve de perspicacité en proposant cette mission en fin d’année dernière. Force est de constater que le rôle de l’industrie de défense en Europe s’est imposé dernièrement comme un thème majeur du débat public, en lien bien évidemment avec la situation en Ukraine et notre capacité à soutenir les forces ukrainiennes.

De nombreux débats ont également eu lieu ces dernières semaines sur l’acquisition par les Européens de matériels militaires extra-européens et depuis novembre dernier, l’actualité sur le sujet qui intéresse la mission d’information a été foisonnante. Ainsi, la Commission européenne a publié sa première stratégie industrielle européenne de défense (european defence industrial strategy – Edis). Il y a aussi eu l’annonce d’un projet de fusion entre Arquus et John Cockerill et d’un partenariat entre KNDS et Leonardo dans le secteur terrestre.

Par ailleurs, la phase 1A du projet main ground combat system (MGCS) avance comme en témoigne la visite récente du ministre de la défense allemand, Boris Pistorius, à l’hôtel de Brienne. Enfin, des ventes majeures d’équipements à nos partenaires européens ont été annoncées, comme le sous-marin Barracuda de Naval Group aux Pays-Bas.

Messieurs les rapporteurs, vous avez mené des travaux denses, avec près d’une cinquantaine d’auditions à Paris et une trentaine d’entretiens à l’étranger lors de vos déplacements à Stockholm, Rome et Varsovie. Votre rapport est riche, avec un diagnostic précis de la situation actuelle de l’industrie de défense en Europe et de nombreuses propositions concrètes et détaillées qui s’apparentent à un véritable plan d’action en faveur de l’industrie de défense en Europe.

Je note que le titre de votre mission d’information est formulé sous forme de question. Ma question sera donc simple : l’industrie de défense en Europe contribue-t-elle à l’autonomie stratégique en Europe ? Le cas échéant, comment renforcer cette contribution ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur de la mission d’information sur « L’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe ? ». Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre introduction. Cette mission a été dense et passionnante, car elle nous a permis de nous pencher sur des enjeux stratégiques actuels et sur les défis que notre continent doit relever. L’Europe se trouve à un tournant de son histoire.

La guerre en Ukraine marque évidemment la fin des illusions collectives qui nous ont bercés depuis la chute du mur de Berlin : l’illusion d’un monde durablement pacifié sous l’effet d’une sorte de mondialisation heureuse ; l’illusion d’un monde où l’Europe imposerait un modèle de démocratie libérale par la seule attractivité de son soft power fondé sur le marché et le droit ; l’illusion d’un monde où il n’était plus nécessaire d’investir dans son outil de défense compte tenu de la disparition durable – pensait-on – de toute menace existentielle sur notre continent ; l’illusion, enfin, d’un monde où l’aggravation de nos dépendances stratégiques nous était presque indifférente parce que seul comptait sans doute le bien-être du consommateur érigé en horizon ultime des politiques européennes.

La guerre en Ukraine a sonné comme un réveil brutal pour nous, les Européens. Nous avons pris conscience que pendant que nous nous glorifiions des dividendes de la paix, nos compétiteurs se réarmaient massivement. Les dépenses de défense de la Chine ont augmenté de 600 % entre 1999 et 2021 et celles de la Russie de 300 %, alors que celles de l’Europe n’ont augmenté que de 20 %. Nous avons pris conscience que nos dépendances industrielles, énergétiques et alimentaires constituaient autant de sources de vulnérabilités vis-à-vis de nos compétiteurs. Enfin et surtout, nous avons constaté que des décennies de sous-investissement dans notre outil de défense avaient un prix, en l’espèce l’incapacité d’assumer la sécurité collective de notre continent. L’inadéquation de notre soutien à l’Ukraine l’illustre de façon dramatique. Soutenir l’Ukraine sans affaiblir nos propres armées, telle est l’équation presque insoluble qu’a dû affronter chaque dirigeant européen en raison de la réduction drastique des stocks de nos armées.

Dans ce contexte, l’Europe a deux options. Nous pouvons continuer à déléguer notre sécurité et donc aussi notre prospérité aux États-Unis. Les budgets de défense sont certes en hausse, mais l’Europe se réarme essentiellement à l’heure américaine. Cela revient à aggraver la tutelle américaine et à jouer notre sécurité aux dés à chaque élection américaine. Cela revient aussi à ce que les contribuables européens financent les emplois américains dans l’industrie de défense. Or l’épargne collective européenne largement investie dans des fonds de pension outre-Atlantique finance significativement l’économie américaine et l’Europe devient de plus en plus dépendante du gaz américain. Épargne, gaz et maintenant défense, sont les trois piliers d’une dépendance aux États-Unis qui pourrait devenir durable si nous n’y prenons pas garde.

L’Europe peut aussi choisir – c’est l’option que nous privilégions – d’entamer une mue stratégique et réinvestir avec vigueur sa dimension militaire et de puissance pour construire une véritable autonomie stratégique.

Faut-il parler d’autonomie stratégique européenne, expression franco-française, ou d’autonomie stratégique en Europe ? Peu importe dès lors que nous nous accordons sur les objectifs communs qu’il nous revient de fixer. Il s’agit d’être en mesure de peser sur la sécurité de notre continent pour faire face collectivement à un double défi : à court terme, le défi du soutien à l’Ukraine ; à moyen terme, le défi de l’ambition impérialiste de la Russie dans son combat contre l’Occident global.

Dans ce contexte de l’affirmation d’une Europe puissance, l’industrie de défense a un rôle majeur à jouer. Or la guerre en Ukraine a révélé les carences de l’industrie de défense en Europe. En raison de décennies de sous-investissement et de la baisse des commandes étatiques, les industries de défense européennes n’ont pas été capables de répondre efficacement aux enjeux posés par le soutien à l’Ukraine, à savoir le recomplètement rapide des capacités cédées à l’Ukraine et la livraison de munitions et d’équipements au bénéfice direct de l’Ukraine. L’incapacité de l’industrie de défense européenne à livrer rapidement les matériels demandés explique également que les pays européens se soient tournés vers des pays tiers pour leurs approvisionnements en équipements militaires.

Nous militons donc pour un véritable changement de paradigme de l’industrie de défense européenne. Elle ne peut plus continuer à fonctionner comme elle l’a fait pendant des décennies avec des séries de production limitées, des stocks presque inexistants, une tendance à la sur-spécification des équipements, une indifférence aux délais de livraison, et des coopérations industrielles qui ont pour seul but de faire monter en compétences les industries des pays coopérants.

Le changement de contexte stratégique exige une révolution copernicienne de l’industrie de défense en Europe. Il en va de la crédibilité de notre soutien à l’Ukraine et de notre capacité de découragement à l’égard de la Russie. La profondeur de notre industrie de défense constitue en effet un outil de dissuasion en soi. Nous devons faire de notre base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) un outil de dissuasion économique et industriel pour « gagner la guerre avant la guerre » selon l’expression du chef d’état-major des armées. En outre, tant que les pays européens achèteront auprès des États-Unis, ils ne seront pas maîtres des conditions d’emploi et d’export de leurs matériels.

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur de la mission d’information sur « L’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe ? ». Nous avons identifié quatre grandes faiblesses structurelles de l’industrie de défense en Europe.

La première faiblesse est bien connue, c’est sa fragmentation. L’industrie de défense européenne n’existe pas, il n’existe que des industries de défense en Europe. Cette fragmentation se matérialise de plusieurs manières.

Tout d’abord, la plupart des champions européens manquent de taille critique par rapport à leurs grands concurrents, notamment américains. Ainsi, les trois premières entreprises américaines de défense génèrent plus de chiffre d’affaires que toutes les entreprises européennes classées dans le top 100 mondial des entreprises de défense. Il n’y a qu’une seule société européenne dans les dix premières entreprises de défense au monde, elle est britannique.

La seconde caractéristique de cette fragmentation est la forte duplication des systèmes d’armement. L’Europe compte près de 180 types d’armements militaires majeurs contre 30 pour les États-Unis. Cette duplication s’explique par un trop grand nombre d’industriels européens qui interviennent sur les mêmes segments capacitaires. Non seulement nous investissons collectivement moins que les États-Unis dans nos équipements militaires, mais en outre cet investissement est dispersé sur de multiples plateformes. Cette dispersion est préjudiciable sur le plan opérationnel et sur le plan économique.

Cette fragmentation de l’industrie de défense se matérialise aussi par l’hétérogénéité des modèles de base industrielle et technologique de défense (BITD) nationales. Le modèle français d’une BITD qui équipe de façon souveraine son armée sur l’ensemble du spectre capacitaire, ce modèle d’une BITD pourvoyeuse d’autonomie stratégique, est tout à fait singulier en Europe. Au Royaume-Uni et en Allemagne, l’industrie de défense obéit à une logique plus économique que stratégique. Par conséquent, ces pays ont davantage recours aux importations d’équipements militaires que nous et l’État est très généralement moins présent au capital.

Outre sa fragmentation, l’industrie de défense en Europe souffre de décennies de sous-investissement. C’est sa seconde faiblesse structurelle et je souhaiterais mettre en exergue trois éléments importants.

Remettre en marche de lignes de production réduites a minima pendant des années du fait de l’absence de commandes étatiques prend beaucoup de temps. Aujourd’hui, MBDA tente de passer sa production de missiles Mistral de 20 à 40 par mois. C’est un effort louable, mais il faut rappeler que dans les années 1990, avant l’arrêt de la chaîne, la capacité de production était de 400 missiles par mois selon une personne auditionnée.

Ces années de sous-investissement ont surtout affecté les capacités de production des sous-traitants de la supply chain. Pour rappel, il y a environ 4 000 entreprises en France qui travaillent dans le secteur de la défense indépendamment des grands ensembliers. La fragilisation de la supply chain constitue un des grands défis à relever pour produire plus et plus vite.

Par ailleurs, nous avons commis deux grandes erreurs stratégiques dans ce contexte de sous-investissement, dont nous payons le prix aujourd’hui. Il s’agit, d’une part, de l’abandon au niveau national de certaines compétences critiques telles que la filière poudre et, d’autre part, de la promotion d’un modèle basé sur les flux tendus et l’optimisation des stocks qui a obéré durablement la capacité des industriels à remonter en puissance.

Le sous-financement de l’industrie de défense européenne, et notamment de ses petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), constitue sa troisième faiblesse structurelle. Même s’il y a des améliorations au niveau national, avec notamment la création du « référent défense » au sein des grandes banques, la situation est encore loin d’être parfaite. De plus, le financement en capital des PME et ETI de défense souffre de la réticence très forte des investisseurs institutionnels, qu’ils justifient par le risque réputationnel et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Au niveau européen, une étude récente de la Commission européenne souligne que deux tiers des PME-ETI de défense sondées connaissent des difficultés pour se financer en capital. La moitié connaît des difficultés de financement bancaire, contre 6,6 % des PME en moyenne en Europe. Le secteur de la défense rencontre donc bien des difficultés particulières. Il s’agit d’un problème majeur qui obère significativement la montée en puissance de ces PME-ETI car sans possibilité de financement extérieur, les investissements dans l’outil de production reposent exclusivement sur les seuls fonds propres.

Enfin, la quatrième faiblesse identifiée réside dans la dépendance de l’industrie de défense envers des pays tiers pour ses approvisionnements stratégiques et dans son exposition aux menaces hybrides. Il faut avoir conscience que l’exploitation de ces dépendances est devenue une véritable arme dans les mains de nos compétiteurs stratégiques, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. Ainsi, la Chine joue un rôle majeur dans les goulets d’étranglement que connaît actuellement la filière obus en Europe. De même, la dépendance des industriels de l’aéronautique au titane russe est critique. En outre, plusieurs événements récents montrent que notre industrie de défense est susceptible de devenir la cible d’actes de sabotage physiques de la part de nos compétiteurs stratégiques.

Ces faiblesses structurelles s’inscrivent au surplus dans un contexte où la compétition entre entreprises européennes de la défense est très forte et a même tendance à s’accroître. Cela tient tout d’abord à la faiblesse de la coopération industrielle. Malgré certaines avancées récentes, seulement 18 % des dépenses d’investissement des États membres sont effectuées de manière collaborative, contre un objectif de 35 %. Ce déficit de coopération industrielle a selon nous pour principale cause les difficultés rencontrées par les programmes de coopération eux-mêmes. Les délais excessifs de ces programmes de coopération peuvent être cités au titre de ces difficultés, de même que les exigences de retour sur investissement des pays participants pour leurs propres industriels. Par ailleurs, la plus-value des coopérations en termes d’harmonisation capacitaire est trop souvent réduite par la volonté des États membres de développer des spécifications purement nationales.

Outre les difficultés rencontrées par les programmes en coopération, la forte concurrence intra-européenne est également liée à l’affirmation de stratégies nationales non coopératives. Le spatial européen en est la première victime.

La réaffirmation des stratégies nationales concurrentes en Europe concerne en premier lieu l’Allemagne. Trois projets de coopération franco-allemands ont été torpillés par l’Allemagne : l’avion de patrouille maritime (maritime airborne warfare system – MAWS), le standard 3 de l’hélicoptère Tigre et le projet d’artillerie du futur (common indirect fire system – CIFS).

Il faut aussi signaler le projet de bouclier antimissile european sky shield initiative (ESSI) où l’Allemagne a pleinement su tirer parti du Framework Nation Concept de l’Otan pour s’imposer comme Nation-cadre de ce projet qui rassemble 21 États. Je rappelle que la France n’a pas été associée à ce projet et que celui-ci promeut des systèmes israéliens et américains alors même que notre système franco-italien de défense sol-air SAMP-T aurait pu répondre aux besoins allemands.

À la faveur de la guerre en Ukraine, l’Allemagne porte en outre une stratégie de pénétration des marchés de défense des pays de l’Europe de l’Est et des pays baltes. Cette stratégie d’influence s’appuie notamment sur le projet de déployer une brigade en Lituanie, qui a fortement marqué les esprits dans ces pays à la recherche de réassurance stratégique.

L’Allemagne développe dorénavant une véritable stratégie industrielle de défense pour étendre sa sphère d’influence en Europe. Cela tend à accroître encore davantage la logique compétitive aux dépens de la logique coopérative.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. J’aimerais maintenant revenir sur deux conséquences majeures de la guerre en Ukraine pour l’industrie de défense en Europe : notre dépendance accrue envers les pays tiers et notamment les États-Unis ; l’implication croissante de l’Union européenne (UE) dans la politique industrielle de défense.

Il est bien connu que les pays européens ont augmenté significativement leurs dépenses de défense depuis le début de la guerre en Ukraine. Les pays de l’UE ont dépensé plus de 270 milliards dans leur défense en 2023 contre 214 milliards en 2021, soit une augmentation d’environ 26 % en deux ans. Cependant, l’augmentation des budgets de défense n’a que peu bénéficié à la BITDE. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a été largement amplifiée par la guerre en Ukraine.

Avant la guerre en Ukraine, 60 % des budgets des pays de l’UE dédiés aux acquisitions d’équipements étaient déjà consacrés aux importations militaires en provenance de pays tiers. Cette proportion est passée à 80 % à la faveur de la guerre en Ukraine. Ainsi, entre janvier 2023 et mars 2024, la Pologne a conclu pour près de 47 milliards de dollars de contrats de vente d’équipements avec le gouvernement américain (foreign miltary sales – FMS), l’Allemagne en a conclu pour 12 milliards et la Grèce pour 11 milliards. Ces achats européens couvrent tout le spectre capacitaire : avions de chasse, hélicoptères, missiles, chars, défense sol-air, lance-roquettes.

Deux facteurs principaux expliquent cette domination américaine sur le marché européen. Le premier est politique. Pour la majorité des pays européens, la garantie de sécurité américaine reste la pierre angulaire de leur politique de défense. L’achat de matériel américain garantit aussi l’interopérabilité avec l’armée américaine, ce qui constitue un critère majeur pour nombre d’armées européennes.

Le second facteur tient à l’attractivité des FMS qui permettent aux pays européens acheteurs de s’affranchir de toute procédure d’acquisition formelle. C’est un gage de simplicité pour de nombreux pays européens qui n’ont pas tous l’équivalent d’une direction générale de l’armement (DGA). Par ailleurs, le FMS offre la possibilité de puiser les équipements dans les stocks de l’armée américaine, ce qui permet une livraison rapide des premiers exemplaires commandés.

Outre les acquisitions auprès des États-Unis, une autre tendance se dessine, qui est susceptible de mettre à mal l’autonomie stratégique de l’Europe. Il s’agit de la constitution d’une « BITD transatlantique », à travers une interpénétration croissante des BITD américaine et européenne.

Les deux plus grands industriels de défense européens, BAE Systems et Leonardo, sont très dépendants du marché américain. Ils sont également sous-traitants de l’industrie américaine, notamment pour le F-35. Parallèlement, les fonds américains investissent de plus en plus sur le marché européen. Enfin, les industriels américains dont les chaînes de production sont saturées tendent de plus en plus à confier aux industriels européens la sous-traitance de leurs produits. Cela crée certes des emplois en Europe, mais faire de la sous-traitance de produits américains l’horizon ultime de l’industrie de défense en Europe, c’est renoncer à toute autonomie stratégique pour notre continent.

Il faut aussi signaler l’apparition de nouveaux acteurs sur le marché européen. L’exemple le plus frappant est le marché conclu en 2022 par la Pologne avec la Corée du Sud, pour plus de 1 000 chars d’assaut, près de 700 canons automoteurs, 300 lance-roquettes et 50 avions de chasse.

Deux facteurs expliquent ce marché. Le premier, c’est la rapidité de livraison. Dans un contexte d’urgence pour la Pologne face à la menace russe, les industriels européens et même américains étaient incapables de livrer dans les délais exigés. La Corée du Sud le pouvait, en prélevant sur les stocks abondants de son armée. Le second facteur, c’est l’importance des compensations industrielles proposées par les Coréens dans un contexte où les Polonais souhaitent ardemment faire monter en puissance leur propre industrie de défense.

J’aimerais maintenant revenir sur la seconde conséquence du conflit pour la BITDE, à savoir l’implication croissante de l’UE en matière de politique industrielle.

Avant la guerre en Ukraine, ce rôle était assez restreint et se limitait principalement à deux axes : l’harmonisation du marché intérieur de défense à travers les procédures de passation de marché, qui a abouti à des résultats plutôt mitigés ; le soutien à la recherche et au développement à travers le Fonds européen de la défense (FED). Plus d’une centaine de projets ont été sélectionnés et nous pouvons nous réjouir que les industriels français soient à ce jour les premiers bénéficiaires de ce dispositif. Plusieurs personnes auditionnées ont cependant mis en exergue un certain nombre de lacunes du FED : des critères de sélection pas toujours très lisibles, un risque de saupoudrage de crédits sur de trop nombreux projets avec des acteurs trop nombreux, une perspective capacitaire pas toujours évidente, une remise en compétition systématique à chaque nouvelle phase des projets. Ce sont les principaux griefs émis à l’encontre du FED.

Depuis la guerre en Ukraine, l’action de l’UE ne s’est plus limitée au soutien à la R&D et a investi d’autres champs de la politique industrielle, avec notamment plusieurs dispositifs d’urgence qui ont été mis en place ces derniers mois.

Le plan munitions de mars 2023 constitue le premier de ces dispositifs d’urgence. Son objectif était de livrer un million d’obus à l’Ukraine en un an. Si l’objectif n’a pas été atteint (environ 500 000 munitions ont été livrées dans le cadre de ce dispositif), cela ne doit pas masquer l’augmentation notable de la capacité de production des munitionnaires européens qui a doublé en un an. Nous sommes aujourd’hui capables de produire collectivement un million de munitions par an, avec l’objectif d’atteindre deux millions d’ici fin 2025.

Pour soutenir cette augmentation de la capacité de production de munitions, l’UE a créé le dispositif « acte de soutien à la production de munitions » (ASAP) qui subventionne à hauteur de 500 millions d’euros des actions pour réduire des goulets d’étranglement dans le domaine des poudres et des explosifs. Même si le montant n’est pas à la hauteur de l’enjeu, le dispositif ASAP doit être salué car il répond à un véritable enjeu dans le contexte stratégique actuel.

Enfin, l’UE a créé un troisième mécanisme dit Edirpa (règlement visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes), dont l’objectif est d’inciter aux acquisitions conjointes d’équipements militaires par au moins trois États membres. Edirpa pèche cependant par la faiblesse de son budget (300 millions d’euros) et par la lenteur de sa mise en œuvre. En outre, les produits qui peuvent bénéficier des financements d’Edirpa peuvent intégrer jusqu’à 35 % de composants hors UE. Cela peut répondre à une forme d’urgence, mais ce n’est pas forcément cohérent avec la volonté de renforcer l’autonomie stratégique européenne.

Au-delà de ces dispositifs d’urgence, la Commission européenne veut désormais passer à un soutien structurel et pérenne de l’industrie de défense en Europe. Tel est l’objet de la stratégie pour l’industrie de défense européenne publiée en mars. Cette stratégie est déclinée dans le projet de règlement dit « programme européen d’investissement dans le domaine de la défense » (european defence industry programme – Edip) qui pourrait être adopté d’ici la fin de l’année 2024.

Cette stratégie est une véritable rupture dans la mesure où l’UE propose de créer de nouveaux instruments et de nouveaux vecteurs, tels qu’un mécanisme européen de ventes militaires inspiré du FMS américain. Elle propose également d’instaurer un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense ainsi qu’une nouvelle structure juridique pour soutenir les coopérations industrielles, et d’établir des mesures d’urgence en cas de crise d’approvisionnement.

Cependant, cette nouvelle ambition de l’UE soulève de nombreux points de vigilance. Il faudra veiller en premier lieu à ce que le financement soit à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui, ce n’est pas vraiment le cas puisque seulement 1,5 milliard d’euros sont fléchés dans le cadre d’Edip entre 2025 et 2027.

Ensuite, il y a un véritable enjeu en termes de gouvernance, s’agissant de l’articulation entre les nouveaux acteurs institués par Edip et ceux déjà existants. Le risque est grand de créer une nouvelle « usine à gaz », alors que le paysage institutionnel de l’Europe de la défense gagnerait à être rationalisé.

Enfin, le troisième et dernier enjeu est le risque de communautarisation rampante de la politique de défense. Il existe en effet une tentation de la Commission de s’arroger de nouveaux pouvoirs à la lisière ou en marge des traités, à la faveur de l’augmentation de financements européens au financement de l’industrie de défense. Nous pensons donc qu’il convient de surveiller cette tendance de très près, notamment dans un contexte où la création d’un commissaire européen de la défense ou à l’industrie de défense est évoquée.

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. À ce stade, il est difficile d’envisager un commissaire européen à la défense. Les traités prévoient en effet explicitement que cela relève de la compétence du Conseil. La défense n’est pas actuellement dans les compétences de la Commission.

Mes chers collègues, je crois que vous avez tous bien noté le constat assez pessimiste que nous faisons. L’industrie de défense européenne a été dimensionnée pour les temps de paix et ses carences ont été révélées et amplifiées par le conflit en Ukraine. Il existe à terme un risque de marginalisation et d’inféodation au complexe militaro-industriel américain, certains acteurs européens choisissant délibérément de devenir des sous-traitants de l’industrie américaine.

L’enjeu est donc lourd. Il s’agit de changer de modèle pour que l’industrie de défense en Europe soit en mesure de jouer pleinement son rôle dans l’autonomie stratégique de notre continent.

Je souhaiterais maintenant aborder nos recommandations, en me concentrant sur celles qui nous semblent les plus structurantes.

Le premier chantier vise à lever les obstacles aux coopérations industrielles. Malgré leurs limites actuelles, elles restent utiles pour renforcer notre autonomie stratégique. À cet égard, le contrôle des exportations est l’un des principaux irritants des coopérations. Il faut être clair, aucun industriel ne s’engagera dans le développement du système de combat aérien du futur (SCAF) ou du MGCS s’il ne peut pas exporter ses systèmes à d’autres pays que ceux de l’Otan. Il est donc impératif de sécuriser juridiquement l’accord de 2019 entre la France, l’Allemagne et l’Espagne sur le contrôle des exportations. Une piste pourrait être de préciser et d’encadrer la notion d’ « atteinte aux intérêts directs » et d’ « atteinte à la sécurité nationale », qui permettent à un État de s’opposer à la demande de licence d’exportation d’un autre État. Ces notions ne sont pas précisées dans l’accord actuel, ce qui est une source d’insécurité juridique majeure.

En ce qui concerne la conduite des programmes en coopération, il faut systématiquement appliquer le principe du best athlete et cesser de considérer les coopérations comme un outil pour développer les compétences de ses industriels nationaux sur un segment donné.

Le principe du retour géographique doit également être supprimé ou fortement aménagé dans le cadre de l’Agence spatiale européenne. Il est trop préjudiciable à la compétitivité du secteur spatial européen et met en danger, à terme, notre autonomie d’accès à l’espace. Si cette réforme n’est pas possible dans le cadre de l’ESA, il faudra s’interroger sur le développement de projets spatiaux en dehors de ce cadre.

Favoriser les coopérations, c’est également soutenir les consolidations industrielles. L’industrie européenne souffre de sa trop grande fragmentation alors qu’elle fait face à une compétition croissante des acteurs non européens. Il est donc impératif de favoriser les processus de consolidation en cours, notamment dans le secteur terrestre. Cette consolidation n’est en aucun cas un renoncement à notre souveraineté. Le bon modèle pour cette consolidation à venir de l’industrie de défense est probablement MBDA, qui permet une intégration industrielle poussée, tout en préservant la souveraineté des États concernés.

Favoriser les consolidations, c’est aussi ne pas instrumentaliser le régime de contrôle des investissements étrangers quand il s’agit d’une société européenne.

Le financement de l’industrie de défense constitue le second chantier. Il faut lutter contre les pratiques contestables des acteurs privés. Nous proposons à ce titre d’initier au niveau européen une réflexion sur la possibilité d’interdire aux acteurs financiers de discriminer le secteur de la défense dans leur politique d’investissement. Il convient également de proscrire la notion d’« armes controversées » utilisée à tort et à travers par les acteurs financiers, notamment pour exclure des financements les industriels impliqués dans notre dissuasion nucléaire en invoquant le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian). Or, il n’y a pas d’« armes controversées ». Il y a des armes autorisées ou il y a des armes interdites.

Le deuxième acte de la politique de financement que nous proposons concerne la Banque européenne d’investissement (BEI). L’exclusion actuelle des armes et munitions de l’admissibilité au financement de la BEI, au même titre que le « tabac », les « jeux de hasard » ou « le commerce du sexe » - je cite les documents internes de la BEI - est injustifiable dans le contexte stratégique actuel. La BEI a pour mission de financer les priorités de l’UE. Le soutien à l’industrie de défense est actuellement une priorité majeure de l’UE, donc la BEI doit financer l’industrie de défense européenne. C’est aussi simple que cela. Plutôt que de s’abriter derrière les préjugés des investisseurs envers le secteur de la défense, la BEI devrait montrer l’exemple. C’est ce qui est attendu d’une institution publique. Ce changement de politique de la BEI constituerait un signal stratégique fort à l’égard de l’ensemble des acteurs du monde financier.

Enfin, le troisième axe de réforme à ce sujet est de promouvoir de nouveaux financements au niveau européen. Le déficit de financement en capital des PME et ETI de défense pourrait être résorbé par la création d’un fonds de fonds. L’UE a déjà lancé une initiative avec la BEI en ce sens, mais il est limité aux biens à double usage et son montant est trop modeste. Il faut aller plus loin.

Surtout dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE, le soutien à l’industrie de défense devra être une des grandes priorités européennes. Le commissaire Thierry Breton a évoqué un fonds de 100 milliards d’euros, soit 15 milliards par an, ce qui est inférieur aux commandes annuelles de la DGA au bénéfice de notre BITD. Ce n’est donc pas démesuré. À titre de comparaison, le plan Next Generation EU, mis en place dans le cadre de la crise Covid, a représenté plus de 750 milliards d’euros. Or la menace sécuritaire actuelle nous semble aussi critique voire plus que la menace sanitaire à cette époque. Il faudra cependant veiller à ce qu’un tel fonds soit piloté dans un cadre intergouvernemental sur le modèle de la Facilité européenne pour la paix (FEP), l’intergouvernemental étant ce qui pilote la défense.

Au niveau national, il y a urgence à créer un mécanisme permettant de flécher l’épargne collective vers le financement de l’industrie de défense. Le livret A est une piste parmi d’autres, mais je pense aussi aux fonds Tibi qui mobilisent l’épargne des investisseurs institutionnels, vers les entreprises de technologie ou encore au plan d’épargne en actions (PEA) PME.

Le troisième volet de nos recommandations porte sur la nécessité d’une nouvelle ambition pour les instruments européens. Il convient tout d’abord de réformer le FED en promouvant une meilleure adéquation entre les besoins capacitaires des États membres et les projets financés par le FED. Le FED pourrait utilement financer des briques technologiques de programme en coopération, tels que le SCAF ou le MGCS, plutôt que de lancer des initiatives parallèles dont personne ne voit les débouchés programmatiques, tels que le future main battle tank (FMBT).

Le fonctionnement du FED pourrait également être amélioré en privilégiant la voie d’attribution directe pour les phases suivantes d’un projet déjà lancé ou encore, en instaurant la possibilité d’un dialogue constructif entre industriels et experts-évaluateurs.

Nous proposons enfin de réintégrer le Royaume-Uni au sein du FED en échange de sa participation au financement.

L’autre volet des instruments européens concerne le projet de règlement Edip. Nous proposons qu’Edip soit le vecteur d’affirmation d’une véritable préférence européenne. Cela demande d’établir des critères d’éligibilité stricts et d’exclure des financements européens les sociétés contrôlées par des sociétés hors de l’Union européenne et les produits qui ne sont pas conçus, développés et fabriqués en Europe. Nous proposons également d’exclure des financements européens les sociétés qui produisent des équipements de pays tiers sous licence. Les financements européens doivent être réservés aux sociétés qui promeuvent l’autonomie stratégique en Europe et non la sous-traitance de puissances tierces.

Une préférence européenne, c’est aussi inciter les États à acheter européen. Il faut faire d’Edip un véritable Buy european act, en créant un système de bonus-malus en fonctiond de la proportion d’acquisition d’équipements militaires à des pays tiers. Il faut également prioriser les financements sur les segments où il existe un risque fort de dépendance à l’égard des pays tiers. Edip pourrait ainsi aider à reconstituer en Europe des filières d’approvisionnement critiques pour notre industrie de défense. Enfin, il est nécessaire que la Commission lutte davantage contre le recours abusif de certains États européens aux FMS américains, en contournement de la directive 2009/81.

Le dernier axe de nos recommandations porte sur les moyens de renforcer la contribution de la BITD française à l’autonomie stratégique en Europe. Notre BITD est encore trop largement dépendante du grand export. Nos recommandations à cet égard portent sur trois volets.

Tout d’abord, il est nécessaire d’adapter notre outil de production aux exportations. Nous proposons de créer un contrat de gouvernement à gouvernement pour répondre à la demande des pays européens.

Nous proposons aussi de tester sur un certain nombre de segments un mécanisme de « commandes surnuméraires » destiné à l’export. Ce mécanisme consisterait à commander davantage que ce qui est prévu pour nos propres armées afin de pouvoir livrer les équipements très rapidement à l’export. La rapidité de livraison est en effet devenue un des critères clés pour les États dans leur politique d’acquisition.

Le critère de l’exportabilité de nos équipements doit également être rehaussé lors de la phase de conception de nos équipements. Nous développons trop souvent des équipements sur-spécifiés qui correspondent trop peu aux besoins de nos partenaires européens. La question se pose enfin de savoir s’il ne faut pas réinterroger certains abandons à l’aune du retour d’expérience de la guerre en Ukraine. Je pense par exemple au segment des véhicules chenillés qui fait l’objet d’une forte demande de nos partenaires européens, alors que la France a fait le choix du segment des véhicules à roues.

Enfin, nous proposons de développer et diversifier nos partenariats en Europe. Nous sommes revenus de nos déplacements à Varsovie et à Stockholm, très confiants sur les perspectives de coopération avec ces deux pays.

En conclusion, nous militons pour un véritable changement de paradigme.

Lever les obstacles aux coopérations et consolidations industrielles.

Faire de l’industrie de défense un secteur prioritaire pour nos financements publics et privés.

Assumer une véritable préférence européenne, pour réduire nos dépendances.

Veiller à ce que la défense de l’Europe ne soit pas communautarisée, mais demeure intergouvernementale, dans le cadre du Conseil, en s’appuyant sur des outils comme l’agence européenne de défense.

Renforcer la contribution de notre BITD nationale à l’autonomie stratégique en Europe.

Toutes les mesures que nous proposons n’ont qu’une seule finalité.

Que la France et l’Europe ne laissent pas la sécurité de nos enfants dépendre du bon vouloir des électeurs des swing states américains.

Que la France et l’Europe participent pleinement à la défense du « monde libre » contre les empires autoritaires toujours plus menaçants.

Que la France et l’Europe restent, en somme, des acteurs de l’Histoire et n’en deviennent pas les témoins tremblants.

Nous vous remercions pour votre écoute attentive et sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président Thomas Gassilloud. Merci pour votre travail puissant, pertinent et collégial. Nous passons maintenant passer aux interventions des orateurs de groupes.

M. Benoît Bordat (RE). Cette présentation percutante illustre notre volonté commune de renforcer notre autonomie stratégique et notre capacité de défense.

Lors de son discours à la Sorbonne, le Président de la République, a souligné l’importance de transformer l’urgence du soutien à l’Ukraine en effort de longue durée. Il a proposé une réforme significative de la Facilité européenne pour la paix, principal instrument de soutien à l’Ukraine. Le Président a également insisté sur la nécessité de créer des champions européens capables de rivaliser avec nos concurrents.

Dès lors, je souhaite revenir sur le rôle stratégique du missilier MBDA. OneMBDA incarne en effet une intégration binationale réussie. Cette intégration témoigne d’une démarche de convergence fructueuse.

Dans cette même logique, la question de la conciliation des aspirations commerciales allemandes et des impératifs stratégiques français au sein de KNDS se pose. Pour la France, il s’agit de mobiliser une organisation industrielle capable de s’adapter rapidement aux exigences du moment, afin de privilégier la raison d’État au-delà de la seule efficience économique. En Allemagne, la commande publique a traditionnellement servi à soutenir l’industrie de l’armement face à la concurrence. Les succès commerciaux seront-ils suffisants pour assurer cette convergence, ou devrons-nous repenser les modèles de coopération et d’intégration industrielle pour mieux répondre au défi de l’autonomie stratégique européenne ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Je suis convaincu que OneMBDA est un modèle d’intégration industrielle en Europe. Il s’appuie sur des programmes conjoints et partagés entre différents États membres, y compris ceux qui ne font plus partie de l’Union, comme le Royaume-Uni. Il y a une logique capacitaire qui est au cœur de la démarche, et c’est fondamental.

MBDA est souvent cité comme un exemple à suivre dans d’autres domaines tels que le secteur terrestre. Son succès repose sur des fondamentaux solides et un sentiment d’appropriation des États membres. Chaque État a le sentiment d’œuvrer pour sa propre industrie et son emploi.

M. Christian Girard (RN). Au nom du groupe Rassemblement National, nous tenons à vous remercier pour ces mois de travail.

Nous réaffirmons notre attachement à la sauvegarde et à la consolidation de l’industrie de défense qui doit avant tout assurer notre autonomie stratégique nationale avant de contribuer à l’autonomie stratégique européenne.

Si nous sommes en accord avec votre position sur le risque de communautarisation de la défense, nous avons cependant quelques interrogations sur les conclusions de votre rapport, notamment sur l’absence de mesures de précaution pour la protection de notre BITD.

Par ailleurs, les risques inhérents à la coopération internationale en matière d’intelligence économique sont indéniables, mais cette coopération peut aussi comporter des dangers. La relation franco-allemande en est un exemple éclairant.

Les risques liés à la cybersécurité, à la guerre de l’information, aux normes juridiques ou aux pratiques offset doivent être pris en considération. À cet égard, comment appréhendez-vous les normes international traffic in arms regulations (Itar), qui permettent aux États-Unis de contrôler les exportations de matériel militaire français et européen sous prétexte de lutte contre la propagation des armes dans le monde ?

Ensuite, comment pouvons-nous augmenter notre indépendance en matière de fourniture de matières premières, alors que l’Union européenne dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs ?

Enfin, comment envisagez-vous de concilier les besoins capacitaires de nos armées avec les commandes surnuméraires que vous évoquez alors que notre BITD rencontre des difficultés pour augmenter sa production ? Quels segments vous semblent pertinents pour bénéficier de ces commandes ?

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. Concernant les risques associés aux coopérations ou aux consolidations au sein de l’Union européenne, nous disposons d’un outil national, le contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Cet outil permet de superviser et de contrôler les prises de participation étrangères qui pourraient être contraires aux intérêts nationaux. Il offre également la possibilité d’imposer certaines conditions ou règles lors d’une acquisition.

Au sujet de l’Allemagne, il faut rappeler que c’est une grande puissance au cœur de l’Europe qui se trouve un peu plus près que nous d’une éventuelle ligne de front. C’est un allié historique, mais aussi un compétiteur avec ses propres intérêts de puissance. L’enjeu pour notre pays est de défendre aussi dans le cadre de négociations fermes ses intérêts de puissance.

Il n’y a pas de couple franco-allemand, mais un partenariat qui doit s’inscrire dans une logique gagnant-gagnant. Dans ce contexte, un certain nombre de sécurisations s’imposent sur les exportations ou les droits de propriété intellectuelle.

À propos d’Itar, nous devons nous efforcer de conserver une liberté de manœuvre. Nous devons être le moins dépendants possible des produits Itar, et c’est justement ce que doit permettre l’autonomie stratégique de l’Europe.

Sur les dépendances, l’un des moyens de les réduire consiste à agir au niveau européen. Si nous devions recréer des capacités de production en semi-conducteurs, la France n’aurait pas les budgets pour le faire seule.

En ce qui concerne les commandes surnuméraires et la BITD, de nombreux industriels se plaignent que les commandes nationales ne sont pas suffisantes. Des commandes qui les sécuriseraient et qui auraient vocation à être exportées seraient dans l’intérêt de tout le monde.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Mon groupe partage une grande partie du diagnostic que vous avez posé, ainsi qu’un certain nombre de propositions que vous avez formulées.

Cependant, je voudrais attirer votre attention sur le cas particulier de l’Allemagne. Bien que nous soyons d’accord sur l’essentiel du diagnostic, il me semble que cette prise de conscience arrive un peu tardivement compte tenu des alertes qui ont été émises pendant des années, y compris durant le mandat précédent. Ainsi en septembre 2018, nos collègues Bastien Lachaud et Jean-Luc Mélenchon ont publié une tribune dans laquelle ils soulignaient que l’Allemagne avait décidé de se doter du dernier attribut de la puissance qui lui manquait, la puissance militaire et diplomatique.

Concernant le projet de MGCS, nous avons défendu une position claire indiquant que Rheinmetall et l’Allemagne nous mettaient dans une situation dangereuse. Cet avertissement n’est toujours pas entendu aujourd’hui alors même que vous relevez que Rheinmetall développe une stratégie alternative avec la Hongrie et dispose d’un plan B avec le Léopard.

Je voudrais également souligner quelques contradictions dans votre raisonnement. La question de la dépendance et de la supply chain est fondamentale, mais elle n’est pas nouvelle et n’est pas liée uniquement à la répartition des ressources naturelles dans le monde. Elle est aussi le résultat de nombreuses années de travaux et d’actions des promoteurs de la mondialisation heureuse. Or certaines forces politiques dans notre assemblée ont été les agents de cette mondialisation pendant de nombreuses années.

Enfin, je voudrais vous poser une question sur le concept de smart defence (défense intelligente) de l’Otan. Quels ont été selon vous les effets de ce concept sur la BITDE ? La logique de mutualisation qui présidait au concept de smart defence en 2012 a-t-elle contribué à l’affaiblissement des BITD nationales ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Concernant l’Allemagne, je peux vous assurer que de nombreux députés de cette commission, y compris vos rapporteurs, ont été vigilants depuis l’origine.

Sur les approvisionnements, je tiens à souligner que l’Europe ne dispose pas de beaucoup de ressources. Nous avons du bois, des terres agricoles, un peu de lignite et c’est à peu près tout. Nous sommes extrêmement dépendants des ressources fossiles, d’où l’effort salutaire de la France sur le nucléaire. Nous sommes presque totalement dépendants pour les matières rares et les approvisionnements critiques. Le facteur géographique est quand même un facteur déterminant et critique pour l’Europe aujourd’hui et seule une action déterminée de manière intergouvernementale ou communautaire peut nous permettre de sortir de cette situation. Sinon, je suis profondément convaincu que nous risquons de sortir de l’Histoire.

Il me semble par ailleurs que cela fait un moment que la Commission et la France sont sorties du paradigme de la mondialisation heureuse. La politique commerciale extérieure de l’UE a changé en partie grâce au rôle moteur de la France.

Concernant le rôle de l’Otan et ses nouveaux projets, notamment son désir de se positionner en tant qu’agence d’acquisition, nous observons une montée en puissance dans des secteurs ciblés. Il nous faut être vigilants car notre priorité n’est pas de renforcer une agence de programme et d’acquisition au niveau de l’Otan, mais plutôt de valoriser les outils européens comme l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar) et l’Agence européenne de défense (AED).

Mme Nathalie Serre (LR). Je tiens à souligner l’excellence du rapport présenté. J’aimerais apporter une remarque, un témoignage et une proposition.

M. le rapporteur Larsonneur a estimé que peu importait que l’on parle d’autonomie stratégique européenne ou d’autonomie stratégique en Europe. Il me semble au contraire que c’est fondamental car l’Europe fédéraliste, je n’en veux pas.

Ensuite, j’aimerais partager un témoignage à la suite d’un déplacement effectué avec le groupe d’amitié France-Allemagne. Nous avons été reçus par Thomas Hitschler, ministre délégué allemand de la défense et plusieurs collègues ont noté à cette occasion un changement dans le discours sur le financement des PME et des ETI. C’est aussi devenu un problème en Allemagne.

Enfin, je propose que votre rapport soit traduit dans toutes les langues européennes afin de partager notre vision. De plus, j’aimerais savoir si d’autres parlements européens ont mené le même travail que vous.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Je dois admettre que nous ne regardons pas suffisamment les travaux des autres. Il est évident que nous manquons d’une connaissance du tissu industriel américain ainsi que de nombreuses BITDE.

En ce qui concerne la question du lexique, je n’ai pas voulu m’appesantir sur une querelle de langage dans un exposé liminaire. J’ajoute que nous avons rappelé à de multiples reprises qu’en l’état des traités, nous défendions clairement l’intergouvernemental dans le cadre du Conseil. Il me semble que notre ligne est assez claire.

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. Il est clair que le terme d’autonomie stratégique européenne a pu créer un trouble dans certains pays européens qui y ont vu une volonté française de remplacer l’Otan par une autonomie stratégique européenne. Si nous voulons être entendus dans différents pays européens, il est évident que le terme autonomie stratégique de l’Europe est plus approprié.

En ce qui concerne nos amis allemands, ils sont effectivement confrontés au même défi que nous. Ils rencontrent les mêmes problèmes, en particulier en ce qui concerne les critères ESG. Toutefois, une différence notable réside dans le soutien qu’apportent les banques régionales aux usines de leur territoire.

M. Vincent Bru (Dem). Le groupe Modem se félicite de cet excellent rapport, riche en analyses et propositions.

L’Europe, et plus particulièrement la France, a longtemps eu des besoins limités en matière militaire. La lutte contre les groupes terroristes et le risque de conflits de haute intensité imposent désormais des besoins bien différents.

Le retour d’un conflit de haute intensité sur le territoire européen a mis en lumière nos défaillances. Nous avons des capacités limitées de production au sein de l’industrie de défense et nous sommes dépendants de pays situés en dehors de l’Europe.

Je souhaiterais donc vous questionner sur la notion de profondeur stratégique à l’échelle européenne, en mettant l’accent sur nos capacités de remobilisation et de densification des capacités industrielles. Pourriez-vous nous éclairer davantage sur ce sujet ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Je pense que l’ensemble de notre rapport est une réponse à cette question.

Si nous voulons éviter, quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine, que la Russie n’ait des menées agressives dans les pays baltes, les Balkans, la Moldavie, la Géorgie, etc., l’état de l’industrie constituera un facteur clé. Or, à titre personnel, je doute qu’en restant dans les étiages actuels, même avec l’excellente loi de programmation militaire (LPM) que nous avons votée, même avec les efforts polonais, nous puissions l’en dissuader. En cas d’engagement majeur, nous aurions 20 000 hommes à projeter et en termes de munitions et de matériel, l’attrition serait rapide. C’est insuffisant.

Il est donc nécessaire d’agir ensemble et de ce point de vue, la Commission fait un travail intéressant. Cependant, il manque encore des volumes financiers importants. Par ailleurs, les commandes étatiques sont un sujet clé. Sommes-nous capables d’avoir une industrie qui, en l’absence de commandes, peut rapidement monter en puissance ?

Sur le plan géostratégique, la garantie de notre sécurité reste la profondeur stratégique, y compris dans sa dimension transatlantique. Cependant, à chaque élection américaine, à chaque swing state qui vacille, nous jouons notre sécurité aux dés.

Nous devons renforcer notre industrie de défense rapidement si nous voulons assurer l’existence même de l’Europe et de la démocratie.

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. Je partage ces propos et j’y ajouterai trois éléments.

Une profondeur stratégique en Europe impose des dépenses. Je rappelle que durant la guerre froide, elles atteignaient environ 3 % du produit intérieur brut dans tous les pays.

Un des éléments pour atteindre ce niveau de 3 % pourrait être d’exclure une partie des dépenses de défense du pacte de stabilité. Plusieurs pays y sont favorables, et même l’Allemagne commence à y réfléchir.

Enfin, sur la profondeur stratégique industrielle, la fragmentation de l’industrie de défense est peut-être un atout. Comme nous avons beaucoup de sites, nous sommes collectivement moins susceptibles d’être victimes de sabotages.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Au nom du groupe Horizons et apparentés, je tiens à souligner la qualité du rapport que vous nous avez présenté. Il est à la fois éclairant et passionnant, et sa présentation dynamique a su captiver notre attention.

Je souhaite revenir sur les défis des coopérations industrielles dans le domaine spatial.

Le 5 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de résolution européenne relative à l’adoption d’un règlement européen sur l’espace, actant ainsi la nécessité de renforcer la coopération européenne dans le domaine spatial. Cependant, vous indiquez dans votre rapport que de lourdes divergences existent sur des projets majeurs. Nous regrettons que cette compétition intra-européenne renforce la position dominante des États-Unis, qui concentrent plus de trois quarts des investissements dans l’économie spatiale.

J’aimerais connaître votre opinion, à l’aune des nombreuses auditions que vous avez menées, sur les perspectives de ces coopérations européennes. Pensez-vous qu’à court ou moyen terme, nous puissions apaiser cette rivalité entre pays européens et éventuellement rivaliser avec les États-Unis ?

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. Je ne suis pas résolument optimiste. Nous nous sommes bercés des illusions de la mondialisation heureuse et nous avons cru que le commerce et la concurrence résoudraient tout. Or nous savons qu’il existe des secteurs stratégiques où la mutualisation et la collaboration sont indispensables pour devenir un acteur majeur. C’est ce qui a notamment permis le succès d’Ariane jusqu’à présent.

J’ai malheureusement l’impression que la mutualisation et la collaboration reculent dans le domaine spatial, avec le risque que cela bénéficie finalement aux États-Unis.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Il faut quand même signaler que pour des lancements institutionnels, l’Europe et les Européens ont recours à SpaceX. Ce n’est pas normal et j’espère qu’il sera possible d’instituer une préférence européenne à moyen terme.

Concernant le segment des lanceurs lourds, il ne devrait pas y avoir de concurrence intra-européenne. Par contre sur les autres segments, il est permis d’être inquiet.

Mme Anna Pic (SOC). Nous partageons l’essentiel du diagnostic, mais pas l’ensemble des propositions, notamment parce qu’une ambiguïté persiste sur la capacité à porter une préférence européenne lorsque le terme de « communautarisation rampante » est employé. C’est clairement une dévalorisation du terme de communautarisation.

Cependant, il est indéniable que la stratégie et les intérêts américains vis-à-vis du continent européen changent profondément. Cela doit nous conduire à nous interroger sur l’avenir de l’Otan et sur notre intégration en son sein, quels que soient les résultats des élections américaines.

Par ailleurs, nous savons que certains pays européens sont inquiets de cette idée d’une défense européenne. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer que nous sommes confrontés aux mêmes enjeux et que nous agissons pourtant de manière isolée. L’intergouvernementalité est utile, mais elle ne peut pas être une règle absolue, au risque d’aboutir à une multiplication d’initiatives concurrentes.

Je souhaite également souligner une autre difficulté non mentionnée, la dépendance de la plupart de nos PME et sous-traitants à un seul donneur d’ordres. Comment y remédier pour éviter que les problèmes d’un grand donneur d’ordre n’entraînent une perte massive de compétences dans l’ensemble d’un tissu industriel ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Nous observons que la Commission évolue à la marge, à la lisière des traités, et que c’est une situation juridique délicate. Un commissaire à l’industrie de défense peut rentrer peu ou prou dans le champ du marché intérieur, mais un commissaire à la défense, ce n’est pas dans les traités.

M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). À mon tour, je félicite les deux rapporteurs pour le travail qu’ils ont mené.

Notre groupe soutient pleinement cette volonté d’assumer une préférence européenne. C’est le seul moyen de préserver notre BITD et les centaines de milliers d’emplois qui y sont liés.

Est-ce qu’actuellement les fonds des contribuables européens sont exclusivement fléchés vers les industries européennes ? Plus concrètement, des instruments tels que la FEP peuvent-ils être détournés pour financer des achats d’équipements ou de munitions à des pays tiers ?

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. Il est important de distinguer l’acquisition d’urgence de l’acquisition de long terme.

C’est l’acquisition d’urgence qui explique qu’une partie des fonds FEP soit utilisée pour l’achat de matériel extracommunautaire. Lorsque les Ukrainiens sont sous les bombes, nous ne pouvons pas les y laisser en attendant que ce soient nos industriels qui fournissent le matériel.

À moyen-long terme, nous souhaitons en revanche que ce qui est financé en Européens soit acheté en Européens. Cela impose de définir une entreprise européenne.

C’est simple lorsque le capital et la direction sont européens. Par contre, qu’en est-il lorsque tout ou partie du capital est étranger, mais que la direction, la conception, la recherche et le développement sont européens ? C’est un vrai débat. Nous devons trouver des outils pour que la possession du capital n’empêche pas une entreprise d’être européenne.

Enfin, je tiens à préciser que les financements n’ont pas vocation à être attribués à des entreprises qui acceptent exclusivement un rôle de sous-traitant. Nous n’avons pas vocation à renforcer indirectement d’autres BITD.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Pour compléter brièvement sur les flux monétaires, il est inadmissible que les Européens paient trois fois. L’épargne française s’investit dans des fonds de pension américains qui s’investissent dans l’industrie américaine, et les Européens achètent du matériel américain. Ce n’est plus possible et nous voulons que l’épargne collective puisse être fléchée vers le financement de l’industrie de défense.

M. le président Thomas Gassilloud. Merci. Je vous propose de passer maintenant aux questions complémentaires.

M. Mounir Belhamiti (RE). Vous avez évoqué l’autonomie stratégique en Europe. Il est important de souligner que cette autonomie ne se résume pas à la somme des autonomies stratégiques des pays de l’Union européenne. Elle réside également dans notre capacité collective à développer une BITDE.

À cet égard, le mécanisme Edip vise à faciliter et accélérer cette BITDE. Cependant, il n’existe pas de consensus européen sur la définition d’une industrie européenne. Comment pouvons-nous parvenir à entraîner tout le monde dans la direction que nous souhaitons ?

M. Pierre Cordier (LR). Je voudrais témoigner de la situation industrielle de mon département. C’est un département spécialisé dans la forge traditionnelle, avec de l’estampage et de la fonderie. Avec la transition vers les moteurs électriques, nous rencontrons des problèmes majeurs de production puisqu’un moteur thermique nécessite 200 pièces, tandis qu’un moteur électrique n’en requiert que 100.

Une solution envisageable serait de se tourner vers l’industrie militaire. La DGA a d’ailleurs exprimé son intérêt pour ce que nos entreprises peuvent apporter. En revanche, la question du financement et d‘un soutien financier de l’État (direct ou via la Banque publique d’investissement) est cruciale car certaines productions nécessitent des investissements importants pour une production limitée. Je pense notamment à des pièces spécifiques de véhicules blindés.

Mme Lysiane Métayer (RE). Vous soulignez dans votre rapport la nécessité de développer des programmes d’armement en coopération pour réduire les coûts et augmenter la productivité. Cependant, l’histoire de l’aéronautique militaire européenne semble indiquer le contraire.

Ainsi dans les années 1980, les grandes nations européennes ont tenté de se concerter pour définir un avion de combat tactique. La France a choisi de faire cavalier seul, car les spécifications proposées par les Britanniques ne correspondaient pas à ses attentes. Quinze ans plus tard, deux avions ont été produits le Rafale français et l’Eurofighter, construit par un consortium composé du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne. L’Eurofighter s’est révélé être un échec coûteux, malgré sa production dans quatre pays et sur quatre chaînes d’assemblage.

Cette expérience montre que lorsqu’il s’agit d’œuvrer pour l’industrie européenne de défense, le sentiment national prévaut. Ne pensez-vous pas que cette situation pourrait dissuader certains membres de l’Union européenne de développer en coopération des programmes militaires de grande envergure et impliquant plus de deux pays ? Comment éviter qu’une telle situation ne se reproduise ?

M. Jean-Philippe Ardouin (RE). Je tiens à saluer le travail accompli sur un sujet aussi difficile et important.

Dès 2017, le Président de la République a fait de l’Union européenne une priorité politique et a érigé l’autonomie stratégique en principe fondamental.

Je partage avec vous de nombreux constats, dont celui que la guerre en Ukraine a été le catalyseur d’un changement de contexte stratégique en Europe. En cette fin d’année 2024, une éventuelle victoire de M. Donald Trump constituerait comme en 2016 un tournant majeur pour l’Union européenne.

J’aurais souhaité connaître votre opinion sur la position adoptée par notre voisin polonais et sur la volonté des pays situés à l’est de l’Union européenne de devenir des acteurs majeurs dans la mise en place d’une véritable capacité de défense européenne.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Je vous confirme que la défense de la position française sur ce qui est européen ou non est un combat qui ne tourne pas toujours à l’avantage de la France au sein du Conseil.

Dans ce contexte, il est peut-être urgent de s’intéresser à des partis qui ont des idées précises sur la manière d’exercer une influence réelle au Parlement européen en matière de défense européenne.

Concernant l’aéronautique, c’est un secteur où la coopération est essentielle. Cette coopération doit cependant reposer sur des besoins et des calendriers convergents. Elle doit aussi tenir compte des coûts accrus de coordination dans les moments de préparation du programme. Quant à la plus-value attendue, il s’agit de la possibilité d’acquérir des technologies qui ne pourraient être acquises en travaillant seul, de disposer d’une flotte plus standardisée et d’une taille critique suffisante pour permettre d’avoir des matériels aux meilleurs niveaux et en quantités suffisantes.

Ainsi la coopération dans le cadre du SCAF est motivée par la difficulté à développer et financer seul un programme de ce type. Il n’est cependant pas certain qu’à l’horizon 2030-2040, pour des raisons de coût notamment, les flottes puissent atteindre un format satisfaisant. Par conséquent, il semble nécessaire de réfléchir dans l’intervalle à des évolutions des équipements existants et de penser à l’exportabilité.

M. Jean-Louis Thiériot, co-rapporteur. En ce qui concerne la Pologne, je tiens à souligner l’accueil chaleureux que nous avons reçu de nos amis polonais. Il y a un an et demi, lors de ma mission sur la défense sol-air, ils étaient convaincus de l’indéfectibilité de leur lien avec les États-Unis et de la pérennité du parapluie militaire américain. Aujourd’hui, leur discours a changé. Ils sont conscients des effets d’une éventuelle élection de Donald Trump et surtout du pivot américain vers l’Asie. Ils montrent désormais un réel intérêt pour un rapprochement avec les autres pays européens.

La Pologne montre également un intérêt croissant pour une coopération plus étroite avec la France. Une coopération stratégique durable pourrait ainsi être envisagée, ainsi que des perspectives de coopération industrielle, notamment en ce qui concerne les sous-marins de type Scorpène. La Pologne est un grand pays avec une forte tradition industrielle, il est donc essentiel de développer des partenariats plutôt que de simplement vendre nos produits.

Enfin, je souhaite aborder la question de ces PME qui doivent opérer une transition en sortant de l’automobile. Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir une DGA réactive et un financement adéquat.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Je confirme qu’en Pologne, de nombreux interlocuteurs nous ont clairement exprimé leur volonté de développer une autonomie stratégique et une BITD locale. De ce point de vue, le caractère démonstratif de tout ce que nous pourrons faire en termes de présence militaire sur place serait très significatif. Nous voyons en effet qu’en Roumanie et dans les pays baltes, la présence visible d’engins blindés mécanisés est un atout parfois décisif.

M. le président Thomas Gassilloud. Merci, Messieurs les rapporteurs, pour votre important travail. Nous devons maintenant voter l’autorisation de publication de ce rapport.

La commission autorise le dépôt du présent rapport d’information.

 

 

 


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   Annexe 1 :

Recommandations de vos rapporteurs

 

  1.    Lever les obstacles aux coopérations industrielles

 

  1.    Lever l’obstacle du contrôle des exportations

 

– Réviser l’accord franco-germano-espagnol de 2019 sur le contrôle des exportations :

 

 

 

 

Fluidifier les échanges de données nécessaires dans le cadre de projets en coopération, en promouvant au niveau européen le modèle de la licence LGT FR 11 sur les transferts intracommunautaires ;  

– Dans le cadre de la révision de la position commune sur les exportations d’armes, promouvoir au sein du Comité Armement du Conseil de l’UE une approche respectant la souveraineté et la liberté d’exportation des États membres ;

Refuser toute communautarisation du contrôle des exportations d’armement.

 

  1.    Lever les obstacles dans la conduite des programmes en coopération

 

– Renforcer la coordination de la demande :

 

 

 

 

– Favoriser systématiquement le principe du best athlete pour les maîtres d’œuvre et privilégier d’autres instruments que les programmes en coopération pour faire monter en compétence les autres industriels ;

– Dans le secteur spatial, supprimer, ou à tout le moins aménager, le principe de retour géographique dans le cadre de l’agence spatiale européenne (ESA).

 

  1.    Favoriser les consolidations industrielles

 

– Soutenir les perspectives de consolidation Arquus/John Cockerill et KNDS/ Leonardo ;

– Intégrer l’Italie au programme MGCS ;

– S’inspirer du modèle de MBDA pour consolider l’industrie européenne du secteur terrestre ;

– Faciliter les consolidations intra-européennes, en assouplissant le contrôle des investissements étrangers lorsque l’entreprise concernée était sous contrôle d’un pays tiers et qu’elle est destinée à passer sous contrôle d’une entreprise européenne (exemple de Microtecnica avec Safran).

 

 

  1.    Favoriser le financement de la BITD européenne

 

  1.    Lutter contre les pratiques discriminatoires des acteurs privés

 

– Publier une communication conjointe entre la Commission européenne, d’une part, et la fédération bancaire européenne et l’association européenne des gérants d’actifs, d’autre part, qui met en exergue l’absence de contradiction entre l’investissement dans la défense et les réglementations en vigueur ;

– Initier une réflexion au niveau européen sur la possibilité d’interdire aux acteurs financiers de discriminer le secteur de la défense dans leur politique d’investissement ;

– Proscrire la notion d’« armes controversées », dépourvue de pertinence juridique et utilisée de façon intempestive par des acteurs financiers tels que les agences ESG.

 

  1.    Modifier la politique de prêt de la banque européenne d’investissement (BEI)

 

Mettre fin à l’exclusion des « armes et munitions » de l’admissibilité aux financements de la BEI.

 

  1.    Promouvoir de nouveaux financements pour l’industrie de défense

 

– Créer au niveau européen un fonds de fonds doté d’un financement d’au moins un milliard d’euros pour favoriser l’investissement en capital dans les PME-ETI de défense européennes ;

– Dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE, prévoir la création d’un fonds de 100 milliards d’euros en faveur de l’industrie de défense européenne, sur le modèle du fonds de relance Next Generation EU, sous un pilotage intergouvernemental ;

– Appliquer de façon souple la réforme du pacte de stabilité, qui prévoit de tenir compte de l’augmentation des dépenses de défense pour apprécier l’existence d’un « déficit excessif » ;

– Au niveau national, flécher l’épargne collective vers le financement de l’industrie de défense (PEA-PME / livret épargne souveraineté dédié / modèle des « fonds Tibi » / livret A).

 

 

  1.    Une nouvelle ambition pour les instruments européens

 

  1.    Réformer le fonds européen de défense (FED)

– Favoriser une meilleure adéquation entre les projets financés par le FED et les besoins capacitaires des États-membres :

 

 

 

 

– Optimiser le fonctionnement du FED :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1.    Assumer une préférence européenne dans le cadre du prochain programme d’investissement pour l’industrie de défense (EDIP)

 

– Réduire nos dépendances aux approvisionnements stratégiques auprès de pays tiers :

 

 

 

– Établir des critères d’éligibilité stricts aux financements européens pour promouvoir l’autonomie stratégique en Europe :

 

 

 

 

– Inciter les États membres à acheter européen et lutter contre les acquisitions massives auprès de pays tiers :

 

 

 

 

 

– Anticiper les conséquences potentiellement préjudiciables sur les industries de défense des projets de réglementations européennes dans les domaines autres que la défense :

 

 

 

  1.    Amplifier la contribution de la BITD française à l’autonomie stratégique en Europe

 

– Adapter nos outils de soutien aux exportations :

 

 

 

 

 

– Adapter nos programmes d’équipements :

 

 

 

 

 

Diversifier nos partenariats en Europe, en renforçant notamment notre coopération capacitaire avec la Pologne et la Suède, et en se saisissant du cadre de « Framework Nations Concept » (« FNC ») de l’OTAN pour développer un rôle de Nation-Cadre sur des segments capacitaires à identifier.      


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   Annexe 2 : Auditions et déplacements des rapporteurs

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

 Comité Richelieu – M. Thierry Gaiffe, président de la « commission défense » ;

 Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS)M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint ;

 Naval GroupMme Marie-Laure Bourgeois, directrice du développement et membre du comité exécutif ;

 Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) M. le général (2S) Frédéric Parisot, délégué général ;

 Direction générale de l’armement (DGA) M. l’ingénieur général de l’armement Yves Colin, directeur adjoint de la direction du développement international, et Mme Caroline Bilbija, chef du bureau des affaires industrielles internationales ;

 Université Queen Mary (Londres) M. Pierre Haroche, maître de conférences en relations internationales et sécurité internationale ;

 M. Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux ;

 État-major des Armées M. le vice-amiral Éric Malbrunot, adjoint du sous-chef d’état-major « plans » ;

 Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) M. Philippe Missoffe, délégué général, M. Jean-Marie Dumon, délégué général adjoint, et M. Arnaud Martins Da Torre, délégué à l'internationalisation et à l'export ;

 Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) M. le général (2S) Jean-Marc Duquesne, délégué général, Mme Isabelle Desjeux, chargée des affaires européennes, M. Lilian Eudier, responsable des études, RSE et RH, et Mme Léa Benassem-Durieux, directrice des affaires publiques France et Europe ;

 Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) M. l’ingénieur général de l’armement (2S) Denis Lizandier, directeur adjoint ;

 Aresia M. Bruno Berthet, président, M. le général (2S) Matthieu Pellissier, conseiller militaire, M. François-Xavier Choussy, directeur commercial groupe et M. Thierry Perardel, responsable des affaires institutionnelles ;

 Tikehau Capital M. Marwan Lahoud, président du private equity ;

 Weinberg Capital Partners M. Lionel Mestre, associé et directeur général de l’expertise Eiréné, et M. David Lebain, directeur associé ;

 AirbusM. Philippe Coq, directeur des affaires publiques, M. le général (2S) Guy Girier, conseiller défense du président, M. le vice-amiral d’escadre (2S) Olivier Lebas, conseiller militaire naval, M. Olivier Masseret, directeur des relations institutionnelles, et M. François Fourmond, chargé de mission aux affaires publiques ;

 MBDA France M. Éric Béranger, président-directeur général, M. l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller défense, et Mme Anne-Sophie Thierry-Bozetto, responsable des relations publiques et parlementaires ;

 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)M. l’ingénieur général de l’armement Cyril Crozes, directeur adjoint de la direction des affaires internationales, stratégiques et technologiques ;

 Dassault Aviation M. Bruno Giorgianni, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté, directeur de cabinet du président-directeur général ;

 Safran M. Philippe Errera, directeur international et relations institutionnelles, et M. Fabien Menant, directeur des affaires institutionnelles ;

 ThalesM. Philippe Duhamel, directeur général adjoint, M. Pierre Bénard, vice-président commerce France, M. Alexandre Houlé, directeur de la stratégie, et Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques ;

KNDS France M. Nicolas Chamussy, président-directeur général, M. Alexandre Dupuy, directeur des affaires publiques, de la communication et du commerce France & Europe, et M. Alexandre Ferrer chargé des affaires publiques ;

Fondation pour la recherche stratégique (FRS) Mme Hélène Masson, maître de recherche au pôle défense et industries ;

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères M. Guillaume Ollagnier, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement ;

Parlement européen M. Arnaud Danjean, député, vice-président du groupe PPE ;

ArianeGroup M. Hugo Richard, directeur de cabinet du président, et M. le vice-amiral (2S) Charles-Henri du Ché, conseiller défense ;

Centre national d’études spatiales (CNES) M. Philippe Baptiste, président, et M. Pierre Trefouret, directeur de cabinet ;

Preligens M. François Bourrier-Soifer, directeur général délégué, et M. Marc Antoine, directeur des affaires publiques ;

Arquus M. Emmanuel Levacher, président-directeur général, et M. Charles Maisonneuve, directeur des affaires publiques ;

Institut français des relations internationales (IFRI) M. Léo Péria-Peigné, chercheur au centre des études de sécurité ;

Banque européenne d’investissement (BEI) M. Ambroise Fayolle, vice-président, M. Tanguy Desrousseaux, chef division secteur public et infrastructure, M. Grégoire Chauvière Le Drian, directeur du bureau France, et Mme Alice Terracol, directrice de cabinet, ;

Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) – Chaire Économie de défense – M. l’ingénieur général de l’armement (2S) Olivier Martin, président du comité de pilotage, M. Julien Malizard, titulaire adjoint de la Chaire, et M. Josselin Droff, chercheur ;

Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) – M. l’ingénieur général de l’armement Bertrand Le Meur, directeur stratégie de défense, prospective et lutte contre la prolifération, M. Alexandre Escorcia, chef du service Europe, Amérique du Nord et action multilatérale, Mme Jeanne Laterrade, sous-directrice Europe, M. le capitaine de frégate Vladimir Jevtic, chargé de mission département Union européenne, et M. l’ingénieur en chef de l’armement Reynold Prévost de la Boutetière, délégué contrôle export ;

Fédération bancaire française – Mme Maya Atig, directrice générale, et M. Maxime Durier, responsable des affaires institutionnelles ;

Ambassade de France en Espagne – M. le capitaine de vaisseau Pierre Alzuyeta, attaché de défense, et M. l’ingénieur en chef de l’armement Gérard Lapierre, attaché d'armement ;

Ambassade de France au Royaume Uni – M. le vice-amiral Hervé Hamelin, attaché de défense, et M. l’ingénieur en chef de l’armement Jean Prudhomme, attaché d’armement ;

Ambassade de France en Belgique – M. le colonel Florent Lavigne, attaché de défense Belgique-Luxembourg ;

Ministère des armées – Secrétariat général pour l’administration (SGA) – Mme Laurence Marion, directrice des affaires juridiques ;

Agence européenne de défense (AED) – M. Jean- François Ripoche, directeur pour la recherche, la technologie et l’innovation, et M. Étienne de Durand, directeur de cabinet et chef du bureau politique ;

Commission européenne, direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS) – M. François Arbault, directeur ;

Représentation permanente de la France auprès de l’OTAN  Mme l’Ambassadrice Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l’OTAN ;

Ambassade de France en Allemagne – M. le général Franz Chapuis, attaché de défense, et M. l’ingénieur en chef de l’armement Guillaume Gommard, attaché d’armement ;

Aubert & Duval – M. Bruno Durand, président, et M. Rémi Le Tenier, responsable des affaires publiques ;

Commission européenne – M. Fabrice Comptour, conseiller politique du commissaire Thierry Breton ;

Représentation permanente de la France auprès du Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne – Mme l’Ambassadrice Mathilde Félix-Paganon, représentante permanente de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l’Union européenne ;

Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) – M. Camille Grand, directeur du programme défense, sécurité et technologie.

2.   Déplacements

Stockholm (Suède) – 6-7 février 2024

– Entretien avec M. l’Ambassadeur Etienne de Gonneville, et des personnels de l’ambassade de France en Suède ;

– Entretien avec M. Johan Berggren, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense civile ;

– Entretien avec M. Jens Mattson directeur général de l’Agence de recherche pour la défense nationale suédoise (FOI), et des experts de l’agence ;

– Entretien avec M. Daniel Olsson, conseiller auprès du ministre des Affaires étrangères, et M. Olof Oddbjörn, conseiller au ministère de la défense, experts au comité de défense ;

– Entretien avec M. Mikael Tofvesson, directeur adjoint de l’Agence de défense psychologique (MPF) ;

– Entretien avec M. Björn Fagersten, chercheur à l’Institut des Relations Internationales (UI) ;

– Entretien avec des représentants de la société Saab : M. Bo Torrestedt, vice-président, head of global business development, M. Fredrik Hassel, directeur des affaires publiques, et M. l’amiral (2S) Luc Pagés, directeur de Saab France ;

– Entretien avec M. Björn Fagersten, chercheur à l’Institut des Relations Internationales (UI) ;

– Entretien avec Mme Eva Hagwall, directrice adjointe de l’agence du matériel des armées (FMV), et Mme Hanna Lodin, conseillère au FMV ;

– Entretien avec Mme Hanna Olofsson, directrice de cabinet du président Swedish Security & Defence Industry Association (SOFF).


Rome (Italie) – 21-22 mars 2024

– Entretien avec M. l’Ambassadeur Martin Briens, et des personnels de l’ambassade de France en Italie ;

– Entretien avec des membres du groupe d’amitié France-Italie de la Chambre des députés ;

– Entretien avec M. Antonino Minardo, président de la commission de la défense de la Chambre des députés ;

– Entretien avec M. le vice-amiral Gianfranco Annunziata et M. le vice-amiral Stefano Barbieri, de l’état-major de la défense ;

– Entretien avec M. Guido Crosetto, ministre de la Défense ;

– Entretien avec M. Elio Calcagno et M. le général Vincenzo Camporini de l’Instituto Affari Internazionali (IAI) ;

– Entretien avec Mme l’Ambassadrice Florence Mangin, et M. Marcel Escure, ministre-conseiller, ambassade de France près le Saint-Siège ;

– Entretien avec des représentants de la société Leonardo : M. Marco Buratti, Mme Angelica Falchi, M. Corrado Falco, M. Edoardo Marconi, M. Giorgio Mosca et M. Fabrizio Ravoni.

– Entretien avec des représentants des sociétés Fincantieri et Naviris : M. Damien Raby, M. Paolo Castelnovo, M. Stefano Orlando, M. Guiseppe Tortora et M. Marco Nozzoli ;

– Entretien avec M. Jean-Pierre Darnis, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique (FRS).

– Entretien avec des représentants de la société Simmel Difesa: M. Paolo Reginaldi et M. Antonello Mangino.

 

Varsovie (Pologne) – 9-10 avril 2024

– Entretien avec M. l’Ambassadeur Etienne de Poncins, et des personnels de l’ambassade de France en Pologne ;

– Entretien avec M. Paweł Bejda, vice-ministre de la défense nationale, et M. le général Kuptel, directeur de l’agence de l’armement ;

– Entretien avec des représentants en Pologne des sociétés Nexter, Airbus et Thales;

– Entretien avec M. Krzysztof Trofiniak, président de PGZ, et d’autres représentants de la société ;

– Entretien avec M. le général de corps d’armée Dariusz Łukowski, du bureau de sécurité nationale ; 

– Entretien avec M. Andrzej Grzyb, président de la commission de la défense de la Diète et deux députés membres de la commission ;

– Entretien avec M. Paweł Karbownik, vice-ministre des finances ;

– Entretien avec M. Marcin Kulasek, vice-ministre des actifs publics ;

– Entretien avec M. Jacek Raubo et M. Mateusz Multarzyński, journalistes Defence24.

 

 


([1])  Formule prêtée à Raymond Aron.

([2])  M. Francis Fukuyama, « La Fin de l'histoire et le dernier homme », Flammarion, 1992.

([3])  M. Alain Minc, « La Mondialisation heureuse », Plon, 1997.

([4])  M. Zaki Laïdi, « La Norme sans la force – l’énigme de la puissance européenne », Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2005.

([5])  Commission européenne et Haut représentant de l’UE, « Communication conjointe sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre », 18 mai 2022.

([6]) Revue nationale stratégique 2022.

([7]) Rapport au Parlement 2023 sur les exportations d’armement de la France.

([8]) Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la coopération en matière de défense au sein de l'Union européenne, à Stockholm le 30 janvier 2024.

([9]) Emmanuel Kant, « Qu’est-ce que les Lumières ? », 1784.

([10]) Appel lancé aux États membres de l’UE à l’ouverture du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024. Citation rapportée par M. Olivier Jehin, « Industrie et capacités de défense. Les vingt-sept changent de braquet », B2Pro, 22 mars 2024.

([11]) Revue nationale stratégique 2022.

([12]) US department of defence, « National Defense Industrial Strategy », novembre 2023.

([13]) Commission européenne et Haut représentant de l’UE, Communication conjointe « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résiliente », 5 mars 2024.

([14]) European Automobile Manufacturers' Association, « Facts about the automobile industry », 1er juin 2023.

([15]) SIPRI, « The SIPRI Top 100 arms producing and military services companies », décembre 2023.

([16]) David Bachmann et al., “More European, More Connected and More Capable : Building the European Armed Forces of the Future,” Munich : Munich Security Conference, McKinsey, and Hertie School of Governance, 2017.

([17]) Ces six pays sont couramment désignés comme « les pays de la LoI », en référence à la lettre d’intention du 6 juillet 1998 signée par les ministres de la défense de ces pays « concernant les mesures destinées à faciliter les restructurations de l'industrie européenne de défense.

([18]) Mme Lucie Béraud-Sudreau, Mme Pia Fuhrhop, M. Jean-Pierre Maulny, M. Christian Mölling, « Russia’s war against Ukraine : a new impetus for the harmonisation of European arms export policies », Armament Industry European Research Group (Ares Group), juillet 2023.

([19]) ITAR pour « International Traffic in Arms Regulations », qui désigne le réglementation des États-Unis sur les exportations d’armement.

([20]) Commission européenne et Haut représentant de l’UE, Communication conjointe sur « l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre « , 18 mai 2022.

([21]) Sur la base de l’engagement pris par les Alliés en 2014 de porter à 20 % ou plus la part des dépenses de défense annuelles à l’acquisition de nouveaux équipements majeurs.

([22]) Munich security report, « Defense sitters – Tranforming European Militaries in times of war », juin 2023.

([23]) M. Mounir Belhamiti, « Rapport pour avis sur le projet de loi de finances 2023 pour le programme 146 », Commission de la défense nationale et des forcées armées, Assemblée nationale, 19 octobre 2022.

([24]) Mme Françoise Ballet-Blu et M. Jean-Louis Thiériot, mission « flash » sur le financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2021.

([25]) Mme Françoise Ballet-Blu et M. Jean-Louis Thiériot, mission « flash » sur « le financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) », commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2021.

([26]) The Armament Industry European Research Group (Ares Group), « Financing the EDIBT to ensure the security and sustainability of the European industrial model », seminar report, 19 octobre 2023.

([27]) Association française des investisseurs institutionnels, « ESG et financement de l’industrie de défense - Note d’analyse et d’aide à la décision d’investissement dans l’industrie de la défense au regard des critères ESG », Les Dossiers de l’Af2i, mars 2023.

([28]) Commission européenne, « Access to equity financing for European defence SMEs », 11 janvier 2024.

([29]) M. Raphaël Danino-Perraud, « La criticité des matières premières stratégiques pour l’industrie de défense  », IRSEM, étude n° 72, novembre 2019.

([30]) Munich security report, « Defense sitters – Tranforming European Militaries in times of war », juin 2023.

([31]) M. Sebastian Clap, «Reinforcing the European defence industry », European Parliamentary Research Service, juin 2023.

 

([32]) M. Sebastian Clap, «Reinforcing the European defence industry », European Parliamentary Research Service, juin 2023.

 

([33]) OTAN, « Déclaration du Conseil de l’Atlantique Nord sur les récentes activités hybrides de la Russie » , 2 mai 2024.

([34]) Parlement européen, « Évaluation de l’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (APRD) et du programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) : enseignements à tirer pour la mise en œuvre du Fonds européen de la défense (FED) », mai 2021 : « Selon une règle générale pour les projets coopératifs, souvent mise en avant par les fabricants, le coût d’un projet est multiplié par la racine carrée du nombre de participants : coût total de la coopération = coût normal√nombre de participants. Par exemple, un projet d’un milliard d’euros coûterait 1,41 milliard d’euros s’il était mené avec deux participants, 1,73 milliard d’euros s’il était mené avec trois participants, 2 milliards d’euros s’il était mené avec quatre participants, 2,24 milliards d’euros s’il était mené avec cinq participants, et ainsi de suite ».

([35]) Cour des comptes, « La coopération européenne en matière d’armement », avril 2018.

([36]) Agence européenne de défense, « Coordinated Annual Review on Defence Report », novembre 2022.

([37]) Cible convenue par les États membres dans le cadre de l’agence européenne de défense en 2007.

([38]) Mme Johanna Möhring, « Troubled Twins : The FCAS and MGCS Weapon Systems and Franco-German Co-operation », Étude de l’Ifri, Ifri, December 2023.

([39]) MM. Richard Ford, Josselin Droff, Olivier Martin, « L’inefficacité des programmes d’armement en coopération : un mythe ? », Chaire Économie de défense – IHEDN, 9 mars 2023.

([40]) Cour des comptes, « La coopération européenne en matière d’armement », avril 2018.

([41]) M. Michel Cabirol, « Missiles : MBDA face au défi inédit d'augmenter brutalement ses cadences de production »,  La Tribune, 15 mars 2024.

([42]) Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2022, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 octobre 2021.

([43]) Report de missions institutionnelles initialement prévues sur Soyuz du fait de la guerre en Ukraine.

([44]) Report de missions institutionnelles initialement prévues sur Soyuz du fait de la guerre en Ukraine.

([45]) Mme Anne Rovan et M. Pierre Avril, « L’Allemagne s’oppose à Iris2, ‘‘le Starlink européen’’ jugé trop favorable à la France », Le Figaro, 3 mai 2024.

([46]) M. Vincent Lamigeon, «  "On va tous crever": le cri d'alarme du patron du spatial français », Challenges, 29 mars 2024.

([47]) M. Vincent Lamigeon, « Microtecnica, Ariane 6, SCAF : le patron de Safran joue les Tontons flingueurs », Challenges, 7 décembre 2023.

([48]) L’Espagne n’est cependant pas membre de l’ESSI.

([49])  MM. Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, « Zeitenwende : La Bundeswehr face au changement d’ère », Focus stratégique, n° 116, Ifri, septembre 2023.

([50])  M. Emmanuel Grasland, « Des résultats record pour le géant de la défense Rheinmetall », Les Échos, 15 mars 2024.

([51]) SIPRI, « Trends in World military expenditure 2023 », avril 2024.

([52]) Allocution du président du Conseil européen Charles Michel à la conférence annuelle de l’agence européenne de défense, 30 novembre 2023.

([53]) Agence européenne de défense, « 2022 Defence Data Publication », novembre 2023.

([54]) SIPRI, « Trends in World military expenditure 2023 », avril 2024. Il s’agit d’estimation pour la Chine et la Russie.

([55]) Commission européenne, DG DEFIS, « Consultation on the new European Defence Industrial Strategy », octobre 2023.

([56]) Rapport annuel 2023 du Secrétaire général de l’OTAN, mars 2024.

([57]) Agence européenne de défense, «  2022 Defence Data Publication », novembre 2023.

([58]) SIPRI, « Trends in World military expenditure 2023 », avril 2024.

([59]) Commission européenne et Haut représentant de l’UE, « Communication conjointe sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre », 18 mai 2022.

([60]) SIPRI, « Trends in International Arms Transfers », 2023, mars 2024.

([61]) SIPRI, « Trends in International Arms Transfers », 2023, mars 2024.

([62]) M. Jean-Pierre Maulny, « The impact of the war in Ukraine on the European defence market », IRIS, septembre 2023.

([63]) M. Enrico Letta, «Much more than a market», avril 2024.

([64]) US Department of state, Fiscal Year 2023 U.S. Arms Transfers and Defense Trade.

([65]) Cour des comptes, « Le soutien aux exportations de matériel militaire », janvier 2023.

([66]) SIPRI, Trends in International Arms Transfers, 2023, mars 2024.

([67]) SIPRI, « Trends in International Arms Transfers 2023 », mars 2024.

([68]) M. Michel Cabirol, «Hélicoptères : la coopération entre Leonardo et Bell met l'autonomie stratégique européenne à l'épreuve », La Tribune, 29 février 2024.

([69]) Mme Anne Bauer, « BAE Systems boucle son mégarachat de Ball Aerospace », Les Échos, 22 février 2024.

([70]) M. Régis Soubrouillard, « La défense européenne ‘‘colonisée’’ par les fonds d’investissement américains ? », Challenges, 11 janvier 2024.

 

([71]) Au travers de la société Comlog, société commune entre MBDA Allemagne et le groupe américain Raytheon.

([72]) M. Nicolas Gros-Verheyde, B2 Pro, 17 février 2024, https://club.bruxelles2.eu/2024/02/verbatim-lukraine-sera-associee-au-modele-de-defense-europeen-von-der-leyen/

([73]) Pr Wooyeal Paik, « The Korean defense industry enters the European security theater – an analysis of Korea-Poland arms deal », Research Paper, IRSEM, 22 février 2024.

([74]) Mme Louise Souverbie, « La stratégie de réarmement et de montée en puissance industrielle de la Pologne dans le contexte de la guerre en Ukraine », IRIS, juillet 2023.

([75])  Commission européenne, « Orientations relatives à la passation de marchés de gouvernement à gouvernement dans les domaines de la défense et de la sécurité [article 13, point f), de la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil] ».

([76])  Ibid.

([77]) Mme Muriel Roques-Etienne et M. Philippe Benassaya, « Mission flash sur les marchés publics européens de défense », Commission de la défense nationale et des forces armées et commission des affaires européennes, Assemblée nationale, 29 septembre 2021.

([78])  Commission européenne, « Communication interprétative sur l'application de l'article 296 du traité dans le domaine des marchés publics de la défense, 7 décembre 2006. À noter que l’article 296 TCE est devenue l’article 346 TFUE.

([79]) Mme Muriel Roques-Etienne et M. Philippe Benassaya, « Mission flash sur les marchés publics européens de défense, » Commission de la défense nationale et des forces armées et commission des affaires européennes, Assemblée nationale, 29 septembre 2021.

([80]) GIFAS et Conseillers du commerce extérieur de la France, « Les compensations industrielles-guide à l’attention des ETI et PME », juin 2019 : «plusieurs appels d’offres en cours (2019) publiés par des États européens comportent un volet ‘‘compensations Industrielles’’ : la Finlande, pour les futurs chasseurs FX (les compétiteurs sont européens ou US) ; les Pays-Bas pour leurs futurs sous-marins (les compétiteurs sont européens) ; la Norvège, pour les futurs sous-marins 212 CD (un seul compétiteur restant : un consortium principalement allemand)»

([81]) Hélène Masson, Kévin Martin, « La directive 2009/81/CE : d'hésitants premiers pas », Defense&Industries n°3, mars 2015.

([82]) Mme Hélène Masson, « European Defence Fund – EDF 2022 calls results ans comparison with EDF 2021 », fondation pour la recherche stratégique, 17 juillet 2023.

([83])  En ayant recours aux contrats-cadres mis en place par la France, l’Allemagne, la Suède et l’agence de soutien et d’acquisition de l’OTAN.

([84])  M. Olivier Jehin, « Sept États membres ont passé des commandes de munitions via l’EDA en 2023 », B2 Pro, 16 avril 2024.

([85])  Mme Aurélie Pugnet, « Munitions pour l’Ukraine : où en sont les promesses de l’UE ? », Euractiv, 17 avril 2024.

([86]) ASAP pour « Act in Support of Ammunition Production ».

([87]) EDIRPA pour « European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act ».

([88]) EDIS pour « European Defence Industrial Strategy ».

([89]) EDIP pour « European Defence Industry Programme ».

([90]) En vertu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), la compétence de la Commission sur le fondement de cet article est en effet conditionnée à la démonstration de l’objectif de réduire les distorsions de concurrence ou les obstacles à la libre circulation, ce qui n’est bien sûr pas l’objectif d’un régime de sécurité des approvisionnements pour la défense.

 

([91])  Dans l’hypothèse où le pays tiers ou l’entité de ce pays a fait l’objet d’une évaluation au sens du règlement (UE) 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE), lequel fixe des critères relativement lâches pour les États membres.

 

([92])  Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 juillet 2022.

([93])  M. Philippe Jacqué, « La défense, nouvelle priorité industrielle de la prochaine Commission européenne », Le Monde, 29 avril 2024.

([94])  Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020, sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

([95])  Commission européenne et Haut représentant de l’UE, « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résilient », 5 mars 2024.

([96])  Commission européenne et Haut représentant de l’UE, « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résilient », 5 mars 2024.

([97])M. Jean-Louis Thiériot, « Proposition de loi visant à interdire l’usage des labels financiers excluant les entreprises du secteur de la défense », n° 1220, 10 mai 2023, Assemblée nationale.             

([98]) Fédération bancaire française, « Réponse à la consultation de la Commission européenne sur la stratégie européenne pour l’industrie de défense ».             

([99])  Banque européenne d’investissement, « Admissibilité aux financements de la BEI, liste des activités et des secteurs exclus », 2022.

([100])  Banque européenne d’investissement, « les ministres de la défense de l’UE activent le plan d’actions du groupe BEI destiné à renforcer le soutien à l’industrie européenne de sécurité et de défense », 12 avril 2024.

([101])  Commission européenne et Haut représentant de l’UE, « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résilient », 5 mars 2024.

([102])  Résolution du Parlement européen du 28 février 2024 sur les activités financières de la Banque européenne d’investissement. Dans sa résolution, le Parlement invite en particulier « à modifier sa liste d’éligibilité afin que les munitions et les équipements militaires qui vont au-delà des applications à double usage ne soient plus exclus du financement de la BEI ».

([103])  Résolution législative du Parlement européen du 23 avril 2024 sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) nº 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs", considérant 14 bis.

([104])Proposition de loi visant à flécher l’épargne non centralisée des livrets réglementés vers les entreprises du secteur de la défense nationale, Assemblée nationale, 23 janvier 2024.

([105]) Commission européenne, « La Commission demande à la Tchéquie de se conformer à la directive relative aux marchés publics dans le domaine de la défense », 7 février 2004. Voir également Mme Emmanuelle Stroesser, « République tchèque. Un contrat passé en fraude des règles communautaires ? », B2 Pro, 8 février 2024.

([106]) SIPRI, « Trends in International Arms Transfers 2023 », mars 2024. 

([107]) M. Jean-Michel Bezat, « Les exportations tirées par le Rafale», Le Monde, 18 avril 2024.

([108]) SIPRI, « Trends in International Arms Transfers », 2023, mars 2024.

([109]) M. Jean-Loup Samaan, « Les Émirats arabes unis et la compétition sino-américaine. Vers une politique de non-alignement ? », Briefings de l’Ifri, Ifri, 2 décembre 2022.

([110]) M. Jean-Pierre Maulny, « The impact of the war in Ukraine on the European defence market », IRIS, septembre 2023.

([111]) Rapport au Parlement 2023 sur les exportations d’armement de la France.

([112])  Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, de M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, et de M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur le rapport annuel du Gouvernement au Parlement portant sur les exportations par la France, Assemblée nationale, 26 septembre 2023.

([113])  M. Jean-Michel Bezat, « En 2023, la défense antiaérienne a gonflé le carnet de commandes de MBDA », Le Monde, 13 mars 2024.

([114])  Rapport au Parlement 2023 sur les exportations d’armement de la France.

([115]) Ibid.

([116]) Cour des comptes, « Les dispositifs de soutien à l’exportation », octobre 2022.

([117]) Cour des comptes, « Les dispositifs de soutien à l’exportation », octobre 2022.

([118])  Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, de M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, et de M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur le rapport annuel du Gouvernement au Parlement portant sur les exportations par la France, Assemblée nationale, 26 septembre 2023.

([119])  Loi de programmation militaire 2024-2030, rapport annexé, section 2.2.4 : « Les espaces de partage, sous un format ‘‘club utilisateurs’’, seront développés, en s'appuyant sur nos succès à l'export tels que le Rafale ou le CAESAR ».

([120])  Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, de M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, et de M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur le rapport annuel du Gouvernement au Parlement portant sur les exportations par la France, Assemblée nationale, 26 septembre 2023.

([121]) Cour des comptes, « Les dispositifs de soutien à l’exportation », octobre 2022.

([122])  M. Léo Péria-Peigné, « Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité ? », Focus stratégique, n° 113, Ifri, décembre 2022.

([123]) M. Jean-Dominique Merchet, « Défense : les frustrations de l’armée de terre », L’Opinion, 6 février 2023.

([124])  Mme Anne-Françoise Hivert, « En Suède, l’armement tourne à plein régime », Le Monde, 21 mars 2024.

([125])   Mme Virginie Robert et Mme Anne Bauer, « L'Europe doit augmenter ses capacités souveraines de défense », interview de Micael Johansson, PDG de Saab, Les Échos, 14 nov. 2023.