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N° 2626

 

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 mai 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

dÉposÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])

sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation
d’un parcours
résidentiel durable

et prÉsentÉ par

M. Stéphane PEU, Président,

et

M. MickaËl COSSON, Rapporteur,

Députés

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TOME II – COMPTES RENDUS

 

 

 

 

La mission d’information, créée par la Conférence des présidents, sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, est composée de : M. Stéphane Peu, président ; M. Mickaël Cosson, rapporteur ; MM. Thibault Bazin et Dominique Da Silva, vice-présidents ; Mmes Martine Etienne et Anaïs Sabatini, vice-présidentes, Mmes Anne Brugnera, Véronique Louwagie, Marjolaine Meynier-Millefert, M. François Piquemal, secrétaires ; M. Julien Bayou, Mme Véronique Besse, M. Lionel Causse, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. François Jolivet, Mme Annaïg Le Meur, M. Philippe Lottiaux, Mme Jacqueline Maquet, M. William Martinet, M. Jean-Paul Mattei, M. Paul Molac, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Alexandre Vincendet, M. Guillaume Vuilletet, membres.


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SOMMAIRE

 

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Pages

TRAVAUX DE LA MISSION

1. Audition de Mme Roselyne Conan, directrice de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil), Mme Odile Dubois-Joye, directrice des études à l’Anil et M. Louis du Merle, directeur juridique de l’Anil (mercredi 13 septembre 2023 à 9 heures 30)

2. Table-ronde avec des acteurs du bâtiment et de la construction, réunissant M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment, M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques et Mme Léa Ligneres, chargée d’études ; M. David Morales, viceprésident de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, en charge des affaires économiques, et M. Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles ; Mme Françoise Despret, présidente de la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage, M. Loïc Berger, administrateur et M. David Lemaire, secrétaire général (mardi 10 octobre 2023 à 17 heures 30)

3. Audition de Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires et M. Christophe Canu, directeur des études économiques et financières (mercredi 11 octobre 2023 à 14 heures)

4. Table ronde avec des associations : M. Jean-Yves Mano, président de la confédération Consommation–Logement–Cadre de vie ; M. Alain Misse, juriste à l’association Force ouvrière Consommateurs ; M. Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la Confédération nationale du logement et Mme Margaux Aldebert, chargée de mission (mercredi 11 octobre 2023 à 16 heures 30)

5. Table ronde avec des acteurs de l’immobilier : M. Alexis Lagarde, viceprésident de l’Union nationale des propriétaires immobiliers et M. Émile Hagège, directeur général de l’Association des responsables de copropriété (jeudi 12 octobre 2023 à 9 heures 30)

6. Audition de MM. Benjamin Gallèpe, directeur général, et Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique de la Fédération des élus des entreprises publiques locales (jeudi 12 octobre 2023 à 11 heures)

7. Table-ronde avec des acteurs de l’immobilier : MM. Loïc Cantin, président, Jérôme de Champsavin, président adjoint et Emmanuel Chambat, secrétaire général de la Fédération nationale de l’immobilier ; Mme Danielle Dubrac, présidente, et Géraud Delvolvé, délégué général de l’Union des syndicats de l’immobilier ; Pierre Hautus, délégué général de l’association Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux (jeudi 12 octobre 2023 à 17 heures)

8. Table-ronde réunissant les organismes de contrôle et de garantie du logement social : M. Serge Bossini, directeur général de l’Agence nationale de contrôle du logement social et Mme Marianne Laurent, directrice générale de la Caisse de garantie du logement locatif social (mercredi 18 octobre 2023 à 14 heures)

9. Audition de M. Damien Botteghi, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, M. Emmanuel Rousselot, sous-directeur du financement et de l’économie du logement, M. Benoît Chantoiseau, chef du bureau du développement de l’offre de logements sociaux et intermédiaires, et M. Raphaël Montagner, adjoint au chef du bureau de la fiscalité du logement et de l’aménagement (mercredi 18 octobre à15 heures 30)

10. Audition de M. Pascal Boulanger, président, de Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles, et de M. Didier Bellier Ganiere, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI) (jeudi 19 octobre 2023 à 9 heures 30)

11. Audition de MM. Bruno Arcadipane, président, Philippe Lengrand, vice-président et Édouard Quinchon, directeur Territoires et Affaires publiques et Mme Akila Mat, responsable des relations institutionnelles du groupe Action Logement. (jeudi 19 octobre 2023 à 11 heures)

12. Audition de M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement (mercredi 25 octobre 2023 à 17 heures 30)

13. Audition de M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires, de Mme Sophie Vaissière, directrice des relations institutionnelles et des affaires stratégiques et de Mme Selda Gloanec, conseillère pour les relations institutionnelles de la Caisse des dépôts et consignations (mercredi 15 novembre 2023 à 14 heures)

14. Audition de Mmes Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale, et Karine Hurel, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des agences d’urbanisme, de Mme Stéphanie Jankel, directrice d’études en charge des sujets « Habitat » et « Hébergements » à l’Atelier parisien d’urbanisme et de Mme Anne-Claire Davy, chargée d’études « Habitat et modes de vie » à l’Institut ParisRégion (jeudi 23 novembre 2023 à 14 heures)

15. Audition de Mmes Aurélie Goin, cheffe de la division « Logement et patrimoine » et Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l’Insee (jeudi 7 décembre 2023 à 14 heures)

16. Audition de Mmes Virginie Carolo-Lutrot, présidente de Caux Seine agglo et première vice-présidente, Claire Delpech, responsable du pôle « Habitat » et Montaine Blonsard, responsable des relations avec le Parlement d’Intercommunalités de France (jeudi 7 décembre 2023 à 15 heures 30)

17. Audition de Mme Jessica Brouard-Masson, directrice de l’expertise et des politiques publiques et M. Antonin Valiere, responsable des relations institutionnelles de l’Agence nationale de l’habitat (jeudi 14 décembre 2023 à 15 heures 30)

18. Audition de M. Jean-Claude Driant, Professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris (Université Paris Est Créteil) (mercredi 31 janvier 2024 à 16 heures 30)

19. Audition de Mme Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l’Association des maires de France (mercredi 7 février 2024 à 15 heures)

20. Audition de M. Pierre Madec, chargé d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) (mercredi 14 février 2024 à 16 heures 30)

21. Audition de Mme Laetitia Malet, déléguée générale adjointe de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCD’OM) (Jeudi 15 février à 14 heures 30)

22. Audition de Mme Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity et de M. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre (Lundi 26 février 2024 à 15 heures)

 


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   TRAVAUX DE LA MISSION

1.   Audition de Mme Roselyne Conan, directrice de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil), Mme Odile Dubois-Joye, directrice des études à l’Anil et M. Louis du Merle, directeur juridique de l’Anil (mercredi 13 septembre 2023 à 9 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. Je suis heureux de vous accueillir pour cette première audition devant la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, que j’ai l’honneur de présider.

M. Mickaël Cosson, rapporteur de la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable. Député Modem, je suis rapporteur de la mission d’information, qui réalisera de nombreuses d’auditions dans les semaines et mois à venir.

Les difficultés rencontrées dans le domaine du logement sont bien connues. Notre volonté consiste d’abord à adopter des mesures d’urgence, mais sans nous limiter à un horizon strict. Cette série d’auditions doit permettre à chacun d’apporter sa contribution, dans le but de relancer le parcours résidentiel de tous, des plus jeunes aux plus âgés et quels que soient leurs moyens financiers.

Dans l’immédiat, notre attention se concentrera sur le projet de loi de finances et les mesures fiscales associées afin de pouvoir « relancer la machine ». Toutefois, nous gardons également à l’esprit que bien d’autres problèmes subsistent, comme la hausse du coût des matériaux ou celle des taux d’intérêt. Nous avons bien conscience que les semaines et mois à venir seront caractérisés par une situation de plus en plus en difficile dans le secteur du bâtiment, mais également pour les particuliers. Afin de contribuer à la résolution de ces problèmes, cette mission d’information a pour objet de constituer une « boîte à outils » comportant les bons outils pour réaliser les bons travaux.

M. le président Stéphane Peu. Comme l’a indiqué mon collègue rapporteur, notre mission est une mission d’ordre général sur le logement. Notre but consiste à produire un document d’orientation qui puisse aboutir à une proposition de loi la plus large possible. Nous avons été très attentifs aux conclusions du Conseil national de la refondation sur le logement (CNR Logement), qui avait réussi à dégager des propositions consensuelles rassemblant à la fois le secteur privé, les promoteurs, les organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) et le monde associatif. Il nous semble que ce consensus trouvé dans le cadre du CNR devrait, en toute logique, pouvoir se traduire à l’Assemblée nationale par une proposition de loi transpartisane.

Dans l’immédiat, nous allons produire une note dans le cadre de cette mission, à la fin du mois d’octobre, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. Cette note comportera un certain nombre de propositions, pour essayer d’infléchir la politique du logement. Tout le monde reconnaît désormais l’existence d’une crise qui couve depuis plusieurs années, mais qui se trouve aujourd’hui amplifiée par la hausse des taux d’intérêt. D’un côté, le nombre de demandeurs de logement ne cesse de croître ; de l’autre, la production de logements nette ne cesse de diminuer, toutes catégories confondues. En outre, la mobilité au sein du parc locatif est de plus en plus réduite en raison de la difficulté d’accéder à la propriété. Cette crise se traduit par une part de plus en plus élevée des dépenses relatives au logement dans le budget des ménages, qui ampute d’autant leur pouvoir d’achat. En résumé, les difficultés pour se loger s’accroissent.

L’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil) et les agences départementales (Adil), que je connais bien, sont, à ce titre, des acteurs importants. En effet, vous êtes à l’intersection de l’accueil des publics éprouvant des difficultés à se loger et des relations avec les collectivités locales, les bailleurs, les promoteurs et les agences.

Nous souhaiterions donc connaître votre regard sur la période actuelle, mais également les retours dont vous avez connaissance, ainsi que les statistiques que vous produisez, dans la mesure où l’Anil et les Adil constituent un réseau de ressources pour l’analyse du marché immobilier et de la politique du logement dans les départements. Votre organisation décentralisée peut nous permettre de dresser un tableau d’ensemble, en mettant en lumière les similitudes ou les disparités, selon les territoires, de la crise du logement.

Mme Roselyne Conan. En préambule, je tiens à vous fournir quelques éléments statistiques sur notre réseau, qui est aujourd’hui implanté dans 87 départements. L’année dernière, près de neuf cent mille consultations ont été délivrées en direction des ménages et des différents acteurs. Notre cœur de métier demeure les rapports locatifs, mais nous identifions également des besoins croissants sur un certain nombre de sujets, notamment les habitats indignes et les enjeux de performance et de décence énergétiques, qui ont fait l’objet de nombreuses consultations auprès des Adil.

Comme vous l’avez justement rappelé, nous intervenons au plus près des territoires, ce qui nous permet de détecter l’émergence de certains signaux faibles. Nous avions ainsi pu identifier dans certains secteurs des bailleurs qui, confrontés à des logements classés F, G ou G+, préfèrent ne pas se lancer dans des travaux et donner congé. Nous avons également relevé des problématiques spécifiquement liées aux accédants à la propriété, dont la solvabilité est affectée par la hausse des taux. Dans ce cadre, nous nous efforçons de fournir notre éclairage.

Nos derniers travaux d’étude ont porté notamment sur le « bien-vieillir chez soi », où nous avons pu approfondir le sujet du logement des plus âgés. Nous avons travaillé sur leurs envies, les possibilités à notre disposition pour les années à venir et les questions qui restent ouvertes en matière d’adaptation et de diversification de l’offre de logements.

Vous avez évoqué la nécessité de « relancer la machine » pour créer des logements. De notre côté, nous avons identifié des enjeux d’évolution concernant les dispositifs fiscaux. Nous avions notamment été sollicités dans le cadre de la mission de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) sur le bilan de certains dispositifs, comme l’aide fiscale dans le cadre d’un investissement locatif dite « Denormandie ».

Nous sommes aujourd’hui soumis à la pression résultant d’enjeux de rénovation du parc de logements et de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN), avec le souci d’éviter l’attrition du parc en raison notamment de problématiques de décence énergétique. Nous avons souligné certaines difficultés posées par le dispositif Denormandie, qui n’a pas véritablement réussi à trouver son public. Nous avons suggéré un certain nombre d’évolutions pour respecter les objectifs fixés, qui portent sur l’incitation à la rénovation dans des quartiers dégradés et la revitalisation des centres-villes peu dynamiques : nous avons proposé de prolonger ce dispositif et de ne pas le circonscrire aux secteurs sur lesquels il se concentre aujourd’hui, c’est-à-dire le programme « Action cœur de ville » et les opérations de revitalisation de territoire (ORT). Nous proposons ainsi de l’étendre à d’autres secteurs, ce qui implique de bien l’articuler avec le dispositif « Loc’Avantages » et de prendre en considération l’enjeu des zonages. De même, il convient de ne pas se limiter à la rénovation du parc, mais de conserver la faculté de produire des logements neufs.

Si le dispositif Denormandie n’a pas totalement trouvé son public, c’est qu’il existe aujourd’hui un enjeu de portage par les investisseurs potentiels. Nous avons identifié trois axes d’amélioration possibles : simplifier le dispositif, mieux informer et mieux accompagner. En matière de simplification, il s’agit de revoir la liste des travaux qui ouvrent droit au dispositif, mais aussi de revoir la condition selon laquelle l’étiquette énergétique doit atteindre a minima le niveau E après travaux.

En matière d’information et d’accompagnement, les Adil nous indiquent qu’il faudrait favoriser des actions de communication locales à travers la mise en place « d’ambassadeurs », qui dialoguent avec les bailleurs. Une personne sur cinq qui vient nous consulter est un bailleur et ces bailleurs sont généralement propriétaires d’un ou deux logements, qu’ils gèrent eux‑mêmes : environ 60 % du parc est en gestion directe. Ces propriétaires ont besoin d’informations, car ce ne sont pas des professionnels et ils ne maîtrisent pas forcément tous les éléments de dispositifs parfois complexes, qu’il s’agisse de la fiscalité, de rapports locatifs ou d’aides à la rénovation. Nous avions réalisé une étude sur les travaux réalisés par les bailleurs et il était apparu que le premier frein à la réalisation de ces travaux était d’ordre financier, notamment du fait de la méconnaissance des aides disponibles. Il s’agit d’un public qu’il n’est pas toujours facile de toucher et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre l’accent sur l’information et l’accompagnement en matière de rénovation.

Nous proposons donc que les Adil soient les « ambassadeurs » du dispositif Denormandie. L’entrée dans un dispositif d’investissement locatif ne se limite pas, en effet, à la signature d’un bail : il importe également de prendre en compte les enjeux de fiscalité, de contractualisation des travaux, d’identification d’une valeur de loyer et d’accompagnement du locataire quand il entre dans les lieux. Or les Adil disposent d’une vision à 360 degrés sur les questions de logement, qu’il s’agisse de la signature d’un bail, de fiscalité, des différents dispositifs comme MaPrimeRénov’ ou de sujets liés à la copropriété.

La majorité du parc locatif est située dans des immeubles collectifs. Si de nombreuses copropriétés sont gérées par des syndics professionnels, il existe un certain nombre de copropriétés que nous appelons « désorganisées » ou « inorganisées » et qui pâtissent d’un manque de gouvernance : dans celles-ci, un copropriétaire se considère généralement comme un syndic de fait, sans avoir été désigné comme tel par une assemblée générale des copropriétaires. Dans certains cas, les immeubles ne sont même pas assurés et les propriétaires‑bailleurs ne réalisent pas d’opérations de rénovation lourde, ce qui se traduit par un parc locatif en mauvais état et, parfois, l’absence d’immatriculation des immeubles. Or, sans cette immatriculation, il n’est pas possible de bénéficier des aides nationales.

Certaines Adil mènent un travail d’accompagnement, notamment grâce au financement fourni par les collectivités locales. Nous souhaiterions que cette approche soit plus dynamique, à travers la mise en place d’équipes mobiles dédiées aux copropriétés et sur le modèle des équipes mobiles créées pour la prévention des expulsions. Ces équipes iraient à la rencontre des copropriétés « désorganisées » ou « inorganisées » afin de les structurer, de leur permettre de tenir une assemblée générale, d’élire un syndic ou éventuellement de les accompagner, en tant que besoin, pour contracter avec un syndic professionnel.

Nous proposons donc que les collectivités locales puissent confier une mission au réseau des Adil, afin d’intensifier la mobilisation du dispositif Denormandie et de capter le parc vacant susceptible d’être remis en location, notamment après travaux : nous militons pour un accompagnement global dans ce domaine.

En matière de fiscalité, il convient également d’évoquer l’enjeu du zonage
– sur lequel nous pourrons revenir plus en détail, le cas échéant. Les territoires nous signalent le problème posé par des plafonnements identiques à hauteur de 300 000 euros par bien, quelle que soit sa localisation. Nous pensons qu’il serait pertinent de faire évoluer la situation : en fonction des secteurs, le prix de l’immobilier peut différer grandement et nous imaginons donc une modulation de l’assiette selon l’appartenance à un zonage – par exemple, un zonage de type A‑B-C – afin que le plafond soit plus en adéquation avec la réalité du marché immobilier local. Enfin, pour les territoires ultramarins, il conviendrait d’imaginer des prix spécifiques, pour tenir compte de la singularité des problématiques.

M. le président Stéphane Peu. Le dispositif Denormandie peut effectivement constituer un bon outil, mais force est de constater que son impact est très marginal à l’heure actuelle. Quelles sont vos propositions concrètes en matière d’élargissement de l’assiette et des zones ?

Mme Odile Dubois-Joye. Dans le déroulement des parcours résidentiels, le segment locatif constitue une variable d’ajustement. Ces parcours sont désormais beaucoup moins linéaires que par le passé et il n’est pas rare que le segment locatif fasse l’objet d’allers et retours successifs au cours d’une vie. Un sondage que nous avons réalisé auprès des seniors nous a permis de constater que même les seniors envisagent plus volontiers d’adopter un statut de locataire à la fin de leur parcours résidentiel. En outre, lorsque ce parc s’assèche et qu’il s’agisse du locatif social ou du locatif privé, nous observons des répercussions sur l’ensemble de la chaîne du logement.

Les Adil constatent une augmentation des consultations sur le sujet des congés pour vente de la part des bailleurs, un signal qu’il convient de prendre en compte. Nous observons que ces petits bailleurs sont souvent démunis et qu’il existe bien un risque d’érosion d’une partie du parc locatif. D’un côté, les réglementations énergétiques sont vertueuses, car elles permettent de faire monter ce parc en gamme – et le dispositif Denormandie en est une illustration. Mais, d’un autre côté, il faut accompagner cette démarche, d’autant plus que le dispositif est restreint aux territoires situés dans une opération de revitalisation de territoire (ORT). Dès lors, il nous semblerait pertinent d’élargir le dispositif aux territoires tendus, en assurant une bonne articulation avec Loc’Avantages afin que les dispositifs ne se fassent pas concurrence, mais également de simplifier la liste des travaux éligibles. Puisque d’autres dispositifs comme le « Pinel » ont vraisemblablement vocation à être réduits, il peut être intéressant de réinvestir, dans les zones tendues, dans des dispositifs qui viennent augmenter la surface du parc existant.

Il y a donc une érosion avérée du parc locatif, que nous constatons lors des consultations de petits propriétaires, bailleurs de logements relevant de la catégorie des « passoires énergétiques ».

M. le président Stéphane Peu. Êtes-vous capables de quantifier ce phénomène de congés pour vente de passoires énergétiques, c’est-à-dire les logements classés F et G ?

Mme Odile Dubois-Joye. Cela concerne principalement la classe G en ce moment. L’Adil de Paris a réalisé une étude intéressante sur ce sujet et d’autres territoires commencent également à produire des statistiques dans ce domaine. L’augmentation des consultations au sujet des congés pour vente constitue certes un signal faible, mais il convient de le prendre en compte, d’autant que la hausse des taux d’intérêt affecte par ailleurs la mobilité au sein du parc locatif privé.

Un autre sujet a été travaillé dans une étude réalisée dans le cadre de notre mission d’observation des loyers, à travers le réseau des observatoires locaux des loyers (OLL). Cette étude a montré que les politiques en faveur de l’investissement locatif ont permis de mettre sur le marché un nombre important de logements neufs aux loyers plafonnés, contribuant ainsi à modérer les loyers de logements plus anciens, puisque ces derniers se retrouvent en concurrence avec des logements répondant à des normes énergétiques plus exigeantes. Les modélisations économétriques ont mis en évidence un effet de modération des prix sur cette génération du parc. De fait, l’intérêt d’un parc locatif intermédiaire de qualité est patent dans les territoires, notamment dans les zones tendues.

Plus largement, il s’agit de réfléchir à la manière de stimuler le logement intermédiaire porté par les investisseurs, d’autant plus que le dispositif Pinel est simultanément réduit. Dans ce cadre, se pose la question du zonage et de politiques de l’habitat fondées sur des indicateurs qui commencent à dater. Il convient sans doute d’approfondir les réflexions en cours sur la redéfinition de ce zonage et son harmonisation avec les zonages concernés par la taxe sur les logements vacants (TLV), les zonages A-B-C, voire les zonages I-II-III, ce qui permettrait d’autoriser plus facilement les modulations locales.

Nous nous sommes, par exemple, penchés sur les évolutions du marché locatif en Bretagne dans les zones « TLV » et il apparaît que des évolutions relativement rapides ont prospéré en raison des tensions immobilières à l’œuvre ces dernières années dans ce territoire. L’un des enjeux consiste bien à remettre sur le marché locatif des logements de qualité. Il existe des dispositifs fiscaux portant sur le réinvestissement dans le parc ancien, souvent porté par des propriétaires disposant de revenus modestes. Certains de ces dispositifs mériteraient d’être stimulés, à l’instar du « Denormandie », qui devrait évoluer par rapport à son objet initial.

En outre, il semble nécessaire de stimuler la production de logements intermédiaires. Au-delà, la réalisation de notre étude sur les seniors nous a conduits à envisager l’identification de secteurs prioritaires dans les zones tendues afin de favoriser la mixité générationnelle, mais également la mise en place de zones à TVA réduite – comme cela est déjà le cas dans la bande des trois cents mètres autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : il s’agit de promouvoir l’accession à la propriété dans ces zones, dans une optique de long terme. Dans les territoires soumis à de très fortes tensions, les plans locaux d’urbanisme (PLU) définissent des servitudes de mixité sociale. Nous suggérons d’en faire des zones prioritaires pour développer des logements.

Naturellement, il est nécessaire d’évaluer la faisabilité et la pertinence de ces propositions. J’observe simplement qu’il existe déjà des outils disponibles en matière de réglementation de l’urbanisme, qui définissent des secteurs prioritaires et des zones de mixité sociale.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous avez évoqué l’habitat des seniors, une question qui mérite effectivement de faire l’objet de réflexions. Ayant travaillé au sein d’une direction départementale des territoires et de la mer, auprès de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), j’ai pu constater que la question du logement est toujours abordée de manière quantitative.

Pour ma part, je suis attaché à une politique du logement pour toutes les bourses et pour tous les âges. À un moment de leur vie, les seniors peuvent être contraints de rester dans leurs logements, bien que ces logements ne soient plus adaptés à leurs besoins et leur dépendance et ce, faute de pouvoir trouver des alternatives adéquates. Avez-vous mené une réflexion pour contribuer à débloquer ce genre de situations ?

Mme Odile Dubois-Joye. Nous avons conduit l’année dernière une enquête auprès de 3 700 seniors sur l’ensemble du territoire français. Nous les avons interrogés sur leur désir d’habiter, leur parcours résidentiel et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Majoritairement, ces seniors souhaitent rester chez eux. Mais lorsque nous leur demandons à quelles conditions ils seraient prêts à changer de logement, ils évoquent différents éléments comme la proximité de services ou la qualité d’usage. Environ un senior interrogé sur quatre se déclare prêt à devenir locataire, sous réserve de disposer du budget suffisant. De fait, le maintien à domicile est lié aux ressources financières.

Par conséquent, il apparaît nécessaire de développer de manière intensive le logement intermédiaire à destination des seniors. Il faut d’ailleurs relever que les bailleurs sociaux sont assez en pointe dans le domaine du logement inclusif. La démographie va évoluer de manière assez rapide et il convient d’en tirer toutes les conséquences, comme l’a souligné Luc Broussy dans le rapport interministériel « Nous vieillirons ensemble » (2021). Le vieillissement de la population va en effet redistribuer les besoins vers d’autres types de logements, de manière évidente.

Les bailleurs commencent d’ores et déjà à organiser la mobilité résidentielle, ce qui pourrait permettre de remettre sur le marché des logements adaptés à des ménages familiaux. Dans un avenir proche, les besoins en logement, impactés par les évolutions démographiques, auront des déterminants à la fois qualitatifs et quantitatifs. Ne serait-il pas plus pertinent de construire des logements ayant vocation à accompagner le vieillissement de la population, en étant notamment modulables et évolutifs ? Bref, il importe de travailler de manière plus prospective.

Ces réflexions doivent être intégrées dans les politiques locales et les programmes locaux de l’habitat (PLH). Ces PLH doivent travailler sur des fonciers bien localisés et des servitudes de mixité sociale et intergénérationnelle, afin d’inciter au développement d’une offre de logements alternatifs et de l’accompagner. Cependant, il ne faut pas se voiler la face : l’adaptation du logement prendra du temps. La question de l’accessibilité financière devra également être prise en compte, puisque les revenus des seniors n’augmentent pas, voire diminuent.

Cette approche prospective pourrait se traduire, de manière opérationnelle, à travers un plan national qui définisse des objectifs de programmation de logements intermédiaires et de logements seniors, qu’il faudrait ensuite décliner localement dans des documents-cadres. Il appartient également aux collectivités d’établir un véritable diagnostic sur la démographie de leurs territoires, afin d’élaborer des documents de planification qui soient adaptés à ces réalités territoriales. Dans notre étude sur les seniors, nous avons ainsi observé que la prise en charge de ces questions dépendait fortement de la sensibilité et de la volonté des élus locaux sur celles‑ci.

Un cadre qui définirait de grandes orientations en matière de programmation pourrait constituer un levier permettant une réappropriation locale de ces enjeux. Les documents de programmation pourraient utilement être plus « offensifs » afin, ensuite, de décliner les outils de l’urbanisme réglementaire. La « boîte à outils » existante est complète et le véritable enjeu tient à sa mobilisation et son utilisation, notamment dans le domaine du foncier.

Un troisième chantier concerne le coût du logement, c’est-à-dire celui de la réhabilitation et de la production. Des réflexions nationales doivent être conduites sur la qualité d’usage et la manière dont on peut faire évoluer les normes sur le bâti, pour accompagner les changements de la société française. Elles peuvent concerner les économies d’échelle qui peuvent être obtenues sur des bâtiments biosourcés, en lien avec les professionnels, mais aussi être menées de manière interministérielle, pour faire diminuer les coûts de revient du logement. Des politiques nationales pourraient être mises en place, en complément des actions à mener sur la maîtrise du foncier. Quoi qu’il en soit, un grand nombre d’outils existent déjà dans le domaine du foncier et l’enjeu porte plus sur leur mobilisation.

M. le président Stéphane Peu. Ces outils existent certes, tout réside dans la volonté politique ! Le Francilien que je suis est effaré de constater que l’investissement public massif consacré à la construction de dizaines de gares dans le cadre du métro du Grand Paris ne s’accompagne pas d’une réelle politique foncière pour développer du logement diversifié et mixte à proximité. En d’autres termes, on en train de fabriquer une rente avec de l’argent public… Les outils existent, mais ils ne sont pas mis en œuvre.

Mme Odile Dubois-Joye. Le véritable sujet n’est-il pas là, effectivement ? Ne conviendrait-il pas d’arrêter des orientations nationales sur la mobilisation de ces outils ? Par exemple, le succès des organismes de foncier solidaire (OFS) est intéressant, mais ils sont très inégalement mobilisés sur le territoire. Encore une fois, il ne s’agit pas tant de créer de nouveaux outils que de mobiliser efficacement ceux qui existent déjà, ce qui passe notamment par une meilleure rédaction des PLH, localement. Certaines collectivités sont d’ailleurs proactives en la matière et obtiennent de véritables résultats. L’habitat est une matière extrêmement technique et complexe, à la croisée de différentes politiques.

M. Lionel Causse (RE). Je vous remercie pour vos interventions, que je partage pour l’essentiel. La boîte à outils existe et les élus locaux disposent déjà de nombreux instruments, comme les PLH, qui seront peut-être complétés par l’autorité organisatrice de l’habitat (AOH). La loi « Climat et résilience » a instauré des observatoires de l’habitat et du foncier (OHF). Il existe donc des outils et des actions, mais ils ne sont pas toujours très bien coordonnés avec les acteurs locaux au sens large.

Certains territoires s’emparent de cette planification territoriale de manière plus précise et plus volontaire que d’autres : cela interroge sur les enjeux de la décentralisation, qui feront l’objet de débats devant l’Assemblée nationale. Nous voulons agir au plus près des territoires, mais il faut admettre que certains d’entre eux sont en avance grâce à la planification territoriale et la volonté politique, comme nous pouvons le constater en matière de ZAN.

En matière de politique du logement, le sujet essentiel concerne le parcours résidentiel. Certains territoires se sont dotés d’une approche très complète, allant de l’hébergement d’urgence aux logements libres, en passant par des politiques spécifiques concernant des publics particuliers comme les étudiants ou les seniors. Ces territoires parviennent ainsi à atteindre les objectifs qu’ils se sont assignés.

Je souhaiterais connaître votre avis sur ce sujet. Jusqu’où faut-il décentraliser ? Le renforcement de certains outils peut-il permettre de lutter contre les logements indignes ? Dans le contexte actuel de taux d’intérêt élevés et de coûts de construction et de rénovation croissants, ne court-on pas le risque d’accentuer les disparités entre les populations qui pourront accéder au logement ou rénover et celles qui n’en auront pas les moyens ?

La question ne consiste-t-elle pas à faire en sorte de nous mobiliser pour que tout le monde puisse réaliser ses objectifs, qu’il s’agisse des propriétaires ou des locataires ? Comment aller au-delà de l’hébergement d’urgence et proposer des logements plus pérennes ? Comment faisons-nous pour rénover ?

Je ne suis pas un spécialiste du dispositif Denormandie, mais j’imagine qu’il intéresse prioritairement les propriétaires déjà concernés par des enjeux de défiscalisation. Malgré une volonté politique commune et les moyens mis à disposition, le contexte actuel ne va-t-il pas accroître les différences de situation, concernant notamment les logements dignes et indignes ? Nous posons-nous réellement les bonnes questions ?

Mme Roselyne Conan. Il existe effectivement un grand nombre d’outils, mais leur utilisation dépend également des moyens disponibles dans chacun des territoires. À ce titre, il faudrait sans doute engager une impulsion nationale pour inciter localement à agir.

Je profite de votre question pour évoquer la lutte contre l’habitat indigne, sujet sur lequel nous nous mobilisons de plus en plus. Je rappelle l’existence de la plateforme Histologe, qui permet de signaler localement l’existence d’habitats dégradés. Certaines collectivités se sont emparées du sujet et mettent en place ce dispositif, qui permet à chacun de signaler, par exemple, la présence de punaises de lit, celle de moisissures sur les murs ou le risque d’écroulement d’un garde-corps de fenêtre.

Lorsque cet outil a vu le jour, le réseau des agences départementales s’est mobilisé pour accompagner son déploiement et le faire connaître, notamment auprès des collectivités territoriales et de l’ensemble des acteurs. Les Adil sont en effet un des acteurs répondant à ces signalements, notamment sur la non-décence : nous accompagnons les démarches de qualification et nous informons le bailleur pour lui rappeler les obligations auxquelles il est soumis. Nous constatons cependant que les financements ne sont pas forcément à la hauteur des besoins exprimés : certaines Adil sont mises en difficulté et parfois même contraintes de quitter certains projets.

En définitive, les Adil sont, en quelque sorte, le « couteau suisse » du logement et elles agissent notamment en matière de prévention des expulsions, de rénovation des logements (MaPrimeRénov’, certificats d’économie d’énergie, contractualisation avec des professionnels pour les travaux), de copropriétés, etc. Mais les moyens manquent parfois et nous sommes alors confrontés à l’impossibilité de répondre à la demande : à titre d’exemple, lorsque des campagnes de communication avaient été lancées lors du confinement sur l’aide d’Action logement, les appels étaient dirigés vers notre ligne « SOS loyers impayés » : en phase de pic, nous ne pouvions répondre qu’à un appel sur dix.

Lors de la mise en place d’un outil, il importe d’anticiper suffisamment les moyens mis à disposition pour sa bonne mise en œuvre, afin de ne pas engendrer des frustrations auprès des publics, qu’il s’agisse des ménages ou des collectivités. Les logements actuellement décents vieilliront et finiront par être dangereux, à leur tour, dans quinze à vingt ans. Traiter le problème en amont permettrait donc de diminuer les problèmes futurs en matière de décence des logements. Malheureusement, aujourd’hui, les moyens manquent pour le traitement de cet habitat dégradé : il s’agit là d’un exemple parmi d’autres, qui témoigne de limites du système liées au financement insuffisant de nos structures.

Mme Odile Dubois-Joye. Nous devons également prendre conscience de l’existence de cycles longs dans le domaine de l’habitat. Il faut du temps pour que les politiques produisent leurs effets, ce qui met en lumière la nécessité de disposer de dispositifs stables et de moyens pérennes, afin que chacun des territoires puisse adapter ses propres temporalités.

Les taux d’intérêt, que vous avez évoqués, s’établissent désormais au-delà de 4 % pour un emprunt à vingt ans, soit quatre fois plus que les taux les plus bas enregistrés ces dernières années. Les simulations attestent de la dégradation de la solvabilité d’une partie des ménages. Il convient néanmoins de relever que la baisse des taux s’était accompagnée d’une hausse extrêmement rapide des prix de l’immobilier ; de manière symétrique, la hausse des taux entraînera un ajustement à la baisse des prix, puisque les vendeurs seront bien contraints de vendre à un moment donné.

À court terme, se pose également la question du prêt à taux zéro (PTZ) dans l’ancien, dans les secteurs tendus, afin d’accompagner les primo-accédants qui se trouvent aujourd’hui exclus de facto du marché. Sans apport, il est aujourd’hui impossible d’acquérir un bien et, dans certains cas, l’épargne préalable ne suffit même plus. Cependant, il convient aussi de rappeler qu’il y a quelques années, des taux d’emprunt de 4 % à 5 % étaient la norme pour des primo‑accédants.

M. le président Stéphane Peu. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, la question du PTZ fera l’objet de débats. Pourquoi évoquez-vous le PTZ uniquement dans l’ancien ?

Mme Odile Dubois-Joye. Pour le moment, le PTZ concerne les zones détendues.

M. le président Stéphane Peu. Mais il ne concerne pas uniquement l’ancien.

Mme Roselyne Conan. L’idée consisterait à rouvrir le PTZ dans l’ancien, y compris dans les territoires tendus, pour faire face aux enjeux d’achat-rénovation. Les congés pour vente donnés par les bailleurs créent une offre supplémentaire pour les primo-accédants, à des niveaux de prix moins élevés car ces logements ne sont pas de grande qualité.

Mais face à ce parc de « passoires énergétiques », il est nécessaire que ces primo‑accédants disposent de moyens financiers leur permettant d’acquérir les biens et, surtout, de les rénover. C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’une des pistes consisterait à étendre à nouveau le PTZ dans l’ancien, y compris dans les territoires qui n’y sont aujourd’hui pas éligibles.

Mme Odile Dubois-Joye. Les primo-accédants éprouvent déjà beaucoup de difficultés à monter un dossier pour financer leur achat et ils ne disposent pas des moyens supplémentaires nécessaires pour effectuer les travaux de rénovation. Ceci correspond, à mon sens, à un effet collatéral de la hausse récente des taux. Mais, une fois encore, il faut relativiser : ces taux de l’ordre de 4 % succèdent à une période exceptionnellement basse. Les prix devraient s’ajuster à la baisse, même si le marché demeure actuellement soutenu par les acheteurs qui bénéficient d’un apport.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous avez évoqué des coopérations à l’œuvre avec les collectivités locales, notamment en matière de copropriétés. Pourriez-vous évoquer un des exemples de coopérations qui ont porté leurs fruits ? Vous avez également souligné que le logement s’inscrit dans un cycle long et qu’il n’est pas forcément nécessaire de créer de nouveaux outils. Quels sont, selon vous, les outils qu’il faudrait supprimer, car ils ne sont pas utiles, et ceux qu’il faudrait conserver et renforcer ?

Mme Roselyne Conan. Dans l’Orne, Flers Agglo accompagne l’Adil en finançant le poste d’une personne chargée d’aller à la rencontre des copropriétés inorganisées. Cette phase d’approche est longue et nécessite plusieurs années.

Les Adil ont une mission socle : l’information neutre, gratuite et personnalisée sur toutes les questions de logement, diffusée dans 1 200 lieux de permanence afin d’être au plus près des ménages. Cette expertise neutre nous paraît essentielle, car elle permet d’expliquer les enjeux, les règles applicables et les démarches à accomplir. Notre mission consiste ainsi à faciliter le « parcours logement » : quand un accédant vient nous rencontrer, nous établissons un plan de financement et nous lui expliquons les concepts clefs sur les offres de prêt, les délais associés, les promesses de vente et les aides disponibles en fonction de sa situation. Ces éléments permettent aux ménages d’être mieux armés pour discuter lorsqu’ils se rendent ensuite dans des établissements financiers. En facilitant ce parcours logement, notre objectif consiste à permettre aux demandeurs d’effectuer un choix éclairé et à leur éviter de perdre du temps dans des démarches inutiles.

Nous agissons également pour prévenir les expulsions. Dans ce domaine, une mobilisation des acteurs très en amont, dès l’apparition du premier impayé, est essentielle pour résoudre les problèmes. Nous formulons des préconisations et orientons vers des travailleurs sociaux, certaines Adil en disposant d’ailleurs en interne. Notre réseau est ainsi constitué de neuf cent personnes, en grande partie des conseillers juristes formés tout au long de leur vie professionnelle sur le suivi de la réglementation.

Notre site internet met à disposition un ensemble d’analyses juridiques qui permettent de décrypter les textes qui sont publiés. Le site Extranet propose en outre des dossiers juridiques et nous assurons régulièrement des formations. Dans le domaine de la prévention des expulsions, un des enjeux consiste à s’approprier les nouveaux textes, notamment les délais introduits par la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite.

La mission du réseau consiste bien à favoriser le parcours logement. Nous aimerions notamment montrer que l’investissement dans la prévention des expulsions permet in fine de réaliser des économies au sens large, en évitant de solliciter les huissiers, la justice, la police, les services sociaux et de santé publique. Nous portons ce projet depuis longtemps, en collaboration notamment avec la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Des binômes constitués de juristes et de travailleurs sociaux vont à la rencontre des ménages qui ne sont pas approchés par les travailleurs sociaux et manquent donc d’accompagnement.

Par ailleurs, nous menons un bilan de l’action des chargés de mission dédiés à la prévention des expulsions (PEX), qui sont déployés par les Adil et les départements. Ils ont pour tâche d’établir une cartographie des acteurs dédiés à cette prévention et de retracer l’historique des dossiers. Dans ce domaine comme dans d’autres, la connaissance des différents acteurs impliqués est essentielle. Le travailleur social, le juriste, la collectivité locale et le bailleur emploient des langages différents : dès lors, apprendre à travailler ensemble et partager les informations est essentiel pour contribuer à la réussite des politiques publiques.

Le chargé de mission constitue un des exemples illustrant l’intérêt de la coordination locale. La décentralisation représente une des pistes identifiées pour accompagner les bailleurs dans leurs projets de rénovation et de mise en conformité. Face à ce véritable enjeu de coordination, nous nous situons au carrefour de toutes les politiques publiques. Nous souhaiterions également déployer cette coordination dans d’autres domaines, comme l’accompagnement des bailleurs dans les travaux.

Mme Odile Dubois-Joye. Un des enjeux consiste également à mieux accompagner l’ingénierie qualifiée et donc à sécuriser son financement. De fait, la capacité à mobiliser et à financer cette ingénierie est très variable d’un territoire à l’autre.

Le bilan du déploiement du dispositif des chargés de mission PEX, initialement conçu de manière temporaire, a démontré sa plus-value ; il sera donc pérennisé, mais il a besoin de disposer de financements sanctuarisés. La même logique s’applique pour la lutte contre l’habitat insalubre et la rénovation énergétique.

M. le président Stéphane Peu. Nous avons bien reçu votre message.

M. Lionel Causse (RE). La prévention des expulsions constitue effectivement un enjeu majeur et il me semblerait pertinent d’envisager la manière dont les Adil peuvent voir leur rôle renforcé dans cette mission. À ce titre, disposez‑vous d’un modèle d’organisation et d’un chiffrage ? Il serait important que nous puissions explorer ce sujet plus en détail, notamment à l’approche du projet de loi de finances à venir – je sais en effet que, dans certains territoires, l’action des Adil en matière de prévention des expulsions produit d’excellents résultats.

Ma seconde question concerne la « carte d’identité » du logement : pouvez-vous nous fournir de plus amples informations sur ce sujet, qui fait l’objet d’une attention particulière de votre part ?

Mme Roselyne Conan. Je tiens d’abord à répondre à la question qui avait été posée au sujet des coopérations avec les collectivités locales, notamment en matière de copropriétés. J’avais commencé à évoquer l’action mise en œuvre dans l’Orne : en l’espèce, la collectivité explique l’offre de services lors de réunions publiques et l’Adil s’adresse aux copropriétés par téléphone ou lors d’entretiens. Nous pouvons lancer des actions, comme des « diagnostics flash » à destination des bailleurs et concernant, par exemple, l’étiquette énergétique des logements, et proposer un accompagnement. Pour y parvenir, des moyens suffisants sont, là aussi, nécessaires.

Certaines Adil abritent également des « espaces-conseils France Rénov’ ». Nous avons ainsi largement contribué à la concertation en cours concernant l’organisation du service public de rénovation de l’habitat et nous sommes favorables à un financement direct de l’Anah en direction des Adil, au titre des réponses que nous apportons en matière de fiscalité, de financement, de contrats et de rapports locatifs. En effet, lorsqu’un bailleur effectue des travaux en habitat occupé, des conflits peuvent naître avec les locataires ; nous proposons donc de conduire des médiations entre les locataires et les bailleurs et nous menons d’ailleurs une expérience en Seine-Saint-Denis sur des sujets d’impayés et d’habitats dégradés.

Plus généralement, la médiation nous semble s’inscrire dans le cours de l’histoire et elle est d’ailleurs privilégiée dans plusieurs lois récentes. De notre côté, nous proposons de développer la médiation pour les cas les plus complexes.

M. Louis du Merle. Dans un contexte où le traitement judiciaire des dossiers est souvent long, notre mission d’information des ménages sur des questions juridiques complexes permet de trouver des solutions pour formaliser des accords avec les bailleurs et, in fine, engager des dynamiques en matière de travaux ou de traitement des impayés. S’agissant des impayés, nous conduisons effectivement une expérimentation en Seine-Saint-Denis, mais aussi à Paris.

D’autres territoires ont également envie d’accompagner les ménages souffrant de précarité énergétique, mais nos statuts-types, encadrés par un texte réglementaire, auraient besoin d’être modifiés.

Mme Roselyne Conan. Il faudrait ainsi modifier l’article L. 366-1 du code la construction et de l’habitation. À l’heure actuelle, cet article ne nous permet pas de réaliser des actes administratifs contentieux ou commerciaux ; si les textes indiquaient noir sur blanc que l’Adil peut conduire des médiations, notamment dans le cadre des rapports locatifs, nous serions moins corsetés et les acteurs locaux se poseraient moins de questions.

Les juristes réalisent déjà des médiations de manière indirecte entre locataires et bailleurs. Il pourrait être pertinent de créer un pool de médiateurs par région, ce qui permettrait de traiter ces problématiques sans empiéter sur le travail effectué par les commissions départementales de conciliation. Ici aussi, l’enjeu porte naturellement sur le financement. Pour autant, cette piste me semble intéressante à creuser.

M. le président Stéphane Peu. S’agissant du financement, j’ai été interpellé par l’Adil de mon département au printemps dernier. J’ai ensuite adressé une question au gouvernement au mois de mai et j’ai reçu une réponse cet été, que je vous transmettrai. Sans entrer dans le détail, cette réponse renvoie à Action logement. Je rappelle qu’à l’heure actuelle, le financement des Adil est tripartite puisqu’il implique l’État, Action Logement et les collectivités locales.

Mme Roselyne Conan. Il existe effectivement trois sources de financement nationales, réparties entre l’État, Action Logement et la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). La convention avec Action Logement sera pérennisée, mais le financement en provenance de l’État est plafonné à 9 millions d’euros depuis plus de dix ans, alors même que notre réseau s’étend. En outre, les collectivités locales sont également confrontées à des difficultés financières. Par conséquent, elles sont parfois contraintes de réduire les moyens qu’elles nous attribuent.

M. le président Stéphane Peu. La réponse qui m’a été adressée ne traite que du prolongement de la convention avec Action Logement. Dans le cadre du projet de loi de finances, il sera peut-être envisageable de promouvoir une adaptation du financement en provenance de l’État.

Par ailleurs, je souhaiterais recueillir votre avis et vos propositions concernant MaPrimeRénov’ : quel est son fonctionnement ? Quel est son impact ? Quelle simplification pourrait-on envisager, dans la mesure où tout le monde s’accorde pour dire que ce dispositif est particulièrement complexe ?

Je souhaiterais également connaître votre avis sur le droit au logement opposable (Dalo), qui est en place depuis 2007. Il est peu évoqué dans le débat public, mais les questions de son fonctionnement, de son efficacité et de son adaptation éventuelle mériteraient d’être posées, d’autant que ce sujet s’amplifiera avec la crise du logement : plus le parc locatif est « embolisé », plus les délais d’attente augmentent.

Mme Roselyne Conan. J’ai été responsable de l’instruction du Dalo à Paris pendant quatre ans. Cette mesure a fait « bouger les lignes » et a mis en lumière les enjeux concernant l’accès au parc social et la priorisation. Les textes ont évolué depuis 2007, ils ont arrêté de nouveaux critères de priorité sur les parcs et les secteurs en très grande tension. À Paris, le taux de réponses positives était, par exemple, de 50 %.

Par ailleurs, il existe de très fortes disparités géographiques et, dans certains territoires, on observe un grand déséquilibre entre les besoins et les logements disponibles. Le Haut‑Comité pour le logement des personnes défavorisées produit régulièrement des travaux dans ce domaine.

Mme Odile Dubois-Joye. La question porte effectivement sur la volumétrie : pour pouvoir reloger des publics en demande, il faut disposer d’un parc suffisant. Les difficultés sont accrues par les contradictions, voire les concurrences parfois insolubles, entre les exigences du droit au logement et celles de la mixité sociale, telles qu’elles sont notamment inscrites dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cet arbitrage est d’autant plus complexe qu’une offre n’est pas toujours disponible dans certains territoires. Dès lors, la question porte aussi sur des questions politiques plus larges, comme la programmation d’une offre de logements sociaux accessibles ou la résorption du mal-logement : l’intention du Dalo est positive, mais les moyens ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Il existe une difficulté politico‑technique pour gérer les attributions à partir de différents critères et les conférences intercommunales du logement ne doivent pas être des coquilles vides.

M. Louis du Merle. J’attire votre attention sur un point de vigilance au sujet de la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Les ménages menacés d’expulsion sont en effet prioritaires au titre du Dalo, mais la mécanique de la loi du 27 juillet 2023 risque d’entraîner une hausse du nombre de décisions prononçant l’expulsion ferme, ce qui va accroître le nombre de ménages éligibles au Dalo.

Le dispositif MaPrimeRénov’, au même titre que d’autres dispositifs, a besoin d’une pérennisation de ses financements et d’une certaine stabilité juridique. MaPrimeRénov’ existe depuis trois ans, mais il a subi un grand nombre de modifications et les fléchages successifs manquent de cohérence. Nous savons en outre qu’il est en cours de réadaptation, pour devenir plus dual et concerner à la fois la performance globale et la sortie du statut de passoire thermique. L’Anah a ainsi annoncé que, demain, le volet « Performance » s’opposera au volet « Efficacité ». Je ne peux me prononcer à ce sujet, puisque les instructions et les textes n’ont pas encore été publiés, mais je rappelle que leur entrée en vigueur interviendra le 1er janvier 2024. Les conseillers France Rénov’ vont donc éprouver des difficultés pour expliquer aux ménages le contenu du nouveau dispositif.

M. le président Stéphane Peu. Ma question concernait plus l’usager qui vous interroge sur son éventuelle éligibilité au dispositif : les non-recours sont-ils nombreux ? Existe-t-il des pistes de réflexion pour faciliter l’accès à cette prime ?

M. Louis du Merle. Du point de vue de l’usager, la situation semble s’améliorer. La plateforme numérique est désormais opérationnelle, ce qui n’était pas le cas lors des premiers mois, après le lancement du dispositif. Ensuite, il revient au réseau des Adil de fournir de plus amples informations sur les conditions d’éligibilité et le fonctionnement du dispositif, qui doit être suffisamment stable juridiquement pour permettre une bonne appropriation.

Mme Roselyne Conan. Certaines Adil nous indiquent que des aides renforcées ont été fléchées en direction des ménages modestes. Cependant, le niveau d’aide reste trop faible, ce qui empêche nombre d’entre eux de mener à bien des travaux de rénovation globale : les financements doivent être à la hauteur du coût réel des travaux auxquels font face les ménages. Des enjeux de financement demeurent, en outre, pour les copropriétés face à la réticence des banques : certaines Adil nous font ainsi part de dossiers bloqués depuis deux ans. Il convient donc de poursuivre encore les efforts, notamment en direction des ménages intermédiaires.

M. le président Stéphane Peu. Nous vous remercions pour vos interventions. Je rappelle que notre mission s’inscrit dans une double temporalité : une temporalité longue, jusqu’à la fin de l’année 2023, sur le sujet de la politique du logement au sens large ; et une temporalité courte jusqu’à la fin octobre, période durant laquelle nous souhaiterions recueillir vos propositions dans l’optique de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

Nous avons bien noté vos deux propositions concernant l’élargissement du PTZ et du dispositif Denormandie, afin de remettre des logements dans le circuit locatif. La réglementation énergétique va vraisemblablement entraîner une hausse du taux de vacance et le « Denormandie » peut effectivement constituer une des réponses. Nous souhaiterions recueillir vos réflexions concernant l’élargissement de ces dispositifs, mais également vos souhaits en matière de financement des Adil et, plus particulièrement, au sujet de la part qui revient à l’État.

Mme Roselyne Conan. L’inquiétude des membres de l’Anil a pris forme lors de notre dernière assemblée générale, le 15 juin dernier, à travers la rédaction d’une motion relative au financement de la mission socle, qui porte notamment sur les impayés et la lutte contre l’habitat indigne.

De nouveaux financements ont certes été orientés vers des missions particulières et non nécessairement pérennes, comme celles assurées par les chargés de mission et les équipes mobiles. En revanche, le financement de la mission socle est en péril, alors même que les difficultés qu’elle est chargée de résoudre ne cessent de croître. Les financements inscrits au programme 109 ont progressivement augmenté avec l’accroissement du nombre des Adil. Il en va de même pour le programme 177, qui est limité à un certain nombre de missions particulières. Mais nous souhaitons sanctuariser la mission socle, car elle permet à tous d’accéder à une information neutre, gratuite et personnalisée, de manière moins stigmatisante qu’en s’adressant à des travailleurs sociaux. Il importe de pérenniser ce service, qui mérite d’être plus connu.

M. le président Stéphane Peu. Nous en sommes convaincus.

 


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2.   Table-ronde avec des acteurs du bâtiment et de la construction, réunissant M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment, M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques et Mme Léa Ligneres, chargée d’études ; M. David Morales, vice‑président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, en charge des affaires économiques, et M. Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles ; Mme Françoise Despret, présidente de la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage, M. Loïc Berger, administrateur et M. David Lemaire, secrétaire général (mardi 10 octobre 2023 à 17 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. L’Assemblée nationale mis en place une mission parlementaire transpartisane sur les questions du logement. Notre objectif est de présenter un rapport qui pourrait conforter ou soutenir un projet de loi à venir, avec trois axes principaux.

Il importe tout d’abord de reconnaître que la crise immobilière que nous traversons aujourd’hui n’est pas semblable à celles que notre pays a déjà connues : elle est aussi une crise sociale. Cette crise est clairement liée à l’offre, avec comme premier enjeu celui de la production de logements. Nous sommes donc preneurs de vos réflexions et propositions sur ce sujet.

Un deuxième aspect, certainement moins central à vos yeux mais qui fait également partie de notre mission, est lié à une plus grande mobilité au sein du parc existant.

Troisièmement, il existe un enjeu de rénovation thermique des logements, qui nous oblige à être au rendez-vous d’une double ambition : augmenter la production de logements et favoriser la transition énergétique.

Par ailleurs, le secteur du logement est un acteur économique essentiel. Le bâtiment est l’une des grandes filières d’emploi en France, sur laquelle notre pays a depuis longtemps établi des brevets d’excellence, et, de surcroît, il s’agit d’emplois non délocalisables. Ainsi, la crise immobilière et la crise du logement pourraient également avoir un impact économique, en cas de baisse d’activité des métiers que vous représentez.

Le Gouvernement devrait présenter trois projets de loi prochainement. Le premier, prévu d’ici la fin de l’année, se concentrera sur les copropriétés et la résorption de l’habitat insalubre. Le deuxième traitera de la régulation des meublés touristiques tandis que le troisième, sans nécessairement constituer une loi d’orientation, revêtira un caractère plus généraliste et comportera un volet important sur la décentralisation, comme annoncé la semaine dernière à Nantes, lors du Congrès HLM 2023, par le ministre chargé du logement – et comme le ministre l’a confirmé ce week-end, dans un entretien au journal Le Monde.

M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment. La Fédération française du bâtiment (FFB) représente 52 000 entreprises et les deux tiers des salariés du secteur travaillent dans nos entreprises adhérentes.

Neuf ou ancien, le logement rencontre aujourd’hui de grandes difficultés. Chacun sait que la France est en croissance démographique et que nous constatons d’importantes migrations internes. Dans la mesure où le lien emploi-logement est crucial, il faut absolument que le parcours résidentiel soit facilité et se débloque : la mobilité est nécessaire à la réindustrialisation de la France comme elle l’est à la création d’emplois, essentiellement non délocalisables dans le bâtiment comme dans d’autres secteurs. La politique qui consiste à rétablir une industrie solide en France, après un long épisode de désindustrialisation, doit transcender les clivages politiques. Il faut que nos concitoyens puissent se loger de façon abordable économiquement, d’abord, mais surtout confortable. Quelle que soit notre appartenance politique, je pense que nous sommes tous unanimes à reconnaître qu’il n’est plus possible d’opposer logement confortable et logement abordable.

Vous ne trouverez plus de climatosceptiques au sein de la filière construction, bâtiment, logement. Nous sommes pleinement conscients des enjeux environnementaux qui se dressent devant nous et, en réalité, ils sont source de motivation et d’attractivité. Ces défis poussent en outre les acteurs du secteur à se former avec enthousiasme pour devenir plus performants et exploiter des matériaux ou techniques nouveaux, que ce soit dans la construction neuve ou dans le cadre de la rénovation énergétique.

La France est championne du monde en matière de réglementation, comme l’illustre la norme environnementale RE2020. C’est un aspect dont nous sommes fiers. La FFB prône depuis des années l’innovation, y compris dans des domaines autres que le numérique, et encourage la recherche en collaboration avec l’industrie, notamment dans le domaine des matériaux biosourcés. La RE2020 est une norme qui n’a pas d’équivalent dans le monde. Elle ne représente pas une contrainte, mais constitue un défi pour nos entreprises ; elle attire vers nous de nombreux talents, jeunes et moins jeunes, séduits par notre approche plus respectueuse de l’environnement. Désormais, la dimension environnementale et écologique est au cœur de toutes les préoccupations. C’est une vision que nous partageons tous.

Les belles intentions de sobriété foncière annoncées par ce gouvernement, après qu’elles l’ont été par celui d’Édouard Philippe, et la préparation de la RE2020, qui devait radicalement changer la donne après la réglementation thermique RT2012, se sont fracassées sur des événements pandémiques, dans un premier temps, puis géopolitiques, dans un second temps. Ces perturbations ont modifié la trajectoire que nous anticipions, portée par des taux d’intérêt bas et stables et une reprise économique déjà en cours depuis 2016-2017. Dans notre secteur, nous constations une reprise non seulement de notre chiffre d’affaires, mais aussi en termes d’emploi et de formation des jeunes. La belle trajectoire que nous connaissions en 2019 a ainsi été brusquement interrompue au cours de l’année 2020. Malgré cela, cette dynamique positive a pu se poursuivre, il faut le souligner, grâce aux aides gouvernementales. Cela a permis à toutes nos entreprises, des artisans aux PME en passant par les très petites entreprises (TPE), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes du secteur, de maintenir une activité soutenue, caractérisée par un carnet de commandes substantiel à l’époque, bien au‑dessus de la moyenne. Cette situation nous a offert une perspective d’avenir un peu plus solide que ce que nous connaissons aujourd’hui.

Malheureusement, la pandémie a rapidement entraîné une désorganisation totale de la chaîne d’approvisionnement mondiale en matériaux. La première crise majeure que nous avons dû affronter en France, à savoir la crise des matériaux, s’est caractérisée par une augmentation exponentielle des prix des matériaux depuis janvier 2021, bien avant la crise liée au conflit en Ukraine. Entre janvier et juin 2021, nous avons vécu une flambée des prix des matériaux, en particulier le bois, l’acier, le cuivre ou encore le PVC. Dès 2021, nous avons connu un renchérissement du prix des logements neufs, mais celui de la rénovation. La hausse du coût des matériaux s’est répercutée sur le prix des produits finis dans les deux cas.

L’automne qui a suivi a été marqué par la première crise énergétique. Elle a engendré une nouvelle augmentation des coûts des produits finis, impactant de nouveau les prix dans les secteurs du logement et de la rénovation énergétique. Ainsi, début 2022, les prix des logements avaient connu une hausse significative, de l’ordre de 10 à 15 %. Les prix des maisons individuelles avaient déjà connu une augmentation de 7 à 8 % avec la mise en application de la RE2020. Cette situation concernait à la fois le secteur privé et le logement social.

Par la suite, les prix ont malheureusement connu un nouveau renchérissement en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a entraîné une escalade des coûts, en particulier dans le domaine de l’énergie. Finalement, l’inflation s’est généralisée et a également affecté le prix des matériaux, puis les taux d’intérêt ont augmenté. Ces deux effets conjugués ont conduit à exclure du crédit 60 % de nos concitoyens, qui voient aujourd’hui leurs demandes d’emprunt refusées par les banques. Si cette situation a principalement concerné le logement privé, collectif ou individuel, le logement social n’a pas été épargné : l’inflation a conduit à l’augmentation du taux du livret A, privant le secteur de l’habitat social d’une partie de ses ressources ; par ailleurs, le foncier est devenu beaucoup plus rare, notamment en raison des dispositions de la loi « Climat et résilience » promulguée en 2021. Que ce soit pour le logement social ou pour le logement privé, la disponibilité et le prix du foncier n’ont fait qu’ajouter une complexité supplémentaire pour le secteur du bâtiment.

Nous avons désormais atteint un point de blocage dans le parcours résidentiel. Les plus modestes d’entre nous, qui sont logés dans des logements ultra-sociaux, ont plus de mal à accéder à des logements sociaux ou intermédiaires en raison d’une diminution de leur pouvoir d’achat, certainement due à l’inflation. Les locataires en secteurs intermédiaire et social ne parviennent plus à acquérir un logement, en raison d’un accès au crédit devenu plus difficile et de l’augmentation des prix immobiliers. Le Haut-Conseil de stabilité financière (HCSF) a institué des règles limitant la durée maximale de remboursement à 25 ans et imposant un taux d’endettement maximal de 35 % du revenu du ménage. C’est le cumul de près d’une dizaine de facteurs de ce type qui nous conduit aujourd’hui à une période de blocage.

Nous avons travaillé activement dans le cadre de différents comités, de la commission pour la relance durable de la construction, dite « commission Rebsamen », de colloques et aux assises du BTP. Nos efforts n’ont pas été vains, car nous avons obtenu des avancées significatives dans le domaine de la rénovation, notamment énergétique, qui représente 54 % de notre chiffre d’affaires. Je pense à MaPrimeRénov’, aux initiatives pour les écoles, sans oublier le décret « tertiaire » et les aides à la rénovation énergétique des entreprises (25 % de crédit d’impôt) : nous sommes plutôt satisfaits des mesures obtenues sur la partie « Rénovation énergétique ». D’ailleurs, depuis deux ans, nous progressons à un rythme de 2 % par an ; néanmoins, nous pourrions faire beaucoup mieux. Nous avons obtenu une augmentation de 66 % du budget annuel consacré à MaPrimeRénov’, ce qui est tout à fait significatif et permettra un fort effet de levier.

En ce qui concerne les transactions immobilières classiques dans l’ancien, le constat est clair : avec des taux de crédit moins favorables, des aides plus limitées et un pouvoir d’achat des acquéreurs réduit et alors que les transactions se sont maintenues à un niveau élevé en 2021 et 2022, elles connaissent désormais un effondrement total.

J’en terminerai par la situation du logement neuf, qui connaît à la fois des crises de l’offre et de la demande et est marquée par une baisse des permis de construire et des commandes. Cette situation constitue une réelle épreuve pour le secteur du bâtiment. L’effondrement généralisé des commandes de logements neufs, qui représentent 30 % de notre activité, est une source d’inquiétude majeure. Une chute de 30 % signifie une perte pour le secteur comprise entre 16 et 20 milliards d’euros et ce, dès la fin de l’année prochaine et le début de 2025.

Les efforts consacrés à la rénovation énergétique ne seront pas suffisants pour relancer les parcours résidentiels ou pour combler le déficit attendu dans le secteur du bâtiment. Cette année, notre activité devrait connaître une stagnation, voire une très légère baisse selon les acteurs. En revanche, dès l’année prochaine, nous risquons de connaître une perte d’activité de l’ordre de 5 %, ce qui signifie que nous serons alors en récession – un terme que nous n’aimons pas prononcer dans le secteur du bâtiment. Tout cela est d’autant plus regrettable que nous avons fait preuve d’une grande résilience pendant deux à trois ans après la covid-19, en dépit de la guerre en Ukraine et de bien d’autres événements. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation critique, nous ignorons tout de ce que l’avenir nous réserve et nos prévisions sont inquiétantes.

Dans ces conditions, l’arrêt des aides est préoccupant, notamment pour les primo‑accédants, avec la restriction du prêt à taux zéro sur 93 % du territoire. Malgré l’annonce de la Première ministre concernant l’accès de six millions de Français au prêt à taux zéro, le compte n’y est pas.

En dépit de cette situation catastrophique, des mesures pénalisantes sont annoncées. Le prêt à taux zéro est arrêté, et surtout, il est mis fin au dispositif de soutien à l’investissement locatif privé, dit dispositif « Pinel ». Nous avons proposé de le renommer différemment et de revoir ses modalités de calcul en lien avec un véritable statut du bailleur privé. L’ensemble de la filière, depuis les notaires jusqu’à nous, de l’aval à l’amont, est d’accord sur le fait qu’il est essentiel de mobiliser l’épargne des Français. Cependant, cette mobilisation ne peut être obtenue que si nos concitoyens ont la perspective de récupérer un petit pécule in fine : une société civile de placement immobilier (SCPI) ou d’autres placements qui ne rapportent que 2 % n’offrent pas de perspectives de rendement suffisantes et c’est la raison pour laquelle les investisseurs institutionnels ne s’y intéressent pas non plus. Les Français ont besoin de pouvoir récupérer leur bien après un certain nombre d’années, même si cela implique des avantages fiscaux un peu moins favorables qu’auparavant. C’est précisément ce que nous demandons avec le statut du bailleur privé.

Nous avons examiné attentivement les études et les explications, relativement succinctes, que nous avons reçues concernant le calcul du coût du statut du bailleur privé : nous ne sommes pas d’accord avec elles. Il nous paraît essentiel de nous réunir pour négocier un dispositif qui permette à nos concitoyens qui en ont les moyens d’acheter un bien qu’ils pourront louer à ceux dont les moyens sont insuffisants : c’est ainsi que fonctionne la société française depuis des décennies et nous étions parvenus à un certain équilibre.

Aujourd’hui, face aux difficultés multiples que nous rencontrons, une seule mesure ne suffira pas : il faudra du prêt à taux zéro et un statut du bailleur privé. Il faudra aussi que le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) soit appliqué tel qu’il doit l’être et pas d’une façon maximaliste par des maires qui refusent de construire. Le ZAN consiste à construire deux fois moins sur les terres agricoles ces dix prochaines années qu’au cours des dix dernières. Il existe donc une marge d’action, d’autant que l’on peut compter sur la réhabilitation des friches, le « construire intelligent » ou la densification urbaine – même si certains maires la refusent. Il existe également des axes de développement intéressants au niveau des zones commerciales ou des entrées de ville à restructurer.

Ce discours peut sembler grave, mais il est teinté d’optimisme. La France a besoin de certaines évolutions pour désamorcer la bombe sociale dont il est devenu courant de parler. Nous le ressentons aujourd’hui sur le terrain. Pourquoi ? Parce que la filière du bâtiment et des travaux publics emploie deux millions de personnes. Parmi ces deux millions d’actifs, 1,7 million travaille sur les chantiers. Ce sont nos ouvriers, nos techniciens, et aujourd’hui, ce sont eux qui souffrent et se retrouvent dans une impasse en termes de parcours résidentiel. Je rappelle que 80 % de nos concitoyens aspirent à avoir leur petit « chez soi » : s’ils n’y parviennent pas en raison des blocages que nous avons évoqués, le mécontentement social peut grandir, avec les graves conséquences qu’on peut imaginer. C’est pourquoi dans le secteur du bâtiment, acteur de l’intégration sociale, nous nous battons, nous défendons nos convictions autour de tout ce qui doit être accompli dans les décennies à venir. Je pense aux nombreuses rénovations énergétiques, mais je n’oublie pas la nécessité de continuer à construire.

M. David Morales, vice-président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), en charge des affaires économiques. Nous partageons les constats qui viennent d’être dressés par les présidents Stéphane Peu et Olivier Salleron. Au niveau de la Capeb, notre implication auprès des bailleurs sociaux est moindre et nous sommes davantage impliqués dans les travaux au bénéfice des particuliers. Notre engagement est également moins important dans les projets neufs que dans les rénovations, qui représentent notre cœur d’activité. Nous sommes également très mobilisés dans des opérations de rénovation énergétique, travaillant activement à trouver des solutions plus efficaces pour atteindre les objectifs qui ont été fixés par les pouvoirs publics.

Nous sommes conscients de la crise immobilière qui sévit ; nous sommes également conscients de l’existence d’une crise de la mobilité, tant en milieu urbain que rural : nos préoccupations rejoignent donc en partie les vôtres. Une politique orientée vers les territoires est plus efficace si elle est menée en proximité plutôt que directement depuis le niveau national : il est essentiel de prendre en compte la spécificité de chaque lieu, car entre milieux rural et urbain, les enjeux diffèrent considérablement. D’un côté, l’objectif est de préserver la présence des populations en zone rurale, tandis que de l’autre, c’est la gestion des habitants dans les zones à forte densité qui est la priorité. Nous sommes d’accord sur la nécessité d’une approche de la crise point par point, car la situation n’est pas la même partout. L’offre de transport, par exemple, diffère entre zones urbaines et zones rurales ; or transport et logement sont intrinsèquement liés. La politique de revitalisation de certaines zones est également essentielle à considérer.

Le constat peut-être le plus évident concerne les problématiques financières. Aujourd’hui, les bailleurs sociaux peinent à trouver les fonds nécessaires pour mener à bien leur mission. Les familles et les particuliers éprouvent les mêmes difficultés dans l’accès au crédit. Vous avez mentionné qu’à une certaine époque, il était possible de consacrer jusqu’à 35 % de son revenu au remboursement d’un prêt immobilier. La fin de cette possibilité rend l’accès à la propriété de plus en plus difficile. La construction de logements décents pour soi‑même ou pour d’autres, qui était la préoccupation de nos aînés, est devenue un défi de plus en plus complexe.

Nous partageons donc l’inquiétude exprimée par la FFB. Nous sommes favorables à une réflexion sur la décentralisation de la politique de logement, qui s’adapterait plus étroitement aux besoins des territoires. Cependant, nous soulevons la question de l’équité dans la répartition des ressources budgétaires : il est crucial que les riches ne deviennent pas plus riches, tandis que les pauvres s’appauvriraient davantage.

M. Loïc Berger, administrateur de la Chambre nationale de l’artisanat, des travaux publics et du paysage. La Chambre nationale de l’artisanat, des travaux publics et du paysage (CNATP) a le privilège de représenter deux secteurs, les travaux publics et les métiers du paysage, mais surtout de représenter les artisans de ces deux domaines. Lorsque nous parlons d’artisans dans ces secteurs, nous nous concentrons davantage sur des professionnels installés dans des zones rurales, même si l’on trouve des entreprises plus importantes dans les grandes agglomérations.

Pour ce qui concerne le logement et dans la mesure où nous représentons des métiers d’extérieur, notre perspective est un peu différente. Nous parlons certes beaucoup de rénovation énergétique et il est indéniable que des ressources considérables ont été investies dans ce domaine, ce qui est tout à fait louable. Cependant, nous estimons qu’il est essentiel de considérer le bâtiment dans sa globalité : actuellement, lorsqu’une rénovation énergétique est effectuée, elle vise à apporter un confort thermique et, éventuellement, à générer des économies pour les particuliers ; malheureusement, ces économies sont souvent réinvesties dans la consommation générale et non dans des dépenses autour du logement et de ses habitants, qu’ils soient locataires ou propriétaires. Notre demande consiste donc à réfléchir plus globalement à tout ce qui entoure le logement.

Les logements produisent des déchets et des eaux usées ; en France, il reste encore 20 % de logements qui ne sont pas aux normes en matière de traitement de ces eaux usées. Un tel taux n’est pas normal, d’autant qu’il concerne aussi le logement locatif. Ces 20 % représentent plus de cinq millions de logements et il nous paraît urgent d’agir. La France est très en retard, dans ce domaine, par rapport à d’autres pays européens tels que la Belgique. Il est anormal que notre secteur soit confronté à des réglementations différentes dans chaque département et chaque communauté de communes, avec des modalités d’application également différentes. Nous insistons sur la nécessité de réunir les parties prenantes pour moderniser ces règles, dont certaines commencent à dater – à l’image de celles relatives à l’assainissement, qui datent de 2011.

Dans le domaine de l’assainissement et notamment du logement salubre, il est temps de nous réunir et de nous entourer d’experts pour réexaminer les réglementations, en particulier dans le traitement des eaux usées. Le plan « Eau » est une avancée positive et la CNATP le soutient. Malheureusement, une fois de plus, il n’est pas assez ambitieux et n’aborde pas les questions de la récupération de l’eau de pluie, de son utilisation, de la rétention et de l’infiltration : aujourd’hui, l’eau de pluie est traitée comme un déchet et systématiquement rejetée au fossé. Il est impératif que nous travaillions plus intelligemment entre professionnels.

Nous avons de nombreuses idées d’axes de développement en la matière, notamment en investissant davantage sur les particuliers, qu’ils soient propriétaires ou locataires : si on leur annonce qu’ils profiteront demain de logements plus sophistiqués, capables de récupérer l’eau et de l’utiliser de manière optimale, ils seront incités à développer de nouvelles pratiques vertueuses, dans un domaine comme la production de légumes à domicile, par exemple. La réglementation autorise aussi, par un décret de 2008, l’utilisation d’eau de pluie dans les WC ou dans les machines à laver, moyennant un léger traitement : nous devons travailler sur ces sujets.

En dépit de certaines avancées permises par le plan « Eau », il nous semble que chaque pas en avant dans ce domaine est accompagné d’un recul simultané. Ainsi, concernant les eaux usées à usage non domestique et alors qu’avec le décret de 2008, nous pouvions utiliser l’eau de pluie dans des logements, locations ou bâtiments tertiaires, le décret n° 2023-835 du 28 août 2023 indique désormais le contraire. Il est extrêmement surprenant qu’en 2023, nous revenions sur des règles établies en 2008 et dans un sens qui n’est pas un progrès. Nous avons immédiatement soulevé ce point et adressé des courriers conjoints avec d’autres fédérations. Il nous a été répondu que ces règles seront réécrites ; j’espère que ces réécritures se feront en tenant compte des avis des professionnels du secteur. De nombreuses études ont été réalisées dans ce domaine et il est essentiel que les textes qui seront produits permettent d’aller de l’avant.

Pour ce qui concerne la densification des logements, il est indispensable que nous adoptions une vision globale. Au regard des dispositions de la loi ZAN, il faudra, en revanche, traiter les sujets au cas par cas, car, en milieu rural, nous sommes souvent confrontés à de grands bâtiments anciens, qui ne sont pas exploités comme ils devraient l’être en raison du coût de leur rénovation. Les dépenses atteignent des sommets et, selon les régions, nous opérons souvent sur des bases forfaitaires au mètre carré élevées. La loi ZAN pourrait compliquer la rénovation des logements existants, si elle entrave à l’excès notre marge de manœuvre.

L’augmentation des prix des matériaux constitue un défi, de même que la hausse du coût des travaux. Les acteurs des travaux publics et des paysages verront, dès l’année prochaine, le prix du carburant professionnel augmenter : la hausse affectera nos entreprises, cette dépense pouvant représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de certaines d’entre elles, comme les terrassiers ; pour les sociétés spécialisées dans les canalisations et les voiries et réseaux divers (VRD), ce poids est de l’ordre de 5 %. Il est même question d’une augmentation d’un tiers des coûts de carburant à l’horizon de 2030.

Il est clair que nous ne pourrons pas revenir au niveau des coûts que nous connaissions au démarrage des dernières politiques gouvernementales. Dans ce contexte et s’il est question de « mettre de l’argent sur la table », autant le faire en favorisant l’élaboration de solutions créatives pour convertir certains déchets, comme l’eau, en richesse réelle. Ces initiatives pourraient avoir un impact concret pour le bâtiment, y compris dans le secteur locatif. Certaines réglementations suscitent de réelles interrogations parmi nous et nous sommes disponibles pour en discuter, car cette situation est regrettable.

M. Olivier Salleron. Pour ce qui a trait à la décentralisation, nous sommes d’accord pour admettre que toutes les zones ne doivent pas être traitées de la même façon. Le PTZ a été supprimé sur 93 % du territoire environ et son extension à quelque 200 communes supplémentaires est nettement insuffisante. Si la décentralisation est une piste à explorer, nous devons néanmoins veiller, comme d’autres l’ont dit, à ne pas accroître les aides dans les zones déjà bien pourvues et au détriment des départements ruraux, qui en souffriraient. Par conséquent, il est impératif de maintenir une coordination nationale, car il est difficile d’imaginer une décentralisation qui serait immédiate et totale, notamment en ce qui concerne les financements : une telle approche ne ferait qu’entraver davantage la faisabilité et la production de logements.

Je participe à la commission « Croissance et territoires » du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui concentre ses réflexions sur les bassins d’emploi et de vie englobant plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Une approche de ce type, plus régionale, axée sur des bassins de vie et d’emploi définis par la région, pourrait être envisagée et portée par le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) ou le schéma de cohérence territoriale (SCoT) : il s’agirait alors de définir les aménagements nécessaires en fonction de caractéristiques locales comme le bâti, la démographie, l’industrialisation ou le développement de l’artisanat. Bien que ces idées soient déjà prévues dans de nombreux textes, leur mise en œuvre reste limitée. Une telle décentralisation étendue au secteur du logement pourrait s’avérer judicieuse, mais il serait essentiel d’adopter alors une approche progressive, afin d’éviter les écueils d’une mise en œuvre hâtive qui contribuerait à bloquer le système.

Les zonages établis en 2014 doivent être revus à la lumière de l’évolution de notre pays depuis dix ans et des besoins actuels en matière d’aménagement du territoire : je pense aux quartiers prioritaires de la politique de la ville ou à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), dont l’action doit être prolongée et élargie. La déconstruction-reconstruction que favorise l’Anru est importante pour développer la mixité des quartiers, en secteur HLM ou hors secteur HLM. Il est important de ne pas limiter cette vision aux quartiers les plus compliqués : l’action de l’Anru concerne une large diversité de contrées en France, y compris la Dordogne ! Ces rénovations ont fait leurs preuves, favorisant la mixité sociale et le développement de nombreux quartiers dans une véritable logique d’aménagement du territoire.

De telles initiatives doivent être encouragées localement, de façon décentralisée, pour une plus grande efficacité : j’ai pu constater, depuis que je siège au conseil d’administration de l’Anru, que tous les budgets disponibles ne parvenaient pas à être utilisés. Mes confrères marseillais me faisaient part récemment de leur perplexité lorsqu’ils constataient qu’en dépit des centaines de millions d’euros investis au cours des vingt-cinq dernières années, les résultats dans leur zone n’étaient pas au rendez-vous. La situation actuelle nécessite donc une réflexion, il nous semble important de modifier la gouvernance et de privilégier une prise de décision plus locale pour favoriser une transformation plus intelligente de nos villes et de nos villages.

S’agissant de la vacance des logements, certains observateurs peu familiers du secteur considèrent que, le nombre de logements vacants étant de l’ordre de quatre millions, cela suffirait, en théorie, à résoudre les problèmes de logement de nos concitoyens. En réalité, une grande partie de ces logements vacants se situe dans la « diagonale du vide », qui s’étend du grand Est jusqu’au Sud-Ouest, au sein de régions peu attractives en termes d’emplois disponibles. Nous ne pouvons pas forcer nos concitoyens à s’installer dans des régions où ils ne souhaitent pas vivre ni les contraindre à exercer une activité agricole, comme peuvent l’imaginer certains intellectuels ou think tankers comme M. Jean-Marc Jancovici.

Selon les données issues de l’Observatoire de la vacance, on estime qu’environ un million de logements sont inoccupés depuis deux ans, pas davantage. Certains sont bloqués en raison de problèmes de succession, tandis que d’autres sont en cours de rénovation. Encourager la mise en location de ces logements vacants ou envisager des sanctions pour les propriétaires qui les laissent inoccupés peut être une solution, même si nous ne sommes pas forcément favorables à ce type d’obligations ; mais cela ne résoudra pas tous les problèmes liés au logement de nos concitoyens.

Par ailleurs, tout le monde pense qu’en tant que professionnels, nous nous réjouissons de l’obligation de travaux et de l’interdiction de louer des passoires thermiques. Certes, cela promet du travail supplémentaire pour notre secteur, mais il nous paraît essentiel de privilégier les dispositifs incitatifs. Les propriétaires bailleurs ne forment pas un groupe homogène. Certains possèdent un grand nombre d’appartements et ont des revenus importants ; ils sont faciles à identifier et n’ont peut-être pas besoin d’aide financière. À l’inverse, une grande partie des loueurs sont des citoyens français moyens ou modestes qui possèdent un ou quelques appartements, fruits de leur investissement en vue de garantir un revenu complémentaire à la retraite : pour ces propriétaires, des mesures d’incitation nous semblent préférables à une obligation soudaine de rénovation qui serait imposée. S’il s’agit d’une décision politique, il faut accepter que l’aide soit plus conséquente.

Les contraintes qui pèsent actuellement sur la construction neuve et la rénovation énergétique sont nombreuses et elles appellent des choix politiques plus affirmés. Il est évident que nous sommes tous favorables à la préservation de la planète et qu’il ne s’agit pas d’être climatosceptique. Mais certaines étapes sont à revoir, en tenant compte de la situation d’endettement de l’État, d’une part, mais également de la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens, d’autre part. L’équation est difficile à résoudre et elle impose de faire preuve de discernement. Nous ressentons déjà, malheureusement, un mécontentement latent face au problème du logement : 12 % des étudiants ne poursuivent pas leurs études en raison du manque de logements abordables ; pour l’accueil de nos stagiaires, c’est la « débrouille » pour essayer de leur trouver un logement, même dans des régions comme le Périgord où l’offre de logement social reste insuffisante. La crise du logement affecte de nombreux jeunes, qu’ils soient étudiants ou qu’ils souhaitent simplement progresser dans la vie, et c’est un problème qui va bien au-delà de l’économie du bâtiment : nous le ressentons au quotidien au travers du sort de nos salariés, qui appartiennent bien souvent à des milieux modestes.

M. Loïc Chapeaux, directeur des affaires économiques de la Fédération française du bâtiment. L’Insee a identifié 8 % de logements vacants en France, ce qui porterait leur nombre à environ quatre millions. Cependant, après extraction du fichier Lovac de la seule vacance à plus de trois ans et en prenant en compte les logements HLM, ce nombre se réduit à environ un million de logements vacants. Lorsque l’on exclut, ensuite, les zones et collectivités dans lesquelles la population diminue structurellement depuis dix ans, notamment au sein de la « diagonale du vide », ce nombre tombe à cinq cent mille ou six cent mille logements, dont un certain nombre sont certainement insalubres et inhabitables. Il semble donc que nous disposions, in fine, d’un nombre de logements vacants équivalent à une année moyenne ou bonne de construction : ce potentiel de récupération est certes à exploiter, mais cela ne peut constituer à soi seul la politique du logement en France.

Au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, une initiative avait été lancée dans un contexte où l’Insee estimait qu’il y avait dix-huit mille logements vacants. À partir d’une analyse plus fine sur la base de l’équivalent du fichier Lovac, ce nombre a chuté à environ quatre mille logements réellement vacants depuis plus de deux ans. La grande opération lancée par la municipalité pour reconquérir ces logements, à base de mailing et d’accompagnements financier et humain, n’a permis de retirer de la vacance que quatre cents logements en quatre ans. Il est donc important de traiter la question des logements vacants, mais cela ne suffira pas à asseoir une politique du logement complète, y compris dans les territoires détendus.

M. Olivier Salleron. Nous entendons beaucoup d’incantations autour du logement vacant : les chiffres concernant des logements vacants à hauteur de quatre millions sont faux et c’est mathématiquement vérifiable. Le maire de Châteauroux Gil Avérous, président de Villes de France, l’a d’ailleurs vérifié : dans son agglomération, la municipalité a constaté que les logements réputés vacants étaient en réalité occupés à hauteur des deux tiers ou des trois quarts. La prudence vis-à-vis des chiffres officiels sur la vacance est donc de mise, lorsqu’il s’agit d’alimenter la réflexion politique sur l’aménagement du territoire.

M. le président Stéphane Peu. Une mission d’information comme la nôtre peut déboucher sur la formulation de propositions, mais également tordre le cou à certaines idées reçues qui circulent. Nous ne devons pas rejeter d’emblée le débat sur la vacance, qui mérite d’être analysée objectivement, mais il faut éviter de laisser croire qu’il y a là une solution – à tout le moins, autre que partielle. Le sujet mérite en tout cas d’être éclairé.

S’agissant de la décentralisation – même si la décentralisation n’est pas l’objet central de notre mission, il me semble important de s’emparer du sujet, dans la mesure où l’une des futures lois sur le logement l’abordera probablement – je n’ai rien contre le concept de proximité, mais je crains fort que, dans un pays où il n’existe plus de politique d’aménagement du territoire, une décentralisation supplémentaire ne creuse davantage les disparités territoriales plutôt qu’elle ne les résorbe.

Vous avez évoqué la multiplicité des crises auxquelles le secteur du bâtiment a dû faire face. Avez-vous évalué l’impact de ces crises sur le coût réel de la construction ? Pouvez-vous fournir une estimation de l’évolution de vos coûts de production ? Par ailleurs, alors qu’un grand nombre de rapports et d’études prospectives concernant la production de logements en France ont été publiés par la Banque des territoires, l’USH, la Cour des comptes et d’autres, avez-vous évalué les risques et menaces potentiels qui pèsent sur la filière au regard de ces prévisions, dont certaines sont extrêmement préoccupantes ? Avez-vous envisagé les conséquences de la poursuite de la baisse de la production de logements, à la fois en termes d’activité économique et d’emploi dans le secteur du bâtiment ?

M. Olivier Salleron. Le renchérissement du coût du logement est estimé aujourd’hui entre + 20 % et + 25 %. En ce qui concerne spécifiquement les maisons individuelles et la RE2020, nous avions anticipé une augmentation de 10 %, mais finalement, elle se situe entre + 7 % et + 8 %, jusqu’à + 13 % voire davantage en fonction des spécificités de chaque projet. À l’heure actuelle et par rapport au début de mars 2020, soit trois ans et demi, c’est bien d’une hausse de 20 à 25 % du coût de la construction neuve dont il est question, pour les maisons individuelles comme pour l’habitat collectif. Cette hausse est liée à l’augmentation du prix des matières premières, mais également au fait que nous avons été vertueux et que nous avons accordé des augmentations de salaire à la hauteur de l’augmentation du coût de la vie, dans une fourchette de + 5 % à + 7 % cette année comme l’année dernière. Or les salaires ont un impact significatif sur les coûts finaux...

Comme nos partenaires de la Capeb, nous ferons face à une récession dès cette année. Si nous avons connu récemment une croissance de plus de 2 % dans le domaine de la rénovation énergétique, nous constatons un déclin au niveau de la construction neuve dès la fin de cette fin année, qui se traduira par une baisse d’activité de plusieurs milliards d’euros. Plus préoccupant encore, l’année à venir s’annonce difficile, avec des prévisions indiquant une baisse d’environ 5 % dans l’ensemble du secteur de la construction : j’anticipe donc une diminution de 16 à 20 milliards d’euros de notre chiffre d’affaires l’année prochaine. Cette diminution est principalement due au secteur de la construction neuve, qui a un impact considérable sur l’ensemble de l’industrie du bâtiment.

Nous devrions idéalement produire entre 400 000 et 500 000 logements neufs par an, même s’il est vrai que le niveau de 500 000 logements neufs n’a été atteint qu’une seule année au cours des quinze dernières années. Les spécialistes admettent que le seuil de 400 000 logements constituerait déjà un progrès significatif pour améliorer le sort de nos concitoyens. L’année dernière, le chiffre était de 370 000 logements, ce qui signifie que, chaque année, nous accumulons un déficit par rapport à nos besoins théoriques. Pour l’année 2023, nous ne sommes pas certains d’atteindre le niveau de 300 000 logements. Nous voyons donc un schéma inquiétant se dessiner et, malheureusement, nous sommes sur le point de revenir à un niveau similaire à celui de 1991. Sans aucune intervention des pouvoirs publics sur le PTZ ou tout autre dispositif, nous pourrions descendre à 250 000 logements par an – peut-être 270 000 en 2024 si les conditions actuelles se maintiennent, mais, pour 2025, cette évolution est pratiquement inéluctable : le secteur de la construction est comparable à un paquebot qu’il est extrêmement difficile de relancer après un coup d’arrêt ; les travaux commencent douze à dix-huit mois après la délivrance du permis de construire et les chantiers sont livrés encore 24 à 30 mois plus tard.

J’ai averti nos adhérents, en particulier ceux œuvrant dans le secteur de la construction neuve, qu’il est déjà trop tard pour espérer échapper à la crise. Bon nombre de ceux-ci, en particulier les petits entrepreneurs employant moins de dix salariés, sont très dépendants de la construction neuve issue de la promotion locale, qui constitue une part significative de leur chiffre d’affaires. Les promoteurs commencent à faire face à des difficultés financières et glissent vers le néant ; derrière eux, c’est tout le monde de la construction et toute une filière qui plongent.

Nous avons estimé la perte d’activité de 16 à 20 milliards d’euros. Une baisse d’une telle ampleur aura nécessairement des conséquences. Même si la rénovation énergétique pourrait compenser un peu moins de la moitié de cette baisse, nous devrons probablement faire face à un déficit d’activité d’environ 5 % : c’est pourquoi je parle d’une récession forte et préoccupante en 2024 et 2025.

Cette situation est largement propre à la France ; elle n’est pas seulement liée à la dette, à une pandémie ou à des questions géopolitiques, alors même que des facteurs extérieurs tels que la flambée du prix du pétrole pourraient avoir un impact supplémentaire. Dans tous les cas, le problème central reste celui de l’investissement dans le logement abordable pour nos concitoyens, que ce soit dans la construction neuve ou dans la rénovation énergétique – même si rien ne vaut un logement neuf pour réduire la consommation énergétique.

Dernière remarque en forme de calcul : lorsqu’un Français moyen souscrit un prêt à taux zéro, c’est l’État qui perçoit environ 34 000 euros – cela peut sembler surprenant, mais on peut le prouver. Lorsque j’évoque ce point avec le ministre Thomas Cazenave et ses services, on m’explique que, pour l’Europe et les notations, ce sont les dépenses qui comptent : il faut donc faire des efforts. Nous pensons qu’il serait plus pertinent de distinguer entre « bonne dette » et « mauvaise dette », sans parler des versements de TVA générés immédiatement par le secteur du logement.

M. le président Stéphane Peu. Le logement rapporte plus qu’il ne coûte !

M. Olivier Salleron. Comme l’avait indiqué un ancien ministre du budget, le logement dans son ensemble coûte 40 milliards d’euros et en rapporte 90, soit un écart positif de 50 milliards d’euros. Certains disent qu’il faut surtout considérer la dépense : personnellement, si chaque euro que je joue au casino m’en rapporte deux, j’y retourne tous les jours…

Nous nous trouvons donc au seuil d’une récession, bien que notre filière ait prouvé sa robustesse ces dernières années : nous avons embauché 120 000 salariés depuis le début de la crise de la crise de la covid-19, y compris des jeunes et des apprentis, et sans avoir licencié auparavant, ce qui est un résultat exceptionnel ; malheureusement, le solde entre les départs et les nouvelles embauches sera à zéro cette année.

Aujourd’hui, nous nous sentons stigmatisés. Souffrons-nous de nos éclatants succès passés et du célèbre adage selon lequel « quand le bâtiment va, tout va » ? Nous connaissons l’effet d’entraînement qu’à notre filière sur l’ensemble de l’économie. Nous formons un grand nombre de jeunes et de moins jeunes, nous œuvrons en collaboration avec nos partenaires de la Capeb à l’intégration des publics migrants et des réfugiés politiques en situation régulière, nous nous engageons depuis des années dans des actions de ce type. Soutenir l’activité du bâtiment ne peut que contribuer à aller vers le plein emploi et nous risquons de ne pas être au rendez‑vous, à ce niveau, en 2024 et 2025.

M. David Morales. Du côté de la Capeb, nous sommes un peu moins pessimistes et ne parlons pas de récession. Nous avons constaté une croissance de 0,5 % au cours du dernier trimestre et nos prévisions ne vont pas aussi loin que celles de la FFB. Nous attendons les chiffres du prochain trimestre pour disposer d’une meilleure vision de l’évolution, nous prévoyons que la courbe continuera de descendre bien que nous n’anticipions pas un effondrement. Cependant, nous sommes préoccupés concernant la rénovation énergétique et craignons les effets négatifs des nouvelles règles prévues à partir de janvier, notamment dans le cadre des deux piliers de MaPrimeRénov’.

En effet, jusqu’à présent, la rénovation énergétique était principalement axée sur des travaux dispersés et qualifiés de « monogestes ». Désormais, l’objectif est de privilégier une approche de rénovation globale, ce qui n’est pas une tâche facile. De plus, cette rénovation globale devra être encadrée par des « accompagnateurs Rénov’ ». L’institution d’une nouvelle aide ou de nouvelles règles entraîne des difficultés par la complexité supplémentaire qu’elle induit. Nous avons d’ailleurs présenté quinze propositions visant à simplifier ces processus.

Nous pensons qu’il est essentiel, au début de l’année prochaine, de rechercher plus de flexibilité et de souplesse dans les deux piliers de MaPrimeRénov’, afin d’éviter que ce taux de croissance actuel de 0,5 % ne diminue davantage. Le secteur de la construction neuve est en décroissance, mais la rénovation reste encore relativement stable et la rénovation énergétique porte l’ensemble : si elle venait à décliner, cela pourrait entraîner des difficultés majeures. Compte tenu de l’inertie du secteur du bâtiment évoquée précédemment, mieux vaut éviter de le voir « plonger » en prenant des mesures dès à présent plutôt que de devoir ensuite trouver des solutions pour le redresser.

Nous avons de nombreuses idées à proposer, s’agissant notamment des groupements momentanés d’entreprises. Avec l’aide des parlementaires, nous pourrions écarter la solidarité au sein de ce type de groupements, qui peut parfois représenter un frein. Nous espérons plus de souplesse dès le début d’année prochaine en matière de rénovation énergétique, de manière à éviter le trou d’air redouté et un freinage trop brutal.

M. Loïc Berger. S’agissant de l’augmentation des coûts et pour ce qui concerne l’aménagement et la viabilisation des lots et des logements, tout dépend où vous placez le curseur. Depuis la fin de la crise sanitaire jusqu’à présent, nous affichons des hausses de coût de + 25 % à + 28 %. Il est important de noter que le coût du carburant a largement contribué à alourdir la facture et que cette tendance semble appelée à se poursuivre, même si la fiscalité liée aux carburants, la fiscalité « brune », est un sujet délicat. Mais il est essentiel que nous abordions ces questions de manière franche : sommes-nous prêts à protéger ces métiers et à garantir le renouvellement de l’habitat en France ?

Pour ce qui concerne les matériaux, certains fabricants ont mis la barre assez haut, ce qui nous a rendus vulnérables en raison des crises successives. Nous espérons ne pas être à l’aube d’une nouvelle crise dans certains pays, qui pourrait créer de nouvelles difficultés toujours liées au coût des carburants.

Nous avons mené une enquête de conjoncture à la rentrée et plusieurs points problématiques en ressortent.

D’une part, les entreprises ont pris du retard sur leur carnet de commandes en raison de la covid-19, ce qui est inédit. L’augmentation des prix et l’impossibilité de les réactualiser ont donc mis à rude épreuve les trésoreries : actuellement, plus de la moitié des entreprises de travaux publics sont en difficulté de trésorerie. D’autre part, la confiance des entreprises est en berne : plus de 67 % d’entre elles déclarent ne pas avoir confiance en l’avenir. Par ailleurs, ces entreprises ont beaucoup embauché et elles font aujourd’hui face à un véritable ralentissement ; les embauches continuent, notamment dans le domaine de l’apprentissage et parce que nous sommes toujours présents et déterminés à former la jeunesse, mais leur rythme a nettement ralenti.

Pour rebâtir la confiance entre les entreprises et l’État, il est essentiel d’être prudent par rapport aux effets d’annonce : si, chaque année, le projet de loi de finances annonce la fin de la TVA à 10 % sur la rénovation et que l’on prône une fiscalité brune par une taxation plus élevée sur les carburants, cela crée de l’incertitude et de l’appréhension. Nos machines consomment du carburant fossile, nous en sommes conscients et privilégions le matériel récent, moins gourmand ; néanmoins, nous ne pourrons pas électrifier le parc de machines et construire les logements à l’électricité : cela n’est pas possible, à moins de tripler le coût d’investissement en matériel et de prévoir les infrastructures de recharge nécessaires. Ce type d’annonce peut décourager les investissements, y compris chez les artisans qui sont confrontés à un dilemme s’ils doivent, par exemple, envisager l’achat d’un véhicule utilitaire : ils ignorent s’ils pourront encore l’utiliser dans quelques années dans les zones urbaines. Ces incertitudes ont un impact direct sur les coûts de construction, car les projets de construction s’inscrivent sur le long terme et les actualisations de prix ne permettent pas de compenser les augmentations. Les trésoreries de nos entreprises sont déjà fragiles, trop fragiles, et si une nouvelle crise se profilait, les conséquences financières pourraient être considérables.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Nous sommes conscients de la situation actuelle, exacerbée par une série de crises successives. La conjoncture fait qu’il sera difficile d’atteindre des objectifs de production qui ne cessent de s’éloigner et nous comprenons que cette conjoncture ne va pas s’améliorer.

Si l’effort s’accentue en matière de rénovation thermique, quelles difficultés pourriez‑vous rencontrer en matière de disponibilité de la main-d’œuvre pour répondre à la demande ? Il est en effet essentiel de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée pour atteindre les objectifs fixés.

Par ailleurs, la réindustrialisation dont nous parlons va de pair avec la production ou la réhabilitation de logements pour les salariés, ce qui nécessitera un investissement considérable. En dehors des financements publics, qui ne sont pas nécessairement disponibles, comment, selon vous, parvenir à mobiliser des fonds privés permettant de produire les logements dont les candidats auront besoin pour postuler ? L’idée n’est pas de contribuer à aggraver le phénomène d’hyper-métropolisation, mais bien de tendre vers un meilleur équilibre territorial. Si une entreprise s’installe quelque part, il faudra pouvoir loger ses salariés : quelles pourraient être les solutions permettant de débloquer les situations et parfois de contribuer à la revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes ?

Pour ce qui concerne le ZAN, il résulte de décennies de déroulement du tissu urbain que nous totalisons 176 000 hectares de friches aujourd’hui en France. Quels outils devons‑nous mettre en place pour élaborer un plan de défrichage visant à développer à la fois des logements et, éventuellement, des activités économiques ? Vous avez mentionné les zones commerciales situées aux entrées de ville et dotées d’infrastructures complètes, y compris de transports en commun. Comment envisagez-vous d’intégrer des logements dans ces zones sans avoir recours à l’exploitation des terrains agricoles voisins ?

Vous avez mentionné une étude sur les logements vacants et l’élu d’agglomération que je suis est très intéressé par ces données. Des discours prospèrent localement sur l’exploitation des logements vacants afin de réduire la consommation d’espaces agricoles et naturels ; c’est également un argument souvent avancé pour justifier une diminution de l’enveloppe de consommation aux yeux d’un président d’agglomération. Mais il serait problématique que nous nous appuyions sur des données incorrectes et il est essentiel de mettre des données exactes à la disposition de ceux qui décident des orientations sur nos territoires : cela éviterait de se fixer des objectifs qui ne seront jamais atteints.

Il importe également de prendre en considération la hausse continue du prix du foncier. Comment faire pour que ce coût ne soit pas pénalisant pour l’acheteur et comment garantir qu’il puisse toujours accéder à la propriété, malgré l’augmentation de ce prix ? Les banques jouent un rôle en la matière, elles qui sont parfois réticentes à octroyer un prêt permettant d’acquérir un logement alors même que le montant du remboursement mensuel est inférieur au montant du loyer acquitté par leur client.

Je suis, comme vous, un fervent partisan d’une approche holistique du logement. À ce titre, il est vrai que le système du « tout-tuyau » que nous avons connu au cours des cinquante dernières années, privilégiant l’utilisation de canalisations en PVC à base de pétrole et du bitume, est obsolète. Nous parlons aujourd’hui de gestion intégrée des eaux pluviales. Peut-être serait-il pertinent de réfléchir, à l’échelle de nos agglomérations, à une évolution du mode de rémunération de nos délégataires fournisseurs d’eau, qui facturent au mètre cube d’eau vendue, alors que nous réclamons au consommateur final des économies de consommation.

Pour ce qui concerne le logement social, je suis conscient que certaines entreprises, de par leur modèle économique, dépendent largement de la production de logements sociaux. Dès lors, la diminution constante de ce carnet de commandes place ces entreprises dans une situation de plus en plus difficile. Les subventions pour la construction de bâtiments neufs ne sont plus à la hauteur des enjeux et de l’augmentation des coûts. Comment faire en sorte que la production des logements nécessaires puisse s’appuyer sur des financements autres que publics, ceux-ci étant déjà largement sollicités en période de crise ? Existe-t-il, selon vous, un modèle économique viable qui permettrait de financer le logement par le biais de fonds privés ?

M. Olivier Salleron. Quand MaPrimeRénov’ a été créée, elle a englobé les copropriétés. Or il existe des questions juridiques à traiter pour réaliser des rénovations complètes en copropriété, car il suffit de l’opposition d’un seul copropriétaire pour empêcher cette rénovation. Toutefois, lorsque le système a été étendu à l’ensemble des ménages français et comme je l’ai mentionné précédemment, nous avons embauché 120 000 salariés supplémentaires : cela signifie qu’une fois que le financement est disponible, que la visibilité est réelle et qu’il n’est pas nécessaire d’attendre le projet de loi de finances de l’année suivante pour connaître le fonctionnement des aides – comme c’est trop souvent le cas et ce qui met notre flexibilité à rude épreuve – nous sommes capables de trouver la main-d’œuvre nécessaire. Nous avons notamment « récupéré » des travailleurs d’autres secteurs en moins bonne santé ou qui offraient des salaires moins élevés. Il faut insister sur le fait que les négociations sociales dans notre branche ont abouti, ces dernières années, à des améliorations significatives des conditions de rémunération et des avantages proposés à nos salariés. Nous savons former nos équipes et les faire monter en compétences, nous sommes un véritable « aspirateur » à nouvelles technologies, nous attirons les jeunes qui sont sensibles aux enjeux écologiques, ce qui renforce notre attractivité.

Vous avez mentionné la mobilisation des fonds privés et il convient, à ce titre, d’évoquer le rôle d’Action logement, par le biais duquel les entreprises jouent un rôle central dans le financement du logement social. Action logement a été sauvé, il y a moins de trois mois, par un plan quinquennal auquel nous avons fortement contribué. Cet organisme permet de loger de nombreux salariés du secteur privé et contribue à fournir du logement de proximité aux salariés : Action logement, comme le secteur social, ont pour mission d’accompagner la réindustrialisation du pays. La construction d’une gigafactory à Dunkerque est une avancée significative, mais il est regrettable que la question du logement n’ait pas été abordée par le ministre en présence du Président de la République : il est pourtant essentiel de s’assurer que les douze mille salariés qui seront embauchés pourront se loger sans avoir à parcourir cinquante kilomètres chaque jour pour rejoindre leur lieu de travail !

Mobiliser davantage de ressources pour le logement social est une nécessité, mais il faut également soutenir ceux qui souhaitent investir dans des logements locatifs en tant que bailleurs privés, par des dispositifs type « Pinel ». Il existe en France des particuliers qui disposent de moyens financiers importants, notamment sous forme d’épargne. Il est donc temps d’envisager des décisions iconoclastes, telles que la taxation de 0,01 % des transactions vers l’assurance-vie pour alimenter un fonds de financement de la rénovation énergétique, au nom de la solidarité nationale. Il faudra se résoudre à aller chercher cette épargne qui est massive, ce dont profitera l’ensemble du pays : c’est ainsi que nous réussirons à réindustrialiser.

S’agissant des zones commerciales, l’État a consenti un investissement conséquent de 400 millions d’euros pour les entrées de ville, qui bénéficient déjà de nombreuses infrastructures. Cependant, l’achat de bâtiments dans ces zones coûte cher. Il est donc important de pouvoir mobiliser des investissements privés afin de créer dans ces zones des logements destinés à être loués à ceux qui ont moins de moyens, notamment grâce au statut du bailleur privé. Les ressources financières existent, il s’agit de les utiliser judicieusement.

En ce qui concerne le foncier, le bail réel solidaire (BRS) est une excellente idée. Bien que le nombre de ces baux augmente, il en existe encore trop peu en France. Pour relancer cette dynamique, il n’existe pas de solution miracle et il faut imaginer plusieurs initiatives qui se complètent : le prêt à taux zéro « toutes zones » est une avancée, tout comme le statut du bailleur privé ou encore le ZAN bien utilisé et aux bons endroits. Seule une série de mesures favorables de ce type nous aidera à atteindre les objectifs, alors que, je le rappelle, notre secteur se trouve aujourd’hui en situation de récession.

M. David Morales. S’agissant de l’emploi, nous continuons de travailler dur pour intégrer et former nos jeunes, comme en témoignent les chiffres de l’apprentissage. Mais nous avons besoin, avant tout, d’une communication plus positive autour de nos métiers, nous devons œuvrer pour en donner une image différente. Nous faisons déjà beaucoup pour attirer des jeunes et des personnes issues d’autres secteurs vers nos métiers, qui sont des métiers d’avenir. Nous avons également besoin de votre soutien pour faire évoluer les mentalités au sein de la société.

Pour attirer les investisseurs, la confiance est essentielle : les Français n’investissent pas, parce qu’ils manquent de confiance. Je ne donnerai pas des solutions précises, mais je tiens à souligner l’importance de cette confiance.

Quant à la question du réaménagement des zones commerciales en entrée de ville, j’ai plaidé pendant des années, en tant qu’élu à la chambre des métiers puis à la Capeb, pour que l’on cesse de construire ces « boîtes à chaussures » en périphérie des villes, qui vident les centres-villes. Aujourd’hui, on souhaite ramener des activités dans ces centres-villes et personne ne voudrait habiter dans une niche près d’une boîte à chaussures.

M. le président Stéphane Peu. L’idée serait de repenser la façon dont sont organisées ces zones.

M. David Morales. Il faut peut-être découper ces boîtes à chaussures et les replacer dans le centre des agglomérations ! En tout cas, il faut mettre fin à la reproduction des mêmes schémas absurdes au niveau des zones périphériques commerciales.

Une question me préoccupe depuis le début de cette audition et que j’ai déjà relevée dans d’autres lieux : celle des données. À l’ère numérique, il est inacceptable que les décideurs politiques ne disposent pas de données fiables. Vous demandez à mes collègues de la Fédération française du bâtiment de vous fournir leurs données : mais quand l’État mettra-t-il en place les outils numériques nécessaires pour recueillir ces données ? Ces chiffres sont indispensables pour prendre des décisions éclairées. S’agissant de MaPrimeRénov’, par exemple, nous savons que des abus et des fraudes de la part d’éco-délinquants ont été constatés : que représentent ces abus ? Ces éco-délinquants sont-ils nombreux ? Les services qui gèrent MaPrimeRénov’ n’ont pas communiqué sur le sujet. Pourquoi certains artisans ont-ils mis des mois à être payés de ce qui leur était dû ? Il est impératif d’accroître la transparence des données pour parvenir à une vision claire de la situation et mettre un terme aux spéculations. L’accès à des données précises est essentiel pour guider nos actions et tout économiste sait que les chiffres sont au cœur de l’analyse.

M. le président Stéphane Peu. J’avais entendu le débat autour des entreprises réalisant les diagnostics de performance énergétique (DPE), mais je n’étais pas informé de l’existence d’une éco-délinquance autour de MaPrimeRénov’.

M. David Morales. Ces délinquants s’immiscent dans les systèmes existants pour récupérer les aides de l’État. Il y a un an, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a fortement ralenti son activité : il semble que certains individus avaient réussi à infiltrer son système informatique en usurpant des noms d’entreprises et de clients, causant des retards et détournant des fonds publics. De tels actes nécessitent une réponse adaptée, mais, pour cela, nous devons disposer de chiffres précis pour comprendre l’ampleur du phénomène : les données manquent dans bien des domaines.

De même et avec l’abondance des informations fiscales collectées, il est inconcevable que nous ne puissions pas croiser les données afin de déterminer avec précision le nombre de logements inoccupés et prendre des décisions appropriées quant au nombre de constructions nécessaires. Le ministre chargé du numérique n’est-il pas en mesure de mettre en place des solutions adaptées ? C’est à n’y rien comprendre !

M. le président Stéphane Peu. Le niveau de croissance démographique de notre pays est connu : il est donc possible d’établir le seuil en deçà duquel le nombre de logements produits ne répond pas aux besoins de la démographie et le déficit s’accroît. En prenant en compte l’allongement de la durée de la vie, l’évolution des cellules familiales et la croissance démographique, il est possible d’estimer un « point mort » : aujourd’hui, nous ne l’atteignons pas et la pénurie s’amplifie. Les chiffres projetés sont effectivement préoccupants, avec d’importantes disparités régionales, notamment en Île-de-France, où la situation est particulièrement critique.

M. Olivier Salleron. L’estimation du nombre de logements nécessaires est essentielle. Lors de la première réunion du volet « Logement » du Conseil national de la refondation, la représentante du ministère des finances nous a indiqué qu’un nombre d’environ 150 000 logements par an suffirait… à la grande surprise de tous les participants présents ! Il se trouve qu’elle intégrait dans son raisonnement les quatre millions de logements vacants estimés, alors que, compte tenu des données dont nous disposons, les besoins en logements oscillent plutôt entre 400 000 et 450 000 par an.

M. David Morales. Cette même personne nous avait affirmé, ce jour-là, que le problème provenait du manque de productivité des entreprises du bâtiment…

M. Olivier Salleron. Les deux questions qui étaient posées étaient effectivement : serez-vous assez nombreux et serez-vous suffisamment compétents ? Nous avons insisté sur notre capacité à former et souligné l’intelligence et le savoir-faire des acteurs de notre filière pour s’adapter aux enjeux de la rénovation énergétique. Les centres de formation sont extrêmement efficaces pour former nos futurs salariés : il faut cesser de tenir des discours aussi négatifs aux yeux du public ! Si j’ai pu faire preuve d’un certain pessimisme aujourd’hui, c’est parce que je me trouve devant vous ; dans d’autres enceintes, notamment devant les jeunes futurs candidats, je sais faire preuve d’un optimisme réaliste : nous avons devant nous des dizaines d’années de construction et de rénovation effectuées à l’aide d’outils formidables.

M. le président Stéphane Peu. Par ailleurs, la technicité et la productivité du bâtiment en France en font un des fleurons de notre économie. Nos « majors » du bâtiment s’exportent partout dans le monde et n’existent d’ailleurs que grâce à la présence, sur notre territoire, d’un tissu dense de petites entreprises et d’un réseau de formation professionnelle de qualité.

Nous avons connu deux crises majeures en 1991 et en 2008, qui étaient des crises financières et immobilières. Dans un pays comme la France, le secteur du logement se caractérise par la présence d’une économie mixte, qui possède une fonction contracyclique : quand tout va bien, c’est le secteur privé qui mène la danse ; quand les choses vont plus mal, le secteur socialisé prend le relais. La grande préoccupation qui est la nôtre aujourd’hui est celle de l’absence de relais : les deux piliers de cette économie mixte sont en berne en raison d’une crise de l’offre. La nature de la crise actuelle est donc quelque peu différente de celle des deux précédentes.

 

 


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3.   Audition de Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires et M. Christophe Canu, directeur des études économiques et financières (mercredi 11 octobre 2023 à 14 heures)

M. le président Stéphane Peu. La présente mission d’information résulte d’une initiative du président du groupe Modem, acceptée par la présidente de l’Assemblée nationale. Alors qu’une loi-cadre sur le logement, comportant un volet relatif à la décentralisation, est annoncée pour le premier semestre 2024, notre rapport visera à éclairer la réflexion du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sur ce futur projet de loi. Notre objectif est d’essayer d’analyser la crise immobilière et sociale que nous traversons, crise de l’offre mais aussi de la mobilité qui se décline de multiples manières et appelle des réponses également multiples.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. L’objectif du rapport que nous préparons n’est pas de tenir compagnie à ceux qui peuplent déjà les placards, mais de fournir des outils qui permettront de relancer la production de logements neufs, répondre aux besoins du territoire et lever les freins à l’accès au logement à toutes les étapes de la vie. Les étudiants, comme les actifs et les seniors, rencontrent aujourd’hui des difficultés et il faut agir de sorte que l’offre de logements soit suffisante à chacune des étapes de la vie et que le parcours résidentiel soit simplifié – ce qui suppose de lever de multiples contraintes. Le constat est partagé et connu de tous : il s’agit dorénavant de construire des outils fonctionnels.

Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Il n’existe pas tant de rapports que cela sur le logement, hormis sur quelques sujets particuliers, et aucune mission d’information comparable à la vôtre n’a été menée depuis plusieurs années : le rapport Goldberg de 2016 reste une mine de propositions pour tous les enjeux fonciers ; les rapports parlementaires sur l’application et l’évaluation de la loi Alur contiennent également plusieurs pistes d’amélioration ; de nombreuses contributions ont été produites pour le Conseil national de la refondation et il me semblerait intéressant, à ce titre, que vous ayez accès à l’intégralité des propositions déposées.

Vos travaux s’engagent à l’heure d’une crise multiple qui affecte l’accès au logement social, l’accès au logement locatif privé et l’accession au logement, de manière plus générale. La durée de cette crise et ses conséquences sont à ce jour inconnues. Cette crise n’est pas une surprise, car des alertes ont été lancées depuis plusieurs années et il a seulement fallu que les taux d’intérêt remontent pour qu’elle se matérialise.

Mon expérience en matière de logement social m’a appris qu’il fallait de nombreuses années pour mettre en place une politique du logement qui soit cohérente et produise des effets positifs ; en revanche, une politique qui fonctionne peut s’enrayer très rapidement à cause d’un petit nombre de mesures. Dans le domaine du logement social, la crise de 2008 n’avait pas épargné le secteur ; une autre crise s’est produite autour de 2012-2013, entraînant d’importantes difficultés de production ; nous avons ensuite connu une embellie entre 2015 et 2018, puis une nouvelle dégradation brutale.

Je suis inquiète que plusieurs textes législatifs portant sur le logement soient annoncés, susceptibles de remettre en cause des pans de notre législation et dont les nouveaux outils pourraient être difficiles à comprendre et manipuler. Nous n’avons pas encore « digéré » l’arrivée de la loi Elan que d’autres textes sont annoncés, concernant également le logement privé.

À l’époque où j’étais ministre en charge du logement, j’ai malheureusement connu les difficultés de mise en œuvre des quelque deux cents décrets d’application de la loi Alur ; j’ignore même si nous avons été au terme du processus. Une partie des nombreux textes de loi votés au cours des dix dernières années n’a pas été mise en application, notamment parce que la rédaction des décrets d’application n’avait pas été anticipée. Nous avions même eu parfois des difficultés à savoir ce qu’il fallait mettre en œuvre…

Par ailleurs, je ne pense pas qu’il faille se contenter d’évoquer les compétences et les objectifs politiques et je crois que nous devons également débattre du financement de la politique du logement et de son efficacité : qui finance, comment et pour quels résultats ? Sans une politique d’accompagnement financier forte, la rénovation des logements sera difficile à mettre en œuvre et cette observation vaut dans de nombreux domaines liés au logement. Il me semble donc difficile de dissocier l’examen d’un projet de loi sur le logement des dispositions votées parallèlement en loi de finances : un ministre en charge des comptes publics me disait que la question du logement ne se résoudrait pas en loi de finances ; c’est certes vrai, mais il est vrai aussi qu’un projet de loi de finances inadapté peut annihiler l’efficacité d’une politique du logement.

La première difficulté que nous devons affronter est celle de la cherté du logement en France, de manière générale. En outre, la répartition géographique de l’offre ne correspond pas forcément aux besoins. Parfois, c’est la nature des logements disponibles qui ne correspond pas aux besoins : par exemple, de nombreux logements de trois et quatre pièces sont proposés, alors que la demande se concentre aujourd’hui autour des studios et des deux-pièces, tous secteurs confondus. Le logement reste cher dans le locatif comme dans l’accession, une problématique qui se renforce encore avec l’augmentation des taux d’intérêt. Dans le logement social, les loyers apparaissent relativement élevés et ce, même si beaucoup de ménages bénéficient de l’APL.

Je vous renvoie aux travaux du CNR qui montrent que la très forte augmentation du coût du foncier ces vingt dernières années, et plus encore ces dix dernières années, a contribué à ce que les prix du logement restent élevés. L’augmentation des coûts liée aux normes de construction et l’augmentation des coûts des matières premières ont été documentées, un observatoire ayant d’ailleurs été créé au sein du ministère de l’Économie sur cette question ; ces enjeux peuvent être maîtrisés sur une durée de deux à trois ans. En revanche, l’augmentation continue des prix du foncier est une difficulté qui demeure et qui nécessite, de mon point de vue, une réflexion sur la régulation des prix et les régimes de taxation des plus-values. L’État a investi dans des établissements publics fonciers – aujourd’hui, presque toutes les régions en sont dotées – et des établissements fonciers locaux ont également été créés, ainsi que des établissements publics d’aménagement. Ces établissements sont censés contribuer à la maîtrise des prix, mais nous devons nous interroger sur leur capacité à contenir la surenchère foncière. Entre-temps, la taxe d’habitation a été réformée, ce qui soulève des questions. On attend parfois de ces établissements qu’ils dégagent des résultats, alors que l’objectif n’est pas qu’ils participent à la surenchère.

Par ailleurs et pour l’avoir expérimentée, je pense que la politique nationale de décote du foncier de l’État et de ses établissements pour des projets d’intérêt général (logements sociaux, services publics) a été très utile pendant les années où elle a été menée. Bien entendu, l’État n’a pas gagné autant que sur un marché spéculatif, mais cela a permis de produire plusieurs dizaines de milliers de logements. Nous devons faire en sorte que cette politique soit menée et qu’elle soit validée par le conseil immobilier de Bercy. J’ai bien lu les critiques de la Cour des comptes sur ce sujet, mais je pense que le fait d’avoir pu construire des logements avec ce système de décote a permis de réaliser des économies ou des gains au niveau des APL, des conséquences du surpeuplement des logements, de la prévention de l’échec scolaire, etc.

Le nombre de demandeurs de logement social n’a jamais été aussi élevé : 2,4 millions de ménages demandeurs. Parmi eux, on trouve 700 000 demandes dans le cadre d’une mobilité, c’est-à-dire que des attributaires de logement social souhaitent accéder à un logement plus grand ou plus petit – de mémoire, environ un tiers d’entre eux souhaitent accéder à un logement plus grand. Le problème est que nous avons très peu de logements disponibles et que 1,65 million de ménages attend un logement social. Ce nombre n’a jamais été aussi élevé, il est en augmentation constante depuis trois ans et il s’est accru de 20 % au cours des huit à dix dernières années.

Les demandeurs de logement sont en moyenne plus pauvres que la population générale. Il s’agit souvent de personnes seules ou de familles monoparentales avec un enfant. Beaucoup sont actifs.

Jusqu’au déclenchement de la pandémie, le nombre d’attributions de logement social avait eu tendance à augmenter, pour atteindre un rythme maximal de 420 000 par an ; nous devrions nous situer aux alentours de 350 000 attributions cette année.

Autre fait notable : la demande de logements HLM a augmenté dans toutes les régions, y compris dans celles où la situation était considérée comme « détendue ». Le nombre de demandes a crû en moyenne de 7 % en 2022, dans une fourchette comprise entre + 5 % et + 11 %. En Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, où la tension est modérée, le taux de croissance est tout de même de 5 %. Les territoires très attractifs en matière d’emploi sont extrêmement sollicités : la Bretagne, les Hauts-de-France, les Pays de la Loire s’ajoutent ainsi aux régions les plus tendues que sont l’Île-de-France, Auvergne – Rhône-Alpes (surtout Rhône-Alpes) et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Comme moins de logements sont disponibles ou accessibles dans le parc privé, davantage de personnes se tournent vers nous. Les demandeurs sont souvent des ménages actifs, avec un ou deux enfants et des parents de trente à quarante-cinq ans. Beaucoup de demandeurs effectuent leur première demande de HLM vers soixante ans, en anticipation de leur départ en retraite : ils ont déjà anticipé qu’ils ne pourront pas rester dans leur logement actuel, du fait d’un loyer qui sera devenu trop élevé pour eux ; ce phénomène a toujours existé, mais il était beaucoup moins répandu. Enfin, les demandes portent majoritairement sur de petits appartements, avec beaucoup de personnes seules ou de familles monoparentales avec un enfant. Chez les demandeurs comme chez les quelque onze millions de locataires HLM, les familles monoparentales sont prépondérantes et largement surreprésentées par rapport à la population générale.

Simultanément, la production n’a jamais été aussi faible. J’espère que les prévisions communiquées par le ministre chargé du logement seront démenties, mais il semblerait que nous ne « produisions » (agréments hors reconstruction Anru) qu’environ 85 000 logements en 2023 (contre 95 000 attendus). Si cette prévision était confirmée, ce serait la plus mauvaise année en termes de production depuis 2005, qui était déjà une très mauvaise année. Ces vingt dernières années, la production a oscillé entre 100 000 et 120 000 logements par an ; l’année de la covid-19 a été marquée par un fort ralentissement, puis nous sommes revenus à 95 000 logements l’année dernière. Quant aux mises en chantier, elles oscillent historiquement entre 80 000 et 90 000 par an, mais en 2022, ce nombre a plongé à 66 000 – voire 60 000.

Nous sommes donc confrontés à une baisse de la production, si bien que moins de nouveaux programmes sont proposés aux locataires. Les réponses favorables aux demandes de HLM sont moins nombreuses et, simultanément, ces demandes sont plus nombreuses. Nous nous retrouvons ainsi dans une impasse, puisque la vocation d’un bailleur social est bien de répondre à la demande de logements.

Quels leviers pouvons-nous actionner ? Si nous voulons pouvoir rénover et produire au rythme demandé par l’État, des moyens financiers pérennes et lisibles doivent être déployés. Nous avons besoin de pouvoir construire des stratégies pluriannuelles et non pas subir des à-coups à chaque loi de finances. Je vous renvoie au scénario de la Banque des territoires : sur la base d’un financement analogue à celui de 2023, nous serions en capacité de rénover seulement 100 000 logements par an et d’en produire 70 000, puis 66 000. Or l’État estime qu’il serait nécessaire de produire 110 000 logements par an – nous pensons qu’il faudrait même en produire un peu plus. En termes de rénovation, aucun objectif quantifié n’a été fixé par l’État mais nous estimons que pour pouvoir « tenir » la stratégie bas-carbone aux horizons de 2034 et, surtout, de 2050, il faudrait passer de 120 000 à 150 000 rénovations par an – en gardant à l’esprit que les deux-tiers seulement des rénovations actuelles permettent d’obtenir un reclassement des logements vers les catégories « bas-carbone » (étiquette A ou B).

Pour faire sauter certains verrous, nous avons besoin d’une visibilité financière qui nous protège des à-coups économiques. Je pense notamment au niveau des taux d’intérêt. Les mesures prises en 2018 (réduction du loyer de solidarité, regroupements, etc.) ont été jugées à l’époque indolores par les décisionnaires, mais le taux d’intérêt était alors de 0,5 %. Aujourd’hui, il est monté à 3 % et, sans une action déterminée de la Première ministre, il atteindrait même 4 %. Chaque fois que le taux du livret A augmente d’un point, cela représente de 1,4 à 1,6 milliard d’euros de dépenses supplémentaires pendant l’année. Nous avons donc vécu un bouleversement considérable ces deux dernières années : le taux du livret A est passé de 0,5 % à 1 %, 2 % puis 3 % ; nous savons qu’il va rester à 3 % pendant dix-huit mois, ce qui nous offre une certaine visibilité, mais ce niveau est considérable. En 2023 et en 2024, les bailleurs sociaux vont donc consacrer une bonne partie de leurs recettes à payer davantage de charges financières ; il faudra régler ce problème avant d’espérer pouvoir produire plus de logements. Je ne minimise pas l’effort du Gouvernement, qui nous a entendus sur ce sujet, mais je dois dire aussi que la réduction du loyer de solidarité (RLS), qui avait été décidée dans un contexte de taux particulièrement faibles, est maintenue alors que le taux d’intérêt a été multiplié par six. Il est incompréhensible qu’il soit impossible de rediscuter de la RLS, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, et que chaque fois que des parlementaires ont voulu rouvrir le débat, ils se soient vus opposer les dispositions de l’article 40 de la Constitution. J’insiste donc sur le fait que les bailleurs sociaux donnent 1,3 milliard d’euros à l’État, c’est-à-dire des sommes qui ne sont pas investies dans le secteur du logement social : il me semble que ce serait un levier considérable s’ils pouvaient en conserver l’usage.

Le deuxième levier a un impact financier plus limité : il s’agit de la manière dont les taux de TVA sont utilisés dans le cadre du logement – et pas seulement du logement social. Il fut un temps où le taux de TVA était de 5,5 % pour tous les « produits » du logement social. Le taux est ensuite passé à 20 %, puis retombé à 10 % dans certains cas. Actuellement, le logement très social bénéficie d’un taux de TVA réduit à 5,5 %, tandis que les autres produits sont taxés à 10 %. Je ne comprends pas pourquoi le taux unique n’est plus de 5,5 % pour l’ensemble du logement social, ce qui permettait de réduire le coût du logement.

S’agissant de l’accession à la propriété, un taux de TVA réduit s’applique à l’ensemble des programmes situés à moins de cinq cents mètres des quartiers « Politique de la ville » – cette mesure a été voulue pour stimuler la production privée dans des quartiers qui avaient besoin de mixité sociale. Il en va de même pour l’accession sociale à la propriété et pour le bail réel solidaire. Sans cette TVA à taux réduit, nous ne serions pas capables de mener des opérations en accession sociale : nous cherchons à faciliter l’achat de logements par des ménages qui n’ont pas des revenus élevés et le taux de TVA a donc un effet considérable.

Le troisième levier est lié au fait qu’une partie des objectifs est déjà territorialisée avec les délégataires de l’aide à la pierre et débattue dans les comités régionaux de l’habitat, placés sous l’égide du préfet. L’une des questions qu’il s’agira de traiter dans le projet de loi qui est annoncé sera celle de la détermination de la position de l’État sur les besoins en logement, en général, et en logement social, en particulier – et dans le terme « logement social », j’englobe les logements pour les étudiants, ceux pour les familles et ceux pour le secteur accompagné. Nous construisons des logements permettant à des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans de vivre en toute autonomie, d’avoir accès à un ensemble de services et surtout de bénéficier d’un loyer modéré ; des promoteurs privés proposent également des résidences adaptées aux seniors – une offre de qualité, d’ailleurs – mais avec des loyers différents. Je pense également aux résidences pour jeunes actifs et aux pensions de famille, qui permettent de trouver des solutions d’hébergement d’urgence aux personnes qui vivent dans la rue, etc. Les logements accompagnés représentent plus de 350 000 logements, ce qui est considérable, et beaucoup de territoires souhaitent que nous développions cette offre, au-delà des logements familiaux classiques. J’ai aujourd’hui du mal à savoir ce que l’on attend de nous. Il existe plusieurs statuts dans le logement social, mais tous ses acteurs, soutenus économiquement par la Caisse des dépôts et consignations, par des taux de TVA réduits et des subventions de l’État, ont besoin que ce dernier incarne une vision pour le logement social. Nous regrettons d’être aujourd’hui les seuls à essayer de construire une telle vision d’ensemble.

Les acteurs du logement social ne seront pas capables, seuls, de répondre l’ensemble des besoins. En outre, leurs difficultés se répercutent sur les autres secteurs. Le secteur des promoteurs privés, aujourd’hui en très grande difficulté, a toujours été habitué à ce que les bailleurs sociaux soient présents pour soutenir des programmes immobiliers, les racheter et les transformer en logements sociaux dans les périodes où le marché privé n’était plus capable d’absorber la production. Or nous sommes actuellement dans l’incapacité de le faire. L’État a demandé à CDC Habitat et à Action Logement de reprendre quelques dizaines de milliers de logements, mais cela ne suffira pas à surmonter les difficultés des promoteurs privés. Si l’un des secteurs du logement se trouve affaibli, l’autre en pâtit également et ce, d’autant plus que le secteur social représente une part importante de la production annuelle de logements.

Il faut également se demander pourquoi autant de ménages s’adressent à nous actuellement en dépit du délai d’attente. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : la modération des loyers et leur encadrement fixé par la loi en fonction des revenus, la faiblesse des salaires – notamment, ceux des travailleurs essentiels – et la qualité du logement social. On nous demande aujourd’hui de loger en priorité les travailleurs essentiels, qui sont éligibles au prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), c’est-à-dire le logement très social, et au prêt locatif à usage sociale (PLUS), c’est-à-dire le niveau immédiatement supérieur. Les salaires de ces travailleurs sont assez peu élevés et, surtout, ils évoluent peu dans la durée, ce qui se répercute sur leur capacité à accéder à la propriété dans le parc privé. Quant à la qualité des logements, n’oublions pas que, pendant la crise sanitaire, une grande partie des bailleurs sociaux a téléphoné à chaque locataire pour s’enquérir de sa santé et de ses besoins : nous avons gardé nos agences ouvertes, nous avons organisé des distributions alimentaires, nous nous sommes occupés de personnes gravement malades qui avaient besoin d’assistance. Nous avons des travailleurs sociaux, des accompagnateurs à l’innovation sociale, de la présence avec la gestion urbaine de proximité – sans même parler des sujets de sécurité.

Nous allons tenir les engagements de réhabilitation fixés par l’État. Ce sera difficile à réaliser dans les délais, mais il faut le faire car nous le devons à nos locataires. C’est aussi parce que nous avons des objectifs à atteindre que nous vous demandons souvent des moyens financiers.

M. le président Stéphane Peu. De manière générale, je préfère raisonner en termes de mises en chantier ou de livraisons plutôt qu’en agréments. Les deux approches sont naturellement intéressantes, mais les entrées sur le marché correspondent avant tout aux mises en chantier et même si l’écart entre les agréments et les mises en chantier est sans doute aujourd’hui plus faible qu’il ne l’a été à d’autres périodes. Si l’on considère la production annuelle de logements sociaux et que l’on en retire les logements démolis – dans le cadre de rénovations Anru, entre autres – et les logements vendus – la vente de logements HLM a toujours existé, mais la loi Elan en a fait une « doctrine » –, quel solde net obtient-on ? En d’autres termes, quel est le nombre de logements sociaux supplémentaires proposés chaque année aux ménages ?

Incidemment, j’ai du mal à comprendre pourquoi l’article 40 peut être opposé à un nouveau débat sur la RLS, dès lors que, originellement, la RLS devait être une mesure provisoire : les députés n’ont jamais adopté le principe d’une mesure définitive, la RLS a été votée pour trois ans avec une clause de revoyure. Cette mesure a donc vocation à pouvoir être revisitée quand c’est nécessaire.

Seconde question : quel regard l’USH porte-t-elle, à ce stade, sur les projets de décentralisation de la politique du logement ? Nous avons rencontré la Fédération française du bâtiment et la Capeb. On pourrait penser que les artisans sont, par vocation, proches des territoires et, pourtant, ils ont manifesté de l’inquiétude à propos d’une telle décentralisation de la politique du logement.

Mme Emmanuelle Cosse. En 2022, nous avons recensé 96 000 agréments pour le logement social et 88 000 mises en chantier : les deux indicateurs ne sont pas identiques, puisque les mises en chantier sont légèrement décalées. Depuis 2010, les mises en chantier ont dépassé le seuil des cent mille logements à plusieurs reprises : ce nombre de 88 000 est donc bas et nous nous attendons à une nouvelle baisse en 2023 ; il est à rapprocher des 370 000 mises en chantier enregistrées en 2022, toutes catégories de logements confondues.

L’année dernière, 11 834 logements HLM ont été vendus et nous avons produit 16 300 logements neufs en accession sociale.

M. Christophe Canu, directeur des études économiques et financières (USH). Comme nous démolissons entre dix et quinze mille logements par an, le solde net est donc de l’ordre de cinquante mille par an.

Mme Emmanuelle Cosse. Nous avons réalisé une étude sur les besoins en logement dans le cadre du congrès HLM, qui s’appuie sur les besoins recensés par les établissements publics de coopération intercommunale : prenant en considération les enjeux de la vacance des logements, du mal-logement, de l’adaptation des logements aux nouvelles caractéristiques des ménages, etc., cette étude estime que nous avons besoin de pouvoir « mettre sur le marché » – donc, pas nécessairement de construire – 518 000 logements par an d’ici 2040 et 198 000 logements sociaux. Ce second chiffre a été calculé en consolidant les besoins exprimés à l’échelle des EPCI, sur la base des PLH notamment. Nous ne nous attentions pas à un tel chiffre : nous avons réalisé des contrôles de cohérence sur les territoires et nous nous sommes aperçus que les besoins sont beaucoup plus élevés que nous ne le pensions. Notre analyse est notamment que la captation du marché par les résidences secondaires et l’augmentation de la vacance des logements ont provoqué une augmentation du besoin de mise à disposition de nouveaux logements sur le marché.

L’Union sociale pour l’habitat est une confédération composée de cinq fédérations, dont l’une, la Fédération des offices HLM, est placée sous la gouvernance des collectivités territoriales. Cette fédération est depuis longtemps favorable à la décentralisation de la politique du logement et elle a d’ailleurs été très active dans les discussions sur les amendements au projet de loi dit « 3DS ». Pour ce qui concerne l’USH, j’ai toujours considéré qu’il n’appartenait pas à l’opérateur que nous sommes d’avoir un point de vue tranché sur la décentralisation, que ce sujet relevait prioritairement des élus locaux et que nous pouvions seulement apporter le regard qui nous est propre. La difficulté vient de ce que nous parlons de décentralisation au moment d’une crise, ce qui est assez troublant : l’objet de cette décentralisation est-il de gagner en efficacité ou bien est-ce un moyen, pour l’État, de se délester de son fardeau sur les collectivités territoriales ? Je m’exprime en termes assez directs, mais c’est ainsi que je perçois la discussion. Les collectivités sont aujourd’hui très impliquées dans la politique du logement et dans l’aménagement et, en complément des aides nationales, elles consacrent une part importante de leurs budgets à ces questions. Inversement, certaines collectivités sont en carence sur ces mêmes sujets, parfois depuis vingt ans et pas seulement au titre des dispositions de la loi SRU. En tant qu’opérateur, notre souhait est que, dans le cadre d’une politique décentralisée, l’État apporte une cohésion et une égalité territoriales et qu’il assure ainsi une régulation pour l’ensemble des citoyens.

Face à un sujet aussi complexe que l’accès à un logement, ma crainte est que les élus locaux – en particulier, les maires – se retrouvent seuls et démunis face aux besoins : pour avoir vécu des situations locales, je connais les enjeux que soulèvent un programme de rénovation urbaine ou le caractère inadapté des logements vis-à-vis du vieillissement. Les communes sont déjà extrêmement sollicitées et ont parfois de grandes difficultés à répondre aux attentes qui s’expriment : auront-elles davantage de moyens demain ? Je n’en suis pas certaine. Pourquoi n’utilise-t-on pas les facultés ouvertes par la loi 3DS, qui permettent de réaliser des expérimentations ? Nous avons proposé, à plusieurs reprises, que des expérimentations puissent être menées dans les territoires AOH sur des modalités différentes d’exercice de la compétence « Logement », plus ou moins décentralisées ou déconcentrées.

Un autre fait troublant – et je sais que l’État a prévu de produire une étude sur ce sujet d’ici deux ans – est que, lorsqu’on combine l’ensemble des PLH, les besoins en logement s’avèrent être beaucoup plus importants que les volumes admis par tous depuis dix ans.

Je crois beaucoup à la dualité des compétences sur ces sujets. Mais je mets en garde face à la tentation de laisser les communes et les établissements publics de coopération intercommunale seuls à la manœuvre : ils en font déjà beaucoup, c’est parfois très dur et beaucoup demandent à l’État d’être davantage présent.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Chaque nouvelle vague de décentralisation a effectivement été source de désorganisation, le temps que chacun s’empare du sujet et ce, dans de nombreux domaines.

Vous avez souligné que, sur de nombreux territoires, l’offre de logements est parfois inadaptée par rapport aux besoins. On s’est beaucoup focalisé, au cours des années récentes, sur des objectifs quantitatifs. Quelle serait, selon vous, la manière de mieux répondre aux besoins des communes et des EPCI, afin que le logement soit plutôt appréhendé sous l’angle des caractéristiques des populations – d’un territoire à l’autre, la proportion d’actifs, d’étudiants ou de seniors peut en effet grandement varier ?

J’entends que la TVA puisse être un levier essentiel pour que nous puissions redresser la production. Vous avez évoqué la mise sur le marché de 66 000 logements, ce qui est assez éloigné des objectifs : selon vous, quelle capacité financière est-elle manquante annuellement pour que la production soit au rendez-vous de la demande ? Quelles ressources financières vous seraient nécessaires pour passer de 66 000 à 100 000 logements ?

J’ai eu l’occasion de rencontrer le directeur d’un organisme HLM, qui évoquait devant moi la possibilité de mettre sur le marché des logements dans le cadre d’opérations type « public-privé ». Partagez-vous cette vision ?

La taxation des plus-values pourrait peut-être permettre de mobiliser des ressources financières pour la politique de logement sur les territoires. Ces plus-values résultent souvent d’aménagements réalisés par les collectivités et leurs retombées sont parfois insignifiantes pour ces collectivités, alors que les propriétaires en bénéficient pleinement. Qu’en pensez-vous ?

Mme Emmanuelle Cosse. S’agissant de la question de la mutation de l’offre de logements par rapport aux besoins, nous connaissons les enjeux. Le parc social a connu son âge d’or pendant les Trente Glorieuses et on a beaucoup construit dans les bassins industriels de l’époque. Nous avons donc beaucoup de logements sociaux dans le Grand-Est, les Hauts-de-France, en Île-de-France et dans le couloir rhônalpin, mais moins dans l’Ouest, un territoire aujourd’hui fortement attractif. Il est difficile de faire en sorte que l’offre suive la demande de la population : dans les Landes ou en Gironde, l’attractivité est telle qu’il est difficile, pour les acteurs, de suivre le rythme ; malgré tout, on y arrive à peu près.

La plus grande difficulté est liée au type de logement : alors que la demande était autrefois centrée sur les logements de types T4-T5, qui correspondaient au modèle des familles pendant fort longtemps, la demande porte plutôt aujourd’hui sur des T2 ou des T3. Le problème ne se situe pas au niveau des bailleurs : partout où nous serons capables de transformer des T5 en deux T2 ou T3, nous le ferons et nous ajouterons les salles de bains nécessaires. Le problème est que, parfois, nous n’avons pas le droit de procéder à ces modifications.

J’ai honte de devoir évoquer des sujets qui vont vous paraître stupides. Nous essuyons des refus de la part d’administrations locales, parce que, par exemple, en Normandie sur un territoire « détendu » mais en politique de la ville depuis fort longtemps, lorsque nous cherchons à transformer des T4-T5 en T2-T3, on nous oppose que cela conduirait à augmenter le nombre de logements sociaux et que cela n’est pas souhaité : on ne parle que de quelques dizaines de logements… Notre quotidien, c’est, par exemple, d’être bloqués au niveau du PRU à Nogent-le-Rotrou pendant trois ans pour réaliser cinq logements supplémentaires, parce que nous étions en QPV : comme si ces cinq logements allaient bouleverser l’équilibre social du secteur ! C’est la raison pour laquelle évoquer la décentralisation me fait sourire : lorsqu’il s’agit de procéder aux adaptations locales, il n’y a jamais accès aux lieux de discussion.

Lorsque nous faisons de la réhabilitation en milieu occupé, nous ne changeons pas l’intérieur des logements. Dès que l’on fait de la « seconde vie » – et j’ai obtenu de l’État l’inscription de moyens à ce titre dans le projet de loi de finances – on peut changer totalement le type de logement proposé. Nous avons des exemples de réussite, comme les opérations d’Archipel Habitat à Rennes : dans des tours anciennes, au pied du métro, qui ne correspondaient plus au mode de vie actuel et que plus personne ne voulait habiter, la hauteur sous plafond a été modifiée, de très grands logements sont devenus des T3, des résidences pour jeunes actifs ont été réalisées. L’offre a été totalement transformée, ce qui a permis de proposer des « produits » différents, y compris au sein d’une même résidence : cela permet alors d’assurer la mixité entre les publics et de ne pas accueillir seulement des familles ou seulement des jeunes. Nous aimerions pouvoir entrer dans des discussions quasiment contractuelles avec les parties prenantes et n’avoir plus affaire à des législations-couperets.

Par ailleurs, on trouve encore des endroits qui sont dépourvus de PLH et il est compliqué de répondre aux besoins si nous n’avons aucun document à notre disposition : ce sont en effet ces PLH qui expriment les besoins de la population et qui présentent des projections sur la physionomie de cette population dans les dix ou vingt ans à venir, sur un territoire donné.

Il est également parfois difficile de faire comprendre aux collectivités locales que l’offre ne peut pas se borner à proposer un seul « produit », dans la mesure où l’étudiant aujourd’hui aura un enfant demain et où les ménages actifs prendront un jour leur retraite. Nous arrivons à proposer des produits diversifiés à l’échelle d’un quartier, mais encore faut-il que nous puissions les réaliser.

S’agissant des capacités financières nécessaires annuellement, La loi « Climat et résilience » a modifié la donne, dans la mesure où elle instaure une obligation de rénovation. Nous avons vécu plusieurs événements en 2018 : la création de la RLS, la perte de la TVA et le gel des loyers. Même si ce dernier n’a été décidé que pour un an, ses effets se répercutent aussi les années suivantes. En échange, nous avions obtenu un taux fixe pour le livret A, avant que celui-ci n’augmente finalement.

Pour pouvoir répondre aux objectifs fixés la loi « Climat et résilience » tout en conservant une production dynamique, nous aurions besoin d’investir 25 milliards d’euros par an, contre 15 milliards d’euros actuellement.

M. Christophe Canu. Le scénario que nous avons élaboré est un peu plus exigeant que celui présenté par la Banque des territoires dans son étude sur le logement social publiée récemment. A l’issue de discussions avec la direction de l’habitat, de l’urbanisme et du paysage, nous avons envisagé 150 000 réhabilitations et changements de vecteurs : nous passerions d’un investissement annuel de l’ordre de 4-4,5 milliards d’euros à un montant de 9 milliards d’euros – ce n’est d’ailleurs pas tellement le nombre de réhabilitations qui compte, mais le fait que ces réhabilitations sont beaucoup plus lourdes et qu’elles impliquent donc un doublement du coût des travaux. Si, par ailleurs, nous ne voulons pas que cet investissement supplémentaire se fasse au détriment de la production neuve, l’investissement global annuel passerait alors de 15 à 25 milliards d’euros : ce scénario nous permettrait simplement de respecter nos engagements.

Mme Emmanuelle Cosse. Les scenarii construits aux alentours de 2018 n’envisageaient pas l’augmentation des taux que nous avons subie ni les dispositions de la loi « Climat et résilience ». Loin de moi l’idée de remettre cette loi en cause, car elle introduit des mesures très importantes ! Même si réaliser la réalisation de chantiers de réhabilitation en milieu occupé n’est pas simple, il faut garder à l’esprit que ces travaux bénéficieront à toutes les parties : les charges locatives baisseront, la fragilité des ménages sera allégée et notre patrimoine sera revitalisé pour des dizaines d’années. La démarche est très vertueuse, c’est simplement la mise en œuvre et l’arbitrage avec le volet « Production » qui sont compliqués.

Beaucoup de bailleurs sociaux se lancent aussi dans des opérations d’aménagement. Les sociétés d’économie mixte, qui constituent une minorité parmi les bailleurs sociaux, en font depuis longtemps. Les opérateurs HLM s’y sont également mis, car ils ont constaté qu’ils avaient moins facilement accès au foncier que par le passé et qu’il leur fallait donc retrouver des marges de manœuvre. Sur certains territoires, notamment dans les départements ruraux, l’organisme HLM est parfois devenu le premier maître d’ouvrage. La loi Élan nous ayant permis de contribuer à d’autres missions d’intérêt public que celle du logement, il nous arrive de construire des gendarmeries ou des bâtiments publics à la demande des communes.

Nous sommes par ailleurs très fortement impliqués dans des opérations « Action cœur de ville » ou en centre-bourg. In fine, les logements produits ne sont pas seulement destinés au secteur social, il y a également de la revente en « VEFA inversée » (nous produisons alors pour le privé) ou en accession libre.

Nous avons la capacité de produire des logements intermédiaires : nous l’avons fait, ces dix dernières années, dans le cadre de foncières séparées et l’État souhaite que notre part de logements non conventionnés ou libres monte à 20 % contre 10 % actuellement. Cette possibilité permet d’améliorer l’équilibre économique des opérations et je pense que les bailleurs vont se saisir de ces dispositions afin de renforcer la mixité au sein du parc. Il faut cependant rester prudent : les demandeurs de logement HLM sont éligibles, pour la plupart, aux plafonds PLAI ou PLUS ; très peu sont au plafond PLS ; les demandeurs au plafond LLI sont presque inexistants. Les demandeurs qui s’adressent à nous, notamment ceux qui sont actifs et qui gagnent le Smic ou Smic + 10 %, correspondent au profil du « travailleur essentiel » éligible au social classique et qui peut, parfois, prétendre à l’accession sociale.

Le statut des opérateurs HLM est un autre débat. Certains prônent une forme de privatisation ou de « titrisation » de ces opérateurs, afin de pouvoir traiter le secteur comme un secteur économique privé. Nous y sommes totalement opposés, car nous considérons que nous réalisons un « service d’intérêt général » au sens de la réglementation de l’Union européenne : cela explique et justifie certains soutiens de l’État, mais également les obligations légales sur le relogement auxquelles nous sommes assujettis et les comptes que nous devons rendre s’agissant de la mixité sociale. Les soutiens donnent lieu à des contrôles et il est bien normal que des missions d’inspection soient régulièrement organisées.

Par ailleurs, les logements sociaux sont des biens appartenant à la Nation, financés par des prêts de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère l’épargne des Français, et par des subventions de l’État et des collectivités : ces 5,6 millions de logements sont une richesse. Certains États européens ont vendu leur patrimoine social à diverses époques et, aujourd’hui, ils s’en mordent les doigts. C’est le cas en Allemagne, où les logements sociaux ont été rachetés par des fonds d’investissement ; ces derniers sont certes publics, mais les collectivités n’ont plus la maîtrise du parc social. C’est le cas en Angleterre, où certaines collectivités tentent de reconstruire un patrimoine social sans y parvenir. C’est le cas aux Pays-Bas, mais le processus a été interrompu. De l’autre côté du spectre, on trouve le modèle autrichien, qui est encore plus poussé que le nôtre et qui est cité en exemple. Il est étonnant que le débat sur la propriété du patrimoine social reprenne en France, à un moment où toute l’Europe nous félicite pour la pérennité de notre modèle social.

Une dernière question portait sur la taxation des plus-values. Quelques dispositions existent d’ores et déjà, mais j’ignore si elles ont été évaluées : c’est notamment le cas des règles fiscales qui s’appliquent aux plus-values, lors de la revente d’un terrain pour un programme de logements sociaux. Ce dispositif, qui existe depuis plusieurs années, a permis de faciliter des ventes et je sais qu’il a servi de modèle dans d’autres cadres – par exemple, pour améliorer l’attractivité du territoire.

Il est évident que les investissements des collectivités locales – notamment pour ce qui a trait aux transports, à la voirie, etc. – contribuent à augmenter la valeur des biens sur le marché immobilier. C’est une bonne nouvelle… en remarquant néanmoins que ce sont les propriétaires privés qui bénéficient des retombées des investissements publics – ce sujet a d’ailleurs été au cœur des débats au sein du Conseil national de la refondation. Dans le même ordre d’idées, lorsque des élus modifient le plan local d’urbanisme et rendent certaines parcelles constructibles, ils permettent à leurs propriétaires de réaliser des « culbutes » financières, alors que ces changements sont opérés pour le bien de la collectivité.

Il me semblerait donc intéressant que la puissance publique, État ou collectivité territoriale, puisse, à l’occasion de la taxation des plus-values réalisées par les vendeurs, récupérer une partie de son investissement. Je pense notamment aux grandes infrastructures de transport : lorsque des territoires se trouvent désenclavés par la construction d’une ligne de tramway, les prix des biens immobiliers ont tendance à augmenter le long du trajet de cette ligne, alors que ce sont les collectivités et les contribuables qui l’ont financée ; il serait donc juste que les collectivités récupèrent une partie de leur investissement à travers le prélèvement d’une fraction de la plus-value réalisée.

Un autre débat qui nous occupe depuis très longtemps est celui de la rétention foncière. Des propositions ont été formulées pour que l’on inverse le système de la fiscalité. Se pose également la question des valeurs foncières, qui sont parfois erronées à la hausse comme à la baisse.

Quoi qu’il en soit, la question foncière est un chantier qui s’étend au-delà d’un ou deux mandats politiques. Nous aurions besoin de faire notre révolution foncière, mais cela impliquerait un consensus politique qui n’existe pas nécessairement aujourd’hui. Nous sommes en difficulté, car nous sommes en concurrence avec les programmes de logement du secteur privé, qui sont beaucoup plus rentables et qui permettent donc d’acheter plus cher, et avec les enjeux de développement de l’industrie, de l’agriculture, des services publics, des infrastructures, etc. : tous les acteurs se disputent le même foncier, alors même que nous sommes dans une période où nous devons baisser notre consommation foncière. Certains ont suggéré que lorsque des propriétaires vendent des terrains pour des programmes d’une certaine densité, limitant ainsi l’étalement urbain et la consommation foncière, une fiscalité plus favorable leur soit appliquée puisqu’ils facilitent ainsi des projets permettant une densité plus élevée qu’un programme de moindre envergure : nous ne pouvons nous permettre de négliger les enjeux sur le ZAN, qui auront également un impact sur la question foncière.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La question du vieillissement de la population est au cœur des réflexions actuelles. Alors que beaucoup de personnes âgées de plus de soixante ans sont en attente d’un logement social, comment passer d’une posture réactive à une politique d’anticipation permettant de proposer une offre adaptée aux seniors, dont certains se trouvent obligés de rester dans un logement inadapté à leur vieillissement ? Comment faire en sorte que les organismes HLM proposent différents types d’habitat adaptés et qui soient proches des commodités ? Il faut également penser aux professionnels de santé qui dispensent des soins à ces personnes et qui, pour se loger, sont contraints d’être très éloignés de leurs patients. Avez-vous déjà engagé une démarche pour répondre à cette problématique qui ne cessera de se renforcer ?

Mme Emmanuelle Cosse. S’agissant de la population de nos locataires, nous attendons des données précises de l’Insee, dont la dernière enquête sur le logement remonte à plus de dix ans… Sommairement et selon nos propres données, plus de 30 % de nos locataires ont plus de 65 ans et plus de 10 % ont de plus de 75 ans ; ce sont assez souvent des locataires présents depuis la création des immeubles. Ces ménages-là n’accéderont clairement pas à la propriété et l’objectif est donc de les accompagner vers les troisième et quatrième âges. Le premier niveau de réponse est celui de l’adaptation du logement à la demande : les bailleurs le font et nous recevons des aides. Au-delà, la convention que nous avons de nouveau signée avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) et qui implique également la Mutualité sociale agricole et les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) permet de soutenir des projets spécifiques sur l’accompagnement des seniors et, par exemple, d’apporter des services au sein du logement plutôt que de sortir les ménages de leurs logements actuels et donc les couper de leurs réseaux locaux.

Nous devons changer de vision sur ce sujet. Au cours de nos discussions avec le ministère des finances, on nous reproche souvent que les biens soient en sous-occupation, c’est-à-dire qu’il y ait plus de pièces dans le logement que de personnes dans le ménage. Cette situation vise principalement des femmes seules, veuves, âgées de plus de soixante-dix ans – voire de plus de soixante-quinze ans – et il nous est donc reproché de ne pas les faire déménager. Ces locataires sont clairement protégées par la loi, vouloir les faire déménager relève d’une violence inouïe et d’une vision très technocratique. Surtout, si ces locataires devaient changer de logement, elles chercheraient à vivre dans des deux-pièces que nous n’avons pas, pas plus que nous ne pouvons, le plus souvent, créer ces logements au sein du patrimoine déjà occupé. Il faut donc se départir de l’idée selon laquelle si on résolvait l’équation de la sous-occupation des logements sociaux, davantage de personnes pourraient y accéder : en réalité, nous avons constaté que notre parc était plus occupé que le parc privé et il est politiquement et socialement impossible de porter un projet d’éviction des plus âgés au titre du fait qu’ils sont seuls. C’est aussi la raison pour laquelle beaucoup de bailleurs, notamment sur les territoires péri-urbains, développent des services dans le logement plutôt qu’à l’extérieur : nous avons en effet constaté que dans ces secteurs éloignés du centre-ville, mal desservis par les transports publics, les locataires ont tendance à ne pas se déplacer vers les services. Ces services comprennent un accompagnement social – y compris pour l’accès aux droits, car l’illectronisme est fort chez ce public âgé – et un accompagnement dans la vie quotidienne, même lorsqu’il ne s’agit pas de publics dépendants – par exemple, de menus travaux, des courses, de menus services et, de plus en plus souvent, des soins en partenariat avec le secteur médical local (infirmiers, aides-soignantes, médecins, etc.). La question qui se pose est alors celle de la facturation : doit-on facturer le service à l’ensemble des locataires ou bien « à la carte », en fonction du revenu ? Les bailleurs ont développé des pratiques différentes, mais prennent bien souvent en charge une partie du coût de ces services.

Le deuxième sujet concerne des produits dits « spécifiques », comme les « résidences autonomie » qui remplacent les résidences pour personnes âgées (RPA) et dont la qualité d’accueil laissait parfois à désirer. Ces résidences sociales offrent à leurs occupants des T2 ou des T1 bis. Ce ne sont pas de grandes surfaces, mais les résidents disposent d’un logement totalement privatif avec cuisine, salle de bains, etc., ils ont accès à des services avec du personnel présent 24 heures sur 24 – ou, à tout le moins, toute la journée –, un gardiennage, une offre de restauration… le tout, au loyer social. De nombreux locataires s’orientent vers ces logements, souvent situés en centre-ville, et quittent des logements dont l’entretien est devenu trop difficile. Nous parvenons ainsi à loger, dans de bonnes conditions, des ménages pour un loyer de 400 à 500 euros, mais le modèle économique d’ensemble reste à inventer, puisque les bailleurs sociaux assument une perte d’exploitation qui est compensée par d’autres produits plus rentables. Il s’agit là d’une excellente solution, notamment pour des publics qui ne peuvent pas accéder à des résidences de très bonne qualité mais où le loyer avoisine les 3 000 euros.

La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a permis à certains bailleurs de mener des expériences plus poussées et qui répondent à d’autres enjeux que le vieillissement comme, par exemple, la question du handicap.

Le monde du logement social fait beaucoup de choses, mais nous n’en faisons pas encore assez, y compris parce que nous sommes rattrapés par le vieillissement de nos propres locataires : auparavant, nos locataires vieillissants accédaient à la propriété et partaient ; c’est moins le cas désormais et nous devons donc voir les choses différemment.

Par ailleurs, lorsque nous examinons les profils de revenus de nos locataires, nous constatons que nos locataires âgés bénéficiaires de retraite à taux plein sont nombreux, alors que nos locataires aujourd’hui dans la vie active auront demain des retraites beaucoup moins élevées : il y aura donc des « décrochages ». Les « entrants » dans les logements sociaux, y compris les actifs, sont plus pauvres que les « sortants », ce qui aboutit à une paupérisation progressive de la population des locataires : selon l’Insee, 35 % des locataires de HLM étaient considérés comme pauvres en 2019, alors que ces taux sont de 15 % dans la population générale, 22 % dans le parc privé et 7 % chez les propriétaires.

Il faut que nous réussissions à adapter les logements plus rapidement. Même si les moyens sont disponibles, le montage des dossiers est très complexe, comme d’ailleurs dans le parc privé. Nous pouvons financer ces adaptations ou transformations grâce aux dégrèvements de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) : cette aide fiscale est très importante et, sans elle, nous n’y parviendrions pas – j’observe d’ailleurs que ces abattements de TFPB constituent un apport dix fois supérieur à ce que l’État investit dans le logement social. Les dégrèvements accordés par les collectivités locales pour la construction, la réhabilitation ou l’adaptation, sont considérables.

Nous pensons également que les seniors des années à venir seront un peu différents de ceux d’il y a vingt ans : nous allons donc peut-être devoir proposer d’autres produits, en lien avec les réflexions menées, de leur côté, par les collectivités et les pouvoirs publics.

Une dernière remarque : certains bailleurs sociaux sont propriétaires d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), même s’ils ne les gèrent pas. Cette situation soulève certains problèmes, notamment la question du caractère inachevé du modèle économique pouvant permettre la rénovation du bâti de ces établissements.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. J’ai été maire et je confirme.

M. le président Stéphane Peu. Vous avez anticipé une de mes questions sur le logement locatif intermédiaire – un sujet sur lequel nous reviendrons probablement dans le cadre de la présente mission, alors que certains y voient une recette miracle pour sortir le secteur de ses difficultés.

Mme Emmanuelle Cosse. En matière de logement locatif intermédiaire (LLI), nous avons mené des analyses qui concluent à la non-adéquation entre les loyers et les revenus.

Nous sommes très fortement sollicités par de grands opérateurs publics comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APM), Enedis, EDF, etc., qui n’arrivent plus à loger leurs salariés. Il y a deux ans, le ministère nous avait proposé de produire plus de logements intermédiaires ; le problème est que le LLI est trop cher : ces publics sont éligibles au PLUS, qui correspond au logement locatif des travailleurs et au segment du logement locatif le moins aidé. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai sollicité et obtenu des prêts supplémentaires en 2024 sur le PLUS. Le LLI est intéressant pour d’autres raisons et pour des ménages aux revenus plus élevés : il s’adresse à des cadres, il ne correspond pas au profil des personnes qui n’arrivent pas aujourd’hui à se loger.

M. le président Stéphane Peu. Je partage votre avis et je suis toujours frappé d’entendre, de manière récurrente, que le LLI serait la recette miracle. L’exemple du village olympique est assez parlant : de grandes administrations publiques comme le ministère de l’Intérieur ou l’AP-HP achètent dans le cadre du LLI pour louer à leur personnel au tarif du PLUS, prenant en charge la différence. Un tel modèle économique n’est évidemment pas viable, il eût mieux valu construire du PLUS.

Il existe aujourd’hui un grand impensé dans le système d’attribution des logements sociaux : c’est la question des fonctionnaires. On compte plus de cinq millions de fonctionnaires en France, avec des salaires plutôt en dessous du secteur privé – notamment pour les catégories inférieures – et il n’existe pas d’équivalent au « 1 % Logement ». Il fut un temps où un contingent préfectoral était censé attribuer une partie de ces logements aux fonctionnaires ; cela ne se pratique plus, surtout dans les zones les plus tendues, où les publics prioritaires sont nombreux et variés. C’est d’ailleurs à travers ce sujet-là que l’Allemagne est revenue sur sa doctrine de privatisation du logement social et qu’elle a recréé des bailleurs pour le logement des fonctionnaires. Je serais preneur de vos propositions si l’USH ouvrait un chantier de réflexion pour qu’un couloir d’accès – et donc de financement – soit ouvert pour le logement des fonctionnaires.

M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires (USH). Nous avons été interrogés de manière approfondie sur la question du logement locatif intermédiaire par votre collègue François Jolivet. Nous avons constaté l’existence d’effets concurrentiels avec le PLS, avec des avantages qui existent au bénéfice du LLI en matière de fiscalité. Nous avons aussi des remarques et des analyses à formuler sur le suivi des publics.

M. le président Stéphane Peu. Il va bien falloir sortir des formules trop rapides sur le sujet du LLI et creuser la question du coût en deniers publics et en fonctionnement. Dans une commune voisine de ma circonscription, on trouve beaucoup de LLI et cela se traduit par une amputation supplémentaire du pouvoir d’achat des locataires.

M. Christophe Canu. J’aimerais ajouter une remarque à propos de l’impact de la RLS sur la construction. La RLS est un prélèvement perçu sur les bailleurs, mais, chaque fois que nous construisons et par un système de lissage, tous les logements conventionnés entrent dans le champ de la RLS et les loyers sont amputés de 5 % environ. Ainsi, lorsque nous cherchons à calculer un équilibre d’opération, il faut « viser » 5 % plus haut à cause de la RLS. Et dans la mesure où nous avons déjà du mal à atteindre l’équilibre, la RLS plombe ce dernier : ceci vaut pour le PLS et le PLUS ; reste le LLI, mais celui-ci est trop cher.

Mme Emmanuelle Cosse. Cette mesure, temporaire depuis 2019, est inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024. Les compensations qui existaient de 2019 à 2022 dans le cadre d’un accord avec le Premier ministre de l’époque n’existent plus. Ce prélèvement se trouve désormais inscrit sans aucune discussion.

M. le président Stéphane Peu. Sommes-nous au terme de la clause de revoyure ?

Mme Emmanuelle Cosse. La clause de revoyure s’est terminée en 2022. Vous noterez d’ailleurs que, dans l’accord que nous avons signé la semaine dernière avec le ministre chargé du logement, la RLS n’est absolument pas mentionnée.

S’agissant des fonctionnaires, je confirme que le contingent de 5 % pour les fonctionnaires ne fonctionne pas du tout et il existe plusieurs raisons à cela. Les fonctionnaires n’ont pas accès au « 1 % Logement » du secteur privé. Ils ne peuvent donc obtenir de logement que sur la base du contingent municipal – dans ce cas, ils devront patienter… plusieurs années – ou sur celle du contingent de l’État – or le contingent de l’État n’est pas suffisant et, parfois, les administrations locales de l’État ne savent pas gérer leur contingent.

La loi Elan a introduit, en 2019, une réforme des règles d’attribution, en flux et en cotation. Nous avons été contraints de demander à la ministre chargée du logement, en 2021, de repousser la mesure jusqu’à 2023, non pas parce que les bailleurs n’étaient pas prêts, mais parce qu’un tiers seulement des EPCI disposait du système permettant la mise en œuvre de la réforme. Cette réforme doit s’appliquer dans un mois, mais je pense que les deux-tiers seulement des EPCI concernés en sont capables.

Les fonctionnaires, notamment ceux de la catégorie C, ont beaucoup de difficultés à accéder au logement, y compris en accession. Nous avons été sollicités sur ce sujet par le ministre chargé de la fonction publique et avons signé une convention, portant notamment sur la question de l’accession sociale. Cela ne résoudra pas le problème du manque d’attractivité des emplois de la fonction publique dans certains secteurs.

Certaines administrations publiques ont pris le parti d’appeler directement des bailleurs pour leur « acheter » des réservations. Des sommes considérables sont dépensées, un ministère finançant parfois dix fois mieux une opération de logement social que l’État… Des personnels vitaux sont concernés et nous sommes fortement sollicités par le ministère de l’Intérieur pour les gendarmes, par l’Éducation nationale et dans le domaine de la santé. L’AP-HP a beaucoup travaillé avec les bailleurs franciliens afin de rouvrir des lits pour ses personnels logés. Nous avons également des échanges avec la RATP.

Le sujet ne concerne pas seulement les fonctionnaires, mais également les agents d’entreprises publiques – dont certaines relèvent du « 1 % Logement », mais pas toutes. Quelles sont les options possibles ? Soit on intègre la fonction publique dans le « 1 % Logement » – mais l’État devra alors participer à son financement, dans le cadre d’un système avec les partenaires sociaux ; soit on met en place une autre filière. Quoi qu’il en soit, nous faisons face à une demande si forte que, parfois, ce n’est pas le fonctionnaire qui formule la demande, mais son conjoint en son nom et ce, afin d’échapper à la filière prévue pour les fonctionnaires où l’offre est encore plus rare. En tant que bailleurs, nous sommes très volontaires pour loger ce type de public, en raison de sa stabilité et des missions qu’il exerce tous les jours. Nous procédons par contractualisations locales, afin de réserver une partie du parc, mais nous n’avons pas assez de logements : il nous faudrait du PLUS, nous n’en avons pas suffisamment ; les demandeurs peuvent accéder à un loyer LLI, mais avec un taux d’effort de plus de 30 %, c’est-à-dire au prix d’une situation de fragilité.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Les métiers du soin à domicile souffrent d’un manque d’attractivité et c’est peut-être par le logement que le problème peut être résolu : lorsque les professionnels concernés ont des difficultés à se loger et se trouvent devoir habiter à cinquante kilomètres du lieu où ils dispensent les soins, cela pose problème.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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4.   Table ronde avec des associations : M. Jean-Yves Mano, président de la confédération Consommation–Logement–Cadre de vie ; M. Alain Misse, juriste à l’association Force ouvrière Consommateurs ; M. Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la Confédération nationale du logement et Mme Margaux Aldebert, chargée de mission (mercredi 11 octobre 2023 à 16 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. La présente d’information couvre un large périmètre sur les questions de logement et rendra ses conclusions au premier trimestre 2024. De son côté, le Gouvernement devrait présenter, dans les semaines et mois à venir, trois projets de loi sur le logement : un projet sur les copropriétés et le logement insalubre à la fin 2023, un projet (ou une proposition de loi) sur la régulation des meublés touristiques au premier semestre 2024 et un projet de loi-cadre sur le logement comprenant un volet relatif à la décentralisation ; notre propre mission s’inscrit d’ailleurs dans la perspective de cette loi-cadre. Chacun sait que nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise de l’offre, au blocage des parcours de mobilité et à divers enjeux comme la fiscalité du logement, la diversité de l’offre et la politique du logement de manière générale.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Aujourd’hui député des Côtes d’Armor, j’ai auparavant été maire d’une commune de quatre mille cinq cents habitants et ai également travaillé à la direction départementale des territoires et de la mer sur les problématiques du logement et de la planification.

Pour de multiples raisons, nous observons une situation de blocage dans l’accès au logement, depuis les étudiants jusqu’aux seniors en passant par les actifs. Nous cherchons donc à mettre en place des outils qui permettront d’offrir à chacun un parcours résidentiel qui soit à la fois durable et adapté aux besoins spécifiques des territoires. À ce titre, l’instrument fiscal est susceptible d’être mobilisé et nous voulons sortir des réflexions « en silo », au bénéfice d’une vision élargie de cette question.

M. Jean-Yves Mano, président de la confédération Consommation–Logement–Cadre de vie (CLCV). Depuis 2017, y a-t-il une politique du logement en France ? La question se pose : à l’époque, on nous avait répondu que le « choc de l’offre » allait régler le problème ; désormais, c’est le marché qui est supposé apporter la solution. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Nous n’avons pas vu de choc de l’offre, bien au contraire ; quant au marché, il est en panne et donc incapable de régler les problèmes.

La chute observée dans le secteur de la construction est massive, que ce soit dans le secteur social ou privé. J’ai rencontré le directeur du Trésor, il y a quelques semaines, et lui ai demandé ce qu’il envisageait par rapport à la crise : sa réponse fut que la politique du logement coûtait très cher, qu’elle n’était pas efficace et que le marché réglerait les problèmes. Les gens qui dirigent le pays n’ont pas regardé la réalité en face depuis des années, ce qui est assez choquant, et on voit bien que le Président de la République suit le Trésor dans ses analyses.

Tout cela est problématique. Bien évidemment, ce n’est pas un problème de territorialisation de la décision, mais de moyens financiers et de stratégie, et l’enjeu est de savoir si on souhaite véritablement, dans ce pays, mettre en place une politique pour répondre à la demande des Français dans des conditions financièrement acceptables. Certains moyens financiers ont disparu : il n’y a plus d’aides à la pierre significatives, ce qui a contribué à la crise actuelle. Par ailleurs, la volonté politique locale en matière de construction de logements est très variable. Quelle que soit la sensibilité politique des maires et des conseillers communautaires, le rejet potentiel des nouvelles constructions par les habitants pose problème et l’attitude la plus classique, pour ces élus, consiste à dire : « J’écoute mes électeurs et je ne fais rien. ». Ce sont ces mêmes élus qui sont sollicités en permanence, par les mêmes habitants, pour obtenir des logements : peut-être se décideront-ils, un jour, à regarder la vérité en face.

La législation actuelle, par exemple celle sur la lutte contre l’artificialisation des sols, est potentiellement restrictive pour la construction de logements : les communes ne veulent plus construire et il n’est pas non plus possible de construire sur des terres vierges au-delà d’un certain périmètre, tant et si bien que nous sommes aujourd’hui totalement bloqués… sauf à densifier l’habitat – une solution qui est mal acceptée – et à reconstruire la ville sur elle-même. Nous avons affaire à des problématiques de disponibilité du foncier ou de choix politiques, qui sont cruciales dans la volonté de relancer (ou pas) la construction.

Je mentionne incidemment que les promoteurs ont toujours su trouver des terrains dans des zones denses et que la volonté politique de construire des logements sociaux accessibles financièrement est liée aux règles du plan local d’urbanisme, qu’il s’agit d’appliquer avec courage ou pas – je fais ici référence aux servitudes de mixité sociale et au droit de réservation de 25 % à 30 % dans les opérations privées.

M. Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la Confédération nationale du logement (CNL). Peut-on considérer qu’il existe une politique du logement depuis 2017 ? Nous répondons par l’affirmative, mais cette politique n’est pas au service du logement ou des locataires. Dans le programme du candidat Emmanuel Macron en 2017, on ne trouvait guère que des idées subliminales sur le logement et nous ne savions pas trop dans quelle direction nous irions durant le premier quinquennat, puis le second. Nous avons cependant vite été « mis au parfum », puisque l’une des premières décisions du nouveau Président a été le « rabotage » de cinq euros du montant des APL. Une volonté claire et nette de faire des économies sur le dos des locataires s’est manifestée dès le départ et toute la politique du logement a été au diapason de cette première décision. Les dispositions de la loi Elan participent ainsi d’une concentration du logement entre les mains de quelques grands bailleurs et vont d’ailleurs à l’encontre de la décentralisation voulue par le Gouvernement, dont le ministre nous a donné les grandes lignes pendant le congrès de l’USH : on souhaite décentraliser la politique du logement au niveau des EPCI, des établissements publics territoriaux, des départements ou des régions et on concentre concomitamment la production et la gestion des logements entre les mains de quelques grands bailleurs et décisionnaires comme CDC Habitat ou Action Logement.

La politique conduite n’est pas en faveur du logement, bien au contraire. Au-delà du fait de faciliter les expulsions des squatteurs, mais également des locataires qui auraient accumulé une dette locative et dont le bail aurait été résilié, le président Kasbarian a voulu réaffirmer le droit à la propriété privée au détriment du droit au logement. La récente décision d’autoriser CDC Habitat à racheter des logements que les promoteurs privés n’arrivent pas à mettre sur le marché à cause de la crise que le secteur traverse, participe de l’idée selon laquelle une politique du logement existe bien, mais qu’elle favorise le parc et les promoteurs privés au détriment des bailleurs sociaux et des offices publics – alors que ceux-ci constituent les opérateurs les plus pertinents sur un territoire ou au niveau d’un EPCI.

Nous considérons donc que la politique du logement aujourd’hui conduite est à l’opposé de ce qu’elle devrait être par rapport au logement social, à la construction, à la rénovation, aux logements vacants et à l’hébergement : le rapport Courson-Labaronne de juillet 2023 et plusieurs travaux récents de la Cour des comptes montrent que nous assistons à un changement de paradigme, que la construction n’est plus une priorité et que les moyens seront déployés prioritairement sur la transition écologique et la rénovation énergétique des logements privés et sociaux. Il est d’ailleurs assez révélateur qu’au congrès de l’USH, on ait entendu que nous allions continuer à construire des logements sociaux, mais sans que le nombre en soit précisé. À force de dire qu’il faut construire des logements et de constater que les objectifs ne sont pas réalisés, on finit par préférer ne plus rien dire… Cela revient à renoncer à tout objectif, même minimal, dans un pays qui compte pourtant quelques millions de mal-logés, quelques millions de demandeurs de logement social… et on oublie souvent d’intégrer dans le décompte ceux qui vont décohabiter, comme les étudiants lorsqu’ils quitteront leur famille et les familles devenues monoparentales ou recomposées. Les associations, y compris la CNL, estiment que nous aurions besoin de construire en moyenne 250 000 logements sociaux par an et il est clair que nous sommes très nettement en-deçà de ce qui devrait être fait.

La politique du logement qui est conduite depuis 2017 est donc mauvaise, mais elle l’était aussi bien avant : le problème remonte à cinquante ans au moins, depuis la loi Barre relative au financement du logement (1977). Plus récemment, la loi Elan s’inscrit à l’encontre de la décentralisation qui est souhaitée : décentraliser des compétences – ce qui est déjà un peu le cas, dans la mesure où les métropoles et le Grand Paris acquièrent des compétences dans ce domaine –, pourquoi pas, mais avec quels moyens ? De facto, les aides à la pierre n’existent plus, ce qui signifie que le Gouvernement n’alloue plus de moyens pour la construction de logements sociaux et que le financement est assuré par Action Logement ou par les loyers des locataires. Quels seraient les moyens humains et financiers qui accompagneraient la décentralisation de la politique du logement ?

M. Alain Misse, juriste à l’association Force ouvrière Consommateurs (Afoc). Il est exact que la difficulté à appréhender la politique du logement ne date pas de quelques années, mais remonte à bien plus longtemps.

De nombreux rapports et études ont déjà été publiés sur le sujet, de nombreux débats ont eu lieu… mais, étrangement, nous en sommes toujours au même point : est-ce parce qu’il n’y a aucune volonté collective de sortir de cette situation, ou bien cherche-t-on, au contraire et de manière délibérée, à la faire perdurer ? Je pose la question et je n’ai pas la réponse. Au congrès HLM, nous avons entendu qu’il était important de rapprocher la politique au plus près du niveau où les problèmes se posent. Qui peut être en désaccord ? Mais si nous allons dans ce sens, des abus se produiront, comme partout, et quels garde-fous seront prévus ? Je n’en sais rien… Les discours sont souvent empreints de bonnes intentions, mais y a-t-il une volonté de les mettre en œuvre ?

Nous vivons, dans le monde des HLM, des difficultés qui sont en contradiction avec ce qui est proposé. Un bailleur comme CDC Habitat est un opérateur d’une taille considérable, qui couvre toute la France mais ne compte que trois représentants des locataires à son conseil d’administration : ce n’est pas cohérent, alors qu’on ne cesse de dire qu’il faut ramener la politique au niveau où les problèmes se posent. Les décisions sont prises très loin d’où vivent les locataires, ce qui dilue en cours de route les problèmes vécus au quotidien et crée tensions et frustrations. À cela s’ajoutent les discours spécieux de certains élus, qui peuvent provoquer des sentiments crisogènes. On finit par se demander : « Est-ce que cette fois-ci, les choses vont enfin bouger ? »

M. le président Stéphane Peu. C’est une très bonne question, mais, comme disait Antonio Gramsci, « il faut avoir le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté ». Notre souhait est de dresser un état des lieux qui soit le plus objectif possible, avec l’aide de l’ensemble des parties prenantes du secteur du logement, et de formuler des propositions afin que la situation s’améliore. Notre réflexion s’insère dans un ensemble de processus démocratiques, avec toutes les vicissitudes que cela implique.

J’aimerais que vous nous éclairiez sur l’évolution de la part du logement dans le budget des ménages, d’une part, et sur la relation entre la crise du pouvoir d’achat, le logement et l’énergie, d’autre part.

J’aimerais également avoir votre éclairage sur l’un des aspects de la crise du logement : la panne de la mobilité résidentielle, qui pèse considérablement dans les phénomènes de pénurie observés.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Nous sommes ici pour faire en sorte que vous soyez force de propositions, voire acteurs de ces propositions. Comme vous le dites, le logement n’est pas en difficulté depuis 2017 et ce n’est pas l’abbé Pierre qui vous contredirait !

Nous faisons aujourd’hui face à un problème de production de logements, mais parfois également à un problème d’inadéquation entre l’offre et la demande, et la crise actuelle résulte d’une accumulation de non-réponses. Lorsque nous voyons que des ménages ne peuvent pas quitter leur logement faute d’en trouver un autre – soit parce que l’offre est insuffisante, soit parce qu’ils n’ont pas accès à un emprunt pour devenir propriétaires, soit encore parce que les logements proposés sont trop éloignés de leur travail ou des commodités –, quelles solutions pouvons-nous imaginer ? Comment garantir l’accès à un logement digne, mener une politique de réhabilitation des logements existants et, surtout, produire des logements qui répondent aux besoins ?

M. Jean-Yves Mano. Dans le calcul de l’inflation mensuelle, le logement pèse à hauteur de 7 %. En réalité, le logement et les charges associées représentent entre 25 % et 40 %, voire davantage, du budget des ménages et ce poids est plus élevé chez les locataires du secteur privé.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Parce que l’APL historique n’est plus du tout à la hauteur des enjeux d’équilibre budgétaire pour les familles. Aujourd’hui, 34 % des Français sont en situation de privation et 14 % sautent un repas par jour : telle est la réalité vécue par nos concitoyens. L’APL, les forfaits de charges et les chèques énergie pourraient éventuellement soulager les familles, mais nous sommes mal partis : rien n’est prévu dans le budget pour 2024 sur l’évolution du forfait de charges et sur l’APL, ni sur le chèque énergie. Je rappelle d’ailleurs que, pour pouvoir percevoir le chèque énergie, il faut être en dessous du seuil de pauvreté : quelqu’un qui gagne 900 euros par mois se voit généreusement attribuer un chèque énergie de 48 euros par an ! Cela ne correspond pas au poids des dépenses essentielles et contraintes des familles. J’imagine que, compte tenu du risque d’explosion sociale, le Gouvernement sera obligé de distribuer un chèque énergie de 1 000 ou 2 000 euros dans l’année. Fin 2022, le Gouvernement a attribué un chèque énergie d’un tel montant à treize millions de ménages, c’est-à-dire trente-six millions de Français : cela signifie qu’il a considéré que 60 % de la population française avait besoin d’une aide sociale. Nous en sommes aujourd’hui à 48 euros…

Nous surveillons de près les impayés de loyers. Pour le moment, la situation se maintient encore, mais cela signifie que les locataires sacrifient d’autres dépenses comme la qualité de l’alimentation ou les loisirs. La classe moyenne subit un déclassement brutal, ce qui rend la situation sociale explosive.

S’agissant de la mobilité, d’où vient le blocage d’une région à une autre ou lorsque les locataires ou propriétaires d’un deux-pièces souhaitent déménager vers un T3 ou un T4 ? La réalité économique est absolument surréaliste : les taux d’intérêt bas et l’allongement de la durée des prêts ont entraîné une augmentation des prix de l’immobilier complètement décorrélée avec l’évolution des revenus. Il est aujourd’hui impossible de libérer des logements sociaux en devenant propriétaire ; nous n’aurions pas besoin de construire 500 000 ou 600 000 logements annuellement si de véritables parcours résidentiels étaient possibles, mais le niveau des prix bloque les mouvements. Quant à la mobilité d’une région à l’autre, on sait bien que les ménages n’ont pas besoin d’un seul travail, mais de deux, et qu’ils sont susceptibles de rencontrer des difficultés pour se loger sur l’ensemble du territoire. Dans les zones attractives, comme dans les métropoles de la façade atlantique, la situation est très tendue : à Rennes, où il était naguère possible de trouver un logement en trois mois, le délai d’attente est passé à deux ans ; je ne parlerai même pas de la région parisienne et de la capitale…

Les entreprises ont également du mal à recruter, parce que leurs salariés ne trouvent pas de logement. En période de récession économique ou de baisse de la valeur de votre bien, vous vous retrouvez à devoir vendre votre patrimoine alors même que, en fonction du nombre d’années d’emprunt qu’il vous reste à payer, ce n’est pas forcément le bon moment pour le faire.

Le système est bloqué et cela fait des années que nous en parlons. Nous savons aussi que l’attachement aux relations sociales peut contribuer au blocage. C’est notamment le cas pour les jeunes qui vivent dans des métropoles, qui ont l’habitude des facilités qu’elles procurent et qui peuvent être réticents à aller dans une région éloignée et à défaire leurs relations sociales et familiales.

M. Alain Gaulon. Comment doit-on considérer le logement social ? Est-ce une simple étape au sein d’un parcours résidentiel dont la finalité serait de devenir propriétaire ? Ou bien admettons-nous que des personnes puissent rester toute leur vie dans un logement social parce que tel serait leur choix, et non par nécessité ? Nous sommes en faveur de cette seconde approche. Naturellement, cela nécessite que suffisamment de logements sociaux soient disponibles, car le fait de rester au sein du parc social n’exclut pas le besoin d’effectuer un certain parcours au fil de sa vie : si les enfants d’un couple partent ou si l’un des conjoints devient veuf, la personne peut vouloir quitter un T4 ou un T5 pour un logement plus petit.

Pour la CNL, devenir propriétaire n’est pas une nécessité : on peut naître, vivre et mourir dans son logement. Mais cela nécessite alors de ne pas concevoir les logements sociaux uniquement pour les plus pauvres, comme la politique actuelle tend à le faire. C’est ce qui explique le surloyer, dont le développement est envisagé et auquel nous sommes opposés : ce serait empêcher la diversité sociale dans les résidences, dans les cités et dans les quartiers, alors que la mixité sociale est nécessaire au bien-être de la société. Je distingue d’ailleurs bien « diversité sociale » et « mixité sociale » : nous avons bien une diversité sociale dans nos quartiers, car leurs habitants sont de cultures variées et que l’on y trouve un mélange de « riches » et de « pauvres », mais peut-on parler de « mixité » ? Y voit-on un mélange culturel et social réel ? La question mérite d’être posée et ce débat est loin d’être clos.

La question du logement ne peut pas être décorrélée de celles du travail et des transports. Si on se rend en Saône-et-Loire ou dans la Nièvre, par exemple, on trouve des logements sociaux vides – et on en détruit parfois. Ces logements sont inoccupés faute de travail ou de transports disponibles. Les parcours résidentiels au sein du parc social ou du logement social vers la propriété ne peuvent se construire que si les résidents ont la capacité de travailler et de se déplacer sans devoir financer l’achat et l’entretien d’un véhicule, ainsi que le carburant. Toutes ces questions sont intimement liées.

Tant que les salaires et les prestations sociales n’augmenteront pas, les Français resteront vulnérables face à une inflation galopante et qui n’est pas près de s’arrêter : nous allons probablement devoir faire des sacrifices encore pendant quelques mois, voire quelques années. D’ores et déjà, nous avons vécu une hausse des loyers de 3,6 % en 2023 et les bailleurs sociaux sont en train de valider une nouvelle augmentation de 3,5 % en 2024 – soit + 7 % de loyer en deux ans. Quant aux charges, elles ont parfois augmenté de 200 % à 300 %, notamment à cause du coût de l’énergie. La quittance de loyer a littéralement « explosé », alors que les revenus des ménages n’ont que très peu été revalorisés et que les APL sont très loin de compenser l’augmentation des loyers et les effets de l’inflation. Il faudrait revaloriser les APL de manière conséquente et, a minima, à hauteur de l’inflation. Nous devons bien évidemment revaloriser aussi le forfait de charges, qui n’a pas été modifié depuis plusieurs années et qui ne correspond plus du tout aux réalités de terrain vécues au quotidien.

S’agissant du parc privé, certains propriétaires bénéficient de financements de l’Anah pour la rénovation de leur logement. Je rappelle que ces financements sont en grande partie publics et que ces propriétaires ne se voient pas imposer de contraintes particulières, notamment au niveau du loyer demandé. Il faudrait peut-être explorer cette voie d’obligations plus contraignantes pesant sur ces propriétaires.

Normalement, nous devrions tous être contre les APL : dès lors que nous percevrions un salaire décent, nous ne devrions pas avoir besoin des APL pour payer notre loyer : l’APL est le visage de la défaite de la politique du logement. Le chèque énergie participe de la même logique : comme le chèque carburant, il permet de traiter une situation ponctuelle sans apporter de solution structurelle. Pour l’électricité et l’eau, il serait très possible d’imaginer que les premiers kilowattheures ou les premiers mètres soient gratuits – ou, à tout le moins, que les tarifs soient nettement inférieurs aux prix de consommation habituels.

M. Alain Misse. Nous devons prendre en compte un élément supplémentaire pour apprécier la situation des ménages lorsqu’il s’agit d’accepter ou de refuser un logement : outre la question du trajet domicile-travail, il y a celle de l’accès aux équipements publics comme les équipements sportifs, les crèches, les écoles, etc. Cela fait partie des difficultés de terrain qui peuvent peser sur les choix effectués.

L’État accorde des subventions au monde HLM et au parc privé. Celles qui bénéficient au logement social sont soumises à plus de justifications et de contraintes que celles qui vont irriguer le parc privé. Ne faudrait-il pas que le parc privé prenne sa part d’effort pour rééquilibrer ?

On ne produit pas suffisamment de logements à des prix abordables, ce qui s’explique par l’absence de volonté de l’État de soutenir véritablement la production, tant dans le parc HLM que dans le parc privé. L’État doit retrouver sa place de régulateur et de garant du droit à chacun à occuper sa place dans la République.

En 2007, j’ai fait partie de ceux qui dénonçaient l’ouverture du marché de l’énergie et soulignaient que les nouveaux entrants dans ce secteur, notamment dans le nucléaire, allaient devoir réaliser des investissements très importants sans en avoir nécessairement les moyens. À l’époque, j’avais eu des échanges assez vigoureux avec ces nouveaux acteurs, alors que je ne faisais que pointer le fait que l’énergie n’est pas une marchandise comme une autre. On nous avait promis que les prix baisseraient et que la qualité de service s’améliorerait. Quelle évolution avons-nous constatée dans ce domaine ? Les prix ont flambé. Il y a près d’un an, lors d’une réunion avec l’Union sociale pour l’habitat (USH), nous avons eu l’occasion de regretter que les mesures envisagées par les pouvoirs publics soient que des pansements qui ne régleraient pas les problèmes de fond, de sorte nous aurions à nous retrouver dans une réunion similaire quelques mois plus tard.

On commence à voir des locataires qui se mettent en grève de paiement de leurs provisions de charges. Nous avons interpellé les bailleurs sociaux à plusieurs reprises sur ce sujet, mais, à quelques exceptions près, ils n’ont aucune prise sur le problème.

Nous faisons face à une situation complexe et grave : nous devons sortir de logiques purement comptables et remettre l’humain au cœur des politiques.

M. le président Stéphane Peu. En évoquant la question de la mobilité, je faisais principalement référence à la chute de la mobilité au sein du parc social : l’USH nous a récemment indiqué que 420 000 attributions avaient eu lieu en 2021, mais seulement 350 000 en 2022. Dans une zone en tension comme la Seine-Saint-Denis, nous étions habitués, au sein de l’organisme où je siégeais, à un rythme de 2 000 mutations par an, soit un taux de rotation d’environ 10 % à 11 % ; aujourd’hui, ce taux est tombé à 4 %. Il faut réfléchir à la problématique du blocage de la mobilité, qui est principalement dû à l’incapacité financière à effectuer un parcours résidentiel ascendant – bien évidemment, l’idée n’est pas de contraindre ceux qui souhaitent rester locataires du parc social à quitter leur logement.

S’agissant du forfait de charges, nous sommes preneurs de vos propositions : c’est un vieux débat et plus il apparaîtra nécessaire de solvabiliser les ménages, plus cette question du forfait deviendra cruciale.

Mme Jacqueline Maquet (RE). Nous vivons une crise sociale, en attendant la bombe sociale : 2 450 000 demandeurs de logements sociaux, un niveau que nous n’avions plus connu depuis longtemps. Je n’oublie pas non plus les 330 000 SDF et les 2 000 enfants qui dorment dehors.

Vous nous avez livré des pistes très intéressantes sur le pouvoir d’achat, le logement étant le principal poste de dépenses des ménages. Que faire à très court terme pour relancer la dynamique du logement ? Les demandeurs de logement et les SDF sont là, les enfants sont dehors. La solution passe par la construction de nouveaux logements. Comment relancer leur production ?

M. Alain Misse. Nous avons pu constater que les bailleurs ne jouent pas tous le jeu, ou timidement, de la « caisse commune », où les locataires peuvent échanger leur logement avec d’autres. Lorsque, par ailleurs, un locataire se voit proposer par son bailleur un nouveau logement, plus petit avec un loyer plus élevé au mètre carré, il est fréquent qu’il refuse cette proposition : c’est également un facteur de blocage. Une autre difficulté vient du fait qu’auparavant, les bailleurs maîtrisaient la gestion de l’essentiel de leur patrimoine ; la réglementation s’étant enrichie et complexifiée au fil du temps, ces bailleurs regrettent de n’avoir plus la main que sur le reliquat disponible après imputation des contingents des réservataires.

L’enjeu primordial est effectivement de produire plus de logements abordables. Depuis plusieurs années, on entend des discours invitant à produire plus de logements intermédiaires : les locataires étant, en moyenne, plus pauvres, les logements intermédiaires ne semblent pas être la solution.

Indépendamment de la construction de nouveaux immeubles, nous soutenons la transformation des immeubles existants : on peut, par exemple, imaginer de convertir certains immeubles de bureaux en logements ou de transformer des T5 en T2 ou T3.

Il n’y a pas de solution universelle, mais une série d’améliorations à mettre bout à bout, l’État devant assumer son rôle de régulateur et donc prévoir les moyens adéquats.

M. Jean-Yves Mano. Comment relancer la construction ? Il est absolument essentiel de maîtriser les prix du foncier, car les coûts de construction sont globalement stables. Les promoteurs me semblent porter une grande part de responsabilité dans l’augmentation des prix du foncier dans le pays, avec un calcul simple – y compris dans les zones tendues : calculer le budget pour le foncier en fonction du prix auquel les logements peuvent espérer être vendus.

Dans le cadre du plan local d’urbanisme, les maires ont la possibilité de définir des emplacements réservés et donc la capacité de transformer la ville sur la ville. C’est ce qui a été fait à Paris avec les concessions automobiles : les surfaces concernées ont été réparties par moitié entre logements sociaux et privés. En six ans, on a vu des logements sociaux apparaître dans le seizième arrondissement, rue de la Pompe et avenue Mozart, avec des transformations rendues possibles grâce aux réserves inscrites dans le plan local d’urbanisme. Rien n’est imposé, naturellement – mais si le propriétaire désire vendre, il sait que ce sont des logements sociaux qui seront construits, un équipement public ou des logements privés.

Pour relancer la construction, il ne faut pas chercher à reproduire des instruments de type « dispositif Pinel », où l’État a subventionné les propriétaires individuels jusqu’à 60 000 euros par logement, ce qui est sans comparaison avec l’aide à la pierre pour le logement social… Ce dispositif a contribué à la hausse des prix du foncier et de l’immobilier, à hauteur de 20 %, pour des logements de qualité lamentable et à des endroits où il n’y avait pas de demande… On peut supposer que les professionnels du bâtiment estiment avoir encore besoin de cette aide fiscale à l’investissement, mais nous ne devons pas nous engager dans cette voie – autrement, les prix repartiront à la hausse.

Une politique publique nécessite des moyens financiers et donc, tant que l’État ne déploie pas directement des aides à la pierre pour construire des logements sociaux, nous risquons de ne pas voir d’évolution. La décision a été prise, me semble-t-il, de baisser la TVA sur le PLI. Il s’agit là d’une revendication de l’USH, mais pourquoi le PLUS aurait-il le même taux de TVA que le PLI ? Cela relève d’une incohérence totale.

D’aucuns prétendent que le marché se régulera tout seul. Mais des baisses de prix minimes de 1 % ou 2 % ne suffiront pas à relancer l’accession à la propriété, alors que celle-ci sert d’ascenseur social à de nombreux ménages, y compris pour les locataires de HLM.

Nous avons besoin d’instruments législatifs pour maîtriser le prix du foncier. Ce prix est lié à la constructibilité : plus on construit, plus le prix du foncier augmente. Ne pourrait-on imaginer des mécanismes de blocage ? Des décisions drastiques sont peut-être envisageables, comme la création de zones d’aménagement économique où l’État imposerait la constructibilité sur un territoire : nous avons bien su le faire pour les Jeux olympiques.

M. le président Stéphane Peu. Dans la mesure où la quasi-totalité du territoire est désormais couverte par des établissements publics fonciers, ce qui est le résultat d’une politique délibérée conduite depuis plusieurs années, il faudrait faire en sorte que ces établissements contribuent à la régulation des prix. Or on constate que certains établissements fonciers accompagnent la hausse des prix, plutôt qu’ils ne la limitent. Le plus grand gâchis a été, à mes yeux, celui de la Société du Grand Paris (SGP), avec les soixante-dix gares de métro qui devraient sortir de terre dans les années qui viennent : selon les estimations mêmes de la SGP, trois cent mille logements seront construits alentour, mais sans aucune régulation des prix puisque l’équilibre financier du métro est assuré par la vente des surfaces foncières. Sur ces logements, très peu seront à caractère social et très peu seront à prix abordable. L’intervention publique dans le domaine foncier existe bien, mais elle n’est pas toujours orientée correctement : si nous pouvions nous appuyer sur les outils existants pour la rendre plus vertueuse et régulatrice, ce serait un pas dans la bonne direction.

M. Alain Gaulon. La problématique du logement social se déploie sur un temps long : plusieurs années sont nécessaires pour décider d’une politique et la réaliser.

Peut-être faut-il revisiter l’idée selon laquelle nous avons besoin de construire des logements sociaux et très sociaux : 78 % de la population peut d’ores et déjà y accéder. Pourquoi continuer à construire des logements intermédiaires, au motif que les « classes moyennes » aspireraient à s’y installer ? Des personnes percevant des salaires que l’on pourrait qualifier de décents, comme un couple d’instituteurs, ne peuvent pas forcément accéder à des logements intermédiaires, mais ils sont toujours éligibles aux logements sociaux – même s’ils ne sont pas forcément acceptés, au motif que les plus pauvres sont prioritaires. Nous devons construire une majorité de logements sociaux et très sociaux et arrêter de penser que les logements intermédiaires seraient l’avenir de la production.

Le bail réel solidaire constitue peut-être un outil d’avenir, en ce qu’il aide à dissocier le foncier du bâti. Je considère, à titre personnel, que la terre ne devrait pas être susceptible d’appropriation privée et que le sol pourrait être considéré comme un bien commun, ce qui faciliterait beaucoup de choses.

Je suis entièrement d’accord pour considérer que les niches fiscales telles que le « dispositif Pinel » ne sont pas adaptées. J’ai cru comprendre que ce dernier avait peu d’avenir et c’est plutôt une bonne nouvelle. Nous devons revoir les niches fiscales : il en existe une soixantaine pour le logement et nous gagnerions à les dépoussiérer.

Certaines communes concluent des chartes avec les promoteurs afin de réguler leur activité. Cette démarche pourrait être systématisée, d’ailleurs plutôt au niveau des établissements publics territoriaux ou des EPCI.

L’application et le respect de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain (SRU) sont absolument nécessaires. On connaît l’exemple de Saint‑Maur et on sait que certains maires font de leur volonté de ne pas construire de logements sociaux un argument politique. Lorsque nous nous adressons à eux, ils prétendent ne plus avoir de foncier disponible ; pourtant, en parcourant la ville, on peut voir de nombreux chantiers de logements privés… Il faudrait donc imaginer des contraintes plus fortes que de simples amendes pour que la loi SRU soit respectée. J’entends néanmoins que des considérations régionales ou départementales puissent entrer en jeu : on ne peut guère, par exemple, contraindre une ville où l’emploi est peu dynamique à construire des logements sociaux, car ces logements ne trouveraient pas preneurs en l’absence de travail ou de transports à proximité.

La France compte quelque trois millions de logements vacants, dont on peut penser que beaucoup pourraient être réutilisés. On pourrait imaginer de remettre ces logements vacants sur le marché et que les bailleurs sociaux les récupèrent et les transforment en logements sociaux, dans l’hypothèse où leurs propriétaires se refuseraient à les louer pour quelque raison que ce soit.

De même, on compte environ quatre millions de mètres carrés de bureaux vacants en Île-de-France. On sait par ailleurs que, depuis la crise sanitaire, le télétravail s’est fortement développé – même si l’on peut observer une tendance récente au retour dans les bureaux, par envie légitime des salariés de retravailler en collectivité. Ces bureaux qui restent vides mériteraient une attention particulière et certains pourraient être transformés en logements. Des projets d’architectes commencent à émerger, consistant à créer des bureaux modulables, c’est‑à-dire transformables en logements si nécessaire : ce serait là une approche de long terme, consistant à créer des espaces adaptables et susceptibles d’être utilisés pour différentes finalités.

S’agissant de la mobilité, l’exemple de l’occupant d’un F4 qui se retrouverait seul et qui pourrait être relogé dans un F2 a été évoqué. Le problème est que beaucoup de bailleurs ne pratiquent pas encore le prix au mètre carré et quelqu’un qui loue un F4 à 500 euros par mois pourrait se voir proposer un F2 à 700 euros : on peut alors aisément comprendre que ce locataire ne soit pas très séduit par une telle offre. La généralisation du prix au mètre carré me semble donc hautement souhaitable, ce qui est loin d’être un système universel aujourd’hui.

J’aimerais également évoquer le cas de locataires qui souhaitent déménager et qui ne comprennent pas pourquoi leur bailleur ne leur propose pas le logement en face de chez eux, dont ils savent qu’il est vacant. L’explication selon laquelle le réservataire est potentiellement différent est difficile à comprendre. Le système actuel est pertinent, dans la mesure où les réservataires sont aussi des financeurs, mais ne pourrait-on imaginer un moyen de fluidifier les parcours résidentiels au sein du logement social ?

M. Jean-Yves Mano. L’estimation qui court du nombre de logements vacants me semble fragile. Il est certain qu’il en existe, mais certainement beaucoup moins qu’à une certaine époque. J’en ai cherché à Paris et je n’en ai pas trouvé.

Afin d’aider à la remise sur le marché de ces logements, une première mesure consisterait à garantir le paiement du loyer au propriétaire qui n’a financièrement pas besoin de louer son bien et qui n’a pas envie de gérer la relation avec un locataire. À Paris, nous avons acquis un parc auprès d’un propriétaire privé et l’avons loué à une association, qui est garante du paiement des loyers et qui assure la remise en état des logements. Ces dispositifs sont complexes, mais ils fonctionnent.

La deuxième possibilité serait d’aider les propriétaires à effectuer des travaux. Au Royaume-Uni, un bailleur social peut effectuer des travaux, se payer sur le montant du loyer et, une fois qu’il a amorti les travaux et ses frais de gestion, rendre le logement au propriétaire : le système a été mis en place à Birmingham, nous pouvons éventuellement nous en inspirer.

Le transfert provisoire de la gestion et des frais à un bailleur social me semblerait être une bonne chose. Bien évidemment, on imagine difficilement des organismes gérant et s’occupant de dizaines de milliers de logements, mais plutôt des structures adaptées.

M. Alain Misse. Afin d’accélérer la production de logements à court terme, on peut imaginer une simplification des normes. Les producteurs critiquent souvent la multiplication de ces normes et l’absence de visibilité en la matière.

Il y a quelques années, la distribution du livret A était réservée aux caisses d’épargne, mais les règles ont changé afin de permettre sa distribution par d’autres établissements financiers. N’existerait-il pas une marge de manœuvre à ce niveau ?

M. Jean-Yves Mano. La capacité à mobiliser les crédits disponibles n’est pas entravée par cela. L’idée a même été évoquée selon laquelle les encours du livret A pourraient servir à financer des centrales nucléaires ou d’autres projets.

M. le président Stéphane Peu. Je n’ai pas eu vent de difficultés à ce sujet. La rémunération du secteur bancaire au titre de la distribution du livret A peut prêter à discussion, mais je n’entrerai pas dans des considérations sur ce livret, car le sujet est relativement bien sanctuarisé, fléché et géré par la Banque des territoires.

Le livret A est un des piliers du modèle social, avec le « 1 % Logement » et le financement public. De ces trois piliers historiques, celui qui est défaillant est le dernier. On assiste parallèlement au rétrécissement de l’assiette de la contribution employeur, puisque les entreprises assujetties sont désormais celles de plus de cinquante salariés – alors qu’historiquement, le seuil a été successivement fixé à dix, puis vingt salariés.

M. Alain Misse. Je n’ai pas cherché à remettre en cause la centralisation de la gestion entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations, à laquelle je suis favorable. Je me suis simplement interrogé sur l’efficacité d’une démarche consistant à ouvrir la distribution de cet outil à un ensemble d’établissements financiers.

M. le président Stéphane Peu. À ma connaissance, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour.

Nous vous invitons à compléter cette audition par la fourniture de documents susceptibles de nous aider. Je pense notamment à vos réflexions et propositions sur le forfait de charges, les impayés de loyers, la part du logement dans le budget des Français, etc.

Je vous remercie


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5.   Table ronde avec des acteurs de l’immobilier : M. Alexis Lagarde, vice‑président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers et M. Émile Hagège, directeur général de l’Association des responsables de copropriété (jeudi 12 octobre 2023 à 9 heures 30)

M. Mickaël Cosson, président. L’ambition de la mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, présidée par Stéphane Peu et dont je suis le rapporteur, est d’essayer d’apporter des solutions à partir d’expériences de terrain et de mettre à la disposition de ceux qui décident des outils permettant de dénouer des situations aujourd’hui bloquées. Le parcours résidentiel est en effet aujourd’hui bloquant, à chacune de ses étapes : les étudiants éprouvent des difficultés à se loger durant leurs études, les actifs à trouver un logement à proximité de leur emploi et les seniors à habiter près des commodités. En outre, la production de logements se situe actuellement en deçà des objectifs et elle ne répond pas aux priorités suivantes : avoir un logement pour s’épanouir et profiter des territoires.

Dans ce cadre, un projet de loi pourrait être profitable aux territoires, dont les besoins peuvent varier. Nous souhaitons donc recueillir votre opinion sur la situation présente et vos propositions.

Les problèmes de logement sont patents depuis de nombreuses années, sinon depuis plusieurs décennies. Désormais, l’enjeu consiste à apporter des réponses précises et à préférer une approche qualitative à une vision quantitative. Au cours de la période récente, nous avons « étiré » le tissu urbain, mais l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) mettra fin à cette approche : nous devons désormais « faire de la dentelle » et disposer d’une palette d’outils qui permettent à la fois de revitaliser les centres‑villes et de rapprocher les populations des lieux d’emploi et des services.

M. Alexis Lagarde, vice-président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). Nous sommes aujourd’hui confrontés à des bombes sociales à retardement, susceptibles d’exploser si nous n’agissons pas rapidement. Comme nous l’annonçons depuis plus d’un an, la crise du logement porte aussi bien sur l’immobilier neuf que sur l’immobilier ancien.

Le marché est grippé à tous les étages. Les potentiels acquéreurs de logements neufs n’ont plus confiance dans l’environnement réglementaire actuel et la première des urgences consiste à rétablir cette confiance que les propriétaires privés ont perdue.

Nous soutenons bien évidemment les objectifs fixés pour 2050 par la loi « Climat et résilience ». Il est toutefois aberrant de retirer du marché locatif des logements qui, pour des raisons indépendantes de la volonté des propriétaires, ne peuvent atteindre certains objectifs de performance énergétique : c’est contre-productif, les objectifs d’ordre écologique ne doivent pas se réaliser au détriment des plus modestes. Il s’agit de trouver un bon rythme, d’adapter le calendrier et de moduler les contraintes techniques, juridiques et fiscales. Nous avons formulé des propositions à ce sujet : pour convaincre, il faut d’abord entraîner, et non contraindre. À titre d’exemple, l’État a fait preuve de pragmatisme in fine sur les zones à faibles émissions (ZFE). Rappelons que la France dispose d’une des économies les plus décarbonées grâce au nucléaire, mais également à l’éolien en mer, qui se développe et dont il conviendrait d’accélérer le déploiement pour diminuer nos dépendances.

Par ailleurs, l’objectif « Zéro artificialisation nette » est imparfaitement conçu. Il empêche le développement économique et l’accueil de nouveaux habitants, en accroissant le coût du foncier. Il importe donc de procéder à une juste péréquation entre les territoires, par exemple en mettant en œuvre des compensations financières. Ce sujet nous semble constituer un enjeu majeur.

Pour ce qui concerne la construction de logements neufs, les nombreuses contraintes réglementaires ont conduit à une augmentation substantielle du prix au mètre carré – par exemple, rendre 100 % des logements accessibles ou surfaces importantes dans les logements sociaux. Lors d’une crise, la priorité consiste à pouvoir disposer d’un toit le plus rapidement possible.

Il convient également d’intégrer l’écoconception dans la modularité des logements. À ce titre, je vous suggère d’auditionner le président du Conseil national de l’économie circulaire, M. Jean-Michel Buf, qui pourra vous apporter son point de vue.

Enfin, je suppose que vous avez lu le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la rénovation énergétique des logements et auquel nous avons contribué.

J’attire votre attention, en conclusion sur le fait que le logement n’est pas à proprement parler une dépense publique, dans la mesure où il s’agit d’une des activités qui rapportent le plus à l’État grâce à la fiscalité.

M. Émile Hagège, directeur général de l’Association des responsables de copropriété (ARC). L’Association des responsables de copropriété représente les syndicats de copropriétaires, 800 000 copropriétaires étant adhérents à notre organisation.

En préambule, je souhaiterais vous faire part de deux anecdotes. La première concerne ma propre expérience. Lorsque j’ai débuté mon parcours professionnel, je n’ai réussi à obtenir un logement social qu’après de très nombreuses démarches auprès des municipalités. Ensuite, ayant progressé dans ma carrière professionnelle et ayant fondé un ménage, j’ai cherché un logement plus adapté. Malheureusement, j’étais devenu trop riche pour obtenir un nouveau logement social, mais trop pauvre pour devenir propriétaire. Mon parcours d’habitation s’en est trouvé complexifié.

La seconde anecdote concerne un jeune copropriétaire, qui avait repéré une annonce dont le prix était conforme à ses moyens financiers. En revanche, personne ne lui avait expliqué qu’être copropriétaire consiste, en quelque sorte, à être deux fois propriétaire : propriétaire de son logement, mais également des parties communes. À ce titre, il devait naturellement des charges, mais personne ne lui avait signalé que, pendant cinquante ans, la copropriété n’avait pas été entretenue. Aujourd’hui, il lui est demandé une quote-part de 50 000 euros pour réaliser le ravalement complet (isolation, étanchéité) et le changement de la chaufferie de son immeuble.

Aujourd’hui, une copropriété malade constitue une forme de cercle vicieux, car elle attire des copropriétaires qui ne sont pas nécessairement solvables et qui, à leur tour, vont la fragiliser. Les difficultés entraînent de nouvelles difficultés et ouvrent la porte à des phénomènes délinquants, comme les trafics ou la prostitution, qui peuvent s’étendre à l’ensemble d’un quartier, voire sur une ville entière. Dans une ville dont je tairai le nom, l’ensemble des copropriétés est en dispositif public, car toute cette ville a été « contaminée ».

Les responsables politiques commettent souvent l’erreur d’amalgamer des situations bien distinctes : le logement individuel, le logement social et la copropriété. Le logement individuel n’a qu’un seul décideur ; le propriétaire ; il en va de même dans le logement social, avec un seul bailleur. En revanche, la situation de la copropriété est beaucoup plus complexe, puisqu’elle réunit différents acteurs : le syndic, l’assemblée générale, le conseil syndical, les copropriétaires.

En matière de logement, la copropriété constitue donc un cas particulier, à envisager de manière différenciée. Tous les dispositifs publics en matière de rénovation énergétique ont plus ou moins bien fonctionné pour les logements individuels ; en revanche, ce n’est pas le cas pour les copropriétés. Par exemple, le dispositif MaPrimeRénov’ est une catastrophe pour celles-ci. Les seuls dispositifs qui aient fonctionné étaient ceux réservés aux copropriétés, comme les plans de sauvegarde, les programmes opérationnels de prévention et d’accompagnement des copropriétés (Popac), les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), etc.

Le dossier des copropriétés doit donc être traité de manière spécifique, afin de comprendre ce qui ne fonctionne pas et de trouver des solutions adaptées.

M. Mickaël Cosson, président. J’ai eu l’occasion de rencontrer un syndic de copropriétés sur mon territoire, qui m’a fait part des difficultés qu’il rencontrait, notamment sur le dispositif MaPrimeRénov’ : la copropriété doit avancer la trésorerie et le remboursement n’intervient que trop tardivement, c’est-à-dire après les travaux effectués par les différents copropriétaires. Comment améliorer cette situation dans le cadre du plan de rénovation énergétique ambitieux que souhaite mener l’État ? Comment entraîner plutôt que contraindre ? Comment insuffler un effet positif et redonner confiance aux propriétaires ?

M. Émile Hagège. L’immeuble où réside l’ARC est en copropriété et le dispositif MaPrimeRénov’ y a été activé : les fonds ne seront débloqués que lorsque les travaux auront été exécutés ; cela signifie qu’entre-temps, les copropriétaires se retrouvent débiteurs, qu’ils peuvent être mis en difficulté et confrontés à des mises en demeure et des injonctions à payer. La solution est assez simple : il suffirait d’effectuer un préfinancement des aides de MaPrimeRénov’ pour éviter les problèmes. Malheureusement, aucun syndic de France ne sait exactement comment le mécanisme fonctionne, la copropriété constituant un sujet vraiment singulier.

M. Alexis Lagarde. L’exemple italien est intéressant. L’État y autorise des entreprises générales à procéder à des rénovations globales, à travers un mécanisme de « superbonus » (prise en charge de 110 % des dépenses de rénovation par le Gouvernement). L’État finançant la totalité des travaux, cela permet de les mener vite et bien. À ce titre, dix milliards d’euros ont déjà été dépensés en Italie.

En France, nous n’avons peut-être pas les moyens de dépenser de tels montants, mais nous proposons un mécanisme d’aide aux propriétaires qui rencontreraient des difficultés, aide qui serait remboursée au moment de la cession du bien à travers une forme d’hypothèque. Les propriétaires n’auraient donc pas à effectuer d’avances, puisqu’un organisme financier prendrait en charge les dépenses relatives à une rénovation globale. En effet, actuellement, un certain nombre de rénovations sont réalisées, mais il s’agit à 90 % de monogestes.

Je suis favorable aux opérations de rénovation globale, éventuellement en plusieurs étapes. D’après mes estimations personnelles, le coût global de ces opérations avoisinerait 2 000 milliards d’euros d’ici à l’échéance 2050 ; par comparaison, le programme nucléaire ou le programme d’installation d’éoliennes en mer représentent chacun 200 milliards d’euros. Il y a trois ans, nous avions évoqué le sujet avec des responsables de la Banque des territoires et proposé un « plan vert » en faveur de la transition énergétique. Je suis persuadé que les Français seraient satisfaits d’obtenir un rendement supplémentaire de 0,5 % sur leur livret d’épargne tout en contribuant au financement de la transition énergétique. Un tel fléchage permettrait d’accélérer le processus.

Il ne suffit pas de contraindre les propriétaires, particulièrement en copropriété, compte tenu des délais afférents aux décisions. Hier encore, un propriétaire d’une soixantaine d’années m’a appelé pour me faire part de son exaspération. Il n’a pas les moyens de mener à bien les travaux qui sont exigés de lui, car leurs montants sont bien supérieurs aux loyers qu’il pourrait en retirer, compte tenu de son espérance de vie en bonne santé. Il envisage donc de vendre, mais encore lui faudra-t-il trouver des acheteurs. Je le redis : nous sommes confrontés à une bombe à retardement.

À titre personnel, je possédais un petit immeuble de quatre logements dans le centre d’Angers, que je louais à moins de 6 euros le mètre carré. Si j’avais dû y faire faire des travaux, j’aurais été engagé jusqu’à 82 ans. J’ai donc préféré vendre et l’acheteur propose aujourd’hui les logements à 15 euros le mètre carré. Si nous voulons protéger les ménages modestes qui sont nombreux, nous devons vraiment nous fonder sur la réalité du marché plutôt que sur un fléchage théorique de performance énergétique.

M. Mickaël Cosson, président. Vous avez évoqué le modèle italien et les dépenses engagées par l’État. Comment celui-ci s’y retrouve-t-il sur le plan financier ?

M. Alexis Lagarde. Le dispositif ne concernait que les propriétés les plus énergivores. Il est vrai que les caisses sont désormais vides et que l’État italien ne peut plus poursuivre le même mécanisme. Malgré tout, il s’agissait de solliciter des entreprises ayant une vision globale de la rénovation et d’impulser une dynamique.

À Berlin, les autorités ont mis en avant leurs démarches et se sont vantées d’avoir mené un programme complet de rénovation. Mais les mesures ont montré que les gains en termes de consommation énergétique étaient très faibles en raison des comportements individuels. À ce titre, la dimension pédagogique est certes nécessaire, mais elle ne suffit pas entièrement.

La rénovation des bâtiments est indispensable et je suggère à l’ensemble de nos adhérents de viser immédiatement la classe C lors d’une rénovation. Le problème est qu’il n’est pas aisé de trouver des entreprises disponibles pour conduire ces travaux. L’Agence de la transition écologique (Ademe) recommande de faire établir trois devis pour faire diminuer les prix, mais, en réalité, il est déjà difficile d’en obtenir un. En outre, la constitution d’un dossier prend un certain temps et, compte tenu de l’inflation, le devis final est largement supérieur au devis initial.

Par conséquent, il me semble nécessaire de proposer un accompagnement. Nous sommes partenaires du nouveau dispositif Bail Rénov’, un programme qui vise à encourager la rénovation des passoires thermiques issues du parc privé locatif. L’accompagnement consiste notamment à effectuer un audit énergétique, dans la mesure où le diagnostic de performance énergétique (DPE) est trompeur, car il ne s’agit que d’une photographie à un instant t. L’audit énergétique est, quant à lui, un dialogue avec un véritable thermicien, pour établir une réelle vision du patrimoine et réfléchir à une stratégie pérenne.

M. Émile Hagège. Les copropriétaires n’en sont pas à envisager la rénovation énergétique, il leur faut déjà régler leurs charges de copropriété – notamment, les factures de chauffage, compte tenu de l’augmentation de 700 % du prix de la molécule de gaz. Leurs problèmes sont bien plus pragmatiques. Il existe un fossé entre la volonté des pouvoirs publics et la vie des copropriétaires.

Ces derniers ne comprennent plus rien à l’ensemble des acronymes et obligations auxquels ils sont confrontés : DPE, PPT, DTG, audit énergétique, diagnostic du bilan, etc. Ils ne savent plus comment agir et, finalement, ils préfèrent ne rien faire et attendre de voir si un nouveau ministre ne va pas proposer un nouveau dispositif.

En dix ans, les charges ont augmenté de 50 %, hors inflation. Un copropriétaire qui a acheté avec une certaine stratégie de financement voit ses calculs remis en cause. Le sujet dont il faut parler prioritairement est celui de l’entretien et de la gestion des copropriétés, dont 70 % ont été construites avant les années soixante-dix et, parmi celles-ci, un tiers l’a été avant la première guerre mondiale.

Ensuite, les copropriétaires bailleurs sont victimes d’un effet ciseau : d’un côté, ils sont confrontés au plafonnement des loyers et, de l’autre, ils doivent procéder à des travaux de rénovation ; de surcroît, ils ne peuvent pas répercuter sur les loyers le montant des investissements réalisés. Ce qui est clair pour les politiques est vécu comme nébuleux par les copropriétaires. Les syndics sont, quant à eux, soumis à des conflits d’intérêts permanents.

Le terrain est miné et le marché n’est pas mature sur l’ensemble de la chaîne de décision : un bailleur social peut ouvrir quatre livrets A, mais un syndicat de copropriété est limité à un seul, plafonné à 70 500 euros ; le prêt à taux zéro (PTZ) n’existe qu’en théorie, puisque personne ne le propose ; quant au « Copro100 », sa mise en place n’est pas aisée.

M. Mickaël Cosson, président. Nous partageons votre constat : vous avez évoqué le coût du foncier, le ZAN et les difficultés liées au plafonnement des loyers au regard de travaux dont le montant peut être dissuasif. Comment faudrait-il agir pour réaliser les ambitions affichées par l’État ? Je pense notamment au remboursement du montant des travaux au moment de la mutation. Par ailleurs, une partie de la plus-value enregistrée à la revente par un propriétaire est liée à l’ensemble des aménagements que les collectivités ont réalisés à proximité ; dès lors, elle pourrait être prélevée pour être ensuite fléchée vers les territoires, afin de combattre la crise du logement.

Désormais, 250 000 hectares de terrains, notamment agricoles, seront constructibles et devraient permettre de dégager une manne financière : un propriétaire qui enregistre une plus-value de 200 % à 500 % à la revente d’un terrain devrait devoir contribuer à la solidarité nationale.

M. Alexis Lagarde. La réalité est bien plus complexe. Un ami arboriculteur possédait quarante hectares de terrains, qu’il a vendu moins d’un million d’euros. Il pensait toucher dix fois plus, mais il n’a pas trouvé d’acquéreur à ce prix-là, alors même que ces terrains sont situés aux portes d’une agglomération.

Les terrains et bâtiments disponibles, y compris en ville, sont nombreux. Il faut éviter le simplisme et mobiliser l’ensemble des bonnes idées, dans tous les domaines. À l’heure actuelle, le problème est celui de la transition énergétique, dont les échéances calendaires sont proches pour les étiquettes D à G. Il faudrait accorder un délai aux propriétaires de bonne foi, même si les modalités sont difficiles à mettre en œuvre. Les responsables politiques nationaux et locaux en sont conscients.

Je peux vous faire part de l’exemple de la Vendée. La ville des Sables-d’Olonne se développe fortement, mais elle sera bientôt confrontée au recul du trait de côte, dû au changement climatique : des logements devront donc y être démolis. Par ailleurs, durant l’été, les jeunes travailleurs et les étudiants n’arrivent pas à se loger. Dans ces conditions, il convient d’imaginer de nouvelles formes de logement, peut-être transitoires. Certaines communes envisagent, par exemple, de proposer des logements dans des conteneurs, très bien isolés, pour les plus jeunes actifs.

Il importe également de repenser le parcours résidentiel, afin de redonner aux plus jeunes le goût de l’achat d’un logement, qui s’est perdu du fait des embûches à surmonter et du poids de la fiscalité. À l’autre bout du spectre, les actifs en fin de carrière qui disposent d’une épargne peuvent être dissuadés d’acheter, car ils craignent des locataires mauvais payeurs ou qui les traduisent en justice au prétexte fallacieux d’un logement indigne. J’ai moi-même subi de telles mésaventures sur mes logements à Angers.

Un autre exemple peut être évoqué. L’ancien président de la chambre de commerce du Maine-et-Loire a loué un logement à une avocate, qui n’a pas réglé ses loyers pendant des années. Il a entamé une procédure d’expulsion, mais la notification du jugement est intervenue tardivement. Il a donc été obligé d’attendre la fin de la trêve hivernale, soit une année supplémentaire sans être payé. Tout le monde peut rencontrer des difficultés financières, mais de telles manœuvres n’encouragent pas les propriétaires à mettre des logements en location.

Si nous voulons disposer d’un levier efficace et rapide, il est nécessaire de se pencher sur la fiscalité et de diminuer les impôts auxquels auxquelles sont soumis les propriétaires : tout compte fait, ces derniers subissent in fine une taxation à 75 %, si l’on intègre le foncier.

M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie pour votre témoignage, et notamment les éléments relatifs à la fiscalité. Pourriez-vous évoquer les outils qui, selon vous, ont fonctionné par le passé et qu’il serait opportun de remettre au goût du jour ? À l’inverse, quels sont ceux qu’il conviendrait de supprimer ? Comment redonner confiance aux investisseurs afin qu’ils se sentent mieux protégés ?

J’ai évoqué, en préambule, les différentes étapes de la vie et les préoccupations immobilières qui sont associées à chacune d’entre elles. Selon vous, quelles actions concrètes faudrait-il mener pour apporter une véritable réponse en matière de production de logements et répondre aux attentes réelles des populations dans nos différents territoires ?

M. Émile Hagège. L’ARC n’est pas particulièrement favorable aux subventions publiques, dans la mesure où nous savons qu’elles ne sont pas éternelles et qu’en outre, elles se répercutent sur la fiscalité. Il importe donc de trouver des solutions qui permettent aux copropriétés d’être autosuffisantes.

Les copropriétés en difficulté peuvent accéder à des dispositifs de soutien public comme les Orcod, les plans de sauvegarde ou les Popac. L’État agit, mais comme un pompier qui utiliserait un pistolet à eau pour éteindre un feu de forêt et ces dépenses s’effectuent quasiment à fonds perdus. Il serait plus pertinent d’agir en amont, de manière préventive, en ciblant mieux les destinataires des fonds qui seront distribués.

Les difficultés ne touchent pas uniquement les copropriétés anciennes, les copropriétés neuves n’en sont pas préservées. Plusieurs d’entre elles ont aujourd’hui recours à nous, parce qu’elles se retrouvent confrontées à des difficultés de gestion courante, d’entretien et de rénovation – notamment, de rénovation énergétique. Si on n’identifie pas ce qui dysfonctionne dans les copropriétés, on aura beau construire, nous serons toujours soumis à cette spirale infernale.

Aujourd’hui, il n’existe pas véritablement de droit de la copropriété, mais plutôt un droit du copropriétaire. Mais la problématique du copropriétaire n’est pas forcément celle de la copropriété : au sein d’un immeuble, les vingt, trente ou quarante copropriétaires essayent chacun de défendre leur logement, parfois au détriment de l’intérêt collectif, qui est celui de la copropriété. Par conséquent, faut-il défendre le droit de chacun des copropriétaires ou faut-il inventer un droit de la copropriété ? Si tel était le cas, celle-ci gagnerait le droit à disposer de financements propres, à être rénovée et à accéder à des mécanismes d’amortissement des investissements réalisés. Aujourd’hui, il n’existe pas de dispositif d’amortissement des équipements communs, ce qui porte préjudice au copropriétaire qui achète son logement lorsque ces équipements sont en fin de vie ou doivent être changés.

Si, demain, les candidats à l’achat sont correctement prévenus des contraintes – charges courantes, amortissements, travaux, etc. – qui pèsent sur la copropriété dans laquelle ils envisagent d’investir, ils pourront mieux évaluer leur équation financière et décider en connaissance de cause de poursuivre leur démarche ou de s’orienter vers une autre copropriété mieux rénovée. Cette question du droit de la copropriété me paraît fondamentale.

Vous avez souligné un autre élément essentiel : la confiance du copropriétaire. Ce dernier n’a plus confiance en rien aujourd’hui, notamment pas dans les politiques mises en place par les pouvoirs publics : par exemple, le « gadget » des répartiteurs de frais de chaleur installés sur les radiateurs, qui permet de donner du grain à moudre au réseau des installateurs, est obligatoire ; mais il ne fonctionne pas.

En outre, les copropriétaires n’ont pas confiance en leurs syndics, pour diverses raisons. Or le syndic est le mandataire de la copropriété, il doit en être l’aiguillon et donner des trajectoires stratégiques pour le futur de la copropriété. Ce syndic est un commerçant qui est pris dans un conflit d’intérêts : la défense des intérêts de son propre cabinet ou celle des intérêts du syndicat des copropriétaires. Si la mission du syndic n’est pas « verrouillée » dans la question de la rénovation énergétique ou dans l’entretien des copropriétés, on n’arrivera pas à déclencher le vote des travaux, car il est difficile de donner de l’argent à quelqu’un en qui on n’a pas confiance.

Il existe effectivement un problème lorsque le propriétaire réalise une très forte plus-value à la revente sans avoir contribué au financement des travaux d’entretien et de rénovation. Des solutions existent, mais les copropriétaires doivent bien comprendre les responsabilités qui leur échoient : ils sont « copropriétaires », c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas uniquement financer la peinture de leur cuisine, mais qu’ils doivent également financer la réfection de la cage d’escalier.

M. Alexis Lagarde. L’ingénieur du BTP que j’ai été a participé à la construction de milliers de logements privés ou publics, ainsi que de bâtiments publics. À la fin de ma carrière, j’étais directeur interrégional chargé de la qualité, de la pathologie des bâtiments et des questions juridiques liées aux sinistres, dans une société internationale, leader de l’audit dans ce domaine.

Le défaut d’entretien d’un bâtiment peut parfois provoquer des drames. Chacun a entendu parler d’effondrements de balcon ayant entraîné de graves accidents parfois mortels. Au milieu de ma carrière en région parisienne, j’ai assisté à l’inauguration d’un bâtiment en présence du promoteur, de l’architecte et des élus : un balcon s’est affaissé, provoquant le décès de sept personnes.

Cet exemple atteste du caractère sensible des ouvrages et des bâtiments, qui ne sont pas éternels. Dans la rénovation, j’ai vu des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre peu expérimentés enfermer l’humidité dans un bâti ancien, de sorte qu’in fine l’ossature en bois pourrit, la mérule prospère et des effondrements peuvent survenir.

Le DPE est un outil intéressant, mais l’audit apparaît encore plus pertinent, car il apporte une vision plus globale du bâti. Je rappelle que 30 % des logements en France datent d’avant 1948 et qu’ils apportent un excellent confort d’été, ce que le DPE ne prend pas compte. Je déplore que le système du DPE se fonde sur une logique de sanction, au lieu d’adopter une vision d’ensemble. Lors d’un congrès à Angers, il y a trois ans, j’avais interpellé les ministres Julien Denormandie et Emmanuelle Wargon sur le problème du confort d’été. Malheureusement, il n’est toujours pas pris en compte : je sais bien que la tâche est immense, mais nous ne devons pas oublier les « fondamentaux », qui sont parfois obscurcis par des points de détail.

Votre première question portait sur le pilotage du logement au niveau territorial. Ce pilotage est déjà très présent au niveau des mairies, notamment à travers les permis de construire.

Une question portait sur la politique en matière de logement social. Cette politique est devenue un enjeu national, quand il n’était auparavant que local et parfois affecté par l’électoralisme. Certaines communes construisent de nombreux logements sociaux, quand d’autres n’en bâtissent pas suffisamment. Pour ma part, je pense qu’il faut plafonner le logement social, car, si tel n’est pas le cas, la mixité sociale disparaîtra. Les immeubles qui sont construits aujourd’hui mêlent souvent des logements en acquisition et des logements sociaux, les premiers étant censés financer les seconds.

En matière de fiscalité, une part minimale de logements sociaux (25 %) est imposée aux communes et peut-être conviendrait-il d’envisager un maximum de 35 %. La construction privée présente en effet l’avantage d’une grande souplesse et je rappelle que, selon toutes les enquêtes menées, la population française rêve de trouver un logement qui corresponde à ses besoins.

Une coordination des politiques au niveau régional doit éventuellement être envisagée. En effet, la région dispose d’une meilleure vision des implantations économiques que le département.

Vous vous demandez pourquoi la production des logements sociaux se situe aujourd’hui à un niveau historiquement faible et inférieur aux besoins. Les logements sociaux sont souvent financés par la vente de logements privés neufs. Or si ces derniers ne trouvent pas preneurs, l’opération d’ensemble n’est pas équilibrée et elle ne peut aboutir. Au conseil économique, social et environnemental régional des pays de la Loire, je siège au côté du président régional de l’Union sociale pour l’habitat (USH), nous nous entendons bien et nous parvenons à défendre une vision commune. En février dernier, lors d’une réunion plénière en présence du préfet de région, j’ai signalé que des USH allaient s’effondrer ; une semaine plus tard, des fonds étaient débloqués par la Caisse des dépôts et consignations.

Les grands opérateurs institutionnels se retrouvent souvent confrontés à des difficultés analogues. Ces problèmes doivent être résolus très rapidement : à défaut, le secteur des logements neufs ne pourra pas se redresser. En tant que membre du Conseil régional de la construction, nous suivons des indicateurs en temps réel ; ceux-ci sont inquiétants : ils montrent que de nombreuses entreprises sont en train de déposer leur bilan, alors même que nous avons besoin de 350 000 personnes formées dans le secteur du bâtiment pour intervenir dans le neuf et l’ancien. En outre, mon expérience me conduit à penser qu’il est faux de croire que les personnes au chômage qui travaillaient dans le secteur du bâtiment neuf pourront immédiatement retrouver un emploi dans l’ancien, dans la mesure où chacun de ces deux segments a ses propres singularités.

Vous vous interrogez sur la situation économique et financière des opérateurs. Le secteur des HLM est marqué par une certaine concentration, qui peut fonctionner à court terme. Mais, à plus long terme, nous avons besoin de disposer de créativité et d’autonomie : il ne faut donc pas essayer de mettre en place une seule fédération HLM en France, qui soit seule décisionnaire.

Une question portait sur les dispositifs du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) et du prêt locatif à usage social (PLUS). La multiplication de ces dispositifs nuit, en réalité, à leur bonne compréhension par les publics cibles : je plaide donc pour une simplification. Aujourd’hui, même les propriétaires et les spécialistes se perdent dans le maquis de ces dispositifs.

La fiscalité immobilière doit être plus lisible et non confiscatoire. Comme je vous l’ai indiqué précédemment, la fiscalité cumulée de la mise en location dans le privé, c’est-à-dire la CSG et l’impôt sur le revenu, atteint 50 %. En y ajoutant les taxes foncières, le prélèvement augmente jusqu’à 75 %. Cette fiscalité est clairement dissuasive, même si les acheteurs l’ignorent fréquemment.

Votre question sur la politique des villes concerne essentiellement le « Zéro artificialisation nette », dont je vous ai déjà parlé. Une réflexion régionale doit être menée, région par région, et un mécanisme solidaire peut être envisagé : les municipalités dont les centres-villes se dénaturent pourraient vendre leur « droit de tirage » ZAN à d’autres, dans une sorte de « donnant-donnant » qui leur permettrait de financer la rénovation de leurs propres centres-villes.

Les programmes de densification et de surélévation doivent également être mobilisés. Certains bâtiments collectifs peuvent être surélevés, sans que cela ne gêne les voisins. De plus, la surélévation permet à la fois de vendre des logements supplémentaires et de régler le problème de l’isolation thermique du dernier niveau, qui est toujours « condamné » car il n’obtiendra jamais la « bonne » étiquette. J’ai travaillé, en son temps, sur la réglementation thermique de 1982, dont les enseignements n’ont pas été tirés : à l’époque, lorsqu’un immeuble était construit, il était admis que certains logements seraient défavorisés, comme ceux situés dans les angles ou sous les toitures, mais qu’à partir du moment où ces logements ne dépassaient pas de plus de 20 % la consommation moyenne de l’immeuble, ils étaient considérés comme conformes.

Vous vous interrogez sur la mobilisation du parc existant. Arrêtons de vouloir régir par contrainte, par essence punitive ! Celle-ci n’a finalement qu’un effet dissuasif. Il faut, à l’inverse, procéder de manière positive, en favorisant notamment le logement non meublé, ce qui permettra de réorienter automatiquement l’offre : puisqu’un logement non meublé ne rapporte rien, son propriétaire sera plus enclin à le louer. L’être humain est fait de telle manière qu’il a toujours tendance à chercher à contourner une contrainte, lorsque celle-ci apparaît. Dans le même ordre d’idées, il me semble opportun de revoir la législation concernant les meublés de tourisme.

Dans les zones tendues, les locataires peuvent mettre un terme à leur bail d’habitation avec un préavis d’un mois, comme ils le feraient pour leur forfait téléphonique. Dans ce cas, comment envisager de procéder à une rénovation ? Nous sommes persuadés que ce délai est trop court et qu’il devrait être porté à trois mois, pour éviter la vacance locative, sauf cas de force majeure.

J’ai évoqué l’extension du prêt « Avance rénovation », prêt hypothécaire garanti et remboursable in fine lors de la transmission ou de la vente. Ce mécanisme soulage les ménages, puisque le montant du prêt sera déduit de l’actif revenant aux héritiers. Ce mécanisme est actuellement réservé aux ménages modestes, mais pourquoi le limiter à cette catégorie ? Il importe de débloquer l’ensemble des situations, quelles qu’elles soient.

Les mesures prises concernant les logements vacants n’ont pas entraîné, pour le moment, d’effets sur l’offre. Il convient néanmoins de cesser de multiplier les impôts.

S’agissant de l’harmonisation de la fiscalité entre les logements neufs et anciens, il me semble surtout nécessaire de simplifier la fiscalité immobilière et de la rendre attractive pour les logements non meublés, avec la mise en place, par exemple, d’un prélèvement forfaitaire libératoire (PFL). Par ailleurs, un statut de bailleur privé avec un prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % au titre des revenus mobiliers aurait du sens.

Le problème de la sous-occupation est en partie dû à des délais de préavis très courts.

Vous demandez comment intégrer les besoins spécifiques des personnes âgées dans une politique de logement durable. Aujourd’hui, les logements neufs intègrent déjà les enjeux d’accessibilité : lorsque vous construisez un logement accessible aux personnes en situation de handicap, vous réglez le problème. À ce titre, j’ai travaillé sur des dossiers où nous avons démoli des logements pour pouvoir élargir les espaces et permettre l’accès de personnes « en fragilité », mais qui n’ont finalement jamais habité ces logements.

M. Mickaël Cosson, président. Notre question était plutôt la suivante : quelle offre nouvelle en adéquation avec les besoins pouvons-nous mettre en œuvre ? Nous connaissons les règles d’accessibilité concernant les largeurs de circulation, les rampes et les toilettes. Elles datent de quelques années et leur application a pu effectivement tarder à se mettre en œuvre. Nous nous interrogeons sur l’offre de logements nouveaux plus que sur la réglementation.

M. Alexis Lagarde. La priorité consiste à « construire la ville sur la ville », chaque fois que cela est possible, car plus la ville s’étend, plus il est difficile de rentabiliser le système. Dès lors, la possibilité de surélévation des bâtiments doit être simplifiée, y compris dans les zones où il est impossible de le faire actuellement. Évidemment, cette action sera longue à mettre en place.

Il importe de « débloquer » le système, ce qui nous donnera du temps pour rattraper les objectifs : je rappelle que nous accusons un retard de 150 000 logements par an depuis 2017.

M. Émile Hagège. Vous avez évoqué à juste titre la question de la fiscalité : le syndicat des copropriétaires est une personne morale à part entière, mais, à l’heure actuelle, il n’existe pas de fiscalité qui lui soit propre – je pense par exemple, aux produits financiers générés par le placement des fonds « Travaux » ou à la fiscalité de l’énergie verte.

Il importe de donner aux copropriétés, confrontées à des dépenses souvent importantes, la possibilité de générer de l’argent, par exemple par la mise à disposition de leurs toits pour des installations énergétiques ou de leurs façades pour l’accrochage de panneaux publicitaires. La gestion des produits qu’il est éventuellement possible de générer ainsi n’est pas traitée par les dispositifs publics. Par conséquent, il importe de travailler à la question de « l’autosuffisance » des copropriétés, grâce à une fiscalité adaptée.

M. Mickaël Cosson, président. Pourriez-vous nous fournir plus de détails sur cette fiscalité « adaptée » ?

M. Émile Hagège. Je pense notamment au livret A pour le fonds « Travaux » : à l’heure actuelle, celui-ci est plafonné à 70 500 euros, voire 100 000 euros pour les copropriétés de plus de cent lots. Mais personne ne sait comment répartir les produits financiers ainsi générés ! Les 45,22 euros à répartir sur chacun des copropriétaires doivent figurer sur la déclaration d’impôts, ce qui est complètement aberrant. Encore une fois, il n’existe pas de fiscalité propre au syndicat des copropriétaires en tant que personne morale.

Imaginons que, demain, la copropriété produise et vende de l’électricité. Quelle sera la fiscalité attachée à cette vente ? Comment gérer les recettes ainsi dégagées ?

Les copropriétés ont eu le droit à une aide de l’État au titre du prix du gaz, mais celle-ci n’a jamais été effectivement versée. Nous la cherchons, mais ne la trouvons pas. Les syndics disent que l’agence de paiement n’a pas réglé le montant ; quand nous interrogeons cette dernière, elle indique avoir versé l’aide, qui est passée par le syndicat : chacun se renvoie la balle, il s’agit là d’un véritable scandale.

Il faudrait donc renforcer la personnalité morale du syndicat des copropriétaires, ne serait-ce que pour lui permettre d’avoir un compte bancaire spécifique. Un régime spécial doit être créé pour accompagner les emprunts collectifs, les aides de l’État et l’autofinancement des copropriétés, qui se met peu à peu en place : nous avons besoin de dispositifs pérennes.

M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie.


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6.   Audition de MM. Benjamin Gallèpe, directeur général, et Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique de la Fédération des élus des entreprises publiques locales (jeudi 12 octobre 2023 à 11 heures)

M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie d’avoir répondu présent à notre invitation. Je suis le rapporteur de la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, dont le président Stéphane Peu ne peut malheureusement pas être avec nous aujourd’hui – mais il suit nos travaux de très près.

Notre rapport a pour ambition de donner une feuille de route permettant de répondre à la crise du logement que nous connaissons aujourd’hui, qui se renforce depuis peu. L’accessibilité au logement est devenue plus difficile, compte tenu du coût des emprunts et de la hausse des prix des matériaux et de l’énergie. À chaque étape de sa vie, un Français éprouve des difficultés à trouver un logement, qu’il soit étudiant, actif ou senior. En outre, l’offre de logements existante ne répond pas non plus aux besoins des territoires.

Au regard de ces différentes problématiques, nous souhaitons promouvoir les moyens d’assurer un parcours résidentiel durable en redonnant confiance aux propriétaires-bailleurs sur le plan fiscal, en apportant des solutions aux bailleurs sociaux et en donnant à chacun la possibilité de disposer d’un logement à proximité des lieux d’emploi ou des commodités – je rappelle, sur ce dernier point, qu’au sein du budget des ménages, la partie dévolue aux transports ne cesse d’augmenter et qu’elle ne diminuera pas si nous ne sommes pas en mesure de leur offrir des solutions.

Le logement a, sans doute, été trop souvent envisagé de manière morcelée, avec des raisonnements en silos : notre objectif consiste à essayer de prendre de la hauteur et de disposer de la vision la plus large de l’ensemble des problématiques.

M. Benjamin Gallèpe, directeur général de la Fédération des élus des entreprises publiques locales. La Fédération des élus des entreprises publiques locales regroupe les quelque deux mille entreprises qui appartiennent au secteur de l’économie mixte locale. Différentes formes juridiques y sont représentées pour 1 400 d’entre elles, qu’il s’agisse des sociétés d’économie mixte (SEM), des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés d’économie mixte à opération unique (Semop). En ajoutant les différentes filiales des SEM, souvent actives dans la gestion et l’exploitation d’équipements, mais aussi dans la promotion immobilière, nous aboutissons ainsi au chiffre de 2 000 entreprises.

Les interventions des opérateurs de l’économie mixte locale dans le secteur du logement présentent deux caractéristiques. D’une part, ces opérateurs sont historiquement venus renforcer, particulièrement en zone tendue, l’offre de logements à une époque où il était nécessaire de construire et de trouver des compléments, à travers notamment des offices ou des entreprises privées de l’habitat. L’économie mixte locale se manifeste par un dynamisme important, à la fois en termes de rythme de construction et de déploiement sur l’ensemble du territoire. Ses interventions ont débuté dans les zones tendues – c’est-à-dire les régions Île‑de‑France, Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Rhône-Alpes, Grand Est et Normandie – et, de manière très significative, en outre-mer, où plus des trois quarts des logements sociaux sont gérés par des SEM immobilières.

D’autre part, ces opérateurs ont la capacité d’intervenir sur l’ensemble du parcours résidentiel car elles peuvent construire et gérer du logement social, mais également l’ensemble des catégories de logement intermédiaire, y compris l’accession à la propriété.

Ces caractéristiques conduisent les SEM à être en mesure de mener des activités diversifiées. Elles interviennent naturellement dans la gestion locative, mais également dans la construction de logements et dans un certain nombre de d’activités d’aménagement, de gestion de commerce, de stationnement, etc., qui permettent de déployer un ensemble de politiques publiques autour des questions du logement et du parcours résidentiel.

Des discussions vont certainement prospérer autour de la question de la décentralisation, qui constitue le cœur et la raison d’être de l’économie mixte locale : sans compétences accordées aux collectivités et sans moyens pour mettre en œuvre ces compétences, il est très difficile de mettre en œuvre des politiques publiques territorialisées et efficaces.

La Fédération n’a pas à se prononcer sur le niveau approprié pour la gestion des aides à la pierre et des attributions ; ce qui importe, c’est que les dispositifs qui seront mis en place, notamment par les autorités organisatrices de l’habitat, soient pleinement opérationnels et à la main des élus. Ces dispositifs devront également bénéficier du soutien de l’État, à travers notamment des solutions de financement. Nous souhaitons qu’ils apportent une réelle plus-value à la politique nationale du logement, qui a aujourd’hui montré ses limites, notamment dans l’adaptation aux particularités des différents territoires – plafonnement des coûts et des prix, zonages, etc. Les entreprises publiques locales sont persuadées que l’efficacité passe par le niveau local, c’est-à-dire qu’il faut faire avec les collectivités et souvent sous leur maîtrise, au moins partielle.

Vous nous avez interrogés sur les raisons qui ont conduit à la situation de crise que nous connaissons dans la construction et l’accès à un logement abordable. Il faut ici rappeler que le logement et la construction ne constituent pas des marchés comme les autres, car leur périmètre est limité : le foncier est un bien public et il n’est pas extensible à l’infini. Par conséquent, il n’est pas possible de considérer que l’équilibre se réalisera uniquement par un ajustement des prix entre l’offre et la demande. Nous sommes aujourd’hui face à un mur de hausses du prix du foncier et des coûts de la construction, qui sont sans commune mesure avec l’évolution du niveau de vie des citoyens.

Face à cette impasse, il faut trouver une combinaison de moyens – car il n’existe pas, en la matière, de solution unique – afin de réguler les différents paramètres de manière complémentaire : le foncier, la fiscalité, les aides à la construction et à la rénovation. Dans cette optique, notre fédération souhaite apporter sa contribution : notre richesse vient de l’expérience des différents bailleurs et des SEM d’aménagement, actifs depuis très longtemps sur ces sujets et en lien avec les pouvoirs publics, lorsque cela s’avère pertinent. Nous n’avons pas à porter des recommandations sur le bien-fondé de l’organisation des collectivités territoriales, mais nous pouvons alimenter la réflexion sur le fond du sujet et sur les différentes mesures en termes de fiscalité, d’organisation et de fléchage des subventions.

M. Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et développement économique. Il est de plus en plus difficile d’équilibrer les opérations de construction, y compris financées par des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), des prêts locatifs à usage social (PLUS) ou des prêts locatifs sociaux (PLS). Pendant des années, la réalisation d’opérations « en silo », c’est-à-dire produit par produit, a été la norme. Il importe désormais de réfléchir à d’autres modalités, avec des opérations mixtes qui combinent logement social, logement intermédiaire, logement libre et même accession à la propriété, afin d’atteindre un équilibre économique global.

Ces opérations nécessitent de plus en plus de fonds « gratuits », c’est-à-dire de fonds qu’on n’emprunte pas, sauf à obtenir un allongement de la durée d’amortissement des prêts consentis par la Caisse des dépôts et consignations. Dans les opérations neuves, ces fonds permettent de préserver des loyers abordables. En l’absence d’autres sources de financement, la situation risque de se tendre, en particulier parce que le foncier est rare et de plus en plus cher et que ces opérations se heurtent à des réticences croissantes au sein des collectivités – des maires et des présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) nous disent qu’ils en viennent à refuser des opérations pour des motifs qui ne sont pas uniquement financiers.

L’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) limite la possibilité de densification sur un même foncier. La question de l’équilibre géographique doit également être mentionnée : faut-il réaliser l’équilibre du ZAN sur le territoire communal, sur le territoire de l’EPCI ou à plus grande maille ? Nous manquons de retours d’expérience en la matière, mais il ne faut pas se cacher que, dans certains cas, nous construirons des « R +3 » plutôt que des « R +5 » – ce qui signifie des logements en moins.

S’agissant de la réhabilitation, nous sommes face à un mur d’investissements liés à la rénovation énergétique : nous ne pourrons pas y échapper. Je participe à des groupes de travail au sein du Conseil national de l’habitat, dans lesquels nous réfléchissons notamment à la fiabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE) ; ceux-ci doivent être améliorés sur de nombreux points, mais la prescription de travaux va demeurer. La question des filières de la rénovation énergétique doit être posée, même s’il existe des méthodes comme les « contrats de performance énergétique » qui permettent de garantir un niveau de performance et de financer en partie la rénovation énergétique à partir des économies réalisées et dans lesquels des sociétés de tiers-financement peuvent intervenir.

Malgré tout, il convient de ne pas se leurrer. La rénovation énergétique se réalisera sur les étiquettes basses, de E à G ; au-delà, il sera compliqué d’améliorer encore le niveau. En revanche, un enjeu immense concerne la décarbonation du parc : aujourd’hui, 52 % des logements sociaux sont chauffés au gaz et Réseau de transport d’électricité (RTE) ne dispose pas des réserves de puissance nécessaires pour faire basculer l’ensemble de ces logements au chauffage électrique dans les cinq années à venir.

Cette question de la rénovation vient en arbitrage avec la construction neuve et contribue à l’effondrement de l’investissement des bailleurs sociaux, qui n’est pas uniquement lié aux coûts des travaux et du foncier. Le parc social est vieillissant à certains endroits : à Paris, les sociétés d’économie mixte RIVP et Elogie-Siemp, qui sont des bailleurs importants, sont confrontées à de très grandes difficultés pour réaliser des rénovations complètes dans les immeubles qu’elles gèrent. Dans ces cas précis, les niveaux de coût sont tels que la question se pose de savoir si l’on rénove ou si l’on reconstruit à neuf.

M. Mickaël Cosson, président. Au sein des territoires, dont vous avez une connaissance approfondie, avez-vous pu identifier des amorces de solutions en matière de réhabilitation ou de vacance ? Existe-t-il des outils permettant d’obtenir des résultats probants ? Il importe en effet de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de réinstaurer suffisamment de confiance dans le système. Aujourd’hui, les impayés se multiplient compte tenu des difficultés de certains locataires pour régler leurs loyers, plongeant par répercussion de petits propriétaires dans de graves problèmes, puisque ces loyers sont censés leur permettre d’honorer les échéances de leurs emprunts.

M. Philippe Clemandot. Il est exact que les impayés augmentent, mais légèrement ; il faut d’ailleurs se rappeler que si, pendant l’épidémie de la covid-19, certains loyers ont pu être réglés avec retard, les bailleurs sociaux n’ont pas pour autant été confrontés à d’importantes masses d’impayés. Dans le logement social, il existe un réel accompagnement : les bailleurs interviennent généralement au premier incident et ne laissent pas la dette s’accumuler : en la matière, nous sommes plutôt vertueux.

En revanche, la vacance peut être considérée comme le véritable ennemi du bailleur social et ses conséquences peuvent être particulièrement problématiques. Dans certains territoires, le loyer social se situe presque au même niveau que le loyer libre. En outre, un grand nombre de personnes ne veulent plus vivre en logement collectif et préfèrent habiter dans une maison individuelle.

La coopération inter-bailleurs fonctionne, comme en témoignent les regroupements réalisés dans le cadre de la loi Elan, qu’il s’agisse des groupements horizontaux ou des groupements verticaux. Lorsque trois ou quatre bailleurs sont présents sur un département, ils ont tout intérêt à travailler ensemble, puisqu’ils remplissent de mêmes missions d’intérêt général. Plus généralement, les locataires doivent être replacés au centre du débat et des solutions doivent être imaginées à destination des publics fragiles, comme les jeunes, actifs ou non. L’habitat intergénérationnel fonctionne plus ou moins bien, selon les situations et les initiatives locales.

M. Mickaël Cosson, président. Vous avez raison. Il n’existe pas véritablement d’outils pour inciter à la généralisation de l’habitat intergénérationnel.

M. Philippe Clemandot. Un enjeu majeur concerne le vieillissement de la population, qui nous heurtera de plein fouet : il sera impossible de loger les trois quarts des personnes concernées dans des établissements conçus pour héberger des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Jusqu’à quel point essaie-t-on de maintenir les personnes à domicile ? Ce maintien constitue une prestation sociale que tous les bailleurs ne réalisent pas, dans la mesure où tous ne disposent pas du statut leur permettant de refacturer cette prestation. Il convient également de réfléchir aux parcours individuels, depuis les « produits » non médicalisés vers des produits de plus en plus médicalisés. À ce sujet, nous disposons au sein de notre fédération de retours d’expérience intéressants, notamment dans le département du Lot.

M. Mickaël Cosson, président. L’évolution de la pyramide des âges est connue et prévue depuis plusieurs décennies et, comme vous l’avez souligné, les Ehpad ne pourront pas accueillir la totalité de la population concernée. En outre, un grand nombre d’Ehpad subissent aujourd’hui une crise financière de grande ampleur. Les solutions apportées aujourd’hui permettront peut-être d’effacer une partie des dettes, mais ces Ehpad seront confrontés à de nouvelles problématiques demain et après-demain.

L’offre à destination des seniors n’est pas suffisante et elle est laissée à l’initiative de quelques-uns sur les territoires. Avez-vous mené une réflexion pour anticiper et créer des produits permettant d’atteindre les objectifs de relogement de ces seniors ? À l’heure actuelle et faute de mieux, certains seniors restent dans leur logement, même s’il est inadapté à leur état de santé. Simultanément, de jeunes actifs ne trouvent pas les logements qui leur conviennent.

Cette situation doit constituer un électrochoc pour nous : les années passent, la problématique ne cesse de prendre de l’ampleur, mais l’offre n’est toujours pas au rendez-vous. Disposez-vous de propositions permettant d’offrir des perspectives en matière d’offres pour les seniors et, par conséquent, de libérer dans le parc locatif des logements pour les actifs et les familles ?

M. Benjamin Gallèpe. Le taux de rotation est faible dans le logement social.

M. Mickaël Cosson, président. Il est même devenu très faible, pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment.

M. Benjamin Gallèpe. Nous sommes d’ores et déjà confrontés à cette question de l’inadaptation des logements existants : certains bailleurs, membres de notre fédération, se demandent s’ils ne doivent pas profiter d’une opération de rénovation pour transformer totalement leur offre. Les questions du logement des seniors, de l’accessibilité et de l’adaptation au vieillissement impliquent des investissements considérables, dont tous les acteurs n’ont pas nécessairement pris pleinement conscience.

Les politiques publiques ne sont pas non plus à la hauteur des enjeux : chacun « se débrouille » comme il peut et ceux qui le peuvent réorientent un peu leurs investissements pour adapter les logements, voire pour reconstruire en tenant compte de ces nouvelles contraintes. Il n’existe cependant pas aujourd’hui de véritable plan de transformation et d’adaptation à la hauteur des enjeux sur l’ensemble du territoire…

M. Philippe Clemandot. … d’autant que nous avons déjà été confrontés à des expériences où la transformation des logements pour pouvoir y accueillir des personnes âgées ou des publics handicapés n’était pas réversible : il était impossible de relouer ensuite les logements à des familles « ordinaires » avec enfants. Par ailleurs, les règles d’attribution doivent être prises en compte, certains publics étant considérés comme prioritaires.

M. Mickaël Cosson, président. C’est bien le problème : jusqu’à présent, on n’a raisonné que de manière quantitative, sans s’adapter aux publics demandeurs. Les lois actuelles ne permettent pas de travailler « dans la dentelle », comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater pour le tissu urbain : des zones à construire ont été autorisées sans réfléchir aux stratégies en matière d’accueil ; il est louable de vouloir accueillir des entreprises, mais encore faut-il que ses salariés puissent se loger. De même, il ne suffit pas de créer des filières d’enseignement supérieur, il faut également proposer des logements à proximité pour les étudiants ; à défaut, une précarité supplémentaire s’installe.

M. Philippe Clemandot. La différenciation territoriale et le droit à l’expérimentation sont essentiels pour les collectivités : il importe de leur faire confiance, certaines d’entre elles pouvant en effet trouver des solutions auxquelles de bons esprits ne pensent pas nécessairement. L’expérience du terrain est incontournable et constitue un atout de poids.

M. Benjamin Gallèpe. Les sociétés d’économie mixte interviennent souvent de manière complémentaire sur un même territoire : à ce titre, elles peuvent fournir des réponses à différentes étapes, non seulement sur le logement social, mais aussi sur les copropriétés dégradées. Dans certains cas, un accompagnement doit être apporté pour la rénovation énergétique et le tiers financement, dans les copropriétés où les propriétaires manquent de solvabilité pour engager des travaux.

D’autres solutions passeront par l’aménagement des quartiers, afin d’améliorer l’accessibilité des logements. Cette année, l’Union sociale pour l’habitat a orienté son congrès sur la transition énergétique, l’accès à une énergie verte et le raccordement aux réseaux de chaleur : dans ces domaines, l’expérience des entreprises publiques locales permet d’apporter des solutions complémentaires, à condition que les collectivités aient les moyens de les mettre en place. Les problématiques s’entremêlent et concernent à la fois l’habitat, le coût de l’énergie, la décarbonation et toutes les dimensions du cadre de vie – accès au centre-ville, transports, stationnement des véhicules, etc.

Par conséquent, il s’agit là d’un enjeu global d’évolution de l’habitat au sens large, notamment dans les intercommunalités et les métropoles. La complémentarité des modes d’intervention est essentielle, si nous voulons arriver à combiner différentes solutions. Là où c’est pertinent, il faut s’interroger sur la dissociation du foncier et du bâti et procéder à des expérimentations, afin de répondre à différentes problématiques comme celle de l’accession à la propriété pour les primo-accédants, qui n’est plus envisageable aujourd’hui dans un certain nombre d’endroits.

M. Philippe Clemandot. S’agissant du foncier, il est envisageable d’inverser la fiscalité sur les plus-values : il faut cesser d’inciter les particuliers à conserver des terrains sans en rien faire.

M. Mickaël Cosson, président. Vous évoquez la possibilité d’inverser la fiscalité. Des terrains aujourd’hui constructibles bénéficieront demain d’une très importante plus-value du fait d’investissements publics réalisés à proximité ; les territoires n’en profiteront pas, alors même qu’ils assument la responsabilité de devoir loger l’ensemble de la population. Une réflexion doit donc être menée pour inverser cette logique, alors que des moyens supplémentaires sont requis pour financer les rénovations thermiques et offrir des logements à nos seniors.

M. Philippe Clemandot. Je partage entièrement ce point de vue.

M. Mickaël Cosson, président. Souhaitez-vous évoquer d’autres éléments ?

M. Benjamin Gallèpe. La maîtrise de l’accès au foncier est une question centrale. Différentes options sont envisageables, comme l’établissement d’un plafond de prix pour certaines catégories de foncier constructible ou l’encadrement, voire la limitation, de la mise aux enchères dans le cadre de la vente de charges foncières des collectivités. Les programmes portés par les collectivités et en partie dédiés à la construction de logements ou d’équipements publics pourraient ainsi bénéficier d’un levier de régulation en matière de coûts de production, ce qui impacterait positivement le coût de sortie de ces opérations.

Au-delà de la fiscalité, une amélioration récente est intervenue avec la reprise en compte de certaines dépenses d’aménagement réalisées par les collectivités dans le fonds de compensation de la TVA, notamment pour l’acquisition de terrains. Nous souhaiterions nous assurer que cette compensation de la TVA soit bien prise en compte dans le cadre de la construction d’équipements publics, qui reviennent ensuite aux collectivités. La réforme de l’automatisation avait supprimé un certain nombre de dépenses d’aménagement de la compensation de la TVA, ce qui entraînait un renchérissement des investissements pour les collectivités, de 16 à 20 %. Le problème était particulièrement aigu outre-mer, où le taux de TVA est plus faible qu’en métropole – dans ces territoires, la compensation était en réalité une surcompensation à hauteur du taux métropolitain ; du jour au lendemain, les outre-mer ont été privés de ce qui constituait de véritables subventions à l’aménagement et à la construction, offrant une certaine visibilité dans le temps.

Il importe de disposer de leviers puissants, mais aussi d’une visibilité de long terme, afin d’assurer une cohérence aux politiques mises en place. Dans le même ordre d’idée, nous essayons de promouvoir la pérennisation du « Fonds vert » : il n’est pas raisonnable de s’interroger à chaque projet de loi de finances sur la nécessité de continuer à abonder ce fonds. La visibilité sur la durée est nécessaire aux opérateurs afin qu’ils puissent engager les programmes d’investissement nécessaires sans craindre une modification ultérieure des règles du jeu.

M. Philippe Clemandot. Les autorités organisatrices de l’habitat (AOH) vont être dotées de nouvelles compétences et de nouvelles missions. À ce titre, si les grandes métropoles possèdent les compétences et l’ingénierie nécessaires pour réaliser le mapping, il n’en va pas de même des EPCI de petite taille : je connais un EPCI couvrant une population de quinze mille habitants et regroupant cinquante-six communes, qui ne pourra pas s’emparer du sujet. Les moyens financiers ne suffisent pas, l’ingénierie est essentielle : il sera donc nécessaire de mettre en place des coopérations entre collectivités.

De même, il faut s’interroger sur le niveau idoine de contrôle, aujourd’hui confié au comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH).

M. Benjamin Gallèpe. L’accès à l’ingénierie est effectivement fondamental : nous le constatons dans le cadre des différents programmes qui ont été lancés, comme « Action cœur de ville », « Petites villes de demain » ou « Villages d’avenir ». Dans de nombreux cas, les enveloppes à disposition des petites communes ne suffisent pas pour recruter des chargés de mission. Il est donc nécessaire d’envisager des combinaisons d’intervention, avec l’appui de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou de sociétés d’économie mixte départementales (SEM), qui disposent de l’ingénierie nécessaire pour soutenir les projets et peuvent, à ce titre, rédiger les cahiers des charges. Certaines réussites doivent être mentionnées : dans la Nièvre, département rural, la SEM intervient au côté de petites communes, à toutes les étapes du projet, de l’identification à la construction. Ici encore, il importe d’être pragmatique et ne pas considérer qu’il existe une solution unique pour tous les territoires.

Une autre piste de travail consiste à coopérer de manière plus étroite avec les établissements publics fonciers locaux. Cette coopération existe déjà, mais des marges de progression existent. Dans le cadre d’une opération complexe, il faut pouvoir combiner les actions des opérateurs qui gèrent, construisent et aménagent, et, celles des établissements publics qui ont la capacité de porter le foncier sur le long terme.

M. Mickaël Cosson, président. Vous avez évoqué l’ANCT, mais il convient aussi de mentionner l’Ademe, dont une grande partie des effectifs est décentralisée dans les collectivités. Malheureusement, ces dispositifs ne sont pas suffisamment connus des collectivités, alors même qu’ils permettent de répondre aux problématiques de leur quotidien.

Pourriez-vous nous détailler un ou deux exemples de réussite en matière de cohabitation intergénérationnelle ?

M. Philippe Clemandot. En Saône-et-Loire, un office HLM a organisé un réseau de maisons adaptées disposant du label « Habitat Senior Service », au milieu desquelles un lycée hôtelier a été installé : ce dispositif permet d’assurer un service à domicile pour tous les repas du midi. Des services médicalisés seraient naturellement bien plus onéreux.

D’autres modalités peuvent également être envisagées comme les béguinages, c’est-à-dire des logements individuels qui bénéficient de services communs sur un mode associatif.

M. Mickaël Cosson, président. Ayant été maire d’une commune pendant neuf ans, j’ai connu l’exemple d’une solution promue par une association : des étudiants bénéficient d’un loyer minoré en échange de la fourniture de services aux personnes âgées. Des modèles existent effectivement, mais ils sont principalement le fait d’initiatives personnelles ou locales et ils demeurent à la recherche de financements pour assurer l’équilibre financier des opérations.

Estimez-vous que nous pourrions nous inspirer de politiques antérieures qui ont bien fonctionné, mais qui n’existent plus aujourd’hui ?

M. Philippe Clemandot. Lors d’une récente audition au Sénat, quelqu’un a mentionné les prêts d’accession à la propriété (PAP), dont les prêts à taux zéro (PTZ) se sont fortement inspirés : de fait, les politiques réinventent souvent des dispositifs qui existaient déjà en grande partie, sous un autre nom…

M. Mickaël Cosson, président. Je vous remercie.


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7.   Table-ronde avec des acteurs de l’immobilier : MM. Loïc Cantin, président, Jérôme de Champsavin, président adjoint et Emmanuel Chambat, secrétaire général de la Fédération nationale de l’immobilier ; Mme Danielle Dubrac, présidente, et Géraud Delvolvé, délégué général de l’Union des syndicats de l’immobilier ; Pierre Hautus, délégué général de l’association Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux (jeudi 12 octobre 2023 à 17 heures)

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La présente mission d’information vise notamment à répondre aux différentes difficultés que rencontrent aujourd’hui nos concitoyens dans le cadre de leurs parcours résidentiels, aux différentes étapes de leurs vies : l’étudiant, pour accéder à un logement étudiant ; l’actif, pour pouvoir se loger ; le senior, pour disposer d’une offre qui lui permette d’être proche des commodités. La question est donc de pouvoir donner accès à une large gamme de logements pour toutes les bourses, pour tous les âges et en prenant en compte les spécificités des territoires.

Jusqu’à présent, on a toujours réfléchi en termes de quotité, mais pas nécessairement en termes de publics auxquels il faut apporter une réponse. Le tissu urbain s’étant déroulé depuis des décennies sur tous les territoires, il faut à présent réfléchir aux outils nécessaires pour répondre à la problématique de logement, selon que le territoire concerné accueille des entreprises ou une population vieillissante : la question, en effet, n’est pas de mettre sur le marché une masse de logements parfois incompatibles avec les besoins du territoire.

Face aux constats de la hausse des taux d’intérêt, du renchérissement du coût des matériaux et du durcissement et de la complexification des réglementations, qui mettent en difficulté tous les acteurs du logement, publics ou privés, comment disposer d’outils qui permettent de relancer la production de logements, alors que celle-ci reste durablement inférieure aux objectifs souhaités ? Cette situation tend encore un peu plus la demande et nous maintient éloignés de l’enjeu primordial, qui est de disposer d’un toit pour pouvoir ensuite s’épanouir sur un territoire.

Le but du rapport que nous préparons est de disposer une feuille de route pour le début de l’année 2024, avec des propositions concrètes qui permettront d’apporter des solutions pérennes – et non ponctuelles. Nous espérons donc que vous serez force de proposition pour que ce rapport soit, in fine, le plus fructueux possible.

Mme Danielle Dubrac, présidente de l’Union des syndicats de l’immobilier. L’Union des syndicats de l’immobilier (Unis) est un syndicat professionnel qui fédère cinq métiers du logement privé, à savoir les gestionnaires de copropriété, les administrateurs de biens, les transactionnaires, les experts immobiliers et les promoteurs-rénovateurs. A titre personnel, je suis administrateur de biens à Saint-Ouen et à Saint-Denis.

M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM). Née en 1946, la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) fêtera prochainement ses quatre-vingt ans. C’est une fédération de chambres syndicales représentées sur l’ensemble du territoire, forte de quatorze métiers liés à l’immobilier : promoteur, administrateur de biens, syndic de copropriété, agent immobilier, diagnostiqueur, expert, spécialiste des affaires rurales et forestières, etc. Le réseau est aujourd’hui maillé à travers sept mille adhérents et dix mille entreprises.

La politique du logement pose question pour l’ensemble des Français, aujourd’hui confrontés à une crise majeure et brutale. Cette crise résulte de la conjonction de plusieurs facteurs et événements.

Le premier détonateur a été la hausse subite et violente des taux d’intérêt, multipliés par quatre en dix-huit mois et bientôt par cinq. Cette hausse compromet largement la capacité d’emprunt des ménages, qui ne peuvent accéder à la propriété, et les force à rester locataires. Au final, des biens en location ne sont pas libérés, alors qu’ils pourraient être proposés à de jeunes cadres, des étudiants ou des catégories de la population qui rencontrent des difficultés à se loger. Par conséquent, toute la chaîne du logement est impactée et, notamment, le logement social dans toutes ses composantes.

La crise est d’abord conjoncturelle, parce que liée à des taux d’intérêt autrefois bas et sur lesquels nous nous sommes « laissés vivre » depuis 2009. La baisse continue des taux au cours des dernières années a finalement alimenté une hausse des prix ; aujourd’hui, leur hausse a l’effet inverse, puisqu’elle contribue à provoquer une baisse des prix et des volumes. Le chiffre annoncé de 950 000 transactions n’est pas catastrophique, puisqu’il n’était que de 850 000 il y a quelques années : il s’agit en revanche d’un coup d’alerte et d’un arrêt brutal de la dynamique que nous connaissions auparavant.

La crise est également structurelle. Savons-nous encore construire, maîtriser les coûts de construction et maîtriser toutes les composantes du parcours de réalisation d’un logement ?  Les secteurs dans lesquels la France a failli au cours des quarante dernières années sont l’industrie et le logement. L’industrie est largement délocalisée ; en revanche, le logement est in situ, nous maîtrisons l’ensemble des paramètres fonciers, réglementaires, fiscaux ou financiers, nous avons en main toutes les cartes pour que le logement soit de moins en moins cher… alors que c’est l’inverse se produit.

Il convient donc de s’interroger sur les échecs des politiques conduites. Les campagnes présidentielles successives – au moins, les trois dernières – n’ont jamais considéré le logement comme une question essentielle pour l’avenir des Français.

Aujourd’hui, l’ensemble de l’écosystème du logement et le monde politique sont confrontés à une urgence et à l’exigence de devoir repenser la politique du logement dans son ensemble.

Nous vivons une période historique, car l’ensemble de la classe politique est mobilisé, toutes tendances confondues, sur cette question du logement. Un seul intervenant n’est pas mobilisé : le Président de la République. En l’absence de prise de conscience au sommet de l’État, nous n’avancerons pas.

Le syndicat professionnel que nous sommes présente régulièrement des propositions et observations. Nous ne sommes pas entendus, que ce soit sur la rénovation énergétique, sur l’amélioration du cadencement, sur le financement de l’immobilier ou sur l’aide aux ménages. Nous avons été contributeurs, comme tant d’autres, au volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR) : aucune issue pour l’instant. L’ensemble des professionnels de l’immobilier sont aujourd’hui déçus de ne pas avoir été entendus et de continuer à ne pas l’être.

Pourtant, la filière a su se mobiliser : une « Alliance pour le logement » s’est constituée, composée de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), de la Fédération française du bâtiment (FFB), de l’Union sociale pour l’habitat (USH), de la FNAIM, de l’Unis et des bailleurs sociaux. Tout un écosystème a pris conscience de l’urgence à réagir et la mission que vous êtes chargés de poursuivre en est un bel exemple. Encore faut-il qu’elle ne soit pas une mission de plus, après tant d’auditions pour arriver à si peu de résultats.

Mme Danielle Dubrac. Nous partageons ce qui vient d’être dit sur les crises de l’offre et de la demande. Nous construisons moins, les taux d’intérêt augmentent et la question de la rénovation pèse sur les copropriétés : au départ, le souhait est que les locataires fassent des économies, puisque ce sont eux qui paient les factures ; on se retourne ensuite vers les bailleurs, auxquels on impose de faire faire des travaux à peine de ne plus pouvoir louer… et comme 60 % du parc locatif privé sont dans des copropriétés, celles-ci se retrouvent en première ligne.

On a, par ailleurs, inversé les calendriers : on a imaginé, pour les copropriétés, un plan pluriannuel de travaux avec un diagnostic de performance énergétique (DPE) pour les bâtiments, alors que le calendrier propre au bailleur se situe en amont, puisque celui-ci a des objectifs de performance énergétique à satisfaire s’il veut pouvoir louer son bien.

Plus généralement, nous sommes déçus que la politique du logement ne soit pas une priorité nationale et qu’une vision d’ensemble synthétique fasse défaut. Aujourd’hui, la gestion du logement dépend du statut du propriétaire : logements sociaux, privés, intermédiaires... les objectifs devraient être identiques, à savoir un logement de qualité à un loyer abordable. Les politiques publiques sont cloisonnées, alors qu’elles devraient être guidées par un nouveau paradigme, prenant en considération le loyer de sortie plutôt que le statut du propriétaire.

Le ministre Patrice Vergriete évoque une « décentralisation de la politique du logement », avec des moyens et une « boîte à outils » : l’idée n’est pas inintéressante, mais encore faut-il avoir une vision commune des objectifs, de la volumétrie souhaitée et également de la typologie des logements de demain.

La situation écologique nous impose de rénover massivement le parc existant, mais les calendriers se bousculent et nous n’y parvenons pas.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Comme vous l’avez dit, nous avons eu l’habitude de travailler en silos. Il est bien d’avoir une vision sur l’ensemble des questions qui peuvent être posées aux différents interlocuteurs.

Mme Danielle Dubrac. Nous pouvons également avoir des idées, même lorsqu’il s’agit de prêt d’accession pour le logement social. Nous faisons confiance aux institutionnels pour régler la question du logement. Si vous n’avez plus de crédits pour les primoaccédants, ils ne quitteront pas leur logement. S’ils ne quittent pas leur logement, le turn-over est inexistant.

En l’absence de possibilité de financement, les travaux de rénovation ne sont pas réalisés. En l’absence de rénovation, les « passoires thermiques » partent à la vente. Cette situation « assèche » la location. Nous rencontrons vraiment des difficultés de raisonnement sur le sujet.

Je partage un souci avec la FNAIM : 2 millions de personnes en France attendent un logement social. Le problème est que sur les 12,8 millions de locataires, il existe 5 millions de logements sociaux. Or 70 % des locataires sont éligibles au logement social. Comme les logements sociaux sont insuffisants, 3 millions de logements du parc privé sont habités par des locataires qui pourraient habiter le parc social. En même temps, ces 2 millions de personnes qui attendent un logement social occupent soit des logements de mauvaise qualité, soit des logements du parc privé.

Le propriétaire privé peut apporter une solution de rénovation ou malheureusement une solution d’interdiction. Or la difficulté est que ce propriétaire privé est avant tout un copropriétaire. Si nous arrivons à résoudre la difficulté du formalisme des copropriétés, nous aurons sans doute résolu une partie du problème.

Le bailleur privé est capable de faire du logement intermédiaire. Il convient de s’entendre toutefois sur la terminologie du logement intermédiaire. Pour un bailleur privé, le logement intermédiaire se situe entre le loyer social et le secteur libre. Il convient de donner sa chance au bailleur privé pour, tout au long de l’exploitation de son bien, proposer un loyer abordable en dessous du secteur libre, à la condition qu’il bénéficie d’une fiscalité intéressante (par exemple, l’amortissement comptable de son bien tout au long de l’exploitation), que le logement soit ancien ou neuf. Or le logement ancien représente 80 % du parc actuel. Les constructions neuves sont insuffisantes. La difficulté de la rénovation porte sur les logements anciens. Le bailleur privé peut apporter une solution s’il bénéficie d’une fiscalité intéressante.

Aujourd’hui, le bailleur privé n’est pas reconnu. Or les bailleurs institutionnels ne représentent que 5 % du parc privé en France, contre 95 % pour les bailleurs privés particuliers.

En général, le bailleur privé particulier possède un ou deux logements. L’amortissement comptable ne coûte pas grand-chose à l’État. Il faut pouvoir proposer au bailleur privé une fiscalité intéressante à la condition qu’il propose des locations résidentielles de longue durée et que le loyer soit en-deçà du prix du marché. Si tel est le cas, le locataire sera content. Le bailleur privé paiera moins d’impôts et pourra bénéficier d’une capacité d’autofinancement pour réaliser les travaux de rénovation. Le bailleur privé doit absolument être préservé car il est une partie de la solution.

Le deuxième problème est le financement des travaux de rénovation. MaPrimeRénov’ n’est pas encore complètement au point. Des pistes de réflexion seront sans doute proposées.

M. Loïc Cantin. Sans rentrer dans le détail, la FNAIM avait émis une proposition en 2004 sur le statut du bailleur privé via une stratégie d’amortissement.

Quel que soit le système fiscal envisagé, il est important de restaurer une confiance perdue chez les propriétaires bailleurs et les investisseurs, en raison notamment de plusieurs impacts fiscaux qui viennent s’opposer à la location par des propriétaires. La loi Pinel, qui prendra fin, proposait le seul système fiscal intéressant qui permettait à des bailleurs de rester dans ce cadre locatif.

Aujourd’hui, être propriétaire d’un appartement et le louer représente tout de même un exercice compliqué. La fiscalité du bailleur est composée d’un taux marginal d’imposition (TMI) supérieur à 45 %, d’une contribution sociale généralisée (CSG) et d’une contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 17,1 %, soit 62,1 % en totalité. Lorsque son patrimoine dépasse 1,4 million d’euros, il est soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Il est aujourd’hui plus pénalisant d’être propriétaire d’un appartement que d’une œuvre d’art ou de voitures de collection. Etre propriétaire d’un bien immobilier, c’est être soumis à ce TMI plus élevé, alors que les produits financiers sont soumis à la flat tax au taux de 30 %.

Par ailleurs, l’immobilier a toutes les contraintes par rapport à d’autres secteurs qui sont déréglementés. Airbnb profite de toutes les largesses, car on se dispense de rénovation énergétique, il est possible de louer sans DPE, et une majorité de propriétaires (65 %) se dispense de passer par un intermédiaire, professionnel de l’immobilier. À chaque fois que l’on légifère, on « tape » sur le professionnel qui assure l’intermédiation, qui est respectueux et vertueux dans l’exercice de son métier.

Le permis de louer s’applique aux professionnels et représente une contrainte supplémentaire, sans oublier les nombreux diagnostics qu’il faut adosser au contrat de location et dont se dispensent de nombreux propriétaires. Les propriétaires ne sont jamais contrôlés. Or la réglementation doit s’appliquer à tous les bailleurs, sans exception.

Les étudiants ont été confrontés à une rentrée difficile, car ils n’ont pas trouvé de logement ou ont été exposés à des prix importants. À Paris, les meublés représentaient 11,4 % des logements il y a douze ans, contre 23,8 % aujourd’hui. Une partie des propriétaires s’exonère des règles de droit ou s’oriente vers des évasions fiscales plus intéressantes car moins contraignantes.

Il faut restaurer la confiance du bailleur notamment par un rendement supérieur. Les taux d’intérêt ont été un détonateur dans cette perte de confiance. Comment un investisseur peut-il se positionner sur du placement immobilier quand les taux de rendement dégagés sont inférieurs au taux d’intérêt bancaire auquel il a accès ? Le fait que les intérêts soient déductibles des revenus fonciers ne suffit pas. Le placement immobilier n’a plus les vertus du passé.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une difficulté : l’État ne peut accompagner le financement du secteur immobilier en raison d’un « quoi qu’il en coûte » Désormais, il n’en coûtera rien à l’État. Nous avons bien compris le message et il nous faut trouver d’autres moyens.

En 1994, pour répondre à la crise de 1992, Édouard Balladur avait proposé une solution, s’apparentant à une fiscalité différée : lorsque vous achetiez un appartement neuf, vous étiez exonéré des droits de succession au moment de la transmission.

La FNAIM émet une proposition toute simple pour redonner confiance aux Français : lui permettre d’investir aujourd’hui et de défiscaliser demain, peut-être à échéance de douze ou quinze ans, au moment de la retraite. Le bailleur bénéficie d’un placement dont il tire des revenus locatifs exonérés d’impôt sur le revenu. Cette proposition représenterait un complément de retraite et serait novatrice dans notre pays. Cette solution serait préférable à une éventuelle possibilité d’institutionnaliser la détention du parc locatif privé en France, ce qui représenterait la pire des catastrophes.

Le parc privé est composé de 7,2 millions de logements. Il ne faut pas démembrer ce parc, mais au contraire l’accompagner, car il est nécessaire. Il assure en effet la mobilité résidentielle de nombreux ménages.

S’agissant du parc social, je serai plus sévère que d’autres. Le parc social est nécessaire car il est une composante du logement. Autrefois, il assurait la mobilité résidentielle des Français, qui devenaient ensuite locataires du parc privé ou accédaient à la propriété.

L’accession à la propriété est aujourd’hui en phase de paupérisation. Le phénomène s’accentuera dans les années à venir, et ce, de manière très rapide. La raison en est l’inversion de la pyramide des âges : les inactifs seront plus nombreux que les actifs, ce qui créera un déséquilibre dans la détention du patrimoine.

En tant qu’observateur immobilier, je suis pour l’équité fiscale et l’égalité totale de traitement de tous les acteurs. Je dénonce le système depuis quinze ans. Quand on est promoteur privé dans une ville et que l’on veut construire du logement social, de nombreux maires et élus amènent une contrainte, qui figure dans le règlement d’urbanisme du programme local de l’habitat (PLH). Ils imposent un prix de vente du logement construit par un promoteur privé à un bailleur social choisi par la collectivité elle-même. Lors du CNR logement, la FNAIM a proposé d’interdire cette pratique.

Nous sommes dans un pays de droit. La vente à perte est illégale. Faut-il assigner l’État devant la Cour européenne de justice pour mettre fin à ces pratiques ? Je pose la question car c’est là où se situe le problème.

Si nous voulons faire baisser le coût de l’accession à la propriété en France, commençons par la construction neuve en évitant cette contrainte budgétaire qui est totalement contraire à la réalité des prix du marché.

Les dispositifs de soutien au secteur social sont nombreux : exonérations d’impôt sur la société, bonification des taux d’intérêt, accompagnement par les collectivités, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) généralisée à 5,5 % en cas de livraison à soi-même, exonération de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Monsieur le ministre du Logement a par ailleurs annoncé récemment 1,2 milliard d’euros pour soutenir les bailleurs.

Le secteur privé ne demande rien, mais faisons preuve d’un peu d’équité, de logique et de pragmatisme. Il s’agirait de mettre fin à un courant qui est aujourd’hui la seule ressource du pouvoir politique en matière de logement. Dans une interview au journal Le Monde, Madame Christine Lagarde affirmait autrefois que « pour faire face à la crise du logement, il faut renforcer la construction de logements sociaux ». Selon moi, il faut renforcer la construction de logements à la fois pour le parc social et pour le parc privé.

Sur la construction de logements, les discours sont discordants. Lors du récent congrès HLM, la déléguée générale de l’USH a fixé les besoins en logements sociaux à 520 000 logements, alors que l’État affiche 250 000 logements. Il convient de nous accorder sur les objectifs à atteindre, sur quel territoire et pour quelle typologie d’habitants.

Mme Danielle Dubrac. Nous pourrions tirer de premiers enseignements de la politique actuelle. L’encadrement des loyers n’a-t-il pas raté sa cible ? Les plus modestes sont toujours mal logés. De plus, l’encadrement des loyers est complètement indépendant de la politique énergétique.

Concernant l’augmentation des prix du « neuf », l’obligation légale qui consiste à imposer à chaque opération un quota fonctionne-t-elle ou pas ?

Sur l’agenda de la rénovation énergétique, il existe une attrition forte de l’offre locative durable. Sera-t-elle compensée par une production neuve si celle-ci était réactivée ?

Nous pensons par ailleurs qu’il faut absolument arrêter le zonage dans les zones tendues car il n’a pas fonctionné.

S’agissant de l’accession à la propriété, il ne faut pas oublier que l’achat d’un bien immobilier est motivé essentiellement par la perspective de la retraite. Soit la personne compte habiter le bien acheté, ce qui pose la question des zones touristiques, soit elle envisage de le vendre pour acquérir un meilleur logement ou profiter de sa retraite. Le Français aspire à un logement, ce qui explique la politique de parcours résidentiel.

Concernant l’échelon des politiques et la décentralisation, il est possible que cet échelon soit l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Il existe de nombreux outils d’urbanisme et documents de programmation qui manquent de cohérence. Les politiques sont quelque peu diluées. Le permis de construire est délivré par les maires, alors que les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi) relèvent de l’EPCI. Les schémas directeurs régionaux examinent la politique foncière, la politique de logement, notamment en fonction des bassins d’emploi. Le chef d’entreprise est également demandeur de logements car il a besoin de recruter. Or pour accepter une mobilité et exercer son activité, le salarié a besoin de se loger. La situation est quelque peu complexe.

La politique du logement étant liée au territoire, la décentralisation nous intéresse. Le triptyque « transports, logement et emploi » doit absolument être préservé. Le foncier doit rester efficace. Or avec le plan Zéro Artificialisation Nette (ZAN), il sera difficile de construire. Il faudra peut-être déconstruire pour assurer la réversibilité immobilière, en raison d’un trop grand nombre de bureaux par rapport à un manque de logements.

Les documents d’urbanismes tels que les PLUi ou les schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent être cohérents et nous devons viser les mêmes objectifs. Les échelons politiques sont divers, et les régions vivent des situations économiques différentes. Si nous sommes d’accord sur les objectifs à atteindre, nous devrions pouvoir y parvenir.

M. Loïc Cantin. Le ministre du logement a fait part de son souhait de décentraliser la politique du logement. Est-ce véritablement nécessaire ? La loi relative à la solidarité et au renouvelle urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a mis à disposition des élus un certain nombre d’outils. Elle a donné la compétence « habitat » à l’EPCI, qui repose sur différents outils, à savoir le plan local d’urbanisme (PLU) - ancien plan d’occupation des sols (POS) -, le PLH encadré par un SCoT, ainsi que sur des outils d’intervention foncière pour accompagner les politiques de l’habitat.

En tant qu’observateur, je serai plus critique. Le Code de l’urbanisme dans sa définition antérieure, avant la promulgation du PLU, précisait que le POS devait fixer de manière suffisante les espaces fonciers nécessaires au développement du territoire et à la croissance de sa démographie, tout en étant conforme au plan d’aménagement et de développement durable (PADD). Vingt-trois ans plus tard, avons-nous mis en place les espaces fonciers nécessaires alors que nous disposions de tous les outils pour ce faire ?

La loi SRU prévoyait notamment de lutter contre l’étalement urbain et de reconstruire la ville sur elle-même. Or les aires urbaines ont été multipliées par trois dans les grandes agglomérations. L’étalement urbain n’a pu être freiné. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un dispositif ZAN, car les erreurs du passé nous ont permis d’artificialiser des sols alors que nous avions les moyens d’ouvrir des espaces à l’urbanisation, disposition que les élus de France n’ont pas saisie, notamment pour permettre de raccourcir le parcours résidentiel des Français.

J’entends qu’il faut décentraliser la politique du logement, mais j’apporterai de nombreux bémols. Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé. Tous les outils cités restent exclusivement entre les mains des élus. L’application du PLU et son impact sur les marchés de l’habitat ne sont jamais étudiés. Les marchés sont livrés à eux-mêmes.

La FNAIM a émis une proposition dans le cadre du CNR logement : que les politiques publiques puissent être évaluées tous les ans en concertation avec l’EPCI, par l’ensemble de l’écosystème de production de logements afin de vérifier que les mesures mises en œuvre sont efficaces. Ce dispositif d’évaluation est nécessaire.

La décentralisation fait peur. Certains élus utilisent abusivement le permis de louer dans des territoires alors qu’il devrait être circonscrit à un périmètre bien défini de logements insalubres ou soumis à une fréquentation importante de marchands de sommeil. Certains maires vont jusqu’à zoner tout le territoire de leur commune. Nous sommes régulièrement confrontés à ce dispositif. Ce permis de louer qui était auparavant monnayé ne l’est plus.

En tant que professionnels, nous ne voulons pas être confrontés à des abus et des dérives de cet ordre. Nous avons donc un avis extrêmement réservé sur la décentralisation de la politique du logement dans sa totalité. En revanche, en renforçant l’intervention de l’élu sur l’accompagnement de la politique du logement avec une évaluation régulière des objectifs à atteindre, nous éviterions des problèmes tels que ceux rencontrés notamment dans la région de Biarritz. Nous assistons à une attrition totale du parc locatif à destination des jeunes travailleurs, à une prédominance de locations meublées et à des excès en tout genre.

L’observation de l’habitat demande un consensus et un échange avec tous les acteurs de la société civile. Les élus de toutes les villes de France auraient intérêt à se rapprocher du monde professionnel pour travailler ensemble dans l’intérêt des Français et établir une véritable assise pour conduire une politique du logement délocalisée.

Mme Danielle Dubrac. Nous vivons une crise et assistons à un ralentissement du marché, avec des conséquences sur les finances publiques, qu’elles soient nationales ou locales. La baisse de la construction a pour conséquence une baisse de recettes de la TVA. Quant à la baisse des mutations, elle induit une baisse des recettes des droits de mutation. L’encadrement des loyers, avec la mise en place de l’indice de référence des loyers (IRL) a généré des moindres revenus fonciers pour les propriétaires.

Pour le propriétaire occupant, on aurait pu imaginer le maintien de la réduction des droits de mutation dans le neuf, voire leur suppression pour les primoaccédants dans le neuf et dans l’ancien, peut être pendant une période limitée. Ce dispositif aurait permis de désengorger la situation.

Aujourd’hui, tout le monde est perdant. L’actif immobilier des propriétaires se déprécie et ils ne peuvent pas revendre leur bien pour éventuellement en racheter un autre en fonction de leurs nouveaux besoins. L’aspect démographique doit également être examiné.

Le rendement dont bénéficient les bailleurs est tout de même faible. Il est faux de dire qu’ils sont rentiers.

Les ménages et les étudiants locataires sont bloqués dans leur logement et ne trouvent pas de location en adéquation avec leur lieu de travail ou d’études.

L’entrée dans l’accession des jeunes est littéralement décalée.

Les recettes de l’État et des collectivités locales diminuent, alors que leurs charges se maintiennent, voire augmentent.

Il faut absolument inciter à cet investissement locatif, qui bénéficiera aux finances, puisque les recettes augmenteront. Il correspond à un besoin de logements et également au marché de l’emploi. Les travaux de rénovation créent par ailleurs du chiffre d’affaires, notamment pour les professionnels.

Paradoxalement, l’État n’a plus de budget. En même temps, on entend partout que l’épargne des ménages atteint un record. Il faut absolument mobiliser l’épargne de ces ménages, et l’aiguiller sur les travaux de rénovation. Nous ne souhaitons pas que notre patrimoine immobilier parte à l’étranger.

Vous nous demandez si le prêt à taux zéro (PTZ) est un dispositif-clé et quel bilan nous dressons de ce dispositif. De notre point de vue, les modifications annoncées auront un effet malheureusement marginal. En effet, 28 % des accédants ont bénéficié de ce PTZ dans les décennies passées et 50 % des primoaccédants dans le neuf. Pour que le PTZ produise ses effets, il doit être sans zonage, partout en France. Le plafond des ressources doit absolument être augmenté, par ailleurs. Je crois que des travaux du Conseil national de l’habitat (CNH) iront dans ce sens.

Sur la gouvernance, à tous les échelons, il est très important que les schémas directeurs régionaux et les SCoT puissent fixer dans leurs orientations des objectifs chiffrés pour chaque forme de logement. Ces objectifs sont inscrits, parfois difficilement, dans les PLUi, en fonction des territoires. Il convient de vérifier que ces objectifs sont respectés tels que décidés dans la vision politique de chacun. Les professionnels pourraient être consultés et apporter leur vision et leur expertise du sujet. Or ils ne sont pas toujours associés à la rédaction de ces documents.

M. Loïc Cantin. Je voudrais revenir sur votre préoccupation qui est de donner une feuille de route à la politique du logement en France. Il est toujours intéressant de regarder d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller. Le moment est opportun pour réfléchir ensemble et ne pas reproduire les erreurs du passé.

Quand je parcours la politique du logement depuis quarante ans, les grands événements sont notamment la loi Quillot de 1982 et la loi du 23 décembre 1986 qui donne pour la première fois un avantage fiscal à un investisseur qui achète pour louer. Le mécanisme durera jusqu’en fin 2024, soit trente-huit ans d’une politique ininterrompue d’accompagnement d’un investisseur déjà propriétaire de son logement qui s’engage à louer. C’est l’expression la plus totale de l’inefficacité des politiques du logement que de n’avoir eu d’autre alternative que de reconduire un même dispositif sous forme de déductions d’impôt.

Entre-temps, qu’avons-nous retenu d’une politique d’aide aux ménages qui souhaiteraient accéder à la propriété ? Nous avons pu déduire les intérêts d’emprunt. Nous avons introduit le PTZ. Nous avons balayé les anciens dispositifs qui avaient fait la réussite de notre pays pour ne laisser subsister que ce dispositif. La loi Pinel a permis de soutenir la construction de logements neufs en France, avant que le dispositif ne soit réaménagé au 1ᵉʳ janvier 2022. Il permettait à un Français d’investir 21 % de son logement dans la limite de 300 000 euros, de bénéficier de 63 000 euros de réductions d’impôt, et par conséquent d’acheter un appartement à 237 000 euros pour un prix de base de 300 000 euros. Cependant, un ménage accédant à la propriété achetait l’appartement 300 000 euros car il ne bénéficiait d’aucun dispositif de soutien. L’équité n’était pas assurée. L’investissement locatif a été favorisé. Au bout de la période de défiscalisation, l’investisseur revendait son bien.

Ce genre de dispositif ne doit plus être reproduit. Il faut soutenir la construction par des incitations, mais ne pas se s’inscrire dans des positions qui déséquilibrent le marché.

J’ai connu un marché de l’immobilier neuf avec 80 % d’accessions à la propriété et 20 % d’investissements locatifs. Dès que la loi Pinel a été promulguée, la règle s’est inversée avec 80 % d’investisseurs et 20 % d’accédants à la propriété, voire 100 % d’investisseurs. Il faut restaurer cette stratégie car il est fondamental de permettre l’accession à la propriété de l’ensemble des ménages. L’échéance de la vie, c’est la retraite. Au moment de la retraite, s’ils n’ont pas de toit, de nombreux concitoyens rencontreront des difficultés.

Devenir propriétaire n’est pas un « vilain mot », mais un statut auquel de nombreux Français devraient pouvoir accéder. Entre la France des années 1980 et la France des années 2020, notre société s’est transformée, voire s’est déformée dans toutes ses composantes. Le marché du logement est composé d’une mosaïque de territoires et aucun marché immobilier n’est identique, ce qui explique la délocalisation d’une partie des politiques du logement.

Nous avons vécu une période de croissance pendant les Trente Glorieuses avec la création d’emplois. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une inversion flagrante des tendances, notamment sociales, entre la courbe des actifs et celle des inactifs. Notre service économique a mesuré cette inversion sur les territoires. Le déplacement des populations sera décisif sur la forme de la ville de demain, sur la manière de l’aménager et de l’accompagner. Les besoins en logements de demain ne sont pas ceux d’hier et doivent être anticipés.

Définir une politique du logement, c’est se projeter sur le long terme, en réalisant le bilan des expériences passées. Le moment est opportun : il faut penser les politiques du logement pour les vingt à trente prochaines années. La feuille de route est longue et c’est la volonté des parties qui permettra de la réaliser.

M. Lionel Causse (RE). Merci pour vos interventions riches. Je voudrais revenir sur le lien entre centralisation et décentralisation et sur le passé pour construire l’avenir. Notre système est complètement hybride, c’est-à-dire qu’il n’est ni centralisé ni décentralisé, car une importante partie de la politique du logement est portée par les bras armés de l’État, voire par un système paritaire tel qu’Action Logement. Elle n’a pas certainement pas été au rendez‑vous des besoins et des attentes pour construire l’avenir.

Je comprends que vous êtes plutôt favorables à un statut de l’investisseur privé avec des objets de défiscalisation permettant de relancer l’investissement des particuliers. Je partage le fait que des solutions sont possibles en termes de location intermédiaire.

En revanche, j’ai compris que vous étiez également critiques à l’égard des outils de défiscalisation mis en place ces trente-huit dernières années.

Sur les dernières décennies, au-delà des difficultés et des échecs, je retiens certains éléments positifs. Le nombre de logements en France est relativement important et ils sont globalement de qualité. Depuis la fin de la guerre, nous avons réalisé de nombreux aménagements, grâce aux politiques publiques menées. Je ne pense pas que nous puissions toutes les balayer, même si nous devons repenser structurellement la nouvelle politique du logement.

De votre point de vue, quels sont les éléments positifs importants sur lesquels s’appuyer pour définir la nouvelle politique du logement ?

M. Loïc Cantin. La question est longue et intéressante. Je serai extrêmement dur dans ma réponse. Depuis quarante ans, nous avons balayé tout ce qui fonctionnait.

Le système de financement des prêts à l’accession à la propriété ou des prêts conventionnés rendait les ménages éligibles à l’aide personnalisée au logement (APL) leur permettant d’accéder à la propriété. Le dispositif fonctionnait parfaitement et a été supprimé au fil dans ans. Au final, la politique du logement se résume très souvent à une ligne budgétaire au travers des lois de finances successives. Or la politique du logement est tout autre.

En 1978, j’ai connu des marchés immobiliers équilibrés, qui s’autorégulaient sans intervention excessive de l’État ou des collectivités. Pour autant, la population était tout aussi importante qu’aujourd’hui.

Lorsqu’un bailleur louait, il bénéficiait d’un abattement forfaitaire sur ces recettes locatives brutes de 35 %. Cet abattement a été supprimé au fil des lois de finances. Le statut de bailleur a été « déshabillé ».

Parallèlement, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) s’est transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui ne s’applique qu’aux seuls biens immobiliers, les autres étant exonérés. Le marché est de plus en plus compliqué, sur-réglementé, et impose sans cesse de nouvelles contraintes, de nouveaux diagnostics, de nouvelles obligations. Pour autant, les professionnels accompagnent ce mouvement.

À l’époque, nous avions un système fabuleux, qui alimentait l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Le locataire payait la taxe de droit de bail de 2,5 % et le propriétaire payait une taxe additionnelle de 3,5 % sur les logements datant d’avant 1948. Le système a été abandonné et le fichier de suivi des locataires supprimé. Les subventions pour rénover l’habitat ancien ont donc disparu. Or nous aurions bien besoin de ces recettes aujourd’hui dans le cadre de la rénovation énergétique. Il ne faut pas se leurrer, les logements de classes énergétiques F et G sont plus nombreux sur les territoires les plus oubliés. Comment réaliser des travaux de rénovation énergétique dans des logements qui ont été laissés à l’abandon, aussi par les politiques publiques, depuis de nombreuses années ?

Voilà des exemples de systèmes qui fonctionnaient et qui ont été abandonnés ou oubliés. La location accession était un excellent dispositif. Aujourd’hui, on invente le bail réel et solidaire, sans réaliser de bilan des outils et mécanismes qui fonctionnaient. C’est le moment.

Le Crédit Foncier accordait via l’État une bonification des taux d’intérêt qui permettait à des ménages de devenir propriétaires, qui était le pendant du PTZ, mais avec une enveloppe beaucoup plus large.

Dans les quarante dernières années, nous avons taxé davantage, mais nous n’avons pas proposé de véritable stratégie innovante pour accompagner tout un pan d’un secteur qui est indispensable à la mise en place de logements pour les Français.

M. Lionel Causse (RE). L’USH a estimé le besoin en logements à 500 000 constructions lorsque Bercy en affiche 250 000. Avez-vous un chiffre à nous communiquer en fonction de ce que vous voyez sur le terrain ? Quel chiffre vous paraît le plus juste ?

Par ailleurs, l’autorégulation du marché est-elle une réponse à la crise actuelle ?

Mme Danielle Dubrac. Il serait temps de réaliser un bilan de la politique du logement avant de surajouter de la réglementation.

Aujourd’hui, est-il normal que la fiscalité déploie ou redéploie l’offre ? Quand on rencontre une difficulté en zone touristique ou en zone urbaine, on rajoute une sanction fiscale, une taxe sur les logements vacants, etc. C’est pour cette raison que je parle d’objectifs, de volumétrie, de vision, y compris sur le parc immobilier qui est vieillissant. Par ailleurs, la population française vieillit ou se recompose. Il existe des évolutions dans tous les domaines.

Il manque du logement intermédiaire pour les salariés, pour les professions essentielles largement évoquées pendant la crise sanitaire. Toutefois, avant d’étudier la question du logement intermédiaire, il faut s’accorder sur sa définition. Je ne critique pas le logement intermédiaire versus le logement institutionnel ou le logement privé.

Il faut faire confiance à l’épargnant et l’orienter vers du logement intermédiaire, qui permet de loger la plupart de nos salariés dans les bassins d’emplois.

En termes de données chiffrées, nous avons créé un observatoire réel et sérieux, l’observatoire Clameur. Les adhérents de l’Unis, de la FNAIM et les grands professionnels de l’immobilier donnent leurs données. Nous sommes en mesure d’observer à un instant donné la réalité du marché sur la base des baux signés. Nous disposons d’informations sur la typologie de l’appartement, sur la situation du locataire et même sur celle du bailleur. Nous pouvons réaliser des projections grâce à cet observatoire. Nous pourrions faire de même avec les charges, mais nous sommes pour l’instant très orientés vers l’observation des loyers privés. Nous sommes en mesure d’analyser les évolutions de prix car les baux signés sont une réalité, alors que les annonces ne sont que des intentions de louer.

Nous disposons de données fines qui manquent peut-être au gouvernement aujourd’hui ainsi qu’aux professionnels. Ces données sont importantes car elles permettent de dessiner la réalité et de se projeter dans l’avenir.

M. Loïc Cantin. Sur l’évaluation des besoins à construire entre le chiffre annoncé par l’USH et celui affiché par le gouvernement, la vérité se situe sans doute entre les deux.

Je défends toutefois la position que nous aurons de moins en moins besoin de logements. Nous avons en effet longtemps assisté à une équation très simple qui est qu’il faut 500 000 logements en France. Nous n’avons jamais atteint cet objectif, sauf dans les années 1975-1980. Le seuil le plus important a été atteint en déployant des efforts considérables lorsque Jean-Louis Borloo était ministre du logement, avec 470 000 logements sur un an.

La France avait besoin de construire, car elle était soumise jusqu’à présent à un solde migratoire naturel largement positif, dicté par une natalité forte, avec 350 000 habitants de plus par année. Par le doublement de la taille des ménages, le besoin en logements était identique. Nous avons répondu à ce besoin à un rythme de 350 000 logements, en fonction des évolutions et des variations.

Or le taux de natalité est passé de 2,40 à 1,70 %. Cette baisse de la natalité identifiée depuis deux à trois ans impactera largement les besoins en logement. Notre solde migratoire, évalué à 150 000 logements nécessaires par 150 000 habitants pour assurer l’équilibre de notre économie, deviendra peut-être le seul solde positif à alimenter la demande de logements.

L’équation n’est pas simple, et n’est plus mathématique. Le nombre de logements est similaire au nombre de ménages, avec même un excédent de 50 à 60 000 logements sans compter les logements vacants. Néanmoins, ces logements sont mal répartis géographiquement. La vraie question est : où les répartir demain ? Le positionnement des demandeurs de logements ne sera certainement pas dans les villes comme hier, mais ailleurs. Il est donc nécessaire de disposer de vraies projections tenant compte de ces évolutions démographiques et notamment de cette inversion dans la composition des actifs et des inactifs par territoire. Nous ne pouvons plus travailler sur une politique du logement sans véritable guide méthodologique pour parvenir aux objectifs fixés. Les besoins devraient être affinés en fonction des évolutions de notre société.

Il faudra également se poser la question de la transformation d’une partie du patrimoine qui sera exposé à une revente. Certaines populations ne pourront plus acheter comme nos parents ou nos grands-parents ont pu le faire avec des fortunes qui disparaîtront.

À la question de l’autorégulation, je répondrai qu’un marché ne peut s’autoréguler alors qu’il est soumis à une régulation forcée. Le principe d’une crise économique est qu’elle corrige les excès du passé, mais cette crise et les excès sont naturels. La demande vient sanctionner l’excès de production et les prix sont régulés.

Aujourd’hui, la hausse des taux d’intérêt s’oppose naturellement à la formation du prix et vient réduire le prix. Le cycle du logement est un cycle long, à l’opposé d’un cycle financier. Il n’y a pas d’immédiateté comme sur un marché boursier. Le marché du logement dispose d’une telle inertie que la crise et la régulation seront longues.

La crise de 1992 nous a enseigné que le temps de réajustement et d’adaptation des prix permettant de repartir sur une croissance en volume a été de quatre années minimum. Aussi, le temps de réadaptation et de réajustement sera très long, d’où la nécessité d’interventionnisme sur des points ponctuels, en mettant en place des actions curatives. Sans elles, le marché se dégradera extrêmement rapidement.

Mme Danielle Dubrac. Auparavant, les parcours résidentiels étaient classiques. Aujourd’hui, ils sont volatiles. Avec le télétravail, la charnière entre le logement et le travail est devenue compliquée. Le taux de natalité est en baisse, mais certaines personnes occupent des logements seules. Par ailleurs, la population vieillit et vieillira encore davantage d’ici 2030 et 2050. Il conviendra de s’adapter. Devant ces imprévisions et la difficulté de fournir des éléments chiffrés, la seule possibilité est d’imaginer des scénarios en fonction de bassins d’emplois ou de zones géographiques.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Pour avoir été vice-président d’agglomération en charge de l’attractivité, bon nombre de bureaux d’études élaborent des études auprès des EPCI pour les aider dans leurs décisions. Une multitude d’études existe déjà.

La pyramide des âges n’est pas connue de tous en matière de politique du logement. Aujourd’hui, nous nous heurtons d’ores et déjà à un mur qui est le problème d’adéquation entre les logements et les besoins. Nous connaissons le nombre de logements par rapport au nombre d’habitants mais ils ne sont pas adaptés et pas bien situés géographiquement.

Nous allons devoir agir pour éviter la bombe sociale. Pour cela, il nous faut des leviers. Vous avez évoqué les éléments positifs du passé. Néanmoins, face à la crise, il nous faut faire preuve à la fois d’innovation et de solidarité. Le plan de rénovation thermique est important et certains propriétaires bailleurs rencontreront des difficultés pour exécuter les travaux nécessaires. Pensez-vous que ces travaux puissent être pris en charge par la Banque des territoires grâce à l’épargne, qui récupérerait le montant de ces travaux au moment de la vente ?

Par ailleurs, le ZAN risque d’accélérer le prix de l’immobilier. Cette plus-value pourrait être adaptée à celles et ceux qui en ont la responsabilité et devenir une manne financière (250 000 hectares artificialisés) pour que la politique du logement ne soit plus du saupoudrage. L’idée est qu’elle s’oriente vers le particulier, vers l’intérêt général qui est avant tout de pouvoir loger la population selon sa génération et selon ses moyens.

Mme Danielle Dubrac. Je n’ai pas compris l’idée de la manne financière.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Imaginez 250 000 hectares au prix de 5 000 euros par hectare en zone agricole. Selon les territoires, le prix passe ensuite de 100 à 500 euros par mètre carré. Seul celui qui le vend « en voit la couleur ».

M. Loïc Cantin. Je n’ai pas du tout la même vision que vous en matière. J’ai vu une tentative de verser la plus-value sur le foncier à bâtir. Je vis dans une ville qui est pourtant une grande agglomération et les terrains à bâtir manquent. C’est la conséquence de l’absence d’ouverture à l’urbanisation des quinze dernières années. Aujourd’hui, la ville se reconstruit sur elle-même par un effet de démolition sur des friches et notamment sur de l’habitat de maisons individuelles. Une maison individuelle vaut plus cher quand elle est démolie que quand elle est debout, par la rente foncière qui est assise sur son terrain, au travers de droits à construire qui sont permis. La rente foncière est une vision du passé, avec certaines exceptions, des maires bâtisseurs ayant ouvert des espaces et des hectares à la constructibilité. Ce n’est pas le cas des grandes agglomérations françaises. Aujourd’hui, ce n’est pas une manne financière.

Je comprends que vous souhaitiez accompagner les Français dans l’accession à la construction. Il faut des espaces et il faut les maîtriser. Bien évidemment, un propriétaire qui obtiendra une autorisation d’urbanisation rendant un espace constructible sera doté d’une rente à laquelle il n’a pas contribué. Elle est la contrepartie de l’évolution du droit de l’urbanisme sur son sol. Un propriétaire qui n’a rien se contentera de mieux ; sinon, il n’aura rien.

La rareté du foncier a été et est le levier de l’augmentation de la charge foncière dans les bilans de promotion. J’ai réalisé un comparatif sur ma ville. En quinze ans, le foncier a augmenté de 1 200 % la charge foncière dans un bilan de promotion immobilière. C’est la réalité.

Si nous voulons nous attaquer au prix du neuf et rendre le logement moins cher, nous pouvons jouer sur une maîtrise foncière, notamment d’ouverture à l’urbanisation, et négocier avec le propriétaire un partage de la valeur, qui serait possible pour répondre à l’intérêt général.

Mme Danielle Dubrac. Il faut encourager les nouvelles formes d’habitat. Je pense notamment aux résidences intergénérationnelles comme les Maisons de Marianne, pour lutter contre l’isolement, ou à l’habitat participatif. Ces innovations sont importantes pour le « bien vivre ensemble ». Nous croyons beaucoup à ces formes d’habitat qui manquent aujourd’hui.

Une terre vide est aménagée, puis un transport est créé, parfois au pied du logement, qui prendra de la valeur par la suite. Pendant ce temps, des impôts auront été payés. En cas de revente, la plus-value est taxée. Par ailleurs, les établissements publics fonciers régulent le prix du foncier. Je comprends l’inquiétude sur ce point.

S’agissant de la rénovation, il faut aider les plus modestes et financer le reste à charge. La difficulté est qu’au lieu d’imaginer que l’habitat collectif est un acteur économique, on a fait des règles pour l’habitat individuel à travers le DPE et les obligations qui en découlent. Pour les copropriétés, il existe d’autres règles avec un autre calendrier et ces règles se percutent.

L’Unis et la FNAIM ont émis un certain nombre de propositions sur la priorité du DPE bâtiment par rapport au DPE individuel, car il est important que les travaux se réalisent. Nous ne sommes pas spécifiquement favorables à une obligation de travaux, sauf au moment de la vente. L’obligation de travaux signifie de trouver des financements pour tout et d’élargir encore « l’assiette ». Nous sommes en revanche favorables à l’incitation. Nous appelons de nos vœux la Banque de rénovation en insistant sur la solidarité. Tout a été fait pour désolidariser l’habitat collectif. La notion de propriété de partie privative n’a pas été reliée à la notion de propriété de partie commune.

Par conséquent, il faut relancer la solidarité et prioriser les travaux de rénovation collectifs. Le DPE bâtiment doit être supérieur aux DPE individuel. Le vote doit être rendu possible, tout comme les commandes groupées. La Banque de rénovation serait très importante pour trouver des prêts collectifs à cet habitat collectif et non pas à l’individu pris séparément dans cet habitat collectif. C’est une des solutions pour pouvoir réaliser ces travaux.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Quand on ne fait pas les travaux énergétiques, on fait payer aux locataires une dépense énergétique supérieure. Il faut forcément trouver un équilibre sur ce point.

La réalité est un peu moins favorable que de dire : « quand on ouvre à l’urbanisme, on a une route qui arrive à la hauteur de la possibilité de construire ». La plupart du temps, quand un promoteur arrive avec son projet, le maire lui demande de le réduire de moitié.

Après les élections municipales de 2020, et suite à la crise sanitaire, des programmes sont apparus sur le thème « pas un voisin de plus ». Nous assistons aujourd’hui à une forme de réticence à la construction. La densification est forte dans de nombreuses communes. Il faut sans doute réinventer une histoire par rapport à cette situation.

Je reviens à la nécessité de logements pour la décohabitation, pour le vieillissement et pour les emplois-clés. Le discours est de coconstruire avec les élus locaux pour que le PLU soit effectivement respecté et que les besoins en logement soient objectivés. Tout l’enjeu est de faire en sorte que l’acte de construire soit ressenti de manière positive par les habitants.

Le logement doit correspondre à la réalité d’une situation à un instant T. Vous avez cité le télétravail. On pourrait citer les jeunes actifs qui devront de plus en plus changer de travail, et donc de logement, avant de pouvoir se stabiliser. Si l’on ne peut pas changer de logement, on doit renoncer au travail. Comment accompagner ce besoin de mobilité, qui n’est pas très simple à gérer, avec un besoin de revenus assurés pour une personne qui investit oui pour un propriétaire occupant qui va devoir changer de logement tous les trois ans ?

M. Loïc Cantin. Je reviens sur le cas du maire qui réduirait les possibilités de construction. L’urbanisme est un urbanisme réglementaire. Or les tendances et les pratiques ont fait en sorte que l’urbanisme devienne un urbanisme négocié. Ce ne sont pas les acteurs de la promotion qui n’ont pas envie de construire ou de densifier plus. On les empêche de le faire. Finalement, l’urbanisme réglementaire permet des droits à construire, mais l’instruction doit se faire. La véritable problématique est que le promoteur, face à une telle situation, pourrait très bien faire un recours devant le Tribunal administratif, notamment à l’encontre de la Ville, pour excès de pouvoir. En agissant ainsi, le promoteur peut « prendre sa valise et retourner travailler ailleurs ». Il faut un juge de paix sur le respect des droits et notamment du pétitionnaire, pour lui permettre de réaliser un objectif de construction qui soit conforme à la norme. Ses droits à construire ne doivent pas être bafoués par une vision politique ou protectrice.

Je suis un peu brutal, mais c’est la réalité. La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) a réformé le droit de l’urbanisme sur les recours, entre autres. Aujourd’hui, être maire-bâtisseur, c’est s’exposer à une sanction, alors que nous, nous avons besoin de logements. C’est un vrai sujet.

Mme Danielle Dubrac. Je ne fais pas de politique, mais le permis de construire est-il au bon échelon ? On comprend les difficultés que vous rencontrez. Des documents d’urbanisme existent, ils demandent du temps à être rédigés, à être partagés et à être validés. Or ils ne sont pas exécutés. La situation est compliquée, tout de même.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Hormis les grandes villes qui disposent d’un service instructeur, les permis de construire sont instruits par les services de l’État et depuis 2015 par les EPCI. Les documents d’urbanisme imposent des hauteurs maximales et des règles par rapport au tiers en matière de distance. Ne faut-il pas fixer des hauteurs minimales ?


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8.   Table-ronde réunissant les organismes de contrôle et de garantie du logement social : M. Serge Bossini, directeur général de l’Agence nationale de contrôle du logement social et Mme Marianne Laurent, directrice générale de la Caisse de garantie du logement locatif social (mercredi 18 octobre 2023 à 14 heures)

M. le président Stéphane Peu. La mission qui nous a été confiée par la présidence de l’Assemblée vise à embrasser largement les questions relatives au logement, abordant la production, les parcours résidentiels, la fiscalité du logement, les conditions économiques, l’environnement économique et institutionnel, etc. Un projet de loi sur les copropriétés et l’habitat insalubre a été présenté ce matin en conseil des ministres, qui devrait arriver à l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’année. Une loi sur les meublés touristiques est évoquée pour le premier semestre 2024. Enfin, une loi-cadre sur le logement, comportant un volet sur la décentralisation, a été annoncée par le Président de la République et le ministre chargé du logement ; sa rédaction devrait être finalisée au deuxième trimestre 2024, pour un dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat dans le courant de l’année 2024.

Notre mission s’inscrit dans la perspective de cette troisième loi, même si nous ne nous interdirons pas d’évoquer les deux autres.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Notre objectif est de présenter des propositions pour rendre le logement en meilleure santé et plus accessible à toutes les bourses et à tous les âges. En effet, comme nous le savons, le parcours résidentiel est aussi difficile pour un étudiant que pour un actif ou un senior.

Nous devons définir les moyens de recréer une dynamique malgré les contraintes que nous connaissons, afin de traiter notamment la problématique de l’attribution de logements pour les différents âges et les différentes bourses.

L’objectif est donc que les différentes auditions auxquelles nous procédons aboutissent à une feuille de route, dans laquelle nous pourrons piocher et qui nous permettra d’intervenir pour débloquer les situations que nous connaissons.

Mme Marianne Laurent, directrice générale de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). En guise de préambule, je voudrais rappeler que la CGLLS collecte une cotisation auprès des bailleurs pour alimenter un ensemble de dispositifs nationaux, comme l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) et le Fonds national d’accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL). Nous finançons également l’Union sociale pour l’habitat (USH), les fédérations de bailleurs, les associations de locataires, etc. Nous collectons en outre une cotisation au bénéfice de l’Agence nationale de contrôle du logement social.

Nous avons également des dispositifs d’aide, dans le cadre desquels nous signons des protocoles avec les bailleurs en difficulté afin de leur apporter un soutien sous forme de subventions. Les deux dispositifs subventionnels sont la Commission de réorganisation, instituée en 2018 dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « Elan », et le Fonds social pour l’innovation, qui visent à accompagner la modernisation des différentes actions des bailleurs et l’innovation.

M. Serge Bossini, directeur général de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols). L’Ancols est un établissement public administratif, qui a pour mission principale de contrôler les entités du secteur du logement social – non seulement les organismes de logement social stricto sensu, mais aussi tous ceux qui gravitent autour de ce secteur. Elle a également pour mission de produire des études et des évaluations sur le secteur.

Nous contrôlons une centaine d’entités et produisons une douzaine d’études par an.

M. le président Stéphane Peu. Vos postes d’observation respectifs vous permettent de faire des propositions sur la façon d’améliorer le système, éventuellement par rapport aux difficultés accrues de la période récente.

Mme Marianne Laurent. La production de logements est un sujet qui interpelle beaucoup. D’après nos interlocuteurs au ministère du Logement et à l’Union sociale pour l’habitat, nous atteindrons un niveau d’agréments assez bas cette année : la valeur basse serait de 80 000 et la valeur haute de l’ordre de 85 000 agréments. L’année 2023 ne sera donc clairement pas une bonne année en termes d’agréments.

Il est possible de suivre les mises en service de logements, qui figurent dans le bilan des bailleurs et qui se reflètent au travers d’un des paramètres de leur cotisation. Depuis 2015 ou 2016, le nombre de premières mises en service ne cesse de diminuer, avec une forte distorsion au bénéfice des entreprises sociales pour l’habitat (ESH), qui portent jusqu’aux deux tiers du développement, et en défaveur des offices publics. Ce mouvement s’est accompagné d’un développement très significatif des productions destinées à être vendues en l’état futur d’achèvement (Véfa). L’Agence nationale de contrôle du logement social a publié très récemment une étude sur ce sujet, que le directeur général Serge Bossini pourra vous détailler et qui corrobore nos propres observations. Certains groupes, qui œuvrent dans la production, travaillent désormais presque exclusivement à partir de Véfa.

Cette évolution de la production est liée à la difficulté d’accéder au foncier. Je pense qu’il y a également eu, du côté des offices et même si tous les bailleurs étaient concernés, un effet de surprise au moment de l’instauration de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui a privé le secteur de recettes et a pu susciter de l’inquiétude.

Parallèlement, la loi Elan a imposé des regroupements aux offices, générant un important mouvement de concentration, de rapprochements et de discussions qui a peut-être entravé certaines velléités de développement (ou mis les priorités sur d’autres sujets). C’est d’autant plus regrettable que, dans le même temps, les taux d’intérêt étaient extrêmement bas et que, finalement, le secteur avait les moyens financiers de produire. Mais pris dans son ensemble, le secteur a plutôt été renforcé, malgré la RLS, dans sa structure financière.

L’autofinancement se dégrade dès 2022, mais surtout en 2023 et, de manière prévisible, en 2024 et 2025, du fait de la hausse des taux d’intérêt. Nous avons donc l’impression qu’une porte se referme, alors, même qu’elle était seulement entr’ouverte. L’inflation et les coûts, en termes notamment de coûts de revient des opérations, se sont beaucoup accrus, que ce soit dans le neuf ou en réhabilitation.

Les bailleurs sont des investisseurs très importants, à hauteur de 15 milliards d’euros (Md€) en année basse et 20 Md€ en année plus favorable, sur des opérations projetées à quatre-vingts ans – puisque telle est la durée des prêts les plus longs. Tout ce qui accroît l’incertitude – y compris réglementaire – au sens large, qu’elle soit réelle ou psychologique, constitue un frein au développement pour les bailleurs.

J’observe, pour conclure, que les ESH se sont beaucoup endettées pour porter le développement et que ce sont elles qui, aujourd’hui, sont les plus exposées au risque de taux.

M. Serge Bossini. Nous avons à peu près le même point de vue que la CGLLS, au moins sur le passé. L’Ancols a publié une note sur la santé financière du secteur au 31 décembre 2021, puisque les bailleurs remontent actuellement leurs états réglementaires dans les bases de données ministérielles : cela donne un point de référence sur les ressources durables et présentes dans les comptes du secteur.

Si l’on considère le « macro-organisme » du logement social, c’est-à-dire le secteur comme s’il était un seul opérateur, on constate que ses réserves durables fin 2021 dépassaient largement ce qui était attendu. Elles résultent de la tendance baissière de la production de logements pendant ces années-là.

Pour augmenter la production de logements, la solution immédiate, souvent demandée par les bailleurs, est de rajouter des subventions publiques… alors même qu’une situation financière très favorable n’avait pas suffi à déclencher la production pour atteindre les objectifs fixés. Il faudra avoir ce point en tête lorsque le législateur voudra proposer des solutions, à travers le projet de loi de finances (PLF) ou à travers des lois d’organisation : les freins se situent ailleurs. Je ne nie pas que certains bailleurs puissent avoir besoin de financement – car je me situe au niveau du « macro-organisme » – ni que les besoins et les moyens ne soient pas toujours en adéquation. Mais en tout état de cause, dans la recherche de solutions de déblocage, je pense qu’il est important de travailler sur d’autres pistes que le financier.

Mme Marianne Laurent. Vous vous interrogez sur l’étude de la Banque des territoires sur les perspectives du logement social, qui est une référence extrêmement solide : elle examine le macro-organisme des bailleurs sociaux, dont elle analyse la rétrospective et qu’elle essaye de projeter.

Cette publication existe depuis 2013 et, toutes les années qui ont suivi, nous projetions un volume de constructions neuves en cohérence avec les ambitions de politique publique – donc, compris entre 100 000 et 125 000 unités par an. Dans l’édition publiée en 2016, le discours était que le secteur avait globalement les moyens, en dépit de disparités entre les bailleurs, de construire 100 000 logements et de conduire entre 75 000 et 100 000 réhabilitations par an.

Ce qui a changé, c’est que les volumes de réhabilitations à projeter pour répondre à la stratégie nationale bas-carbone, sur le long terme, et à la loi « Climat et résilience », sur le court terme, ont quasiment doublé, pour atteindre de 150 000 à 200 000 opérations par an, selon les estimations. De tels volumes doublent l’investissement nécessaire au titre des réhabilitations, qui passe de 4-5 Md€ à 9-10 Md€ par an, d’autant que le prix de revient des opérations n’a plus rien à voir entre l’étude de 2016 et ce qui est projeté aujourd’hui. L’USH a peut-être des coûts de revient supérieurs à ce que projette le ministère du Logement ou la Banque des territoires ; mais, en tout état de cause, une réhabilitation coûtait hier 30 000 euros : elle coûte au minimum 60 000 euros actuellement.

Si le rythme des réhabilitations double et compte tenu des coûts de revient croissants, que reste-t-il alors pour la production neuve, en prenant également en considération l’augmentation du coût de revient de ces opérations de construction neuve ? Il faut injecter en plus, dans le modèle, le niveau du livret A. Supposons qu’en 2025, son taux revienne à 2 % et que l’inflation redevienne raisonnable, qu’est-ce que le modèle peut globalement absorber ? La loi fixant des objectifs en termes de réhabilitation – mais pas en termes de constructions neuves – nous faisons l’hypothèse que les bailleurs se conformeront à la loi. Compte tenu du plafond de l’investissement globalement réalisable, ces bailleurs devront réduire leurs ambitions en termes de développement. Les projections à 2050 indiquent que les autofinancements seront alors très minces et que les réserves financières accumulées auront été consommées, compte tenu de l’injection de fonds propres dans les opérations. Sur le long terme, nous embarquons actuellement des opérations déséquilibrées en matière de réhabilitations : un investisseur financier classique observe le taux de rendement interne (TRI) et, si le TRI est négatif, il n’investit pas ; or les bailleurs investissent quand même. Sur les opérations de construction neuve, les équilibres sont également beaucoup plus lointains. La barque se charge donc d’opérations déficitaires et seuls les bailleurs qui ont un portefeuille d’opérations d’une masse suffisante – certaines excédentaires, d’autres déficitaires – réussiront à garder des ratios d’autofinancement corrects. Les autres, au moins dans un premier temps, afficheront des autofinancements très minces, voire négatifs.

M. Serge Bossini. Je confirme totalement ces propos. Si on entre plus avant dans le détail, on s’aperçoit que les logements énergivores classés G et F ne sont pas uniformément répartis entre les bailleurs. La base des données est instable, sachant que les modalités de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) ont changé et que les déclarations des bailleurs ne sont pas toutes à jour. Nous estimons néanmoins que la part du parc en F et G est aujourd’hui comprise entre 6 % et 8 % ; ce n’est donc pas considérable et les bailleurs ne sont pas très inquiets par rapport aux échéances de 2025 et 2028. Paradoxalement, c’est l’étiquette E à l’horizon 2034 – une date certes plus lointaine, mais qui concerne des masses de logements plus importantes – qui les inquiète davantage. S’agissant de la répartition des étiquettes entre les bailleurs, nous identifions une trentaine de bailleurs qui concentrent 40 % des passoires, sachant que beaucoup d’étiquettes DPE manquent. En termes de politique publique, la bonne nouvelle est que nous avons trente interlocuteurs prioritaires ; la mauvaise est que, lorsque les problèmes sont ainsi concentrés sur quelques bailleurs, ceux-ci peuvent se trouver eux-mêmes en difficulté et nécessiter des mesures de sauvegarde.

L’Ancols prépare des études et des contrôles pour vérifier que les bailleurs pourront répondre aux obligations légales et qu’ils ne reloueront pas les logements F et G, conformément à la loi. L’Ancols contribuera à faciliter les arbitrages des bailleurs pour sécuriser la rénovation thermique, peut-être au détriment de la production neuve. Les arbitrages se font dans chaque conseil d’administration, au moment de la relecture du plan stratégique de patrimoine (PSP) qui s’articule à long terme avec la situation financière prévisionnelle du bailleur. La question est notamment de savoir s’il est stratégiquement plus intéressant de rénover pour « sauter une étiquette » à la fois – ce qui permet d’avoir des quantums de rénovations lissés jusqu’en 2030 – ou de passer tout de suite en A ou B. Pour la politique publique et la stratégie nationale bas-carbone, il vaudrait mieux que les bailleurs « montent » directement aux étiquettes A et B, mais, pour l’instant, la loi n’impose pas des sauts d’étiquettes.

M. le président Stéphane Peu. J’ai l’impression qu’il y a une divergence entre vous deux sur la question du déficit de production, qui ne serait pas lié à la situation financière des organismes. Nous sommes confrontés à d’immenses enjeux de rénovation, avec des surcoûts considérables et des objectifs assignés par la loi – alors qu’elle n’en impose pas sur la production. Les capacités d’investissement étant les mêmes pour produire et pour rénover, l’effort de rénovation se traduira nécessairement par un déficit de production, dont la causalité est tout de même financière.

M. Serge Bossini. Avoir des réserves financières ne suffit pas pour déclencher l’acte de construction. Pour autant, l’absence de finances interdit de construire.

Mme Marianne Laurent. La situation financière actuelle des bailleurs leur donne la capacité à embarquer les niveaux de rénovation fixés par le législateur. J’émets toutefois une réserve sur les capacités humaines, puisque leurs capacités de développement sont principalement assises sur les promoteurs, au détriment du maintien d’équipes de maîtrise d’ouvrage propres aux bailleurs. Les inconvénients d’une telle configuration, dans le contexte de crise actuel, sont que les promoteurs vont lancer moins d’opérations et qu’ils s’adresseront moins « en bloc » aux bailleurs sociaux.

Le dispositif de prévention des difficultés financières des bailleurs de la CGLLS se situe aujourd’hui à un point bas. Nous suivons seulement 21 bailleurs en protocole ; nous avons signé trois protocoles en 2021, trois en 2022, zéro en 2023 et nous en avons un à l’étude pour 2024. En revanche, il y a trois ans, nous avions encore quarante bailleurs en protocole. Le protocole de certains était d’ailleurs échu… mais ils restaient volontairement dans le giron de la CGLLS, en espérant une petite rallonge subventionnelle.

J’ai souhaité y voir clair entre ce qui relevait d’une forme d’opportunisme et les bailleurs qui avaient vraiment besoin d’être accompagnés. Sur les six protocoles signés en 2021 et 2022, quatre au moins accompagnaient des bailleurs qui n’étaient pas en situation financière difficile sur le moment ; cependant, compte tenu du poids des investissements qui pesaient sur eux au titre de la réhabilitation, de la construction et des conventions de rénovation urbaine, ces bailleurs n’avaient pas suffisamment de réserves accumulées – même s’ils étaient accompagnés par leur collectivité locale de rattachement ou leurs actionnaires, à travers des titres participatifs acquis par la Banque des territoires, Action Logement ou des collectivités locales. En dépit de ces injections de fonds propres, la capacité d’autofinancement de ces bailleurs ne suffisait pas à alimenter leurs fonds propres dans les proportions nécessaires pour conduire tous ces plans d’investissement.

Une petite dizaine de bailleurs, sur un total de cinq cents opérateurs (toutes familles confondues), est aujourd’hui fragile et une cinquantaine est sous surveillance. Le dispositif de prévention est assis sur une première « ligne de défense » constituée par les travaux des fédérations dans le cadre d’un autocontrôle… qui sont plutôt des lanternes accrochées dans le dos que des phares éclairant la route ! Nous discutons avec les fédérations afin de mieux anticiper les directions que prennent les bailleurs qui cumulent les difficultés, parce qu’ils n’ont pas assez de fonds propres ou parce que leur structure financière les a conduits à beaucoup s’endetter dans le passé. Ce sont des opérateurs dont les charges d’annuité continuent à s’alourdir, alors qu’ils doivent rénover des logements très énergivores, qu’ils pratiquent parfois des loyers bas et qu’ils sont confrontés à la paupérisation de leurs locataires. Les disparités entre bailleurs sont appelées à devenir de plus en plus manifestes désormais, compte tenu de leur histoire et de leur patrimoine.

M. le président Stéphane Peu. Quel est votre regard sur les regroupements rendus obligatoires par la loi Elan ? Le sujet a beaucoup occupé les esprits – peut-être au détriment d’autres problématiques. Portez-vous un regard positif sur le caractère obligatoire et le calendrier de ces regroupements ?

M. Serge Bossini. L’Ancols a publié, en mars 2023, un contrôle thématique sur les regroupements d’organismes.

Le législateur a considéré que le mouvement HLM devait se professionnaliser et a souhaité rendre possibles les opérations en capital à l’intérieur du secteur. Lorsque chacun gère son parc comme un monopole sur son territoire, certains bailleurs s’en trouvent très bien – voire exagérément bien – s’ils se situent en zone détendue (ce qui ne nécessite pas de produire des logements), avec peu d’impayés et des coûts de maintenance et de gestion parfaitement maîtrisés. Or ce surcroît de ressources, qui ne doit pas sortir du secteur selon le principe même du logement social en France, doit pouvoir circuler vers ceux qui en ont besoin : de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins. Notre analyse montre que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. L’essentiel des regroupements s’inscrit plutôt dans le cadre de sociétés de coordination, qui n’ont pas encore mis en œuvre toutes leurs obligations, notamment de soutien financier mutuel ; elles ne sont pas pensées ainsi.

M. le président Stéphane Peu. La coordination entre un secteur qui ne produit plus (ou très peu) et un secteur où il faut produire beaucoup me semble très compliquée à mettre en œuvre, car les logiques structurantes sont surtout géographiques. J’ai surtout vu se réunir des organismes qui avaient les mêmes besoins. J’ai pu observer des rapprochements d’organismes dont les parcs anciens sont amortis et qui dégagent de la marge avec des organismes dont le parc est plus récent et qui sont donc plus endettés, beaucoup plus qu’entre organismes situés respectivement en zone tendue et en zone détendue.

M. Serge Bossini. J’ai un exemple dans le nord-est de la France, à l’intérieur d’une société de coordination que dans le cadre d’une fusion de groupes.

Les adossements à des groupes verticaux permettent aussi ces transferts, mais, même à l’intérieur de tels groupes, nous ne constatons pas de mécanismes de rééquilibrage entre endroits confrontés à des besoins et endroits disposant de moyens. En dépit du rythme rapide imposé par la loi Elan, les pratiques attendues ne sont pas encore déployées.

Mme Marianne Laurent. Nous dressons le même constat : le nombre de bailleurs diminue sensiblement depuis 2015 et les dispositions de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous estimons qu’il reste une centaine de bailleurs, représentant environ un million de logements, qui ont échappé à l’obligation de regroupement.

Parmi ces bailleurs qui restent indépendants, il y a les offices départementaux, par exemple : s’ils ont une taille suffisante, ils pourront continuer à vivre de manière autonome. Il y a aussi beaucoup de sociétés d’économie mixte (SEM), qui ont échappé au regroupement grâce au critère du chiffre d’affaires et sur lesquelles nous sommes parfois dubitatifs.

Les sociétés de coordination n’ont pas encore produit leurs effets, parce qu’elles se sont progressivement constituées au cours des trois dernières années sous l’effet d’accords, de désaccords, de mariages, de divorces, de remariages… Toutes ne se sont pas encore dotées des outils réglementaires attendus, comme un PSP et un plan financier consolidés à moyen terme. Certaines ont des logiques territoriales avérées ; d’autres ont des logiques opportunistes visant à échapper à l’obligation de se rapprocher d’un partenaire qu’elles n’apprécient pas, pour des raisons politiques ou autres. Celles qui portent de vrais projets peuvent aller sur des sujets non obligatoires sur le plan réglementaire. Certaines mettent des moyens en commun. Il y aura aussi le sujet très structurant de la convergence des systèmes d’information, nécessaire pour piloter un groupe : opérer une telle convergence prend beaucoup de temps. Sans parler des sujets d’alignement des équipes, au-delà de la direction générale, des reconfigurations de patrimoine, etc.

Enfin, nous n’avons effectivement pas encore constaté le bénéfice financier d’une forme de mutualisation des fonds propres, à laquelle les bailleurs sont très réticents : personne ne souhaite que ses fonds propres, quand bien même seraient-ils sous-utilisés, bénéficient au voisin. Des dispositifs avaient déjà été tentés dans le passé, comme des prélèvements sur le potentiel financier ou la mutualisation des fonds propres ; ils n’avaient pas fonctionné non plus, pour les mêmes raisons de stratégies d’évitement clairement mises en place.

Pour l’instant, nous ne voyons donc pas bien le bénéfice induit par cette soixantaine de sociétés de coordination, hormis celles adossées à des groupes capitalistiques qui ont injecté des fonds pour sortir certains opérateurs de l’ornière.

M. le président Stéphane Peu. Comment expliquez-vous le décalage, constaté ces dernières années, entre la production des entreprises sociales de l’habitat et celle des offices ? Nous aurons prochainement l’occasion d’auditionner Action Logement et de l’interroger sur la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), à laquelle je suis très attaché. Tout cela est-il bien réparti ?

Mme Marianne Laurent. L’impact psychologique de la RLS et celui de la loi Elan ont beaucoup plus contraint les offices à se regrouper que les ESH, qui avaient déjà fusionné et n’ont fait qu’accélérer le mouvement – comme chez CDC Habitat ou Action Logement – pour constituer des entités plus importantes.

Les offices ont été pris par des considérations financières et des obligations de regroupement, avec tous les travaux induits, qui les ont probablement pénalisés. Ils n’ont pas su saisir les opportunités offertes par les Véfa et leur dynamique, sur laquelle les ESH ont surfé de manière assez opportuniste – mais réussie. Certains offices indépendants rencontrent aujourd’hui de réelles difficultés, parce qu’ils opèrent sur des territoires parfois détendus, avec des obligations patrimoniales importantes, des taux de vacance élevés et des marges de manœuvre sur les loyers extrêmement réduites. Ils ne pourront pas sortir facilement de ces difficultés.

Il y a quelques années, les offices avaient accès à moins de supports financiers qu’aujourd’hui. Je travaillais à la Caisse des dépôts et consignations à l’époque où le dispositif des titres participatifs a été mis en place. La première enveloppe du plan « logement » s’élevait à 700 millions d’euros (M€) ; cette mesure, parmi d’autres, était vraiment novatrice. L’enveloppe de la première année (300 M€) était réservée aux offices, à la suite d’une négociation entre la Fédération des offices et la Banque des territoires. Nous constatons aujourd’hui qu’une partie des sorties du protocole de la CGLLS a été rendue possible grâce à la souscription de titres participatifs par la Banque des territoires. Action logement avait également distribué une enveloppe d’environ 150 M€ et la possibilité a été offerte aux collectivités locales de souscrire ces titres participatifs.

Les offices ont donc bénéficié de moyens et de supports financiers accrus en 2021 et ils étaient moins endettés, par ailleurs.

M. Serge Bossini. Je n’ai pas d’éléments à ajouter sur le différentiel de construction entre offices publics de l’habitat (OPH) et ESH. Il y a peut-être plus d’OPH en zones détendues, dans lesquelles la production n’a pas forcément autant de sens qu’en zone tendue.

S’agissant de la répartition de la PEEC, le congrès de l’USH a beaucoup cité le rapport annuel statistique et financier de l’Ancols pour l’année 2021. La fédération des OPH considère que ce rapport constate, ex post, que la répartition de la PEEC entre personnes morales ne respecte pas le poids respectif des organismes dans le parc social et que les filiales d’Action Logement en ont bénéficié significativement plus que le reste du secteur, lors des dernières années de la convention quinquennale échue.

Il existe un principe de non-discrimination directe : il convient, de vérifier que les fonds ne sont pas attribués par Action Logement directement et par un mécanisme qui ne serait dédié qu’à ses propres filiales. Les mécanismes de distribution et de répartition de la PEEC s’appuient sur un ensemble de critères qui aboutissent effectivement à une surreprésentation des filiales d’Action Logement, mais sans que les dispositifs organisent par eux-mêmes une discrimination : la discrimination est donc indirecte. Elle est à la fois très visible et difficile à contrer, si on considère que l’argent de la PEEC doit bénéficier aux bailleurs qui construisent plus que leur poids dans le parc – car il se trouve effectivement que les filiales d’Action Logement Immobilier construisent proportionnellement plus que leur poids dans le parc : elles réalisent, en effet, environ 30 % de la production brute, alors qu’elles ne pèsent que 20 % du parc. Leur contribution justifie que des subventions et des dotations aux fonds propres leur soient versées : ce n’est pas uniquement un problème d’allocation d’une ressource publique, c’est aussi une question d’allocation dynamique et d’optimisation de l’utilisation des fonds, pour le bien du secteur tout entier – notamment, des locataires et des demandeurs.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. À une époque où la production ne cesse de baisser, quel est, selon vous, le rôle que vous pourriez jouer, dès lors que nous vous en accorderions les moyens, sur les offres de prêts qui seraient attendues et sur le parcours résidentiel ? Certains logements ne correspondent pas toujours aux besoins d’un territoire et inversement. Une réflexion est-elle menée sur des outils pour permettre aux logements de se développer ? Je pense aux logements pour étudiants, pour les seniors et autres.

Ma question est donc de savoir ce qui manque dans votre besace pour que vous puissiez être plus performants et surtout atteindre les objectifs, qui sont importants. Cette question vaut aussi pour la rénovation thermique attendue sur les bâtiments, puisqu’elle représente 40 % du coût – ou plutôt de la pollution qu’elle pourrait entraîner. Qu’est-ce qui, selon vous, manque sur ces deux leviers ?

Mme Marianne Laurent. S’agissant des bailleurs sociaux, la CGLLS garantit exclusivement les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et les prêts locatifs à usage social (Plus). Aujourd’hui, les prêts locatifs sociaux (PLS) et les prêts locatifs intermédiaires (PLI) sont exclus du bénéfice de cette garantie – ce qui est logique, s’agissant de logement locatif social ; pour le PLS, cela pourrait se discuter.

Je pense que les bailleurs pourraient souhaiter une simplification de ces dispositifs de financement – au moins, sur le logement social – puisque, derrière chaque typologie de financement APL, se trouvent au minimum deux lignes de prêt. Une opération mixte, qui embarquerait du Plus, du PLAI et du PLS mobiliserait de six à huit prêts, pour lesquels les bailleurs sociaux doivent demander une garantie aux collectivités locales – lesquelles sont plus ou moins enclines à l’accorder. On a pu évoquer l’idée d’un prêt ou d’un agrément globaux pour de telles opérations : je sais que ce sujet est éminemment complexe, mais il pourrait constituer une piste à explorer.

Le renouvellement automatique des conventions fige dans le temps la nature des revenus des bailleurs et potentiellement la population hébergée. Des politiques de modulation des loyers n’ont pas été mises en place par les bailleurs, probablement en raison de leur complexité. Il y a peut-être, là aussi, des voies de simplification à trouver, afin de permettre aux bailleurs de revoir la typologie au bout d’un certain temps et leur accorder un peu de souplesse, à masse de loyers donnée – y compris pour favoriser la mixité sociale dans certaines résidences et la mobilité dans le parc social, qui n’ont cessé de décliner pour des raisons qui sont simples à appréhender, mais qui figent les situations.

M. Serge Bossini. Rennes Métropole est une collectivité modèle en matière de politique de loyer : elle est la seule à avoir mis en place une politique de loyer unique, pour contourner le fait qu’un logement financé il y a trente ans pour un type de ménage donné est aujourd’hui occupé par un ménage aux caractéristiques différentes, dans un contexte où la ville a considérablement évolué.

Ce modèle ressemble de plus en plus au marché libre : à une typologie donnée correspond un loyer, où que ce soit dans la métropole. Du point de vue du parcours de l’usager et des ménages, c’est une promesse de mixité sociale, puisque les ressources du ménage n’entrent pas en ligne de compte pour choisir la localisation. Une cotation des besoins du ménage est établie par les bailleurs et la métropole. C’est un exemple intéressant de simplification, non pour le bailleur, mais pour l’usager.

L’Ancols a réalisé une étude qualitative sur les nouvelles politiques de loyer pour essayer de comprendre pourquoi ces politiques n’avaient pas prospéré. Il en ressort que l’insécurité juridique fait partie des risques que refusent de prendre les bailleurs : ils craignent de se lancer dans un changement de leur système d’information (SI) pour ensuite constater, trois ans plus tard, que la politique a de nouveau évolué ; ils préfèrent rester sur du standard. Rennes Métropole a obtenu une prolongation de dérogation à la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS » ; elle vit donc sous le couperet d’un possible retour en arrière. Le risque législatif et la complexité des SI doivent être pris en compte.

Les normes sont complexes pour de très bonnes raisons et elles tendent à se sédimenter. Il est ensuite demandé à l’administration d’imaginer une sorte de « couvercle » qui permette à l’usager de s’y repérer. Quelquefois, ça marche ; mais quand les normes sont trop complexes (par exemple, en matière de financement), le coût de la simplification chez le bailleur au bénéfice de l’usager devient trop élevé. En l’occurrence, je pense qu’il faudra simplifier les zonages, car les zonages pour calculer les plafonds de loyers ne sont pas les mêmes que pour calculer les plafonds de ressources. Ces derniers prennent en compte des compositions de ménages qui ne sont pas des unités de consommation, parce que certains types de ménages comme les jeunes couples ont des plafonds de ressources différents des autres couples. Toute cette complexité peut se comprendre, dans l’intention politique qui est celle d’un service public, mais elle rend les choses illisibles et difficiles à fluidifier ultérieurement, y compris pour connaître ses droits.

J’imagine qu’on vous pose souvent cette question difficile dans vos circonscriptions : ai-je droit à un logement social ? Il faut non seulement connaître le revenu, mais aussi la composition du ménage (et pas seulement le nombre de personnes dans ce ménage) et l’établissement public de coopération intercommunale dans le ressort duquel la personne souhaite habiter. En outre, les personnes n’ont pas accès au même segment du parc selon leur niveau de revenus et qu’on est en PLS, en Plus ou en PLAI. Ces éléments nuisent beaucoup au parcours résidentiel des ménages, dont certains abandonnent leur demande de logement social parce qu’ils ne comprennent pas le fonctionnement du système. Certains ménages refusent le logement attribué lorsqu’ils le découvrent, car tous les bailleurs n’organisent pas des visites a priori.

Nous avons beaucoup parlé des bailleurs aujourd’hui ; mais, le législateur devrait penser au parcours de l’usager et à ce qu’il voit réellement du logement social…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Quand Rennes Métropole a-t-elle commencé son expérimentation ? Nous pourrions éventuellement l’auditionner.

M. Serge Bossini. La loi 3DS a prolongé de cinq ans l’expérimentation ouverte par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « Alur », en 2014. Rennes Métropole a vraisemblablement commencé son expérimentation à cette date ; elle n’est d’ailleurs pas complète, car les loyers uniques ne sont appliqués qu’à la relocation, elle-même soumise à la lenteur de la mobilité interne.

Rennes Métropole s’est dotée d’un programme local de l’habitat (PLH) intercommunal bien avant que la loi ne l’impose. Ce territoire a mis le logement au cœur de sa structuration politico-territoriale depuis Edmond Hervé.

M. le président Stéphane Peu. Il me semble que la CGLLS avait dû accompagner des organismes confrontés à des difficultés du fait de leur recours à des « prêts toxiques ». Je m’inquiète de savoir si la hausse du taux du livret A (TLA) n’ouvre pas la possibilité d’une nouvelle dérive de ce genre.

Mme Marianne Laurent. Cette pratique a effectivement été beaucoup utilisée par les bailleurs, qui ont recouru à des produits complexes. Il y a eu des swaps et des prêts à options ; dans tous les cas, ce sont des options complexes sur des produits dont les bailleurs ne maîtrisaient pas les sous-jacents, parce que ce n’était pas leur métier et que les banques ont largement commercialisé ces instruments.

Il y a eu quelques placements avec options, qui ont pu connaître des sorts divers. C’est beaucoup plus grave pour de l’endettement, car, quand le taux d’intérêt passe de 3 % à 30 %, ce n’est plus du tout la même histoire… Je pense que les banques ne commercialisent plus ce type de produits. Pour avoir souscrit des swaps pour couvrir le taux du livret A, je peux confirmer qu’il vaut mieux éviter toutes ces options, qui sont fondées sur des projections.

Des couvertures d’inflations et de taux existent, mais le livret A est administré : ce n’est pas un produit de marché. Je décommande donc fortement d’avoir recours à des swaps pour couvrir ses variations de taux, y compris avec des produits simples pour lesquels les sous-jacents sont clairs, sous peine d’être pris à revers. La fixation du taux du livret A à 3 % est une bonne décision pour les bailleurs, mais elle a pu générer des pertes dans certains bilans où il y avait des swaps. Ce sont des produits complexes dont il faut s’éloigner.

Je défends ardemment ce produit simple qu’est le livret A. Lorsqu’il a été un peu « hors marché » cette dernière décennie, les bailleurs se sont tournés vers les banques et ont pu profiter de taux fixes bas. Le marché est désormais retourné, puisque les taux n’y sont plus intéressants pour les bailleurs ; d’où le retour à une logique de souscription d’emprunt adossé au livret A, avec des bonifications d’intérêt que la Banque des territoires met en place en accord avec le ministère des finances. Il n’y a pas de risque que ce robinet financier se ferme et tous les bailleurs sont traités équitablement.

M. le président Stéphane Peu. J’imagine que l’Ancols et la CGLLS ont désormais établi une doctrine sur le sujet.

Mme Marianne Laurent. L’interdiction de souscrire ce type de produit est effectivement embarquée dans tous les protocoles signés.

M. Serge Bossini. En ce qui nous concerne, nous constatons encore des swaps, y compris chez des bailleurs de référence qui connaissent bien la Banque des territoires. Quand c’est pour couvrir le TLA par du taux fixe, nous sommes très loin de prêts toxiques. Néanmoins, il y a un surcoût et un pari : nous le signalons dans nos contrôles.

M. le président Stéphane Peu. J’ai noté vos propos sur la Véfa, les risques induits par un recours massif à cet instrument, ces dernières années, et la perte de la capacité de maîtrise d’ouvrage des organismes. Cette perte peut également être un handicap pour la réhabilitation, pas seulement pour la production neuve.

Pourquoi, maintenant que les promoteurs sont en difficulté et invités à déstocker leurs logements pour passer le cap, dans un domaine aussi réglementé que le logement social, le prix de la Véfa n’a-t-il jamais été réglementé ? Est-ce que ce serait nécessaire ?

Mme Marianne Laurent. Nous sommes là sur une pure logique de marché. Les prix de revient et les coûts de la construction ont beaucoup augmenté. Les promoteurs estiment que les ventes en bloc ne génèrent que des micro-marges et ils semblent ne répondre que peu, voire pas, aux appels à manifestation d’intérêt lancés par les groupes qui souhaitent se porter acquéreurs.

Il me paraîtrait compliqué de réglementer complètement la Véfa. Certaines collectivités locales, pour accorder leurs garanties, plafonnent le prix de la Véfa, mais ce système fonctionne moyennement.

M. Serge Bossini. Il faut tenir compte des rapports de force entre collectivités et promoteurs, qui sont plus ou moins favorables à la collectivité. Dans certains cas, elles réunissent à donner des indications de prix de sortie aux bailleurs.

Faute de réglementation, il est difficile de fixer des prix dans un mécanisme soumis à des moteurs de coûts, en particulier pour les coûts de construction, de l’énergie ou des matériaux, qui relèvent du marché. Plafonner le prix des Véfa pourrait induire des marges négatives et entraîner l’abandon de l’opération.

M. le président Stéphane Peu. Nous savons combien coûte un logement produit par un bailleur et combien coûte un logement acheté par un bailleur à un promoteur. La « matière première » étant le foncier, le développement massif de la Véfa est aussi une invitation à faire augmenter le prix du foncier, sans encadrement, comme cela s’est beaucoup fait à Paris. J’ai en mémoire la ZAC des Batignolles, avec des Véfa soumises à des prix administrés et entraînant une élévation anormale du prix du foncier. Il y a un sujet de régulation et les organismes de contrôle que vous représentez auraient peut-être des suggestions à présenter.

M. Serge Bossini. Je vous renvoie à notre étude de juillet 2023, qui compare les prix de sortie des logements en maîtrise d’ouvrage directe aux prix de logements achetés en Véfa. La Véfa est bien moins chère que la maîtrise d’ouvrage directe.

Sur l’évolution du prix du foncier, nous avons besoin de produire des connaissances nouvelles, car, au cours de ces dernières années, l’évolution du prix de sortie des logements est parallèle à l’évolution du prix du foncier. Ce dernier a accompagné un renchérissement du prix de production au niveau global – sans parler de situations particulières en zones très tendues ou de fonciers non remplaçables, qui défient tout entendement.

M. le président Stéphane Peu. Vous dites que vos analyses montrent que la Véfa est moins chère que la production directe ?

M. Serge Bossini. Oui, elle est moins chère de 10 % environ, du fait du mécanisme de régulation à l’intérieur de l’opération : l’opération sociale à l’intérieur de l’opération mixte bénéficie des prix de sortie très élevés de la partie libre. De ce fait, la Véfa est un principe intéressant. Comme les prix s’envolent, l’idée est de collecter une forme de subvention à la fois pour payer le foncier de la part publique de l’opération et pour limiter les prix de sortie de la Véfa.

M. le président Stéphane Peu. J’en prends acte, mais je suis surpris : sur mon territoire de Seine-Saint-Denis, j’ai toujours constaté l’inverse. Les Véfa s’achetaient entre 3 000 et 3 500 euros par mètre carré, quand la production directe s’élevait à 2 600 euros par mètre carré. Je suis étonné que la Véfa puisse coûter moins cher que la production directe pour un organisme HLM.

Mme Marianne Laurent. Je souhaite enfin évoquer le sujet des garanties des collectivités locales, même si la décentralisation n’est pas au cœur de mon métier. Il n’y a pas d’alerte particulière, c’est-à-dire que nous ne constatons pas une envolée des demandes de garanties auprès de la CGLLS au motif que les collectivités locales se seraient retirées massivement. La plupart des opérations restent garanties par les collectivités locales.

En revanche, le nombre d’opérations pour lesquelles nous apportons une garantie à 100 % est en nette progression. Or la garantie de la CGLLS est normalement subsidiaire : elle ne devrait pas constituer 100 % d’une opération… mais nous n’empêcherons évidemment pas la réalisation d’une opération au motif qu’une garantie à 100 % doit être apportée.

Comme nous parlons beaucoup de l’échelon de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) comme étant celui potentiellement pertinent, il me semble que la réflexion pourrait embarquer l’analyse du processus de bout en bout, afin que l’EPCI puisse également apporter sa garantie aux prêts nécessaires. La CGLLS se trouve en bout de chaîne : le permis de construire a été accordé il y a bien longtemps, tout comme l’agrément, l’immeuble est en construction ou tout juste livré ; les financements se mettent en place et la recherche de garanties intervient, alors que tout le monde a oublié la satisfaction de la commune ou de l’EPCI que telle opération se fasse ou que tel type de locataires puisse bénéficier de ces logements. Toutes les collectivités ont leur autonomie quant à la délivrance d’une garantie, mais les communes et les établissements publics de coopération intercommunale n’y sont pas toujours. La plupart des départements y sont, mais pas tous.

Par ailleurs, nous constatons que de nombreux règlements sont adoptés de manière autonome par des communes sur le territoire d’une collectivité ou une collectivité vis-à-vis des communes. À la fin, la somme des règlements entrave l’obtention de garanties pour une opération. Je tenais à vous en faire part.

M. le président Stéphane Peu. Les garanties ne font pas partie des ratios de la loi Galland.

Mme Marianne Laurent. Elles ne rentrent effectivement pas dans le calcul des ratios Galland. Le code de la construction et de l’habitation et le code général des collectivités territoriales réservent un traitement spécifique à ces garanties au secteur du logement social, en bout de chaîne.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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9.   Audition de M. Damien Botteghi, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, M. Emmanuel Rousselot, sous-directeur du financement et de l’économie du logement, M. Benoît Chantoiseau, chef du bureau du développement de l’offre de logements sociaux et intermédiaires, et M. Raphaël Montagner, adjoint au chef du bureau de la fiscalité du logement et de l’aménagement (mercredi 18 octobre à15 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. La mission d’information qui nous a été confiée par la présidence de l’Assemblée nationale porte sur les problématiques du logement au sens large : contrairement à des missions précédentes, qui étaient focalisées sur tel ou tel aspect de la politique du logement, celle-ci est beaucoup plus étendue.

Un projet de loi sur les propriétés dégradées a été présenté ce matin, qui sera sans doute débattu d’ici la fin de l’année ; une proposition de loi sur les meublés touristiques est attendue au premier semestre 2024 ; une loi-cadre sur le logement, avec un volet relatif à la décentralisation, devrait être présentée au premier semestre 2024. Telle est la perspective dans laquelle s’inscrivent nos réflexions.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Notre souhait est de disposer d’une feuille de route qui, malgré les nombreux acteurs, nous permette à la fois d’assurer un parcours résidentiel à chaque étape de la vie de chacun et de répondre aux enjeux des différents territoires en matière de logement. Parfois le logement pèche pour les étudiants, mais il peut pécher aussi pour les entreprises souhaitant s’installer sur un territoire. Aujourd’hui, il pèche pour les multiples raisons que nous connaissons (inflation, hausse des taux d’intérêt, etc.) et qui empêchent certains de bouger et de libérer un logement qui pourrait permettre à d’autres d’en acquérir un.

La volonté de cette mission est de disposer d’une caisse à outils, dans laquelle nous pourrions piocher en cas de blocage, et surtout de remettre de l’huile dans les rouages pour faire en sorte de trouver des solutions.

M. Damien Botteghi, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP). La situation est aujourd’hui complexe à beaucoup d’égards. Nous parlons de « crise du logement », mais ce mot, à force d’être utilisé depuis des années, a de moins en moins de sens. Il existe évidemment des facteurs circonstanciels et liés à la conjoncture des taux d’intérêt, des coûts de la construction, etc. ; des réponses de court terme sont proposées par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Les causes sont toutefois largement structurelles ; elles appellent des réponses plus profondes et qui, par ailleurs, dépendent des territoires.

Les situations ne sont en effet pas les mêmes sur l’ensemble du territoire. L’attention se porte naturellement sur les zones tendues, où la demande est la plus forte, mais toutes ne sont pas toutes tendues pour les mêmes raisons : une agglomération et un littoral touristique ne sont pas dans les mêmes situations et n’ont pas les mêmes origines de contraintes. Il existe inversement des problématiques plus spécifiques aux zones détendues, comme celle de la vacance.

Vous nous interrogez, en premier lieu, sur le pilotage de la politique du logement. Indéniablement, la DHUP considère – comme la législation le porte d’ailleurs depuis un certain temps – que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) constituent l’échelon approprié pour assurer un pilotage stratégique. C’est le niveau auquel les programmes locaux de l’habitat (PLH) sont normalement élaborés.

S’agissant de la politique de peuplement et des attributions, la dynamique pousse également à monter au niveau intercommunal, en cohérence avec le PLH et le dialogue collectif. L’intercommunalité est la maille adéquate pour des réponses efficaces et qui ne portent pas sur des territoires trop petits. Depuis la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (2014), dite loi « Alur », la dynamique enclenchée est très largement centrée autour de l’EPCI.

Je sais qu’il y a une forte demande, notamment pour les attributions, de revenir au niveau communal ou de le conforter ; une proposition de loi en ce sens a d’ailleurs été votée en première lecture au Sénat, il y a quinze jours. Nous pensons que la maille communale est un peu trop fine pour mener des politiques efficaces de diversification du peuplement et de mixité sociale. C’est la raison pour laquelle l’EPCI, en association évidemment avec les communes membres et les maires, nous paraît se situer au bon niveau.

J’ajoute que les autorités organisatrices de l’habitat (AOH) au sens de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS », qui ont encore besoin de monter en compétences et en contenu, bâtissent également leur écosystème autour de cet échelon.

S’agissant de la production, la construction neuve constitue, dans les circonstances actuelles, le segment qui pose le plus de difficultés. Les difficultés d’accès sont à la fois conjoncturelles et structurelles. Afin de contribuer à la solvabilisation de la demande, le projet de loi de finances pour 2024 recentre le prêt à taux zéro (PTZ) sur le neuf, le tendu et le collectif.

Pour sauvegarder la capacité d’investissement des bailleurs sociaux, le maintien du taux du livret A à 3 % est extrêmement significatif, puisque tout le dispositif de financement de la production neuve de logement social est fondé sur les prêts bonifiés et l’épargne réglementaire.

Les autres outils de court terme sur la production neuve sont, en tout cas dans le parc privé, relativement modestes. Un travail est clairement engagé pour faciliter la libération de foncier. Il y a aussi des réflexions, portées par le ministre de l’économie et des finances, sur la capacité des banques à prêter.

S’agissant des bailleurs sociaux, les sujets sont nombreux et parfois conflictuels. Lors du congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH) à Nantes, le ministre chargé du logement a fait un certain nombre d’annonces significatives. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a proposé un travail intéressant sur le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) et le prêt locatif à usage social (Plus), pour restaurer l’attractivité de ces deux produits.

Je rappelle aussi le soutien financier public important sur la rénovation, puisque 1,2 milliard d’euros (Md€) sont mobilisés sur trois ans, soit 400 millions d’euros (M€) par an pour la rénovation du parc.

S’agissant des Perspectives sur le logement social récemment publiées par la Banque des territoires, la production neuve et la rénovation du parc existant, qu’il soit social ou privé, ne doivent pas être opposées dans l’esprit de la DHUP et il est tout à fait possible, financièrement et techniquement, de les faire avancer conjointement. C’est certes financièrement très lourd et cela ne mobilise pas les mêmes mécanismes, mais les deux sont combinables.

L’enjeu de la production neuve est de produire là où il faut, un objectif qui peut être partagé par tous et auquel le dispositif Pinel, appelé à s’éteindre, n’apportait pas une réponse appropriée. Faut-il produire cinq cent mille, trois cent mille ou quatre cent mille logements par an ? Le débat peut être ouvert, mais il nous semble que là n’est pas l’essentiel.

Un travail fin est à mener sur les produits du logement social eux-mêmes, notamment les PLAI et les Plus. Nous constatons un déséquilibre entre ces produits : le PLS présente une attractivité forte, mais qui est supérieure aux besoins ; le PLAI et le Plus ont une attractivité moins forte, pour des raisons techniques et politiques, singulièrement pour le PLAI. Ceci explique les annonces de la Caisse des dépôts et consignations pour rendre le PLAI attractif en termes d’équilibre financier. Quant au Plus, un produit qui peut paraître déséquilibré aux acteurs – y compris en termes de soutien financier –, nous nous attachons à le rééquilibrer pour qu’il soit plus utilisé dans la production de logement social, le Plus et le PLAI étant destinés aux publics sociaux et très sociaux.

Le développement du logement intermédiaire est poussé par beaucoup d’acteurs de la filière et par le gouvernement. L’actuel ministre chargé du logement a tenu des propos très clairs, lors du congrès de Nantes, sur la mise en place de dispositifs au soutien de la production de logements intermédiaires, qui sont beaucoup plus orientés vers la classe moyenne.

S’agissant du foncier, le projet de loi de finances pour 2024 propose des abattements exceptionnels temporaires pour les terrains à bâtir et de retravailler sur l’imposition des plus‑values de cession à horizon de vingt ou trente ans.

La sobriété foncière et la mise en œuvre du « Zéro artificialisation nette » (ZAN) relèvent d’un exercice complexe de gestion des contradictions. Au cours de la première période (2020-2030), il est tout à fait possible d’atteindre le volume de constructions neuves attendu à l’échelle du territoire français tout en tenant l’objectif de diminuer de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf). Cela nécessite de travailler sur le recyclage foncier et sur toutes les thématiques de « dents creuses ». Le travail est compliqué et nécessite de nouveaux outils, mais, en termes de gisement, c’est tout à fait réalisable.

Avec la seconde étape (2031-2050), il faudra basculer vers une logique de projets de territoire. Nous en sommes aujourd’hui au stade des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet), appelés à être déclinés progressivement ; à partir de 2031, ce sera au niveau des plans locaux d’urbanisme que les choix auront à être réalisés, dans le cadre de véritables projets de territoire. Même si ce travail est complexe et qu’il nécessite de revoir une partie des habitudes de construction et d’aménagement, singulièrement sur l’artificialisation par extension, nous sommes capables d’intégrer ces problématiques et de trouver les gisements au niveau de la parcelle.

De manière générale sur le foncier public, qui représente environ 50 % du coût de sortie de la construction neuve et dont le coût croît depuis vingt ans, des pistes sont explorées. Nous savons que la « décote Duflot » ne fonctionne pas très bien et peut être améliorée. Les agglomérations peuvent aussi mener un travail technique sur le niveau des décotes, même si, depuis une loi de 2019, ces décotes sont plafonnées – ce n’était pas le cas auparavant, ce qui permettait des négociations plus souples.

Le Conseil national de la refondation (CNR) souhaite mettre fin aux enchères publiques pour la vente du foncier public. Des outils fiscaux seront présentés dans le projet de loi à venir, permettant de libérer une partie du foncier.

Les établissements publics fonciers d’État ou locaux couvrent quasiment 90 % de la population française et constituent des outils de portage intelligents, qui travaillent dans la durée, ont la connaissance technique et peuvent jouer un rôle contracyclique. Ces outils sont plus ou moins appropriés selon les territoires, mais ils sont en mesure d’assurer l’ingénierie sur le portage foncier, sur l’achat et tout ce qui permet de faire du recyclage urbain intelligent, voire très sophistiqué.

S’agissant de la vacance, une mission spécifique au sein de la DHUP et une start-up d’État travaillent sur ce sujet important. La vacance structurelle, c’est-à-dire celle de plus de deux ans, concerne 1 million de logements, soit un peu plus de 3 % du parc privé en France : sans être totalement négligeable, l’enjeu n’est donc pas considérable. Il s’agit plutôt d’un problème de zone détendue que de zone tendue, ce qui explique que cette thématique soit intégrée à France Ruralité et à d’autres programmes.

Dans le détail, 65 % des vacances s’expliquent par des raisons d’obsolescence des biens. Viennent ensuite les problèmes de succession, les blocages juridiques, les propriétaires qui ont une mauvaise expérience locative et qui préfèrent renoncer… mais, globalement, ce sont des biens en mauvais état : on finit par retomber sur des problématiques d’accompagnement et de financement de la rénovation. Une partie des réponses est donc portée par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) pour le ciblage des publics sociaux, avec MaPrimeRénov’ pour la réhabilitation et, à partir de 2024, un dispositif de rénovation énergétique qui s’oriente vers une rénovation plus structurelle que le geste individuel, le vecteur énergétique ou le changement des huisseries et fenêtres.

La mission et le travail de beaucoup d’acteurs comme l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l’Anah consistent, en réalité, à aller voir les propriétaires de logements vacants, dans les bourgs et les villages, afin de leur présenter les solutions auxquelles ils pourraient avoir accès.

Il existe une taxe sur les logements vacants et une taxe d’habitation sur les logements vacants, mais cette dernière est peu mobilisée. La taxe sur les logements vacants (TLV) a fait l’objet d’un zonage en application des dispositions de la loi de finances pour 2023 et afin d’ouvrir cette taxe, auparavant limitée à des communes de plus de cinquante mille habitants, à beaucoup plus de communes : 2 200 communes supplémentaires peuvent désormais lever la taxe sur les logements vacants. L’outil est donc utile, mais il peut certainement être amélioré : en l’état, c’est une ressource non affectée qui abonde le budget de l’État – ce qui peut être un sujet du point de vue des collectivités, puisque ce n’est pas une taxe locale ; par ailleurs, le taux de majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires est défini au niveau national, dans une fourchette comprise entre 5 % à 60 % – ou pourrait donc ouvrir un débat sur la possibilité de moduler ou, en tout cas, de donner des marges de manœuvre sur cette taxe… voire  sur l’affectation de cette taxe et le caractère incitatif de cette fiscalité.

La taxe d’habitation sur les logements vacants, qui est liée à la TLV, rencontre les mêmes difficultés.

S’agissant des besoins spécifiques des personnes âgées, nous sommes en phase de mise en œuvre de MaPrimeAdapt’, qui sera effective à partir du 1er janvier 2024 : elle sera portée par l’Anah, mais nous en assurons le pilotage. Cette prime, annoncée par le Président de la République l’année dernière, correspond à une aide unique à l’adaptation des logements au vieillissement et au handicap, avec un objectif de 680 000 logements aidés dans les dix prochaines années, pour un budget évalué à environ 1,5 Md€ (et un sous-objectif de 250 000 logements d’ici à 2027). Cette prime sera presque universelle, puisqu’elle sera versée aux personnes de plus de soixante-dix ans sans condition de perte d’autonomie ; elle sera également ouverte aux moins de soixante-dix ans en perte d’autonomie précoce.

Par ailleurs, il est proposé de prolonger, jusqu’en 2025, le crédit d’impôt autonomie, qui est remplacé par un nouveau mécanisme pour continuer à prendre en charge les populations couvertes jusque-là.

La gestion en flux des logements sociaux, comme la cotation, peine à se mettre en œuvre malgré les injonctions législatives.

Le bail réel solidaire (BRS) est un outil récent, qui est très attractif. Il n’aboutit, pour l’instant, qu’à peu de réalisations concrètes, mais c’est normal – je crois que nous atteignons neuf cents réalisations de logements. En revanche, les organismes de foncier solidaire (OFS) sont agréés en nombre et plusieurs dizaines sont maintenant créés sur le territoire. Nous tentons désormais de les étendre au tertiaire.

Nous menons également un travail pour rehausser les plafonds, qui ne permettent pas forcément aux classes moyennes et moyennes-supérieures d’accéder aux logements ainsi construits, notamment dans les grandes agglomérations ; or ce public est également visé. Nous soutenons cet outil, qui demande néanmoins de l’ingénierie et reste toutefois une réponse très ponctuelle, une réponse de « niche ».

M. le président Stéphane Peu. Vous avez indiqué que le débat sur le volume de la production de logements dans notre pays pouvait être ouvert, tout en considérant que le sujet était peut-être secondaire. Il est tout de même sensé de se fixer des objectifs et de savoir quelle direction prendre en fonction des besoins.

Puisque vous nous invitez à descendre au niveau des territoires, je voudrais vous faire réagir sur un document. Si nous cumulons les PLH, qui sont au plus près des territoires et des élus locaux, nous arrivons, selon une étude qui nous a été communiquée, à un besoin de cinq cent mille logements environ et de 198 000 logements sociaux. Ce qui signifie que, si nous prenons le problème à l’envers en nous rapprochant de l’expression des besoins, nous arrivons à des chiffres jamais atteints et révélateurs du niveau des attentes.

Deuxièmement, vous avez à juste titre parlé des questions foncières, qui sont un problème majeur, avec des lois qui peuvent être difficiles à concilier – voire contradictoires – entre les ambitions de produire et les restrictions sur l’utilisation du foncier. L’autre problématique liée au foncier est l’explosion des coûts, ces dernières années, et l’absence de cadre réglementaire pour la valorisation des fonciers par les investissements publics, qu’ils soient issus de l’État ou des collectivités : j’ai en tête le réseau de transport du Grand Paris, qui valorise des fonciers sans être encadré par une régulation. La DHUP conduit-elle une réflexion sur une grande politique de régulation foncière, de sorte que les établissements publics fonciers, qui sont effectivement des outils formidables, ne fassent pas seulement de la réserve foncière, mais interviennent également sur la régulation de ce foncier ? Êtes-vous ouverts, sur le plan réglementaire, à une extension du droit de préemption pour un motif de régulation des coûts, au-delà du seul motif de l’utilité publique ?

Vous avez, en troisième lieu, indiqué que la crise de la production comporte des dimensions conjoncturelle et structurelle. Vous avez bien décliné la dimension conjoncturelle, mais pas la dimension structurelle. Quels sont, selon vous, les facteurs structurels qui expliquent ou aggravent la crise de la production qui est aujourd’hui observée ?

M. Damien Botteghi. On parle depuis des décennies de cinq cent mille logements à construire, un objectif qui n’a jamais été véritablement atteint. Les discours qui brandissent ce chiffre comme un totem ont pour inconvénient de ne pas se pencher suffisamment sur les besoins réels de chaque territoire.

M. Benoît Chantoiseau, chef du bureau du développement de l’offre de logements sociaux et intermédiaires. Aujourd’hui et afin de donner un ordre de grandeur, 300 à 350 PLH sont exécutoires ou en phase de signature, qui couvrent environ 33 millions de personnes en France, c’est-à-dire à peu près la moitié de la population. Ils représentent 1,2 million de logements en cumulé sur six ans, c’est-à-dire environ deux cent mille logements programmés par an, uniquement en production. Nous avons des difficultés à récupérer les objectifs de production sociale, qui ne sont pas renseignés par toutes les collectivités. Cet objectif de deux cent mille logements à produire ne tient pas compte du « taux de chute », c’est-à-dire du fait que, que lorsque nous autorisons cent logements, nous n’aboutissons pas à cent logements privés. Les objectifs d’un PLH s’entendent donc plutôt comme un besoin de logements projetés, c’est-à-dire livrés.

M. Emmanuel Rousselot, sous-directeur du financement et de l’économie du logement. Parmi les facteurs déterminants du besoin en logements – et donc du besoin de construction –, au-delà des projections sur la démographie et la taille des ménages, figurent les rythmes de résorption des situations de mal-logement liées à l’indécence, au surpeuplement, à la situation financière des ménages ou encore à des ménages dont le logement n’est pas adapté à la composition familiale. Dans les hypothèses de chiffrage, cette variable est déterminante, mais elle n’est pas toujours prise en compte. In fine, la question porte sur la détermination des besoins au niveau territorial plutôt que sur un chiffre national.

M. Benoît Chantoiseau. Nos travaux s’attachent à dissocier le « besoin en construction » du « besoin en production », notamment sociale : ce dernier peut être satisfait par de la construction, mais également par la remobilisation du parc existant via des mécanismes d’acquisition-amélioration et, éventuellement, la recomposition des logements – notre parc de logements sociaux est essentiellement composé de grands logements, construits dans les années soixante et soixante-dix, alors qu’aujourd’hui, les deux tiers des demandes concernent des petits logements. La construction et la production de logements ne sont donc pas toujours des concepts interchangeables.

M. Damien Botteghi. S’agissant de la question foncière et du rôle des OPH, la position de la DHUP est bien que la mission des OPH n’est pas seulement de faire du portage financier, mais aussi des formes de régulation foncière.

Nous travaillons sur la question du droit de préemption et sommes ouverts à une évolution de son périmètre. Certaines collectivités en font déjà un usage extensif, notamment dans un département que vous connaissez bien, mais ces démarches font parfois l’objet d’annulations juridictionnelles. Il existe une demande de confortement de l’outil, pour avoir un droit de préemption qui pourrait notamment être utilisé pour « refroidir le marché » et lutter contre la spéculation foncière ; un travail technique doit permettre de définir cette spéculation, car il n’est jamais évident de définir un prix « anormal » de marché.

La valorisation et les mécanismes de décote du foncier public issus de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite loi « Duflot », n’ont pas très bien fonctionné, en raison notamment du captage de la plus-value. Après les opérations d’aménagement, des opérateurs peuvent développer des projets sur les terrains, puis les mettre en vente, parfois à des prix très élevés ; les plus-values réalisées reviennent alors totalement aux opérateurs et aux propriétaires successifs. Il existe certes des outils contractuels, imaginés par des notaires, permettant que la plus-value liée à un effort public ne soit pas captée par les propriétaires successifs.

Certaines collectivités, qui ne disposent pas de ces mécanismes anti-spéculatifs, peuvent être dissuadées de vendre. De tels mécanismes pourraient donc faire partie de la panoplie pour inciter à la mise à disposition du foncier public, en plus du portage et du droit de préemption.

S’agissant des causes structurelles et dans la continuité des propos de Benoît Chantoiseau, nous devons effectivement nous entendre sur la production et la construction. Nous pouvons offrir plus de logements sans forcément construire du neuf – il existe beaucoup d’outils disponibles et des réflexions à mener sur le réinvestissement de l’existant.

Concernant le peuplement, nous savons que 60 % du parc privé est considéré comme sous-peuplé, selon les chiffres de l’Insee. Nous disposons donc d’une ressource, mais qui nécessite un travail très fin, notamment en zone pavillonnaire. Travailler sur 5 % du pavillonnaire d’Île-de-France nous permettrait de répondre aux besoins de production de logements en Île-de-France. Ce travail à l’îlot, sur les plans locaux d’urbanisme, est complexe du fait des problématiques de parkings, très bloquantes pour les opérations. Ce type de réponse doit être exploré, en parallèle au soutien par les prêts à taux zéro.

Se pose également la question du rôle joué par les plans locaux d’urbanisme (PLU) : beaucoup d’opérateurs déplorent que ce qui est permis par les PLU n’est pas forcément autorisé, ce qui pose naturellement problème.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Nous devons réfléchir à des PLU qui afficheraient des hauteurs non plus maximales, mais minimales.

Pourriez-vous mettre à notre disposition une sorte de resource data, qui donnerait les chiffres à atteindre, les évolutions démographiques en corrélation avec les besoins de chaque territoire, etc. ?

Dans le cadre de la réindustrialisation, des logements devront être créés. Or la politique du logement a toujours été décorrélée des autres politiques, tant du point de vue économique que du point de vue de l’aménagement d’un territoire. Quels sont les projets dans ce domaine ?

Nous devons mettre une boîte à outils à la disposition des territoires, au regard des enjeux auxquels ils sont confrontés – par exemple, pour loger les étudiants dans des conditions adéquates lorsque des filières d’enseignement supérieur se développent, mais également pour le parcours résidentiel des seniors, lorsque leur démographie est vieillissante.

Les différentes lois qui se sont succédé, depuis la loi SRU, ont toujours raisonné en termes de quantité et non de qualité et de réponses aux besoins de chaque territoire, en fonction de sa population et de ses évolutions. Maintenant que la trame urbaine est tissée, comment broder une politique en dentelle afin qu’elle réponde aux besoins des territoires, de manière harmonieuse et en évitant les problèmes aux différentes étapes de la vie ?

On rencontre des difficultés pour insérer des logements en milieu artificialisé et, surtout, des problèmes de financement lorsqu’il s’agit de reconstruire sur des friches. Des réflexions sont-elles conduites pour inciter, par des outils, les promoteurs ou les bailleurs à construire sur des friches plutôt que sur un terrain vierge ? La part de ces terrains diminue et il vaut peut-être mieux la consacrer à d’autres choses qu’au logement, puisque tout ce qui est construit en périphérie des agglomérations ne fait que renforcer les problèmes de mobilité et, parfois, les problèmes sociaux.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Une part importante des logements de demain est déjà construite aujourd’hui, sur un terrain déjà artificialisé sur lequel il y a du bâti. Quels seraient les outils pertinents pour réinvestir les centres urbains ou les centres-bourgs ? Ces zones souffrent de problèmes de désertification et de logements vacants, moins pour des raisons de prix ou d’indivision successorale que parce que ces logements sont inadaptés et qu’il est compliqué d’y vivre. Comme les problèmes d’accès au logement et d’usage du logement sont cumulatifs, les propriétaires peuvent renoncer, pendant des périodes relativement longues, à occuper ces locaux. Mon sentiment est qu’un important travail doit donc être réalisé sur les centres-bourgs, afin de les rendre de nouveau attractifs par des politiques de repeuplement associées à des restructurations. Quels sont, selon vous, les outils adéquats pour y parvenir ? Faut-il y déployer des opérations d’intérêt national (OIN) ou de grandes opérations d’urbanisme (GOU). Devons-nous adapter ces dispositifs ? Quel bilan dresser des outils existants ?

N’y aurait-il pas un problème d’adéquation du tissu économique pour répondre aux enjeux du logement ? Savons-nous faire autre chose que du neuf dans le cadre d’une production massifiée ? Si ce n’est pas le cas, que devrions-nous faire en termes de formation ?

Le foncier pâtit d’une injonction contradictoire : on ne peut pas demander simultanément à un producteur public d’optimiser ses actifs pour réduire sa dette et de faire de la décote. Le résultat, c’est qu’on ne fait rien ou pas grand-chose. Les exemples les plus criants sont les universités et les hôpitaux, qui montrent une vraie réticence à entrer dans ces schémas complexes…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. C’est également le cas de la SNCF…

M. Guillaume Vuilletet (RE). En effet ! N’aurions-nous pas des outils de démembrement à simplifier ou à reconfigurer, afin que, dans une forme de conciliation, le terrain utilisé puisse rester public pendant un certain temps, afin de rendre des choses plus faciles ?

S’agissant de l’habitat indigne, un des problèmes est le suivi individuel des logements, pour savoir ce qu’ils deviennent et comment ils sont entretenus – et pas uniquement au niveau des copropriétés. J’ai toujours entendu dire que la DHUP avait une réticence presque systémique à une forme d’immatriculation pour identifier un local, pouvoir le contrôler, avoir une traçabilité de ce qui a été fait ou pas. Est-ce le cas ? La position de la DHUP peut-elle évoluer ?

Certaines mairies ne respectent pas leur propre PLU. Pouvons-nous faire quelque chose pour un plus grand respect des textes existants ? La transformation des zones commerciales ne devrait-elle pas être simplifiée ? Dans ma circonscription, un tiers des centres commerciaux est aujourd’hui vide, du fait de la concurrence du commerce en ligne. Ces terrains artificialisés pourraient intégrer le grand mercato du ZAN ou être reconvertis.

La crise sanitaire a favorisé le développement du télétravail, ce qui signifie que des familles s’implanteront plus loin pour bénéficier de conditions de vie correctes au regard des prix qui leur sont proposés. Cela signifie aussi qu’elles auront besoin d’un pied-à-terre ou d’un hébergement, au moins temporaire, dans les cœurs de métropoles – car le télétravail « absolu » existe très peu. Menez-vous une réflexion sur le statut de ces hébergements ? Aujourd’hui, ils sont soumis à la taxe d’habitation et à la taxe foncière, c’est-à-dire qu’une des taxes entre par la fenêtre et ressort par la porte…

M. Damien Botteghi. Sur la question des friches, il existe une mobilisation, notamment financière, via le fonds Friches. Ce fonds est bien installé, il est géré localement et il permet justement de financer des projets sur les friches, sachant que la dépollution, qui est souvent assez complexe et coûteuse, est l’un des enjeux majeurs. Il recouvre à la fois des moyens (de l’ordre de 300 M€), de l’ingénierie et un soutien et constitue donc une partie de la réponse.

Sur la question du tissu urbain des centres-bourgs et petits centres-villes, nous disposons d’un outil qui fonctionne bien, à savoir les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah), qui donnent de la visibilité et permettent de reconfigurer des îlots. Nous avons par ailleurs le programme « Action cœur de ville », qui est porté par l’ANCT et qui permet d’accompagner les territoires.

Sur la question du démembrement, je ne peux qu’être d’accord. La dissociation du foncier et du bâti est une façon de répondre aux hésitations légitimes des collectivités sur la vente d’un foncier décoté, avec une perte de valeur. L’idée est de conserver la propriété du foncier, pour vendre ensuite les volumes à construire. Ce sont des choses qui se font déjà dans les territoires, il est tout à fait possible d’en faire un modèle.

Sur le statut ou la fiscalité spécifiques de l’hébergement provisoire, j’avoue que nous n’y avons pas particulièrement réfléchi. C’est une piste, mais la DHUP ne l’a pas explorée.

Les zones commerciales constituent, à l’évidence, de forts gisements. L’idée est de commencer par avoir des démonstrateurs, parce que l’imaginaire doit être réinventé : annoncer aux gens qu’ils logeront sur une zone commerciale réhabilitée, c’est pour l’instant un peu compliqué. Il faut passer par des étapes de renaturation, c’est donc également une question d’aménagement. J’ai compris d’un échange avec le directeur général de l’ANCT que Chartres notamment menait une politique assez avancée sur ces sujets et conduisait des projets intéressants.

Les entrées de ville recouvrent les mêmes problématiques de paysage. Je pense que nous pouvons avancer par les travaux d’aménagement, de renaturation et de reconfiguration des réseaux de transport, démontrant que ces zones ne sont pas enclavées. Les enfants iront à l’école facilement, dans un endroit agréable et porteur, avec des commerces autour : si nous parvenons à en apporter la preuve, nous trouverons toujours l’ingénierie nécessaire. Les promoteurs savent, de fait, que « c’est la guerre » pour trouver du foncier et le secteur privé s’orientera, de toute façon vers ces zones.

M. Emmanuel Rousselot. S’agissant de l’habitat indigne, vous avez évoqué la problématique des données et de leur mise à disposition pour estimer les besoins et mieux programmer. Il existe déjà les bases de données des notaires ainsi que des bases de données fiscales, notamment foncières – toutes ne nous sont pas accessibles au regard notamment du secret fiscal. Il y a aussi les données, en cours de publication, de l’enquête nationale sur le logement de 2020, qui donnent une vision globale et à laquelle la DHUP contribue.

L’outil Otelo d’estimation des besoins territorialisés en logements apporte également des éléments de réponse à la question de l’évaluation des besoins territoriaux. Il a été déployé par le ministère chargé du logement et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Il est ouvert aux collectivités locales, aux agences d’urbanisme, aux bailleurs sociaux et aux services locaux de l’État. Il permet à ces acteurs, à partir de projections de population et sur la base d’hypothèses locales relatives à l’évolution de la vacance et des résidences secondaires et aux besoins liés au mal‑logement, de réfléchir collectivement pour définir les besoins en logements des PLH. Nous assurons le déploiement de cet outil, qui est plutôt bien perçu et fait partie des éléments de la boîte à outils pour progresser.

Vous avez, par ailleurs, évoqué la question de l’identifiant. Des travaux sont en cours sur le référentiel interadministratif des logements et locaux non résidentiels (RIAL), un outil d’identification unique du logement, en lien avec la DGFiP et l’Insee, et permettant de suivre un logement, de savoir s’il est rénové, s’il est vendu, s’il est occupé par des locataires (par rapport à l’aide personnalisée au logement), s’il est indécent, s’il est indigne, etc. Ce chantier d’ampleur a commencé, il n’a pas encore abouti, mais il est vraiment essentiel et nous l’accompagnons.

M. Guillaume Vuilletet (RE). C’est une bonne nouvelle, même si l’invariant fiscal existe déjà.

M. Damien Botteghi. Sur l’habitat indigne, il existe aussi l’outil de suivi des sinistres (Histologe), qui répond à un certain nombre de préoccupations.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Je crois que la démarche est partie de la communauté d’agglomération de Pau et il s’agit d’un outil vraiment remarquable.

M. le président Stéphane Peu. Vous avez indiqué que si nous nous occupions de 5 % des pavillonnaires de l’Île-de-France, nous réglerions les problèmes de logement en Île‑de-France. J’entends des maires du Val-de-Marne, voire des Hauts-de-Seine, me dire que nous devons absolument maîtriser la division sauvage des pavillons. Aujourd’hui, dans beaucoup d’endroits, les pavillons sont divisés et un logement devient trois, quatre ou cinq logements, sans contrôle ni régulation ; les maires, les riverains et les voisins s’en inquiètent, ils n’y voient pas une solution à la crise du logement. Si cette division pavillonnaire est une réalité aujourd’hui en région parisienne, elle se fera ailleurs demain, partout où le logement est tendu : les maires en appellent à un encadrement plus sérieux, au-delà des autorisations de travaux.

Je crois beaucoup aux aménagements publics. Mais cet aménagement a-t-il le vent en poupe, aujourd’hui, dans notre pays ? Y a-t-il plus de zones d’aménagement concerté (ZAC) qui se créent que de ZAC qui se clôturent ? Intuitivement, j’ai l’impression qu’elles régressent. Dans ce cas, les vocations du maire-aménageur, du maire-bâtisseur ou de l’intercommunalité seraient compromises. En tout cas, si l’aménagement public devait régresser, nous devrions réfléchir à lui redonner ses lettres de noblesse et son intérêt, avec la limite qu’un chantier d’aménagement public s’inscrit souvent sur plusieurs mandats.

M. Damien Botteghi. J’ai conscience que mes propos étaient peut-être un peu réducteurs et provocateurs, mais la difficulté actuelle est bien que beaucoup de promoteurs cherchent du foncier et que les propriétaires privés ont des réflexes de division foncière. Le pavillonnaire présente des qualités urbaines et paysagères indéniables, qui font la qualité de vie dans ces lieux ; il nécessite un travail très fin sur l’existant, qui masque beaucoup de sous‑peuplement. Des cabanes en fond de terrain ou des garages inoccupés peuvent se transformer ; tous ces sujets peuvent être travaillés à condition d’être anticipés, ce qui n’est pas suffisamment le cas. La densification et la division foncières ne constituent pas toujours la réponse ; elles sont actuellement très dispersées et gérées à l’opération, ce qui peut aboutir à des paysages urbains peu agréables en l’absence d’un véritable dialogue sur la construction.

Grand Paris Aménagement entame une réflexion sur des secteurs d’aménagement pavillonnaire, pour fournir des réponses intelligentes avec une densité attractive : il ne s’agit pas simplement de diviser et de juxtaposer, ce qui ne serait effectivement pas désirable ; il est possible de faire de la densification du pavillonnaire d’une manière attractive et ces réponses pourront s’adresser à des étudiants ou à de l’intergénérationnel.

M. le président Stéphane Peu. Dans le Val-d’Oise, vous devez entendre, comme moi, les maires dire que cette situation est épouvantable. Là où il y avait une famille par pavillon, ils se retrouvent avec quatre familles dans des espaces de douze mètres carrés. Cela devient de l’habitat insalubre et le phénomène touche toute la deuxième couronne parisienne.

M. Benoît Chantoiseau. Ces problématiques sont plus de l’ordre des marchands de sommeil que de l’aménagement du territoire.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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10.   Audition de M. Pascal Boulanger, président, de Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles, et de M. Didier Bellier Ganiere, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI) (jeudi 19 octobre 2023 à 9 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. La présidente de l’Assemblée nationale nous a confié, à Mickaël Cosson et moi‑même, une mission sur le logement au sens large. Plusieurs rapports parlementaires ont déjà été écrits sur les meublés touristiques, sur la fiscalité, etc. Notre mission s’inscrit plutôt dans le cadre calendaire annoncé par le Gouvernement, à savoir trois lois sur le logement d’ici un an. Le premier projet de loi sera présenté avant la fin de l’année et se concentrera sur l’habitat insalubre et le fonctionnement des copropriétés.

M. Pascal Boulanger, Président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). On sent bien que le ministère du logement en a assez du droit de la copropriété, parce que celui-ci est trop exigeant et qu’il ne permet pas le dégagement de majorités pour réaliser des travaux.

M. le président Stéphane Peu. Il y a aussi la problématique de l’habitat insalubre. Elle a provoqué des drames ces dernières années à Marseille, mais aussi à Lille.

M. Pascal Boulanger. Le Lillois que je suis peut vous dire qu’il ne s’agit pas d’un sujet d’habitat insalubre. Le problème était bien connu de tous les professionnels. Quand le métro a été réalisé, il y a une trentaine d’années, de l’eau a été pompée. Or la plupart des maisons étaient sur des pieux en bois. Quand le bois reste dans l’eau, il ne pourrit pas ; mais s’il est au contact de l’air, il pourrit. D’après des contacts qui travaillent dans le BTP, plus d’une centaine d’immeubles dans le Vieux Lille seraient concernés par ce phénomène.

M. le président Stéphane Peu. Le problème de la rénovation des logements, c’est que, trop souvent, on rénove ce qui se voit et on s’exonère de ce qui ne se voit pas – notamment, les reprises en sous-sol. Je suis dans une ville où le métro a été creusé partout ; il advient parfois que des immeubles s’y écroulent, parce que les reprises en sous-sol et les confortements n’ont pas été réalisés comme il se doit.

Le Gouvernement annonce un deuxième projet de loi au premier trimestre 2024, qui portera sur les meublés touristiques. Le ministre annonce enfin – et le Président de la République l’a confirmé – la présentation d’une loi-cadre sur le logement d’ici la fin du premier semestre 2024, avec, entre autres, un volet relatif à la décentralisation. Nous nous inscrivons dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé cette mission, avec comme objectif de publier un rapport au premier trimestre 2024, de sorte qu’il puisse servir de base à un dialogue avec le Gouvernement pour la rédaction de cette loi-cadre.

M. Mickael Cosson, rapporteur de la mission d’information. À chaque étape de sa vie, on a un problème de logement lorsqu’on devient étudiant, lorsqu’on devient actif et lorsqu’on devient senior.

L’action publique a toujours raisonné en quantité, c’est-à-dire que l’on produit ; mais derrière, on n’affine pas les besoins. Or les besoins sont spécifiques à chaque étape de la vie et à chaque territoire. Une entreprise peut renoncer à s’installer sur un territoire à cause de la pénurie de logements. Comment donc adapter la production de logements aux besoins spécifiques des territoires ?

À chaque étape de la vie, on rencontre des blocages qui conduisent à une très faible mobilité dans le parc locatif. Les taux d’emprunt ont tellement monté que des personnes qui, autrefois, auraient pu accéder à la propriété, restent désormais dans le locatif.

Il faut réfléchir aussi sur l’habitat intermédiaire. Nous connaissons les difficultés que peuvent rencontrer aujourd’hui les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mais finir sa vie en Ehpad n’est pas non plus un but en soi : on devrait avoir des types de logements intermédiaires pour, justement, se rapprocher des commodités et gagner en indépendance, tout en ayant aussi un regard sur celles et ceux qui peuvent apporter des soins à domicile.

Nous voulions avoir votre regard sur ces sujets. Qu’est-ce que vous envisagez ? Y a‑t-il des évolutions à opérer dans la manière d’approcher un territoire sur la production de logements ? Quels sont les liens qui sont faits en fonction des activités qui veulent être présentes au sein d’un bassin de vie ?

L’aspect fiscal est un autre élément bloquant, qui n’incite pas non plus à la production.

Nous connaissons le constat. Nous attendons des solutions. L’idée est de se nourrir des différentes auditions pour pouvoir disposer d’un maximum de leviers pour relancer la machine.

M. Pascal Boulanger. Nous vivons une situation inédite. Les chiffres sont catastrophiques. L’année 2022 a été la pire depuis une cinquantaine d’années et, en 2023, nous serons à – 30 000, voire – 40 000, sur les réservations par rapport à 2022 et – 40 000 à – 50 000 sur les années à venir. La fédération des promoteurs est heureuse quand elle fait 160 000 à 165 000 logements par an ; en période de crise sanitaire, nous étions descendus à 132 000 ; en 2022, nous sommes descendus à 122 000 ; en 2023, nous serons très certainement inférieurs à 90 000 ; pour 2024, comme nous ne pouvons pas vendre ce que nous n’avons pas mis à la vente, je m’attends à des chiffres cataclysmiques.

M. le président Stéphane Peu. Est-ce que vous citez les chiffres des livraisons ?

M. Pascal Boulanger. Non, ce sont les chiffres des réservations.

Quelles sont les raisons de la crise ? Elles sont multiples. La première raison est une crise de l’offre, qui est la conséquence de plusieurs facteurs.

Premier facteur : depuis les dernières élections municipales, il y a trois ans et demi, des maires se sont mis en tête qu’ils ne voulaient plus délivrer de permis de construire, parce qu’« un maire bâtisseur est un maire battu ». Nous voyons sans arrêt des maires qui nous disent que notre dossier leur convient, mais que, politiquement, ils ne peuvent pas le porter. Certains maires vont jusqu’à nous conseiller de procéder ainsi : « Déposez très rapidement votre dossier. Je vais le refuser dans la foulée. Ensuite, vous nous attaquerez au tribunal administratif. Votre avocat se mettra en rapport avec le mien. Je vais perdre puisque vous respectez le PLU. Comme nous sommes en zone tendue, il n’est pas possible de faire appel, il faut monter tout de suite jusqu’au Conseil d’État. Je dirai aux administrés : “Nous n’allons pas au Conseil d’État, car c’est trop coûteux.” Votre permis passera en l’état, puisque j’aurai une injonction du tribunal administratif de le signer, mais moi, j’aurais sauvé ma tête vis-à-vis de mes électeurs puisque je pourrai rejeter la responsabilité de la décision d’accorder le permis de construire sur le tribunal. »

Cette attitude des maires conduit, d’après nos estimations, à une réduction de l’offre de 25 % à 30 %. Il faut savoir que les plans locaux d’urbanisme (PLU), qui sont déjà plus restrictifs que leurs prédécesseurs, les plans d’occupation des sols (POS), ne sont utilisés qu’à 65 % de leur capacité. Je pense que le PLU ou le permis de construire ne sert à rien, l’un des deux est superflu. À un moment, il faut se poser la question de la valeur du PLU : nous considérons que le PLU est la loi de la constructibilité ; les élus voient les choses différemment, ils disent que le PLU fixe un maximum et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent à l’intérieur des limites. Or ils savent pertinemment que, quand nous attaquons les décisions devant le tribunal administratif, ils perdent.

Le deuxième facteur, qui est en voie de diminution, est une crise des coûts de revient. Avec l’explosion des prix des matières premières et des autres intrants, une opération sur cinq a été stoppée, parce que son équilibre économique n’était plus assuré. Aujourd’hui, les prix des matières premières se sont stabilisés, les promoteurs ont intégré cette augmentation dans leurs prix et les entreprises du bâtiment se rendent compte que leurs carnets de commandes se vident. Elles ont une bonne visibilité à six mois, mais elles n’ont plus rien à neuf dix mois.

La deuxième raison est une crise de la demande, qui fait suite à deux phénomènes. D’abord, nous voyons beaucoup moins d’acquéreurs (– 30 % à – 35 %), parce que les prix et les taux d’intérêt ont augmenté. Ensuite, parmi les acquéreurs que nous voyons, le taux de désistement est passé de 13 % à 50 % environ. Cette hausse résulte de la combinaison de trois causes : le taux de désistement psychologique dans les 48 à 72 heures, la hausse des refus de prêt du fait des conditions imposées par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) et le relèvement des exigences des banques vis-à-vis des promoteurs.

S’agissant de ce dernier point, les banques, en temps normal, nous demandent de 35 % à 40 % d’acheteurs avant de donner la garantie financière d’achèvement, sans laquelle nous n’avons pas le droit de commencer les opérations. Aujourd’hui, comme les temps sont difficiles, les banques demandent plutôt 50 %. Que se passe-t-il alors ? Nous annonçons aux clients que nous démarrons les travaux en 2023. Comme nous n’avons pas nos 50 % en janvier 2023, nous disons à nos clients que nous repoussons le démarrage des travaux à juin. En juin, nous n’avons toujours pas atteint les 50 %. Les clients commencent alors à se désister, notamment parce que leur offre de prêt n’est plus valable et qu’alors qu’ils avaient un prêt à 2 % il y a six mois, ils ont aujourd’hui un prêt à 4 %, ce qui ne passe plus.

Voilà toutes les raisons pour lesquelles nous allons faire moins de 90 000 logements cette année en réservations alors que, normalement, nous en faisons plus de 160 000.

Vous nous interrogez sur les causes de la diminution de la production de logements sociaux. Les promoteurs construisent 54 % du logement social en France. Les bailleurs sociaux ont tendance à se « déshabiller » de leurs outils de production et de maîtrise d’ouvrage, parce que, quand ils achètent chez nous, ils payent 10 % moins cher que s’ils faisaient eux-mêmes. Comme nous produisons deux fois moins, il y a deux fois moins de logements sociaux, à hauteur des 54 % du total produit. Nous voyons mal les bailleurs sociaux remettre aujourd’hui en route des départements de maîtrise d’ouvrage. Cette diminution sera compensée par les 17 000 logements repris par CDC Habitat et les 30 000 logements repris par Action Logement, mais ces bailleurs vont surtout faire du logement locatif intermédiaire, qui n’est pas du « logement social » au sens où nous l’entendons.

Vous vous interrogez également sur le rôle du maire : le maire demeure-t-il encore le bon niveau pour signer le permis ? Ce permis ne devrait-il pas être émis par l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent ? Pendant très longtemps, les promoteurs ont considéré les maires comme des « casse-pieds », mais, depuis trois ou quatre ans, nous pensons au contraire qu’il faut les aider. C’est pour cela que, dans mon appel de Strasbourg en faveur d’une stratégie nationale du logement (7 juillet 2022), j’ai proposé que l’on redistribue aux communes « bâtisseuses » une part de la TVA immobilière.

Mais il est vrai également que, si l’on donne la signature du permis à l’EPCI, les maires n’ont quasiment plus de pouvoir, ce qui les froisse : la signature des permis est presque le seul pouvoir qui leur reste…

M. Mickael Cosson, rapporteur. C’est même le seul…

M. Pascal Boulanger. Beaucoup de maires m’ont dit : « Si vous nous privez de cela, nous allons subventionner des associations pour attaquer les permis délivrés par une autre autorité. » : on en revient au point de départ… En revanche, d’autres maires m’ont dit l’inverse – et c’est d’ailleurs une analyse qui est partagée par le ministre Christophe Béchu –, à savoir que certains maires pourraient être très contents in petto que les permis soient signés par l’EPCI, parce qu’ils voudraient bien faire passer le dossier, mais qu’ils n’osent pas le faire pour les raisons politiques précédemment exposées.

Je pense donc qu’il devrait y avoir, pour la ville, non pas une obligation, mais une simple possibilité de transférer le pouvoir de signature à l’EPCI.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Ayant été responsable du pôle « Permis de construire » au sein d’une direction départementale de l’équipement (DDE), je peux vous affirmer que le travail alors mené en collaboration avec les maires était bien plus intense qu’il ne l’est aujourd’hui où, au sein de l’EPCI, vous avez affaire à un pôle instructeur qui ouvre non pas un, mais dix parapluies… Il est devenu très compliqué à un maire de s’opposer à l’avis de l’EPCI, car il ne maîtrise plus rien.

M. Pascal Boulanger. Retirer les permis aux maires n’est pas une bonne idée ; il faut au contraire les aider. Aujourd’hui, le héros dans la ville, c’est celui qui a réussi à faire capoter le projet ; si, demain, le maire peut expliquer à ses administrés que, grâce à l’argent que rapporte un projet, il peut rénover la crèche ou construire une école ou un stade, tout change. Aujourd’hui, les maires avec lesquels j’échange me disent clairement : « Quel est mon intérêt à accorder un permis de construire ? Je n’ai que des ennuis. Tous les voisins viennent râler et certains lancent des pétitions. Ensuite, pendant les quinze mois que dure le chantier, les voisins se plaignent du bruit et de la poussière. Enfin, quand les habitants sont installés dans leur logement, il faut accueillir les enfants dans des crèches et dans des écoles, et je ne sais pas où les mettre… » Il faut donc leur donner un argument pour accorder des permis : le bénéfice d’une partie de la TVA immobilière, sur l’effort bâtisseur supplémentaire par rapport aux volumes habituels ; le ministère des finances serait gagnant, puisque la mesure ne serait applicable qu’au-dessus d’un certain seuil.

M. le président Stéphane Peu. Ce sujet est compliqué. On peut certes « cacher » le responsable, en renvoyant la signature des permis à l’EPCI, mais, à un moment donné, il faut affronter les électeurs et défendre politiquement, au sens noble du terme, l’idée qu’il faut construire et qu’une ville qui est figée est une ville qui décline. Si l’on se dissimule derrière les EPCI, on va accroître encore la crise démocratique dans notre pays, parce que les maires, qui sont les seuls à être élus (les présidents d’EPCI ne l’étant pas), ne seraient responsables de rien, alors que ceux qui décideraient seraient ceux qui ne seraient pas élus.

Par ailleurs, tout lien fiscal a été coupé entre la production de logements et la commune : cela n’a aucun sens. Je ne dis pas qu’il faut rétablir la taxe d’habitation. C’est pour cela que votre proposition sur la TVA immobilière est une piste intéressante ; il peut y en avoir d’autres, mais produire ou ne pas produire de logements ne peut pas être fiscalement neutre.

M. Pascal Boulanger. Les maires signent les permis de construire depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi « Deferre ». Depuis cette date, on a toujours déshabillé leur intérêt à agir : il y a quarante ans, les maires étaient contents de délivrer les permis de construire, en lieu et place de l’État via les DDE ;               aujourd’hui, on leur a laissé les inconvénients en supprimant tous les avantages. Mis à part les maires qui se sentent très forts dans leur ville parce qu’ils sont élus à 90 %...

M. le président Stéphane Peu. Certains qui se croyaient forts ont eu des réveils douloureux…

M. Pascal Boulanger. Le maire d’Illkirch a affiché, sur des panneaux 4 × 3 payés par le budget de la ville : « 22 projets avant mon arrivée : j’en ai déjà stoppé 20 ! » Une mairesse en Ile-de-France a écrit à ses administrés : « J’ai dû délivrer un permis à tel opérateur : voici comment l’attaquer. » C’est nouveau ! L’exemple des maires battus de Lyon et de Bordeaux a fait réfléchir tous les autres. Les maires écologistes ont précisément été élus sur ce mandat : ils sont donc cohérents à refuser de délivrer des permis de construire. Mais les maires conservateurs ont tiré les leçons de ce qui est arrivé aux maires de Bordeaux, de Lyon, de Strasbourg, de Marseille, de Grenoble, etc., et refusent d’accorder des permis, par peur d’être battus aux prochaines élections.

M. le président Stéphane Peu. À une époque pas si lointaine, les maires bâtisseurs bénéficiaient d’une aide…

Mme Anne Peyricot, directrice de cabinet et des relations institutionnelles. 1 500 euros par logement…

M. le président. Stéphane Peu. L’aide aux maires bâtisseurs et la taxe d’habitation ont été supprimées en 2018, il faudra rétablir l’intérêt financier et fiscal des maires. Si un maire fait 10 000 m² de bureaux, cela lui rapporte sans rien lui coûter ; si un maire fait des logements, cela ne lui rapporte rien tout en lui coûtant beaucoup : le calcul est vite fait.

M. Pascal Boulanger. Il faut que le maire ait un argument politique face à la contestation : « Grâce à l’argent que je récupère en accordant tel ou tel permis de construire, je peux construire une école, rénover la crèche, etc. » Aujourd’hui, il n’a plus aucun argument : quand il sent que le projet n’est pas accepté par les habitants, il recule et remercie le promoteur.

M. le président Stéphane Peu. J’ai échangé, en d’autres temps, avec le préfet Christian Lambert en Seine-Saint-Denis qui me révélait qu’en région parisienne, il y avait énormément de recours mafieux, c’est-à-dire de personnes qui déposaient des recours et qui allaient ensuite négocier la levée de ce recours. À un moment donné, nous avons travaillé main dans la main avec les promoteurs et obtenu la radiation du Barreau d’avocats qui avaient fait de ce type de recours leur activité principale – nous avons même fait radier de l’Ordre des médecins un praticien qui passait plus de temps à faire des recours qu’à soigner ses patients.

M. Pascal Boulanger. Le recours est devenu un sujet plus secondaire chez nous, parce que, d’une part, nous avons beaucoup moins de permis et que, d’autre part, depuis 2022, le tribunal administratif, le Conseil d’État et/ou la cour d’appel – selon que l’on est en zone tendue ou pas – sont corsetés dans des délais de six et quatre mois : le chronomètre était notre ennemi. Le vendeur du terrain, sachant que nous étions sous l’empire d’un recours, nous menaçait de retirer le terrain de la vente si nous ne le lui payions pas cash, car il ne voulait pas attendre cinq ou six ans. Aujourd’hui, nous avons des réponses dans des délais de dix mois. Comme nous savons qu’au final, nous gagnons presque toujours et que plusieurs personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour recours mafieux, le recours reste un sujet, mais n’est plus le sujet dramatique qu’il était il y a quatre ou cinq ans.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Dans beaucoup de villes moyennes, la construction de logements vise à éviter que des commerces ne ferment, que des seniors ne soient amenés à se rapprocher du littoral faute d’offre correspondant à leurs besoins dans le monde rural, que des étudiants ne déménagent dans les métropoles.

M. Pascal Boulanger. Vous avez parfaitement raison. Les maires demandeurs ou bâtisseurs n’intéressent pas les promoteurs s’il n’y a pas de marché. Dans les Hauts-de-France, le maire de Maubeuge ou le maire de Fourmies supplient pour que nous venions construire chez eux. Même avec un terrain gratuit, nous ne pouvons pas y aller pour un ensemble de raisons.

D’abord, le zonage C ou B2 ne permet pas d’être éligible au dispositif Pinel qui représente, selon les années, de 45 % à 50 % de nos clients. Quand le projet n’est pas éligible au Pinel, nous savons que nous allons perdre 50 % de nos clients… or ce sont souvent ces investisseurs qui achètent en premier et qui nous permettent d’atteindre les 50 % d’acheteurs pour démarrer la construction de notre immeuble, les propriétaires-occupants venant plutôt dans un second temps, quand ils commencent à voir à quoi l’immeuble ressemble.

La deuxième raison tient au fonctionnement et à l’équilibre des marchés. Le neuf trouve preneur quand il est entre 25 % et 40 % plus cher que l’ancien : les acheteurs dans le neuf bénéficient de frais de notaire réduits (2 %, au lieu de 7,5 % ou 8 %), de la garantie décennale, du confort d’un bâtiment classé A ou B, etc. Mais dans certaines villes, le marché de l’ancien est tellement déprimé qu’il est impossible d’y construire du neuf. Dans les villes que j’ai citées dans les Hauts-de-France, vous trouvez de l’ancien à 600 €, 700 € ou 800 €/m² ; si nous y construisions un immeuble neuf, même sur un terrain gratuit, nous serions au minimum à 3 000 €/m² avec la TVA : il n’y aurait donc pas de marché à ce prix.

À une certaine époque, la fédération des promoteurs a été à l’initiative de demandes de zonages parce que nous craignions que des promoteurs, pressés par des maires, n’aillent construire n’importe où, n’importe comment, sans qu’il y ait un marché locatif solvable. L’argument était le suivant : comme il n’y a pas de marché dans ces villes, cela ne sert à rien de les rendre éligibles au dispositif Sellier. Nous avons eu raison de le faire à cette époque, mais nous avons aussi contribué à ce que les zones tendues se tendent davantage, parce que tout le monde s’y concentrait, et que les zones dites « non tendues » se détendent encore, parce qu’il n’y avait plus de marché.

Je fais partie de ceux qui, assez minoritaires, défendent la thèse selon laquelle il faudrait peut-être raisonner à l’envers et donner un avantage fiscal attractif là où l’investisseur n’a pas envie d’aller, parce qu’il n’y a pas de marché : la bonne solution est celle du « Pinel breton ». Je reprends l’exemple des Hauts-de-France, que je connais bien : avant le changement du 5 ou 6 octobre dernier, la ville d’Arras, préfecture du Pas-de-Calais, était non éligible, alors que Béthune, à 40 km d’Arras et qui est beaucoup moins dynamique, était éligible ; dans le Nord, Douai, qui est une ville dynamique, n’est pas éligible, alors que Valenciennes est éligible ; nous savons bien que c’étaient là de petits arrangements politiques. Je pense que nous avons été trop loin dans une opposition binaire entre « éligible » et « non éligible » et qu’il faut réfléchir à un système comme le Pinel breton.

M. le président Stéphane Peu. Au vu des chiffres que vous nous avez donnés et des perspectives, avez-vous des inquiétudes sur des faillites ?

M. Pascal Boulanger. Le mot « inquiétude » est beaucoup trop faible : c’est une certitude.

M. le président Stéphane Peu. Avez-vous une évaluation en termes d’emplois ?

M. Pascal Boulanger. Sur les 33 000 à 35 000 emplois que compte la filière des promoteurs immobiliers, je m’attends à la disparition d’un petit tiers. Aujourd’hui, plus aucun promoteur n’embauche. Tous les promoteurs que je connais me disent qu’ils ne remplacent pas les départs et, chez les très gros opérateurs, des plans de sauvegarde de l’emploi se préparent ; Nexity vend son pôle d’administration de biens pour trouver du cash et finir ses opérations de promotion – il s’agit du plus gros promoteur de France, avec dix-huit mille logements par an.

M. le président Stéphane Peu. Ils ont racheté un certain nombre de cabinets dans le passé.

M. Pascal Boulanger. Le premier administrateur de biens est Foncia et le deuxième est Citya ou Nexity. Plus aucun promoteur n’achète de foncier actuellement. Nous savons très bien qu’à un moment, il y aura une relance – même si le Président Macron n’en a pas envie – et qu’alors nous nous battrons de nouveau pour trouver du foncier.

M. le président Stéphane Peu. L’année 2024 sera catastrophique sur les réservations. Mais la chute des livraisons de logement prêt à être habité est, vu le délai d’inertie, une véritable bombe sociale à horizon 2025, 2026, 2027, des années à fort enjeu électoral.

M. Pascal Boulanger. Les rares promoteurs qui ont lancé des opérations de commercialisation depuis le début de l’année ne font aucune réservation, alors qu’en temps normal, ils font cinq ou six réservations immédiates. J’en suis moi-même victime, comme beaucoup de confrères.

M. le président Stéphane Peu. Le premier à avoir lancé la commercialisation du Village olympique est Vinci, à grand renfort de publicités. Ils ont fait quelques réservations les premières semaines, mais ils ont eu beaucoup de désistements.

Je vais me faire l’avocat du diable. Le Président de la République a donné une interview, il y a quelques mois, sur le sujet du logement – ce qui est rare chez lui, car ce n’est pas son sujet de prédilection – et il dit, en gros, que le logement coûte très cher, pour aucun résultat… et il ne parle pas que du logement social.

Entre les logements que vous achètent les bailleurs sociaux, qui fonctionnent sur de l’argent public ou de l’argent socialisé (épargne populaire, 1 % logement, TVA, exonération de taxe foncière sur vingt-cinq ans, etc.), et qui représentent la moitié de votre activité, d’une part, et un quart de logements vendus dans le cadre d’un système de défiscalisation, cela ne fait-il pas un secteur d’activité concurrentiel et marchand extrêmement dépendant des aides publiques ? Ne faut-il pas assainir ?

M. Pascal Boulanger. Le ministère du logement calcule que le logement rapporte 90 milliards d’euros (Md€) à l’État tous les ans et coûte de 38 à 40 Md€…

Mme Anne Peyricot. 97 Md€ pour 2022…

M. Pascal Boulanger. Nous sommes complètement d’accord pour assainir, mais comment ? Le logement est un bien de première nécessité, mais il se voit appliquer une TVA à 20 %. À la TVA, s’ajoute l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). J’habite près de la frontière et la plupart des personnes aisées ont quitté la France.

Dans notre profession, beaucoup sont partisans d’arrêter toutes les aides au logement au bénéfice d’une TVA à taux réduit ; mais cette mesure présente un risque majeur : l’avantage fiscal est un élément déclencheur pour venir au logement. Certaines estimations indiquent qu’environ 80 % des personnes qui vont faire un investissement dans l’immobilier seraient attirées par l’avantage fiscal et que, sans cet avantage fiscal, elles n’y auraient pas pensé.

Indiscutablement, nous sommes favorables à une politique pérenne. Sinon, quand le dispositif change tout le temps, des personnes sont lésées à chaque fois.

M. le président Stéphane Peu. Je poursuis dans le registre de l’avocat du diable.

Nous allons examiner et voter une loi sur les copropriétés dégradées. Après les programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) dans les quartiers d’habitat social, nous allons être obligés de faire des programmes Anru sur les copropriétés des années soixante-dix et quatre-vingt. On s’aperçoit que la dégradation des biens s’accélère à partir du moment où, dans une copropriété, plus de 50 % des logements sont détenus par des propriétaires bailleurs qui ne sont pas toujours très fortunés et donc pas toujours en capacité de satisfaire aux obligations d’entretien de l’immeuble. Avec les règles de majorité au sein des copropriétés, on a un autre effet pervers, au-delà du coût financier des dispositifs de défiscalisation : on tord une tradition française où la propriété était liée à une conception patrimoniale du bien, pour passer à une conception fiscale, ce qui pose d’énormes problèmes et inquiète beaucoup les municipalités, d’ailleurs.

M. Pascal Boulanger. C’est la thèse défendue par le ministre Patrice Vergriete, à laquelle je n’ai pas de réponse toute faite. Il y a quarante ans, la taxe foncière ne représentait que la moitié d’un mois de loyer ; aujourd’hui, elle représente parfois trois mois de loyers et annihile toute rentabilité. Avant la loi du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, dite loi « Quilliot », la taxe foncière n’était pas à la charge du propriétaire, il pouvait l’imputer au locataire ; aujourd’hui, le propriétaire ne peut imputer que la taxe sur les ordures ménagères.

Beaucoup nous disent qu’ils n’ont que de 1,5 % à 2 % de rentabilité nette et qu’ils n’ont donc pas les moyens de réaliser les travaux d’entretien. Vous parlez d’appauvrissement de certains propriétaires : je suis d’accord, c’est un vrai sujet. Le ministre Patrice Vergriete dit, en forçant le trait : « Les foncières deviennent promoteurs, les promoteurs disparaissent et, du coup, le logement est de 10 % à 12 % moins cher » ; sauf que les foncières n’ont pas l’intention d’investir pour avoir 2 % de rentabilité et tous les problèmes des locataires qui ne paient pas, que l’on n’a pas le droit d’expulser…

M. le président Stéphane Peu. Dans les 2 % de rentabilité, on oublie l’avantage fiscal.

M. Pascal Boulanger. Oui, mais l’avantage fiscal a disparu au bout de dix ans.

Mme Anne Peyricot. Certaines villes ont voté des dispositions qui permettent aux bailleurs de demander l’exonération totale ou partielle de la taxe foncière pour pouvoir payer des travaux.

M. Mickael Cosson, rapporteur. J’ai l’impression qu’aucune commune n’a saisi cette possibilité.

Mme Anne Peyricot. Si, la ville de Paris l’a voté à partir du 1er janvier 2024.

M. le président Stéphane Peu. La mesure fiscale d’une TVA à 5 % pour les propriétaires-occupants dans les zones « Quartier prioritaire de la politique de la ville », est-ce que cela marche ?

M. Pascal Boulanger. Oui.

Mme Anne Peyricot. Cet avantage disparaît au 31 décembre prochain et il faut vraiment que le dispositif soit renouvelé. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, il y a un amendement en ce sens de votre collègue Karl Olive, mais j’ai l’impression qu’il le limite aux quartiers Anru.

M. le président Stéphane Peu. Non, il couvre tous les QPV et une zone de cinq cents mètres alentour. Je l’ai également déposé.

Ne pensez-vous pas que, pour débloquer l’accession à la propriété et la construction neuve, au-delà des maisons individuelles, il faut impérativement solvabiliser les primo-accédants ? Quand les circuits sont aussi embolisés qu’ils le sont aujourd’hui, on n’arrive plus à quitter le logement social parce que la marche vers le marché locatif privé ou vers l’accession est trop haute. Est-ce que le maillon susceptible de déverrouiller toute la chaîne ne serait pas un soutien massif à la primo-accession ? Obtenir d’appliquer une TVA réservée aux produits de première nécessité à tout le secteur immobilier est, à mon avis, un combat loin d’être gagné. En revanche, plutôt que d’aider des personnes déjà propriétaires à l’être davantage, ne faut-il pas se concentrer sur ceux qui ne le sont pas pour qu’ils le deviennent et y mettre les moyens nécessaires, de type PTZ ou TVA ?

M. Pascal Boulanger. Nous sommes favorables à tout ce qui peut resolvabiliser la clientèle. Maintenant, je ne sais pas si le ministre Bruno Le Maire sera d’accord…

M. le président Stéphane Peu. Nous allons faire des propositions.

M. Pascal Boulanger. Chaque fois que je rencontre le ministre, il me dit : « Je ne peux rien pour vous, je suis totalement exsangue. Je n’ai qu’une seule crainte : être dégradé par Fitch et Standard & Poor’s. Donc, apprenez à vous débrouiller sans nous. » Je lui réponds : « Très bien, on fait tout sans vous ? Donc il n’y a plus d’IFI, il n’y a plus de TVA, il n’y a plus rien ? » Il m’objecte : « Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. » C’est un dialogue de sourds ; il pratique l’humour, moi aussi. Chaque fois que je le vois, trois fois par an, il me dit : « Je ne ferai rien qui puisse attaquer les recettes ou augmenter les dépenses. »

Mme Anne Peyricot. Pourtant, il vaut mieux cent logements avec une TVA à 5,5 % que zéro logement avec une TVA à 20 %...

M. Pascal Boulanger. C’est ce que nous essayons de démontrer et que nous espérons que la Cour des comptes démontrera dans son rapport à paraître début janvier, notamment sur le Pinel.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Est-ce que le Pinel a servi à construire plus ? Est-ce qu’il a répondu aux besoins ? Construire pour défiscaliser, c’est bien ; mais construire pour pouvoir répondre aux besoins des territoires, c’est mieux !

M. Pascal Boulanger. Les professionnels que nous sommes trouvent que le « Pinel breton » serait l’outil parfait, s’il était appliqué partout. Il a permis de proposer des logements en habitation principale à des gens qui ont des conditions de ressources et de loyer plafonnées. Aujourd’hui, grâce à ce système, le loyer Pinel, qui était à l’époque, quand il est sorti, à 84 % ou 85 % du prix du marché, est devenu la référence.

Vous avez dit, tout à l’heure : « Ne faut-il pas s’attaquer aux locataires pour avoir plus de propriétaires ? »

M. le président Stéphane Peu. Je me faisais l’avocat du diable !

M. Pascal Boulanger. Une étude démontre que, plus un pays est pauvre, plus les gens sont propriétaires et que plus les gens sont propriétaires, plus le pays est pauvre.

M. le président Stéphane Peu. C’est l’exemple de la Suisse ou de l’Autriche : la Suisse est le pays d’Europe qui compte le moins de propriétaires.

M. Pascal Boulanger. Les pays qui comptent le plus de propriétaires, en Europe, sont le Portugal, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et la France. Pourquoi ? Pour deux raisons. Certains disent que c’est le fruit de la prudence : par peur de l’avenir, on investit dans la pierre pour ne pas avoir de loyer à payer au moment de la retraite. D’autres, comme le Medef, disent que c’est une cause : plus il y a de propriétaires, moins il y a de mobilité, car un propriétaire n’accepte pas un emploi à 500 km parce qu’il ne veut pas se séparer de sa maison, qu’il aime bien et qu’il n’est pas sûr de revendre correctement ; cette faible mobilité peut ensuite expliquer pourquoi le pays est pauvre.

M. le président Stéphane Peu. Il y a des questions de culture, aussi.

M. Pascal Boulanger. C’est exactement ce que j’allais vous dire. Les responsables politiques ont une représentation, à mon avis, en partie erronée : les locataires seraient pauvres et les propriétaires seraient riches. Nous ne disons pas cela : les grands cadres de direction sont très souvent locataires, parce qu’ils savent qu’ils vont bouger professionnellement ; en revanche, ils achètent souvent une maison dans leur région d’origine qui, elle-même, est louée et qu’ils récupéreront quand ils seront en retraite.

Il ne faut pas non plus dire : « Il ne faut que des propriétaires. » : certains cadres de banque, par exemple, ne peuvent pas être propriétaires, parce qu’ils bougent tous les trois ou quatre ans pour ne pas trop sympathiser avec la clientèle et être tenté de lui accorder des facilités. Ces cadres ne peuvent pas être propriétaires, ou alors ils achètent dans leur dernier emploi.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). La mobilité dans le parc social est très faible, alors que les bénéficiaires de logement social sont locataires. En réalité, il y a une question de prix : si vous avez un loyer compétitif, vous n’avez pas d’incitation à bouger ; de même pour la propriété : à partir du moment où vous logez à un endroit et que vous avez amorti le bien, quel serait l’intérêt de bouger ?

Pour ma part, j’observe que l’on a construit beaucoup là où le chômage est élevé et durable. Il faut se poser cette question économique à un moment donné : construire du logement, oui ; mais pas dans des zones sinistrées économiquement. On a cassé ce lien direct entre le logement, le travail et l’emploi.

M. Pascal Boulanger. Vous avez raison. Mais aujourd’hui, ce n’est pas cela, le sujet : le sujet, c’est que tout est bloqué. Cette année, deux fois plus d’agences immobilières ont disparu que dans une année normale et quasiment aucune n’a été créée.

M. le président Stéphane Peu. Les agences immobilières s’étaient beaucoup développées.

M. Pascal Boulanger. J’ai un réseau d’une vingtaine d’agences immobilières dans les Hauts-de-France, qui ne font que de la transaction. Il y a deux ou trois ans, chaque agence avait quatre à cinq produits à vendre et elle tournait plutôt bien parce que, dès qu’elle rentrait un produit, elle avait dans son fichier une demande. Aujourd’hui, chaque agence a 35 produits à vendre… Tout est en panne !

M. le président Stéphane Peu. Je vais continuer dans mon registre de l’avocat du diable.

Une théorie circule en ce moment dans les ministères, notamment au ministère des Finances. Il ne faudrait pas remédier à la crise actuelle, mais au contraire la pousser jusqu’à son terme pour revenir ensuite à des prix normaux après les hausses de ces dernières années. Il s’agit de l’idée qu’a le ministre Bruno Le Maire pour assainir le marché. Croyez-vous à cela ?

M. Pascal Boulanger. C’est comme dire qu’il ne faut pas soigner le cancer parce que, ainsi, les gens n’auront plus envie d’avoir un cancer…

M. le président Stéphane Peu. J’étais atterré d’entendre cette thèse. Pensez-vous que la crise actuelle du secteur va se traduire par une chute des prix ?

M. Pascal Boulanger. Non ! Tout simplement parce que les promoteurs sont contraints par un prix « technique », qui est le résultat d’un cumul, et que nos marges de manœuvre sont limitées.

Quand j’ai commencé dans le métier, les marges étaient de l’ordre de 12 % à 13 % ; elles sont aujourd’hui de 5 %. À l’époque, les banques refusaient de donner les garanties financières d’achèvement quand les marges étaient inférieures à 7 %. Depuis un certain temps, elles se rendent compte que nous n’arrivons plus à être à 7 %. C’est nous qui, pour continuer à vivre, avons demandé aux banques de nous laisser faire des marges moins fortes et de nous accorder quand même les crédits promoteurs et les garanties – puisque moins la marge est élevée, plus la banque prend un risque.

Peut-on bloquer le prix du foncier ? Je n’y crois pas une seule seconde. Le foncier, contrairement à ce que l’on peut penser, ne représente que 20 % du prix en moyenne… même si à Cannes, sur la Croisette, à Courchevel ou sur les Champs-Élysées, le foncier peut représenter jusqu’à 85 % du prix.

À Saint-Denis, le foncier représente de 25 % à 30 % du prix. Dans les Hauts-de-France, le foncier représente en moyenne 15 %. Certains maires sont prêts à nous donner du foncier ; l’ancien maire de Saint-Quentin, Xavier Bertrand, m’a proposé un jour de me donner un foncier pour que je construise à Saint-Quentin – je lui ai répondu que c’était une raison de plus pour ne pas y venir…

Nous n’avons pas beaucoup de marges de manœuvre. Nous ne maîtrisons pas le coût de construction, car il dépend largement des cours des matières premières, qui obéissent à la loi de l’offre et de la demande au niveau mondial. Or le coût de construction représente de 50 % à 52 % de notre prix de revient. Nos honoraires de gestion (5 %) ne nous permettent pas de gagner de l’argent.

M. le président Stéphane Peu. Vous parlez de votre secteur : la production neuve. Si les prix des transactions sur les logements existants baissent, est-ce que les perspectives pour votre secteur seraient encore plus obscurcies ?

M. Pascal Boulanger. Si nous avons 35 biens à vendre dans nos agences immobilières, c’est parce que les vendeurs n’ont pas envie de vendre leur bien moins cher que le prix auquel ils l’ont acheté, dix ans auparavant : à un moment donné, ils préfèreront retirer leur bien du marché. Les prix baisseront sans doute à la marge, de 2 %, mais pas davantage.

Dans le neuf, je ne crois pas à une chute des prix, parce que les prix résultent d’un prix technique. Dans l’ancien, les prix sont fixés par le marché : ils peuvent baisser si le vendeur est, comme on dit, « pendu », mais aujourd’hui, alors que la crise s’est installée depuis un certain temps, on ne voit pas réellement les prix baisser. La presse fait ses titres sur des baisses de 4 %, mais, dans les études que nous réalisons, nous ne constatons pas de baisse – nous observons même que les prix augmentent dans certaines villes.

Si la thèse défendue par certains membres du gouvernement prospérait, elle aurait un coût considérable, entre la « casse sociale » et les moindres rentrées de TVA (de 4 à 5 Md€) et de droits de mutation à titre onéreux (Dmto), avec, au final, une baisse des prix aléatoire et une contraction de nos marges. Pour ma part, je ne le crois pas.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). J’observe qu’en trente ans, les prix de l’immobilier ont été multipliés par trois sous l’effet de la hausse du foncier, des normes qui renchérissent le coût de la construction, mais également de l’effet inflationniste. En revanche, je suis d’accord avec vous sur ce point : si l’immobilier entre en crise, la « casse » sera importante partout. Et ceux qui ont acheté au prix fort ne voudront pas, à mon avis, revendre et avoir une dette envers leur banque.

M. Pascal Boulanger. Si celui qui a acheté il y a dix ans revend au même prix, il aura perdu tout ce qu’il aura remboursé en capital ! Je ne crois pas à cette thèse.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Quand allez-vous vous positionner sur les besoins de l’industrie verte ? Aujourd’hui, des entreprises n’embauchent pas parce que les salariés ne trouvent pas de logement à proximité de leur lieu de travail. Quand ces rapprochements pourront-ils avoir lieu ?

L’autre enjeu est celui de l’habitat senior. Quand deviendrez-vous un acteur fort de l’habitat senior ?

M. Pascal Boulanger. Nous le sommes déjà.

M. Mickael Cosson, rapporteur. C’est ce que je voulais entendre.

M. Pascal Boulanger. Un amendement au projet de loi de finances pour 2024 porte sur la récupération de la TVA sur les résidences services.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Qu’est-ce qui est bloquant ? Qu’est-ce qui est vraiment préjudiciable ? Qu’est-ce qui est nécessaire pour donner une bouffée d’air et répondre à tous ces enjeux ?

Mme Anne Peyricot. Un certain nombre de promoteurs aspirent aujourd’hui à aller vers les étudiants et les seniors. Ils font de belles propositions, mais ils se heurtent au problème des fonciers.

M. Mickael Cosson, rapporteur. Peut-être que des outils n’existent pas ?

Mme Anne Peyricot. Il faut plutôt lever des entraves. Nous avons dressé la liste de toutes les difficultés créées par les meublés touristiques et autres Airbnb. La location touristique a eu des effets collatéraux sur les résidences gérées au bénéfice des étudiants et des seniors, qui n’ont pas été anticipés. Par exemple, pour faire fonctionner une résidence étudiante, il faut avoir un minimum de 70 % d’étudiants ; or les apprentis et les jeunes salariés n’entrent pas dans ce décompte : il y aurait donc un petit frein à lever.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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11.   Audition de MM. Bruno Arcadipane, président, Philippe Lengrand, vice-président et Édouard Quinchon, directeur Territoires et Affaires publiques et Mme Akila Mat, responsable des relations institutionnelles du groupe Action Logement. (jeudi 19 octobre 2023 à 11 heures)

M. le président Stéphane Peu. La présente mission d’information parlementaire est large du point de vue des thèmes qu’elle aborde et s’inscrit dans le calendrier du gouvernement : un projet de loi sur l’habitat insalubre et les copropriétés dégradées d’ici la fin de l’année, une proposition de loi sur les meublés touristiques au premier trimestre 2024 et une loi-cadre sur le logement, avec un volet relatif à la décentralisation à la fin du premier semestre 2024.

Nous inscrivons notre travail dans la perspective de cette loi-cadre, notre but étant de publier au premier trimestre 2024 un rapport qui puisse entrer en résonance avec le projet de loi présenté par le Gouvernement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur de la mission d’information. Notre mission vise à pouvoir débloquer des situations que nous pouvons rencontrer aujourd’hui, du fait de nombreux problèmes bien connus. Au-delà du diagnostic, il s’agit d’administrer un traitement qui permette aux parcours résidentiels de se fluidifier, de faire en sorte qu’à chaque étape de sa vie – que l’on soit étudiant, actif ou senior – on puisse disposer d’un logement en fonction de ses besoins, et d’apporter des solutions pour que la construction puisse redémarrer, sachant que l’aspect fiscal permet d’inciter à cette reconstruction.

M. Bruno Arcadipane, président du groupe Action logement. Action Logement est au service du lien emploi-logement depuis soixante-dix ans et s’appuie sur deux piliers. Le premier est Action Logement Services, un établissement financier qui nous sert, depuis 2017, à collecter la participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), qui représente 0,45 % de la masse salariale des entreprises de plus de cinquante salariés, et à la restituer sur les territoires. Le second pilier est Action Logement Immobilier, la holding de tête et d’animation de nos cinquante opérateurs répartis sur les territoires hexagonal et ultramarin, qui nous permettent de gérer le 1,1 million de logements abordables que le groupe détient, mais également de construire et d’acheter en l’état futur d’achèvement (Vefa). Vous venez d’auditionner la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui vous a sans doute entretenu du lien que nous avons avec eux – notamment en ce moment, avec cet appel à manifestation d’intérêt pour trente mille logements que nous devrions acheter dans les semaines et mois à venir.

Il faut également mentionner, au sein de l’écosystème Action Logement Groupe, l’Association pour l’accès aux garanties locatives (Apagl), qui distribue la garantie Visale, l’Opérateur national de vente (ONV), qui achète en bloc des immeubles pour les réhabiliter et les revendre à la découpe, et l’Association Foncière Logement, qui intervient exclusivement dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) et gère la mixité sociale dans ces quartiers prioritaires…

Nous avons créé différents outils au fil de notre histoire, qui nous permettent d’intervenir de façon « chirurgicale » sur des sujets extrêmement précis. L’une de nos dernières créations est une foncière de transformation de bureaux en logements qui, depuis que nous l’avons lancée avec le ministre Julien Denormandie à la fin de 2018, a démontré son efficience – elle nous permet d’acheter un immeuble de bureaux vides pour les transformer en logements, souvent à fonction (logements étudiants, logements destinés aux saisonniers, etc.).

Notre mission est claire et unique : faciliter le logement pour favoriser l’emploi. Le Président Emmanuel Macron souhaite aller vers le plein-emploi : nous ne pouvons qu’y être favorables, mais, pour aller vers le plein-emploi, il faudra loger les futurs salariés là où ils travailleront. Hier encore au Conseil économique, social et environnemental (Cese), où nous étions auditionnés, j’entendais cette histoire « abracadabrantesque » de 840 000 logements vides en France, qui n’attendraient que d’être loués ou vendus… Il faut arrêter de colporter des idées fausses : ces logements existent peut-être, mais je voudrais que l’on regarde dans le détail où ils sont localisés et dans quel état ils sont.

On veut maîtriser le coût du foncier, maîtriser le prix des loyers, maîtriser les achats, etc. : tout cela ne sera pas possible si l’on n’a pas une offre en neuf et en réhabilitation, sujets dont nous sommes les spécialistes. Nous avons doublé notre production de logements neufs en cinq ans, nous avons signé une convention quinquennale avec des engagements forts : nous allons construire quarante mille logements par an pendant les cinq ans qui viennent. En même temps, nous allons réhabiliter quarante mille logements. Nous sommes volontaristes sur la construction et sur la réhabilitation, parce que notre pays a besoin des deux.

Si je prends l’exemple des Hauts-de-France, avec le canal Seine-Nord et l’arrivée des gigafactories, je veux bien que l’on aille chercher des logements qui ne sont pas habités… mais il n’y en a pas ! Par conséquent, si l’on ne construit pas, on n’arrivera pas à loger les travailleurs qui vont arriver. Quand on crée des gigafactories, quand la réindustrialisation commence à démarrer un peu partout en France, il faut, avant de loger les futurs salariés, loger les ouvriers qui viennent réaliser ces chantiers. La temporalité de nos offres doit donc en tenir compte.

Nous sommes allés voir le chantier du canal Seine-Nord, qui avance à toute vitesse. Les ouvriers sont partout le long du canal : il faut les loger en urgence, puisque le chantier est en cours et, qu’en plus, il se déplace. Nous avons donc mis au point, avec l’une de nos filiales, des logements déplaçables et de très bonne facture. Une fois que le canal sera réalisé, des entreprises voudront s’implanter à proximité et des demandes arrivent déjà. Les salariés n’iront pas habiter à Dunkerque, à Lille ou à Paris : il faudra construire là où sont les besoins.

Nous sommes également très attachés à la réhabilitation et à la reconstruction de la ville sur la ville. Nous venons ainsi d’investir 1,5 milliard d’euros (Md€) dans « Action cœur de ville » (ACV), pour une offre nouvelle de réhabilitation – et de traitement de « dents creuses » – de plus de vingt-cinq mille logements au cœur des villes moyennes. Ces vingt-cinq mille logements ont permis le retour de certains commerces en centre-ville, mais aussi le retour d’investisseurs privés – d’abord à travers « Action cœur de ville », ensuite à travers des opérations qui leur sont propres. Ces logements réhabilités représentent un double gain : un gain pour la ville et pour son attractivité, mais aussi un gain pour la planète.

Opposer aujourd’hui la construction et la réhabilitation est une ineptie. Nous sommes partants pour une nouvelle campagne (ACV2) et allons réinvestir un milliard d’euros dans ces villes moyennes qui en ont tant besoin ; cela fait près de trente ans que l’on n’avait rien fait pour ces villes. J’étais autour de la table quand, avec Jacques Mézard, Éric Lombard et d’autres, nous avons imaginé « Action cœur de ville » ; l’Agence nationale de la cohésion des territoires n’existait même pas à l’époque. Nous l’avons fait entre nous, chacun dans sa spécialité et chacun sur ses fonds propres. « Action cœur de ville » est né de la volonté d’un ministre et de quelques acteurs complémentaires et compétents sur les problématiques en cause.

Action Logement est l’un des rares opérateurs à travailler sur le logement des saisonniers. Il est vrai que le sujet est complexe. Quand on fait du logement à la montagne, il faut savoir à qui on loue par cycles de quatre saisons successives, ce qui impose de trouver des produits flexibles qui viendront apporter des ressources au porteur du dossier : nous avons ainsi racheté, à Bandol, une résidence de vacances qui était inoccupée depuis des années et que nous avons transformée en résidence pour les saisonniers ; évidemment, cette résidence est utilisée toute l’année pour pouvoir l’amortir.

Il est aussi possible d’imaginer des produits mixtes. À Gap, par exemple, nous avons racheté un couvent immense et nous l’avons transformé en 87 logements de quarante types différents, tout en respectant la trame architecturale. Une telle opération coûte cher, mais c’est là que le groupe Action Logement peut démontrer son utilité sociale, c’est là que notre professionnalisme et notre puissance d’ingénierie font la différence.

Tous vos interlocuteurs vous parlent d’argent. Nous, nous avons axé nos efforts depuis des années sur l’ingénierie. Il n’existe pas d’équivalent aujourd’hui, en Europe, d’un groupe avec une telle puissance d’innovation et de concrétisation des projets. Nous sommes capables de soutenir et d’accompagner des start-upers qui créent des produits nouveaux comme des maisons en bois déplaçables ou des constructions en préfabriqué bas carbone. Nous n’y prenons pas d’intérêt financier ; nous leur assurons des carnets de commandes et nous leur apportons notre ingénierie pour améliorer les produits et faire en sorte qu’ils correspondent aux besoins de nos concitoyens… les besoins actuels, pas ceux de 1970 ou de 1980.

Je ne suis pas opposé, par principe, à la décentralisation, mais je ne suis pas non plus favorable à transférer les responsabilités vers des structures qui n’ont peut-être pas les moyens financiers ou les moyens en ingénierie. Je pense que la politique du logement doit être une politique nationale, avec une ambition nationale ; ensuite, elle doit être délocalisée pour connaître les besoins de chaque territoire. Notre groupe est constitué sur ce modèle, avec une colonne vertébrale nationale, politique et stratégique et des acteurs territoriaux qui ont une pleine autonomie dans leur secteur.

Nos appels à manifestation d’intérêts sont structurés de cette manière. Le national centralise tous les dossiers, pour aller très vite, et donne le tempo : nous avons quinze jours pour analyser les offres et ensuite trente jours pour répondre, c’est-à-dire qu’en 45 jours, le promoteur qui a déposé un projet sur notre plateforme obtient sa réponse et connaît son opérateur local. Ensuite, c’est l’opérateur local qui traite avec le promoteur local. Je pense que cette méthode est la meilleure pour affronter les grandes difficultés que l’on connaît dans le monde du logement, en général, et dans celui du logement abordable, en particulier.

M. Philippe Lengrand, vice-président du groupe Action Logement. Nous vivons une crise du logement extrêmement forte. Quand je rencontre des adhérents syndicaux et des salariés et alors qu’ils ne me parlaient que d’emploi il y a quelques mois, ils me parlent désormais de la question du logement, quel que soit le territoire : aujourd’hui, le problème du logement n’est plus circonscrit à l’Île-de-France, nombre de territoires sont touchés.

Cette question touche tous les professionnels, y compris Action Logement, mais aussi, plus généralement, tous les acteurs républicains : c’est presque une question de démocratie, puisque ce qui est en jeu est le parcours résidentiel des salariés (logement social, logement intermédiaire, accès à la propriété, etc.) ; ce parcours est aujourd’hui rompu pour bon nombre de citoyens et de travailleurs. Comment va-t-on loger ces travailleurs, permanents ou saisonniers, à Dunkerque, Saint-Brieuc ou ailleurs ?

Un groupe comme Action Logement est un opérateur considérable des points de vue financier, du nombre de salariés qui y travaillent ou des politiques qu’il mène, mais nous essayons de rester les plus agiles possible.

Notre action se déploie selon trois axes. Le premier est celui de la construction : nous faisons 18 % du parc et, ces dernières années, c’est un tiers de la production qui a été réalisé par Action Logement, principalement dans le domaine du logement et un peu dans le domaine du logement intermédiaire.

La rénovation est le deuxième axe. Elle est incontournable aujourd’hui pour répondre aux questions de la fin de monde et de la fin du mois, c’est-à-dire pour répondre aux enjeux climatiques aussi bien qu’aux enjeux des travailleurs qui ont des difficultés à payer leurs loyers, leurs charges, etc.

Le troisième volet est l’accompagnement des salariés. La garantie Visale est un dispositif très important, c’est le réseau de ceux qui n’en ont pas… Un jeune qui ne peut pas obtenir de garantie de ses parents peut avoir la garantie Visale et accéder ainsi au parc privé. Nous avons signé le millionième contrat au mois de juin et notre objectif, dans la convention quinquennale, est de passer à deux millions de contrats.

Nous avons également mis en place un fonds « Énergie » pour faire face à la crise de l’énergie, des aides aux impayés de loyer pour faire face à la crise sanitaire, etc.

Les enjeux sont d’abord quantitatifs. Mais il faut aussi que le logement réponde aux besoins en termes d’usages et de localisations. Les travailleurs souhaitent être près de leur travail, des services publics, des commerces, avec des espaces verts, etc. : la « ville du quart d’heure » répond à ces attentes.

Contrairement aux politiques conduites dans les années soixante, soixante-dix ou quatre-vingt, je pense qu’il faut aujourd’hui faire de la dentelle. Nous avons des étudiants qui ont besoin d’un certain type de logement, mais ils ne le trouvent pas. Ceux que l’on appelait pendant la covid-19 les « travailleurs de première et deuxième lignes » ont beaucoup de difficultés à trouver un logement près de leur lieu de travail et l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris a du mal à recruter pour cette raison. Les travailleurs souhaitent des balcons, compte tenu des chaleurs estivales dans certaines régions. La question du télétravail a aussi modifié les demandes en termes de taille et d’organisation des logements.

Action Logement est un groupe paritaire qui fonctionne bien et sait trouver les compromis qui permettent d’avancer.

Il faut construire plus, notamment du logement social. Les chiffres ont été rappelés : 2,4 millions de dossiers sur le système national d’enregistrement (SNE)… du jamais vu ! Certains jeunes travailleurs qui seraient tout à fait fondés à demander un logement social ne font même pas la demande. Il faut aussi construire du logement intermédiaire, les deux ne s’opposent pas. Il faut relancer l’accession sociale à la propriété. Où et comment ? Telle est la question. Car nous voyons que les zones pavillonnaires, cet idéal des Trente glorieuses, sont aujourd’hui interrogées pour des raisons climatiques, de transport, d’éloignement, etc.

Je pense enfin qu’il est essentiel de repenser le parcours résidentiel, parce qu’il s’agit de l’un des fondements de notre République. Le logement doit être une ambition nationale et faire l’objet d’une politique nationale. La décentralisation telle qu’on l’a connue dans les années quatre-vingt doit être requestionnée. Comme le groupe Action Logement dans son ensemble, je crois qu’il faut une politique générale qui serve de fil conducteur et qu’ensuite on tienne compte des spécificités territoriales : on ne peut pas faire en Île-de-France comme on fait en Bretagne et en Bretagne comme on fait en Outre-mer.

M. le président Stéphane Peu. Un Conseil national de la refondation consacré au logement s’est tenu et il a réussi à dégager des propositions consensuelles, de la Fondation Abbé Pierre aux promoteurs immobiliers. Au sein de l’Assemblée nationale, nous devrions également être capables de formuler des propositions consensuelles. Nous sommes face à une crise immobilière, qui porte en germe une crise sociale : cette crise demande des mesures très fortes.

Vous avez exprimé d’emblée votre désaccord avec l’idée, présente jusques et y compris au sein de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), selon laquelle construire n’est pas aussi nécessaire qu’on veut bien le dire et qu’il vaut mieux refaire la ville sur la ville. J’ai même entendu prétendre que, si l’on savait traiter sur le plan urbain le pavillonnaire de l’Île-de-France, on réglerait la crise du logement en Île-de-France sans construire !

Il faut se poser la question sans détours : comment ce pays peut-il renouer avec un effort de production ? Il faut certes réhabiliter – développer « Action cœur de ville », soutenir l’Agence nationale de l’habitat, etc. – mais j’apprends que le « Denormandie », un dispositif qui avait quelques vertus même s’il avait du mal à démarrer, va disparaître à la fin de l’année : n’est-ce pas assez paradoxal, quand on ne jure que par la remise sur le marché de logements inoccupés ?

Les chiffres de la production ne cessent de baisser dans tous les secteurs du logement (privés, publics, sociaux, intermédiaires…) et il n’est pas prévu d’inversion de cette tendance dans les années qui viennent.

Par ailleurs, Action Logement va déstocker des promoteurs à travers l’appel à projets sur trente mille logements, mais il s’agit d’un palliatif : cela permettra peut-être de sauver quelques entreprises et projets, mais ce n’est pas une politique durable.

Je suis très attaché à Action Logement et à la Peec depuis longtemps, très attaché également à ce qu’Action Logement reste un organisme paritaire. Les tentatives de fiscaliser la Peec sont récurrentes et, profitant d’une période où les budgets sont appelés à être adoptés sans vote grâce au 49.3, le ministère des Finances pourrait être tenté de pousser cette idée – ce qu’il ne s’autoriserait pas si la mesure faisait l’objet d’un débat parlementaire. Pensez-vous que le risque de fiscaliser la Peec a été écarté par la signature de la convention quinquennale 2023-2027 ou que ce risque subsiste ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il faudrait revenir sur la réduction de l’assiette de la Peec aux entreprises de plus de cinquante salariés et, ainsi, renforcer les moyens d’Action Logement ?

M. Bruno Arcadipane. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une menace très claire qui pèse sur le groupe : notre établissement financier, Action Logement Services, a fait l’objet d’un reclassement par l’Insee – que nous contestons devant les tribunaux – transformant Action Logement Services en administration publique (APU). Ceci aurait pour conséquence d’en faire un organisme divers d’administration centrale (Odac) et donc de nous enlever toute capacité d’endettement, puisqu’une APU se doit d’être calquée sur le cadre temporel du projet de loi de finances – donc, un endettement à douze mois avec un contrôle renforcé du ministère des finances.

Les ressources du groupe sont, quasiment à 100 %, liées au 0,45 % pris sur la masse salariale des entreprises – et donc, quelque part, sur les salariés ; c’est pour cela que nous sommes paritaires et, comme nous sommes d’utilité sociale, les partenaires sociaux ont décidé de continuer à servir l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille et même si seules celles de plus de cinquante salariés contribuent.

Quand le seuil est passé de dix à vingt salariés, nous avons perdu 180 millions d’euros par an, qui devaient nous être compensés ; M. Manuel Valls, qui était Premier ministre à l’époque, en a décidé autrement. Quand le seuil est passé de vingt à cinquante salariés par décision de M. Bruno Le Maire dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte », nous avons perdu trois cents millions d’euros par an. Au total, nous perdons donc 480 millions d’euros de collecte par an, qui ne peuvent pas être investis pour les logements social et intermédiaire. Pour mémoire, ces 480 millions d’euros par an n’ont été compensés qu’une seule fois, à hauteur de trois cents millions d’euros.

À force de vouloir « jouer » avec cette Peec pour payer ceci ou cela – je rappelle que la Peec n’est pas un impôt, mais une contribution volontaire obligatoire –, le conseil d’administration du Medef pourrait décider de revoir cette contribution ; la discussion avec le ministre des Finances pourrait être catastrophique pour les mondes du logement et de la construction, de manière générale.

La Peec a vocation à financer la construction de logements. Plaine Commune, dans le 93, est une France en miniature. Sur les 236 000 logements sociaux existants, Action Logement en détient 48 000 (20 %). Combien y a-t-il de demandeurs de tels logements ? Cent mille demandeurs dans le 93, dont trente-cinq mille à Plaine Commune ; ce sont en grande partie des salariés. Combien y a-t-il eu d’agréments ? 3 698…

Dans les Côtes-d’Armor, la situation est pire encore : seules 14 % des demandes de logements sociaux sont satisfaites, je pense qu’il s’agit de l’un des records en France. Il y a 23 791 logements sociaux dans les Côtes-d’Armor, on n’en a que 1 344 : on voit le peu d’impact que l’on peut avoir sur ce territoire. Pourtant, 70 % de la population est éligible au logement social…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. 85 % dans les Côtes-d’Armor…

M. Bruno Arcadipane. Combien y a-t-il eu d’agréments délivrés en 2022 ? 190.

On est en train d’étouffer la machine, alors que, quand cette machine s’arrête, elle est très longue à redémarrer. Aujourd’hui, le secteur n’a que deux poumons : la Caisse des dépôts et consignations et Action Logement ; si l’on arrête l’un des deux, que va-t-il se passer, au moment où la hausse du taux du livret A, le seul taux sur lequel nous sommes tous indexés, affaiblit de façon importante l’ensemble du secteur ?

Je voudrais néanmoins terminer par quelques exemples encourageants. Quand une entreprise nous appelle, nous pouvons, du fait de notre paritarisme, prendre des décisions rapides et objectives. Le zoo de Beauval nous a contactés parce qu’il avait du mal à recruter, à cause du manque de logements à proximité. Nous avons construit au pied du zoo, ce qui est très compliqué.

Quand Yves Rocher a des difficultés pour recruter, nous créons une résidence sur mesure, qui s’appelle La Bergerie, pour qu’il puisse loger ses salariés.

Quand un groupe de la taille de Disney nous sollicite pour les mêmes raisons, nous trouvons encore des solutions sur mesure.

Nous venons de signer un accord avec les dirigeants du Puy-du-Fou qui, jusque-là, ne logeaient pas du tout leurs salariés. Ils ont du foncier, mais ils souhaitent peut-être demain continuer à développer leur parc. Là aussi, nous trouvons des solutions en posant sur leur propre terrain des maisons innovantes, qui peuvent être déplacées en fonction de l’évolution du parc.

Nous avons construit récemment à Maxéville (54), pour la fédération de la métallurgie, des logements étudiants sur son propre parking. Pourquoi ? Parce que son école était éloignée de Nancy, qui compte beaucoup de logements étudiants. Comme elle reçoit des mineurs, les trajets tard le soir pouvaient poser problème : nous avons donc construit une offre spécifique pour elle.

La crise est multifactorielle et terrible. Nous nous devons d’y répondre ensemble avec de l’innovation, de l’ingénierie et aussi un peu d’argent. Il faut consolider et sécuriser les ressources d’un secteur qui a perdu plus de dix milliards d’euros en une petite dizaine d’années.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Merci pour votre analyse, que je partage largement. Pendant des décennies, on a déroulé un tissu urbain et, maintenant qu’on va le découper, il va falloir faire de la dentelle pour coller le plus possible aux besoins des territoires. Dans le passé, on a beaucoup parlé en termes de quantités et d’objectifs, mais jamais en termes de logements répondant aux besoins présents et futurs du territoire, en fonction de l’évolution de sa population.

Vous évoquiez la définition, au niveau national, d’une caisse à outils dont les territoires pourraient s’emparer pour répondre à leurs besoins : je crois que cette approche est la bonne. Nous avons des blocages à tous les niveaux, aujourd’hui, et ces blocages sont renforcés par un contexte tempétueux. Il faudra être innovants et accepter que les règles d’urbanisme puissent être plus flexibles : lorsque vous parlez de logements qui puissent évoluer en fonction des besoins, cela signifie avoir des autorisations d’urbanisme qui soient différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.

Notre territoire s’est beaucoup artificialisé, au moment même où l’on mettait en place des documents de planification pour, prétendument, maîtriser la construction. En définitive, l’artificialisation s’est accélérée parce que l’on n’a su que juxtaposer des zones en créant des zones dédiées à l’artisanat, au commerce, au logement, à l’industrie, etc., la voiture étant le seul moyen de les relier.

Qu’est-ce qui, selon vous, nous manquerait encore du point de vue des outils de pilotage et de planification pour résoudre ces problèmes de logement ? Les logements pour les saisonniers sont en nombre insuffisant, ce qui a pour conséquence que des emplois saisonniers ne sont pas pourvus et que des restaurants ferment en pleine saison, une journée par semaine, pour tenir compte de la difficulté de recruter : quand vous êtes étudiant, travailleur saisonnier, et que vous gagnez 1 400 euros par mois, vous ne pensez pas dépenser 700 euros pour vous loger. Comment faire pour utiliser les zones artisanales, qui sont vides le soir, pour loger des saisonniers ? Nous nous heurtons encore une fois à une réglementation qui interdit de construire du logement dans les zones artisanales.

La question de la solvabilité se pose pour ceux qui veulent accéder à la propriété : le coût du crédit augmentant, beaucoup renoncent à acquérir un logement, ce qui a pour effet de mettre en difficultés ceux qui construisent des logements et conduit à supprimer des emplois.

Disposez-vous aujourd’hui d’outils précis qui vous permettent d’identifier les besoins de logements pour les entreprises, les étudiants et les seniors ? Apparemment, les instruments n’existent pas, qui permettraient de fixer des orientations et des règles pour les territoires.

Aujourd’hui, des entreprises sont obligées de renoncer à des marchés, faute de logements pour pouvoir loger leurs salariés. Nous avons des idées, nous avons besoin d’ingénierie pour faire de l’innovation. Les collectivités, quant à elles, n’ont pas les moyens d’innover : elles ne font que subir, subir les logements qui se construisent sur leur territoire et ne répondent pas à leurs besoins, subir que personne ne vienne construire chez elles alors qu’elles ont des besoins. Alors que l’ingénierie est essentielle, c’est l’inverse qui a été réalisé depuis trente ans pour réaliser des économies qui, aujourd’hui, nous coûtent très cher.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). Pour moi, la problématique, c’est de loger où l’on en a besoin, là où les employeurs sont à la peine pour loger leurs salariés, plutôt que produire du logement là où c’est possible. Quand on a si peu d’attributions par rapport aux besoins, on ne répond pas à la crise du logement. Ce n’est pas de votre faute : vous faites avec les moyens que vous avez. Je pense que vous avez tout intérêt à être en soutien de tous ces employeurs qui sont prêts à « mettre la main à la poche » pour produire du logement afin de loger leurs salariés.

Le droit réel que doivent avoir les entreprises de loger leurs salariés est le vrai sujet et je tiens à ce lien réel entre emploi et logement. Si l’on veut que les entreprises investissent ou que vous soyez leur partenaire, il faut interroger le lien entre le contrat de travail et le contrat de location. Si une entreprise investit dans un logement, que son salarié démissionne et qu’il reste dans le logement, que faire ? Ces situations doivent être envisagées, puisque 3 % des salariés sont licenciés chaque année dans notre pays. Ne peut-on pas imaginer du relogement dans ces cas difficiles ? Dans le Val-d’Oise, un gros transporteur emploie trois mille salariés et verse cinq cent mille euros de Peec : il n’a eu que vingt attributions ! Ce n’est pas possible !

Il faut sortir de cette idéologie du « tout institutionnel » et de ces commissions d’attribution des logements qui, en réalité, ne servent pas les salariés de notre pays. Dans le parc social, le nombre de jeunes logés a été divisé par deux et le nombre de seniors a doublé en trente ou quarante ans : c’est un échec de mixité. Encore une fois, le logement aidé, c’est très bien ; mais si on veut aller vers le plein-emploi, il faut loger avant tout les salariés.

Que pouvez-vous nous proposer pour aller beaucoup plus loin et beaucoup plus fort ? Nous en avons besoin maintenant.

M. Bruno Arcadipane. Malheureusement, nous ne faisons pas la loi ! Imaginer demain « coller » un bail d’habitation à un emploi nécessiterait une modification législative. À titre personnel, je n’y crois pas beaucoup.

Je suis preneur des exemples où les employeurs ne s’y retrouvent pas, parce que, normalement, ils nous le disent. Nous tenons des fiches sur chaque entreprise, avec les services rendus (attributions, aides aux salariés, etc.) ; pour vous donner un ordre d’idées, Action Logement a distribué 850 000 aides aux salariés l’année dernière, ce qui est considérable.

Si l’on suit votre idée d’un lien entre le bail et le contrat de travail, quid de la personne qui arrive en retraite ou qui est en longue maladie ? Nous pourrions en débattre longuement.

Vouloir donner toute la responsabilité aux maires, notamment la signature des permis de construire, m’inquiète beaucoup. Si le maire est le seul décideur du peuplement de sa commune, la pression sur lui sera considérable. Il faut aller voir comment cela se passe dans un village de trois cents habitants, dans une ville de dix mille habitants et dans une métropole pour prendre la mesure des tensions qui s’exercent aujourd’hui, lorsqu’on touche à la problématique du logement. Le poids que l’on va mettre sur les épaules des élus sera, à mon avis, insupportable pour beaucoup d’entre eux.

M. Philippe Lengrand. S’agissant de la Peec, les risques sont toujours présents : nous avons mis presque un an pour négocier une convention quinquennale, mais l’épée de Damoclès est toujours présente. Le risque vient d’en haut, mais aussi d’en bas : il arrive que les travailleurs que nous représentons viennent nous voir et nous reprochent, alors que leur entreprise verse à Action Logement 0,45 % de sa masse salariale, de ne pas avoir de réponse quand ils demandent un logement ou de devoir se contenter d’un logement non rénové.

Nous pouvons être fiers, aujourd’hui, de nos résultats en termes de construction, de rénovation et d’accompagnement, grâce à l’ingénierie qui a été développée.

La culture des résultats, tout le monde doit l’avoir. Nous nous devons d’avoir des résultats pour les travailleurs, pour les entreprises, pour ceux que nous représentons.

Il faut également être innovant. Nous faisons de l’habitat modulaire pour les saisonniers au Pays basque, dans les Hautes-Alpes, etc. Nous expérimentons le corpoworking, près de Toulouse. Nous essayons de répondre aux spécificités territoriales : les idées ne viennent pas d’en haut, mais émanent des comités régionaux ou territoriaux d’Action Logement ; comme nous avons l’ingénierie qui nous permet d’examiner les demandes, nous pouvons essayer d’y répondre.

S’agissant du lien entre le contrat de travail et le bail, j’évoquerai deux points. D’une part, je pense qu’il ne faut pas aller trop vite, pour éviter les fausses bonnes idées. Le système tel qu’il existe est interprofessionnel et solidaire ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il est géré par les partenaires sociaux. Je suis donc circonspect quand je vois certaines entreprises qui, de façon isolée, commencent à répondre à ces questions de logement : cela revient à détricoter nos systèmes de justice interprofessionnelle, intergénérationnelle et solidaire.

D’autre part, le contrat de travail est un lien de subordination ; c’est bien pour cela que les syndicats existent : si un travailleur a un problème avec son employeur, il peut se retourner vers un syndicat qui peut éventuellement lui apporter une réponse. Le travailleur a déjà, de par son contrat de travail, les pieds et poings liés. Si, en plus, le contrat de travail est lié au logement, les risques pour le salarié deviennent très grands.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). Le lien emploi-logement n’a pas vocation à régir tous les Français. Le logement de fonction existe : quand les personnes arrêtent une profession, elles quittent leurs logements. Si une entreprise vous propose un logement, rien ne vous oblige dans le contrat de travail à prendre ce logement ; mais si vous le prenez, c’est donnant-donnant. Sinon, quel serait l’intérêt de l’entreprise à investir ?

L’idée n’est pas de fragiliser et de mettre les salariés en difficulté, mais de réfléchir à la manière de sortir de ce carcan pour que les salariés puissent être logés. Cette mobilité professionnelle, on en a besoin et, aujourd’hui, on n’y répond pas de façon satisfaisante.

M. le président Stéphane Peu. La perte de mobilité dans le parc social – elle a été divisée par deux ces dernières années – n’est pas due au fait que trop de personnes se satisferaient d’une rente de situation ; elle est très liée au fait que la mécanique est bloquée et que le parcours résidentiel ne fonctionne plus, c’est d’ailleurs l’un des objets de la présente mission d’information. J’ai présidé un organisme de vingt mille logements : nous faisions 12 % de mobilité par an jusqu’à il y a une petite dizaine d’années ; aujourd’hui, ce taux est tombé à 4 % ; sur vingt mille logements, au lieu d’en attribuer 2 400, vous en attribuez 800 désormais.

Action Logement est largement mise à contribution, en dehors de ses missions fondamentales, afin de soutenir financièrement des opérateurs ou actions de l’État – l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le programme « Action cœur de ville », etc. Il serait intéressant d’avoir un document sur les recettes d’Action Logement (la Peec, les retours de prêts, etc.) et sur ses grands postes de dépenses, en distinguant le cœur des missions d’Action Logement (loger, construire, rénover) et les missions de l’État. Je bondis quand, dans l’hémicycle, j’entends des ministres dire : « Nous finançons l’Anru à hauteur de cinq milliards d’euros par an. » ; non, ce n’est pas l’État, ce n’est pas le contribuable, qui finance l’Anru, c’est Action Logement à hauteur de 90 %.

Action Logement est, comme le régime Agirc-Arcco, un organisme paritaire bien géré, qui arrive à fabriquer des consensus sur des sujets d’intérêt général comme le logement et qui se voit ponctionner par des responsables qui ont du mal à gérer convenablement le budget de l’État.

Je m’inquiète beaucoup des difficultés que nous rencontrons en matière de logement des fonctionnaires. Le ministère de l’intérieur peine à recruter des gardiens de la paix en région parisienne ; les difficultés sont les mêmes pour les enseignants, la fonction publique hospitalière, le greffe du tribunal de Bobigny… Il n’existe pas de Peec pour la fonction publique. À une époque, 5 % du contingent préfectoral étaient censés être réservés au logement des fonctionnaires ; cela n’existe plus, car les nombreuses filières de relogement prioritaire prennent le pas sur le reste. Ne pourrait-on pas proposer une Peec fonctionnaire ?

M. Bruno Arcadipane. Il existe déjà une Peec, que les entreprises publiques ou privées peuvent alimenter au-delà de la participation volontaire. Beaucoup d’entreprises le font, comme La Poste et la RATP. Quelques structures publiques nous demandent de gérer, pour leur compte, ce lien emploi-logement au bénéfice des fonctionnaires. Aujourd’hui, la Peec est fléchée vers le secteur privé, mais nous pourrions l’élargir demain au secteur public.

La SNCF, La Poste ou la RATP détiennent – ou détenaient – un opérateur dédié au logement de ses salariés. Comme nous, les opérateurs sont assujettis aux quotas, au droit au logement opposable (Dalo), au quota préfectoral, à tous ces publics prioritaires. À force d’avoir des publics prioritaires, ultra-prioritaires et prioritaires sur les ultra-prioritaires, on finit par perdre de vue que, pendant la covid, on applaudissait les soignants et les caissières à vingt heures : les applaudir, c’est bien… mais les loger, c’est mieux !

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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12.   Audition de M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement (mercredi 25 octobre 2023 à 17 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. Mon collègue Mickaël Cosson et moi-même avons été missionnés par la présidence de l’Assemblée nationale pour conduire une mission d’information parlementaire sur le logement. Il y en a déjà eu beaucoup, sur des thématiques particulières ; c’est pourquoi nous avons choisi de prendre de la hauteur et d’embrasser un large spectre de problématiques. Plusieurs projets de loi sont attendus prochainement, dont un projet de loi-cadre sur la politique du logement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. L’objet de notre rapport sera notamment d’aborder les points bloquants qui existent en matière de logement pour les étudiants, les jeunes actifs ou les seniors. À chaque étape de la vie, nous rencontrons des difficultés pour trouver un logement adapté à nos besoins. Au cours des dernières décennies, nous avons produit des logements ; maintenant que le tissu urbain va être découpé, l’enjeu est de « coudre une dentelle » permettant de répondre aux besoins spécifiques de nos populations, lesquels peuvent différer d’un territoire à l’autre.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement. Une politique durable du logement poursuit quatre objectifs : un objectif économique – que chacun puisse trouver, à un coût abordable, un logement qui correspond à ses besoins ; un objectif environnemental – veiller à ce que l’ensemble des logements à l’échelle nationale répondent aux enjeux de la transition écologique et énergétique ; un objectif social – que chacun ait un toit digne et décent ; et un objectif territorial – avoir une politique du logement adaptée aux différents contextes territoriaux.

Tels sont les grands objectifs historiques de la politique du logement. Ils s’expriment aujourd’hui dans un contexte de crise multifactorielle. Il s’agit d’abord d’une crise de la production, avec la hausse des taux d’intérêt – ceux-ci oscillent aujourd’hui autour de 4 % –, l’augmentation du coût des matériaux et du coût de la construction, la raréfaction du foncier et son renchérissement ainsi que les réticences de plus en plus prononcées devant les constructions neuves.

À cette crise de la production s’ajoutent une crise écologique – la nécessité d’accélérer la rénovation énergétique des logements – et une crise démographique – c’est-à-dire les problématiques du vieillissement de la population et de l’adaptation des logements –, qui sont considérables. Aujourd’hui, le parc social est presque plus en avance sur la question de la rénovation énergétique que sur celle de l’adaptation au vieillissement. Il existe enfin une crise de l’hébergement d’urgence.

Cette crise multifactorielle appelle naturellement des réponses multiples : il n’existe pas de réponse simple à des questions complexes et diverses.

La stratégie que nous avons souhaité engager se déploie en deux temps et comporte plusieurs objectifs. D’abord – et ce fut ma préoccupation essentielle depuis mon arrivée – nous essayons de mettre en place des mesures d’amortissement de la crise – notamment des mesures à caractère économique, pour amortir le choc de la hausse des taux d’intérêt. Ces mesures sont ou seront inscrites dans le projet de loi de finances pour 2024 : je pense ainsi à l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) à de nouveaux territoires et à de nouveaux publics, avec l’objectif de maintenir un même niveau d’engagement.

Nous souhaitons soutenir le logement locatif intermédiaire, en l’ouvrant à l’épargne des particuliers via des fonds d’investissement ainsi qu’aux résidences.

Nous soutenons le logement locatif social : un accord a été trouvé avec le mouvement HLM, notre volonté étant de tenir ensemble des objectifs difficiles sur la rénovation énergétique et sur la garantie d’un niveau de production satisfaisant. Des mesures ont été prises sur le foncier, avec l’idée de renforcer quelques abattements sur les plus-values de cession foncière, en attendant peut-être une réflexion sur leur fiscalité.

La réflexion sur le logement étudiant passera par différentes voies, notamment la mobilisation de foncier sur les campus universitaires et la volonté d’innover sur la colocation de grands logements des bailleurs sociaux.

À ceci s’ajoute le plan de rachat de 47 000 logements par la Caisse des dépôts et consignations et Action Logement, afin de pouvoir amortir le choc d’opérations déjà lancées par les promoteurs et qui ne trouvent pas preneurs.

Ces mesures visaient avant tout à amortir le choc économique. Pour essayer de répondre à la crise, l’idée est aussi de mobiliser le parc existant.

Nous poursuivons le plan de lutte contre la vacance : le nombre de territoires éligibles à la taxe sur les logements vacants a été élargi ; nous avons gardé, dans les zones détendues, un prêt à taux zéro dans l’ancien, destiné à accompagner la rénovation ; nous poursuivons le travail de la start-up Zéro Logement Vacant, qui permet aux maires d’avoir connaissance des propriétaires des logements concernés.

Nous souhaitons également travailler avec le mouvement HLM sur la manière de fluidifier et d’améliorer la mobilité à l’intérieur du parc social.

La réflexion porte aussi sur les meublés touristiques et la lutte contre l’attrition des logements. Le Parlement débattra prochainement de la fiscalité des meublés touristiques et il est un juge légitime en la matière. À mes yeux, l’important est de donner rapidement un outil de régulation aux collectivités locales : un simple aménagement de la fiscalité ne réduira pas substantiellement l’attractivité des meublés touristiques et leur rentabilité ; dans un certain nombre de territoires, seul un outil à la main des collectivités locales permettra de juguler le problème. La question de la fiscalité des meublés sera intégrée à la mission parlementaire que j’ai annoncée sur la fiscalité locative, mais elle ne doit pas être l’alpha et l’oméga de notre réflexion sur les meublés touristiques.

Hier, nous avons rendu public le rapport de Michèle Lutz et Mathieu Hanotin sur les outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne. Il contient un certain nombre de propositions qui constitueront la feuille de route du ministère du logement, avec pour objectifs de mettre en place un plan à caractère réglementaire et financier le plus rapidement possible et de déposer un projet de loi au premier trimestre 2024.

Nous menons une réflexion sur la rénovation énergétique des passoires thermiques. Nous souhaitons conserver au maximum le calendrier de la loi « Climat et résilience » et essayons d’accompagner les professionnels dans le respect de celui-ci. Des annonces ont été faites sur le renforcement de MaPrimeRénov’ ; nous souhaitons mobiliser davantage des dispositifs comme Loc’Avantages, qui doivent permettre de remettre sur le marché de la location un certain nombre de biens vacants ou dans des situations d’habitat dégradé.

Une réflexion sur le long terme est également nécessaire pour refonder la politique du logement. Depuis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), beaucoup de choses ont changé : la transition écologique s’est accélérée ; la crise sanitaire liée à la covid-19 a apporté une autre vision de ce que devait être l’habitat ; des thèmes forts s’imposent, comme le lien emploi-logement – peut-on accepter que des travailleurs-clés vivent à cinquante ou cent kilomètres de leur travail ? Des thèmes nouveaux apparaissent. Il semble donc nécessaire au gouvernement de refonder cette politique du logement et de penser un nouveau modèle de fabrication de la ville. Une fois que nous aurons imaginé collectivement la ville de demain, la politique du logement qui en découlera devra constituer le contenu même de ce projet de loi-cadre, qui a vocation à arriver sur le bureau de l’Assemblée nationale au printemps 2024.

Ce projet de loi couvre de nombreux sujets, notamment celui de la décentralisation et celui de la différenciation de l’action et de l’intervention de l’État. Dans ce nouveau modèle, l’intervention de l’État ne doit pas être la même à Paris, à Vesoul ou dans le Pays basque. Le zonage actuel opère une forme assez rudimentaire de différenciation de la politique et de l’intervention de l’État ; cela doit être largement amélioré : la différenciation de cette action doit être beaucoup plus précise.

Le projet de loi sera l’occasion de repenser la place du logement social dans notre modèle de logement. Les attributions suivent des logiques essentiellement procédurales. Le logement social a-t-il vocation à voir disparaître son modèle généraliste de mixité sociale ou faut-il se reposer la question de cette mixité ?

Nous commençons d’ores et déjà à mettre en œuvre cette différenciation de l’action de l’État avec la volonté de renforcer le prêt à taux zéro, ainsi qu’avec l’appel à candidatures « Territoires engagés pour le logement », une démarche qui vise à accélérer la production de logements dans un certain nombre de sites où la pénurie rend nécessaire d’agir plus vite.

M. le président Stéphane Peu. Cette année, le nombre de logements produits par notre pays a atteint un point bas historique, alors que la population et les demandes de logement continuent d’augmenter, notamment les demandes de logement social. Il ne s’agit pas seulement d’une crise immobilière, comme nous en avons connu dans les années 1900 ou en 2008, mais également d’une crise sociale qui n’est pas liée à la hausse des taux mais à la baisse de la production.

Lorsque la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « Elan », a été votée (2018), le taux du livret A se situait à 0,5 %. Je rappelle qu’un point de taux du livret A représente 1,5 milliard d’euros (Md€) supplémentaire à décaisser pour les organismes HLM et que 1,5 Md€ correspond également, à peu près, au montant de la réduction de loyer de solidarité (RLS). Nous sommes passés de 0,5 % à 3 %, ce qui ampute considérablement les capacités d’investissement des organismes HLM. Face à la crise du logement abordable, quelles que soient les catégories concernées, ne peut-il pas y avoir une mesure qui tienne compte de la conjoncture, laquelle n’est plus la même qu’en 2018, et qui permette de revenir à une TVA à taux réduit et de mettre fin à la RLS ?

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Un sujet n’a pas été retravaillé depuis des décennies : celui des baux. N’y a-t-il pas quelque chose à faire pour permettre plus de fluidité, plus de droits, plus de garanties pour le locataire en cas de défaillance ? Au Québec, trouver un logement est chose aisée : le projet de loi ne peut-il pas s’inspirer de cet exemple et importer certaines pratiques pour faciliter les parcours résidentiels, qui deviennent parfois de véritables courses d’obstacles ?

M. William Martinet (LFI-NUPES). Au congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH), vous avez annoncé 400 millions d’euros (M€) par an pour financer la rénovation énergétique des logements sociaux. Il se murmure que ces 400 M€ seraient prélevés sur l’augmentation de l’enveloppe décidée pour MaPrimeRénov’, laquelle se monte à 1,6 Md€ pour 2024 : est-ce exact ?

À combien estimez-vous le coût de l’abattement sur la plus-value foncière ? Combien de terrains seront mis à disposition ?

En termes d’attribution de logements, il existe aujourd’hui des obligations légales. 25 % des attributions doivent être DALO ou, à défaut, prioritaires ; 25 % doivent bénéficier aux ménages du premier quartile de revenus. Ces obligations poussent les réservataires et les bailleurs à aller chercher les ménages modestes. Contrairement aux idées reçues, plus vous avez un revenu important, plus il vous est facile d’accéder au logement social et ce sont les publics les plus précaires qui rencontrent des difficultés d’accès : un rapport de la fondation Abbé Pierre est assez clair là-dessus. Avec l’objectif de plus de mixité sociale que vous avez évoqué, souhaitez-vous renverser la vapeur ?

La Banque des territoires a réalisé des projections sur la production de logements sociaux et la capacité de rénovation des bailleurs. Ces projections font état de 80 000 productions et de 60 000 rénovations par an, à périmètre économique constant : nous sommes très loin des besoins sociaux et environnementaux avérés. J’imagine que le gouvernement lui-même pense que nous ne sommes pas à la hauteur des besoins. Vous satisfaites-vous de ces chiffres ? Sinon, que comptez-vous faire pour que les réalisations soient plus élevées ?

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Depuis quand n’y a-t-il pas eu de véritable politique du logement dans notre pays ? Cette interrogation est réelle et sans esprit polémique.

Chaque année, nous nous battons contre la perte de places et la fermeture de centres d’hébergement. Qu’en est-il pour cet hiver ?

S’agissant du logement social, une disposition permet au préfet de construire en lieu et place, sur le budget de la commune, quand les maires sont récalcitrants. Le gouvernement compte-t-il activer cette disposition, qui figure déjà dans la loi ?

Concernant les meublés touristiques, allons-nous en finir avec la niche fiscale ? Je ne parle pas d’un alignement des taux ou d’un ajustement de l’abattement. Le rapporteur a indiqué qu’il était trop violent de changer les taux à l’approche de la nouvelle année… mais la violence, c’est de ne pas pouvoir se loger !

Quand des requérants arrivent à être reconnus DALO, ils peuvent demander une astreinte. Celle-ci est versée de l’État à l’État. Êtes-vous favorable à ce que, dans l’attente de son relogement, toute ou partie de cette astreinte puisse être versée au requérant ?

Si une grande loi « Logement » est présentée, êtes-vous favorable à une nouvelle garantie universelle des loyers ? Elle avait un temps été légale, avant d’être escamotée dans la loi Alur.

M. Philippe Lottiaux (RN). La crise est économique : les entreprises de BTP ont encore du travail, mais il n’y a plus rien qui arrive. La crise est aussi sociale. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié des logements sociaux sont produits dans le cadre d’opérations mixtes. Il n’y a plus de privé, il n’y a plus de public, ce qui est problématique. J’ai l’impression que vous n’avez pas pris de mesures à la hauteur de la situation.

Que fait-on pour faciliter l’acte de construire ? Certains maires hésitent beaucoup à construire. Des propositions ont été formulées, notamment en termes d’incitation financière. Que fait-on pour faciliter l’acte d’achat, quand les banques refusent de plus en plus de prêts et que les taux augmentent ? Il semble qu’il n’y ait pas de mesure conjoncturelle à la hauteur de cette crise, qui est très prégnante. L’extension du PTZ est un autre exemple : on en a exclu le neuf individuel dans la plupart des territoires.

Que peut-on faire pour relancer l’investissement locatif ? Nous avons constaté une disparition totale des investisseurs institutionnels dans le locatif. Comment les faire revenir ?

Le bailleur social doit-il absolument être propriétaire des murs ? N’est-il pas possible d’envisager des foncières ou des investisseurs qui délèguent à d’autres la gestion de logements à caractère social ?

Ma troisième question porte sur le statut du bailleur, qui pourrait également faciliter l’investissement locatif.

M. Patrice Vergriete. Le maintien du taux du livret A à 3 % représente l’équivalent de 1,4 Md€ d’économie de charges. L’effort du gouvernement est aujourd’hui supérieur à la charge liée à la RLS. Le lendemain de cette décision, nous avons vu les bailleurs sociaux revenir vers la Caisse des dépôts et consignations et refaire partir les prêts. L’impact a donc été substantiel.

Quand on analyse les « produits » de logement social, on voit que le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) arrive à trouver son modèle économique, tout comme le prêt locatif social (PLS) ; le prêt locatif à usage social (Plus), en revanche, ne le trouve pas. L’accord conclu avec le mouvement HLM prévoit de regarder comment faire évoluer ces produits, de manière à ce qu’ils s’équilibrent. Dans son rapport, la Caisse des dépôts et consignations indique que le Plus ne se rééquilibre qu’à cinquante-deux ans : c’est sans doute le produit qui pose problème dans le bouclage des opérations des bailleurs sociaux. Je suis d’accord sur la nécessité de réfléchir aux moyens de rééquilibrer ce produit.

Les 400 M€ que vous évoquez ne sont pas pris sur le 1,6 Md€ de MaPrimeRenov’, mais sur les 5 Md€ dédiés à la rénovation énergétique.

S’agissant de l’abattement foncier, nous n’avons pas de chiffrage. Il existe plusieurs mesures possibles, qui sont assez techniques. Je ne dispose pas des éléments permettant de vous répondre plus précisément.

Pour ce qui est des attributions, je ne partage pas votre analyse. Aujourd’hui, les deux premiers déciles n’ont jamais été aussi représentés dans l’histoire du parc social. Il n’est pas exact de dire que les attributions n’iraient pas vers les plus défavorisés. Le mouvement HLM le dit lui-même : il y a une paupérisation des locataires du parc HLM.

La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS », a inventé le dispositif des « résidences à enjeu de mixité sociale ». Quand les élus locaux auront identifié de telles résidences, devra-t-on intégrer des paramètres de mixité sociale dans les attributions ou est-ce qu’on continuera à concentrer toujours plus la misère au même endroit ? C’est une question de fond qu’il faudra se poser dans le cadre du futur projet de loi sur le logement. Allons-nous abandonner définitivement notre modèle généraliste pour accepter une concentration des plus pauvres, convergeant ainsi vers d’autres modèles européens de logement social ? À titre personnel, je n’y suis pas favorable ; je défends le concept de « mixité sociale », je suis d’ailleurs l’un des corédacteurs de l’article 55 de la loi SRU, auquel je tiens. Continuer à fermer les yeux et à concentrer la misère n’est pas une solution.

En ce qui concerne les projections de constructions, je me fiche éperdument des chiffres nationaux qui circulent ; ils ne m’intéressent pas.

S’il y a une chose que nous devons faire aujourd’hui, c’est de la différenciation territoriale : je vais mettre en place des conventions territorialisées, avec des engagements de production et de rénovation énergétique. Ce qui m’intéresse est de savoir si nous atteignons les objectifs, territoire par territoire : l’Île‑de‑France a besoin d’énormément de constructions neuves ; est-elle en retard ? Si oui, pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que des territoires qui sont dans la même situation arrivent ou pas à « sortir » des logements ? Dunkerque va accueillir vingt mille emplois nouveaux : nous avons identifié tous les opérateurs et tous les fonciers ; nous avons des dates et des engagements ; les logements sortent… J’aimerais savoir pourquoi ce n’est pas le cas dans d’autres territoires : est-ce en raison de questions territoriales, nationales ou politiques ?

Vous avez évoqué l’hébergement d’urgence. Nous n’avons pas de diminution du nombre de places : ce nombre est passé de 93 000 en 2013 à 203 000 aujourd’hui ; l’augmentation est considérable et ce chiffre n’a jamais diminué. Mais faut-il continuer à accepter, année après année, une augmentation du nombre de places, ou doit-on essayer de faire une réforme plus structurelle de l’hébergement d’urgence ? Je ne comprends pas que des familles avec des enfants scolarisés logent pendant cinq ans en hébergement d’urgence dans un hôtel. Peut-être faut-il refuser de telles situations et engager une réflexion de fond sur ce sujet.

La loi SRU, qui est critiquée de tous côtés, est une loi que je veux défendre. Elle a fait son chemin et aujourd’hui, un logement social sur deux vient de la loi SRU – ce qui me semble être un succès. C’est l’une des rares lois qui aient survécu à tous les gouvernements et sensibilités ; elle n’est ni trop restrictive, ni pas assez. Vous pouvez compter sur moi pour l’appliquer avec fermeté et signer des contrats de mixité sociale avec les élus, pour rendre tangibles les engagements. Certains maires, nous le savons, sont récalcitrants et nous pouvons nous montrer coercitifs : les choses avancent, je ne voudrais pas qu’on fasse un mauvais procès à cette loi.

La question de l’évolution de baux et celle de la fluidité du marché peuvent s’inscrire dans le cadre d’un projet de loi consacré au logement.

S’agissant des meublés touristiques, le débat en cours au Parlement est sain et intéressant. J’ai donné mon point de vue personnel. Je veux insister sur un point : la fiscalité des meublés touristiques ne réglera pas le problème de fond, il faut un outil de régulation publique. Une mission parlementaire analysera les effets de bord d’un éventuel alignement de cette fiscalité ; ensuite, que le Parlement prenne la décision qu’il estimera fiscalement juste !

S’agissant de la garantie universelle des loyers, le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale des finances avaient considéré que cette garantie devait être ciblée sur les jeunes. Cela a donné la garantie Visale, qui s’étend progressivement à d’autres publics que les jeunes et qui fonctionne bien. C’est un débat que nous pourrons avoir dans le cadre du projet de loi consacré au logement.

Vous avez évoqué la dimension procyclique du logement social par rapport au logement privé. Effectivement, jusqu’à une période récente, quand survenait une crise du logement privé, il n’y avait qu’une contagion limitée vers le logement social. Les bailleurs sociaux avaient une certaine capacité à produire en propre, ils avaient un patrimoine moindre et ils s’appuyaient moins sur les ventes HLM pour équilibrer leurs opérations : il y avait un effet contracyclique du logement locatif social par rapport au secteur privé. Aujourd’hui et c’est un fait nouveau, 50 % du logement social est produit par les promoteurs et certains bailleurs n’ont même plus la capacité de produire du logement social. Cette dimension moins contracyclique est un problème supplémentaire : quand la crise survient dans le secteur privé, elle survient aussi dans le secteur HLM.

Le problème ne vient pas nécessairement de ce que les maires ne voudraient pas construire, mais plutôt du fait que, dans notre société, dans la population, il existe une forme de réticence à la construction neuve. Le nouveau modèle de développement territorial que nous devons construire doit donc intégrer un dialogue avec la population : souvent, une population accepte la densification dès lors qu’elle y gagne des services. L’acceptation par la population de ce nouveau modèle économique est indispensable si nous voulons changer notre mode de fabrication de la ville.

Le crédit immobilier a beaucoup souffert de la hausse des taux. Le ministre chargé de l’économie, Bruno Le Maire, et moi-même dialoguons avec le gouverneur de la Banque de France. Nous ne demandons pas qu’on change les règles prudentielles, mais qu’on arrête de mettre des sous-critères supplémentaires aux banques dans leurs 20 % de marge ! Aujourd’hui, les banques n’utilisent que 13 % de leur marge et nous perdons donc 7 % de crédits qui pourraient être utilisés dans la construction neuve.

M. Dominique Da Silva (RE). Je crois que la ville de demain devra s’attacher à l’équilibre logement-emploi, surtout dans l’intérêt des actifs les plus modestes : il me semble que c’est une dimension que nous avons oubliée.

Le péché originel de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains a été de ne pas introduire la notion d’emploi ; nous avons construit là où c’était possible, là où les maires étaient d’accord, mais nous ne nous sommes pas attachés à savoir si les gens trouveraient du travail. Les logements sociaux ont augmenté de 30 %, mais les demandeurs sont deux fois plus nombreux, ce qui interroge.

Nous évoquons toujours l’emploi au sein des grandes entreprises, mais nous ne parlons jamais des problématiques d’accès au logement pour les salariés des PME. Des millions d’entreprises sont confrontées à ce sujet et nous n’y répondons pas. Ne pensez-vous pas que les employeurs pourraient s’engager dans le cofinancement du logement ? Il faut leur redonner la main, car c’est une manière de décentraliser et de faire du logement là où c’est utile, à proximité des lieux de travail, ce qui répond aussi à la question écologique.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Vous avez parlé de la réticence de certains habitants à avoir de nouveaux voisins. C’est peut-être moins vrai dans les cœurs de métropole, même s’il apparaît parfois un attachement soudain et inattendu à la biodiversité dans les villes, dès lors que des logements sociaux doivent s’implanter près de notre lieu d’habitation...

L’idée selon laquelle les emplois sur le point d’être créés dans une ville doivent trouver leur contrepartie dans des logements supplémentaires est, à mon avis, une bonne manière d’aborder le sujet. Elle peut être à la base du récit que l’on doit raconter aux habitants des villes pour leur faire admettre que leur voisin n’est pas haïssable.

Vous avez parlé de la paupérisation de la population du parc social. Celle-ci s’explique par le fait que les commissions d’attribution privilégient les personnes en très grande difficulté, mais aussi par le fait que ces personnes ne bougent pas et vieillissent. Si l’on croise ce constat avec le fait que les besoins ne sont pas les mêmes dans les territoires, le problème fondamental n’est-il pas celui de la mobilité ? Certaines personnes refusent un emploi parce que l’accepter supposerait de quitter un logement social, au risque de ne pouvoir y revenir.

Les endroits où existent de fortes tensions sur le logement sont aussi les endroits où il y a peu de foncier disponible et où ce foncier disponible est public. Entre l’injonction du ministre des finances à vendre cher et le système de décote du ministère du logement pour pouvoir faire du logement social, il existe un hiatus qui fait qu’à la fin, personne n’est logé. N’y a-t-il pas quelque chose à faire, notamment en réfléchissant à des mécanismes de démembrement de la propriété publique ?

Que comptez-vous faire pour permettre une meilleure mobilité dans le logement social, mais aussi résidentiel ?

En matière de logements indignes, que pensez-vous de l’idée d’immatriculer les logements afin de mieux les suivre et de mieux suivre les travaux qui y sont réalisés ?

M. le président Stéphane Peu. La participation des employeurs à l’effort de construction (Peec) est désormais une cotisation sur les entreprises de plus de cinquante salariés. Ne faudrait-il pas revenir à une Peec applicable aux entreprises à partir de dix salariés et qu’on ponctionnerait moins pour financer certaines politiques publiques ?

Vous avez parlé de différenciation et de décentralisation. Presque tous les territoires sont astreints à une programmation, à travers les programmes locaux de l’habitat (PLH), ce que l’État ne fait plus. En cumulant tous les PLH, on en arrive à cinq cent mille logements à produire, dont 198 000 logements sociaux. Si nous prenons ce chiffre comme seuil et comme ambition, nous ne regarderons plus la crise de la même manière : ce n’est pas un décrochage que nous vivons, mais une véritable chute.

Quand la décision de mettre en place la RLS a été prise, en 2018, le taux du livret A était de 0,5 % ; avec un taux à 3 %, cela fait 3,7 Md€ supplémentaires par an pour les organismes HLM, auxquels il faut ajouter la RLS (+ 1,5 Md€) : c’est autant de capacité à produire du logement en moins. Par ailleurs, quand vous devez arbitrer entre l’entretien d’un patrimoine existant et la production de logements neufs, vous arbitrez toujours en faveur de l’entretien. Il y a nécessairement un lien entre le niveau de production historiquement bas du logement social dans notre pays et ces mesures qui amputent les capacités financières des organismes. C’est la raison pour laquelle je pensais que la conjoncture pouvait vous amener à revenir sur une mesure comme la RLS.

M. Patrice Vergriete. Le thème emploi-logement était absent de la loi SRU parce qu’il n’était pas à l’ordre du jour à la fin des années quatre-vingt-dix. Nous étions encore dans un modèle de fabrication de la ville dans lequel nous réglions le problème par l’automobile, s’éloigner de son emploi de cinquante kilomètres n’était pas un problème. C’est ce modèle que nous devons remettre en cause et de nouveaux outils doivent apparaître pour répondre aux nouveaux enjeux.

S’agissant de la contribution des employeurs au logement de leurs salariés, il faut bien veiller à ce que ce soit une contribution volontaire – et non en déduction de la Peec. Sinon, nous perdons d’un côté ce que nous gagnons de l’autre.

Vous avez évoqué la question des travailleurs-clés, ainsi que celle de la mobilité dans le parc social, qui est un enjeu majeur aujourd’hui – c’était d’ailleurs l’objectif de la gestion en flux. Nous discutons avec le mouvement HLM pour essayer de trouver des mesures permettant d’améliorer les choses.

Je ne suis pas très favorable à la remise en cause du droit au maintien dans les lieux : je pense qu’il concourt à la mixité. Avant cette remise en cause, il me semble qu’un certain nombre de mesures peuvent être mises en place chez les bailleurs sociaux pour essayer d’améliorer la fluidité et la mobilité. Sur les quelque 2,4 millions de demandeurs d’un logement social, huit cent mille personnes sont déjà au sein du parc social : un tiers du problème concerne donc la mobilité au sein de ce même parc.

Pour ce qui concerne la mobilisation du foncier public, il y a un débat autour de la décote, qui est un débat de justice fiscale. Quand l’État choisit d’appliquer une décote pour produire du logement social à Paris, c’est le contribuable national qui donne de l’argent pour cela : est-il légitime que ce soit ce contribuable qui participe, ou faut-il que ce soit le contribuable parisien ? Ce qui permettrait de trancher cette question, c’est qu’il n’y ait pas de cession du foncier. La rentabilité du foncier de l’État ne dépend que de nous et n’est plus une question de justice fiscale.

Je ne veux pas donner le sentiment que le foncier public est l’alpha et l’oméga de la solution. Une réflexion a été développée sur les zones commerciales, où les réserves foncières sont très importantes. Les foncières commerciales sont à la recherche de ce type d’opérations. Dans le nouveau modèle de fabrication de la ville, avoir davantage de mélange entre logements et commerces est une piste à explorer.

Nous ne sommes pas opposés à l’immatriculation des logements, mais c’est un énorme travail.

Vous avez évoqué la question de la Peec : il s’agirait de l’aligner sur le versement Mobilité. Si vous obtenez cela, je signe. Ce sujet dépasse le ministère du logement…

Il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi certains territoires n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs. Nous devrions avoir 198 000 logements sociaux, mais nous ne les avons pas. Essayons de comprendre ensemble, je suis certain que vous ne serez pas opposés à des analyses territorialisées : ce n’est pas uniquement une question de budget, d’autres éléments entrent en jeu.

Je ne reviens pas sur le débat portant sur le livret A et la RLS. Jusqu’en 2020, les bailleurs avaient un taux d’autofinancement compris entre 9 % et 10 %, qui n’était pas mauvais en soi. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si les bailleurs ont aujourd’hui la capacité d’assurer à la fois la rénovation et la production : tel était l’objectif et le sens de l’accord signé avec le mouvement HLM. Il importe que l’on puisse continuer à poursuivre ces deux objectifs concomitamment et que l’on ne donne pas aux bailleurs le sentiment qu’il faut sacrifier la production pour assurer la rénovation.

Je voudrais évoquer les investisseurs institutionnels. Nous ne reviendrons jamais aux 30 % que nous avons connus, mais je ne me satisfais pas de 1 %. Si l’on analyse les choses sur le temps long, l’immobilier de bureau a servi de rente pendant très longtemps et a mobilisé l’épargne des particuliers via des fonds d’investissement. Je ne suis pas sûr que l’immobilier de bureau ait encore de beaux jours devant lui, alors que l’épargne est importante et abondante en France. Dans cette épargne, il y a peut-être deux à trois milliards d’euros qui pourraient donc être investis dans l’immobilier résidentiel, à travers des fonds d’investissement : c’est la raison pour laquelle le projet de loi de finances pour 2024 prévoit l’ouverture aux SCPI du logement locatif intermédiaire. Aujourd’hui, de nouveaux entrants – en particulier, des promoteurs – ont envie de se saisir de cet outil : essayons de voir si cela marche et si, grâce à cela, nous réussissons à orienter un peu plus d’épargne vers la production de logements. J’ai envie d’étudier ce sujet, ainsi que celui de la fiscalité pouvant y être adossée, de manière à avoir un rendement locatif suffisamment attractif pour développer ces fonds d’investissement.

Le dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif direct des particuliers constitue un effet d’aubaine pour celui qui avait l’intention de faire de l’investissement immobilier, ou alors il concerne quelqu’un qui s’engage dans l’investissement immobilier parce qu’un banquier ou un conseiller en gestion de patrimoine le lui a conseillé. Or ce dispositif n’a pas produit des logements comme nous l’imaginions, car les coûts de commercialisation étaient de 10 % : ceux qui croyaient faire de bonnes affaires ont fini par en faire de mauvaises.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie, Monsieur le ministre.

 


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13.   Audition de M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires, de Mme Sophie Vaissière, directrice des relations institutionnelles et des affaires stratégiques et de Mme Selda Gloanec, conseillère pour les relations institutionnelles de la Caisse des dépôts et consignations (mercredi 15 novembre 2023 à 14 heures)

 

Présidence de M. Mickaël Cosson, rapporteur de la mission d’information

 

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Député des Côtes-d’Armor depuis un an, j’étais auparavant le maire d’une commune située dans une agglomération soumise à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). J’avais antérieurement occupé, au sein de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), des fonctions liées à l’aménagement, à l’urbanisme et au logement social.

Les constats dressés lors des diverses auditions déjà réalisées sont largement partagés : le besoin en matière de logement est important et le manque de mobilité le rend plus pressant encore. À chaque étape de la vie, il est difficile d’accéder à un logement, et la situation s’est aggravée au cours des derniers mois. Les étudiants doivent souvent attendre la fin de leurs études pour en obtenir un, ou bien sont logés dans de mauvaises conditions. Les jeunes actifs rencontrent des difficultés pour se loger à proximité de leur lieu de travail ou dans les conditions souhaitées. Enfin, faute d’offre adéquate sur le marché, les retraités trouvent difficilement un logement qui leur permette de conserver leur autonomie et qui soit situé à proximité des commodités.

La Banque des territoires joue un rôle important en matière de logement social. Elle a évolué, afin de pouvoir répondre à des besoins qui vont croissant. Ceux-ci sont néanmoins toujours supérieurs à la production, ce qui entraîne des difficultés plus ou moins prononcées selon la conjoncture.

La présente mission d’information a pour objectif d’identifier les leviers à même de satisfaire des besoins qui diffèrent dans le temps et selon les régions, en fonction de la démographie : il s’agit d’apporter des réponses spécifiques et non d’appliquer la loi uniformément dans tous les territoires.

Le logement social est peut-être une étape par laquelle nous avons tous vocation à passer. Mais il faut aussi pouvoir en sortir ; or lorsque les taux d’intérêt augmentent, l’accès à l’emprunt devient difficile – sans compter la hausse du coût des matériaux. Dans ces conditions, comment faire pour que la Banque des territoires devienne un acteur majeur du logement social, mais également du logement en général, tout au long du parcours résidentiel et pour toutes les bourses ?

M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires. La direction des prêts de la Banque des territoires est responsable de l’ensemble des activités de financement du logement social. Les montants octroyés au titre du logement social et de la politique de la ville atteignent aujourd’hui environ 11 milliards d’euros (Md€) par an. Principalement destinés aux bailleurs sociaux, ils visent à soutenir l’effort de construction de logements ainsi que les travaux de rénovation thermique du parc social, de plus en plus nombreux. La Banque des territoires est légalement le financeur de référence du secteur HLM, dont elle supporte 170 Md€ de dette. Partenaire stratégique des bailleurs sociaux, elle doit s’adapter en permanence pour accompagner le mouvement HLM dans une conjoncture devenue plus complexe ces dernières années.

Je voudrais tout d’abord partager avec vous l’analyse que la Banque des territoires fait de la situation. Le monde du logement, en particulier social, est en première ligne pour assurer la nécessaire conjugaison des enjeux de cohésion sociale et de transformation écologique : nous avons la conviction que l’on ne réussira pas cette transformation si l’on ne préserve pas un modèle social fort. Or nous devrons y parvenir dans un contexte macroéconomique plus dégradé que les années précédentes. Le logement social, plus encore que d’autres secteurs, est donc appelé à accroître son volume d’investissements, à la fois pour répondre aux besoins sociétaux et pour permettre au parc HLM d’atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). À cet égard, la capacité de maîtrise d’œuvre des bailleurs sociaux leur permet d’être plus avancés que le parc d’habitat privé ou tertiaire en matière de réhabilitation thermique. C’est une chance pour notre pays, mais il faut poursuivre l’effort, en particulier pour intégrer les critères carbone dans la construction neuve et la rénovation du patrimoine.

Pour relever ces deux défis, le mouvement HLM investit un montant significatif, de 19 à 20 Md€ par an. Depuis le début du choc inflationniste en 2022, les 550 organismes qui le composent se trouvent confrontés à une difficulté supplémentaire : la remontée très rapide des taux d’intérêt et, de facto, de celui du livret A – le taux de référence auquel ils s’endettent. Une hausse d’un point du taux du livret A se traduit pour eux par 1,4 Md€ de charges financières supplémentaires. Or ce taux a été multiplié par six en 2022 ; cette hausse sans précédent depuis le choc pétrolier des années soixante-dix a une forte incidence sur leurs comptes. En parallèle, les coûts de la construction et d’autres charges ont également augmenté, créant un effet « ciseau » qui se ressent sur l’exercice 2023 et se ressentira également sur l’exercice 2024.

Néanmoins, nous n’avons pas une lecture catastrophiste de la situation du secteur HLM : celui-ci est bien géré et dispose de fondamentaux financiers très solides. Ce modèle avait déjà démontré sa résilience avant le choc inflationniste et il a su, tout en en maîtrisant ses grands ratios financiers, traverser les différentes épreuves qu’ont représenté pour lui la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « Elan », le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), puis la crise de la covid-19. Si l’on agrège les comptes de l’ensemble des bailleurs sociaux pour considérer le secteur HLM comme un macro-organisme – une simplification qui ne rend pas compte de son hétérogénéité –, on observe une progression de sa capacité d’autofinancement de 14 % environ en 2020 à 19 % en 2021. Le choc inflationniste va peser sur les exercices 2023 et 2024, mais le monde HLM dispose d’une situation financière saine et de bonnes capacités d’investissement.

Dans ce secteur, les investisseurs empruntent à long terme – sur quarante ou cinquante ans lorsqu’ils investissent dans un logement, voire sur quatre-vingts ans lorsqu’ils investissent dans le foncier en territoire tendu. Notre étude annuelle Perspectives, qui dresse l’état de santé du secteur sur le fondement des comptes arrêtés, vise à projeter les grands équilibres financiers du monde HLM en s’appuyant sur la vision prospective de nos macroéconomistes. Cet exercice est, par définition, incertain, mais il permet d’étudier la capacité d’investissement des bailleurs sociaux dans le temps long. Or l’étude que nous avons menée cette année montre, de façon marquante, qu’en dépit d’une situation financière solide en début de crise, les charges liées à la rénovation thermique et à la décarbonation du parc, qui visent à se rapprocher des cibles de la stratégie nationale bas-carbone pour les années 2030 et 2050, vont provoquer une érosion rapide des fonds propres du secteur. Ces opérations sont en effet déséquilibrées, dans la mesure où aucun mécanisme ne compense le coût des travaux d’isolation thermique ou de modification des vecteurs énergétiques. La gestion locative, qui est le « cœur de métier » des bailleurs, se trouve ainsi dégradée par les investissements réalisés. De ce fait, la hausse du nombre de rénovations, jusqu’à près de cent trente mille par an – ce qui ne permettra pas d’atteindre l’objectif fixé par la SNBC – soulève la question de la capacité des bailleurs sociaux à investir à la fois dans la transformation écologique du parc et dans de nouvelles productions. Cela nous a conduits, dans le cadre de notre étude, à envisager de réduire la production à soixante-six mille logements sociaux par an pour préserver le mouvement HLM dans le temps long, soit une réduction de plus de vingt-cinq mille unités, d’autant plus significative que les besoins actuels sont importants.

Le message que nous souhaitons formuler avec ces études objectives, qu’en tant que banquier du secteur nous sommes les seuls à pouvoir réaliser, est le suivant : il n’est pas acceptable de mener la transformation écologique au détriment de la production de logements sociaux. Il faut trouver les voies et moyens d’aider les bailleurs à articuler les deux. Ainsi, en l’absence de dispositif de soutien ou de recettes nouvelles, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », pourrait conduire les bailleurs sociaux à arbitrer leurs investissements en faveur de la rénovation et au détriment de la construction.

Une fois ce diagnostic posé, des éléments rassurants doivent néanmoins être mentionnés : le secteur HLM est régulé et bénéficie du soutien des acteurs locaux, de l’État, de la Banque des territoires mais aussi d’Action logement, qui est pour lui un autre partenaire essentiel. Comme ce fut le cas en d’autres occasions, l’ensemble des parties prenantes doit travailler de façon solidaire pour soutenir sa capacité d’investissement. C’est dans cet esprit que l’État a annoncé, en marge du congrès HLM de Nantes, la mise en place d’un fonds dédié à la rénovation énergétique des bâtiments et doté de 1,2 Md€ sur plusieurs années – d’ores et déjà inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024. Cette vision pluriannuelle, qui offre de la visibilité, est bienvenue : outre qu’elle rassurera les investisseurs, elle permettra de réduire le déséquilibre provoqué par le financement des opérations de rénovation énergétique.

Nous soutenons également le dispositif « Seconde vie » des logements locatifs sociaux. Il sera généralisé avec l’application de la prochaine loi de finances, peu de temps après le lancement de l’expérimentation – ce qui prouve sa pertinence. En adaptant des bâtiments existants, donc déjà amortis et ne nécessitant pas de nouvelle empreinte foncière, on évite en effet les opérations de démolition et on contribue à la décarbonation du parc. Nous pressentons que ce dispositif, qui permet de transformer des actifs et de reconventionner les logements, pourrait constituer un levier très intéressant pour les bailleurs sociaux, d’autant qu’il leur offrirait une plus grande souplesse en matière de gestion patrimoniale.

De notre côté, nous avons mis en œuvre de nouvelles mesures fin 2022 et en avons renforcé certaines autres à l’occasion du congrès HLM. Nous avons ainsi augmenté le montant de l’enveloppe dédiée au financement de l’éco-prêt logement social (éco-PLS), dont le taux est celui du livret A diminué de 75 points de base : il s’établit donc actuellement à 2,25 %, bien en dessous aux autres taux monétaires, qui se situent plutôt autour de 4 à 5 %. Ce financement très attractif, visant à favoriser la rénovation thermique, constitue un véritable atout pour les bailleurs sociaux. Nous avons également innové avec la création d’un outil de data science, dont l’utilisation sera totalement gratuite pour les bailleurs sociaux : il vise à cartographier la consommation énergétique de l’ensemble du parc social, afin de les aider à localiser les passoires thermiques et à identifier les pistes de décarbonation – par exemple, raccorder le parc de logements aux réseaux de chaleur passant à proximité ou utiliser le potentiel photovoltaïque des bâtiments. Nous espérons ainsi sensibiliser les bailleurs à l’enjeu de la décarbonation. Nous travaillons également avec l’Agence de la transition écologique (Ademe) à la mise en place d’un financement concessif dédié à la décarbonation : certains bailleurs qui ont isolé leurs bâtiments enregistrent de bonnes performances thermiques, mais obtiennent de moins bons résultats dans le domaine des émissions de carbone à cause du chauffage au gaz – c’est l’enjeu, vous le savez, des nouveaux diagnostics de performance énergétique (DPE). Il est important que nous puissions accompagner ces bailleurs dans les investissements qu’ils devront consentir, de façon sans doute plus autonome, pour faire évoluer le chauffage de leurs bâtiments. Le soutien de l’Ademe, experte en la matière, sera précieux à cet égard.

À l’occasion du congrès HLM, nous avons aussi annoncé des mesures de soutien à la construction de logements sociaux, notamment en diminuant les marges sur nos financements. Depuis début novembre, nous avons ainsi réduit significativement notre marge sur les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), qui financent les logements les plus sociaux du parc HLM. Associés aux loyers les plus bas, ces prêts sont en effet les plus difficiles à équilibrer. L’enveloppe significative de 6 Md€ que nous avons débloquée permettra de couvrir les besoins des bailleurs sociaux durant deux à trois ans.

Nous avons également créé des prêts « verts » sur les prêts locatifs à usage social (PLUS), qui correspondent au milieu de la gamme des logements sociaux. Nous souhaitons ainsi aider les bailleurs à réaliser les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs de la nouvelle réglementation environnementale 2020 (RE2020) : parmi les plus exigeantes d’Europe, elle entraîne nécessairement des  coûts. Au total, cette mesure permet de réduire de 600 millions d’euros les intérêts et de réinjecter cette somme dans le monde HLM.

En conclusion, je voudrais évoquer deux éléments de contexte rassurants. D’abord, la décision du ministre Bruno Le Maire de geler le taux du livret A jusqu’en janvier 2025 a trois effets très bénéfiques sur les modalités de financement du monde HLM : elle met un terme à une hausse très rapide, elle offre de la visibilité aux bailleurs sociaux et elle leur donne accès à une ressource liquide et compétitive, à l’heure où le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) atteint 4 %. Nous constatons déjà l’effet de rattrapage : après un premier semestre dégradé, le second a été dynamique et nous devrions observer en fin d’année une augmentation importante des financements liés à la rénovation énergétique – en hausse de 25 % à ce jour –, ainsi qu’une relative stabilité de ceux liés à la construction, par rapport à l’an dernier.

Enfin, la possibilité pour les bailleurs sociaux de se saisir du développement du logement intermédiaire constitue à nos yeux un autre élément structurant. Certes, le logement intermédiaire n’est pas au cœur du mandat historique du logement social, mais il offre aux bailleurs sociaux une piste pour la diversification de leurs activités. L’une des mesures figurant dans le pacte signé entre le ministre délégué chargé du logement et le monde HLM lors du Congrès permettra bientôt de porter progressivement de 10 % à 20 % la part de logement intermédiaire dans le bilan des bailleurs sociaux. Si cette évolution doit rester raisonnable afin de ne pas « cannibaliser » la production de logements sociaux, elle est néanmoins très favorable, car elle envoie un signal de souplesse. À nos yeux, le modèle HLM s’est montré résilient et continuera de l’être. C’est donc plutôt à la marge qu’il doit évoluer : s’il bénéficie du soutien de l’État, des collectivités et de la Caisse des dépôts, il doit aussi trouver des pistes de recettes nouvelles qui lui seront propres. Une plus grande souplesse dans la fixation des loyers est l’une de ces pistes. Elle doit s’accompagner de précautions, car il convient, dans une période inflationniste, de préserver le pouvoir d’achat des locataires. Néanmoins, si l’inflation dépasse 5 ou 6 % durant plusieurs années, il semble logique d’appliquer des augmentations de loyer plus élevées qu’aujourd’hui. Une autre piste est la diversification des activités que j’évoquais précédemment, par exemple avec le logement intermédiaire : celui-ci a le mérite d’avoir des loyers plus élevés, de soutenir le parcours résidentiel – ce qui le rend intéressant à tous points de vue, eu égard aux questions qui nous préoccupent aujourd’hui – et d’offrir davantage de liberté patrimoniale aux bailleurs sociaux dans la gestion de leurs grands équilibres financiers. Après une dizaine d’années, la revente des logements peut en effet engendrer des plus-values de cession, lesquelles sont susceptibles d’être réinvesties au profit du logement social.

Une dynamique vertueuse peut ainsi s’installer avec le développement du logement intermédiaire dont nous nous félicitons, dans le contexte actuel, de devenir le principal financeur – même s’il ne faut pas que nous soyons le seul. L’articulation entre logement social et logement intermédiaire figure certainement parmi les leviers qui permettront de passer le cap d’une période complexe.

 

Présidence de M. le président Stéphane Peu

 

M. le président Stéphane Peu. Vous avez souligné la solidité, en cette période troublée, du logement social à la française, dont le modèle est relativement singulier en Europe. Mieux vaudrait, au moment de se projeter vers l’avenir, ne pas saper les fondements qui assurent cette solidité depuis plus de cent ans et qui ont permis à ce modèle de surmonter bien des crises – parfois plus graves que celle que nous traversons. Quels sont ces fondements ? J’ai mon idée sur la question et vous ne serez pas étonné d’apprendre que, selon moi, la Banque des territoires en fait partie – à condition toutefois qu’elle reste elle-même !

On lit et entend beaucoup de choses au sujet de l’élargissement du champ des missions publiques financées par le livret A et l’épargne populaire – par exemple, au nucléaire ou à l’armement. Je rappelle qu’il y a encore peu de temps, l’épargne populaire récoltée sur le livret A était quasi exclusivement orientée vers la production de logements et, dans une moindre mesure, vers l’aménagement du territoire. De nombreux acteurs du logement considèrent que, depuis quelques années – je ne serai pas plus précis pour ne pas politiser le sujet –, le logement n’est plus une priorité dans notre pays et que les financeurs du secteur sont invités à faire autre chose. Quel est votre point de vue ?

J’entends enfin, non sans inquiétude, ce que vous dites quant à l’autonomie de financement que les bailleurs pourraient gagner en diversifiant leurs activités dans le logement intermédiaire. Je m’interroge sur l’articulation de cet objectif avec les propos que vous avez tenus au début de votre intervention, au sujet de la solidité du modèle. Une politique du logement, en effet, doit partir de la réalité de la demande, notamment sociale. Au cours de mes mandats d’élu local puis de député, je n’ai jamais pu identifier la demande sociale à laquelle répondrait le logement intermédiaire – pourtant fortement soutenu par les pouvoirs publics et par vous-même – compte tenu du niveau de ses loyers et de ses caractéristiques. Certes, il peut toujours y avoir une demande marginale, mais n’oublions pas que c’est sur les logements du milieu et du bas du spectre, c’est-à-dire les logements PLUS et PLAI, que porte la demande non satisfaite, celle qui allonge les listes d’attente.

M. Kosta Kastrinidis. S’agissant d’abord des fondamentaux, notre modèle est effectivement soutenu depuis plus d’un siècle par un cercle vertueux : la capacité de mobiliser l’épargne des citoyens permet de financer les bailleurs sociaux, acteurs d’intérêt général quel que soit leur statut. Eux-mêmes sont placés au service des territoires, et chacun des échelons démontre son implication – sachant qu’en dépit des évolutions qu’elle a connues, la gouvernance territoriale demeure un point d’ancrage. Quant à la typologie des logements, elle répond aux différents besoins sociaux. Les acteurs sont capables de produire, de rénover et de gérer un parc social dont la qualité ne va qu’en s’améliorant et, en tant que service d’intérêt économique général (SIEG), le secteur bénéficie de financements avantageux, qui ne sont pas limités. Au cours de la décennie passée, alors que les taux étaient très bas, la tentation a existé d’ouvrir au monde HLM la voie des financements de marché ou commerciaux. Mais dans les périodes de crise, ce qui préserve les 550 acteurs du secteur – qui emploient, de façon directe ou indirecte, trois cent mille personnes – et ce qui assure leur exceptionnelle capacité d’investissement, à hauteur de 20 Md€, c’est la possibilité de mobiliser l’épargne des Français : ce système est à la fois très républicain et très intéressant.

Au-delà du système de financement, le monde HLM tire sa force des femmes et des hommes qui le composent : engagés, ils ont réussi à surmonter des crises bien plus graves que celle que nous traversons. Aussi, suis-je toujours confiant !

S’agissant des fonds d’épargne, je redis ce qu’a déjà très clairement exposé le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations Éric Lombard, : notre mission première consiste à financer le monde HLM et aucun des secteurs que vous avez évoqués, monsieur le président, ne viendra concurrencer ou prendre le pas sur celle-ci. La Banque des territoires prête 11 Md€ par an pour financer le logement social et la politique de la ville : les bailleurs sociaux, dont nous sommes le premier financeur, sont les principaux investisseurs dans les quartiers prioritaires et nous accompagnons également les collectivités locales concernées.

Par ailleurs, nous soutenons des projets des collectivités locales, principalement en lien avec la transformation écologique et la rénovation de bâtiments publics – mais certains sont liés à l’eau ou à la mobilité décarbonée. Nous sommes un financeur important de ces collectivités, mais le mandat qui nous est confié n’est pas de même nature, dans la mesure où la place bancaire ne se positionne pas en tant que financeur de ces projets.

Le fonds d’épargne est abondé, depuis de nombreuses années et particulièrement depuis la pandémie, par une collecte très soutenue : la collecte nette s’est ainsi élevée à 11 Md€ pour le seul mois de janvier 2023 et elle dépasse les 30 Md€ sur une année. La Banque des territoires prête entre 12 et 14 Md€ par an et l’enjeu est de mobiliser cette épargne pour continuer à financer des projets de politique publique et d’intérêt général, tout en maintenant l’équilibre du modèle. Nous sommes donc très actifs dans le secteur du logement au sens large, plus particulièrement dans le soutien à l’investissement des bailleurs sociaux. Nous soutenons également les collectivités locales dans leurs projets de transition écologique, grâce notamment à des prêts sur quatre-vingts ans auxquels elles sont de plus en plus nombreuses à recourir. Notre mandat principal et prioritaire reste le soutien au monde HLM, dans le respect d’une équation économique globale. Aucune des actions que je viens de citer, non plus que les pistes de réflexion sur lesquelles nous travaillons, ne retirerait de moyens à l’exécution de ce mandat.

Je suis un fervent défenseur du modèle HLM et de ses principes fondamentaux. Dans un contexte où le coût de l’investissement est de plus en plus élevé, les soutiens publics – celui de l’État ou ceux d’autres acteurs comme Action logement – sont certes indispensables, mais il faut également penser à des sources de recettes supplémentaires permettant aux bailleurs sociaux, qui sont comme des chefs d’entreprise d’intérêt général, de dégager des marges d’action de façon indépendante. Plusieurs initiatives en ce sens se sont développées ces dernières années, mais elles restent des initiatives de niche, à des échelles réduites. Le bail réel solidaire (BRS), dont la vocation est très sociale, en est une : aujourd’hui, quelque quatre-vingt-dix organismes fonciers solidaires sont agréés et environ 3 500 logements ont été produits ces dernières années. Quant aux ventes de logements HLM, elles assurent une grande partie de la capacité d’investissement et des fonds propres des bailleurs, si bien que la vente contribue davantage que la gestion locative à leur capacité d’autofinancement. Cela représente un changement important qui doit être perpétué, mais de manière limitée et équilibrée, car si la vente devient le « fonds de commerce » principal, le risque est de voir l’activité de gestion locative disparaître, faute de loyers. Nous en sommes toutefois encore loin, car les ventes ne concernent que quinze mille logements HLM, sur un parc total de 5,5 millions de logements.

Environ vingt mille logements intermédiaires sont produits chaque année, sur un total de quatre cent à cinq cent mille – sans doute un peu moins cette année. Les logements intermédiaires sont très ciblés : ils concernent les territoires en forte tension et s’adressent au bas de la classe moyenne, qui est éligible au prêt locatif social (PLS) mais a parfois du mal à l’obtenir. Ces logements représentent une « niche », qui doit rester telle, pour les bailleurs sociaux : cela leur permet de fortifier leurs comptes de résultat ainsi que leur capacité de réinvestissement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Le monde HLM consacre des sommes significatives à la rénovation thermique. On se souvient du rôle important qu’avait joué, il y a quelques décennies, la Caisse des dépôts dans l’électrification du territoire. Dans le contexte actuel de crise du logement, comment pouvez-vous agir pour éviter que ces investissements ne se fassent au détriment de la production de logements ? Les paramètres de cette équation à plusieurs inconnues sont connus depuis longtemps, mais nous ne savons toujours pas comment la résoudre.

M. Kosta Kastrinidis. En tant que financeur, nous cherchons depuis plusieurs années à concevoir des produits adaptés aux besoins des bailleurs sociaux, pour leur permettre de réduire les coûts des opérations de rénovation et de production de logements, qui sont en augmentation. Notre gamme peut être perçue comme sophistiquée, mais les initiés du monde HLM apprécient son caractère « sur-mesure ».

La rénovation thermique par les bailleurs sociaux est en partie financée par l’éco-PLS, dont la durée peut aller jusqu’à trente ans. Ce financement nous coûte de l’argent – nous devons procéder à un rééquilibrage par des péréquations dans le bilan du fonds d’épargne –mais, couplé au dispositif du fonds de rénovation qui est en cours de structuration, il améliore considérablement les capacités d’investissement des bailleurs sociaux pour mener cette rénovation thermique.

À la différence du secteur privé, le monde HLM procède souvent à une rénovation totale des bâtiments – mais il le faisait déjà lorsque la question de la décarbonation n’était pas aussi prégnante qu’elle l’est aujourd’hui – de sorte que seule une part des bâtiments déjà rénovés, quelques points de pourcentage du total, demanderont de nouveaux investissements. La rénovation thermique leur pose en outre une question épineuse : faut-il la concevoir selon les normes de 2030 ou, ce qui demande des investissements plus lourds, celles de 2050 ? Nous devons pouvoir accompagner les bailleurs sociaux en leur proposant des financements importants, mais ma conviction est que nous n’y parviendrons que grâce à la solidarité entre les acteurs concernés. Nous avons ainsi travaillé avec l’Ademe pour leur proposer des produits qui prennent en considération les possibilités de raccordement aux réseaux de chaleur et de changement de vecteur énergétique à l’intérieur des bâtiments. Un autre exemple de coconstruction est le produit « Prioréno » qui, grâce à la collaboration avec Enedis et Gaz réseau distribution France (GRDF), met gratuitement des données à la disposition des bailleurs sociaux.

Dans la conception de nos produits destinés à la production de logements, nous avons distingué le bâtiment et le foncier et nous sommes en mesure de proposer aux bailleurs deux prêts distincts : l’un pour le bâtiment, amortissable sur quarante ou cinquante ans, l’autre pour le foncier, amortissable sur une durée pouvant aller jusqu’à quatre-vingts ans. Une telle durée, aujourd’hui réservée aux territoires tendus mais que nous sommes en train d’étendre à tous les territoires, contribue à améliorer l’équilibre des opérations financières, ce qui est particulièrement important quand on sait que le coût du foncier est un des éléments les plus inflationnistes d’une opération de construction. J’ajoute que cela ne peut être proposé qu’à des acteurs publics, dont la pérennité est assurée. C’est d’ailleurs une des forces du modèle.

Au cours des dernières années, à la suite de la RLS, nous avons déployé des titres participatifs pour renforcer le « haut de bilan » des bailleurs sociaux. La troisième tranche de 400 millions de titres est en cours de distribution. À l’issue de l’opération, 1,4 milliard de titres auront été émis. Sans préjuger du résultat définitif de cette distribution, je pense qu’entre 120 et 130 organismes de logement social seront concernés – en grande majorité des offices, mais également des entreprises sociales pour l’habitat, des coopératives et des sociétés d’économie mixte (SEM). Ce produit a eu du succès : de nombreuses collectivités locales ont soutenu leur bailleur social en souscrivant aux titres qu’il a émis.

M. le président Stéphane Peu. Lors des débats sur la loi Elan, certains avaient fait valoir que le caractère non capitalistique des organismes de logement social, notamment la non-inscription du patrimoine dans les actifs immobiliers, pouvait constituer un handicap. Je pense pour ma part que cela contribue à la solidité du modèle. Pensez-vous qu’une réforme du modèle favoriserait le dynamisme du secteur ?

Le logement traverse une crise de la production ; les effets de la pénurie – augmentation du prix des logements, accroissement des difficultés à se loger, aggravation de la fracture sociale et territoriale – commencent déjà à se faire sentir et se feront sentir de manière plus brutale dans deux ou trois ans. Crise dans la crise – une récente étude de l’Insee le montre –, la part du logement dans le budget des ménages, déjà prépondérante, ne cesse de croître, et le reste à vivre de se réduire, pour une grande partie des Français.

Vos propos sur la nécessité de renforcer l’autofinancement des organismes HLM, notamment par la vente de logements, m’ont un peu heurté. Ne faut-il pas d’abord consolider le modèle afin qu’il soit davantage en adéquation avec la situation des ménages et avec la demande sociale ? Il faut également réfléchir aux recettes destinées à la production. J’ai été président d’un organisme HLM avant d’être parlementaire : je sais qu’en cas d’arbitrage entre la rénovation d’un immeuble accueillant des locataires et la construction d’un immeuble neuf, la priorité est systématiquement donnée à la rénovation, ce qui est logique. Mais plus les arbitrages se font en ce sens, plus la production baisse. Ce n’est certes pas le seul frein à la production de logements, mais si l’on veut amenuiser les effets de la crise dans laquelle nous sommes en train de nous enfoncer, il faut provoquer un choc de l’offre et particulièrement de l’offre de logements abordables, pour ceux qui en ont le plus besoin : les jeunes, les personnes âgées et les salariés modestes.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Pour faire face à la demande croissante de logements – qui, selon Ouest France, a augmenté de 25 % en un an dans la plupart des départements bretons et de 100 % en Ille-et-Vilaine en dix ans –, la Banque des territoires a mis en place les leviers que vous avez évoqués, mais ceux-ci ne permettent pas de résoudre l’équation complexe posée par la crise du logement et de désamorcer cette bombe à retardement. Les différents acteurs impliqués dans les territoires – notamment l’État, la Banque des territoires, Action logement – doivent se réunir autour d’une table pour résoudre l’équation sans faire peser la solution sur les plus endettés. J’ajoute que produire davantage ne suffit pas : il faut s’assurer que les nouveaux logements répondent aux besoins spécifiques des territoires. Comment, selon vous, la Banque des territoires peut-elle devenir un partenaire privilégié pour faire face à la crise du logement, comme elle l’a été lors de l’électrification du territoire ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert (RE). Nous avons parlé de l’incidence de la rénovation thermique sur les nouveaux projets, mais ceux-ci doivent répondre à d’autres enjeux, notamment l’adaptation des logements au vieillissement de la population. A-t-on suffisamment mesuré son poids financier ?

De nombreux propriétaires bailleurs nous ont fait part de leur inquiétude quant à la difficulté de rénover des logements classés F ou G, au point qu’ils envisagent de les retirer du parc locatif. Ne pourrait-on concevoir un conventionnement social pour les logements dont les bailleurs ne disposent pas des moyens suffisants pour les rénover dans les délais ? Un conventionnement social, un soutien à la rénovation ou un délai, au moins dans le diffus, pourraient éviter que ces logements ne soient retirés et permettraient de compléter l’offre dans les zones peu denses.

Enfin, pour revenir à la question des activités génératrices de revenus supplémentaires, je me suis demandé si les bailleurs sociaux ne pourraient pas mettre à disposition des territoires leurs compétences de gestionnaire de patrimoine collectif. On pourrait imaginer un dispositif de type « Mon Accompagnateur Rénov’ », par lequel les bailleurs sociaux accompagneraient les collectivités territoriales, avec lesquelles elles cultivent des liens de confiance, dans leurs projets de rénovation de bâtiments publics ou de copropriétés. Dans leur propre parc, ces bailleurs ont déjà réalisé les 80 % de rénovation thermique les plus faciles, les 20 % restants constituant le « dur du dur ». Ils pourraient mettre leur expertise à la disposition des collectivités territoriales, qui n’ont pas encore atteint cette proportion et qui ne disposent pas toujours des compétences nécessaires.

M. Kosta Kastrinidis. Il n’est pas opportun d’ouvrir un débat de fond sur la structuration non capitalistique des organismes HLM, car la priorité aujourd’hui est de favoriser une dynamique d’action – telle est du moins ma conviction. La réforme du statut d’un secteur, quel qu’il soit et a fortiori s’agissant d’un secteur régulé, comporte en effet le risque de passer plus de temps à discuter qu’à faire. Il me semble préférable de ne pas toucher à la loi Elan, qui a rationalisé le nombre d’opérateurs et a créé des sociétés anonymes de coordination (SAC) – dont certaines permettent de faire vivre de vrais projets d’entreprise, alors que d’autres restent des coquilles vides.

M. le président Stéphane Peu. Je suis d’accord avec vous, mais ne pensez-vous pas que, à la suite de la loi Elan, beaucoup de temps et d’énergie ont été perdus à travailler sur la structure de coordination plutôt que sur les projets ?

M. Kosta Kastrinidis. C’est effectivement un des risques de tout travail sur les aspects organiques. Cela dit, la rationalisation limitée de la loi Elan a eu le mérite de consolider les situations financières et de réduire l’accroissement des charges, ce qui a aujourd’hui des effets bénéfiques sur les capacités d’investissement.

Le groupe Caisse des dépôts joue un rôle central pour le logement. Ainsi, le plan de rachat de logements vendus en l’état futur d’achèvement, réalisé par sa filiale CDC Habitat, avance à un rythme très satisfaisant avec l’engagement de racheter dix-sept mille logements. De façon générale, la Caisse des dépôts investit des fonds propres, déploie ses différentes composantes et offre ses expertises aux acteurs du monde du logement. L’aspect contracyclique de ces actions, qui s’inscrivent dans une dynamique pluriannuelle, est très appréciable. Pour autant, sont-elles suffisantes ?

Perspectives souligne le changement radical du contexte macroéconomique : il y a cinq ans, personne n’aurait tiré la sonnette d’alarme si les investissements avaient été au niveau d’aujourd’hui pour atteindre les mêmes objectifs de politiques publiques. Les taux courts et les taux longs semblent aujourd’hui stabilisés, mais ils devraient se maintenir à un niveau élevé pendant assez longtemps, ce qui aura forcément une incidence sur les acteurs du logement, dont le modèle économique est fondé sur la dette. Heureusement, les bailleurs sociaux ne connaissent pas les mêmes difficultés que le monde de la promotion privée, qui se finance à des taux tels que tous les programmes ne sont pas réalisables.

Le travail pour résoudre l’équation évoquée par le rapporteur doit bien sûr se poursuivre. Les quelques pistes dont j’ai parlé tout à l’heure sont limitées, mais, conjuguées les unes avec les autres, elles permettent d’apporter un début de réponse solide. J’ai mentionné la diversification des recettes, mais il en existe d’autres. La seconde vie des bâtiments en est une : les immeubles R + 4 des années soixante-dix en entrée de ville possèdent un potentiel important de transformation et de reconventionnement. Des travaux montrent qu’il est également possible de recycler des zones commerciales, notamment avec des partenariats public-privé qui, dans ce cas, peuvent être encouragés.

Le foncier est une composante majeure du prix du logement. Le foncier public offre donc également une piste. Une politique volontariste de mise à disposition de foncier pour les bailleurs sociaux me semble nécessaire, pourvu qu’elle s’accompagne d’une collaboration entre les aménageurs et les bailleurs sociaux sans recours à la promotion privée, contrairement à ce qui arrive souvent. La dépendance des bailleurs sociaux vis-à-vis de la promotion privée est d’ailleurs dommageable : quand celle-ci connaît des difficultés, comme c’est le cas aujourd’hui, les bailleurs sociaux construisent moins de logements, alors que leur importante capacité de maîtrise d’ouvrage devrait leur permettre de jouer un rôle contracyclique. Nous devons les aider en ce sens, mais cela dépend probablement d’un réajustement des prix du foncier en entrée de chaîne.

Les projets de réindustrialisation sont de plus en plus nombreux – la Banque des territoires les soutient. Nous devons anticiper au mieux les besoins de logement qu’ils créent. Le logement des salariés à proximité des usines peut, dans un premier temps, être assuré par des constructions temporaires, dont la bonne qualité permet d’attendre la construction de logements sociaux, intermédiaires ou libres.

Madame la députée, je partage votre analyse sur l’adaptation des logements au vieillissement. Nous nous sommes d’ailleurs donné pour objectif en 2024 d’y travailler davantage. Nous cofinançons d’ores et déjà des études sur ce sujet avec l’Union sociale pour l’habitat (USH). Jusqu’à présent, nous sommes peu intervenus dans le financement, puisque l’adaptation au vieillissement demande surtout de petits aménagements à l’intérieur du logement, qui n’ont pas vocation à être financés par la dette ; mais cette adaptation est amenée à concerner massivement le parc social et nous devons réfléchir à son accompagnement, probablement par des financements concessifs. Certains bailleurs ont déjà pris cette question à bras-le-corps.

La loi « Climat et résilience » impose de mettre aux normes les logements classés F et G avant de les relouer. Le projet de loi de finances soutient le modèle d’acquisition-amélioration des logements, qui permet aux bailleurs sociaux de reprendre des biens délaissés par les investisseurs privés en raison de la détérioration de l’équilibre économique, afin de les remettre en location, comme logements intermédiaires dans les zones tendues et comme logements sociaux dans les autres.

Il est étonnant que les collectivités locales, malgré leur proximité avec les bailleurs sociaux, fassent rarement appel à eux pour des opérations de maîtrise d’ouvrage dans le parc public, alors que beaucoup seraient sans doute disposés à mettre leurs compétences au service de leur territoire. Cela dépend avant tout des collectivités locales, mais nous pourrions encourager la démarche en dissipant les doutes, infondés, sur sa possibilité juridique.

De nombreux bailleurs sociaux sont déjà très actifs pour aider les copropriétés, particulièrement celles en difficulté. Il s’agit d’un travail long et difficile, qu’il faut saluer. Les discussions que vous aurez prochainement sur ce sujet aboutiront, je l’espère, à un dispositif à même de faciliter ce travail, car les bailleurs sociaux disposent de nombreux atouts pour redresser des copropriétés fragiles.

M. le président Stéphane Peu. Vos propos ont été très instructifs et je vous en remercie.

Nous sommes preneurs de toute étude sur le foncier que vous pourriez mettre à notre disposition – il s’agit de la matière première du logement. J’ai récemment rencontré des patrons de marques détentrices de grandes surfaces commerciales en entrée de ville, qui m’ont fait part de leurs réflexions sur le recyclage de certains centres. Il me semble important de s’assurer qu’ils ne réalisent pas de plus-values indues à la suite de projets d’aménagement et de révision du plan local d’urbanisme (PLU), dont l’objectif doit d’abord être d’assurer la diversité des logements produits

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14.   Audition de Mmes Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale, et Karine Hurel, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des agences d’urbanisme, de Mme Stéphanie Jankel, directrice d’études en charge des sujets « Habitat » et « Hébergements » à l’Atelier parisien d’urbanisme et de Mme Anne-Claire Davy, chargée d’études « Habitat et modes de vie » à l’Institut Paris‑Région (jeudi 23 novembre 2023 à 14 heures)

M. le président Stéphane Peu. Cette mission confiée par la présidence de l’Assemblée nationale vise à examiner un sujet complexe, car il a trait à la fois à la production du logement, à sa réhabilitation, à sa rénovation et au parcours résidentiel.

Le logement a été relativement oublié dans les débats publics nationaux, ces dernières années, alors même que des textes législatifs sont annoncés, dont la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, qui devra permettre de réguler le marché des meublés touristiques et que l’Assemblée nationale examinera en décembre prochain.

Une loi-cadre sur le logement a également été évoquée par le ministre et par le Président de la République. Elle est prévue pour la fin du premier semestre 2024 – sous réserve du respect du calendrier annoncé – et englobera les différents aspects du logement, y compris les dimensions fiscales, l’usage de l’article 49.3 de la Constitution n’ayant pas permis à notre assemblée de débattre lors de l’examen du volet « Logement » du projet de loi de finances pour 2024.

Le point de vue des agences d’urbanisme sera du plus grand intérêt pour nos travaux, car vous êtes des acteurs de l’aménagement et de la production de foncier – ce que l’on pourrait qualifier de « matière première » du logement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Cette mission vise à aborder le parcours résidentiel en considérant le logement du point de vue de l’aménagement.

En effet, le besoin de changement de logement émerge souvent dans le cadre d’études, du travail ou simplement du désir de vieillir dans un environnement répondant aux attentes liées à l’âge. Notre objectif est d’aider à franchir ces diverses étapes de la vie sans être confronté à des problèmes de logement, alors que c’est aujourd’hui fréquemment le cas.

Nous sommes conscients que la conjoncture actuelle accentue les obstacles à ces différentes étapes. Notre défi est de constituer une « boîte à outils » permettant aux territoires de s’en saisir, afin qu’ils puissent répondre aux attentes de la population en matière de logement à chaque étape de la vie, tout en tenant compte des contraintes financières.

Nous aspirons à restaurer un parcours résidentiel devenu assez chaotique, en veillant à doter tous les acteurs impliqués dans la construction et le logement des outils nécessaires pour répondre efficacement aux besoins, sans fixer des objectifs inatteignables, comme cela a pu être le cas par le passé.

Notre démarche consiste à rattraper ce retard en préservant l’harmonie de notre territoire. Après des années d’extension du tissu urbain, nous devons désormais œuvrer avec précision, surtout à la lumière de nouveaux défis émergents. Comment assurer un développement harmonieux, transformer les friches en ressources, optimiser nos espaces tout en préservant la qualité de notre cadre de vie ? Voilà les enjeux cruciaux auxquels nous faisons face. Nous sommes extrêmement intéressés par vos contributions, vos études et vos réflexions sur ces questions.

M. Philippe Lottiaux (RN). Mon expérience m’a particulièrement sensibilisé aux problématiques de logement des actifs, y compris des saisonniers, dans les zones littorales, notamment dans le golfe de Saint-Tropez.

Les questions qui retiennent mon attention sont à la fois structurelles et conjoncturelles, en particulier la crise actuelle du logement. Cette crise a des conséquences sociales et économiques significatives. Vous êtes naturellement très informées, des inquiétudes des entreprises du bâtiment, avec des salariés qui se trouvent dans une situation préoccupante, particulièrement pour les deux prochaines années.

Mme Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau). La Fnau offre une perspective territoriale en tant que réseau de professionnels et réseau d’élus présidents d’agence, ce qui nous permet de présenter des témoignages issus du terrain.

Le logement, les modes d’habitation et le logement abordable revêtent une importance cruciale pour nos concitoyens et je sais que les élus que vous êtes partagent ces préoccupations. Les agences sont dotées d’outils d’ingénierie mutualisés entre les collectivités et l’État et procèdent à une observation minutieuse des besoins locaux, qui est essentielle pour prendre des décisions éclairées. Nous sommes convaincus qu’une observation quantitative et qualitative est nécessaire, prenant en compte les territoires et les parcours résidentiels des ménages.

Les agences peuvent s’appuyer sur les observatoires de l’habitat et du foncier mis en place par la loi du 22 août 2021, dite loi « Climat et résilience », ainsi que sur d’autres outils d’accompagnement pertinents, comme les observatoires des loyers.

Nous soulignons l’importance d’articuler les différents segments du parc immobilier, qu’il s’agisse du parc social ou du parc privé, trop souvent abordés de façon cloisonnée, car leur coordination est cruciale pour faciliter les parcours résidentiels. La crise actuelle résulte d’ailleurs du « grippage » concomitant de ces différents segments.

Trop souvent, toute l’attention est accordée à la construction neuve, voire à la seule construction neuve du secteur social. Nous insistons sur l’exploitation des parcs existants, considérant qu’une part significative des logements nécessaires se trouve déjà en place. La transformation du parc existant et sous-utilisé fournit d’importants gisements de logements.

Une autre préoccupation concerne l’apparente contradiction entre la nécessité de construire des logements et les impératifs de transition écologique, notamment avec la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Nous recommandons l’adoption de stratégies de sobriété foncière au niveau local pour concilier ces impératifs.

Le risque de sortie du parc des logements de classes énergétiques E, F et G et les défis liés à leur transformation, sont également importants, particulièrement pour des publics fragiles. La question revêt un caractère très sensible en Île-de-France.

Le prochain projet de loi sur le logement portera beaucoup sur les enjeux de gouvernance et, à cet égard, nous considérons que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle central dans les politiques du logement, en tant qu’autorités organisatrices de l’habitat, et qu’ils peuvent se voir confier des compétences nouvelles.

Toutefois, nous insistons sur le maintien du rôle de l’État comme garant de l’égalité territoriale. La complexité du paysage de gouvernance nécessite une coordination contractuelle entre les différents échelons, impliquant les communes, qui portent les projets, mais aussi les départements et les régions, compétentes en matière de rénovation énergétique. Il faut donc assurer la continuité des politiques du logement et celles-ci devraient être intégrées aux politiques d’aménagement et aux politiques de transition. Les agences aspirent à jouer un rôle majeur dans cette démarche.

Pour ce qui concerne les difficultés de production de logements sociaux, des facteurs explicatifs résident dans la difficulté d’accès au foncier, la priorité donnée au renouvellement urbain ainsi que les réticences de certains maires en raison de l’adage « Maire bâtisseur, maire battu ».

Le foncier représente un enjeu crucial et nous préconisons d’accompagner toutes les collectivités dans l’élaboration de stratégies foncières visant à identifier les gisements cachés d’intensification urbaine : cela appelle l’intégration, dans un projet de territoire, de politiques du logement et de l’aménagement qui relèvent parfois d’élus ou de services différents.

Mme Stéphanie Jankel, directrice d’études en charge des sujets « Habitat » et « Hébergements » à l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). Les travaux de l’Apur concernant la mobilisation du parc existant mettent en lumière le potentiel de résidences principales récupérables pour loger des ménages et optimiser les mètres carrés déjà bâtis.

Les meublés de tourisme privent les logements de leur vocation à accueillir des ménages toute l’année et contribuent à l’augmentation des logements inoccupés. À titre d’illustration parisienne, les données les plus récentes du recensement révèlent que 19 % des logements parisiens ne sont pas occupés à l’année par des ménages actifs dans la région, contre 14 % en 2011, totalisant ainsi 262 000 logements inoccupés. Cette tendance est également perceptible dans des territoires tels que les Côtes-d’Armor, le Var et les zones tendues des villes touristiques côtières et montagneuses. Cette hausse de l’inoccupation oblitère les efforts de construction dans des territoires déjà denses et complexes. Paris compte actuellement plus de logements que jamais, mais moins de résidences principales, soulignant la complexité de la situation.

On distingue trois types d’inoccupation : les logements vacants, relativement stables à Paris (128 000 unités) ; les résidences secondaires, en forte augmentation depuis cinquante ans en raison du développement de la multipropriété (134 000 unités à Paris) ; depuis à peu près 2010 et en plein essor, les locations meublées touristiques (Airbnb, HomeAway, Abritel) – à titre d’exemple, Paris compte 55 000 annonces sur Airbnb. Environ vingt mille logements sont détournés de leur usage à l’année. Si la location à court terme ne pose pas nécessairement problème pour des durées limitées, l’utilisation permanente à des fins touristiques soulève des inquiétudes.

Des mesures peuvent être envisagées pour réguler les meublés touristiques, telles que la réduction du seuil de location à moins de 120 jours par an, clarifiant ainsi la distinction entre les locations très occasionnelles et les logements dédiés à la location meublée touristique à l’année. Les contrôles municipaux et intercommunaux pourraient être facilités, alors qu’il faut aujourd’hui apporter la preuve de l’usage du bien en tant que logement au 1er janvier 1970, ce qui est parfois difficile. Au plan fiscal, une réflexion sur l’alignement des régimes fiscaux entre les locations meublées touristiques et les locations nues est nécessaire. Une rectification récente n’a porté que sur les meublés de tourisme classés, ce qui ne touche pas la location meublée touristique. Il faudrait enfin laisser aux communes ou aux intercommunalités plus de liberté pour fixer le niveau de la taxe de séjour : l’absence de progressivité au-delà du plafond de cinq euros est aujourd’hui peu dissuasive et pas proportionnée aux types de biens mis en location.

Concernant la vacance des logements, nous identifions plusieurs facteurs, allant de la crainte des impayés de loyer à la réticence à effectuer des travaux, en passant par des considérations énergétiques, ou encore des comportements de rétention pour bénéficier des abattements pour durée de détention applicables aux plus-values de cession.

Il convient néanmoins de faire un sort à part à la vacance frictionnelle, qui résulte des déménagements et des ventes, qui est favorable au parcours résidentiel et que l’on peut estimer à un taux de 7 % dans les zones tendues. Le taux de vacance national de 9 % ne fournit donc pas un gisement de logements durablement inoccupés aussi important qu’on pourrait le croire. L’accès récent au fichier des logements durablement vacants établi par l’État permet de confirmer ces chiffres.

Nous suggérons de traiter l’inoccupation dans son ensemble, incluant les vacances et les résidences secondaires. Les principaux leviers identifiés sont d’ordre fiscal, impliquant un renforcement de la fiscalité sur les logements vacants et sur les résidences secondaires, afin d’inciter à loger des ménages à l’année. Fusionner ces deux taxes pourrait éviter tout jeu fiscal entre les propriétaires optant pour l’un ou l’autre régime.

Pour restaurer la confiance du propriétaire bailleur et l’inciter à louer le bien comme résidence principale, nous attirons l’attention sur le dispositif national Solibail et sa version parisienne « Louer solidaire et sans risque », qui sécurisent le bailleur en l’incitant à transmettre la gestion locative de son bien aux services de l’État ou d’une collectivité, avec un engagement de récupération du bien après trois ans.

Je souhaite également souligner qu’exempter les résidences secondaires et les logements vacants des exigences de la loi « Climat et résilience » nous paraît problématique pour l’avenir. Même si nous sommes d’accord sur le fait que le logement principal doit prioritairement être efficace techniquement et thermiquement, cette différence pourrait pousser les propriétaires à proposer leurs logements en location en tant que résidence secondaire. Il nous semble donc que ces exigences devraient s’appliquer à tout le parc.

Par ailleurs, une réflexion sur la réduction du nombre de résidences secondaires nous semblerait également pertinente. Nous devrions passer d’une politique de protection du logement à une politique de protection des résidences principales.

Mme Anne-Claire Davy, chargée d’études « Habitat et modes de vie » à l’Institut Paris-Région. L’Institut Paris-Région a réalisé un travail sur les logements considérés comme des passoires thermiques et cherché à estimer la ponction que l’interdiction de leur location représenterait sur le parc francilien. Bien que nos données soient datées, elles fournissent une première perspective. Nous constatons que 45 % des logements en Île-de-France présentent une faible performance énergétique, avec une proportion qui atteint 55 % dans le parc locatif privé. Cela fait peser une menace nouvelle sur cette offre de location privée, déjà en déclin.

Il est crucial de rappeler l’importance de cette offre dans les parcours résidentiels en Île-de-France. En effet, 90 % des étudiants et 80 % des salariés en mobilité provenant d’autres régions recourent au parc locatif privé. La diminution de cette offre compromet l’attractivité locative, accentuant la rareté et la pression sur ce secteur, notamment dans la centralité francilienne.

Des interrogations subsistent quant aux stratégies des bailleurs face à ces nouvelles obligations. Le risque existe d’une augmentation des locations hors du cadre légal, car certains bailleurs pourraient vouloir se soustraire à leurs obligations, créant ainsi une incitation à des pratiques de location indésirables. À titre d’illustration, deux tiers des logements à Paris pourraient être concernés par une interdiction de location d’ici 2034 et un tiers d’ici 2028.

Pour ce qui est des bailleurs sociaux, confrontés à un mur d’investissements, 29 % du parc locatif social en Île-de-France est classé en catégories E, F ou G. Les nouvelles obligations légales représentent des investissements considérables, sources de difficultés pour des bailleurs qui sont, par ailleurs, engagés dans des calendriers financiers contraignants et concomitants au titre, par exemple, du renouvellement urbain. Leurs projets de production peuvent ainsi se trouver compromis. La crise actuelle et la concomitance des obligations d’investissement conduit à une chute potentielle de la production de logements sociaux, comme le confirment les scenarii présentés par la Banque des territoires.

La demande locative sociale en Île-de-France est en constante augmentation et atteint désormais 780 000 demandeurs. Or on observe un décalage croissant entre les revenus des demandeurs et la capacité à produire des logements qui correspondent à leurs profils de revenus, en particulier des logements très sociaux. La majorité des demandeurs, même avec des revenus très modestes, sont des actifs en activité, ce qui remet en question l’opposition entre le logement social ou très social et celui destiné aux actifs. En effet, 72 % des demandeurs en attente d’un logement social correspondent aux plafonds les plus sociaux (PLAI), alors que la production actuelle se situe autour de 30 %. Ce décalage est ancien et récurrent et atteste qu’il est difficile, pour les montages financiers des bailleurs, de correspondre à la réalité des besoins sociaux.

Mme Stéphanie Jankel. S’agissant de la sous-occupation du logement social à l’échelle de la métropole du Grand Paris, nous observons que 20 % des logements sociaux sont actuellement sous-occupés. Cette situation est caractérisée lorsqu’un logement compte deux pièces de plus qu’il ne compte d’occupants, par exemple une personne seule dans un trois pièces ou un couple dans un quatre pièces. Dans 5 % des logements sociaux, le décalage s’élève à trois pièces.

La cohabitation intergénérationnelle est une piste intéressante. Il est également pertinent d’encourager les échanges entre les situations au sein du parc social. Cependant, il est complexe de proposer à une personne âgée, par exemple, de réduire la taille de son logement. Souvent, elle est attachée à son quartier et à ses sociabilités ou tient à conserver des meubles.

La loi prévoit déjà des mécanismes permettant à une personne de changer de logement tout en conservant son loyer au mètre carré d’origine. Cela la rend systématiquement gagnante, car elle a moins de mètres carrés à la fin de l’opération, mais il demeure que la taille des logements proposés reste souvent limitée, même si la personne est seule. On pourrait donc proposer que, de manière dérogatoire par rapport aux attributions initiales, une approche plus souple encourage ces déménagements, car cela permet de récupérer un logement pouvant accueillir une famille.

Les enjeux de sous-occupation du parc social sont étroitement liés à ceux de la sur-occupation, qui sont quantitativement plus nombreux. Ces deux aspects sont interconnectés, si bien que traiter la sous-occupation peut contribuer à apporter des solutions aux situations de sur-occupation également constatées.

Mme Anne-Claire Davy. Je voudrais ajouter que la demande de logement social s’est profondément transformée en Île-de-France où elle émane désormais principalement de personnes seules parmi les nouveaux demandeurs, distincts des demandeurs déjà logés au sein du parc social et sollicitant une mutation.

La structure du parc social, autrefois caractérisée par une sous-représentation des petites surfaces, s’adapte progressivement à l’évolution des types de ménage que ce parc doit accueillir. Une transformation démographique est observable, caractérisée par une tendance des individus à demeurer seuls pendant des périodes prolongées et donc à solliciter des logements sociaux adaptés à des ménages de taille réduite. Le parc social ne correspond donc plus exclusivement à l’image d’un ensemble familial, particulièrement dans la densité de la métropole francilienne.

Mme Brigitte Bariol-Mathais. Il est crucial de mobiliser les gisements de logements déjà existants. Souvent, nous observons une trop grande focalisation sur la production plutôt que sur les parcours résidentiels.

Concernant les enjeux du vieillissement de la population, divers dispositifs comme MaPrimeAdapt’ ont été mis en place pour transformer les logements. Cependant, au-delà du seul enjeu de l’adaptation du logement, il convient d’examiner les enjeux de l’adaptation des quartiers au vieillissement, en prenant en compte des critères d’accès aux services et aux espaces publics de proximité. Il pourrait être opportun de changer d’échelle dans cette approche.

Les liens entre le logement et l’accès à l’emploi constituent une problématique importante, qui intéresse directement Action Logement et qui est susceptible de représenter un frein dans de nombreux territoires – en Île-de-France, mais également dans de nombreuses communes touristiques. Certains territoires, en particulier ceux avec des projets de réindustrialisation, se trouvent face à la nécessité d’adapter le parc de logements à cette dynamique. On note aussi le besoin de loger certaines catégories de personnel, comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris s’y efforce actuellement. Nous collaborons activement avec des associations de collectivités, France Université et les ministères sur la question du logement des étudiants.

Enfin, nous soulignons l’intérêt des organismes de foncier solidaire (OFS) et des baux réels et solidaires (BRS), du fait de la dissociation ainsi opérée entre un bâti et un foncier maintenu en tant que propriété publique, d’une part, et de clauses anti-spéculatives permettant une meilleure régulation, d’autre part. Il s’agit là d’outils intéressants, complémentaires de l’accès à la propriété et notamment de l’accession sociale.

M. le président Stéphane Peu. Vous avez souligné, à juste titre, l’importance du « déjà-là », mais je m’interroge sur la cohérence d’une approche qui mettrait au second plan les enjeux de la production.

L’idée de réintégrer des logements vacants ou sous-utilisés sur le marché des résidences principales est louable, mais les indicateurs actuels prédisent une direction opposée au cours des dix prochaines années du fait de l’impact attendu de la loi Climat et résilience, particulièrement en ce qui concerne les obligations relatives aux étiquettes E, F et G.

Il est donc crucial de définir le volume de logements que notre pays doit produire. Dans le passé, on utilisait la notion de « point mort », qui permettait de déterminer le nombre de nouveaux logements nécessaires chaque année au regard des évolutions démographiques attendues, mais cette approche ne semble plus être mobilisée.

Les avis divergent sur la nécessité de produire de nouveaux logements. Le ministère chargé du logement, à travers la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), considère que la réintégration des logements existants pourrait limiter cette nécessité ; d’autres acteurs, tels que la Fédération du bâtiment ou les élus locaux, soutiennent un point de vue contraire. La seule compilation des documents de planification existants, tels que les programmes locaux de l’habitat (PLH) et les plans locaux d’urbanisme et de l’habitat (PLUH), aboutit à des objectifs de production annuelle de cinq cent mille logements, un chiffre dont on n’a que rarement dépassé la moitié.

Les agences d’urbanisme disposent d’une vision privilégiée sur la question de l’aménagement public : existe-t-il actuellement une crise de cet aménagement ? Une diminution de la création de ZAC publiques est-elle observée ? Les maires délaissent-ils leur rôle d’aménageur ? Une réduction de l’appétence pour l’aménagement public se ferait au détriment de projets cohérents et d’espaces publics bien aménagés…

Mme Brigitte Bariol-Mathais. Récemment, l’Union sociale pour l’habitat (USH) a réalisé une étude approfondie, identifiant la nécessité de produire environ cinq cent mille nouvelles unités. Il est indubitable qu’un impératif de production demeure, même dans des territoires à croissance démographique modérée et où le renouvellement du parc immobilier s’impose.

La préoccupation de valoriser le gisement des logements existants ne dispense pas de construire ; elle implique également de construire de manière différente, notamment en mobilisant mieux des ressources foncières complexes du fait de leur intégration dans le tissu urbain, que ce soit à travers l’optimisation des « dents creuses », des surélévations ou la reconversion de bâtiments existants. Cette approche requiert une action d’aménagement plus subtile et minutieuse.

En ce qui concerne la question de l’aménagement, les grandes collectivités semblent être bien équipées et continuent de mener des actions d’aménagement volontaristes. Des initiatives telles qu’« Action cœur de ville » et « Petite ville de demain » ont généré un élan significatif dans des villes moyennes et leur ont offert une nouvelle dynamique. Il est impératif de développer des outils d’aménagement adaptés à ces territoires détendus et à leurs centralités, notamment en exploitant les opportunités offertes par la mobilité, telles que la proximité des gares et l’utilisation des RER métropolitains comme vecteurs de polarisation urbaine.

Un gisement supplémentaire qui mérite attention est celui du périurbain, où les enjeux de densification cohabitent avec la possibilité de créer une vie de proximité plus riche. Il est crucial d’élaborer des stratégies, car l’aménagement spontané de ces espaces périurbains ne débouche pas sur une cohérence : l’action publique a toute sa place pour l’organiser et l’accompagner. Par exemple, l’accompagnement des propriétaires individuels peut favoriser une densification judicieuse ; des remembrements de parcelles peuvent favoriser la densité tout en respectant la distance entre voisins ; la réhabilitation des propriétés permet de réduire la part des passoires thermiques, etc. Des approches d’aménagement adaptées à ces divers types de territoires impliquent de définir de nouvelles formes de solidarité et de faire naître de nouveaux métiers.

Mme Stéphanie Jankel. L’exemple du métro du Grand Paris Express, regroupant soixante-huit nouvelles gares, nécessitant un investissement de quarante milliards d’euros et se déployant sur deux cent kilomètres de lignes supplémentaires, est intéressant. Depuis 2010, date à laquelle le tracé a été dévoilé, nous scrutons attentivement les répercussions de ce projet. Pour répondre à votre interrogation sur une éventuelle crise de l’aménagement, nous constatons que les interventions d’acteurs et d’aménageurs publics dans ces quartiers diffèrent considérablement des évolutions impulsées par une promotion immobilière privée et désorganisée.

Les résultats ne sont pas comparables en termes d’agencement des rez-de-chaussée et d’animation de l’espace. Lorsque des aménageurs interviennent, l’accent est mis sur la création d’une animation en rez-de-chaussée, ainsi que sur la gestion du rapport avec la rue. Ces opérations intègrent généralement une rénovation des espaces publics, bien que le financement des espaces verts devienne de plus en plus délicat.

L’observatoire des quartiers de gares du Grand Paris Express met en évidence des situations où les financements et les calculs s’inscrivent dans des durées relativement courtes par rapport à la temporalité de l’évolution urbaine. Cette tendance conduit parfois à la création de programmes denses et sacrifie des espaces non rentables tels que les espaces publics et les espaces verts.

M. le président Stéphane Peu. Disposez-vous d’une étude spécifique concernant les gares du Grand Paris ? Il semblerait que ce projet représente l’investissement public le plus conséquent au niveau national…

Mme Stéphanie Jankel. La Société du Grand Paris (SGP) parle même du plus grand projet européen, voire mondial…

M. le président Stéphane Peu. Pour l’échelle européenne, je ne saurais me prononcer, mais en France, cela est indubitable. Il est toujours frappant de constater le manque flagrant d’aménagements publics autour de ces gares et, surtout, d’observer que toute la valorisation foncière engendrée par ces infrastructures est accaparée par le secteur privé, ce qui est scandaleux.

Il convient de s’interroger sur ce que serait une politique d’aménagement qui ne permettrait pas la privatisation des plus-values foncières générées par l’investissement public. Sur l’ensemble du territoire français, dans chaque ville, les investissements publics dans des écoles, des aménagements, des espaces publics ou d’autres équipements, génèrent de la valeur. Cependant, cette valeur n’est jamais socialisée et contribue à un enrichissement sans cause. Cela ne favorise pas la création d’une ville un peu moins dense et un peu plus équilibrée entre logements privés et logements sociaux. Député d’une circonscription parmi les plus défavorisées d’Île-de-France, je m’indigne de constater que les travailleurs qui font « fonctionner » au quotidien Paris intra muros ne bénéficieront pas de logements à proximité et seront contraints de s’éloigner davantage. Cette situation est véritablement dramatique.

Mme Anne-Claire Davy. La mise en place d’outils d’aménagement sur les tissus pavillonnaires, où l’intervention structurée demeure peu courante, revêt indéniablement une importance capitale. Dans des zones pavillonnaires également, lorsque de telles démarches ne sont pas entreprises, il en résulte une densification non souhaitable, comme vous l’avez illustré par l’exemple de l’aménagement public par opposition à l’aménagement privé.

Il faut se doter d’outils d’accompagnement spécifiques pour les tissus pavillonnaires, qui seront soumis à des pressions, des aspirations et des mutations notables. On peut citer l’exemple, en Île-de-France, de la Société immobilière et foncière pour la requalification de tissus pavillonnaires franciliens (Sifae), filiale à parité d’Action Logement Immobilier et de l’Etablissement public foncier d’Île-de-France (Epfif), qui a développé une compétence globale dans ce domaine.

S’agissant de l’évaluation du besoin, la région Île-de-France vient de terminer l’élaboration de son schéma régional de l’habitat et de l’hébergement (SRHH). La loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris avait fixé un objectif quantitatif de 70 000 logements, mais, il est essentiel de comprendre ce que recouvre ce volume. Le ralentissement de la croissance démographique en Île-de-France, qui pourrait être divisée par deux d’ici 2030, ne va pas dispenser de construire : il faudra ainsi 17 000 nouveaux logements pour compenser des disparitions de logements pour défaut de performance énergétique ou indécence ; les constructions nouvelles liées à la croissance démographique passeront, quant à elles, de 35 000 à 28 000 logements. Nous maintenons néanmoins un objectif de 70 000 logements par an pour les six prochaines années, considérant que 25 000 logements par an sont également nécessaires pour améliorer les conditions de vie des Franciliens, permettre les décohabitations voulues et accompagner la création de nouveaux ménages. Parallèlement à cet objectif, le SRHH et le schéma directeur de la région Île-de-France affichent une ambition de deux tiers de logements abordables, soulignant que la réalisation de logements sociaux et abordables est cruciale pour que ces 70 000 logements atteignent les effets escomptés.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Les outils d’aménagement aujourd’hui disponibles sont peut-être trop complexes à l’échelle des collectivités. Ils sont techniques et nécessitent un investissement considérable en termes de temps, tant pour leur mise en œuvre que pour la concrétisation des réflexions qui en découlent.

Dans cette perspective et compte tenu du changement d’échelle que nous envisageons pour garantir que la production de logements réponde au mieux aux besoins du territoire, ne devrait-on pas envisager des outils d’aménagement multisites affinés à l’échelle communale ? Actuellement, lorsqu’une commune élabore son plan local d’urbanisme (PLU), elle se contente souvent de définir des zones, sans réelle spécification quant au type de logement adapté à chaque public. Cette approche ne permet pas de répondre efficacement aux enjeux locaux.

Dans l’agglomération de Saint-Brieuc, qui couvre trente-deux communes aux enjeux variés, la méthode retenue pour réaliser un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) présente des lacunes : les bureaux d’études privés ont tendance à se dispenser de rencontrer les populations, car ils satisfont leurs obligations contractuelles par un petit nombre de rencontres avec les maires ou leurs représentants, sans réelle concertation ; quant à la consultation, souvent déléguée à des adjoints ou à des techniciens, elle ne permet pas une réelle prise en compte des besoins locaux.

Cette situation conduit à une déconnexion totale avec les besoins du territoire et les outils d’urbanisme ne sont plus utilisés comme des instruments au service de projets territoriaux. Je suis convaincu que ces documents doivent avant tout être des outils, mais, pour être efficaces, ils doivent être simples et adaptés aux capacités d’action des communes. Il est impératif de réfléchir à la création d’outils plus flexibles, que les communes pourront utiliser pour avoir une vision multisites et répondre aux besoins de la population de manière pragmatique et rapide, sans être confrontées à des procédures complexes et chronophages.

Mme Brigitte Bariol-Mathais. Il faut souligner l’importance de l’ingénierie territoriale et je me permets de vous appeler, en tant que parlementaires, à soutenir le renforcement de l’appui à l’ingénierie territoriale de proximité, en particulier celle des agences d’urbanisme mais aussi celui d’autres outils comme les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE).

Pour ce qui concerne les outils mobilisables dans le cadre des plans locaux d’urbanisme, les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) sont probablement sous-exploitées, alors que cet instrument flexible permet d’identifier des objectifs précis de production de logements dans des secteurs déterminés.

Les contrats de projet partenarial d’aménagement (PPA) et les grandes opérations d’urbanisme (GOU) sont des grosses machines, mais il faut attirer l’attention sur les opérations de revitalisation des territoires (ORT), qui sont des outils flexibles ayant la capacité de mobiliser des acteurs publics, voire privés. Elles ont été largement utilisés dans le cadre d’ « Action cœur de ville », notamment dans des territoires non tendus qui offraient des opportunités de création de valeur. Une évolution des ORT vers une approche multisites pourrait être envisagée, avec des ajustements minimes. Actuellement, de nombreux outils d’aménagement sont sous-utilisés et il serait judicieux d’étudier la manière dont certains d’entre eux pourraient évoluer sans introduire des changements majeurs. Les élus locaux devraient aussi avoir le temps de s’approprier les instruments existants, avant l’introduction de nouveaux dispositifs.

M. Philippe Lottiaux (RN). J’ai apprécié la richesse de vos propos, mais je souhaiterais soulever quelques points de divergence

Le « déjà-là » peut sans doute être mobilisé dans les zones déjà urbanisées en vue d’une optimisation territoriale. Cependant, il faut conserver la possibilité, pour les citoyens, de jouir d’un espace individuel, notamment à travers l’accession à la propriété de petites maisons individuelles.

Je m’interroge sur les limites de l’approche par la rénovation, notamment dans les petits villages du Var où la dégradation avancée de certains bâtiments impose parfois la démolition et la reconstruction d’ensemble pour assurer une réhabilitation adéquate et mettre un terme aux problèmes liés aux marchands de sommeil. Pourriez-vous partager avec nous votre point de vue sur ces éventuelles limites, particulièrement dans les centres historiques ?

Par ailleurs, je suis extrêmement réservé face à toute tentative d’alourdir les contraintes pesant sur les propriétaires. Si un propriétaire ne veut pas améliorer son diagnostic de performance énergétique, il en assume les conséquences financières mais on ne peut pas sans cesse tout réglementer.

Enfin, si je partage l’idée qu’il conviendrait de rétablir l’attrait des locations non meublées à long terme, je m’interroge sur la meilleure approche : devons-nous rendre moins attractives les locations meublées à court terme ou plutôt encourager davantage les locations non meublées à long terme ?

Mme Anne-Claire Davy. Des recherches récentes sur le statut du bailleur privé conduisent à recommander une harmonisation de la fiscalité. Certaines situations confèrent des avantages injustifiés et il apparaît nécessaire d’ajuster la taxation de manière à promouvoir davantage l’occupation en tant que résidence principale.

Mme Stéphanie Jankel. Il ne faut pas désavantager les modes d’utilisation des logements qui contribuent de manière significative à l’intérêt collectif : loger un ménage à l’année remplit une mission d’intérêt général plus manifeste que l’accueil de touristes pendant quelques jours par an.

Nous connaissons comme vous l’importance des propriétaires dans le logement des ménages, en particulier à Paris où le parc locatif joue un rôle déterminant pour accueillir de nouveaux résidents : l’objectif n’est donc pas de stigmatiser l’ensemble des propriétaires. Toutefois, ces dernières années, une tendance à la multipropriété s’est développée, caractérisée par une fraction de ménages possédant plusieurs logements. Ce phénomène déséquilibre le marché et limite l’accès au logement pour d’autres.

La propriété immobilière reste une aspiration classique. Bien que l’on puisse vanter les avantages de la location en termes de souplesse, les calculs tendent souvent à montrer qu’il est plus avantageux d’être propriétaire pour diverses raisons. Cependant, cette aspiration devient de plus en plus complexe à satisfaire pour les générations actuelles, qui doivent consacrer un nombre croissant d’années de salaire à l’accès à la propriété. Cette situation est notamment liée au déséquilibre introduit par des ménages ayant constitué un patrimoine immobilier important. Si une telle démarche pouvait être justifiée par le passé, elle suscite actuellement des interrogations relatives à la nécessité de rendre les conditions d’accès au logement plus équitables, en valorisant l’usage des logements plutôt que leur simple détention patrimoniale.

Mme Brigitte Bariol-Mathais. Concernant l’évolution des centralités et au-delà du simple acte de réhabilitation, il s’agit bien de s’investir dans les tissus urbanisés.

Prenons l’exemple d’un village dans le Var : dans certaines localités, il pourrait être opportun de dédensifier et de transformer un îlot bâti dégradé en un espace vert, ce qui accroîtrait la valeur environnante. Cela nécessiterait d’examiner le modèle économique de l’opération dans son ensemble et revêtirait un enjeu d’adaptation au changement climatique. Au sein des agences d’urbanisme, la densification n’est pas prônée de manière systématique : nous préférons formuler notre approche en termes d’« intensification intelligente », ce qui implique une finesse d’exécution.

M. le président Stéphane Peu. Vos interventions ont été des plus intéressantes et nous vous en remercions. L’Assemblée nationale abordera assez rapidement l’un des sujets que vous avez évoqués, avec la proposition de loi n° 1176 de Mme Annaïg Le Meur, M. Iñaki Echaniz et de plusieurs de mes collègues visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue.


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15.   Audition de Mmes Aurélie Goin, cheffe de la division « Logement et patrimoine » et Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l’Insee (jeudi 7 décembre 2023 à 14 heures)

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, qui a commencé ses travaux en septembre, vise à remédier à une crise dont on entend beaucoup parler.

Le parcours résidentiel, très grippé, est pour nos concitoyens une succession d’obstacles à chaque étape de leur vie : ils ont des difficultés pour se loger pendant leurs études supérieures, puis à leur entrée dans la vie active, et enfin à un âge un peu plus avancé, lorsqu’ils cherchent à se rapprocher de certaines commodités et aspirent à une habitation répondant à leurs besoins. Les objectifs annuels en matière de construction de logements ne sont pas atteints, si bien que les Français sont souvent en attente, contraints de demeurer dans un logement qui ne correspond plus à leurs besoins, soit qu’ils aient l’intention de devenir propriétaires, soit qu’ils cherchent une habitation plus grande pour accueillir une famille qui s’agrandit.

Si les besoins diffèrent en fonction des étapes de la vie, ils dépendent aussi des territoires : certains connaissent un accroissement du nombre d’actifs, d’autres attirent de nombreux seniors, d’autres encore abritent des villes étudiantes.

Nous cherchons donc à disposer d’outils suffisamment précis pour ne pas manquer notre cible. L’objectif est non seulement de réduire les listes d’attente qui ne cessent de s’allonger, que ce soit dans le parc locatif public ou dans le privé, mais également de faire en sorte que ceux qui aspirent à devenir propriétaires essuient moins de refus. Nous devons trouver des solutions qui profitent à chacun, notamment à la filière du bâtiment, en grande souffrance, et acquérir une connaissance plus fine du parc existant et de ses capacités d’adaptation.

L’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) est source de crispations. Alors que nous avons décidé de mettre un coup d’arrêt à l’extension du tissu urbain, nous devons faire en sorte que les nombreux hectares artificialisés soient optimisés et répondent aux besoins des habitants de ces territoires.

De nombreux chiffres sont souvent cités au cours de nos auditions : certains se rejoignent, d’autres se contredisent. Nous avons donc besoin des lumières de l’Insee pour établir une base sur laquelle tout le monde pourra travailler en visant le même objectif, celui d’offrir un toit à l’ensemble des générations.

Nous vous avons transmis un questionnaire très large. Vous n’avez pas forcément toutes les réponses attendues, mais les éléments que vous nous apporterez nous aideront à construire la vision la plus transversale possible des problèmes de logement, lesquels sont liés, par exemple, à l’emploi ou à l’offre de services.

Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Insee. Le questionnaire que vous nous avez transmis comporte de nombreuses questions. Nous pourrons y apporter des réponses écrites dans les prochains jours, même si nous ne disposons pas toujours des éléments que vous attendez. Nous évoquerons aujourd’hui les données dont nous disposons sur le parc actuel de logements, sa taille, sa composition, les prix, le montant des loyers et leur évolution, les conditions de logement des Français, en essayant de faire le lien avec le parcours résidentiel de nos concitoyens.

Les statistiques publiques sur le logement sont produites, d’une part, par l’Insee, et d’autre part, par le service des données et études statistiques (Sdes) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

L’Insee établit, au 1er janvier de chaque année, une estimation du parc de logements. Ces estimations annuelles sont en réalité une synthèse de plusieurs sources : le recensement de la population, qui permet de dénombrer les logements et de connaître leurs caractéristiques ; les fichiers de la taxe d’habitation ; le répertoire d’immeubles localisés.

Une autre source de référence est l’enquête nationale sur le logement, effectuée à intervalles assez réguliers, depuis les années cinquante, auprès d’un échantillon de ménages. Elle est historiquement réalisée par l’Insee, qui procède actuellement à la collecte des données 2023-2024. La dernière enquête dont les résultats ont été publiés a été menée en 2020 par le Sdes, lequel a cependant repris le modèle utilisé par l’Insee.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Quand aurons-nous connaissance des premiers résultats de l’enquête en cours ?

Mme Christel Colin. Nous ne faisons pas d’estimations sur la base d’échantillons partiels : il faudra donc attendre la fin de la collecte des données, en juin 2024.

L’enquête nationale sur le logement permet de décrire finement et précisément le parc et ses occupants, la qualité de l’habitat, d’estimer les dépenses de logement et le taux d’effort des ménages, de recueillir l’opinion de ces derniers sur leur logement et d’appréhender les phénomènes de mobilité résidentielle. Elle permet de travailler avec une certaine profondeur historique et de suivre l’évolution des données. La taille de l’échantillon utilisé est assez importante puisque la collecte en cours concerne 27 000 ménages de France métropolitaine auxquels s’ajoutent 2 000 ménages dans chaque département d’outre-mer. Nous pouvons ainsi exploiter les données relatives à des populations spécifiques et nous intéresser, par exemple, aux ménages aux plus bas revenus ou aux personnes hébergées chez des tiers.

Les analyses sur le logement réalisées par l’Insee comme par le Sdes mobilisent également assez fortement les données fiscales : nous utilisons ainsi les fichiers du cadastre, des impôts, et avons construit divers systèmes d’information permettant de connaître les logements, leurs occupants et leurs mutations.

Certains dispositifs permettent un suivi des loyers et des prix des logements neufs et anciens. Nous ne nous intéressons pas à des montants moyens mais à des prix ou loyers « à qualité constante » ; en d’autres termes, nous neutralisons l’augmentation liée à l’amélioration de la qualité des logements. Ces données alimentent notamment le poste « loyers » de l’indice des prix à la consommation, qui permet de suivre l’inflation.

J’en viens aux résultats de nos enquêtes s’agissant du parc de logements. En janvier 2023, la France comptait 37,8 millions de logements ordinaires – sans compter les logements communautaires, par exemple inclus dans les maisons de retraite – dont 56 % de logements individuels et 44 % de logements collectifs. Le taux de croissance annuel du parc a été relativement stable, autour de 1,2 %, jusqu’en 2008, année à partir de laquelle il a diminué ; il s’est établi entre 1 % et 1,1 % entre 2008 et 2017 et est encore plus faible depuis 2017, avoisinant 0,9 %. La croissance du nombre de logements individuels, en particulier, n’a cessé de ralentir depuis la fin des années 2000.

Parmi les 37,8 millions de logements dénombrés en janvier 2023, 82 % étaient des résidences principales, 10 % des résidences secondaires ou des logements occasionnels et 8 % des logements vacants. Cette répartition a assez peu évolué en quarante ans – vous pourrez le constater en comparant les graphiques de 1983 et de 2023 –, même si la part des logements vacants et des résidences secondaires a légèrement augmenté. Je précise que les vacances de logement peuvent être de courte durée, frictionnelles, ou au contraire plus structurelles.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous expliquez que la part de logements vacants s’est accrue ces dernières années. Vos graphiques montrent aussi que le ralentissement de la croissance du parc de logements s’est arrêté en 2021. N’y aurait-il pas un lien de cause à effet entre ces deux tendances : la hausse de la part de logements vacants ne peut-elle pas s’expliquer par l’augmentation du nombre de logements produits, les Français ayant plutôt tendance à vouloir occuper un logement neuf ?

Mme Christel Colin. Je ne saurai répondre précisément à votre question pour la période récente. Cependant, il ressort effectivement des études portant sur la vacance des logements – le Sdes en a encore publié une hier – que l’ancienneté de ces derniers est un facteur déterminant. Autrement dit, si l’on fait abstraction des éventuelles tensions territoriales, notamment dans les zones touristiques, ce sont plutôt les logements plus anciens, moins confortables, qui sont vacants.

Au cours de la dernière décennie, le nombre de résidences secondaires et de logements vacants a augmenté un peu plus vite que l’ensemble du parc.

Penchons-nous maintenant sur le statut d’occupation des logements. Début 2023, 57 % des ménages étaient propriétaires de leur résidence principale. Ce taux, atteint il y a déjà quelques années, est relativement stable. Parmi ces ménages propriétaires, 37 % n’ont plus de charges de remboursement tandis que 20 % sont accédants à la propriété et ont, à ce titre, des prêts à rembourser. En début d’année, 40 % des ménages étaient locataires, dont 18 % dans le parc public et 22 % dans le parc privé. Enfin, 3 % des ménages étaient logés gratuitement.

La part des propriétaires sans charges de remboursement a nettement augmenté entre 1983 et 2003, mais très peu depuis. À l’inverse, la part des accédants à la propriété a un peu diminué entre 1983 et 2003 mais est restée quasi stable au cours des vingt dernières années. Ainsi, cette structure bouge très peu depuis vingt ans.

Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, l’importance de la question des étapes de la vie. En effet, le statut d’occupation varie selon l’âge et la composition des ménages : les plus âgés sont plus souvent propriétaires non-accédants que les autres ; les propriétaires accédants sont les plus nombreux entre 30 et 49 ans. La part des locataires dans le secteur libre diminue très nettement avec l’âge : elle passe de plus de 70 % pour les moins de 25 ans à un peu plus de 10 % pour les 80 ans et plus. En revanche, la part des locataires dans le secteur social est plus stable.

Il faut du temps pour accéder à la propriété ou à un logement social et, une fois acquis, ces statuts sont souvent conservés. On sort plus souvent du secteur libre, que ce soit pour accéder à la propriété ou pour trouver une location dans le secteur social – le turnover est, de fait, plus important. Inversement, l’ancienneté des occupants est plus élevée dans le secteur social que dans le secteur libre : de nombreux logements sociaux ont été construits dans les années soixante et soixante-dix, dont les occupants ont vieilli.

Le statut d’occupation peut également être analysé en fonction de la composition des ménages. Assez logiquement, les personnes en couple sont plus souvent propriétaires, tandis que les personnes seules et les familles monoparentales sont plus souvent locataires : les chiffres dont nous disposons montrent que plus de 60 % des familles monoparentales sont locataires.

Vous nous avez également interrogés sur les ménages multipropriétaires. Grâce à une nouvelle source dont dispose l’Insee, nous avons pu étudier cette question assez finement. Nous avons ainsi constaté qu’un quart des ménages vivant en France étaient propriétaires de plusieurs logements et que ces multipropriétaires détenaient les deux tiers du parc de logements occupés par des particuliers. Il y a donc une certaine concentration de la détention. Pour aller dans le détail, 34 % des ménages possèdent un logement ; 13 % en possèdent deux, représentant un quart du parc ; 11 % en possèdent trois ou plus, représentant près de la moitié du parc.

La moitié des ménages multipropriétaires mettent au moins un de leurs logements en location. La propriété de ces logements en location est, elle aussi, très concentrée puisque 3,5 % des ménages en détiennent la moitié. Je parle évidemment ici du parc privé, c’est-à-dire des logements détenus par des particuliers, et non par des bailleurs publics. Nous avons publié dans notre étude des cartes qui illustrent la concentration de ces situations dans certains territoires, notamment dans certains centres-villes.

Le sujet des prix et des loyers est une autre dimension importante de la thématique du logement. Les données que nous présentons sont à qualité constante : en d’autres termes, la hausse des prix liée à l’amélioration de la qualité des logements, c’est-à-dire au fait que ces derniers soient plus grands et plus confortables, est neutralisée.

Depuis 2000, les prix des logements neufs et anciens augmentent beaucoup plus vite que les loyers d’habitation et, surtout, que le revenu disponible moyen des ménages : alors que ce dernier a été multiplié par 1,5, le prix des logements à l’achat l’a été par 2,7 environ. Du fait de ces évolutions très différenciées, ceux qui détiennent un patrimoine bénéficient d’une forte valorisation de celui-ci, tandis que ceux qui n’en possèdent pas encore se heurtent à une importante barrière à l’entrée.

Les dynamiques des prix dans le neuf et dans l’ancien ne sont pas très différentes.

Chronologiquement, on a constaté une forte croissance des prix des logements au cours de la décennie 2000, suivie d’une légère baisse, de quelques oscillations puis d’une nouvelle hausse depuis 2016. Depuis trois trimestres, nous sommes entrés dans une phase de baisse des prix des logements, à qualité constante, et ces évolutions sont un peu plus marquées en Île-de-France.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Imputez-vous cette baisse des prix au décrochage de la demande solvable, lié au relèvement des taux d’intérêt et au renchérissement du coût des crédits pour les ménages emprunteurs ?

Mme Christel Colin. Nous n’avons pas publié d’analyses sur ce point, mais on peut effectivement penser que ces facteurs sont déterminants : du fait du renchérissement des crédits, les ménages sont moins solvables et ont une moindre capacité d’emprunt pour acheter un logement, ce qui peut avoir tendance à faire baisser les prix des biens immobiliers.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. L’effet de l’évolution de la réglementation énergétique et de la lutte contre les passoires thermiques est-il perceptible ?

Mme Christel Colin. Voulez-vous dire que les vendeurs seraient pressés de se débarrasser des logements pouvant être qualifiés de passoires thermiques, avant qu’ils n’aient plus le droit de les louer ? Nous ne disposons pas d’éléments permettant d’étayer cette hypothèse de manière suffisante : nous n’avons, par exemple, pas de données relatives aux diagnostics de performance énergétique (DPE).

Depuis la fin des années quatre-vingt, les loyers ont connu une hausse presque ininterrompue. Cette hausse a été un peu plus élevée, surtout en début de période, dans le secteur libre que dans le secteur social. Cette tendance est beaucoup plus régulière que l’évolution des prix d’achat, dont la hausse est plus nette mais ne prémunit pas contre certaines baisses significatives.

S’agissant, en dernier lieu, des conditions de logement, vous avez souligné la nécessité, pour nos concitoyens, d’occuper un logement correspondant à leurs besoins. Il est donc intéressant d’analyser les caractéristiques des logements, leur confort ainsi que l’opinion des ménages à leur sujet. Nous appréhendons principalement cette question à partir des enquêtes logement. Les chiffres que nous présentons sont essentiellement issus de celle réalisée par le Sdes, qui est la plus récente puisqu’elle date de 2020, mais l’Insee publie des données similaires depuis les années 1980.

Cette dernière enquête indique que 79 % des ménages jugent leurs conditions de logement satisfaisantes ou très satisfaisantes en 2020 – un pourcentage en légère progression par rapport à celui de 2013. Toutefois, cette appréciation varie énormément en fonction des personnes et des conditions d’occupation des logements : 90 % des propriétaires se déclarent satisfaits de leurs conditions de logement, mais le pourcentage tombe à 63 % pour les locataires de manière générale, et même à 56 % pour ceux du parc social collectif.

Le taux de satisfaction dépend de nombreux critères tels que la taille ou les défauts du logement, que je vous propose de passer en revue. Sur longue période, depuis les années 1970, la taille des logements a nettement augmenté, qu’elle soit calculée en surface globale, en nombre de mètres carrés par occupant ou en nombre de pièces.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Avez-vous des comparaisons avec d’autres pays sur ce point ?

Mme Christel Colin. Je n’ai pas ces données sous la main, mais elles existent et je pourrai vous les communiquer ultérieurement.

En France, la taille des logements augmente depuis les années soixante-dix, mais les logements collectifs sont nettement plus petits que les logements individuels et la surface dont dispose chaque occupant varie en fonction de son âge. La surface disponible par personne est de 51,2 mètres carrés en moyenne, mais elle est seulement de 35 mètres carrés pour les 30-39 ans et peut atteindre plus de 70 mètres carrés pour les personnes de 75 ans et plus.

À partir de ces données, nous avons calculé des indicateurs de surpeuplement ou de sous-peuplement, en fonction d’une norme de nombre de pièces requis compte tenu de la taille et de la composition du ménage. Pour l’élaboration de cette norme, on part ainsi du principe que deux enfants de moins de 7 ans peuvent partager une chambre, mais que les plus âgés doivent disposer d’une chambre chacun. Pour un couple avec deux enfants de plus de 7 ans, on considère donc que la taille standard du logement est de quatre pièces : une salle de séjour, une chambre pour les parents, une chambre pour chacun des deux enfants. On estime que le logement est surpeuplé quand il manque au moins une pièce par rapport à la norme, et qu’il est sous-peuplé quand il dispose au moins d’une pièce en plus. C’est un indicateur important du confort des logements et surtout de l’adéquation entre le logement et ses occupants. En se fondant sur le nombre de pièces plutôt que la surface, l’indicateur permet de tenir compte de notions telles que l’intimité et la possibilité de s’isoler.

En moyenne, 8 % des ménages vivent dans un logement surpeuplé, mais le taux atteint 16 % pour les 30-39 ans ; à l’inverse, les logements occupés par des personnes plus âgées sont fréquemment sous-peuplés. Les études qui portent sur les difficultés de logement s’intéressent d’ailleurs plutôt au surpeuplement.

Les défauts les plus courants des logements ont été listés dans l’enquête du Sdes : fenêtres mal isolées, vis-à-vis de moins de dix mètres, manque d’aération, problème d’isolation du toit ou des murs, traces d’humidité sur les murs et logement difficile à chauffer. Les propriétaires sont moins nombreux à faire état de tels défauts que les locataires, ce qui est logique. En revanche, le taux de locataires à s’en plaindre n’est pas systématiquement plus élevé dans le parc social ou dans le parc privé, tout dépend du type de défaut mis en avant.

L’enquête est une donc illustration concrète des conditions de logement. Elle a aussi recensé treize défauts graves qui vont de l’absence de toilettes, d’eau courante, de douche ou de baignoire, de chauffage ou de cuisine à une installation électrique dégradée, en passant par des infiltrations ou inondations dues à la plomberie. Un tiers des ménages occupe un logement qui présente un ou plusieurs de ces défauts graves de confort. Ce sont plus souvent des locataires que des propriétaires.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Cette liste est très intéressante, notamment pour qui voudrait proposer des mesures en faveur de l’amélioration de l’habitat et de ses performances énergétiques. En revanche, je m’étonne de ne voir aucun critère concernant les besoins quotidiens tels que la proximité des services et des réseaux de transport.

Mme Christel Colin. Vous avez raison : l’environnement du logement a son importance, comme on le voit dans les souhaits de mobilité des ménages. Nous avons retenu quelques-uns de ces défauts d’environnement : l’éloignement des services, cité par 9 % des personnes ; les problèmes de pollution, évoqués dans 5 % des cas, un taux qui a augmenté au cours des dix dernières années ; les problèmes de délinquance, violence ou vandalisme dans les environs ; les difficultés d’accès, notamment l’éloignement des transports en commun. Ces défauts d’environnement, notamment la pollution, sont plutôt en hausse depuis l’enquête de 2013 ; ils varient selon les territoires, les avantages des uns étant les inconvénients des autres : les habitants des territoires ruraux souffrent moins de la pollution mais sont plus éloignés des services, et vice-versa.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Avez-vous des indicateurs par territoire ou par région, qui nous permettraient d’observer ces disparités ? De même, il serait intéressant de détailler par tranches d’âges et régions pour que nous puissions formuler des propositions adaptées en fonction des attentes des différents publics. Pourriez-vous aussi revenir sur la manière dont vous définissez un logement « éloigné des services » ? S’il existe des données concernant la délinquance, il me paraît en effet moins évident de mesurer la présence des services. Qu’est-ce qu’un service ? Qu’est-ce qu’un logement éloigné des services ?

Mme Christel Colin. Ces enquêtes sont fondées sur les déclarations des ménages, leur opinion, leur ressenti. Nous n’allons pas chez eux vérifier le nombre de pièces, l’absence d’eau chaude ou la proximité des transports en commun. Nous leur demandons si leur logement est accessible par les transports en commun, s’il est proche des commerces, s’il y a des espaces verts dans les environs, s’ils sont confrontés à des problèmes de pollution ou d’insécurité. Tout est déclaratif.

S’agissant des différences territoriales, nous distinguons l’aire de Paris, puis des périmètres autour des villes très grandes, grandes, moyennes et plus petites. Les réponses aux questions sur les défauts d’environnement varient en effet beaucoup selon les territoires. Un tiers des ménages vivant dans des aires de moins de 200 000 habitants évoque des difficultés d’accès aux transports en commun ou le manque de commerces dans les environs, problèmes qui ne concernent quasiment aucun Parisien. À l’inverse, l’accessibilité par la voiture sera plus compliquée pour les urbains que pour les ruraux. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) donnent aussi lieu à une exploitation des données spécifique, afin d’y mesurer l’ampleur de ces défauts d’environnement. En ce qui concerne les classes d’âge, il faudrait que je regarde quelles sont les données disponibles.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Il serait intéressant de mesurer les effets de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), adoptée en 2000. Existe-t-il une étude effectuée ou en cours sur la manière dont les gens voyaient leur logement et son environnement en l’an 2000 et maintenant, à quasiment une génération d’écart ? Cette loi SRU a-t-elle apporté des solutions ou créé de nouveaux problèmes ?

Mme Christel Colin. Les mêmes enquêtes ayant été réalisées en 1996, 2001 et 2020, il serait tout à fait possible d’en tirer des analyses en matière de confort et d’environnement des logements.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. De telles études sont des aides à la décision.

Mme Christel Colin. L’avantage de ces enquêtes est que le questionnaire est relativement stable, même s’il faut y intégrer de nouvelles préoccupations.

Nous voulions enfin aborder le thème du changement de logement. Dans les enquêtes, 18 % des ménages indiquent souhaiter changer de logement hors de toute contrainte liée à une mobilité professionnelle obligatoire ou autre, ce taux montant à un tiers pour les jeunes adultes. Ce souhait répond à une envie d’accéder à la propriété pour ceux qui sont locataires ou d’améliorer ses conditions de logement. Cette volonté de mobilité est donc plus manifeste parmi les locataires – souvent plus jeunes et désireux d’accéder à la propriété – et aussi parmi les ménages qui vivent en habitat collectif. Dans la précédente étude, les raisons des mobilités avaient fait l’objet de développements plus importants, mais on peut imaginer qu’elles sont assez structurelles.

Voilà le panorama général des types de données dont nous disposons à l’Insee pour éclairer ces thématiques.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Qu’en est-il des logements vacants ? Vous a-t-on demandé des études sur ce sujet, afin d’évaluer leur nombre, leur répartition sur le territoire, la manière dont leur part a évolué au cours des dernières années, les raisons de cette vacance et les façons d’y remédier ?

Mme Christel Colin. Chaque année, lorsque nous décrivons le parc de logements, nous mesurons la part de ceux qui sont vacants. Celle-ci se situe à 8 %, ce qui représente environ 3 millions de logements, toutes raisons de vacance confondues.

L’étude publiée hier par le Sdes ne retient que les logements vacants depuis plus d’un an – ce qui en élimine la moitié, ceux qui correspondent à une vacance « frictionnelle », comme une période de travaux entre deux locataires. Cette vacance de plus ou moins longue durée peut être due à la qualité insuffisante du logement, à des questions de succession, au départ en maison de retraite de personnes âgées ou à des causes plus difficiles à évaluer dans les zones où il n’y a pas vraiment de pression immobilière.

Du côté de l’Insee, nous allons publier mi-janvier un bouquet d’études sur les logements vacants, toutes durées confondues : l’étude nationale sera complétée par des déclinaisons effectuées par les directions régionales de l’Institut. Nous allons évaluer les taux de vacance et leur évolution au cours des dernières années, notamment dans les zones tendues. Ces études n’étant pas encore publiées, je ne peux pas vous en donner les résultats, mais elles pourront éclairer vos travaux s’ils ne sont pas terminés.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Nous avons reçu des professionnels du bâtiment qui se sont montrés assez dubitatifs sur le nombre de logements vacants apparaissant dans les statistiques produites par l’Insee. Notre difficulté est de savoir s’il existe véritablement une « manne » à exploiter, pour peu que nous sachions nous y prendre pour remettre sur le marché des logements vétustes, bloqués dans des processus de succession ou voués à faire l’objet d’une démolition-reconstruction. Alors que nous devons respecter l’objectif « Zéro artificialisation nette », cette vacance doit pouvoir être utilisée pour accueillir de nouvelles populations, des familles ou des seniors, d’autant que toutes les commodités sont déjà présentes. D’où l’importance de telles études.

Mme Christel Colin. Nous pourrons vous communiquer toutes ces descriptions et analyses qui vous aideront à réfléchir aux solutions, notre rôle n’étant pas de faire des préconisations.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Disposez-vous de quelques analyses sur la politique du logement et les effets des mesures prises depuis une vingtaine d’années en matière de soutien à l’investissement locatif et d’accès à la propriété ?

Mme Christel Colin. La plupart de nos études décrivent le parc de logements et la manière dont il évolue. Nous pouvons vous orienter vers des études réalisées par des universitaires ou des chercheurs sur les politiques d’investissement locatif ou sur l’effet des aides au logement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire des logements pour étudiants, dont tout le monde s’accorde à penser qu’ils sont en nombre insuffisant ? Quelles sont les attentes des étudiants en la matière ?

Mme Christel Colin. Je crains de ne pas avoir grand-chose à apporter à votre réflexion dans ce domaine.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Autre question qui se pose dans le cadre de la présente mission d’information : l’adaptation du parc de logements aux évolutions « sociodémographiques » de la population – par ce terme générique, on peut faire référence au vieillissement de la population, à l’évolution de la sociabilité, à l’existence de nombreuses familles recomposées ou monoparentales. Au regard de la masse de données que vous avez collectées et analysées, quelle appréciation globale portez-vous sur cette problématique ? Le parc, y compris dans ses segments collectif et privé, s’adapte-t-il ? Sera‑t-il en mesure de satisfaire des besoins et des attentes évolutifs ?

Mme Christel Colin. Nous documentons l’évolution de la population à partir de différentes hypothèses et nous prévoyons un vieillissement important au cours des années à venir. Nous en déduisons que, en raison de la réduction de la taille des ménages, les besoins concerneront des logements plus petits et adaptés aux personnes âgées. Une autre tendance qui se dessine, quoique de façon moins massive, est celle d’une réduction de la taille des ménages liée à d’autres facteurs que le vieillissement : il y a quelques décennies, le nombre moyen de personnes par ménage était de 3 ; aujourd’hui, il est de 2,2. Nous publierons au mois de janvier prochain des projections sur le nombre de ménages qui pourront vous éclairer sur la future demande de logements.

Nous documentons également l’évolution des modes de vie et nous observons des tendances contradictoires, avec une augmentation à la fois du nombre de séparations – et donc une augmentation des besoins de petits logements – et du nombre de familles recomposées, qui ont besoin de logements plus grands.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Les attentes des seniors en termes de logement ont évolué, mais la plupart des logements qui leur sont destinés n’ont pas évolué depuis trente ans. Les logements répondant à ces attentes sont en nombre encore insuffisant et ceux qui existent résultent le plus souvent d’initiatives individuelles. Nous souhaitons anticiper ces besoins, notamment ceux liés à l’autonomie, afin de pouvoir construire des logements y répondant sur les territoires auxquels les habitants sont légitimement attachés et leur éviter ainsi d’avoir à habiter ailleurs. Cela permettrait également de libérer de grands logements, plus adaptés aux familles.

Mme Christel Colin. Nous ne disposons malheureusement pas d’informations précises sur les attentes en termes de logement et je crains que celles que nous publions, notamment sur les souhaits de mobilité par âge, ne répondent pas vraiment à votre question.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Elles seraient pourtant précieuses, tant pour les maîtres d’ouvrage – elles leur permettraient notamment d’évaluer la profitabilité d’une opération – que pour les territoires, dont certains sont plus attractifs en raison des services d’autonomie qu’ils offrent aux seniors et de la vie sociale à laquelle ceux-ci peuvent participer.

Mme Christel Colin. Je voudrais dire un mot sur l’échelle, nationale ou européenne, des statistiques sur le logement.

L’enquête sur le logement, que l’Insee mène depuis les années 1950, n’est pas réalisée à l’échelle européenne, à la différence, par exemple, de l’enquête sur l’emploi. Toutefois, l’enquête européenne sur les ressources et les conditions de vie comporte des informations sur le logement, notamment sur leur confort – la part des individus vivant dans un logement surpeuplé, par exemple –, sur le taux d’effort des ménages pour le logement et sur les privations, qui concernent notamment le chauffage. Ces informations ne sont toutefois pas ventilées par âge ou par composition familiale.

À la différence des politiques de lutte contre la pauvreté, qui sont suivies par un ensemble d’indicateurs très harmonisés, les politiques de logement me semblent être moins suivies.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La moitié du parc locatif est détenue par 3,5 % des propriétaires bailleurs : vu l’ampleur de leur parc, ils ne sont plus de simples propriétaires, mais de véritables entreprises employant des gestionnaires de biens. Disposez-vous d’informations sur les incitations et les freins à l’investissement dans l’immobilier en vue de la location ? Il faut élargir cette assiette de 3,5 % et donner aux Français confiance dans la pierre.

Mme Christel Colin. Parmi les 7,3 millions de ménages multipropriétaires, la moitié met en location au moins un des logements possédés, l’autre moitié ne le faisant pas pour des raisons diverses – ces logements peuvent constituer, par exemple, leur résidence principale et une ou plusieurs résidences secondaires. Parmi les trois millions de ménages propriétaires bailleurs, seuls certains détiennent beaucoup de logements qu’ils ne gèrent pas eux-mêmes et 3,5 % sont propriétaires de la moitié du parc locatif.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. S’agissant du taux d’effort que représente le logement sur le budget des ménages, observez-vous des fluctuations ? Dans les périodes où il s’alourdit, au détriment de quels postes cela joue-t-il ?

Mme Christel Colin. Nous ne suivons pas cet indicateur année après année, mais plutôt en tendance. Clairement, le taux d’effort lié au logement – achat, loyer, chauffage – a augmenté depuis le début des années 2000, mais nous n’avons pas documenté les inflexions fines de cette hausse, ni quels postes ont pu en pâtir. Nous savons que le loyer n’est pas le principal facteur puisque sa hausse a suivi celle des revenus. Depuis la fin de l’année 2021, l’inflation, notamment énergétique, a joué de façon importante. Bien que nous ne l’ayons pas mesurée en termes de taux d’effort, nous suivons l’inflation de façon différenciée en fonction du mode de chauffage des logements – ce sont ainsi les ménages ruraux se chauffant au fioul qui en ont le plus pâti – et du niveau de vie.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Je vous remercie pour vos réponses.


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16.   Audition de Mmes Virginie Carolo-Lutrot, présidente de Caux Seine agglo et première vice-présidente, Claire Delpech, responsable du pôle « Habitat » et Montaine Blonsard, responsable des relations avec le Parlement d’Intercommunalités de France (jeudi 7 décembre 2023 à 15 heures 30)

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable vise à identifier les difficultés que rencontrent nos concitoyens, à chaque étape de leur vie, pour obtenir un logement. L’objectif premier est de répondre aux besoins en qualité plutôt qu’en quantité.

Nous vous avons fait parvenir un questionnaire aussi large que possible, qui correspond aux questions que nous posons aux nombreux acteurs du logement. Il s’agit de disposer d’une boîte à outils pour améliorer le parcours résidentiel, qui est grippé à chaque étape : l’étudiant a du mal à se loger, l’actif a du mal à se loger près de son lieu de travail, le retraité a du mal à quitter son logement faute d’une offre suffisante.

Dans la mesure où les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle essentiel dans la définition et la mise en œuvre locale des politiques du logement et de l’habitat, comment faire pour qu’ils disposent d’une boîte à outils adaptée à chaque territoire ? Certains bassins de vie, celui de Dunkerque par exemple, peuvent accueillir une entreprise de mille salariés, mais ils n’ont pas mille logements à proposer. Tel territoire de l’ouest de la France dont la population vieillit n’a pas d’offre de logements pour les populations nombreuses qui souhaitent s’y établir. En zone rurale, des gens renoncent à des emplois faute de trouver un logement.

Le parc de logement, public et privé, est soumis à une tension croissante. Le problème des logements vacants et celui des locations saisonnières n’arrangent rien, et couper une jambe à l’un pour la donner à l’autre n’est pas une solution. Comment rendre confiance aux propriétaires pour les inciter à investir dans la pierre ? Quelles solutions apporter aux problèmes du logement ?

Au durcissement de l’accès à la propriété provoqué par la hausse des taux d’intérêt s’ajoutera l’impact de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN). Au cours des dernières décennies, nous avons étendu de façon massive le tissu urbain sans véritablement résoudre le problème du logement. Comment, désormais, faire une dentelle à même de satisfaire les besoins des diverses étapes de la vie et de toutes les bourses ?

Mme Virginie Carolo-Lutrot, première vice-présidente d’Intercommunalités de France. Je préside la communauté d’agglomération Caux Seine agglo, qui compte quatre-vingt mille habitants. Entre Le Havre, Rouen et la mer, organisée autour de l’axe de la Seine, elle présente une dominante rurale. Polycentrique, elle compte trois villes de plus de dix mille habitants ainsi que des implantations industrielles – nous serons sans doute, lorsque la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) aura tout vendu, l’une des dernières réserves foncières de France.

Au sein d’Intercommunalités de France, de nombreuses collectivités locales dressent le constat alarmant de l’extension du domaine des locations saisonnières. Dans certaines communes de Bretagne et sur le littoral normand, leur proportion atteint 60 %, ce qui tend à en faire des villes fantômes.

Depuis 2004, les intercommunalités se voient déléguer des compétences en matière de logement. La possibilité de devenir autorité organisatrice de l’habitat (AOH), dont la mise en œuvre n’est pas aboutie, est le point d’orgue de cette évolution. Le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a fait part de sa volonté d’ouverture pour affiner les choses et arrêter des règles de bon fonctionnement sur les territoires.

La position d’Intercommunalités de France est que les territoires sont à même de formuler des propositions tenant compte de leurs spécificités, en collaboration avec les services de l’État représentés par le préfet. Tous les territoires ne se ressemblent pas, c’est notre fil rouge. Dans le mien, coincé entre Rouen et Le Havre, je pilote le volet « Logement » de notre projet « Territoire d’industrie » et je ne dialogue pas de la même façon avec Fécamp, Goderville ou les autres communes. Au sein d’Intercommunalités de France, la volonté domine de mettre au point des outils aussi souples que possible, de les expérimenter et d’en rendre compte. Le rapport d’information sur le rôle de l’État dans les territoires, présenté en septembre 2022 par les sénateurs Agnès Canayer et Eric Kerrouche, a souligné que le préfet peut accompagner les territoires dans le cadre d’une réelle décentralisation des compétences, ce que nous appelons de nos vœux s’agissant de l’habitat.

Dans la communauté d’agglomération Caux Seine agglo, nous nous apprêtons à recevoir trois implantations industrielles qui représentent près de 2,5 milliards d’euros d’investissements et créeront un millier d’emplois. À Paluel, la seule construction du réacteur pressurisé européen (EPR) mobilise 1 200 ingénieurs, qu’il faut loger temporairement – ce qui n’est pas toujours adapté, compte tenu du ZAN – ou faire venir en train.

Faut-il faire des EPCI le cadre de référence de la conception et de la mise en œuvre des politiques de logement territorialisées ?

Pour nous, la réponse est affirmative. Nous proposons de rendre obligatoire le statut d’AOH pour les métropoles, les communautés urbaines et les communautés d’agglomération. Toutes ou presque ont un programme local de l’habitat (PLH), à défaut d’un programme local de l’habitat intercommunal (PLHI) ayant vocation à être intégré dans un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI).

Il y a plus d’incertitudes pour le niveau de la communauté de communes : un temps de latence serait sans doute nécessaire, sur le modèle de ce qui a été fait pour la compétence « Eau et assainissement », qui a été rendue obligatoire d’abord pour les autres strates ; les communautés de communes, par manque d’ingénierie, d’expérience ou d’outils, n’ont pas de délégation d’aides à la pierre, pas même de deuxième niveau, mais pourraient en obtenir sur la base du volontariat. Ce qui importe, pour nos adhérents, est de ne pas procéder par seuils – le seuil de dix mille habitants n’a pas la même signification selon les territoires – et d’assurer l’accompagnement des communautés de communes par les services de l’État et la mise à disposition d’outils optionnels. Certaines délégations existent d’ores et déjà.

Une question est de savoir si les départements peuvent apporter une aide en matière d’ingénierie : la plupart pilotent des organismes HLM et ils connaissent bien le parc social. Nous avons posé cette question à M. François Sauvadet, président de l’Assemblée des départements de France : faire entrer les communautés de communes progressivement dans le dispositif permettrait, selon lui, de régler certains problèmes ; au demeurant, une expérimentation consistant à faire du département l’AOH lorsque la communauté de communes n’a pas la compétence « Logement » est en cours en Côte-d’Or et en Loire-Atlantique. Il importe d’agir par étapes et de ne pas mettre les territoires en difficulté.

La question du zonage est essentielle. S’agissant du millier d’emplois attendu dans mon territoire, le ministre Patrice Vergriete m’a dit que, pour accueillir cette population qui relève de la catégorie immédiatement supérieure à celle éligible au prêt locatif social (PLS), il faudrait construire des logements locatifs intermédiaires (LLI) ou des logements financés par le prêt locatif intermédiaire (PLI). Or cela suppose d’être situé en zone B1, ce à quoi une commune d’une dizaine de milliers d’habitants ne peut prétendre sans intervention du ministère… alors que nous aurions très bien pu, dans le cadre du PLHI, élaborer des projets, sur la base d’un noyau de logements à venir dans les dix prochaines années.

Comment autoriser une évolution du zonage pour que les organismes HLM, qui ont des fonds disponibles, puissent construire du PLI ? Pour nous, l’essentiel, en tant qu’AOH, est de participer aux débats des organismes HLM. À cet égard, je préfère parler de « loyer réglementé », ayant constaté, lors de mes campagnes, que l’expression « logement social » est souvent stigmatisante et dissuade de construire : certains territoires, notamment les villages, refusent le logement social par crainte de voir arriver une population catégorisée en tant que « cas sociaux ». Nous travaillons donc sur la dénomination du logement social pour faire évoluer ces représentations, d’autant que la mixité « au palier » est satisfaisante dans le logement social – pour trois F2 sur un palier, le loyer va de 200 à 450 euros en fonction de la catégorie du logement.

La plupart des aides, celles de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) et MaPrimeRénov’, sont nationales. Nous en demandons la territorialisation, dans le cadre de contrats signés directement avec les territoires. Il faut faire en sorte que les AOH participent aux débats, dans le cadre de conventions d’objectifs conclues avec les bailleurs sociaux. Je suis administratrice du bailleur social Logéal, qui, après fusion avec d’autres bailleurs, représente plus de vingt mille logements en Normandie. Je constate le poids de la logique financière : la vente de logements sert à dégager des marges de manœuvre pour construire. Mais il n’y a pas de prospective ou d’articulation avec un projet de territoire : là est le problème. Au demeurant, tel est le cas de la plupart des bailleurs sociaux : ils rénovent et vendent des logements construits vingt ou trente ans auparavant, dans le cadre de programmes pluriannuels d’intervention (PPI), mais en dehors de toute concertation avec les EPCI, qui ne sont qu’informés de la convention d’utilité sociale (CUS). Le rôle de l’AOH, me semble-t-il, est d’informer les bailleurs de ses projets pour le territoire et de développer avec eux une vision prospective.

J’en viens à votre question sur les raisons pour lesquelles la production de logements sociaux se situe aujourd’hui à un niveau historiquement bas et inférieur aux besoins. La réduction des marges de manœuvre des bailleurs sociaux est la première explication qui vient à l’esprit. Souvent, ils ont compensé la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la diminution des aides personnelles au logement (APL), alors même que les gros bailleurs, en Normandie en tout cas, sont financièrement à l’aise.

Un autre problème tient à la territorialisation et au foncier. L’interdiction de louer les logements dont le diagnostic de performance énergétique (DPE) est F ou G a amené les bailleurs sociaux à concentrer une grande part des financements sur la rénovation thermique des logements, qui avait pris énormément de retard. Je salue ainsi la loi « Climat et résilience » : il y va de la salubrité des logements, ainsi que de l’équité et de la mixité sociales – d’autant que la rénovation énergétique est souvent l’occasion d’améliorer l’accessibilité des logements. Nous le rappelons régulièrement aux bailleurs : « Ne faites pas une isolation par l’extérieur sans penser à la salle de bains pour le maintien à domicile. Essayez de repenser en prospective le logement senior par rapport au logement non senior. Faites changer les appartements de catégorie. ». Si les AOH sont d’emblée associées au dialogue avec les bailleurs sociaux, les EPCI seront plus à même de construire une politique commune avec le parc social.

Par ailleurs, la diminution des aides à la construction de logements à loyer réglementé du Fonds national d’aide à la pierre (Fnap) induit une diminution de l’offre de construction, même si elle est anticipée par les bailleurs. Les aides du Fnap n’ont pas disparu, mais l’évolution d’Action Logement laisse augurer d’une poursuite de la diminution des aides, même si le ministre délégué a annoncé qu’il faut consommer l’ensemble des crédits disponibles et construire absolument.

Pour ce qui concerne le parc privé, le principal problème est sa mise au niveau des normes énergétiques et le manque de terrains constructibles. Dans le cadre des PLUI, les maires peuvent recourir au sursis à statuer pour différer la construction de logements, puisque nous n’avons plus d’espace de constructibilité en extensif. Il importe que les EPCI portent les politiques de l’habitat de manière pleine et entière, eux qui dialoguent avec les maires et construisent avec eux les PLUI ainsi que les PLHI. Nous sommes capables de présenter les questions de la densification et de la verticalité sous un jour favorable, mais ce dialogue ne prospère pas, faute de disposer de la compétence « Logement ».

Au maire qui affirme : « Je ne peux plus construire à cause du ZAN », je réponds : « Si, mais autrement, en élevant la constructibilité d’un ou deux étages dans le plan local d’urbanisme (PLU) ou en profitant des rénovations énergétiques pour augmenter la surface constructible. ». Le PLU de Paris, que nous avons étudié cette semaine, prévoit de végétaliser les cours, d’utiliser les extérieurs, de surélever les immeubles d’au moins un étage et d’occuper les terrasses. Traiter les « dents creuses » et la végétalisation au sol incite les bailleurs privés et sociaux à construire et à prévoir des espaces sur les toits. Le toit est utile aux économies d’énergie comme à l’occupation sociale, car tout le monde a le droit d’accéder aux étages élevés : cette perspective permet de réconcilier énormément de constructions avec la verticalité et la densification, qui suscitent à l’heure actuelle une forme d’opposition culturelle.

Sur ce point, il faut ouvrir un véritable dialogue avec les bailleurs privés et publics.

Une étude récente de la Banque des territoires montre que les opérateurs sont confrontés à un mur d’investissements pour rénover le parc existant et construire des logements neufs. Les organismes HLM donnent la priorité à la rénovation de leurs logements, de crainte de ne plus pouvoir les louer. Au demeurant, le Fnap a alloué des crédits à la rénovation des logements dont le DPE est E, ce à quoi la loi « Climat et résilience » n’oblige pas.

La réduction des moyens donnés aux opérateurs est un réel point faible de la politique nationale de l’habitat, qu’il s’agisse du logement vertical ou du logement horizontal, plutôt familial, offrant trois chambres et permettant d’accueillir des familles dans les territoires. Le nombre de constructions diminue, leur surface aussi. La construction de maisons sur des terrains de 500 m2 dans les campagnes soulève bien plus de problèmes de voisinage qu’en ville. Le lobbying de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) auprès des maires concernés n’aide pas à les inciter à élaborer des PLU et des PLUI, ni à allouer à la construction des terrains de petite surface.

Notre agence d’urbanisme se penche depuis quinze ans – bien avant que la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) n’incite les EPCI à instruire les permis de construire – sur des constructions telles que les maisons Boomerang et les maisons basses ainsi que sur les toits non occupés. Les EPCI sont capables d’accompagner le parcours résidentiel de A à Z, en recrutant des architectes paysagistes et des architectes dans leurs équipes, et en ouvrant des maisons de l’habitat ainsi que des matériauthèques.

Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt ayant eu pour effet de réduire le nombre de constructions, il faut peut-être envisager des mécanismes de soutien. Le Crédit agricole offre aujourd’hui aux primo-accédants, de façon volontaire, 1 € par euro accordé par l’État dans le cadre d’un prêt à taux zéro (PTZ). Il serait aussi envisageable de demander aux banques d’accorder des PTZ pour la production d’énergie renouvelable (EnR) par les maisons : dépenser quinze mille euros de plus pour l’isolation et le chauffage permet d’économiser deux cent euros par mois pour une augmentation du prêt de cent euros par mois ; tout le monde y gagne.

Les AOH pourraient jouer le rôle d’organisme certificateur, par le biais des espaces Info énergie et des plateformes du Service d’accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare). Notre expérience en la matière nous permet de dire à la banque : « Vous pouvez dépasser le taux d’usure, car les frais de fonctionnement seront plus faibles ». Si complexe que cela puisse paraître, un EPCI ayant la volonté de construire peut faire venir dans le territoire, grâce à un « Welcome Package », une entreprise et ses salariés, en accompagnant ces derniers auprès des banques et des professionnels de l’habitat – sinon à l’échelle des grandes métropoles, du moins à celle d’une centaine de milliers d’habitants. Au Havre, des dispositifs souples sécurisent le parcours de l’habitat. En prospective, nous savons exactement le nombre de logements pour seniors qu’il faut construire en centre-ville, ce qui permet de libérer des espaces en périphérie.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Nombre de ménages logés dans le parc privé souhaiteraient accéder à la propriété. Alors que la somme du loyer et des charges qu’ils acquittent est bien supérieure à ce qu’ils paieraient s’ils étaient propriétaires, on leur dit qu’ils ne remplissent pas les conditions. C’est une aberration, sachant qu’ils auraient un reste à vivre bien supérieur !

Mme Virginie Carolo-Lutrot. En effet, la situation est plus défavorable, financièrement, pour les locataires que pour les propriétaires d’une petite maison, par exemple. Cela contribue certainement à la sédentarité. En France, on a le culte de la propriété, contrairement au reste de l’Europe. De plus, on veut réindustrialiser et fixer les gens sur le territoire. De ce fait, notre modèle, qui était critiquable il y a dix ou quinze ans, ne l’est plus aujourd’hui, me semble-t-il.

On doit multiplier les opérations d’accession à la propriété, même pour les logements privés. Dans la perspective de l’arrivée des mille emplois d’ici 2025 à 2026, j’ai souhaité la construction, dans ma ville, d’un immeuble de logements loués sur le mode « Airbnb ». Cela nous permettra d’accueillir des salariés en période d’essai, des ingénieurs et des techniciens participant à la construction des usines, des médecins… C’est un projet coûteux, car je veux un immeuble entièrement réversible, qui puisse devenir une résidence pour seniors dans dix à quinze ans, quand nous n’aurons plus besoin de ces logements. Comme nous prévoyons déjà les espaces partagés, les services de l’État me disent que le coût au mètre carré est trop élevé pour du logement mais pas assez pour des bureaux ; ils ne comprennent pas ce que nous faisons. Je vais donc être confrontée à un problème de financement pour réaliser cette construction hybride adaptée aux besoins actuels et adaptables aux besoins futurs. Le sous-préfet, tout en connaissant la problématique du territoire, me dit que nous ne remplissons pas les conditions pour prétendre au Fonds vert ou à d’autres aides nationales.

À l’avenir, les industries s’implanteront dans des territoires intermédiaires comme le nôtre, c’est-à-dire des territoires qui ne sont pas compris dans les zonages B1 ni soumis aux dispositifs des métropoles, dont la densification est assumée depuis des années.

Notre territoire, comme tous les autres, est spécifique : cela justifie de recourir, pour chaque territoire, à des projets et des contrats « sur mesure ». Nous sommes prêts à renoncer à certaines choses si ça ne marche pas et à partager les projets qui fonctionnent avec d’autres territoires aux caractéristiques similaires. Il ne faut pas rater ce virage, car on n’aura plus beaucoup de terrains ni de moyens, et énormément de gens à loger.

En Normandie, nous avons construit beaucoup de logements, mais nous n’avons pas plus d’habitants – nous en perdons même, par exemple des étudiants qui ne trouvent pas à se loger dans les métropoles caennaise, havraise et rouennaise. Nous sommes aussi confrontés au desserrement des familles. Sur mon territoire, de nombreux logements à loyer réglementé – par exemple, des appartements familiaux de quatre chambres – ne sont plus occupés que par les parents, une fois les enfants partis. Il faudrait que nous puissions inciter ces personnes à trouver un logement plus petit ; c’est un sujet prégnant, pour nous comme pour les bailleurs. On a besoin de parcours sécurisés, qui impliquent que l’on annonce dès le départ aux locataires qu’ils ne pourront pas rester si certaines conditions ne sont plus remplies.

Le principal outil de soutien à la production de logements devrait être, à mon sens, l’assouplissement du PLI. Sur des territoires intermédiaires, il faut penser à ce dispositif, qui est très concentré sur les zones en tension. Les services de l’État ont rejeté notre PLH au motif que nous n’en avons pas besoin aujourd’hui, quand bien même je leur ai fait observer que de nouvelles implantations industrielles étaient annoncées – j’ai déjà deux permis de construire et 357 fiches de poste. Les services de l’État en sont conscients, mais ils ne peuvent pas prendre en considération ces données pour le contrôle du PLH.

Je travaille très bien avec la DDTM, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et l’Agence de la transition écologique (Ademe), mais, au stade de l’instruction, elles se disent « coincées » par les outils actuels. Il faut davantage de souplesse et privilégier une approche « bottom-up » : dans le cadre de la décentralisation de la compétence « Habitat », il va falloir aborder ces sujets.

La prime aux maires bâtisseurs instituée par le Gouvernement est méconnue de mes services, alors que j’ai bâti près de huit cents logements en dix ans. J’avais entendu parler de cette aide de deux mille euros par logement, mais je n’ai pas fait le lien et le sous-préfet ne m’en a jamais parlé. Un faible nombre de nos adhérents a utilisé le dispositif et nous allons les réinterroger pour vous en donner les raisons ; peut-être est-il trop restrictif.

Quant à la taxe sur les logements vacants (TLV) et la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV), il faudrait les fusionner et laisser la main aux intercommunalités, qui pourraient proposer au préfet, en fonction des zonages, des mécanismes incitant davantage les propriétaires à rénover. La plupart du temps, les logements sont vacants en raison de leur vétusté. À titre d’exemple, au sein de mon agglomération, plus de 10 % du parc de la commune historique sont vétustes et insalubres. Je n’ai pas trouvé les moyens qui nous permettraient de faire rénover ces logements sans que cela coûte trop cher aux propriétaires. Souvent, dans le cadre d’indivisions avec plusieurs héritiers, personne ne veut mettre la main à la poche. La plupart du temps, les propriétaires préfèrent ne pas louer plutôt qu’investir. Nous multiplions les réunions avec les notaires et autres syndics pour leur demander d’informer que nous accordons des aides aux copropriétés. Il arrive parfois qu’un immeuble entier soit laissé vacant : c’est un problème que nous partageons certainement avec de grandes métropoles comme Marseille.

L’intercommunalité ne me semble pas suffisamment identifiée sur la question du logement. De ce point de vue, la décentralisation, telle que la veut le ministre délégué, présentera un grand intérêt, car nous connaissons les interlocuteurs à l’échelon local. Si on est correctement identifié, ces interlocuteurs se serviront spontanément d’outils comme notre plateforme de rénovation énergétique pour accéder aux financements. Au lieu d’attendre que les gens se rendent à la maison de l’intercommunalité, nous envoyons un bus faire le tour des villes et des villages, en commençant par les quartiers les plus énergivores, pour inciter les habitants à remettre en location ou à vendre leur bien.

S’agissant du ZAN, l’effort de pédagogie devra, à mes yeux, porter sur la densification et la verticalité. Il faut occuper les toits, il existe de nombreuses façons de construire pour densifier.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Le ZAN est un outil qui crispe, en raison de l’augmentation du coût au mètre carré qu’il entraînera. À mes yeux, il doit permettre de réaménager la ville. Les 125 000 hectares restant constructibles au cours des dix prochaines années pourraient constituer une manne financière pour les territoires ayant des projets de démolition-reconstruction ou de réhabilitation en centre-bourg et en centre-ville. De ce fait, des propriétaires qui ne vivent plus sur place, parfois depuis des décennies, pourraient engranger des plus-values : ne pensez-vous pas que celles-ci devraient profiter aux territoires pour répondre aux besoins de la population locale qui paie des impôts, éviter la mort d’une école ou d’un bourg, etc. ?

Nous subissons, de surcroît, les conséquences des lotissements dont nous avons autorisé la construction. Alors que les centres-villes et les centres-bourgs ont été aménagés par des architectes urbanistes, les lotissements, eux, l’ont été par des géomètres.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. De fait, ma commune comporte un lotissement malbâti, qui a été conçu par une société de voies et réseaux divers. Les études architecturales et paysagistes sont essentielles en matière d’urbanisme : lorsqu’on les interroge, les gens répondent que le bonheur réside d’abord un logement préservant leur intimité et pas trop éloigné de leur travail, pour avoir du temps pour leurs proches. Les lotissements construits dans les années trente offraient plus d’intimité que ceux des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. On devrait imposer que tout projet de construction d’un lotissement soit accompagné d’une étude urbanistique, architecturale et paysagiste. J’insiste sur la fonctionnalité du végétal : plutôt que de désherber des trottoirs, il vaut mieux implanter des noues et plutôt que de recourir à la climatisation, installer des îlots de fraîcheur – ou encore un cloître – dans les écoles.

Dès lors, le ZAN peut être une opportunité à saisir en ce qu’il rend le sol précieux et exigera de construire plus intelligemment.

Concernant la fiscalité, nous pensons que le « 1 % logement » pourrait être réattribué dans le cadre de la décentralisation de la compétence « Logement » pour financer l’accompagnement du dispositif. Je pense aussi que l’on pourrait fiscaliser les plus-values qui sont dues non pas à l’action des propriétaires, mais à la réalisation d’investissements publics – la création d’une liaison ferroviaire, l’installation d’une entreprise, la construction d’équipements, etc. Cela permettrait de financer les politiques qui visent à renforcer la verticalité et la densification de la construction, sur des terrains plus chers, comme les friches, qu’il faut dépolluer. On pourrait aussi, par le jeu de la péréquation, aider des territoires qui renoncent à demander l’installation d’une industrie, mais qui sont parfois limitrophes de zones industrielles dont ils subissent les conséquences. Cette taxation devrait être réalisée d’une manière subtile et être spécifique à chaque territoire : un tableur Excel national ne saurait être un outil adapté.

Il faut aussi prendre en compte la spéculation : certains achètent des quartiers entiers à bas prix. Parfois, les maires n’arrivent pas à acquérir des terrains non encore constructibles pour y installer des équipements publics ou améliorer l’attractivité du territoire, car, lorsque cela se sait, on les leur propose au prix fort.

Le bail réel solidaire (BRS) est difficile à utiliser, même si de nombreux organismes HLM sont agréés pour le conclure. L’agrément étant compliqué à obtenir, on pourrait autoriser des agréments à l’échelon intercommunal. Cela étant, l’agrément par un organisme de foncier solidaire (OFS) ne suffit pas : encore faut-il trouver les terrains, car on se heurte, ici aussi, à la spéculation. Je connais peu d’opérations de ce type.

Mme Claire Delpech, responsable du pôle « Habitat » d’Intercommunalités de France. Le BRS est néanmoins un bon dispositif. De nombreux OFS sont apparus au cours des dernières années, mais la production n’est qu’en état de devenir. Différents montages économiques existent. On produit des logements en accession sociale, avec des niveaux de redevance raisonnables, dans des secteurs tendus et de grandes métropoles, comme Lyon, Rennes, Bayonne ou encore Biarritz. Ces dispositifs souffrent toutefois de la cherté du foncier.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Je voudrais revenir sur les liens entre l’accès à l’emploi et le logement. Il y a quinze ans, les entreprises s’implantaient près des sièges sociaux et des lieux de transport multimodal – fluvial, ferroviaire, etc. Aujourd’hui, elles s’établissent là où elles pensent trouver des salariés, présents ou susceptibles de s’y installer. C’est un vrai changement : alors qu’on subissait la décision des entreprises, à présent c’est l’attractivité du territoire qui les fait venir. Avant de s’installer chez nous, Eastman nous a demandé notre PLH, notre vision prospective en matière de logement, notre taux de vacance, toutes choses sur lesquelles on ne nous avait jamais interrogés auparavant : ils voulaient savoir si nous avions des marges pour accueillir de nouveaux salariés. Ils ont été rassurés par le fait que nous investissons onze millions d’euros dans de gros ensembles immobiliers en centre-ville, où pourront s’installer leurs salariés ; ils sont prêts à réserver des espaces.

Cela me paraît être une bonne idée que de recourir à une gestion en flux – et non plus de se fonder sur un stock – pour attribuer les logements sociaux. De nombreux maires n’ont pas compris cette évolution et regrettent de ne plus pouvoir inscrire ceux qu’ils souhaitent sur leur quota de logements. Pour que cette disposition soit réellement intéressante, il faudrait que l’EPCI ait une véritable légitimité à leurs yeux pour traiter des questions d’habitat, dans le cadre d’une conférence intercommunale du logement qui permettrait un dialogue avec l’ensemble des maires.

Une fausse bonne idée, en revanche, a été de dire aux maires des communes rurales qu’ils avaient tous « droit » à un hectare d’artificialisation. Ils ont compris qu’ils pouvaient y prétendre même s’ils n’étaient pas propriétaires et n’avaient pas de projet. Or ce droit est soumis à de nombreuses conditions, parmi lesquelles l’existence d’un projet d’aménagement, la possibilité de libérer du foncier, le respect de la règle littorale, etc. Pour nous, cette disposition a constitué un frein au dialogue : alors que nous avions établi un PLHI, un PLUI avec un vrai projet d’aménagement et de développement durables intercommunal (Paddi) en accord avec toutes les collectivités, les maires sont venus nous dire qu’ils voulaient simplement un hectare – ce qu’ils ne le souhaitaient pas un mois avant…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Je suis à l’origine de l’amendement qui a introduit la possibilité de mutualiser un hectare…

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Ils ne l’ont pas compris comme cela !

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Une commune rurale peut avoir un projet qui nécessite 1,5 hectare – pour installer une école ou une entreprise, par exemple – et auquel elle pourrait être contrainte de renoncer. Or ce projet peut avoir de l’intérêt pour les communes voisines : cette disposition permet donc de mutualiser un terrain à l’échelle des communes rurales ou de l’agglomération.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Parmi les cinquante communes qui composent notre territoire, certaines, en zone rurale, souhaitaient avoir deux ou trois hectares pour mener un véritable projet de développement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Elles pourront le conduire en mutualisant les opérations avec d’autres communes.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Il y a eu un problème d’interprétation. Nous avions compris que cette disposition constituait un outil, mais il n’a pas été vu comme cela politiquement – ce qui a malheureusement créé beaucoup de confusion. C’était une fausse bonne idée, car elle a été utilisée à des fins politiques.

Dès le départ, nous avions bien compris que les différentes contraintes empêcheraient le système de fonctionner s’il n’y avait pas d’entente avec les collectivités voisines. Cela conduit souvent à un blocage politique de l’élaboration du PLUI, alors que son adoption est l’une des conditions pour devenir AOH. Nous proposons plutôt d’exiger un accord sur un Paddi, c’est-à-dire sur une stratégie commune : ce serait un bon critère pour devenir AOH. Les conditions exigées actuellement sont tellement restrictives que seulement sept EPCI sont AOH. Beaucoup d’EPCI sont déjà délégataires des aides à la pierre de niveau 2 et devraient passer au niveau 3, ce qui leur permettra de devenir AOH presque automatiquement.

Il faut aussi probablement convaincre les communes rurales que les intercommunalités ne vont pas essayer de les voler. L’intercommunalité que je dirige est composée pour l’essentiel de communes rurales et un véritable dialogue avait été engagé. L’AMRF s’est emparée de ce sujet…

M. Mickaël Cosson, président. L’urbanisme a toujours été une matière qui donne lieu à de multiples interprétations.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Lorsque j’ai été élue maire en 2014, celui de Céret, dans les Pyrénées-Orientales, m’avait dit que je n’aurai plus d’amis dans un an parce que j’aurai refusé des permis de construire.

L’urbanisme et l’habitat sont des sujets complexes, avec un très grand nombre d’interlocuteurs et qu’il est difficile d’expliquer aux citoyens. Il s’agit, au fond, de choisir ce que l’on va faire d’un espace et dans quel délai. Sans urbanisme, il n’est pas possible d’avoir une vision de l’avenir d’un territoire.

M. Mickaël Cosson, président. Il faut que cela reste un outil.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. En effet, un outil au service de projets.

Dans le cas de mon intercommunalité, c’est l’élaboration des schémas de cohérence territoriale (SCoT) qui a permis à nos quatre EPCI de comprendre qu’ils étaient d’accord sur l’essentiel. Ils ont donc fusionné dès 2008 et nous n’avons pas attendu la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi « Maptam ». Auparavant, nous avions mis en place un schéma directeur, puis un SCoT, communs. Comme nous nous étions déjà mis d’accord sur l’organisation de l’espace et la localisation des équipements et des routes, ainsi que sur la préservation des sols, des forêts et de l’eau, nous nous sommes dit que nous serions forcément d’accord sur les écoles, les transports et le développement économique.

L’urbanisme peut donc être un véritable outil pour organiser le dialogue ; il ne faudrait pas qu’il devienne une source de conflits.

M. Dominique Da Silva (RE). J’ai déposé une proposition de loi qui vise à créer les conditions pour que les employeurs s’impliquent davantage pour loger leurs employés.

De manière très pratique, dans le cadre d’une AOH, quels sont les outils dont une intercommunalité aurait besoin pour réaliser les études prospectives qui permettront aux employeurs de compter sur des logements au plus près des lieux de travail ? Quelles sont les relations à établir avec les employeurs pour cela ? Je ne parle pas de l’implantation de très grandes usines, car ces projets ambitieux bénéficient de moyens importants, mais bien des besoins des commerçants, des artisans et des PME, pour lesquels la question du logement est devenue cruciale pour attirer des personnels compétents.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. Nous avons créé une société publique locale (SPL) d’aménagement qui regroupe désormais sous une même direction l’agence de développement économique, l’agence d’urbanisme et la maison des compétences : nous avons en effet estimé qu’il était impossible de s’occuper de ces trois domaines séparément.

Les logements que nous sommes en train de construire ont été présentés préalablement aux entreprises. Nous avons travaillé avec des architectes urbanistes dans le cadre du concours Europan, ouvert en 2019 et consacré aux villes productives ; ils nous ont montré comment créer une ville vivante et de la fluidité territoriale.

Nous avons donc sorti de leurs silos respectifs les questions du logement, du développement économique et de la formation professionnelle.

À côté des logements, nous avons prévu des bureaux, une crèche – au financement de laquelle les entreprises ont participé – ainsi que des organismes de formation, un laboratoire et des ateliers relais. Tout cela forme un écosystème en ville, destiné à assurer la symbiose avec les entreprises – car les TPE et les PME sont très importantes.

Il n’existe, à ma connaissance, pas d’obligation pour les entreprises d’investir dans le logement lorsqu’elles s’implantent. Nous avons décidé de les inciter à réserver un certain nombre de logements pour leurs salariés et nous étudions s’il serait possible qu’elles participent financièrement à leur construction – puisqu’on nous dit partout que ces structures hybrides ne correspondent à aucun schéma existant. Je ne souhaite pas que ces logements relèvent du logement social, car il s’agit de pouvoir accueillir des personnes aux activités très différentes, par exemple des médecins. Les entreprises qui envisagent de s’installer se renseignent en effet aussi sur l’offre de soins pour leurs salariés ou sur les modes de garde d’enfants en horaires décalés.

Nous nous sommes aussi dit qu’il faudrait intégrer l’office du tourisme à la SPL, afin de prendre en compte ce volet de l’attractivité du territoire.

Reste que nous ne pouvons pas répondre en totalité aux besoins en logement liés au dynamisme économique – notamment en raison du ZAN : c’est utopique. Il fallait donc aussi prendre en compte les besoins de mobilité, si possible décarbonée, y compris pour les personnes qui télétravaillent. Nous avons négocié avec la région Normandie pour que la ligne ferroviaire utilisée pour le fret le soit aussi de nouveau pour le transport de passagers. La SPL consacrée à la mobilité sera également fusionnée dans l’outil constitué par l’entité unique.

 

Présidence de M. Dominique Da Silva, vice-président de la mission

 

M. Dominique Da Silva, président. Est-ce que cette SPL permet de répondre à l’ensemble des différents besoins exprimés ? Comment ce modèle intéressant a-t-il été financé et comment envisagez-vous l’avenir ?

Mme Virginie Carolo-Lutrot. La SPL Caux Seine développement a interrogé l’ensemble des entreprises installées sur le territoire, mais aussi certaines qui avaient l’intention de le faire, pour savoir comment elles voyaient la situation dans dix ou quinze ans. Ce sont elles qui ont déterminé les besoins en logement. Nous avons ensuite trouvé le foncier pour y répondre.

Je mène une rénovation « Cœur de ville » depuis 2010, avec une concession d’aménagement depuis 2013. Pendant longtemps, on nous a seulement demandé de créer des logements, des parkings et des cases commerciales. Mais nous avons choisi d’avoir moins de commerces, pour qu’ils marchent mieux. Nous avons réduit l’emprise routière et nous avons réfléchi à ce qu’une entreprise souhaitait trouver pour s’installer chez nous. Nous avons travaillé avec l’établissement public foncier de Normandie (EPFN), qui s’occupe de développement économique, et avec la foncière de Normandie, qui aide à nous financer.

La concession d’aménagement est un outil extrêmement efficace pour se projeter à l’horizon de vingt ans – puisque c’est le temps qu’il faut pour amortir les investissements en raison du coût de la construction. La commune ou l’intercommunalité ne peut pas consentir directement un tel investissement ; elle intervient à travers une foncière ou grâce à un mandataire – dans notre cas, il s’agit de la Société d’économie mixte d’aménagement normande (Shema). Nous nous attachons à l’effet de levier produit par notre action : nous savons que chaque euro investi dans la Shema en rapporte cinq.

La SPL est, quant à elle, financée par la vente de prestations aux communes. Elle s’occupe de l’animation commerciale, mais aussi des opérations de revitalisation de territoire (ORT) et des programmes « Petites Villes de demain » (PVD) – qui concerne trois des villes de la communauté d’agglomération – et « Villages d’Avenir ». Elle fournit également des prestations d’ingénierie aux communes. Ces recettes permettent de financer des interventions réalisées par le biais de sociétés d’économie mixte (SEM). La SPL est une petite structure composée d’une vingtaine de personnes et elle s’autofinance. Nous avons en quelque sorte créé notre petit cabinet d’ingénierie.

Nous vous détaillerons par écrit ce qui devrait, selon nous, figurer dans le statut d’AOH.

Le pilotage de certains instruments pourrait être amélioré : c’est notamment le cas de MaPrimeRénov’, qui est un outil extrêmement important. Actuellement, lorsque je monte des dossiers, je constate que, dès le mois de juin, l’Anah a épuisé ses crédits. Les demandeurs doivent alors se tourner vers la région, le département et, dans notre cas, la communauté d’agglomération, qui intervient aussi pour faire un effet de levier. Compte tenu de l’importance des primes versées par l’Anah, des centaines de dossiers se trouvent de fait reportés au mois de janvier suivant. Une véritable décentralisation de MaPrimeRénov’ permettrait de faire remonter plus vite les informations sur le rythme de consommation des crédits par rapport aux besoins, mais aussi d’offrir un véritable service intégré pour orienter les citoyens et déterminer quels sont les travaux les plus opportuns : j’ai moi-même pu bénéficier de MaPrimeRénov’ pour changer de chaudière, alors qu’une isolation aurait probablement été une meilleure solution.

Intercommunalités de France insistent sur l’importance des financements, car on ne peut pas balayer le sujet d’un revers de la main : les besoins sont en effet considérables. Mais on pourrait mieux utiliser l’argent disponible en mettant en place un guichet unique, au plus près des habitants dans les territoires.

M. Dominique Da Silva, président. Vous avez évoqué la mobilité dans le parc social. J’imagine que, comme partout, vous avez plus de demandes que de logements disponibles. Comment envisagez-vous la décentralisation de la gestion de ce parc ?

On sait que le but premier du parc social est de loger les populations les plus défavorisées. De quels outils auriez-vous besoin pour mieux gérer ce parc et pouvoir prendre aussi en compte la démarche globale de retour vers l’emploi et de formation ? Il faut sans doute introduire une notion de parcours résidentiel car, s’il est normal que les gens accèdent au logement social, ils n’ont pas forcément vocation à y rester toute leur vie.

Mme Virginie Carolo-Lutrot. La saturation du parc social s’explique par plusieurs raisons dont, tout d’abord, l’absence de rénovation. Je le constate dans l’une des communes de ma communauté d’agglomération : les nouvelles opérations de logements à loyer réglementé ont vidé les programmes anciens. Le bailleur de ces derniers ne retrouve pas l’équilibre financier et n’a plus les moyens de financer une rénovation, qu’il aurait certes peut-être dû engager plus tôt.

La deuxième raison, c’est que beaucoup trop de gens installés dans des logements sociaux ont des revenus au-dessus des plafonds de ressources et payent des surloyers – je serais d’ailleurs curieuse d’en connaître le nombre exact. Quand trop de locataires paient des surloyers, il devrait être possible de dire au bailleur qu’il doit contractualiser avec ses locataires et qu’ils ne relèvent plus du logement social.

Enfin, il y a des problèmes de comptabilisation des logements sociaux. Lorsqu’un bailleur social vend ses logements, ces derniers continuent pourtant à être considérés comme des logements sociaux pendant dix ans au titre de la dotation générale de fonctionnement (DGF). Cela affecte les équilibres du PLHI. Il faut en finir avec cette règle.

Quand le bailleur social vend un logement, il le propose en priorité au locataire et une rénovation énergétique est souvent réalisée au préalable. C’est donc très intéressant pour le locataire, mais il ne s’agit plus de logement social. Il faut donc libérer en parallèle du potentiel pour créer du logement social ailleurs. Dans ma commune, un immeuble assez agréable comprend 50 % de locataires qui paient des surloyers. Ils préfèrent le faire plutôt que d’avoir à quitter leur logement : on s’éloigne de la logique de baux à caractère social.

Une solution pourrait être d’indiquer dès le départ les règles du jeu au locataire d’un logement à loyer réglementé, afin qu’il sache qu’il devra quitter ce logement lorsque son revenu dépassera un certain seuil. Il faut aussi prévoir un dispositif qui permette de proposer le transfert vers un logement moins grand dans le même immeuble quand les enfants n’y habitent plus – par exemple, à partir du moment où leur domicile fiscal est différent de celui des parents. Le logement social est destiné à répondre aux besoins de la population française, dans le cadre d’un parcours résidentiel : il ne faut pas dériver vers un droit à y demeurer ad vitam aeternam.

Mme Claire Delpech. Le maintien dans les lieux lorsque les enfants sont partis et le surloyer sont des sujets sensibles.

L’une des solutions consisterait à mettre entre les mains des collectivités territoriales, dans le cadre de l’AOH, des dispositifs qui leur permettent vraiment d’agir en tenant compte des réalités locales.

Cela passe principalement par un droit de regard sur la stratégie patrimoniale menée par les bailleurs sociaux – qu’il s’agisse de la production de logements neufs comme de la réhabilitation. Comme cela a été dit, cette dernière produit des effets de vases communicants. Il faut aussi pouvoir questionner la politique des loyers ou la vente de logements sociaux, car celle-ci a des effets sur les collectivités dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), ainsi que sur le montant de la DGF, de manière indirecte.

Les collectivités peuvent négocier dans de bonnes conditions avec les bailleurs lorsqu’elles sont représentées à leur conseil d’administration – et, bien entendu, dans des conditions encore meilleures lorsqu’il s’agit de leurs propres bailleurs, c’est-à-dire d’offices publics de l’habitat (OPH). Mais cela peut devenir plus compliqué avec les offices départementaux, car les démarches de regroupement débouchent parfois sur des stratégies patrimoniales qui voient s’opposer la communauté d’agglomération et la grande ville, ou bien la communauté d’agglomération et la métropole. Et c’est encore plus difficile lorsque l’on a affaire à de grands bailleurs, comme CDC Habitat ou d’autres groupes, qui mènent une stratégie à l’échelle nationale et ne tiennent pas compte des territoires.

Il est nécessaire que les collectivités disposent d’un droit de regard et d’une capacité de négociation nettement plus affirmés sur les plans patrimoniaux et sur les conventions d’utilité sociale. C’est ce que nous souhaitons pouvoir introduire dans le cadre de l’AOH.

M. Dominique Da Silva, président. Merci beaucoup.


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17.   Audition de Mme Jessica Brouard-Masson, directrice de l’expertise et des politiques publiques et M. Antonin Valiere, responsable des relations institutionnelles de l’Agence nationale de l’habitat (jeudi 14 décembre 2023 à 15 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. Notre mission d’information a pour ambition de s’inscrire dans le calendrier législatif et les annonces gouvernementales. Un débat aura lieu, au mois de janvier prochain, sur un projet de loi relatif aux copropriétés dégradées et à l’habitat insalubre. Par ailleurs, le Président de la République et le ministre délégué ont annoncé une loi-cadre portant sur le logement et les territoires.

La plupart des membres de cette Assemblée partagent le même constat d’une triple crise : il s’agit d’une crise immobilière, comme notre pays en a connu à plusieurs reprises, mais également d’une crise du logement et, en toile de fond, d’une crise sociale. Nos concitoyens les plus fragiles subissent ainsi les effets de ces crises superposées. Face à ce constat, la mission a pour ambition d’alimenter l’Assemblée nationale en réflexions et propositions, dans la perspective du projet de loi-cadre précédemment évoqué. À l’instar du Conseil national de la refondation, qui a réussi à dégager des pistes faisant consensus de la Fondation Abbé Pierre au Medef, nous pensons qu’il est possible de présenter un ensemble de propositions acceptées par le plus grand nombre de parlementaires. La conscience de ces crises est désormais bien plus forte qu’elle ne l’était il y a encore quelques mois et nous souhaitons formuler des recommandations communes au Gouvernement.

Mme Jessica Brouard-Masson, directrice de l’expertise et des politiques publiques de l’Agence nationale de l’habitat. L’Agence nationale de l’habitat (Anah) existe depuis un peu plus de cinquante ans et a toujours eu pour mission-socle les enjeux de confort dans le logement, qui ont fortement évolué dans le temps : concentrés sur la sortie de l’insalubrité dans les années soixante-dix, ils ont ensuite porté sur la rénovation énergétique, le traitement des copropriétés, mais aussi l’adaptation des logements à la perte d’autonomie. L’Anah a également pour objet de répondre aux fractures sociales et territoriales, même si le champ des bénéficiaires de l’Agence a été élargi depuis la mise en place de MaPrimeRénov’, en 2020. Depuis 2021, l’ensemble des ménages, quelles que soient leurs ressources, peuvent formuler des demandes d’aides auprès de l’Anah.

Depuis trois ans, le spectre d’intervention de l’Agence s’est très sensiblement élargi et la place de la rénovation énergétique dans nos dispositifs d’aide s’est fortement accrue. Ces enjeux énergétiques sont fréquemment associés à d’autres, comme ceux relevant de l’habitat indigne.

Dans ce contexte, l’Agence continue de s’appuyer sur un partenariat avec les collectivités locales, à travers une contractualisation qui prend la forme d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat ou de programmes d’intérêt général. Cette contractualisation a commencé à évoluer avec la mise en place du service public de la rénovation de l’habitat et le regroupement de l’ensemble des espaces-conseil en faveur de la rénovation énergétique, dont une partie était pilotée par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et une partie par l’Anah. L’objectif consiste ici à apporter un service public de qualité à l’ensemble de nos concitoyens, sur les enjeux d’amélioration de l’habitat.

Une autre modification d’ampleur interviendra à partir du mois de janvier 2024, avec la mise en place de MaPrimeAdapt’, regroupement de plusieurs aides en faveur de l’adaptation des logements à la perte d’autonomie, dans une dynamique de simplification des aides à destination de nos concitoyens.

La première partie de vos questions portait sur la manière d’accroître la production de logements. Bien évidemment, l’Anah n’est pas la structure la plus appropriée pour répondre sur ce sujet, même si un certain nombre de nos dispositifs peuvent apporter ponctuellement des réponses par le traitement de l’habitat ancien et de l’habitat dégradé.

S’agissant de l’adaptation du parc de logements aux nouveaux besoins, l’Agence intervient sur les enjeux de rénovation énergétique, qui portent sur des volumes extrêmement importants de logements à remettre à niveau. Cependant, la question de l’adaptation ne se limite pas à la rénovation énergétique : nous traitons également la question de l’habitabilité des logements, notamment au bénéfice des personnes en perte d’autonomie, comme les personnes âgées ou les personnes handicapées.

Un autre enjeu concerne les nouveaux usages dans le logement. Nous portons une attention particulière à ce sujet, notamment dans les opérations de recyclage de l’habitat indigne. L’objectif consiste ainsi à pouvoir disposer in fine de logements qui répondent aux besoins des habitants, grâce à des espaces assez modulables et des espaces extérieurs. Certaines opérations montrent que, y compris dans des contextes urbains anciens, il est possible de disposer de logements qui répondent aux attentes d’aujourd’hui.

M. le président Stéphane Peu. Pourriez-vous nous éclairer sur les grandes masses budgétaires et leurs évolutions dans le temps ? Dans quelle mesure leurs poids relatifs ont-ils été modifiés, compte tenu notamment de la part prise par MaPrimeRénov’ ou les enjeux climatiques – peut-être au détriment des « fondamentaux » de l’Anah qui concernaient, par exemple, l’habitat dégradé ?

Mme Jessica Brouard-Masson. En 2018, le budget de l’Agence s’élevait à 800 millions d’euros (M€) ; le budget pour l’année 2024, voté la semaine dernière en conseil d’administration, dépasse les 6 milliards d’euros (Md€) : la hausse est donc particulièrement marquée. En 2017 et 2018, le nombre de logements accompagnés par l’Anah s’établissait à soixante-dix mille environ ; en 2022, près de 720 000 logements ont bénéficié d’une aide de l’Agence, à travers les aides à la pierre ou MaPrimeRénov’, qui est une aide nationale.

La rénovation énergétique représente une part extrêmement conséquente du budget de l’Agence, mais l’ensemble de nos lignes budgétaires ont augmenté. L’enveloppe dévolue à MaPrimeRénov’ a crû fortement au moment du plan de relance, mais les aides à la pierre ont également augmenté : en 2018, ces aides s’élevaient à 800 M€, contre 3,7 Md€ actuellement.

M. le président Stéphane Peu. La formule des aides à la pierre est souvent appliquée à la production neuve, mais à quoi correspondent ces aides dans le cadre de l’Anah ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Une partie est liée à la production de logements sociaux, tandis qu’une autre est dévolue à l’amélioration des logements du parc privé existant. Ces aides peuvent concerner l’habitat indigne, l’adaptation des logements à la perte d’autonomie, le traitement des copropriétés ou la rénovation énergétique au bénéfice des ménages modestes et très modestes. Ces dispositifs passent par le système de délégation des aides à la pierre auprès des collectivités, quand celles-ci ont fait le choix d’en prendre la délégation de compétence.

Ce socle, qui existe depuis la création de l’Agence, a été maintenu et renforcé : depuis 2018, chaque année, les budgets dédiés augmentent progressivement. En 2024, le budget dédié à l’autonomie s’établira à un peu plus de 240 M€, quand il était, l’année dernière, de 68 M€. Pour l’habitat indigne, les calculs sont plus compliqués : lorsque l’on traite une copropriété dégradée, on traite également des habitats indignes, de même que pour les interventions directes sur des logements soumis à des arrêtés d’insalubrité ou de péril ; en réalité, plusieurs dispositifs permettent de répondre à ces enjeux. On peut estimer qu’entre seize mille et vingt mille logements sont ainsi traités au titre de l’habitat indigne.

M. Antonin Valiere. Au-delà de moyens d’intervention en nette augmentation, les moyens humains progressent également de manière importante : au titre de l’année 2024, le cadre d’emploi s’établira ainsi à 55 équivalents temps plein (ETP). Depuis 2018, les moyens d’intervention et les moyens humains ont crû de façon très significative.

Par ailleurs, les crédits d’ingénierie de l’Agence représentaient 100 M€ en 2023. Dans le cadre des contractualisations, ces montants ont permis de dépenser plus de 4 Md€ en crédits d’intervention. Le partenariat avec les collectivités territoriales est particulièrement actif, puisque plus de 955 opérations de l’habitat ont été programmées et qu’elles couvrent l’ensemble du territoire : de fait, les « zones blanches » sont quasiment inexistantes désormais. L’Agence vise à aider les collectivités territoriales dans l’accompagnement des plans locaux de l’habitat, sur la thématique de l’habitat privé, afin de permettre la consommation des crédits – notamment, les crédits d’intervention dans le cadre des aides à la pierre, puisque ceux-ci sont à la main des collectivités lorsqu’elles ont fait le choix d’en prendre la compétence.

Dans le cadre des futures discussions sur le projet de loi « Logement et territoires », qui mettra l’accent sur la décentralisation, il est important de souligner ici que nous travaillons déjà beaucoup avec les collectivités en matière d’aides à la pierre.

M. le président Stéphane Peu. Les masses financières évoquées sont élevées. Aujourd’hui, à quels niveaux se situent le nombre de logements traités en résorption de l’habitat insalubre et le nombre de logements traités en rénovation énergétique ? Quelles sont les grandes masses ?

Mme Jessica Brouard-Masson. En matière de rénovation énergétique, nous avons traité plus de six cent mille logements par an, en gestes simples ou en rénovations globales ; de mémoire, les rénovations globales s’établissent à soixante mille environ. En matière d’habitat indigne, environ vingt mille logements sont traités chaque année, sachant que seize mille le sont dans le cadre du traitement de copropriétés dégradées.

Pour décompter les logements accompagnés en fonction de la typologie des désordres, il importe d’être vigilant, car il n’est pas possible de faire la somme des logements traités au titre de la rénovation énergétique et de ceux traités au titre de l’habitat indigne et de l’autonomie. Il existe en effet des doubles comptes : dans un certain nombre de situations, nous traitons à la fois l’habitat indigne et la rénovation énergétique.

M. le président Stéphane Peu. Si je comprends bien, le nombre de logements traités dans le cadre de la rénovation énergétique, de gestes simples ou de rénovations plus complètes est de six cent mille environ. En habitat insalubre, le nombre n’est que de vingt mille logements.

Mme Jessica Brouard-Masson. L’intervention est beaucoup plus complexe en habitat insalubre qu’en matière de rénovation énergétique, car nous sommes alors face à des ménages qui font face à une certaine précarité. Nous pouvons mener un certain nombre d’actions pour inciter ou forcer les propriétaires bailleurs à intervenir et effectuer des travaux. En revanche, les propriétaires occupants sont des ménages difficiles à « aller chercher » en habitat indigne : ces propriétaires sont fréquemment en situation de précarité financière et sociale, ils sont parfois dans des situations de refus de l’accès au droit, avec des contextes très complexes.

Une fois que les ménages ont été approchés et que nous avons réussi à enclencher une démarche de travaux, une des difficultés majeures rencontrées tient au « bouclage » du reste à charge, malgré les niveaux d’aide. Nous l’avons constaté lors de l’expérimentation concernant six « Territoires d’accélération » dans six départements (Seine-Saint-Denis, Essonne, Val-de-Marne, Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes et Nord) : dans ces départements, nous avons dû majorer nos aides en matière de lutte contre l’habitat indigne, qu’il s’agisse des aides aux propriétaires occupants et aux propriétaires bailleurs ou du financement des travaux d’office. Ces expérimentations ont notamment eu lieu durant la période de crise sanitaire, qui a pu orienter les préoccupations des ménages et des collectivités vers d’autres sujets, notamment le soutien alimentaire. Quoi qu’il en soit, la majoration des aides sur ces six territoires n’a pas entraîné un effet de levier pleinement satisfaisant, lorsque l’on compare la situation avec celle qui prévalait pendant les années précédant la mise en place de ces majorations.

Le conseil d’administration de l’Anah a très récemment voté la mise en place de « MaPrimeLogementDécent », qui regroupera nos deux dispositifs d’aide au traitement de l’habitat indigne, à savoir « Habiter sain » et « Habiter serein ». En outre, nous avons aligné les taux de financement sur ceux de la rénovation énergétique : ainsi, pour le traitement de l’habitat indigne et jusqu’au 31 décembre 2023, les aides s’établissaient à hauteur de 50 % du coût des travaux avec des plafonds fixés à 20 000 euros ou 50 000 euros de travaux ; dans le cadre de « MaPrimeLogementDécent », les aides passent à 60 % du coût des travaux pour un ménage modeste et 80 % pour un ménage très modeste. Nous avons en outre augmenté les plafonds de travaux : le plafond de base passe à 50 000 euros, voire 70 000 euros lorsque l’on atteint l’étiquette E, sans obligation de saut de classe comme cela est le cas pour les aides à la rénovation énergétique.

Voici les chiffres exacts concernant la rénovation : en 2022, l’Agence a accompagné la rénovation de 718 555 logements. Dans cette masse, 669 190 logements ont été accompagnés au titre de la rénovation énergétique, dont 65 938 rénovations globales. Je rappelle qu’un certain nombre de ces rénovations globales incluent le traitement de l’habitat indigne, soit 14 555 logements en 2022.

M. Dominique Da Silva (RE). Il existe un grand nombre de logements vacants et de propriétés qui ne sont pas mises en location. Quelle est votre analyse sur ces logements vacants, supérieurs à trois millions en France métropolitaine ?

Avec le dispositif Loc’Avantages, vous accompagnez les bailleurs privés dans la mise en location, en sécurisant et en apportant des mesures fiscales très attractives. Où en sommes-nous ? De quelle manière ce dispositif évolue-t-il ? Compte tenu des chiffres que vous avez avancés, il devrait pourtant remporter un immense succès. Quels sont les freins éventuels à son essor et pouvons-nous faire mieux ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Les aides aux propriétaires bailleurs sont effectivement couplées avec l’avantage fiscal lié à Loc’Avantages. Il faut souligner que Loc’Avantages peut être mobilisé selon différentes modalités. Il peut s’agir ainsi d’un conventionnement sans travaux, pour un propriétaire dont le logement répond aux normes et qui est au moins classé E – cela permet d’être inclus dans les décomptes de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU), mais également de plafonner les loyers, le propriétaire s’engageant à louer le logement à des personnes situées sous un certain plafond de ressources ; la réforme de Loc’Avantages intervenue en 2022 a permis de basculer sur une réduction d’impôt, quand auparavant il n’existait qu’une déduction dans le cadre du dispositif « Louer abordable ». Ce dispositif fiscal peut être également couplé avec nos aides aux travaux à destination des propriétaires bailleurs ; dans ce cas, l’étiquette énergétique doit atteindre le niveau D au minimum.

L’année 2023 est clairement marquée par une baisse du conventionnement et s’inscrit dans les mêmes dynamiques que la baisse générale d’accès aux aides, observée pour diverses raisons : inflation, augmentation du coût des travaux, limitation de l’accès au crédit pour un certain nombre de ménages, etc.

S’agissant du dispositif sur les logements vacants, les territoires nous font remonter une problématique tenant à l’évolution des modalités de calcul du plafond de loyer. En passant de « Louer abordable » à Loc’Avantages, le loyer de référence a été modifié, la carte des loyers publiée par le ministère du logement s’appuyant sur des chiffres datant de 2018. Or, dans un certain nombre de territoires, ces chiffres étaient vraisemblablement en dessous des loyers de marché effectivement pratiqués : une mise à jour de ces plafonds de loyer sera donc proposée au 1er janvier 2024, pour la poursuite du dispositif.

Vous vous interrogez sur l’intérêt, pour un propriétaire bailleur, de rentrer dans un dispositif du type Loc’Avantages. Ce dispositif cherche à intéresser plutôt les propriétaires qui payent des impôts ; les propriétaires modestes n’ont pas nécessairement intérêt à utiliser Loc’Avantages.

Par ailleurs, il existe d’autres freins à la mise en location. Je pense notamment aux logements en indivision, dans le cadre de successions : les propriétaires ne voient pas nécessairement d’intérêt à réinvestir le logement et, en tout cas, à mettre à le mettre en location. Par ailleurs, certains logements sont dans des états de dégradation assez avancés et soumis aux échéances posées par la loi « Climat et résilience », concernant les fins de mise en location de passoires énergétiques. Nous observons ainsi un recul du conventionnement de logements grevés d’étiquettes énergétiques basses ou moyennes et où les propriétaires n’ont pas forcément envie de réaliser des travaux.

Comme chez un propriétaire occupant, la réalisation de travaux dans un logement mis en location ne s’improvise pas et certains propriétaires peuvent être dissuadés d’engager des travaux trop importants.

M. Dominique Da Silva (RE). Vos propos sont intéressants, puisqu’ils précisent que le conventionnement diminue, alors que l’on pourrait penser intuitivement le contraire.

Où peut-on trouver des données précises sur les logements vacants ? Il importe de les connaître et de les mesurer, si nous voulons pouvoir en faire un objet de politiques publiques.

Mme Jessica Brouard-Masson. Le plan « Logement » lancé en 2020 a mis à disposition des collectivités qui le souhaitent un certain nombre d’outils : je pense notamment au fichier Lovac, géré par le ministère chargé du logement et, qui permet de recenser les logements vacants. Il existe également la solution numérique « Zéro logement vacant » (ZLV), qui permet aux collectivités d’effectuer un repérage et de préparer un publipostage à destination des propriétaires afin de vérifier si leurs logements sont toujours vacants ; elle permet également de rendre visibles les différents dispositifs qui leur permettraient de réaliser des travaux et de remettre le logement sur le marché, à la vente ou à la location.

Un certain nombre de collectivités se sont déjà approprié ces outils et ont mis en place une ingénierie ad hoc. En effet, pour pouvoir aller au-devant des propriétaires, il faut également disposer d’équipes sur le terrain, qui accompagnent au quotidien ces propriétaires dans leur compréhension des dispositifs. Ces opérations restent néanmoins assez longues, leurs effets mettent du temps à se concrétiser et les sorties de vacance ne sont pas très rapides.

M. Dominique Da Silva (RE). Le dispositif semble, en théorie, extrêmement attractif, puisqu’il offre un grand nombre d’avantages. Je suis donc surpris qu’il fonctionne aussi peu ou, à tout le moins, que les conventionnements diminuent. Comment l’améliorer encore ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Il faut garder présent à l’esprit que le conventionnement n’est pas systématique. Aujourd’hui, pour bénéficier des aides de l’Anah en habitat indigne ou en rénovation énergétique, un propriétaire bailleur modeste ou très modeste doit obligatoirement passer par un conventionnement. Dans le cadre de MaPrimeRénov’, en revanche, le conventionnement n’est pas obligatoire : l’engagement du propriétaire porte ici sur la location du logement pendant cinq ans (jusqu’à la fin de cette année) ou pendant six ans (à partir du 1er janvier prochain), pour aligner les durées de mise en location entre les aides à la pierre et MaPrimeRénov’.

Aujourd’hui, les propriétaires bailleurs un peu avertis sont attachés à la rentabilité de leur investissement et le plafonnement à trois logements de la niche fiscale sur le conventionnement représente un frein. De même, les plafonds de loyers semblent trop bas par rapport aux loyers de marché, malgré une déduction fiscale qui peut atteindre jusqu’à 85 % en cas de loyer très social – je rappelle que Loc’Avantages comprend trois niveaux de loyers et que la déduction fiscale est plus importante à partir du moment où le propriétaire s’engage à modérer ses exigences.

Les arbitrages s’effectuent ainsi entre les loyers perçus et la déduction d’impôt. D’après les retours des territoires, un certain nombre de propriétaires se détournent du dispositif parce qu’ils ne s’y retrouvent pas aussi bien que dans le dispositif précédent, qui était « Louer abordable ».

M. Dominique Da Silva (RE). J’entends l’argument, mais pourquoi préfèrent-ils ne pas louer ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Pour des logements qui, pour le moment, ne sont pas vacants, un propriétaire va préférer louer avec un loyer intermédiaire ou un loyer de marché.

M. le président Stéphane Peu. L’une de nos préoccupations concerne effectivement la remise sur le marché des logements vacants. Par définition, un logement vacant ne fournit pas de revenus. L’Anah dispose-t-elle d’une « cible » particulière pour la remise sur le marché de logements vacants ? Quels sont les plafonds de loyer ? En Seine Saint-Denis, je ne constate pas une telle décorrélation entre les plafonds de loyer et le marché.

Mme Jessica Brouard-Masson. Tout dépend vraiment des territoires. Dans le cadre de Loc’Avantages, les plafonds de loyer sont souvent inférieurs aux loyers du parc social.

M. le président Stéphane Peu. En matière de conventionnement, les loyers s’entendent par mètre carré. Pour ma part, j’ai connu, à l’inverse, des plafonds de loyer dans le cadre de conventionnements Anah supérieurs à ceux du parc social, à environ 12 euros par mètre carré.

Mme Jessica Brouard-Masson. Tout dépend vraiment des territoires.

M. le président Stéphane Peu. Mais qu’en est-il en moyenne ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Le plafond de loyer est différencié selon les territoires, je n’en connais pas la carte par cœur et ne peux pas vous donner de moyenne.

M. le président Stéphane Peu. Il ne semble pas y avoir tant d’écart.

Mme Jessica Brouard-Masson. Quand il s’agit du Loc1, il faut être à 15 % en dessous des loyers du marché ; pour Loc2, à 30 % en dessous ; pour le très social (Loc3), l’écart est encore plus marqué (– 45 %). Par rapport au plafond déterminé par la carte des loyers et en fonction du type de locataire que le propriétaire accepte de prendre, celui-ci subit donc une décote plus ou moins prononcée par rapport au loyer de marché.

M. le président Stéphane Peu. La remise massive de logements vacants sur le marché est-elle une mission qui vous est confiée par les pouvoirs publics ? Si tel est le cas et que vous êtes confrontés à un échec concernant la remise en location de ces logements vacants, il est peut-être nécessaire de se poser un certain nombre de questions et, de notre côté, de présenter des propositions.

Mme Jessica Brouard-Masson. Nous n’avons pas de cible directe concernant la remise sur le marché de logements vacants. En revanche et en fonction des territoires et des diagnostics territoriaux, cette problématique peut être intégrée aux objectifs d’une opération programmée de l’habitat ou d’un programme d’intérêt général : par exemple, le programme d’intérêt général porté par le conseil départemental de la Meuse intègre précisément des objectifs de remise sur le marché de logements vacants ; de même, l’Eurométropole de Strasbourg est très active sur cette thématique. Nous ne suivons pas spécifiquement cet axe de politique publique, mais les outils et les financements apportés aux collectivités permettent de répondre à ces enjeux.

Les propriétaires bailleurs ont historiquement constitué la cible principale de l’Anah. Depuis les changements opérés autour de 2010, avec notamment une orientation vers les ménages les plus modestes, les objectifs assignés au traitement des logements locatifs ne représentent plus qu’une petite partie de nos objectifs globaux. En moyenne, ces objectifs ont été de cinq mille logements par an, en accompagnement de travaux à travers un conventionnement.

M. Dominique Da Silva (RE). Le plan « Logement d’abord » (2018-2022) ciblait 49 500 logements abordables créés dans le parc locatif privé, soit beaucoup plus que les cinq mille logements par an que vous venez de mentionner.

Mme Jessica Brouard-Masson. L’objectif de cinq mille logements par an concerne le conventionnement avec travaux. Chaque année, il y a à peu près autant de conventionnements avec travaux que de conventionnements sans travaux. Par conséquent, notamment dans le cadre du plan « Logement d’abord », l’enjeu portait sur les dispositifs d’intermédiation locative, qui permettent de capter des logements dans le parc privé et de les mettre en location ou sous-location, au bénéfice des ménages les plus précaires.

Ces ménages sont également ciblés par nos dispositifs en maîtrise d’ouvrage d’insertion, dans le cadre desquels nous accompagnons le financement d’opérations de réhabilitation, voire de transformation d’usage : dans certains territoires, nous avons ainsi converti des écoles en logements.

M. le président Stéphane Peu. L’Anah fournit des aides pour la rénovation des logements. Vous disposez également d’une structure qui, pendant la durée du conventionnement, va assurer la gestion du bien en lieu et place du propriétaire, avec l’engagement de restituer ce bien à l’issue du conventionnement. Ce dispositif d’intermédiation locative monte-t-il en puissance ?

Mme Jessica Brouard-Masson. C’est assez stable. Cette année, l’Anah a modifié les conditions d’accès à la prime d’intermédiation locative afin que cette dernière soit accessible dans toutes les zones, y compris dans les zones C avec des majorations. Dans ce cadre, nous passons par des agences immobilières à vocation sociale, qui font l’intermédiaire entre les propriétaires et les ménages.

M. le président Stéphane Peu. L’Anah intervient-elle dans le cadre du dispositif Denormandie, qui est relativement récent ? Quels enseignements en tirez-vous ? S’agissant du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé, considérez-vous que celui-ci doit être complété ou enrichi ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Le dispositif « Denormandie dans l’ancien » semble assez intéressant sur le papier et peut être couplé, dans certains cas, avec nos propres aides. Par rapport au dispositif Pinel, il manque des opérateurs proposant à des propriétaires des opérations « clés en main », avec des accompagnements spécifiques sur les travaux et la mise en location : un particulier ne s’improvise pas maître d’ouvrage sur de tels travaux, qui sont assez lourds. Aujourd’hui, pour pouvoir profiter du dispositif Denormandie, un propriétaire doit se projeter sur les travaux et sur la mise en location de son bien ; dès lors, les résultats de ce dispositif restent assez modestes.

Le projet de loi sur les copropriétés dégradées va permettre de conforter certains dispositifs. Nous avons été sollicités et l’avons analysé, nous n’y avons pas noté d’oublis manifestes.

M. Dominique Da Silva (RE). L’Anah travaille-t-elle sur de nouvelles offres permettant de loger les salariés ? En effet, les remontées de terrain font apparaître les difficultés croissantes des entreprises à loger leurs salariés à proximité de leur lieu de travail. Il apparaît donc nécessaire de rendre du parc locatif disponible – raison pour laquelle je suis surpris par la baisse du conventionnement, compte tenu du grand nombre de logements vacants. Des employeurs passent-ils déjà par l’Anah pour réhabiliter des bureaux ou d’autres types d’immeubles ?

Mme Jessica Brouard-Masson. Nous avons effectivement été sollicités par un certain nombre de structures, comme l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou La Poste, pour faire connaître à leurs salariés le parc de logements conventionnés. Dans le cadre des diagnostics territoriaux et des travaux préparatoires aux opérations programmées d’amélioration de l’habitat, un axe spécifique peut concerner la manière de produire plus de logements pour les salariés qui s’installeront.

Votre question sur le logement des salariés concerne-t-elle uniquement les salariés à temps plein ou également les saisonniers ?

M. Dominique Da Silva (RE). Ma question est globale et porte sur l’ensemble des salariés. Les besoins concernent l’ensemble des secteurs, en lien avec les phénomènes de vacance. Si les logements vacants ne sont pas situés dans des zones de forte activité économique, il faut pouvoir le dire clairement. Aujourd’hui, les chiffres bruts ne sont pas suffisamment précis alors qu’un tel éclairage constitue, à mon sens, une mission de service public : à un moment donné, la puissance publique doit traiter ces logements.

Mme Jessica Brouard-Masson. L’Anah propose justement un certain nombre d’outils destinés aux propriétaires de ces logements, pour les réhabiliter ou pour engager des ventes et permettre leur remise sur le marché. Au même titre que la question de l’habitat indigne, celle des logements vacants est multiforme et multiterritoriale.

Dans les secteurs tendus, la vacance est liée, en réalité, à la problématique des meublés touristiques : pour un propriétaire, il peut être plus rentable de louer son logement quelques semaines, via les plateformes de location, plutôt qu’à l’année…

M. Dominique Da Silva (RE). Dans ce cas, il ne s’agit plus de vacance…

Mme Jessica Brouard-Masson. Il ne s’agit effectivement pas de vacance stricto sensu, mais l’enjeu est du même ordre en termes de disponibilité de l’offre.

Par ailleurs, des logements vacants peuvent être présents dans des territoires en déprises démographique et économique. Les réponses doivent être liées aux réalités et aux besoins des territoires : l’amélioration de l’habitat ne se traite pas de manière isolée, dans une bulle.

M. Dominique Da Silva (RE). C’est précisément la raison pour laquelle nous avons besoin de chiffres et d’une évaluation précise. Qui doit mener cette évaluation ? Les collectivités doivent-elles recenser elles-mêmes ces logements ou ce travail doit-il être mené par vos services ? Pour que le débat public soit éclairé, il faut qu’on réussisse à savoir à quoi correspondent ces trois millions de logements vacants. Nous ne pouvons pas nous contenter de réponses floues si nous voulons mener de bonnes politiques publiques.

Mme Jessica Brouard-Masson. L’État a mis à disposition des collectivités qui en font la demande les fichiers de recensement des logements vacants. La politique de l’habitat est en effet une politique locale, portée par les collectivités, qui doivent se saisir de cette problématique à partir des outils mis en place et qui permettent d’effectuer un premier recensement.

À partir de ce diagnostic territorial, il est nécessaire que la collectivité structure sa politique et sa stratégie d’intervention. De son côté, l’Anah ne peut pas imposer tel ou tel dispositif sur un territoire. Lorsque les enjeux sont liés à la rénovation énergétique, la mise en place du service public de la rénovation de l’habitat permet d’apporter les services et réponses nécessaires. Dans certains territoires, il sera nécessaire d’en passer par le traitement des copropriétés fragiles, de l’habitat indigne et de la vacance.

M. Dominique Da Silva (RE). Je retiens de vos propos qu’aucun opérateur n’est aujourd’hui responsable d’un recensement qui permettrait d’évaluer correctement la vacance. Vous dites que les collectivités doivent se saisir de ce sujet, mais, si elles ne le font pas, rien ne se passe.

Mme Jessica Brouard-Masson. Des analyses fines sont conduites au sein du ministère chargé du logement, plus particulièrement au sein de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP). Un chef de projet y a précisément en charge le traitement de la vacance.

M. le président Stéphane Peu. Il faut veiller à ne pas faire porter trop de responsabilités aux collectivités : le seul outil qui existe aujourd’hui pour recenser les logements vacants est un outil fiscal et qui, jusqu’à preuve du contraire, est aux mains de l’État.

Ce chiffre de trois millions de logements vacants émane d’ailleurs de la DHUP elle-même. Pour la majorité d’entre eux, les programmes locaux de l’habitat définissent des stratégies locales d’habitat, mais ils ne recensent pas les logements vacants – puisque les collectivités ne disposent pas de l’outil statistique, aux mains de l’Insee, ni de l’outil fiscal, qui relève de la direction des finances publiques.

Mme Jessica Brouard-Masson. Le fichier Lovac, mis en place par la DHUP, croise plusieurs bases et il est transmis à toutes les collectivités qui en font la demande.

De notre côté, nous avons intégré le fichier Lovac à nos outils de connaissance du parc privé. Les délégations locales de l’Anah y ont accès et peuvent travailler avec les collectivités sur la base de ces données, ce qui permet ensuite d’enclencher des stratégies en fonction du repérage statistique. Selon la DHUP, les logements réellement vacants, c’est-à-dire « la vacance de fond », seraient plutôt au nombre de 1,1 million d’unités.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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18.   Audition de M. Jean-Claude Driant, Professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris (Université Paris Est Créteil) (mercredi 31 janvier 2024 à 16 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. La mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable s’apprête à achever ses travaux, puisque nous espérons rendre notre rapport début mars. Nous avons déjà entendu M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement du précédent gouvernement ; s’il n’est pas reconduit, nous auditionnerons sans doute son successeur pour conclure nos travaux.

Cette mission d’information créée par la conférence des présidents – ce qui lui donne une dimension transversale – porte sur un thème assez large. Lorsque nous avons entamé nos travaux, plusieurs textes législatifs étaient « dans les tuyaux ». Le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a été adopté en première lecture la semaine dernière. La proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, qui concerne notamment la régulation des meublés touristiques de type Airbnb, l’a été avant-hier. Nous examinerons demain, en séance publique, une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements. Outre ces textes portant sur des sujets particuliers, le Président de la République avait annoncé l’été dernier une grande loi plus générale, ce qu’avait confirmé M. Vergriete en évoquant une loi d’orientation et de décentralisation des politiques du logement. Notre mission d’information s’est insérée dans ce calendrier afin d’éclairer les débats législatifs, de faire un diagnostic de la crise du logement, d’en analyser les causes et les conséquences et de formuler un certain nombre de propositions.

Nous recevons aujourd’hui le professeur Jean-Claude Driant, auteur de nombreux ouvrages et études sur la question du logement.

Notre mission aimerait être éclairée par votre expérience, votre analyse et les nombreuses données chiffrées que vous citez régulièrement – j’avais trouvé très intéressante la communication que vous aviez présentée lors du Sommet de la construction organisé par la Fédération française du bâtiment (FFB). Notre rapport devant éclairer la représentation nationale quant à la nature de la crise du logement et déterminer le nombre de personnes en difficulté ainsi que de logements à produire, mieux vaut s’entendre sur le diagnostic avant de formuler des propositions !

M. Jean-Claude Driant, professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris. Je ne suis pas sûr que toutes mes réponses soient très précises cet après-midi, mais je vous communiquerai les données qui manqueraient dès mon retour.

Au risque d’être un peu banal, je considère que la crise du logement résulte de la superposition de deux phénomènes.

Faut-il d’ailleurs employer le mot « crise » ? Je l’ai moi-même beaucoup fait, notamment dans le livre que j’ai coécrit avec l’économiste Pierre Madec et intitulé Les crises du logement (2018). En réalité, la situation actuelle résulte d’abord d’un problème structurel qui s’est développé au cours des vingt-cinq dernières années, dès lors que les prix du logement ont commencé à augmenter plus vite que les revenus et l’indice des prix à la consommation.

Il faut distinguer deux périodes. Entre 1998 et 2008, les prix de l’ancien – ceux que l’on mesure le plus facilement, avec les données des transactions réalisées par les notaires – ont doublé partout. Je ne parle pas des loyers, qui ont évolué de façon beaucoup plus modérée. Il peut sembler étrange que les prix de vente doublent aussi bien à Saint-Étienne qu’à Paris ou à Nevers. Dans cette dernière ville, où j’ai travaillé avec les élus il y a quelques années, le marché immobilier est pourtant l’un des plus détendus de France – ce qui ne va d’ailleurs pas sans difficultés : on peut s’y loger assez facilement, mais le centre est vide !

Pendant cette période, les écarts territoriaux se sont donc considérablement creusés : si l’on a constaté un doublement partout, le prix du mètre carré est passé de 4 000 à 8 000 € à Paris, mais de 500 à 1 000 € à Saint-Étienne. Cela joue sur la capacité même des ménages à accéder au marché du logement : à revenu égal (ou quasi égal), les difficultés se sont davantage accrues à certains endroits qu’à d’autres. J’ai cité deux cas extrêmes, entre lesquels il existe une multiplicité de situations ; il n’empêche que les prix ont doublé partout.

La deuxième période commence en 2008, avec la crise financière, qui a entraîné un petit choc sur le marché immobilier. Je parle d’un « petit » choc, car la France a pris des mesures contracycliques très puissantes : je pense notamment à l’ouverture généralisée du prêt à taux zéro, sans plafond de ressources, dans le neuf comme dans l’ancien, ainsi qu’à la création du dispositif Scellier, qui est allé bien plus loin que les mesures de défiscalisation de l’investissement locatif existantes. En dépit de la fin du plan de cohésion sociale, les pouvoirs publics ont injecté de l’argent dans le logement social. Ce faisant, on a évité la crise : la courbe des prix de l’immobilier a marqué un petit creux, mais elle est très vite repartie à la hausse. Durant cette deuxième période, cependant, les évolutions se sont davantage différenciées : dans le Grand Paris et la plupart des métropoles, les prix ont repris leur hausse à pleine allure, tandis que dans d’autres territoires, comme à Nevers ou Saint-Étienne, ils se sont plutôt stabilisés – quand ils n’ont pas légèrement baissé. Les écarts ont donc continué à se creuser.

À cette dimension territoriale s’ajoute un deuxième élément, longtemps masqué par l’euphorie immobilière qui a duré jusqu’à la crise sanitaire – pendant cette période, on a vu des logements vendus en une journée. Dans la plupart des régions, on a beaucoup construit : on a compté près de 450 000 mises en chantier par an en 2017 et 2018, on a même approché la barre des 500 000 autorisations annuelles, on est monté à des sommets qui n’avaient pas été atteints depuis les années 1970. On a dépassé le million de transactions dans l’ancien en une année, ce qui n’était jamais arrivé. Les promoteurs ont vendu leur production sans aucune difficulté, ce qui leur permettait de balayer les critiques du rapport de François Leclercq et Laurent Girometti, publié en 2021 et mettant en cause la qualité des logements neufs. Cette euphorie masquait non seulement les disparités territoriales que j’ai évoquées, mais également l’éviction progressive d’une partie des ménages, notamment de ceux que l’on regroupe sous le terme très vague de « classe moyenne ».

Le doublement des prix partout – même à Nevers, donc ! – a été rendu possible par l’amélioration des conditions du crédit, les prix s’alignant sur la solvabilité des acquéreurs. Cependant, ces derniers, bien que toujours nombreux, se sont progressivement limités aux revenus les plus élevés et aux classes d’âge supérieures. Ainsi, l’âge moyen du primo-accédant à la propriété a augmenté de près d’une dizaine d’années en vingt ans. Les ménages déjà propriétaires ont contribué à alimenter le marché en vendant des biens, en rachetant, en investissant – c’est à ce moment-là que des patrimoines locatifs avec plusieurs propriétés se sont constitués. Le marché fonctionnait donc très bien, mais en évinçant une partie des ménages. C’est ce que j’ai contribué à qualifier de « crise », même si le terme n’est probablement pas le bon, puisqu’il désigne habituellement un phénomène brusque, violent, de courte durée et facteur de transformations – tel n’est pas le cas en matière de logement, c’est le moins qu’on puisse dire !

On a donc observé la montée structurelle de certaines inégalités liées au logement. Mais si l’on met de côté les locataires, qui n’arrivent plus à accéder à la propriété, cette situation profite à tout le monde : les ménages déjà propriétaires s’enrichissent et les collectivités voient leurs recettes fiscales augmenter, entre l’impôt sur la fortune immobilière et les droits de mutation. En somme, les prix élevés satisfont de nombreux intérêts convergents et ne nuisent qu’à ceux qui ne peuvent pas acquérir de logement.

Il faut bien réaliser que ces derniers sont désormais minoritaires dans notre pays. On cite assez peu un chiffre qui explique en partie les difficultés que l’on a eues à parler de crise du logement. Depuis une bonne quinzaine d’années, le taux de ménages propriétaires de leur résidence principale est très stable, à 58 % – il aurait peut-être tendance à baisser légèrement, à 57 %, mais on reste là dans l’épaisseur du trait. Ce qu’on dit peu, c’est que le taux des ménages « propriétaires non-accédants », c’est-à-dire qui possèdent leur résidence principale sans avoir d’emprunt en cours, est de 40 % – les deux tiers des propriétaires occupants. Autrement dit, 40 % des ménages français ne paient ni loyer ni mensualité pour leur résidence principale, ce qui ne les empêche pas de rembourser par ailleurs un crédit éventuellement souscrit dans le cadre d’un investissement locatif.

Propriétaire non-accédant est le statut d’occupation le plus courant dans notre pays, plus fréquent que celui de propriétaire accédant, de locataire du parc privé ou de locataire du parc social. Les propriétaires non-accédants sont en moyenne de vingt ans plus âgés que les propriétaires accédants, car beaucoup ont eu un crédit qu’ils ont fini de rembourser. Quoi qu’il en soit, pour eux, le fait que le logement soit cher n’est pas tellement un problème ! Voilà aussi pourquoi la question de la crise du logement a eu, jusqu’à présent, du mal à s’imposer dans le débat politique.

On voyait pourtant qu’une partie des ménages se faisaient évincer du marché immobilier. L’un des indicateurs majeurs pour suivre cette évolution est la mobilité dans les parcs locatifs, en particulier dans le parc social, où l’on trouve logiquement les locataires dont les revenus sont les plus bas. À ce propos, on dit souvent qu’il y a autant de pauvres dans le parc privé que dans le parc social. C’est statistiquement vrai, mais les locataires à faibles revenus logés dans le parc privé ont des profils sociaux et démographiques un peu différents : ils sont généralement jeunes, avec une perspective d’évolution de leurs revenus. Les ménages susceptibles de quitter le parc locatif pour accéder à la propriété sont principalement les locataires du parc social. Or, depuis vingt à vingt-cinq ans, les taux de rotation dans le parc social, surtout dans les zones les plus tendues comme l’agglomération parisienne, n’ont cessé de baisser. Autrement dit, les perspectives de sortie du logement social ont beaucoup reculé.

L’exemple de l’Île-de-France est particulièrement frappant. Selon les statistiques publiées il y a quelques jours par l’Agence nationale du contrôle du logement social (Ancols), le nombre d’attributions de logements sociaux en région parisienne est au plus bas – de l’ordre de 75 000 en 2022 contre 80 000 il y a encore quelques années. Ainsi, bien que le stock de logements sociaux ait considérablement augmenté en Île-de-France au cours des vingt à vingt-cinq dernières années – dans les années 2000 et 2010, le logement social était le moteur de la production de logements neufs – l’offre de logements à attribuer n’a cessé de baisser. Voilà un signe de l’éviction progressive des ménages du marché immobilier.

À cela s’ajoute, depuis dix-huit mois, une crise immobilière. Le déclencheur en a été la hausse des taux d’intérêt, qui ont quadruplé en un an et demi. Cependant, ces taux, aujourd’hui de l’ordre de 4 % ou 4,2 %, restent relativement bas dans la mesure où ils sont inférieurs à l’inflation. La véritable raison de la crise immobilière est le niveau des prix, qui demeurent adaptés à des taux d’intérêt de 1 %. Ainsi, la cause du problème conjoncturel est la même que celle du problème structurel des vingt dernières années : les prix sont trop élevés.

Les acteurs de l’immobilier parlent d’une crise de la demande, qui diffère un peu selon que l’on considère le marché du neuf ou celui de l’ancien, beaucoup plus volumineux. Sur le marché du neuf, on observe principalement une crise de solvabilité des ménages, lesquels n’arrivent pas à obtenir les crédits qui leur permettraient d’acquérir ces logements. Dans l’ancien, ce problème de solvabilité s’ajoute à l’attentisme des acquéreurs, qui espèrent une baisse des prix et considèrent donc, sauf urgence, que le moment n’est pas venu d’acheter.

Ainsi, les logements neufs ne se vendent pas. Des opérations sont abandonnées, tandis que celles qui ont été lancées laissent des invendus qui représentent, pour les promoteurs concernés, des problèmes majeurs. Contrairement à ce qui s’est passé en 2008 avec l’élargissement du prêt à taux zéro et la création du dispositif Scellier, la seule véritable mesure contracyclique constatée est la revente de 47 000 logements neufs à des bailleurs sociaux.

L’échec de ces opérations peut avoir des conséquences sur la construction de logements sociaux : c’est l’une des causes du recul de la production que l’on observe. Depuis une vingtaine d’années s’est développée la pratique de la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) pour les organismes HLM : en quinze ans, le taux de logements HLM produits en Vefa est ainsi passé de 20 % à 49 % l’année dernière. Cette évolution est à l’origine d’une dépendance réciproque entre les promoteurs et les bailleurs sociaux. Les seconds dépendent évidemment des opérations menées par les premiers : si elles sont abandonnées, c’est autant de logements sociaux en moins. Mais il y a aussi une dépendance des promoteurs à l’égard des opérations de logement social : pour équilibrer leurs comptes, ils ont en effet tendance à tirer le prix des logements libres vers le haut, ce qui réduit le nombre de leurs clients compte tenu des problèmes actuels de solvabilité. Il ne fait aucun doute que la Vefa-HLM a été un moteur de la production de logements sociaux, notamment dans les communes qui en comptaient peu et qui se sont engagées dans des opérations mixtes, et qu’elle a contribué à la mixité sociale : cette pratique comporte donc des aspects positifs. Elle n’en fait pas moins peser des risques sur l’activité.

Face à la crise de la demande, dans l’ancien, la solution est assez simple : les vendeurs vont finir par baisser leurs prix. Il est certes difficile de convaincre les particuliers, mais les agents immobiliers incitent les vendeurs à la modération. Le mouvement est d’ailleurs un peu amorcé, même si cela n’est pas encore flagrant.

Dans le neuf, la situation est beaucoup plus compliquée. Les coûts de construction ont subi une inflation significative. Les bailleurs sociaux et les promoteurs me disent, certes de plus en plus souvent, que les offres des constructeurs commencent à s’orienter à la baisse, mais je crains que cela ne résulte davantage de soldes que d’une baisse réelle des coûts, avec un risque in fine pour la santé de l’entreprise. Mais la véritable variable d’ajustement est le foncier. Dans une logique de marché libérale, il devrait se passer la même chose que dans l’ancien : les prix du foncier devraient finir par baisser. Cependant, cette évolution est beaucoup moins évidente et prendra beaucoup plus de temps : pour les logements qui sortiront de terre dans deux ou trois ans, la plupart des opérations sont déjà engagées et les transactions sont en cours, voire finalisées. Il faudra donc sans doute attendre plusieurs années avant qu’une éventuelle baisse des prix du foncier se fasse réellement sentir. À mon sens, le neuf aura donc beaucoup plus de mal à se remettre de la crise de la demande.

Cette crise de la demande entraîne, mécaniquement, une crise de l’offre, notamment dans le secteur locatif. Dans un contexte de marchés tendus, le secteur social a rarement connu des taux de rotation aussi bas, ce qui explique le recul du nombre d’attributions – je vous ai cité un chiffre de l’Ancols tout à l’heure. S’agissant du secteur locatif privé, je n’ai aucun moyen de mesurer la baisse, mais je me fie aux enquêtes effectuées l’année dernière par la Fédération nationale de l’immobilier auprès de ses membres et qui font ressortir un recul du nombre d’offres de 34 %, ce qui est énorme.

Les causes de cette baisse, dans le secteur locatif privé, sont multiples. Outre l’impossibilité, pour les locataires, d’accéder à la propriété, la réglementation relative aux passoires énergétiques dissuade probablement les propriétaires bailleurs de mettre leur bien en location – cet impact n’est pas mesuré, mais il suffit de regarder les vitrines des agents immobiliers pour s’en convaincre. À Paris et en région parisienne, le problème se révélera surtout après les Jeux olympiques : pour le moment, les propriétaires de passoires thermiques ne mettent pas leur bien en vente, car ils espèrent faire de beaux profits dans les mois qui viennent, dans le cadre de la location touristique.

Ce phénomène de la location touristique joue aussi un rôle : il fait partie de ce faisceau de facteurs qui provoquent une crise de l’offre, particulièrement dans le secteur locatif privé – élément clef du fonctionnement du système, parfois négligé, voire maltraité politiquement car vu comme un repaire de rentiers et de multipropriétaires. Or nous connaissons tous des gens qui n’ont les moyens ni d’accéder à la propriété, ni d’attendre un logement social, dont ils ne sont d’ailleurs pas forcément demandeurs : ce sont eux, les ménages les plus mobiles, qui ont besoin de ce parc privé locatif qui connaît actuellement une crise grave.

Quant aux chiffres que j’ai donnés à la FFB, Monsieur le président, je les avais calculés sur un coin de table ; je pourrai vous en transmettre une version un peu plus raffinée. Dans un échantillon de villes donné, j’ai calculé ce que pouvait louer ou acheter un couple avec un enfant à la recherche d’un T3, doté d’un revenu médian et appartenant à la tranche de revenu du troisième décile, en fournissant un taux d’effort de 30 % – j’ai été plus exigeant que la Banque de France. En juin 2022, avant la hausse des taux d’intérêt, notre ménage de référence pouvait se loger dans un appartement de plus de 64 mètres carrés dans des villes comme Saint-Étienne, Mende, Rodez ou Limoges, mais pas dans des villes comme Rennes ou Nantes, pour reprendre le rapport de MM. Girometti et Leclercq. Notre ménage se trouvait à peu près dans la même situation sur le marché locatif, pouvant s’offrir ce type d’appartement à Grenoble, par exemple, mais pas à Nantes. Il ne lui reste plus alors qu’à viser plus petit, à partir en périphérie de ville ou à demander un logement social – nous parlons du revenu médian, je le répète.

J’ai refait le calcul en décembre dernier, après la hausse des taux : notre ménage avait perdu environ 20 % de surface. En dix-huit mois…

M. le président Stéphane Peu. Quittons l’analyse des mécanismes de l’offre et venons-en aux caractéristiques et au volume de la demande car, d’un interlocuteur à l’autre, nous obtenons des évaluations très variables à ce sujet. J’ai ainsi été surpris d’entendre Damien Botteghi, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), nous dire que les chiffres qui circulent sont très exagérés.

Ce sont les territoires, par le biais des établissements publics de coopération intercommunale, qui effectuent la programmation des logements, privés ou sociaux, dans le cadre de programmes locaux de l’habitat (PLH) obligatoires et contractualisés. Tous les PLH additionnés représentent une production de quelque 500 000 logements par an. Or nos interlocuteurs ministériels avancent un chiffre bien inférieur et nous constatons que le nombre de demandeurs de logement atteint un niveau record, qui ne cesse d’augmenter. Nous ne pouvons d’ailleurs ignorer les évolutions sociologiques intervenues au cours des vingt ou trente dernières années, qui s’ajoutent aux effets de la croissance démographique : les ménages ne fonctionnent plus comme par le passé et les modes de vie évoluent, ce qui accroît les besoins ainsi que les difficultés de la planification.

Quelle analyse faites-vous de la demande actuelle ? En ces temps de crise, comment faire en sorte que l’offre se rapproche le plus possible de cette demande ? Pour ma part, je suis très surpris de l’engouement, qu’on entend s’exprimer à longueur de discours, pour le logement locatif intermédiaire (LLI), dont je ne vois pas bien à quel public il est destiné – sauf de façon marginale. Pour que la crise prenne fin, il va pourtant falloir que l’offre et la demande se rencontrent, ce qui oblige à affiner l’analyse.

M. Jean-Claude Driant. La réponse à votre question n’est pas simple – sinon, cela se saurait !

Commençons par la demande de logement social, qui est en constante augmentation : environ 2,4 millions de personnes – pas de « ménages », car le nombre inclut, par exemple, de jeunes cohabitants – sont inscrites dans le système national d’enregistrement de la demande. Ces demandeurs ont globalement des revenus très inférieurs aux plafonds de ressources réglementaires des trois niveaux du logement social : prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), prêt locatif à usage social (Plus) et prêt locatif social (PLS). Dans leur majorité, ils ont des revenus proches du plafond fixé pour les PLAI, voire inférieurs.

Cela indique que les plafonds de ressources actuels sont devenus assez largement fictifs. La demande et les attributions réelles de logements sociaux se font aujourd’hui à des niveaux nettement inférieurs aux plafonds, pour diverses raisons : à la fois parce que la demande est ainsi faite et pour répondre à des politiques publiques parfaitement légitimes, qui donnent la priorité aux personnes les plus en difficulté, en application du droit au logement opposable ou comme issue à l’hébergement d’urgence, par exemple. Les plafonds actuels couvrent pourtant très largement les classes dites « moyennes » dans le langage courant : 65 % des ménages sont éligibles au Plus, et environ 75 % le sont au PLS. Bref, d’un point de vue théorique et juridique, seules les classes supérieures ne sont pas éligibles au logement social. Il faut donc s’interroger sur l’utilité d’un autre produit pour le logement des classes moyennes.

Le statut actuel du LLI a été créé par une ordonnance de 2014, à la demande d’opérateurs tels que CDC Habitat ou Action logement et sa filiale In’li. Ce n’est pas qu’il manquait un « produit » : en théorie, la population concernée était déjà couverte par les dispositifs existants. Mais le fait est que nombre de gens qui auraient besoin d’un logement locatif à un loyer un peu inférieur au niveau du marché n’accèdent pas au logement social, en raison de son image, de son statut ou de ses procédures d’attribution. Il faut notamment être inscrit dans un fichier de demande de « HLM » – j’emploie ce terme à dessein, pour souligner la perception péjorative souvent associée à ce type de logements. Ces personnes potentiellement éligibles n’obtiendront jamais de logement social compte tenu de la lourdeur du système, par ailleurs justifiée par la nécessité de cotation de la demande et de transparence de l’attribution. Le système privilégie mécaniquement les ménages aux revenus les plus faibles, et ce, je le répète, pour de bonnes raisons.

Les bailleurs sociaux, tels que CDC Habitat ou Action logement, ont constaté qu’ils avaient du mal à louer les PLS, notamment à Paris. Pourtant, ces derniers sont proposés à 13 € le mètre carré, soit moitié moins cher que le loyer du marché ! Mais même à ce tarif attractif, ils ne trouvent pas preneurs, au point que Paris Habitat, ainsi que la presse l’a relaté, en a été réduit à passer des annonces sur Leboncoin… à Paris ! Les taux de refus sont de l’ordre de 60 % pour des PLS pourtant proposés à des ménages qui correspondent à la cible. Le problème n’est donc pas à chercher dans le niveau de loyer et le plafond de ressources : c’est la commercialisation qui n’est pas bonne.

C’est ainsi qu’est née l’idée de développer un autre produit, le LLI, non comptabilisé dans les obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), donc décliné de façon beaucoup plus libre dans les territoires et commercialisé comme un logement privé – il est soumis aux mêmes plafonds de ressources que le Pinel. Le LLI offre l’avantage d’être géré par des professionnels, alors que le Pinel l’est par des particuliers dont on ne sait pas, faute de contrôle, s’ils appliquent vraiment les plafonds dans la durée.

Il y a deux ans, j’ai travaillé avec la direction de la clientèle de CDC Habitat, qui s’interrogeait sur le public du LLI. Il apparaît que ce public se distingue clairement des demandeurs de logements sociaux. Il s’agit essentiellement de jeunes couples, n’ayant pas encore d’enfants, à la recherche d’un appartement de deux ou trois pièces maximum, où ils resteront quatre ou cinq ans. Il y a vraiment un public, même s’il n’est pas massif et que son importance n’a pas été mesurée. Ces jeunes, en début de vie professionnelle et familiale, sont probablement appelés à sortir assez rapidement du plafond de ressources.

La demande de logement locatif social est-elle surestimée, comme l’indique le DHUP ? Je ne sais pas, mais deux facteurs incitent à analyser les chiffres avec une certaine prudence. Tout d’abord, les demandes ont très fortement augmenté dès lors qu’il a été possible de remplir son dossier sur internet. Il est devenu très facile de déposer une demande de logement social, sans se déplacer dans les services idoines…

M. le président Stéphane Peu. En revanche, il faut la renouveler…

M. Jean-Claude Driant. En effet – et c’était mon deuxième facteur incitant à la prudence – la demande doit être renouvelée tous les ans. Il y a quatre ans, avant la crise sanitaire, j’avais effectué un travail avec l’Ancols montrant qu’un tiers des demandeurs ne renouvelaient pas leur demande, ce qui est considérable. Ce n’est d’ailleurs pas pour cela que la courbe baisse : les sortants sont remplacés par de nouveaux venus, ce qui provoque une sorte de sédimentation. Il serait intéressant de savoir pourquoi tous ces gens n’ont pas renouvelé leur demande, mais une telle étude est difficile à faire : on ne sait pas où ils sont partis. Peut-être que certains avaient déposé une demande un peu opportuniste et que leur vie a changé, peut-être ont-ils juste « loupé » la procédure de renouvellement ? À Paris, avec toutes ses spécificités, l’étude effectuée tous les ans par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) sur la demande et les attributions de logements sociaux montre que le taux d’abandon est le même qu’ailleurs.

Qu’en est-il du rapport entre la demande et le besoin de construction, le premier concept étant beaucoup plus vaste que le second ? La demande est constituée par tous les gens qui, à un moment donné, se positionnent dans le système pour acheter un logement ou en louer un, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social. On peut l’estimer à 2,5 millions, soit le nombre de ménages qui s’installent dans un nouveau logement chaque année – un chiffre bien supérieur aux 350 000 à 380 000 logements neufs construits tous les ans au cours des vingt-cinq dernières années.

Ce que l’on cherche à mesurer, c’est la demande potentielle de logements neufs, longtemps appelée « besoin de constructions neuves » : il s’agit de l’accroissement de la demande dans l’année ; autrement dit, les nouveaux ménages qui entrent dans le système. Cette croissance est liée à des facteurs purement démographiques, mais aussi à des évolutions sociologiques, comme la décohabitation, qui font que le nombre de ménages augmente plus vite que la population elle-même et que le nombre moyen de personnes par ménage diminue.

Cette demande potentielle n’avait pas été mesurée depuis 2012, ce qui était un peu préoccupant. Il y a quelques semaines, le ministère en charge du logement a publié une étude montrant que l’accroissement serait de l’ordre de 215 000 à 220 000 ménages par an d’ici à 2030, avant une baisse très forte. Ces projections sont en phase avec les projections démographiques de l’Insee : la croissance de la population devrait ralentir à partir de 2030 et surtout 2040, et se stabiliser, voire régresser, à l’échéance de 2070 – selon des hypothèses migratoires qui mériteraient d’être revues. Selon un scénario central, le nombre de ménages augmenterait de 85 000 par an entre 2040 et 2050, ce qui marquerait un ralentissement très fort.

Pour connaître le besoin de constructions neuves, il faut additionner le nombre de ménages supplémentaires et les pertes de logements dues au renouvellement du parc. Selon l’hypothèse qui circule depuis vingt-cinq ans, cinquante mille logements disparaissent chaque année – c’est un solde, qui prend en compte à la fois les pertes dues aux démolitions et aux changements d’usage et les gains liés aux subdivisions pavillonnaires ou aux transformations de bureaux en logements, par exemple. Le service des données et études statistiques conduit actuellement une étude sur ce total des logements qui disparaissent chaque année, dont le nombre serait largement surestimé. Enfin, il faut aussi tenir compte des résidences secondaires : si 10 % des ménages en possèdent une et que l’accroissement est de 250 000 ménages par an, il faut 25 000 logements supplémentaires pour intégrer cette demande considérée comme inévitable.

C’est ainsi que l’on arrive au chiffre de 350 000 logements à construire tous les ans au niveau national. Dans cette logique de calcul, il manque une déclinaison territoriale et aussi la prise en compte d’autres raisons de construire, c’est-à-dire des estimations locales du nombre de logements à construire pour couvrir les besoins. Un élu local peut être tenté de faire des projections démographiques optimistes, même si la population stagne ou baisse, ce qui conduira à des objectifs de production supérieurs à la simple déclinaison du chiffre national à l’échelle territoriale. Il y a aussi des enjeux de politique urbaine : une ville, y compris si sa population stagne, peut se donner l’objectif de refaire le quartier de la gare ou de privilégier la construction interne au détriment du périurbain. Il est donc normal que la somme des besoins locaux ne soit pas égale aux besoins nationaux – c’est même l’inverse qui ne serait pas normal.

Pendant longtemps, le besoin annuel a été estimé à cinq cent mille logements. Ce chiffre, qui n’est plus guère repris dans les discours politiques ni même par la Fondation Abbé Pierre, reposait sur l’idée qu’il fallait combler un déficit accumulé. Membre du comité de pilotage du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre pendant plus de quinze ans et resté proche de l’organisation, il me semble que j’ai contribué à la faire évoluer sur ce point : certes, il faut continuer à dire qu’il faut construire beaucoup de logements, mais en insistant plutôt sur leurs caractéristiques que sur leur nombre. Cela renvoie à la question des prix et à la notion de « logement abordable » dans tous les segments – y compris le logement intermédiaire, même s’il n’est pas équivalent à un logement social.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous avez posé le diagnostic. Notre rôle est désormais de rédiger l’ordonnance, afin d’atteindre non pas un simple chiffre de constructions mais une production adaptée aux besoins identifiés ainsi qu’aux spécificités des territoires. Il est parfois nécessaire de soumettre le malade à un électrochoc pour le réanimer. Selon vous, quelles sont les mesures à prendre d’urgence ? Vous avez indiqué que 40 % des ménages étaient propriétaires non-accédants, c’est-à-dire n’ayant plus de prêt immobilier à rembourser. Que faudrait-il faire pour les impliquer dans la résolution de la crise, pour les inciter à mettre des logements intermédiaires sur le marché par exemple ? Qu’en est-il de la hausse des taux des emprunts ? Que feriez-vous si l’on vous confiait une mission pour dégripper la machine ?

M. Jean-Claude Driant. Je suis un universitaire : j’analyse, mais je formule peu de recommandations…

Il n’y a pas de solution miracle. En particulier, l’idée d’un « choc de l’offre » me semble relever de la pensée magique. Construire beaucoup plus, pourquoi pas ? Mais cela ne fera pas baisser les prix, les exemples de Lyon, de Nantes ou de Bordeaux le montrent bien : on y a beaucoup construit, mais les prix ont augmenté. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas construire ; mais il faut se demander de quels types de logement nous avons besoin.

Il est également illusoire d’espérer des effets massifs et rapides sur notre système : les inerties sont fortes – je l’évoquais à propos du marché foncier.

Il y a bien des décisions politiques qui pourraient être prises, mais elles ne seraient sans doute pas simples.

Ainsi, la capacité d’investissement et de production du monde du logement social est extrêmement fragilisée par des phénomènes liés à notre situation macroéconomique – hausse du taux du livret A et des taux d’intérêt, problèmes de la Vefa-HLM –, mais aussi par les coupes imposées aux organismes de logement social – réduction de loyer de solidarité (RLS), hausse de la TVA. La Caisse des dépôts a bien montré, dans son étude annuelle sur la capacité d’investissement du monde du logement social, que lier les enjeux de la rénovation et ceux de la production n’était pas tenable. J’ai demandé aux auteurs de l’étude ce qu’il en serait si on « rendait » la RLS aux bailleurs sociaux : cela fonctionnerait ! L’effet ne serait pas immédiat, puisqu’il faut au moins quatre ans entre la décision de construire un logement social et le moment où les clés sont remises à un locataire ; mais il serait possible de relancer la machine du logement social, qui dispose d’équipes professionnelles et de l’ingénierie nécessaire pour agir. Bien sûr, il faut aussi que les maires délivrent des permis de construire, ce qui n’est pas toujours facile – il y a des résistances. Mais redonner les moyens serait un pas dans la bonne direction.

J’évoquais le secteur locatif privé : c’est une banalité aujourd’hui, mais l’idée de donner un statut économique et fiscal au bailleur privé personne physique me paraît également pertinente.

On ne peut pas compter sur les institutionnels pour redynamiser le marché : ils y étaient un peu revenus avant la crise actuelle, mais les statistiques pour 2022 et 2023 montrent qu’ils sont déjà en train de se retirer. C’est peut-être purement conjoncturel – la situation de l’immobilier de bureaux n’est pas excellente, c’est le moins que l’on puisse dire –, mais il n’y a pas grand-chose aujourd’hui qui leur donne envie d’investir dans l’immobilier.

Le marché locatif est et restera donc, très majoritairement, un marché de particuliers. Dès lors, on pourrait imaginer de leur donner un statut fiscal.

Il faudrait qu’il concerne l’ancien aussi bien que le neuf : les systèmes d’aides mis en place depuis une vingtaine d’années ont toujours été centrés sur le neuf, comme le Pinel ou, à quelques exceptions près, le prêt à taux zéro. Or si l’on veut provoquer une reprise de l’offre, il ne faut pas en rester là : sinon, l’impact ne sera visible que dans vingt ans.

À ce statut s’attacheraient naturellement des contreparties. Celles-ci pourraient porter sur le montant du loyer ou le niveau des ressources, à l’instar de ce qui existe pour le LLI et le Pinel ; elles pourraient aussi concerner la qualité du logement, avec un critère de performance énergétique, par exemple.

Il faudrait naturellement mesurer le coût d’une telle mesure, mais il me semble qu’elle pourrait être efficace.

Il y a une autre idée qui se trouvait déjà dans les cartons du ministre précédent. Ayant animé un groupe de travail du Conseil national de l’habitat sur la décentralisation de la politique du logement, qui a tenu sa dernière réunion hier, nous avons constaté qu’il existe de vraies velléités locales de prise en charge de la politique de l’habitat, de façon bien plus forte que cela n’existe aujourd’hui.

Une telle mesure devrait-elle être automatique ? Toutes les métropoles, toutes les communautés urbaines, toutes les communautés d’agglomération, voire certaines communautés de communes pourraient-elles être concernées ? Il y a un débat. C’est une perspective qui m’inquiéterait plutôt. Je citais Nevers : voilà une communauté d’agglomération qui ne remplit aucun des critères pour devenir autorité organisatrice de l’habitat (AOH). Elle n’est pas délégataire des aides à la pierre, par exemple. Elle n’en a pas les moyens : l’ingénierie en la matière, c’est une seule personne… Le volontariat et la fixation d’un certain nombre de critères en matière d’ingénierie me sembleraient donc bien préférables à une généralisation automatique.

Le potentiel de l’action locale, si elle était un peu plus libre qu’elle ne l’est aujourd’hui, me semble intéressant. Je pense par exemple au cadre normatif : une AOH ne devrait pas avoir besoin de l’autorisation de l’État pour imposer un encadrement des loyers. On peut penser à Grenoble, qui a été « recalée » : c’est vrai que les loyers n’y sont pas très élevés, mais une collectivité doit pouvoir prendre ses responsabilités ! Il en va de même pour la réglementation de la location touristique de courte durée, pour la taxe sur les logements vacants, pour les permis de louer… Il doit être possible d’agir au niveau local sans demander l’autorisation du préfet. C’est là que le statut d’AOH aurait un sens.

Les associations d’élus demandent aussi que les collectivités qui le souhaitent – et qu’elles estiment nombreuses – puissent prendre la main sur MaPrimeRénov’. Cela doit être mis en balance avec l’enjeu national de rénovation énergétique. Certes, MaPrimeRénov’ ne fonctionne pas aussi bien qu’on le voudrait, mais on voit quand même une montée en puissance. Comment imaginer une articulation entre des AOH responsables de ce dispositif et l’agence nationale qu’est l’Anah ? Je suis perplexe, je l’avoue. Mais la force de cette demande m’a surpris.

On peut ensuite penser à une série de petites mesures. Parmi celles-ci, je compte le LLI : je continue de penser que ce produit a sa place sur le marché.

On peut aussi penser au bail réel solidaire (BRS), ce qui pose la question du foncier. Je n’ai pas les connaissances techniques pour dégager des mesures précises, notamment fiscales. Mais j’ai compris des travaux du CNR Logement – le volet « Logement » du Conseil national de la refondation a eu au moins la vertu de réunir l’ensemble des acteurs – qu’un consensus se dégageait en faveur d’une plus forte régulation du foncier, avec un encadrement, davantage de droits de préemption ou encore un plafonnement des prix. Ce consensus n’aurait pas existé il y a quinze ans : c’est peut-être le moment d’agir ! Je sais que le ministre Patrice Vergriete y pensait.

M. Dominique Da Silva (RE). Vous parlez de relance du logement social. Si l’on regarde ce qu’a produit le logement social, on voit qu’il abrite peu de jeunes et beaucoup de personnes âgées. On constate aussi que plus on construit, plus on a de demandes : grâce à la loi SRU, le nombre de logements sociaux a augmenté de 30 %, mais le nombre de demandeurs a doublé. En outre, les prix sont complètement décorrélés du marché privé ; des gens restent dans de grands logements, parce qu’il serait plus coûteux pour eux d’en prendre un plus petit. Faut-il vraiment remettre de l’argent dans un système qui a produit de tels résultats ?

CDC Habitat, bras armé de l’État pour produire du logement social, préfère aujourd’hui se tourner vers le logement locatif intermédiaire – ou, en tout cas, le développer en parallèle. Le LLI lui sert finalement à contourner le carcan du logement social.

Je vois aussi que l’on produit du logement social là où c’est possible, et pas forcément là où on en a besoin – toujours la question du foncier.

Ne faut-il donc pas plutôt repenser tout ce système ? Quel logement social produire ?

Et quid de l’accession à la propriété ? Le logement social a-t-il vocation à loger les deux tiers de la population française ? On en est très loin, au demeurant, puisque le parc existant ne suffit même pas à loger les plus modestes.

M. Jean-Claude Driant. Mon propos sur la crise du logement était très centré sur l’accession à la propriété. Une partie croissante des ménages à revenus moyens, voire inférieurs à la moyenne, pouvaient accéder à la propriété à la fin des années 1990 – période assez florissante de détente du marché – et donc libérer des logements sociaux, rendant ainsi le système plus fluide. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Vous avez raison de souligner qu’il faut trouver les moyens d’une accession à la propriété abordable. Mais l’accession très sociale à la propriété, dont il a pu être question, est une zone de fort risque, notamment en raison des risques d’endettement. Les ensembles immobiliers dans lesquels les problèmes sont les plus graves ne sont pas des ensembles de logements sociaux, mais des copropriétés ! Amener à la propriété des ménages qui n’en ont pas les moyens, c’est prendre un grand risque – on l’a vu à l’étranger. C’est une des grandes vertus du système français que d’être, jusqu’à aujourd’hui et pour l’essentiel, resté prudent.

Un des moyens de rendre un peu de fluidité au logement social est effectivement de développer des formes d’accession sociale à la propriété. Le BRS est une des formules possibles.

Cela ne fait pas disparaître le besoin de construire des logements sociaux. C’est d’ailleurs une autre vertu du système français : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier et continuer à développer les trois grands secteurs du logement (accession à la propriété, logement social et logement locatif privé) grâce aux systèmes de défiscalisation que j’évoquais.

La demande de logement social reste forte. Ce n’est pas parce qu’on en a construit qu’il y a davantage de demandes, mais parce qu’il y a plus de ménages qui ont du mal à se loger sur le marché privé.

Vous évoquez la question de la sous-occupation. Le problème est réel – avec d’immenses disparités territoriales. À Nevers, ce n’est pas un problème : au contraire, on est plutôt content d’avoir des locataires ! Mais là où le marché est très tendu, il faut effectivement s’en préoccuper. C’est de la technique : il faut faire en sorte qu’un locataire ne paye pas plus cher un T3 qu’un T4 – c’est la moindre des choses. Il ne faut pas non plus penser qu’une veuve seule dans un T4 va déménager dans un studio : elle a des meubles, elle veut recevoir ses petits-enfants et c’est légitime.

Il faut donc développer des mesures techniques, et mener un travail de conviction. Certains organismes de logement social le font, mais les résultats demeurent modestes.

Faut-il réfléchir au droit au maintien dans les lieux ? Est-ce justifié partout, pour tous les ménages ? Je n’ai pas la réponse, c’est un problème qu’il faut mettre sur la table. Mais je suis inquiet : comment dire à un ménage qu’il doit partir parce qu’il a dépassé un plafond de ressources, alors que cela signifie pour lui une explosion des temps de trajet, par exemple ? Ce n’est pas simple.

Le problème, encore une fois, est que même si l’on construit, l’offre recule. Pour seulement rester au niveau d’offre d’il y a vingt ans – sans parler d’un niveau optimal, que l’Île-de-France n’a jamais connu – il faut construire davantage et des logements de qualité.

Je disais que 65 % des ménages sont éligibles au logement social : c’est vrai si l’on s’en tient au critère des revenus, mais c’est en réalité la moitié, car la moitié de ces ménages sont propriétaires et ne sont donc pas éligibles. Le chiffre réel est d’un peu plus de 30 %, davantage dans la métropole parisienne où les locataires sont plus nombreux.

La majorité de la demande est composée de personnes seules – jeunes, séparées ou divorcées, âgées… Or l’offre de logement de deux pièces est insuffisante. Les studios ne conviennent pas vraiment, car une personne seule ne le reste souvent pas. Mais le logement social est aujourd’hui majoritairement composé de logements de trois ou quatre pièces. Il faut donc compléter la production avec les logements petits qui manquent aujourd’hui.

Les raisons de produire sont donc nombreuses, d’autant qu’il faut oublier l’image des HLM des années 1960 et 1970, celle des tours et des barres – même si elles rendent encore bien des services. Les logements sociaux construits aujourd’hui sont beaux, de qualité. Leur gestion est professionnelle et, là aussi, globalement plutôt de qualité.

M. le président Stéphane Peu. Merci pour ces propos très riches.

 


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19.   Audition de Mme Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l’Association des maires de France (mercredi 7 février 2024 à 15 heures)

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Notre mission d’information traite de l’accès au logement, plus particulièrement du parcours résidentiel et des freins que nous pourrions lever, dans un contexte de crise. Depuis septembre 2023, nous avons auditionné une multitude d’acteurs du secteur du logement. Notre rapport, qui établira une cartographie des freins existants et présentera des propositions pour les lever, sera transmis en mars prochain, afin que des mesures immédiates soient prises, en plus des dispositions qui pourraient nécessiter davantage de temps.

La problématique du logement n’est pas nouvelle et elle s’est même amplifiée ces derniers temps. Chacun en connaît les raisons, pour les avoir entendues, lues, mais surtout vécues. Que l’on soit étudiant, actif ou senior, il est difficile de se loger ou de se reloger pour faire correspondre son habitat à ses besoins et se rapprocher des commodités. On peut ainsi se demander quelles actions entreprendre sur les plans local et national afin de résoudre les difficultés que nos concitoyens rencontrent à chaque étape de leur vie.

Des bribes de loi ont été promulguées : nous avons adopté récemment un projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, qui comporte des mesures pour réaliser des travaux afin de mettre des logements dignes sur le marché. Peu de temps auparavant, une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements avait été adoptée par la commission des affaires économiques. Bien que la question des moyens se pose, il faut accélérer et construire mieux, en tenant compte des objectifs et des spécificités des territoires.

Mme Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l’Association des maires de France (AMF). Beaucoup a déjà été écrit sur la crise du logement, notamment par la Fondation Abbé Pierre, chaque année, et par le Conseil national de la refondation (CNR). Mes propositions et les points que je soulèverai manqueront donc peut-être d’originalité.

Il faut tout d’abord redire que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dit loi « SRU », constitue un socle indépassable. On ne peut pas comptabiliser les logements intermédiaires pour respecter les quotas fixés par la loi : c’est une offre intermédiaire, qui n’est pas celle du logement social. Seuls 3 % des demandeurs de logement social pourraient en effet y prétendre. On a besoin de logements sociaux qui le soient vraiment, avec des plafonds de ressources.

Le directeur général du bailleur social que je préside m’a alertée sur le fait que 30 % des nouveaux entrants sont en dette de loyer au bout de moins d’un an. Même un parc de logements anciens, financés par des prêts locatifs à usage social (Plus), ne suffit pas aux ménages qui sont au-dessus du premier quartile de revenus ; pour ceux de ce premier quartile, ces logements sont inabordables. De vraies questions se posent donc pour les logements sociaux que l’on construit, leurs destinataires et leur adéquation aux besoins de la population et aux capacités financières des ménages.

De plus, introduire le logement locatif intermédiaire (LLI) comme un élément permettant de satisfaire aux quotas de la loi SRU risque de mener à une spécialisation des communes : certaines dans les logements sociaux, car elles en ont beaucoup construit ; d’autres dans le LLI. On aboutirait ainsi à une fragmentation et une polarisation des populations au sein des métropoles, certaines communes privilégiant l’accueil de ménages à revenus intermédiaires, c’est-à-dire des ménages relativement aisés.

Cette mesure annoncée ne doit donc pas être adoptée. On en voit dès à présent les conséquences dans le plan national que le Gouvernement a lancé pour sauver la promotion immobilière et que je ne conteste pas. Les loyers des logements intermédiaires sont très proches de ceux du marché, bien qu’ils soient présentés comme leur étant inférieurs de 20 %. Le marché n’est pas uniforme : à Villeurbanne, où l’encadrement des loyers a été instauré, nous avons cinq zonages, que les logements intermédiaires ne prennent pas en compte.

La question est donc de définir l’offre de logements que l’on développe et les niveaux de loyer, y compris aux plafonds des prêts locatifs sociaux (PLS) – ces logements PLS ont du mal à trouver preneurs, car les ménages cherchent plutôt des logements au niveau des plafonds du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) ou du Plus.

Il faut aussi travailler sur les zonages, le logement intermédiaire et l’encadrement des loyers. Bien qu’il ne soit pas encore très répandu ni très efficace, l’encadrement est un vrai outil, qui nécessite une politique publique cohérente.

Deuxième élément : le bail réel solidaire (BRS), qui est un vrai moyen d’accéder à la propriété, notamment en cœur de métropole où les prix sont très élevés. Sans être propriétaire du foncier, on accède à la propriété du bâti à 30 % ou 40 % en dessous du prix du marché. Les organismes de foncier solidaire ne sont toutefois pas assez dotés.

Pour faire du BRS un véritable outil, une piste consisterait à réfléchir aux plafonds de ressources des ménages qui accèdent à ce bail. Ceux-ci peuvent être fragiles, puisqu’ils sont éligibles au logement social et qu’accéder à la propriété représente des frais supplémentaires. Il serait intéressant d’inventer plusieurs BRS, avec différents plafonds de loyer. Dans la métropole de Lyon, sans ces dispositifs permettant à des personnes d’accéder à la propriété, il n’y aurait aucun primo-accédant, car les prix y sont bien trop élevés. Pour acquérir un logement, il faut habituellement en avoir revendu un autre. On a donc là un effet de levier très important.

La président de l’Union sociale pour l’habitat (USH), Mme Emmanuelle Cosse, que vous avez auditionnée, le dirait certainement mieux que moi : les bailleurs sociaux sont en immense difficulté. À Villeurbanne, ils nous demandent de choisir entre rénover une copropriété, travailler sur les copropriétés dégradées ou construire, car ils ne peuvent mener de front ces trois volets. Nous les sollicitons sur tous les registres, mais ils n’ont plus les fonds propres nécessaires pour soutenir les plans d’investissement.

Les offices publics de l’habitat (OPH) satisfont les obligations des commissions intercommunales d’attribution, chargées de loger les premiers quartiles. L’écart s’accroît entre les entreprises sociales pour l’habitat (ESH) et les OPH s’agissant de ces obligations.

Il nous faut mobiliser les bailleurs sociaux pour qu’ils réalisent des plans stratégiques de patrimoine (PSP) à la hauteur des enjeux. Les dettes de loyers qu’accumulent les ménages diminuent d’autant leurs ressources pour ces plans.

Les demandes qu’adressent les bailleurs aux collectivités depuis quinze ans pour vendre des éléments du parc HLM soulèvent aussi des questions. Les bailleurs sont confrontés au fait que les ménages ont du mal à acheter – parmi les logements mis en vente, tous ne sont pas vendus. Ces ventes fabriquent les copropriétés dégradées de demain, puisque se trouvent parfois vendus des biens en mauvais état énergétique : lorsque les bailleurs ne sont plus majoritaires dans la copropriété, les ménages devenus propriétaires se trouvent en grande difficulté pour financer les travaux de rénovation nécessaires.

Il serait souhaitable que le bailleur social ait l’obligation de vérifier que l’ensemble des biens qu’il met en vente ne relèvent pas d’une classe énergétique G, F, voire E – il faut anticiper, compte tenu du temps nécessaire à la réalisation de la vente. Ce problème est récurrent : quatre membres de copropriétés différentes, qui venaient d’acheter leur logement auprès d’un bailleur social, m’ont indiqué qu’ils n’avaient pas l’argent pour rénover.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Avez-vous connaissance du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement ? Adopté en première lecture par l’Assemblée, il doit désormais être examiné par le Sénat et prévoit que les syndics pourront prendre certaines mesures.

Mme Agnès Thouvenot. Ce texte ne résoudra pas tous les problèmes, car les copropriétés que j’évoque, certes fragiles, ne sont pas encore dégradées – les bailleurs sociaux ne mettent tout de même pas en vente des copropriétés où les cages d’escalier sont en mauvais état.

Lorsque le bailleur social détient encore beaucoup de tantièmes, voire est toujours majoritaire au sein de la copropriété, il pèse fortement dans la décision de voter les travaux de rénovation énergétique prévus par la loi « Climat et résilience » ; le problème est que les copropriétaires qui ont récemment accédé à la propriété par la vente de HLM sont fragiles et qu’ils n’ont pas les moyens de financer ces travaux.

Se pose aussi la question des mutations dans le parc public. Un vrai levier serait de permettre aux ménages logés dans un grand logement avec un loyer faible d’accéder à un logement social plus petit, avec un loyer similaire. La proposition pourrait figurer dans un texte de loi : il s’agit de donner à tous les ménages en sous-occupation la garantie de disposer d’un logement assorti d’un loyer dont le prix par mètre carré serait équivalent à celui de leur loyer précédent.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Ce dispositif a été expérimenté à Saint-Denis : il peut être une solution dans un délai court, pour diminuer la tension sur la demande, mais, sur le long terme, il est coûteux pour le bailleur.

Mme Agnès Thouvenot.  Il faut en effet prévoir des mesures de compensation pour les bailleurs sociaux qui ont appliqué la disposition. Il est certain qu’à moyens financiers identiques, les bailleurs ne pourront pas faire grand-chose.

Les copropriétés classées F et G que j’évoquais précédemment ne bénéficient pas de plans de sauvegarde, donc des aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah). D’autres subventions existent, mais les restes à charge sont élevés. Les avances sur travaux n’intègrent pas tous les mécanismes possibles – il y a bien Procivis, mais il se trouve surchargé de demandes.

J’ai demandé aux bailleurs sociaux de ma commune un état de situation des immeubles dans lesquels ils ont mis des logements en vente, afin qu’ils retirent de la vente les immeubles énergivores et qui nécessiteront des rénovations à court terme. Certains n’étaient pas concernés par cette demande, puisqu’ils avaient vendu les logements il y a longtemps. L’objectif est désormais de mettre en vente uniquement des logements qui ne placent pas en difficulté les propriétaires issus du logement social.

Pour ce qui est du parc privé, le projet de loi sur la rénovation de l’habitat dégradé est une bonne chose : il permet de faire levier, notamment par la pénalisation des marchands de sommeil ; il y manque toutefois une définition de ces marchands de sommeil.

En ce qui concerne les meublés touristiques, le projet de loi doit aller jusqu’au bout de la démarche car la situation est difficile, même pour les communes comme la mienne (Villeurbanne) qui n’atteignent pas le seuil des deux cent mille habitants au-dessous duquel les 120 nuitées ne sont pas déclarables. Quand elles sont dans ces interstices, les villes subissent un vrai préjudice en matière d’accès au logement, car la location de meublés touristiques est beaucoup plus rentable que la location en bail classique.

Quant aux colocations, elles peuvent ne pas relever du code de la construction et de l’habitation. Pour notre part, nous avons déjà refusé d’en classer certaines dans les zones habitables du plan local d’urbanisme (PLU) pour les assimiler à l’hôtellerie des zones économiques. Actuellement, tout le monde s’engouffre dans la brèche des produits de colocation car, associés à des techniques de défiscalisation, ils promettent des rendements de 10 % à 11 %, ce qui est colossal. En facilitant la conclusion de tels baux, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi « Elan », visait les colocations d’étudiants, mais elle a produit de puissants effets pervers d’autant que, passé l’âge de 25 ou 27 ans, la vie en colocation est plus souvent subie que choisie.

En matière d’encadrement des loyers, il reste beaucoup à faire. Les recours passent par une double saisine – conciliation et procédure administrative – qui reste assez compliquée à actionner. La direction départementale de la protection des populations (DDPP) s’intéresse aux agences immobilières qui commettent des infractions répétées, mais il me semble que nous pourrions aller un peu plus loin pour rendre cet encadrement effectif. Il faudrait aussi permettre l’application de loyers différenciés selon que le logement a fait ou non l’objet d’une rénovation. Actuellement, le propriétaire qui a fait de gros travaux se rabat sur la possibilité d’appliquer un surloyer, mais tout le monde s’y met, ce qui transforme le système en un vrai bazar – j’ai déjà vu appliquer un surloyer pour tenir compte de l’existence d’une fenêtre…

La question du foncier a été largement traitée par les groupes de travail du volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR). Comment encadrer le prix du foncier ? Il faut inventer des mécanismes pour majorer la taxation des plus-values de cession de terrains nus qui sont rendus constructibles. Il est problématique que certains terrains soient revendus moins de dix-huit mois après la révision du PLU, en affichant des prix en hausse de 10 % ou 15 %. C’est ainsi que l’on se retrouve, dans ma commune de Villeurbanne, avec des prix de logements libres dans des constructions neuves qui évoluent entre 5 500 et 6 500 euros par mètre carré, ce qui est inaccessible pour la quasi-totalité des ménages. La spéculation foncière crée une situation où l’accession à la propriété est impossible pour les ménages de la classe moyenne, à revenus modestes. Nous constatons qu’il n’y a plus de primo-accédants à la propriété dans notre commune, ce qui est très ennuyeux pour la diversité sociale et les écoles. Quoi qu’il en soit, quels que soient les moyens d’ingénierie utilisés, nous devons encadrer le prix du foncier si nous voulons pouvoir construire des logements accessibles à tous.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. S’agissant des logements pour seniors, estimez‑vous que le nombre de porteurs de projets est suffisant pour anticiper les besoins futurs de logements de différents types ? Ces logements faciliteraient le maintien à domicile d’une bonne partie de ces personnes, dès lors qu’elles seraient proches des commodités, gage d’autonomie.

Agnès Thouvenot. Le problème n’est peut-être pas tant la quantité que la qualité – en particulier, la taille – des offres des résidences autonomie : les modèles d’affaires ont poussé à des structures de quatre-vingt à cent résidents au minimum, ce qui donne l’impression d’avoir affaire à des établissements médico-sociaux. Il faudrait des unités de logements plus petites et plus diffuses dans la ville, mais nous avons été soumis à de fortes pressions de la part des agences régionales de santé (ARS) pour regrouper les établissements : à Villeurbanne, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics comptent au moins quatre-vingts ou quatre-vingt-dix chambres pour des questions de rentabilité et le même phénomène touche les résidences autonomie. Un dispositif comme celui de l’aide à la vie partagée pourrait être utilisé pour les seniors, mais je remarque qu’il l’est, dans mon territoire, surtout pour les personnes en situation de handicap.

Au sein de la société d’économie mixte (SEM) dont je suis la présidente, nous explorons la possibilité de recourir à ce dispositif d’aide à la vie partagée dans le cadre d’un habitat diffus, au bénéfice des locataires du parc social d’un quartier. Nous avons un bailleur social dont le périmètre d’activité se situe dans un quadrilatère de deux cents mètres par cinquante mètres, ce qui est très concentré. L’idée est d’encourager les bailleurs sociaux à utiliser ce dispositif, si cela est possible, pour que les ménages restent dans leur logement mais bénéficient de l’offre de services telle qu’imaginée dans le cadre de l’aide à la vie partagée.

Cela étant, ces énormes ensembles en forme de pavé ne font pas forcément très envie, notamment pour anticiper les problèmes liés au vieillissement – mais nous sommes un peu contraints et forcés d’en passer par ces dispositifs d’aide. Peut-être la vieillesse se passerait-elle mieux si les seniors se montraient parfois plus proactifs ?

M. le président Stéphane Peu. Vos préoccupations rejoignent des propos que nous avons déjà entendus et que nous pouvons faire nôtres, sur la nécessité d’encadrer la vente de logements HLM et sur le fait que le logement intermédiaire n’a pas sa place dans la comptabilité SRU.

Le projet de loi sur la rénovation de l’habitat dégradé, adopté à la quasi-unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale, fait l’impasse sur une définition du marchand de sommeil. Le procureur de la République de Bobigny me faisait d’ailleurs récemment remarquer que cette absence de définition n’aidait pas les juridictions à être efficaces. Au cours de la navette parlementaire, il nous faudra donc apporter des précisions sur ce point et en rectifier d’autres – il ne devrait pas être permis de louer un logement dont la hauteur sous plafond est de 1,80 mètre.

J’espère que notre mission permettra également d’apporter des éclaircissements sur la colocation, qui peut donner lieu à des baux séparés pour un même appartement depuis l’adoption de la loi Elan. Pour un prix souvent exorbitant, chaque colocataire dispose de quelques mètres carrés, mais pas de toilettes ni de salle de bains en propre : il est nécessaire d’encadrer ce dispositif, qui a révélé certains effets pervers.

Je suis d’accord avec la quasi-totalité de vos remarques ainsi qu’avec les conclusions du CNR Logement, qui a réussi à dégager un consensus des acteurs sur certaines propositions. Puisque celles-ci n’ont pas franchi ses portes, notre mission va en reprendre l’esprit.

Comment pourrions-nous rétablir un lien fiscal ou financier entre les communes bâtisseuses et celles qui ne le sont pas ? Le CNR Logement proposait, par exemple, de moduler la dotation globale de fonctionnement (DGF) en fonction de l’effort de construction des communes. La taxe d’habitation et l’aide aux maires bâtisseurs ont été supprimées, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été réformée : les maires n’ont plus d’intérêt à agir et ils ne peuvent plus compter sur les aides financières pour faire face aux besoins d’équipements et de services publics inhérents à l’afflux de populations nouvelles. L’AMF a-t-elle des propositions spécifiques à formuler concernant ce lien financier et fiscal entre le maire bâtisseur et l’État ?

Agnès Thouvenot. Abondant dans votre sens, je citerai aussi la non-compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) comme frein à la construction par les communes, notamment celles qui respectent la loi SRU et accueillent des ménages de plus en plus fragiles.

Nous recevons des compensations pour les équipements publics, mais il nous en faudrait aussi pour les besoins sociaux. L’éducation nationale reçoit des moyens supplémentaires pour les zones classées en réseau d’éducation prioritaire (REP et REP+), là où la concentration de logements sociaux correspond à la géographie des quartiers prioritaires. Maintes communes n’ont pas renoncé à construire de nombreux logements sociaux, mais, comme Villeurbanne, essaient de le faire de différentes manières : développer le logement social en diffus, faire de l’hébergement d’urgence dans le parc privé dans le cadre de projets intercalaires, créer des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), etc. Il est regrettable que tout cela ne soit pas comptabilisé dans la loi SRU.

Par ailleurs, pour l’hébergement d’urgence et pour les constructions « en dur » visées par la loi SRU, les services de l’Etat travaillent en silo : ces deux mondes ne se parlent pas, le service d’accueil et d’orientation (SIAO) et la direction départementale des territoires (DDT) ne tenant d’ailleurs plus de comptabilité quand les communes ont dépassé le seuil de 28 % de logements SRU.

M. le président Stéphane Peu. Quant à l’idée de moduler la DGF ?

Agnès Thouvenot. Ce serait un geste judicieux.

L’État avait aussi accordé une aide aux maires bâtisseurs à la sortie de la crise sanitaire liée à la covid-19. Pour notre part, nous avions été très contents de recevoir plus d’un million d’euros d’aide, mais les promoteurs immobiliers n’ont pas réalisé le projet. Même quand le maire est volontaire, il peut être empêché par un contexte ou une conjoncture économique défavorables.

M. Dominique Da Silva (RE). J’imagine que tous les maires n’ont pas la même vision du logement et du parc social. Votre commune construit beaucoup pour le parc social, ce qui est très bien ; mais se posent aussi les questions du peuplement et de la gestion de la mixité par les communes. C’est pourquoi je ne partage pas votre point de vue s’agissant de l’idée d’ajouter les logements intermédiaires dans le calcul du quota que les communes soumises à la loi SRU doivent respecter.

La demande de logement social se porte essentiellement sur des PLAI et des Plus, alors que les PLS ciblent des personnes aux revenus plus élevés. Ne faudrait-il pas remettre à plat ces barèmes qui ne correspondent plus vraiment à la réalité ? Pour ma part, je pense qu’il y a trop de barèmes, mais aussi qu’il faudrait harmoniser les prix par mètre carré, car les écarts, qui se creusent au fil du temps, posent des problèmes de mobilité dans le parc social : le locataire d’un grand logement ne sera évidemment pas enclin à déménager dans un plus petit pour un loyer supérieur. Cette dérive n’est pas à l’avantage des bailleurs, qui auraient besoin de moyens pour construire et rénover. Le parcours résidentiel, dont il est souvent question, n’est pas respecté : vous gardez toute votre vie le PLAI que vous avez obtenu au départ, les variations de revenus ultérieures n’étant qu’assez peu prises en compte ; si l’on vous sort de ce PLAI, la surprise peut être assez désagréable. Il serait donc temps que les élus et les acteurs du logement social fassent des propositions sérieuses pour régler ce problème dont tout le monde a conscience.

Membre de la majorité présidentielle, je suis évidemment plutôt favorable à la proposition du Premier ministre d’ajouter les logements intermédiaires dans le quota SRU, afin de répondre au besoin de logement des classes moyennes. C’est aussi une manière de s’attaquer à la lourdeur du processus d’attribution des logements.

C’est bien beau de construire du logement social, encore faudrait-il éviter de créer des quartiers qui se paupérisent. N’y aurait-il pas, dans ce domaine aussi, un seuil à ne pas dépasser pour ne pas en arriver à ces copropriétés dégradées dont vous parliez ? Quel lien faites-vous entre ces logements sociaux, l’emploi et l’économie ? Que propose l’AMF pour faire en sorte que les logements soient construits au bon endroit, à proximité d’entreprises capables d’offrir des emplois aux habitants ? On parle de problématiques sociales sans s’intéresser suffisamment aux conditions nécessaires à remplir pour que les personnes ne restent pas en dehors de l’emploi et ne tombent pas dans la précarité.

Si l’idée d’encadrer le prix du foncier me semble bonne, il faut trouver des solutions crédibles pour le faire. Je remarque d’ailleurs que certaines collectivités n’hésitent pas à vendre au plus offrant : il faudrait donc mettre les pratiques en cohérence avec la volonté affichée de maîtriser le foncier.

Agnès Thouvenot. S’agissant de la remise à plat des loyers, le mouvement HLM en fait régulièrement la demande. Sans être une spécialiste du sujet, l’idée me semble intéressante. Pour citer des cas que je connais, je peux dire que les logements construits dans les années cinquante, n’ayant pas fait l’objet de réhabilitation, sont à 4,50 euros par mètre carré. Une fois ces logements réhabilités, leur prix passe à 5 ou 6 euros par mètre carré. Les logements PLAI neufs coûtent plutôt 7,5 ou 8 euros par mètre carré : un allocataire du RSA n’a pas les moyens de payer un PLAI à 8 euros. Les ménages les plus pauvres, ceux des premier et deuxième quartiles, ne peuvent payer que les loyers les plus bas.

Dans ces conditions, comment refondre les modalités de calcul des loyers ? Faut‑il les établir en fonction des ménages et non plus en fonction du type de prêt et de l’année de construction ? Une telle réforme serait aussi importante que celle de 1977, qui avait créé les aides au logement. Si ces aides parviennent plus ou moins à solvabiliser les ménages, on constate aussi que c’est un puits sans fond dans le parc privé : elles ont alimenté une forte augmentation des loyers au cours des vingt à trente dernières années, à laquelle l’encadrement des loyers tente désormais de remédier. La piste d’une remise à plat des loyers est intéressante, mais elle implique de revoir en profondeur le financement du logement social, les types et durées de prêt et les moyens des bailleurs sociaux. N’oublions pas néanmoins, comme je le disais dans mon propos liminaire, que 30 % des ménages qui ont obtenu un logement social à Villeurbanne entre 2022 et 2023 ont déjà une dette locative – et nous ne faisons pas exception.

Quant au logement intermédiaire, non soumis au processus d’attribution et aux cinquante critères de priorisation y afférents, ce n’est pas du logement social. Les élus locaux ne sont même pas informés quand un investisseur en logements intermédiaires passe un contrat. Ce n’est pas possible ! Il m’arrive d’apprendre, au détour d’une conversation avec un promoteur, qu’il vient de signer un contrat avec In’li, la filiale spécialisée du groupe Action Logement. On ne peut pas tout demander au maire, sans lui donner des outils de pilotage.

Vous dites qu’il faudrait envisager les logements sociaux en lien avec l’emploi. Pour ma part, je pense qu’il est difficile de lier toutes les mobilités dans un même mouvement, car il y a des ruptures dans les parcours de vie : on peut changer de logement sans changer d’emploi et inversement, sans parler de ceux qui n’ont pas d’emploi. Si vous regardez l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », vous verrez qu’une personne qui est au RSA depuis très longtemps a beaucoup de mal à accéder à l’emploi, même si elle bénéficie d’un logement social. Il faut évidemment construire des logements à proximité des zones d’emploi, mais il faut aussi veiller à ne pas enfermer les gens comme au temps des corons.

La volonté de maîtrise du foncier n’empêche pas les collectivités – et aussi l’État – de chercher à dégager des recettes foncières : tout le monde a besoin d’argent. Actuellement, il n’y a pas de mécanisme d’encadrement permettant de faire en sorte que le prix du foncier n’empêche pas la construction de logements abordables pour les classes moyennes qui veulent accéder à la propriété, soit aux alentours de 3 500 à 4 000 euros par mètre carré. Le sujet suscite l’intérêt de nombreux organismes, tels l’Institut de la transition foncière, qui devraient réussir à imaginer des mécanismes d’encadrement… de sorte qu’on évite d’en finir par construire des logements à 7 000 euros par mètre carré, qui ne trouvent pas preneurs.

M. Dominique Da Silva (RE). Quand les gens n’ont pas les ressources nécessaires pour payer un loyer, même décoté par rapport au prix du marché libre, ne serait-ce pas aux APL de compenser ? C’est la seule manière de préserver la mobilité. Que les gens soient un peu moins aidés lorsque leurs revenus augmentent est assez logique et cela vaut mieux que les enfermer dans des logements dont les prix bougent à peine avec le temps et ne correspondent plus à la réalité du marché. Il y a là un enjeu d’économie du logement social.

Le logement social est un logement rentable, puisque des loyers sont encaissés, même s’ils sont décotés. Une fois le bien amorti, on gagne plus d’argent qu’on n’en dépense et je m’étonne donc que ce patrimoine immobilier ne permette plus de solvabiliser les bailleurs et de dégager des liquidités pour construire. Le parc social, qui représente plus de 500 milliards d’euros de patrimoine, ne vaut rien en termes comptables : est-ce normal ? N’est-il pas possible de revenir à des loyers encadrés, moyennant un zonage – car la situation n’est évidemment pas la même en région parisienne et dans d’autres régions ? Si nous en restons à la complexité des barèmes actuels, nous ne nous en sortirons pas.

Mme Agnès Thouvenot. C’est tant mieux si le parc social ne donne pas lieu à valorisation financière, car il s’agit d’un bien commun. Aujourd’hui, on financiarise tout – l’eau comme les forêts. Or le logement est un bien social fondamental, et le droit au logement, un droit à la dignité. Il est nécessaire d’avoir un toit pour subvenir à ses besoins, éduquer ses enfants, travailler et construire une vie : je ne suis donc pas favorable à la financiarisation du logement social. Au demeurant, on n’est pas obligé de valoriser financièrement le parc pour remettre à plat les loyers et, effectivement, peut-être y a-t-il là une piste pour permettre plus de mobilité.

Il existe certes le mécanisme du surloyer, mais les logements concernés ne sont pas très nombreux : il n’y a pas beaucoup de ménages dont les revenus se situeraient au-dessus des plafonds et qui vivraient richement dans des logements qu’ils n’ont pas choisis. La question est plutôt celle de l’assignation à résidence que subissent ceux qui ne choisissent pas le lieu où ils habitent et qui sont contraints par les prix de l’immobilier à rester dans les quartiers où ils se trouvent.

Les opérations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) permettent quelques mobilités résidentielles choisies. Certaines personnes peuvent partir, d’autres reviennent ou arrivent – parfois plus pauvres encore, ce qui risque de laisser penser que les actions menées par l’Anru ne sont pas bénéfiques.

M. le président Stéphane Peu. Notre collègue Dominique Da Silva a le mérite de la constance, car il défend la même position à chaque audition !

La valorisation du patrimoine HLM est une vieille lubie du ministère des Finances. Je me souviens avoir eu, lors du débat sur la loi Elan, de longues discussions sur ce sujet avec le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, et son secrétaire d’État, Julien Denormandie. Le mouvement HLM et moi-même avions fini par les convaincre que l’économie du logement avait besoin de marcher sur deux jambes, l’une privée et l’autre publique (ou socialisée), et que le modèle économique HLM, qui a fait ses preuves au fil du temps, reposait précisément sur le fait qu’il n’y a plus d’encours sur une partie du patrimoine, en raison de son âge, et que les gains réalisés par un organisme sur le patrimoine amorti lui permettaient de dégager des marges pour investir, produire ou réhabiliter. Cet équilibrage de long terme fait la solidité du système, à l’opposé du court-termisme de l’économie privée. Coexistent donc un segment privé et un segment socialisé et il ne faut surtout pas déséquilibrer cette mixité de l’économie du logement, qui a permis que, dans des moments de crise, les acteurs puissent se relayer selon que leur situation était plus ou moins bonne.

La crise que nous traversons aujourd’hui est à la fois une crise immobilière, une crise sociale et une crise du logement, qui met en difficulté aussi bien le secteur socialisé que le secteur privé, pour des raisons multiples sur lesquelles je ne m’étendrai pas. La loi Elan a mis un terme à la velléité de capitaliser le patrimoine HLM, en entérinant le fait qu’il s’agissait d’une économie de long terme. Du reste, la durée des prêts consentis notamment par la Caisse des dépôts et consignations pour construire ou acheter du foncier témoigne de cette vision de long terme, qui permet à la fois de proposer des loyers inférieurs au prix du marché et de jouer le rôle social qu’assume le mouvement HLM.

Il n’y a pas de rente de situation dans le patrimoine HLM, sinon à la marge. Ce qui bloque la mobilité dans ce parc est le fait que, dans le parcours d’ascension sociale du salarié français moyen, le passage du HLM à la primo-accession, qui précédemment était une simple marche, est devenu, en raison des écarts de prix, un obstacle infranchissable ; dans les zones tendues, la mobilité dans le parc HLM a été divisée par deux : alors qu’elle était de 10 % ou 12 % par an, elle est désormais de 4 % à 6 %. En une cinquantaine d’années, la part du logement dans le budget des ménages est passée de 9 % environ du revenu dans les années soixante à 30 % en moyenne aujourd’hui, la proportion étant beaucoup plus importante pour les familles les plus modestes.

Ce n’est donc pas en augmentant les loyers ni en remettant en cause la mixité de notre économie du logement qu’on trouvera des solutions, mais plutôt en renforçant des modèles qui ont permis à notre pays de faire de grandes choses qu’il ne parvient plus à faire aujourd’hui, parce que nous avons trop démantelé le système. Il faut sans doute l’adapter et le moderniser, mais sans remettre en cause ses fondamentaux.

M. Dominique Da Silva (RE). Un immeuble amorti génère évidemment des moyens permettant aux bailleurs de produire et de rénover, mais il faut aussi optimiser ce patrimoine. Louer à des niveaux de prix très inférieurs à ceux des logements plus récents construits à proximité ne correspond pas à la réalité de l’économie de l’habitat. Le fait qu’un immeuble soit ancien ou neuf ne doit pas faire varier les loyers du simple au triple, si le logement dispose des commodités requises. Il n’y a que dans le social que l’on ne suit pas le marché.

M. le président Stéphane Peu. La ville de Saint-Denis, dont je suis élu, compte de nombreux logements construits entre les années trente et soixante – il s’y trouve même la première cité HLM construite en France, en 1890 – et l’écart de loyer avec les immeubles récents n’est pas de un à trois, car ces cités ont été réhabilitées et leurs loyers ont été réajustés, en partie d’ailleurs pour payer cette réhabilitation.

Cependant, le taux d’effort des familles qui y vivent – car c’est là ce qui doit principalement nous intéresser – est souvent élevé et la mixité sociale n’est malheureusement pas au rendez-vous dans ces quartiers.

Pour le locataire, ce qui compte n’est pas tant le loyer que la quittance. Or, si je ne me trompe pas, le décret relatif aux charges locatives n’a pas été modifié depuis le début des années quatre-vingt, de sorte que l’APL ne solvabilise les ménages que pour la partie correspondant au loyer, qui ne représente parfois que 50 % de la quittance. Cette situation ne s’améliore pas, du fait notamment des augmentations du coût de l’énergie. Il faut donc plutôt raisonner en termes de quittance et en fonction des revenus du ménage : même avec un loyer de 7 euros par mètre carré – ce qui est maintenant le cas pour les loyers les plus bas du parc HLM, y compris pour les immeubles les plus anciens, les loyers situés entre 5 et 7 euros étant désormais très rares, même s’il en existe encore –, l’explosion du montant des charges rend souvent difficile pour les familles d’assumer les quittances. Ainsi, pour les 25 % de retraités qu’accueille le parc HLM de Saint-Denis et qui, même au minimum vieillesse, ne perçoivent plus l’aide personnalisée au logement une fois leurs enfants partis, la quittance peut représenter 40 %, voire 50 %, de leurs revenus. Il faut tenir compte de cette réalité.

Je vous remercie.


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20.   Audition de M. Pierre Madec, chargé d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) (mercredi 14 février 2024 à 16 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. Nous arrivons au terme de notre mission sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, qui nous a été confiée par la présidente de l’Assemblée nationale.

Cette mission a débuté au mois de novembre 2023 et, initialement, il s’agissait de mener une mission généraliste sur les questions de logement. En effet, quelques semaines auparavant, le Président de la République avait annoncé une loi d’orientation sur les questions de logement pour la fin du printemps 2024, par la suite confirmée par le ministre du logement alors en exercice. Notre mission a eu pour objectif d’élaborer des propositions dans la perspective de cette loi-cadre, en s’appuyant notamment sur les conclusions du conseil national de la refondation (CNR). En effet, celui-ci a réussi à dégager des propositions consensuelles à l’issue de travaux co-pilotés par des représentants de la Fondation Abbé Pierre, du Medef, des promoteurs immobiliers et des organismes HLM.

Nous achevons nos travaux en sollicitant des spécialistes, c’est-à-dire des universitaires et des chercheurs qui développent des réflexions plus globales. Nous sommes donc intéressés par votre analyse d’économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Nous avons besoin de dresser un état des lieux objectif : le quotidien Le Monde a publié hier un article montrant que la quantification de la demande de logement dans notre pays varie selon les interlocuteurs ; celle-ci passe du simple au double, selon qu’on reprend les chiffres de la direction du Trésor ou ceux du Conseil national de l’habitat.

M. Pierre Madec. Économiste à l’OFCE, je travaille notamment sur les questions de politique du logement et enseigne à Sciences-Po sur des sujets relatifs à l’économie urbaine.

Le premier point de votre questionnaire portait sur la gouvernance et l’idée de décentralisation – un sujet qui, effectivement, mérite un point de vigilance. Les acteurs locaux ont demandé, pendant des années, qu’une politique de décentralisation soit engagée, arguant de leur connaissance du terrain. Je partage plutôt ce point de vue, mais j’estime que l’État doit également jouer un rôle essentiel pour assurer la cohésion territoriale : les politiques du logement sont extrêmement diverses, certains territoires étant très volontaristes sur la question – notamment la métropole de Rennes – et d’autres étant moins mobilisés. Du point de vue du logement, de l’immobilier et de l’habitat, le principe de cohésion des territoires n'est pas assuré et la décentralisation ne comporte pas uniquement des aspects positifs.

En outre, il faut bien s’entendre sur la « décentralisation » dont il est question : décentralise-t-on des objectifs ou des moyens ? Globalement, les moyens de la politique du logement ont plutôt tendance à se réduire. Dès lors, décentraliser une politique qui fonctionne imparfaitement pourrait conduire certains à blâmer a posteriori les collectivités locales, quand bien même les moyens disponibles diminueraient.

Votre deuxième question porte sur la production de logements sociaux. La diminution de la production de ces logements constitue une tendance relativement ancienne, qui remonte aux années 2008-2010. Cette situation résulte de choix politiques : après les dernières élections municipales, la production de logements sociaux par les municipalités a eu tendance à diminuer. Par ailleurs, les économies budgétaires réalisées sur le secteur ont amputé les capacités de financement et d’investissement des bailleurs, sans parler des difficultés liées à l’indisponibilité du foncier. Les tensions sont nombreuses sur le segment du parc social, alors que la demande reste extrêmement dynamique.

Il est, de surcroît, est particulièrement difficile d’estimer les besoins. À l’heure actuelle, la question se concentre sur la capacité à pouvoir financer autant de logements sociaux que l’année précédente. Or le taux de rotation dans le parc social ne cesse de diminuer et les besoins de financement pour la production de logements sociaux sont en réalité sous-estimés.

Vous avez récemment auditionné le professeur Jean-Claude Driant, avec lequel j’avais écrit un article sur les questions de mobilité résidentielle dans le cadre d’un ouvrage que nous avions co-dirigé. Cet article, qui s’appuyait sur des données relativement anciennes (2013), pointait l’existence d’un véritable problème de sortie du parc social et d’accession sociale à la propriété, qui s’expliquait par plusieurs raisons : renchérissement des prix immobiliers, désolvabilisation d’un certain nombre de ménages, déconnexion entre le revenu des ménages et les prix, etc. Auparavant, les ménages réussissaient à sortir du parc social pour accéder à la propriété ; aujourd’hui, ils sont de moins en moins nombreux à y parvenir. Puisque le taux de rotation diminue, le nombre de logements attribués chaque année diminue également. Ainsi, la file d’attente qui s’accroît dans le parc social n’est pas seulement due à la moindre production de logements sociaux, elle est largement liée à la moindre libération de ces logements dans le cadre des parcours résidentiels des ménages.

D’un point de vue plus conjoncturel, une des questions concerne le mur d’investissement et les besoins de rénovation. De mémoire, le nombre de passoires thermiques dans le parc social est de l’ordre de 300 000 unités. Certes, il est question de revoir le diagnostic de performance énergétique (DPE), ce qui contribuera à extraire un certain nombre de logements. Cependant, s’il fallait rénover ces 300 000 logements à raison de 10 000 euros ou 20 000 euros par logement, les montants d’investissement seraient extrêmement élevés.

Les bailleurs préféreraient rénover plutôt que construire pour différentes raisons. D’abord, ils auraient la main sur ces rénovations, contrairement à la construction. Ensuite, il est nécessaire de rénover, parce que la loi l’impose. Aujourd’hui, nous avons l’impression que la capacité d’investissement des bailleurs a été amputée, notamment avec le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS). Simultanément, les bailleurs font face à des injonctions contradictoires, qui les contraignent à la fois à plus construire et à plus rénover. L’équation financière devient très compliquée, à plus forte raison dans ces temps d’économies budgétaires.

Ensuite, il me semble nécessaire de prendre du recul sur la situation financière des bailleurs. Il faut adopter une position de juste milieu entre des bailleurs qui estiment être à l’agonie et un gouvernement ou des décideurs qui considèrent que les bailleurs n’ont pas de problèmes de fonds propres ou de capacités de financement. Je pense que la vérité se situe entre ces deux positions. À ce titre, les rapports de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) fournissent un grand nombre d’informations. Dans le rapport produit par l’Ancols sur les données de 2021, c’est-à-dire avant le durcissement des conditions de crédit, la situation était décrite comme globalement satisfaisante. En effet, à l’époque, les conditions d’accès au crédit étaient exceptionnelles : puisque les taux d’intérêt étaient à un niveau historiquement bas, la charge d’intérêt pour les bailleurs se situait à un niveau historiquement faible, ce qui permettait à ces derniers de bénéficier d’une situation correcte.

La remontée massive des taux met en danger cet équilibre qui, selon les mots de l’Ancols, était déjà fragile. De ce point de vue, même s’il existe un juste milieu, le système financier des bailleurs sociaux a vu sa fragilité s’accroître en raison du durcissement soudain des conditions de crédit.

M. le président Stéphane Peu. Il faut rappeler que les bailleurs sont endettés à taux variable. Le stock de la dette des bailleurs est considérable, car les prêts qui leur sont accordés sont indexés sur le taux variable du livret A.

M. Pierre Madec. Il me semble que l’Union sociale pour l’habitat (USH) a d’ailleurs réalisé un exercice de simulation de l’impact de la hausse du taux du livret A sur l’endettement des bailleurs. Puisque le taux de ce livret A a augmenté, l’ensemble de l’encours des dettes s’en trouve impacté.

Une autre question portait sur les prêts aidés et leur efficacité. Il n’existe pas aujourd’hui de meilleur moyen que les prêts aidés, les subventions et les réductions d’impôts. Les bailleurs sociaux sont confrontés au même coût du foncier que les bailleurs privés. Jusqu’à récemment, ils ne pouvaient pas compter sur la vente comme un levier d’endettement. Pour produire du logement moins cher que le prix de marché, la seule manière consistait à travailler à partir des dispositifs d’aide.

Pendant très longtemps, ces prêts aidés ont été accompagnés par ce que les bailleurs appellent les « aides à la pierre », c’est-à-dire des subventions directes. Ces prêts aidés ont été mis en place pour être accompagnés de subventions et d’aides. Aujourd’hui, à la lecture des opérations de financement des bailleurs, nous constatons que l’endettement et les fonds propres ont remplacé les subventions directes et les aides fiscales. Faut-il revoir le système en profondeur ? Est-il seulement la résultante d’économies budgétaires qui ont pu être réalisées ? J’aurais tendance à pencher pour la deuxième assertion.

Quoi qu’il en soit, le système n’a pas été créé pour fonctionner de la manière dont il fonctionne aujourd’hui. Si les aides à la pierre cessent, s’il est considéré que la TVA à taux réduit et que l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ne constituent pas de bons outils, il sera nécessaire de réfléchir au fonctionnement même des prêts aidés, comme les prêts bonifiés à l’installation (BAI).

Votre questionnaire comporte plusieurs questions relatives à la fiscalité. Des réflexions sont en cours dans ce domaine, des papiers de recherche récents ont étudié la taxation des loyers implicites. Globalement, une remise à plat de la fiscalité immobilière semble être absolument indispensable. Aujourd’hui, la fiscalité incite à la rétention et elle est assise, de fait, sur les prix immobiliers. À Paris, la taxe foncière a flambé dans la mesure où l’on anticipait une diminution des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Cette fiscalité immobilière, qui incite à la fois à la rétention et à la hausse des prix de l’immobilier, pose question. La remise à plat de la fiscalité devrait concerner le neuf et l’ancien, mais il faudrait également imaginer un nouveau système plus performant, qui prenne mieux en compte le revenu des ménages. En effet, la taxe foncière est globalement un impôt anti-redistributif, en tout cas, lorsque l’on se concentre sur les propriétaires. En résumé, la question de la fiscalité immobilière est centrale. En outre, il me semble exister un consensus pour mettre en place une espèce de taxe foncière rénovée, prenant mieux en compte le revenu et l’occupation du logement. Il faut également ajouter à cet aspect la question du statut du bailleur privé, qui revient aussi régulièrement dans les débats. Je pense que l’outil fiscal représente un levier d’action publique extrêmement important, il doit être mobilisé.

Votre questionnaire porte également sur le foncier. Économiquement, le prix du foncier est établi par la méthode du « compte à rebours » : le prix du foncier dépend des prix de l’immobilier et non l’inverse. De fait, le foncier est une résultante : il est cher parce que les prix immobiliers ont explosé. En résumé, le foncier correspond aux prix immobiliers, moins le bâti et les coûts de construction. Aujourd’hui, les professionnels, les promoteurs indiquent qu’ils ont acheté à un prix du foncier extrêmement cher dans la mesure où ils pensaient revendre à la fois bâti et foncier à un prix extrêmement élevé. Ils estiment que si les prix se sont légèrement ajustés, ils ne peuvent de leur côté ajuster leur charge foncière. Ils conservent certes un peu de flexibilité sur leurs marges, mais il existe malgré tout des frictions : sur les opérations de logements neufs, le prix du foncier est déterminé avant la vente finale, une fois le terrain bâti. Quoi qu’il en soit, si les prix immobiliers diminuent, les prix du foncier suivront la même tendance.

Ensuite, la disponibilité foncière est relativement faible. À ce titre, un élément demeure surprenant. Des plans de mobilisation du foncier public et du foncier privé ont été mis en place. Des appels ont été adressés aux propriétaires, à qui des exonérations fiscales massives ont été promises pendant un ou deux ans en échange d’une libération du foncier. Malgré tout, il demeure difficile de récupérer du foncier. J’ignore s’il faut établir des incitations. De ce point de vue, l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) participe à une raréfaction de l’offre foncière. L’accompagnement par les collectivités locales n’était sans doute pas tout à fait suffisant, de même que la pédagogie concernant le dispositif. Néanmoins, nous pouvons avoir l’impression que le logement est le grand perdant du ZAN.

Le ZAN a été établi en intégrant des objectifs particulièrement ambitieux, en affirmant que le logement ne devait pas y perdre. Mais simultanément sont intervenus des plans de soutien aux zones commerciales en déprise. Par conséquent, il conviendrait sans doute d’adopter une vision plus large et indiquer que le ZAN ne porte pas sur le logement, mais sur l’occupation des sols. Il est certainement possible de mieux occuper les sols et d’accorder une plus grande place au logement en France, tout en respectant le ZAN. Par exemple, le nombre d’entreprises logistiques qui accaparent du foncier n’a cessé d’augmenter. En résumé, il importe d’adopter une vision plus « macro », qui accorderait une priorité au logement plutôt qu’à d’autres types d’occupation des sols.

Vous m’avez également interrogé sur les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif. De la même manière qu’il existait un consensus pour critiquer le dispositif Pinel, un consensus se fait aujourd’hui jour pour critiquer sa suppression, en raison de l’absence de contreparties. Certes, le Pinel et les précédents dispositifs coûtaient extrêmement cher et ne permettaient pas de produire du logement accessible, abordable pour les ménages, mais ils permettaient néanmoins de sortir chaque année 40 000 à 60 000 logements, qui avaient vocation à être mis en location. Dès lors, le marché locatif était soutenu, même si cela n’intervenait peut-être pas dans de bonnes conditions. Si le Pinel n’est pas remplacé par un autre dispositif, mais uniquement par des économies budgétaires, cela se traduira par une diminution du nombre de logements mis en location. Dès lors, cet aspect pose question.

Une autre interrogation concernait la mobilisation du parc existant. Ce débat revient de manière régulière, à juste titre. En effet, il faut rappeler que les bonnes années, la construction neuve représente 1,5 % de production de logements rapportés au stock. L’étude des données historiques fait apparaître une diminution du nombre de résidences principales. Paris constitue à ce titre un exemple caricatural. Ainsi, en dix ans, le nombre de logements s’est accru de 20 000 unités, mais le nombre de résidences principales a diminué d’autant.

Avant la crise récente, la France était, au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le pays dont la production de logements en proportion de son nombre d’habitants était la plus importante. Malgré tout, le logement est cher et peu abordable. Les tensions s’accentuent dans les zones les plus tendues, la part des résidences principales a diminué quand le nombre de résidences secondaires et les phénomènes de vacance n’ont cessé d’augmenter. Par conséquent, si un choc d’offre doit intervenir, il doit porter en premier lieu sur l’ancien. Comment, dans une ville comme Paris, le nombre de logements peut-il augmenter, mais le nombre de résidences principales diminuer ?

De ce point de vue, quoiqu’en dise la directrice des affaires publiques d’Airbnb, les meublés de tourisme et les résidences secondaires, jouent un rôle dans la raréfaction du logement, car ils sont concentrés dans les zones les plus chères où les difficultés de logement sont les plus importantes. Même si au niveau macroéconomique, l’effet est relativement marginal, dans les territoires en tension, un meublé de tourisme est un logement soustrait.

Une thèse récente réalisée sur Barcelone montre l’impact d’Airbnb sur le prix des loyers dans cette ville, à travers un double effet : d’une part une raréfaction de l’offre et d’autre part l’augmentation des loyers par les propriétaires. Ce double effet entretient une inflation élevée et la thèse en question évalue à 15 % la contribution des meublés de tourisme à l’augmentation des loyers à Barcelone, soit une hausse extrêmement significative.

Au-delà de cet effet inflationniste, il faut relever un effet de captation d’une partie du parc dans les territoires en tension où, par définition, des logements ne sont pas produits. En résumé, les meublés de tourisme constituent un véritable sujet d’interrogation. Dès lors, il convient d’aller plus loin en matière de réglementation. Aujourd’hui, certaines villes interdisent la mise en location de logements entiers, à l’instar de New York ou de Berlin par exemple.

Ensuite, l’Insee a récemment publié une étude sur l’augmentation notable de la vacance. En la matière, plusieurs aspects doivent être distingués. Pour commencer, la vacance est très souvent liée un manque d’attractivité, notamment dans la « diagonale du vide ». La direction générale du trésor ou certains candidats à la dernière élection présidentielle estimaient que la crise du logement pourrait se résoudre en mobilisant les logements vacants. Mais expliquer aux travailleurs essentiels d’Île-de-France qu’un logement vacant est disponible pour eux dans la Creuse me semble relever d’une vision assez réductrice.

La question de l’attractivité des territoires est donc incontournable. À ce propos, le soutien de la métropolisation pendant des décennies a contribué à vider des territoires. Or l’accessibilité à l’emploi figure parmi les facteurs de l’attractivité d’un territoire et des prix immobiliers. Si des emplois disparaissent d’un territoire, des phénomènes de vacance se créent. Par conséquent, lorsque des politiques de réindustrialisation sont menées, elles doivent s’accompagner d’une réflexion sur le logement. Inversement, une réflexion sur la manière de mobiliser les logements vacants nécessite de s’interroger sur les politiques d’attractivité des territoires. Selon moi, une très grande partie de la vacance dans la diagonale du vide ne pourra pas être résolue uniquement en établissant une taxe sur les logements vacants : il n’est pas pertinent de taxer des propriétaires qui n’arrivent pas à vendre, à louer ou à rénover simplement parce que la demande n’existe pas.

Un autre aspect, plus marginal, de la vacance, concerne les zones tendues. Ici, les outils fiscaux peuvent jouer un rôle. À cet égard, il peut sembler intéressant d’augmenter la taxe sur les logements vacants. Cependant, je n’ai pas le sentiment que la vacance longue soit massive dans les zones tendues. La vacance existe dans les zones tendues, car elle est aussi mesurée comme une résultante de la mobilité résidentielle. Cette vacance « frictionnelle » est plutôt liée au bon fonctionnement du marché.

Dans les territoires tendus, il convient de s’intéresser à la vacance longue, qui est plus difficile à mesurer. Des expérimentations sont actuellement menées sur des territoires « Zéro logement vacant » et portent sur des accompagnements des collectivités, pour prendre contact avec les propriétaires. Ainsi, il peut être intéressant de massifier ce type de dispositif qui semble fonctionner correctement et de le généraliser à l’ensemble des territoires pour mobiliser au mieux les logements vacants.

La dernière partie du questionnaire porte sur la question du sous-peuplement. Ce sujet revient fréquemment dans le débat. De nombreuses voix s’élèvent pour signaler qu’il existe un très grand nombre de logements sous-peuplés dans le parc social et qu’il est absolument nécessaire de corriger cette situation pour pouvoir accueillir les familles. Il est exact que le sous-peuplement a augmenté massivement, en raison du vieillissement de la population et des effets de décohabitation, à la suite des divorces notamment. Ces effets sont désormais bien documentés et ce sous-peuplement a fortement augmenté dans le parc social et dans le parc privé locatif : environ 45 % des logements sociaux seraient aujourd’hui sous-peuplés.

Cette problématique est réelle, mais elle doit être intégrée dans un cadre plus général. La moitié des demandeurs de logements sociaux sont des personnes seules. Dès lors, on a tendance à penser qu’il faut surtout des logements sociaux de plus petite taille. Au niveau des territoires, l’adéquation peut sûrement être améliorée, mais je ne suis pas sûr que la solution consiste à s’attaquer à la sous-occupation.

Ensuite, la sous-occupation existe aussi dans le diffus, dans l’individuel, ces fameux pavillons occupés par un certain nombre de ménages âgés. Il est possible de conduire une re-densification en essayant de mieux mobiliser ces logements, qui sont sous-occupés. La colocation intergénérationnelle peut ainsi être envisagée, mais un travail d’ampleur doit être accompli pour rendre ces territoires attractifs. En résumé, les réponses simples que l’on entend régulièrement ne sont pas nécessairement les plus performantes.

L’adaptabilité du parc au vieillissement constitue un véritable sujet, sur lequel nous avons travaillé. Nous avons ainsi établi des scénarios de prospective sur l’avenir du bâtiment avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Agence de la transition écologique (Ademe), en nous penchant notamment sur le vieillissement, lequel constitue un facteur clé et structurant de l’avenir de la ville. Les projections de l’Insee laissent assez peu de doute à cet égard : la part des personnes âgées de 75 ans et plus devrait passer de 9 % de la population aujourd’hui à 16 % à l’horizon 2050. Le besoin de logement de cette population est donc bien établi.

Certains peuvent considérer qu’il n’existe pas de souci pour loger cette classe d’âge, grâce à un système d’accueil, notamment en maison de retraite ou en Ehpad, parfaitement fonctionnel. Cependant, je ne pense pas que cette position soit assumée politiquement, à l’inverse de celle qui prône le maintien à domicile. Mais dans ce cas, encore faut-il disposer de logements adaptés et la question des pavillons se pose à nouveau. Dans ce cadre, il peut être envisageable de maintenir les personnes âgées au rez-de-chaussée, l’utilisation des étages étant un moyen de mieux densifier l’habitat.

Il est beaucoup question de la rénovation énergétique des logements, mais des investissements massifs doivent être menés en matière d’accessibilité des logements. De ce point de vue, la loi Elan ne constitue pas nécessairement une avancée. Compte tenu des caractéristiques du parc ancien, il est ainsi pertinent de construire des logements neufs accessibles. De plus, les logements ne sont pas uniquement construits pour ceux qui les achètent ; il faut également les construire pour ceux qu’on y accueille aujourd’hui, par exemple les personnes âgées, mais aussi pour les habitants futurs qui, là encore, pourront être des personnes âgées en situation de dépendance. Action Logement a porté un certain nombre de dispositifs, notamment sur l’accessibilité, à travers MaPrimeAdapt’. Cependant, le besoin en investissement et accompagnement est massif, au même titre que celui portant sur la rénovation thermique des bâtiments.

Vous m’avez également questionné sur le lien entre travail et emploi, qui fait aujourd’hui consensus. Je rappelle ainsi que le Medef a rendu un Livre blanc sur le logement dès 2015. De fait, le logement cher représente un frein à l’accessibilité et à l’acceptabilité des emplois en zones tendues. J’ai précédemment évoqué les phénomènes de métropolisation : l’emploi a en effet été concentré sur les territoires métropolitains, les rendant de facto très attractifs, ce qui a contribué à la hausse des prix immobiliers. Ce faisant, les populations ont été éloignées de leur lieu de travail.

À ce sujet, les derniers chiffres publiés par l’Insee sont éloquents : globalement, dans toutes les unités urbaines, la distance entre le domicile et le lieu de travail augmente. Les personnes s’installent de plus en plus loin de leur lieu de travail puisque l’accessibilité au parc de logements, tant en termes de prix qu’en termes d’offres disponibles, n’est pas suffisante. D’un point de vue conjoncturel, les offres locatives ont diminué de 20 % à 30 % en moyenne. Le marché locatif privé a vocation à accueillir les travailleurs en mutation, en mobilité ; ainsi que les jeunes. Au-delà des difficultés structurelles et anciennes, la conjoncture est difficile, du fait de l’entrave du parcours résidentiel des ménages et du durcissement des conditions de crédit. Dès lors, moins de logements locatifs sont libérés, ce qui se traduit directement par une diminution du nombre de logements mis en location, sans même parler de la concurrence avec les meublés de tourisme.

Ces éléments entraînent nécessairement une conséquence sur l’adéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail. La littérature scientifique cherche parfois à évaluer l’impact du taux de propriétaires sur le chômage. Il en va ainsi de la célèbre hypothèse d’Oswald, lequel a développé l’idée que l’une des explications majeures du chômage observé dans les pays de l’OCDE serait l’augmentation du nombre de propriétaires. Selon cette hypothèse, la hausse du nombre de propriétaires crée un spatial mismatch sur le marché de l’emploi. Cependant, la littérature économique n’a pas établi un consensus sur cette hypothèse : certains articles estiment que l’effet est marginal, quand d’autres considèrent qu’il existe effectivement un effet, mais pas pour les raisons attendues. Globalement, les propriétaires connaissent un moindre taux de chômage et ont plus de facilité que les locataires à trouver un emploi. En revanche, puisqu’ils sont enracinés sur leur territoire, ils ont tendance à accepter des emplois qui correspondent moins à leurs qualifications que les locataires.

Certains estiment que la politique du logement est trop coûteuse. Toutefois, il faut reconnaître qu’elle est liée à la politique de l’emploi. De ce point de vue, les professionnels ou le Medef s’alarment de plus en plus de l’impact du logement cher et de la raréfaction de l’offre de logement sur les territoires.

M. le président Stéphane Peu. Je souhaite revenir sur la question de l’effort de la nation, toutes politiques du logement confondues, en pourcentage du PIB. Il serait à ce titre intéressant de s’intéresser à l’évolution historique de cet élément.

M. Pierre Madec. Ce sujet est intéressant. En effet, on a tendance à pointer une dérive de la politique du logement, et à penser que la France dépense beaucoup plus que ses voisins. En réalité, quand on la rapporte au PIB, cette dépense est extrêmement stable. Une brève augmentation est intervenue en 2008-2009 au moment du plan de relance. Elle est liée aux aides à la pierre, qui ont été particulièrement favorisées, notamment à travers la libéralisation du dispositif Scellier. Toutefois, les politiques du logement représentent deux points de PIB chaque année depuis l’instauration de cette mesure dans les comptes du logement, en 1984 : un point est consacré aux aides à la personne et un point est destiné aux aides à la pierre.

En outre, la bascule intervient plutôt sur la période récente, d’autant plus que sur la période allant de 1984 à aujourd’hui, les aides à la rénovation énergétique ont connu une montée en charge très importante, notamment à travers MaPrimeRénov’. Les dispositifs visant à aider les ménages à payer leurs dépenses en logement ou à produire du logement ont, de leur côté, connu une baisse extrêmement importante.

M. le président Stéphane Peu. En prenant en compte cette longue période, arrivez-vous à distinguer la part en points de PIB de l’aide à la production de logements, toutes catégories confondues ?

M. Pierre Madec. Tout à fait. Les comptes du logement permettent de distinguer les aides à la rénovation des aides à la production de logements.

M. le président Stéphane Peu. Cette projection me semble en effet intéressante. Par ailleurs, un sujet plus récent, que nous n’avions pas nécessairement évoqué au début de nos travaux, prend de plus en plus d’envergure. Il concerne plus particulièrement les questions relatives aux prêts bancaires. Il est de plus en plus souvent question de prêts à remboursement in fine, de prêts hypothécaires ou d’une révision des mesures prudentielles adoptées par les banques. Quel est votre avis d’économiste sur ces sujets ?

M. Pierre Madec. Tout le monde s’accorde à dire que l’explosion des prix immobiliers et la déconnexion entre les prix immobiliers et les revenus ont été permises par l’assouplissement des conditions de crédit, dans tous les pays européens. Aujourd’hui, nous sommes revenus à des niveaux de taux élevés, que nous avons déjà connus par le passé. Cependant, nous n’avions jamais rencontré de tels taux simultanément avec des prix aussi élevés et aussi déconnectés du revenu des ménages.

Si l’on considère que le principal problème concerne l’accès au crédit, la course en avant sur la durée du prêt se poursuivra. Nous connaissons cette tendance depuis une vingtaine d’années, qui a eu pour conséquence de faire exploser les prix de l’immobilier. Dans ces conditions, la solvabilisation des ménages entraîne un effet inflationniste très important. Il faut se souvenir que la durée moyenne d’emprunt des ménages était de dix-sept ans il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, contre vingt-quatre ans aujourd’hui.

Dès lors, le vrai problème porte sur la déconnexion entre les prix et les revenus. Il semblerait que le pari qui a été opéré par les autorités consiste à assécher la demande, à réduire de 40 % le volume de crédits distribués, en espérant que les prix s’ajusteront à la baisse comme la théorie économique nous l’enseigne. Cependant, les prix ne se sont pas ajustés, alors même que nous observons un effondrement des transactions dans l’ancien. Peut-être sommes revenus au rythme normal de transactions annuelles, autour de 700 000 à 800 000 opérations ? Ainsi, le rythme récent de 1,2 million de transactions par an n’était peut-être dû qu’à l’explosion du volume de crédits distribués. L’asséchement de la demande a conduit à freiner les mobilités qui n’étaient pas forcées, mais qui correspondaient à des échanges de logements entre ménages propriétaires qui profitaient de conditions de crédit favorables pour acheter un logement un peu plus grand ou ailleurs. Telles sont les raisons pour lesquelles les prix ont beaucoup moins diminué en France qu’en Allemagne par exemple, où en l’espace d’un trimestre, les prix ont baissé de 15 %.

Malheureusement, il n’existe pas de baguette magique pour faire baisser les prix : il convient d’agir, soit sur la demande, soit sur l’offre de logements en la massifiant. Par ailleurs, il faut également se poser les bonnes questions. Si nous avons créé de nombreux logements au cours des dix à quinze dernières années, peut-être n’avons-nous pas produit les bons logements, pour les bonnes personnes, au bon prix.

De ce point de vue, la massification ou la généralisation de dispositifs comme le bail réel solidaire (BRS), même s’il coûte cher, peut constituer une bonne mesure pour promouvoir l’accession sociale à la propriété.

M. le président Stéphane Peu. Pourquoi ce dispositif coûte-t-il cher ?

M. Pierre Madec. Il coûte cher, car cela implique de mobiliser du foncier et donc des capacités financières. Mais ce dispositif permet de s’attaquer à la cause du problème, c’est-à-dire la cherté du logement, ce qui n’est pas le cas de l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) ou de la massification. Il faut rappeler que les perdants de l’assouplissement massif des conditions de crédit et de la dynamique de prix très importante qui s’en est suivie, et les perdants du renchérissement du coût du crédit actuel sont les mêmes : les ménages modestes. Si la part des primo-accédants a globalement été maintenue, au sein de ces derniers, la part des ménages modestes a été divisée par trois. Ils étaient déjà victimes de l’assouplissement des conditions de crédit et ses effets inflationnistes, ils sont aujourd’hui victimes du resserrement brutal de ces mêmes conditions de crédit. Nous ne reviendrons jamais à des taux à 1 % et si les prix ne s’ajustent pas, je ne vois pas comment l’équation financière peut être viable.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


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21.   Audition de Mme Laetitia Malet, déléguée générale adjointe de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCD’OM) (Jeudi 15 février à 14 heures 30)

M. le président Stéphane Peu. La présente mission d’information sur les politiques du logement, qui nous a été confiée par la présidence de l’Assemblée nationale, s’inscrit dans la perspective de l’annonce effectuée par le Président de la République en septembre dernier, reprise par le ministre Vergriete, concernant une loi d’orientation et de décentralisation des politiques du logement. Celle-ci doit être présentée à la fin du premier semestre 2024. Notre mission a pour ambition de proposer des contributions approuvées par le plus grand nombre de parlementaires, à l’image des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) consacré au logement, qui a réussi à dégager des pistes consensuelles, soutenues de la fondation Abbé Pierre aux promoteurs en passant par le mouvement HLM et le Medef.

Alors que nous arrivons à la fin de nos travaux, nous souhaitons consacrer un temps d’échange à la situation particulière des outre-mer. Ces territoires connaissent en effet une crise du logement similaire à celle de la métropole, à laquelle s’ajoutent des difficultés spécifiques au sujet desquelles nous souhaitons vous entendre.

Mme Laetitia Malet, déléguée générale adjoint de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACC’DOM). Je tiens tout d’abord à vous remercier de nous permettre de vous apporter notre vision de la problématique du logement, sous l’angle des collectivités.

Il convient d’abord de souligner l’importance des enjeux de cohésion économique structurelle, environnementale et sociale qui marquent les outre-mer. Une attention particulière doit être portée à la question de l’habitat, au regard de l’ampleur des besoins en logement et de leur impact économique et social sur la vie de nos territoires.

En matière d’accès au logement social, la crise de l’offre de logements décents et abordables se prolonge. Dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), 80 % de la population est éligible au logement social (contre 65 % au sein de l’Hexagone) et 70 % est éligible au logement très social (contre seulement 36 % au sein de l’Hexagone). Dans l’ensemble des outre-mer, l’Union sociale pour l’habitat (USH) évalue le déficit à plus de 110 000 logements. Malgré les efforts engagés depuis plusieurs années et malgré l’action des bailleurs sociaux, la situation du logement social et de l’habitat en général reste préoccupante. Le secteur est ainsi marqué par une forte baisse de l’offre de logements neufs, par la persistance de l’habitat indigne, la faible réhabilitation du parc locatif social, mais également par le retard pris en matière d’aménagement et d’équipement des fonciers constructibles, la faiblesse des moyens des collectivités locales et la hausse des coûts de revient du logement social. Ces problématiques sont exacerbées par la forte évolution de l’inflation que connaissent les outre-mer, qui fait obstacle à l’accès du plus grand nombre à un logement décent. Sur la période 2021-2022, on constate ainsi une baisse de 12 % des logements financés et une baisse de 11 % des logements livrés par rapport à 2016.

Sur le sujet du pilotage des politiques du logement, des défis différents existent dans chaque territoire en raison de ses spécificités géographiques, culturelles et économiques. Si les observations s’avèrent donc difficiles à généraliser, on constate néanmoins un bilan globalement contrasté sur la montée en compétences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans les politiques locales. Bien que celle-ci se soit traduite par une plus grande efficacité dans certains territoires, au sein desquels le dialogue local en matière d’habitat existe historiquement, les politiques locales de l’habitat cherchent encore une cohérence et un portage dans d’autres, en raison de fortes résistances. Afin de concevoir et de mettre en œuvre des politiques efficaces, il est donc essentiel de favoriser une maturation du dialogue local entre les différentes collectivités, mais également entre les collectivités et l’ensemble des acteurs du secteur de l’habitat. L’échelon pertinent de gouvernance à retenir pour le logement nous semble être le niveau intercommunal, dans la mesure où les plans locaux d’habitat (PLH) y sont obligatoires et où ce sont les EPCI qui possèdent la compétence aménagement, eau et assainissement. Les EPCI assurent une coordination et une collaboration entre les différentes entités locales, qui permettent de mieux répondre aux besoins en logement de la population. L’efficacité des cadres de référence repose cependant sur leur nécessaire adaptation aux réalités spécifiques de chaque territoire, tout comme il est indispensable de s’assurer que la gestion globale ne desserve pas certaines communes au sein même de l’EPCI.

Sur la question de la production de logements, il est possible d’identifier à la fois des obstacles à la construction et à la réhabilitation des logements sociaux et des réponses à apporter aux besoins des populations.

Certaines mesures spécifiques rencontrent des retards dans leur mise en place. On peut citer la simplification et l’adaptation des normes liées à l’acte de construire, incluant des délais relatifs au temps d’étude (loi sur l’eau ou fouilles archéologiques) qui s’étendent jusqu’à trois ou quatre ans dans nos territoires. Il est donc urgent de lancer une simplification des normes ainsi que la mise en œuvre des normes RUP (régions ultrapériphériques) prévues par le Comité interministériel des outre-mer (Ciom).

On peut également citer le manque d’outils permettant de suivre le déploiement du plan au niveau de chaque territoire et de procéder à une évaluation à la fois qualitative et quantitative pour chacun.

La faible disponibilité de foncier à aménager et à équiper représente, en outre, une contrainte importante pour les politiques publiques. À cette problématique s’ajoutent celle des indivisions et celle des zones inconstructibles, car la forte demande se heurte à une offre insuffisante, en particulier dans le logement intermédiaire.

La construction de logements sociaux rencontre d’importants retards, dus notamment à un manque de soutien fiscal aux collectivités territoriales et à un manque d’équilibre entre les recettes et les dépenses induites des acteurs du secteur. Sur ce sujet, nous approuvons la proposition de M. Maurice Gironcel, président de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (Cinor), qui suggère que la politique de sanction à l’encontre des collectivités qui ne construisent pas assez de logements sociaux soit couplée avec une politique de récompense financière ou fiscale pour celles qui remplissent leurs objectifs. Cela permettrait d’induire des comportements vertueux au sein de certaines collectivités, qui préfèrent aujourd’hui faire le choix d’anticiper la sanction financière dans leurs budgets.

Nous déplorons par ailleurs la centralité du pilotage du plan depuis Paris, alors même que l’objectif initial était celui d’un pilotage en partenariat avec les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités de chaque territoire.

Quant à l’augmentation des prix, qui s’accélère depuis ces deux dernières années, elle a pour effet une multiplication des appels d’offres déclarés infructueux ainsi que la prolifération de chantiers abandonnés avant leur terme, aussi bien dans le secteur du logement social que dans celui du logement privé. La fédération du BTP demande d’ailleurs que soit actée, de la même façon qu’en Guyane, une exonération de charges renforcée afin de permettre une remise à niveau. S’ajoutent à cela l’augmentation des délais d’approvisionnement en matériaux de construction et des prix unitaires, qui ne permettent plus de tenir les délais et budgets de chantier ; avec pour conséquences un allongement des délais de livraison des programmes et des coûts de sortie des opérations neuves désormais incompatibles avec les ressources de nombreux ménages. Il est important de rappeler que les besoins en logement en outre-mer sont essentiellement sociaux et très sociaux, en raison du coût de la vie et des faibles revenus des ménages.

Si nous tenons à saluer l’annonce faite par le Premier ministre, le 14 février 2024, concernant la simplification et les investissements qui vont être engagés pour 22 territoires français dont La Réunion, Mayotte et la Guyane, nous estimons que ces mesures, qui concernent 25 % d’un total de trente mille logements en trois ans, sont insuffisantes au regard des besoins réels.

À la lumière des éléments que je viens de vous présenter, il semble plus opportun d’engager des chantiers de rénovation que de construction. Les difficultés induites par le millefeuille administratif rendent impérieuse la simplification des procédures. Nous demandons également une augmentation et une facilitation sur la ligne budgétaire unique (LBU) pour les départements qui souffrent d’un fort déficit de logements, particulièrement Mayotte et la Guyane.

Sur la question des outils et selon les chiffres de l’USH, une vingtaine d’organismes interviennent dans le domaine du logement social en outre-mer, parmi lesquels treize sociétés d’économie mixte (SEM) immobilières et neuf organismes HLM. En 2019, le chiffre d’affaires de ces organismes était de 868 millions d’euros, pour plus de dix mille emplois par an. Du fait de la baisse des subventions et de la mise en œuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS), l’équilibre économique des opérations s’est dégradé au fil du temps. Par ailleurs, du fait de la non-revalorisation, pendant plusieurs années, du barème des APL, les loyers de sortie sont aujourd’hui trop élevés pour permettre aux ménages les plus modestes d’accéder à des logements neufs. Nous estimons préférable de consolider les opérateurs déjà existants, qui disposent d’une bonne connaissance des territoires ultramarins, plutôt que de faire appel à de nouveaux intervenants.

On trouve, en outre, des exemples de réussite parmi les opérations de regroupement des organismes. La reprise des parts de Siguy, SEM immobilière guyanaise qui se trouvait en grande difficulté financière, par la société immobilière de Kourou, est notamment saluée par les collectivités concernées.

Sur la question de la fiscalité applicable à la construction en outre-mer, le taux de TVA réduit à 2,1 % est satisfaisant.

Il est également nécessaire d’aborder la problématique centrale du foncier et des territoires au sein desquels des zones entières se retrouvent quasiment inconstructibles, majoritairement du fait de la zéro artificialisation nette (ZAN). En Guyane, par exemple, l’État, qui détient une grande majorité des terres, se doit de libérer certaines zones au profit des collectivités afin de permettre la construction de logements.

Si l’efficacité des nombreux dispositifs fiscaux doit être renforcée, il est également nécessaire de veiller à limiter les effets d’aubaine, d’assurer leur simplification et également de garantir des produits diversifiés. Il est par ailleurs essentiel de mettre en place des mesures en faveur de l’accession des habitants de nos territoires à la propriété.

Nous avons également été interrogés sur le parc de logements existants. Bien que le développement des locations saisonnières soit notable sur l’ensemble de nos territoires, nous déplorons, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, le manque de données concernant l’outre-mer. Nous suggérons de rendre obligatoire la déclaration à la mairie des logements vacants utilisés comme location saisonnière, la mise en place d’une taxe sur cette activité, ainsi que d’une taxe en cas de non-occupation des logements durant, par exemple, plus de 50 % des nuitées annuelles. Cela permettrait, d’une part, de quantifier le parc de logements réellement vacants et, d’autre part, de limiter les potentiels abus des propriétaires qui mettraient leur logement en location saisonnière uniquement pour éviter la taxe sur les logements vacants en zone tendue. Je rappelle d’ailleurs que tous les territoires d’outre-mer sont en zone tendue. En dehors des nouvelles constructions, que les mairies peuvent quantifier grâce aux demandes de permis de construire, les collectivités ne disposent d’aucune visibilité sur le parc de logements privés et ne peuvent effectuer aucun contrôle sur les prix des loyers ou des transactions. En Guyane, par exemple, les fonctionnaires achètent des biens pour la durée de leur mission et les revendent après seulement quelques années, provoquant ainsi une hausse substantielle des prix sur le marché.

Sur le vaste sujet de l’adaptation du parc de logements à de nouveaux besoins, nous proposons également des pistes de réflexion. Pour tenir compte des habitudes culturelles spécifiques à l’outre-mer, du fait desquelles les personnes âgées privilégient le maintien à domicile, il est nécessaire de développer des outils pour adapter les logements, les parties communes et les espaces extérieurs au vieillissement et à la perte d’autonomie. Une piste à considérer pourrait être le développement de solutions nouvelles adaptées, intégrées dans une programmation mixte. Au-delà de la partie immobilière, la partie « Services » est essentielle et doit pouvoir s’appuyer sur un écosystème d’acteurs en lien les uns avec les autres. Les bailleurs sont ainsi fortement encouragés à développer des stratégies transversales en lien avec les partenaires du territoire.

Sur la question de l’emploi, la répartition des logements sur le territoire est inégale, aussi bien dans les Antilles qu’à La Réunion. Les communes en déficit de logements sont celles qui recensent le plus grand nombre d’emplois, tandis que les communes correctement équipées en logements souffrent du manque d’activité économique. Les habitants sont ainsi fréquemment contraints à l’exil au sein de communes dortoirs, et les conséquences sur les réseaux routiers comme sur le pouvoir d’achat des ménages s’observent au quotidien. En 2023, le nombre de demandes en attente pour un logement s’élève, dans les Drom, à 89 847, pour 11 489 attributions. Une partie des ménages ne trouve donc pas de solution adaptée à sa situation d’emploi, particulièrement au sein des zones les plus tendues où l’activité économique est la plus dynamique et l’offre de logement la plus notoirement insuffisante.

Le prêt à taux zéro est un dispositif clé pour les ménages à revenus modestes, en ce qu’il permet de faciliter la constitution de leur apport personnel et, par le mécanisme du différé, de mieux les solvabiliser. Il a cependant, faute d’actualisation annuelle des plafonds, largement perdu en efficacité. Si les annonces récentes du Gouvernement vont dans le bon sens, une révision de la composition familiale pourrait s’avérer profitable.

Si le bail réel solidaire (BRS) trouve progressivement sa place parmi les dispositifs d’accession sociale, le mécanisme de dissociation foncier/bâti ne saurait cependant se substituer aux politiques foncières des collectivités locales. Les conditions d’agrément des organismes fonciers solidaires par les services de l’État doivent faire l’objet d’une attention particulière, la pertinence économique et sociale des porteurs de projet n’étant aujourd’hui pas suffisamment analysée. Un seul organisme foncier solidaire, situé en Guadeloupe, est aujourd’hui agréé en outre-mer.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie pour ces explications détaillées et constate une grande similarité entre les problématiques que vous évoquez et celles que nous observons dans l’Hexagone.

Je souhaite tout d’abord savoir si les critères de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SUR », sont les mêmes pour les outre-mer et pour l’Hexagone. Je souhaite également que vous nous indiquiez les différentiels d’inflation que vous constatez entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone. J’aimerais également que vous puissiez nous préciser si le sujet des fonciers d’État concerne uniquement la Guyane ou s’il s’agit d’une question plus générale, puisque nous proposerons dans notre rapport que l’État s’engage dans une politique plus volontariste sur la libération de fonciers à des fins de production de logements.

Mme Laetitia Malet. Je confirme que la loi SRU s’applique de la même manière sur l’ensemble du territoire.

Sur les différentiels d’inflation, il convient de préciser que le niveau des prix est, de façon générale, nettement plus élevé dans nos territoires qu’au sein de l’Hexagone, et que l’inflation y est donc également beaucoup plus importante. Si l’impact de certaines hausses tarifaires est moindre, à l’image des coûts de l’énergie dans la mesure où le chauffage n’est pas nécessaire dans nos habitations, les coûts supplémentaires liés à la distance amplifient encore davantage ces hausses. Si le différentiel est donc considérable entre outre-mer et Hexagone, on observe en revanche une cohérence entre les territoires des Drom malgré les écarts de distance. La situation est encore différente en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, où l’inflation est gérée différemment et le coût de la vie encore plus élevé.

La question du foncier d’État est en effet principalement guyanaise, puisque l’État détient 98 % de ce territoire. Compte tenu de la loi ZAN, de l’érosion des littoraux et des espaces naturels ou historiques à protéger, les collectivités ne peuvent finalement intervenir que sur une partie très limitée du foncier.

Je précise également que la TVA est différente en outre-mer par rapport à l’Hexagone : elle s’y élève à 2,10 % et elle est même inexistante en Guyane et à Mayotte.

J’évoquais précédemment la situation particulière de la Guyane, qui bénéficie déjà de l’exonération des charges sociales sur le BTP (et le tourisme), que réclame aujourd’hui la fédération du BTP en vue de relancer l’activité.

Cela démontre que nous sommes en mesure d’adapter nos actions aux spécificités de chaque territoire, à condition que cette démarche soit encouragée en amont. Les enjeux étant différents pour chacun de nos territoires, le traitement de la question du logement doit s’y adapter. À titre d’exemple, la forte demande que connaissent Mayotte et la Guyane est liée au nombre élevé de naissances et à une importante immigration. Il convient ainsi, pour ces territoires, de réfléchir à la simplification des mesures de viabilisation des logements informels, afin d’au moins garantir à la population un accès à l’eau et à l’électricité.

M. le président Stéphane Peu. Êtes-vous en mesure de nous communiquer le nombre de demandeurs de logement pour chaque département d’outre-mer ?

Mme Laetitia Malet. Je pourrai vous communiquer ces chiffres.

M. le président Stéphane Peu. La tension sur le logement social se constate-t-elle partout de la même façon ?

Mme Laetitia Malet. On l’observe absolument partout, aussi bien à La Réunion qu’en Guadeloupe et en Martinique, mais de façon plus prégnante encore à Mayotte et en Guyane, où l’on rencontre à la fois une demande de logement plus forte et une pauvreté plus intense.

Je tiens également à souligner une nouvelle fois les difficultés que nous rencontrons, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, dans la récupération de données concernant nos territoires – et davantage encore pour des territoires comme Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de votre présentation.

Si la faible disponibilité du foncier s’explique, en Guyane, par l’importance de la surface du territoire détenue par l’État, pouvez-vous nous expliquer ce qu’il en est pour les autres territoires : l’impossibilité de construire s’explique-t-elle par la réglementation liée à la loi « Littoral » ou aux zones protégées, à des friches ou à des zones dédiées à l’agriculture ? Quel rôle joue le ZAN dans cette situation ?

Sur la question des territoires retenus par l’appel à projets, il s’agit, selon moi, de s’inspirer des expériences concluantes qui ont été menées en matière de simplification, afin de les reproduire ensuite dans d’autres territoires et d’aboutir enfin à une réelle relance de la production de logements. Aussi, quelles sont, selon vous, les mesures concrètes qui permettraient de débloquer la situation ? J’ai notamment appris, grâce à votre intervention, que les mesures liées à la TVA que nous appelons de nos vœux sont déjà mises en place sur vos territoires. J’ai également noté qu’en plus du coût des matières premières, historiquement élevé en raison de l’importation, l’impact de l’inflation s’y ressentait de façon beaucoup plus brutale. Malgré les difficultés que vous rencontrez dans l’obtention de données chiffrées, disposez-vous d’éléments sur le parc de logements qui pourrait être transformé ou sur le bâti inutilisé et vacant ?

Je partage vos propos sur l’hétérogénéité des demandes en fonction des territoires. Je présume notamment qu’en Guyane et à Mayotte, les fortes demandes de logement et les difficultés d’accès concernent une population jeune et active, et que les spécificités culturelles liées aux seniors ne sont pas prises en compte de la même façon dans tous les territoires. Aussi, ressentez-vous plus fortement à l’heure actuelle ces problématiques liées aux spécificités territoriales ou est-ce une situation historiquement observée ?

Mme Laetitia Malet. Outre la situation particulière de la Guyane, que j’ai précédemment présentée, la faible disponibilité du foncier s’explique avant tout par la géographie de nos territoires. Du fait de la petite taille des îles, les surfaces disponibles sont naturellement modestes, et la topographie renforce encore davantage cette problématique puisque les volcans, les montagnes et les rivières représentent autant de surfaces constructibles en moins. Il est en outre important de souligner que de nombreux espaces considérés aujourd’hui comme inconstructibles par les différentes lois sont déjà occupés, à l’image des littoraux. La nécessité est donc celle d’une adaptation, qui s’avère aujourd’hui complexe.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous estimez donc que, compte tenu du faible nombre de surfaces constructibles, le relogement des populations vivant sur les zones littorales menacées par l’érosion est une solution complexe à mettre en application ?

Mme Laetitia Malet. C’est effectivement le sens de mon propos. Je peux, pour l’illustrer, citer l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon. La commune de Miquelon-Langlade, touchée par une érosion dévastatrice qui menace le village de disparition à court terme, va ainsi être intégralement déplacée et reconstruite plus loin sur les hauteurs. Le coût de ce projet colossal, qui prévoit le déplacement de l’ensemble des infrastructures du village, s’élève à 30 millions d’euros pour l’Agence française de développement (AFD). Il en va de même en Guadeloupe, où l’état de certaines zones rend impérieux le relogement d’une partie de la population. Or la construction des nouveaux logements destinés à accueillir ces déplacés est rendue complexe par le manque d’espace disponible et les contraintes géographiques propres aux territoires. Les habitudes culturelles et sociales des habitants s’en trouvent également bouleversées, puisqu’ils sont contraints de quitter leurs maisons individuelles pour des logements en immeuble.

La question des logements vacants soulève, quant à elle, la problématique de l’indivision, particulièrement prégnante en outre-mer. On trouve ainsi, en particulier à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, de nombreux logements vacants qui se dégradent progressivement. À Fort-de-France, on dénombre près de quinze mille logements laissés vacants du fait de telles situations. Il conviendrait donc de simplifier, de façon urgente, les procédures liées à la résolution des indivisions dans nos territoires.

Le parc de logements vacants et disponibles pour une réadaptation est, en revanche, très réduit en outre-mer. On trouve notamment très peu de grands bâtiments anciens qui pourraient être rénovés et transformés en logements.

Sur la question du parcours résidentiel, il faut avant tout tenir compte des spécificités de l’outre-mer. Le nombre élevé de familles très nombreuses entraîne, par exemple, un fort besoin en logements de grande taille. Or on constate que les opérateurs du logement ne tiennent pas suffisamment compte de ces besoins, à l’image de La Réunion où 25 % des logements issus des opérations immobilières ne sont pas achetés ni loués du fait de leur inadaptation à la demande. Il en découle des opérations immobilières dont la rentabilité insuffisante met en péril les entreprises impliquées et des logements dont la pérennité ne peut pas être assurée. Une partie de la solution se trouve donc dans une meilleure adaptation aux habitudes culturelles de nos territoires.

Les difficultés d’accession à la propriété s’expliquent, quant à elles, par le coût élevé de la vie. Dans la mesure où environ 70 % des habitants des outre-mer vivent en dessous du seuil de pauvreté, les possibilités d’accès à l’achat sont rares. Il est d’ailleurs fréquent que les chantiers de construction soient interrompus avant leur terme, à la suite d’une dégradation de la situation financière de l’acquéreur. Des solutions devront donc être trouvées face à ces importantes pertes de foncier, et les moyens adaptés pour permettre à nos populations à revenus modestes ou très modestes d’accéder à la propriété. En Guyane, la maire de Saint-Laurent-du-Maroni mène des expérimentations en ce sens.

M. le président Stéphane Peu. Votre association a-t-elle formulé des propositions visant à accélérer la résolution des problèmes d’indivision ? Les règles étant semblables en outre-mer et dans l’Hexagone, comment s’expliquent ces spécificités ?

Mme Laetitia Malet. Des pistes de réflexion sont actuellement à l’étude sur ce sujet, en lien notamment avec la mairie de Fort-de-France.

Cette situation s’explique par le nombre important de crises liées à des problèmes intrafamiliaux. Dans de nombreuses familles, les enfants ont quitté les Antilles pour l’Hexagone et les parents décèdent souvent sans laisser de consignes explicites concernant l’héritage, ce qui génère des conflits au sein de la fratrie quant au devenir du bien. C’est donc l’impact de l’éloignement d’une partie des familles qui est significatif sur les indivisions.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Votre intervention permet de prendre conscience des spécificités de vos territoires. L’ajout de normes réglementaires supplémentaires, qui pourrait avoir une pertinence en métropole, est ici rendu inutile par les éléments naturels et géographiques qui vous contraignent.

Mme Laetitia Malet. Il est intéressant de noter que la superposition, sur la carte de la Guyane, de l’ensemble des réglementations liées à la biodiversité, à la loi « Littoral » du 3 janvier 1986 et au ZAN, couvre l’ensemble du territoire. Je tâcherai de vous envoyer cette carte.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Ce chevauchement des réglementations, appliquées de la même façon au sein de vos territoires qu’en métropole, démontre des lacunes dans la prise en compte de vos contraintes spécifiques.

Mme Laetitia Malet. Il est en effet essentiel que les parlementaires prennent conscience de cette nécessité d’adapter les normes aux réalités propres à chaque territoire d’outre-mer.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.


22.   Audition de Mme Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity et de M. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre (Lundi 26 février 2024 à 15 heures)

M. le président Stéphane Peu. Nous parvenons au terme de la mission d’information que nous a confiée la présidente de l’Assemblée nationale l’été dernier et dont les travaux ont commencé au mois de septembre. Créée à l’initiative de l’Assemblée nationale elle-même, donc investie d’un statut particulier, cette mission répondait à trois ambitions du Gouvernement : une loi sur les copropriétés et l’habitat insalubre, déjà examinée en première lecture ; une loi sur les meublés touristiques et Airbnb, qui suit actuellement le cours de la navette parlementaire ; une loi d’orientation sur le logement annoncée par le Président de la République et M. Patrice Vergriete, alors ministre délégué chargé du logement, et qui doit notamment comporter un volet consacré à la décentralisation. Plutôt qu’aux lois déjà écrites, cette mission visait à contribuer à l’élaboration de cette loi d’orientation, dont je dois du reste avouer qu’on ne sait pas très bien où elle en est… Elle n’a pas été mentionnée dans la déclaration de politique générale du Premier ministre ni dans les premières déclarations du nouveau ministre du logement, que nous n’avons pas auditionné.

Au-delà de son intitulé, notre mission a un champ assez large. Nous nous sommes appuyés sur les travaux du Conseil national de la refondation (CNR), dont vous avez assuré la coprésidence, considérant que, si un consensus pouvait se dégager au sein de ce conseil dans les milieux professionnels du logement, réunissant les promoteurs immobiliers, la fondation Abbé Pierre, les organismes HLM et le Medef, en passant par tout le spectre des fédérations professionnelles, il n’y avait pas de raison que ce consensus ne puisse pas se retrouver au sein de la représentation nationale. Nous avons donc pour objectif de formuler des propositions consensuelles au sein de la représentation nationale pour alimenter une loi de programmation dans ce domaine.

Nous avons procédé à de nombreuses auditions, notamment d’universitaires, de spécialistes, de fédérations de promoteurs, de fédérations du bâtiment, de l’Union sociale pour l’habitat (USH), d’Action logement, de la fondation Abbé Pierre, d’organisations de consommateurs, etc., et nous sommes en train de conclure nos travaux.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Notre commission a en effet débuté voilà déjà quelques mois et a procédé à une multitude d’auditions touchant l’ensemble des partenaires concernés par le logement. Il ne s’agissait pas tant de publier un énième rapport que de disposer d’une boîte à outils dont le contenu pourrait être variable selon les territoires. De fait, un parcours résidentiel pour toutes les bourses et tous les âges peut avoir des incidences différentes d’un territoire à l’autre, selon que la priorité y est donnée au logement des seniors, à l’accueil de nouveaux actifs ou au logement étudiant, qui est devenu un parcours du combattant. Le constat est le même un peu partout : à chaque étape de la vie et dans quelque situation qu’on se trouve, on rencontre des difficultés pour se loger ou pour trouver le logement adapté à ses besoins du moment. Nous voulons donc être une force de proposition, au moyen notamment de cette mallette, pour répondre à une question qui, comme la fondation Abbé Pierre peut en témoigner, se pose déjà depuis de nombreuses décennies : comment, en 2024, apporter une réponse au cas par cas en fonction des typologies de logements et des situations rencontrées d’une région à l’autre ?

M. Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre. Au terme de votre travail parlementaire sur un sujet que vous connaissez bien, il est intéressant de creuser des points particuliers sur lesquels demeurent des interrogations, notamment pour ce qui concerne l’adaptation aux réalités des différents territoires.

L’un des premiers résultats observés dans le cadre du CNR, et qui fait écho à la constatation rappelée tout à l’heure par M. le président, est le fait que les différents acteurs réunis aient partagé certains points de vue – ce qui pourrait peut-être guider les décisions des pouvoirs publics. Je rappelle qu’avant la création du volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR logement), lors de la première rencontre avec le Président de la République, quatre thèmes étaient proposés dans le cadre de ce CNR. Toutefois, après le premier tour de table, tant le Medef que les syndicats, les présidents d’associations de collectivités, la fondation Abbé Pierre et un grand nombre des vingt à vingt-cinq acteurs non gouvernementaux présents autour de la table constataient l’absence du thème du logement, qui a pourtant, au-delà des questions techniques et financières, une incidence sur toutes les dimensions du quotidien de nos territoires et de nos concitoyens. Cette constatation a été massive, le Medef soulignant l’importance de la mobilité dans l’emploi pour le développement des territoires et le frein que constituait le manque de logements pour la création de nouvelles activités, tandis que nous mettions en lumière les difficultés sociales que nous observons tous les jours chez les étudiants comme chez les personnes disposant de revenus modestes, les familles monoparentales ou les personnes ayant rencontré des situations difficiles dans leur parcours. La question du logement apparaissait donc comme une évidence parmi les difficultés auxquelles notre pays est confronté.

C’est ainsi qu’à la fin de cette séquence, le Président de la République Emmanuel Macron a décidé de créer un CNR logement, qu’il nous a été proposé de coanimer – ce que, conscients des enjeux, nous avons accepté. Nous avons donc réuni trois groupes de travail, dotés chacun de deux animateurs.

Durant les six mois qui ont suivi, plus de deux cents personnes ont été mobilisées. Il s’agissait de fins connaisseurs des questions de logement, des parcours, de la technique, des territoires et des situations difficiles, œuvrant collectivement pour dépasser leurs identités et leurs champs particuliers d’intervention économique et sociale, en réponse à l’invitation à réfléchir lancée par le Président de la République, puis par la Première ministre et par le ministre du logement, évidemment très impliqué. L’évidence s’imposait que chacun devait dépasser le point d’où il parlait pour réfléchir avec les autres aux moyens de faire évoluer la situation du logement.

Vous connaissez le contexte tragique dans lequel s’inscrivait cette réflexion, marqué par une forte baisse de la construction globale et du nombre de logements sociaux, qui atteint des records à l’échelle de plusieurs décennies. Avec moins de trois cent mille logements construits en France, c’est une catastrophe. Quant aux logements sociaux, 82 000 ont été financés en 2023, contre 125 000 en 2018 : 40 000 logements sociaux en moins, ce sont 40 000 situations non résolues. Parallèlement, la demande de logements sociaux a connu une hausse sans précédent, avec 2,6 millions de ménages demandeurs, et le nombre de personnes sans domicile fixe a doublé en dix ans, tandis qu’augmentaient le coût de la construction et les prix de l’énergie, ainsi que les taux du crédit et le nombre des refus de prêt. Ces indicateurs se sont encore dégradés dans les mois qui ont suivi le CNR.

Un autre constat partagé était que le logement, premier poste de dépenses des ménages, avait, dès avant l’inflation, un impact considérable sur le pouvoir d’achat comme sur la santé et la scolarisation, sans parler de l’impact écologique, chantier abordé par l’un des trois groupes de travail que j’évoquais. Se posaient également la question des freins à la mobilité dans l’emploi – et, plus globalement, des freins au plein emploi –, celle de l’emploi dans le bâtiment, qui suscite aujourd’hui d’immenses inquiétudes, et celle du développement des territoires.

Pour ce qui est des grandes orientations générales, au-delà des chantiers techniques qui renvoient à bien des égards au questionnaire que vous nous avez adressé et sur lesquels nous pourrons revenir dans le détail, les acteurs du CNR se sont accordés, parmi plus de trois cents propositions formulées, sur une vingtaine de chantiers perçus comme prioritaires.

Parmi les questions transversales, les acteurs demandaient avec force une pluriannualité des engagements et des moyens – soit, en quelque sorte, une loi de programmation budgétaire s’apparentant à un plan de cohésion sociale –, pour donner de la visibilité aux acteurs, les mettre en dynamique et structurer les filières. C’est fondamental car, si on ne sait pas où on va, ce qui est aujourd’hui le cas… on va dans le mur. Il a également été demandé que les objectifs soient chiffrés pour permettre d’évaluer s’ils sont ou non atteints et, si nécessaire, de rectifier le tir, ce qui suppose une évaluation permanente.

Sans que cela exclue une différenciation territoriale, le rôle majeur de l’État en la matière a été unanimement souligné. Bien que nous n’ayons pas encore compris ce que l’exécutif entend faire en termes de décentralisation, l’État a, dans ce domaine, un rôle majeur, historique, et l’impulsion qu’il donne, sans interdire l’adaptation aux territoires, garantit une politique du logement forte et une égalité des territoires dans une perspective d’aménagement du territoire qui doit être à nouveau prise en compte – et qui rejoint également l’objet de votre mission.

L’État doit donc assumer un rôle de portage, d’impulsion, de pilotage et de soutien, ce qui n’empêche pas – et ce n’est, à nos yeux, pas paradoxal – que les politiques de l’habitat prévoient une délégation de compétences à des autorités disposées à le faire, équipées à cet effet et ayant mobilisé les moyens nécessaires. Cette possibilité a été formalisée autour des autorités organisatrices de l’habitat (AOH) créées par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS », mais d’autres modalités sont possibles et nous pouvons y réfléchir. Toujours est-il qu’une grande ambition et une adaptation au niveau des territoires, en fonction de la réalité locale, ne sont pas incompatibles. Il s’agirait ainsi de mettre en œuvre localement les objectifs définis à l’échelle nationale, en adaptant les outils et les financements aux besoins des territoires. Il faut toutefois veiller à ne pas déléguer n’importe quoi – c’est, par exemple, la question du contingent préfectoral, sur lequel nous pourrons revenir.

Un autre élément transversal est la nécessité de maintenir les aides et contreparties sociales. À cet égard, nous avons pris littéralement « une grande claque » lorsqu’à l’issue du CNR, au lieu de l’impulsion en ce sens qu’attendaient tous les acteurs, on nous a annoncé la réduction du prêt à taux zéro et la fin du dispositif Pinel. Or des aides et des incitations sont nécessaires et, même si on peut discuter de tout, en particulier du niveau pertinent des contreparties sociales et écologiques, le retrait pur et simple de ces mesures est une catastrophe.

Il a également été demandé des mesures d’urgence et des mesures structurelles, qui peuvent être combinées à l’instar du rôle de l’État et de l’adaptation des outils et des moyens aux territoires.

Un autre élément transversal qui s’est dégagé est la nécessité d’agir sur tous les leviers. Avant même les conclusions du CNR, Véronique Bédague et moi-même avons beaucoup insisté auprès de l’Élysée, de Matignon et du ministère du logement, invitant les pouvoirs publics à faire feu de tout bois face aux parcours résidentiels et aux réalités plurielles que vous avez évoquées en introduction. Personne, en effet, n’est épargné, sinon les très riches : qu’il s’agisse des sans-abri qui rencontrent les pires difficultés ou de ceux qui ne peuvent pas accéder à la propriété ou à la mobilité professionnelle, il y a de très nombreux chantiers à ouvrir.

Pour conclure cette introduction, je tiens à souligner que tous les acteurs ont fait preuve d’un très grand engagement. Certains sujets qui n’étaient initialement pas évidents ont émergé d’une manière assez consensuelle, comme l’importance que revêt le foncier. Il s’agirait en effet de définir le sens que l’on donne à la maîtrise du foncier et ce que l’on voudrait en faire. Plusieurs approches sont possibles et, pour Véronique Bédague et moi-même, les moyens à employer pour encourager la construction dans une perspective de densification sans l’opposer au zéro artificialisation nette pourraient justifier la création d’une mission. Toujours est-il qu’un débat autour du foncier s’est nettement fait jour : quelle ville voulons-nous ? Où construire ? Où densifier ? Construire quoi, en fonction de quels besoins ?

La « claque » que j’évoquais tout à l’heure est la forte déception ressentie, après un engagement de six mois, par les deux cents acteurs du CNR au vu des résultats de ce processus. Il faut faire attention, car ce n’est pas à la légère que nous avons participé à cette réflexion : comme vous, nous sommes très occupés et, dans le débat public, démocratique et politique, le peu d’écoute accordée à ce travail collectif réalisé à la demande de l’exécutif fait mal.

Mme Véronique Bédague, présidente-directrice générale de Nexity. Pour évoquer ce que je retiens, quant à moi, des conclusions du CNR, je commencerai par une plaisanterie : quelqu’un disait un jour que, lorsqu’on pose ses fesses en haut d’un toboggan, il est rare qu’on n’arrive pas en bas – et c’est exactement ce qui est en train de se produire. Christophe Robert évoquait le chiffre de trois cent mille logements construits mais, l’année dernière, moins de deux cent mille ont été vendus et il n’y a aucune raison de construire plus qu’on n’a vendu. De fait, avec 95 000 logements collectifs, 58 000 maisons – un effondrement ! – et 40 000 logements sociaux construits par les organismes de logement social pour compte propre, le total est inférieur à deux cent mille, de telle sorte qu’on peut s’attendre, en rythme de croisière, à ce que deux cent mille logements soient construits chaque année. La situation ne s’améliore pas en début d’année, car les ventes ne sont pas plus nombreuses. Je ne sais plus quel mot employer pour dire qu’il y a urgence, car je ne me fais pas entendre.

Pour ce qui concerne le CNR, c’est au Gouvernement et à vous de dire quelles sont les bonnes réponses aux questions posées. Je reviendrai pour ma part sur quatre ou cinq questions qui ont émergé de ce travail – au-delà de celles, évidemment très importantes, qui touchent au développement durable.

Une première question intéressante est celle du foncier. Nous avons en effet tous pris conscience, au sein du groupe, que nous ne regardions pas comme il conviendrait ce bien commun, que nous devrions traiter comme tel – même si je ne sais pas comment le faire. Toujours est-il que le zéro artificialisation nette rend le foncier encore plus rare et que la baisse du prix du foncier escomptée par certains à cause de la crise – on entendait citer le chiffre de – 20 % – n’a pas eu lieu. En réalité, ceux qui disposent d’un foncier constructible savent très bien qu’ils possèdent un bien rare.

L’une des propositions du CNR était d’encourager la libération de foncier par une fiscalité appropriée, et elle a donné lieu à des travaux parlementaires. L’idée a même été émise de savoir comment contrôler le prix du foncier et comment rendre, le cas échéant, aux collectivités une partie de la plus-value générée par l’amélioration d’espaces publics. Ainsi, lorsque nous avons construit le tramway à Paris, il s’agissait d’une dépense publique très importante, qui s’est traduite par une vraie requalification des boulevards des maréchaux et une augmentation des prix du foncier dans cette zone, mais les collectivités ne savent pas reprendre une partie de cette plus-value. Certains jugent que ce n’est pas possible, mais il faut tout de même examiner la question, car on ne peut se satisfaire d’enrichir les propriétaires fonciers pour la simple raison qu’ils se trouvent dans une zone revalorisée par l’action publique. Il y a là un vrai débat. Il est bon que les marchés aient un prix, mais le foncier est aujourd’hui un bien commun très rare et il n’y a aucune raison que son prix baisse, ce qui ne favorisera pas la production de logements abordables.

Une deuxième question très intéressante abordée par le CNR – qui n’a du reste pas réussi à la traiter – est celle de l’évaluation des besoins, qui suppose une itération entre ceux que définit l’État et les besoins locaux. Comme vous le disiez vous-même, en effet, les besoins ne s’expriment pas de la même manière selon les territoires. Comment organiser cela ?

En outre, pendant plusieurs années, l’État n’a pas dit qu’il fallait du logement. Il est intéressant de rappeler, à cet égard, qu’à l’ouverture du CNR, la cheffe économiste du Trésor déclarait qu’une production annuelle de deux cents à deux cent cinquante mille logements suffisait. Avec deux cent mille logements, nous y sommes presque… et nous allons donc voir si ça suffit ! Il est très difficile de définir des politiques publiques sans faire un diagnostic partagé, lequel doit prendre en compte tant la production de logements neufs que la réhabilitation, les logements insalubres et le souhait des gens d’habiter près de leur travail – alors que les travaux du Medef ont montré qu’année après année, ils habitaient de plus en plus loin.

Une troisième question est celle de la densité. En effet, le zéro artificialisation nette et le souhait de réduire les déplacements en voiture – lequel suppose que les gens vivent dans des endroits desservis par les transports en commun – conduisent à réfléchir sur ce thème, et des travaux très intéressants ont donc été engagés pour savoir comment rendre le plan local d’urbanisme (PLU) accessible à la population – ce qui n’est pas facile : peut-on le dessiner ou le représenter en 3D ? D’un point de vue démocratique, cela n’a rien d’anecdotique. Peut-on, par ailleurs, imposer une densité minimale et comment faut-il travailler la réversibilité ? Ces problèmes ont donné lieu à de nombreux débats au sein du CNR et des propositions ont été émises.

Un grand débat a également été consacré à ce sujet tabou qu’est la fiscalité. Les maires ont-ils les moyens de financer les équipements qui accompagnent les logements ? Le système de la fiscalité locale est en effet d’une perversité folle : pour financer les logements, il faut taxer davantage les propriétaires, car ce financement repose sur la taxe foncière. Pour aider les maires bâtisseurs, une refonte de la fiscalité locale serait nécessaire, mais on peut, à défaut, adopter une approche plus douce en accordant des bonus à ces maires, ce qui toutefois ne résoudra pas le problème du financement du fonctionnement de ces équipements, notamment en termes de personnel.

On constate, par ailleurs, l’effondrement du marché de la location et de l’investissement des Français dans le logement. De fait, les investisseurs institutionnels privés, encore présents sur le marché du logement voilà deux ans, en sont désormais absents, car les écarts de rendement sont bien trop grands. Quant aux bailleurs privés, ils sont détournés de ce marché par la somme de la hausse des taux d’intérêt et de la fiscalité. Je rappelle en effet que l’investissement dans le logement est le seul investissement qui subisse d’abord l’impôt sur le revenu (IR), puis – à la différence des dividendes – une taxe locale, puis encore l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) : si on ajoute à ce rasoir à trois lames les taux d’intérêt, il est difficile de trouver de la rentabilité – les quelques marchés qui supportent encore ce régime sont peu nombreux. Un débat a donc eu lieu au sein du CNR, au cours des mois de mars et avril, sur l’aide aux bailleurs privés et sur le statut de ces derniers. On a donc pris conscience, voilà neuf mois, du besoin de nourrir de nouveau le marché de l’investissement privé.

La gouvernance a également donné lieu à des débats très intéressants, au moment où l’État annonçait davantage de décentralisation. La conviction s’exprimait que l’État devait être présent et déterminer la politique du logement. Il lui était demandé de se focaliser sur la définition et le respect des objectifs – sachant que, pour l’instant il n’en a pas fixé –, d’assurer la péréquation entre les territoires – ce qui est son rôle historique – et l’équilibre de l’attractivité, et d’appuyer le déploiement des paradigmes d’intervention, comme le plan « Logement d’abord ». Il faut donc définir une vraie politique nationale, qui doit être en itération permanente avec les territoires. Les habitudes de logement, les besoins et les populations sont très différents, et le sont de plus en plus – je perçois bien plus fortement cette différenciation aujourd’hui que lors de mon arrivée chez Nexity, voilà sept ans. C’est très intéressant.

Bien que cette question dépasse le champ de mes compétences, j’ai observé que les élus présents autour de la table appelaient à une généralisation des autorités organisatrices de l’habitat au niveau des collectivités pour définir les politiques du logement à l’échelle locale.

M. le président Stéphane Peu. Nous nous sommes approprié les conclusions du CNR. La quantification de la demande et des besoins est une question incontournable, qui est souvent revenue au cours des auditions précédentes. Il y a quelques années, un consensus régnait entre les représentants de l’État, les promoteurs et les bailleurs sociaux sur les objectifs quantitatifs – ceux-ci étaient ensuite atteints ou non. Je l’ai dit au ministre lors d’une table-ronde organisée à l’occasion de l’assemblée de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) : le directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) semble intégrer la position de la direction générale du Trésor, qui est peut-être celle du Gouvernement, à savoir que notre pays n’aurait pas besoin de logements supplémentaires et que la remise sur le marché des logements vacants couplée à la densification des secteurs pavillonnaires pourrait suffire. Nous avons compilé les programmes locaux de l’habitat (PLH), émanation des territoires, exercice qui aboutit au chiffre de 490 000 logements à produire annuellement, dont 180 000 logements sociaux. Il y a un écart entre l’analyse de l’administration centrale et cette évaluation : notre rapport tentera de clarifier la question. Le CNR a-t-il élaboré des estimations chiffrées sur ce sujet très important ?

Notre mission ne s’aventurera pas dans le grand chantier de la fiscalité locale, mais elle doit se pencher sur l’absence de corrélation entre celle-ci et les permis de construire que délivrent les municipalités. Il n’est pas opportun de faire porter aux maires l’entière responsabilité des problèmes actuels. Il ne faut pas non plus éluder la question du foncier que vous avez abordée : aucune maîtrise foncière publique n’entoure les soixante-huit gares du futur Grand Paris Express (GPE), dont les environs deviennent par conséquent des lieux de grande spéculation ; or un minimum de volonté politique aurait pu éviter cette dérive. Avez-vous des propositions de modification de la fiscalité et de libération du foncier ?

Que recommandez-vous pour le statut fiscal des bailleurs privés ? Mon inclination naturelle n’est pas de reconnaître un statut particulier aux propriétaires privés, mais l’impasse actuelle dans le secteur locatif incite à ouvrir la réflexion.

Dans le domaine du logement social, les chiffres dont nous disposons montrent qu’une fois soustraites les démolitions et les ventes, le solde net est de 35 000 logements sociaux pour les familles éligibles.

M. Christophe Robert. Nous n’avons pas réalisé le même travail que celui que vous avez effectué sur les PLH et qui me semble très intéressant ; en revanche, l’Union sociale pour l’habitat (USH) a procédé à une addition proche de la vôtre. Lors du CNR, l’exécutif nous a dit qu’il fallait cesser de fixer des objectifs nationaux ; néanmoins, ceux-ci peuvent se révéler utiles pour soutenir une stratégie ambitieuse, d’autant qu’il reste indispensable d’identifier les besoins dans les territoires – dans ce domaine, le PLH est d’ailleurs un outil de qualité.

S’agissant du mal-logement, le surpeuplement, dont la diminution était un signe de modernité, est reparti à la hausse dans les secteurs tendus, à cause d’une augmentation des prix bien supérieure à celle des revenus des ménages. Les personnes sans domicile, sans abri ou contraintes de rester dans des logements indignes, mais chers, sont nombreuses : les exemples les plus catastrophiques se trouvent à Marseille, comme l’a montré le rapport de Christian Nicol qui évaluait à quarante mille le nombre de ménages contraints d’acquitter des loyers élevés pour des logements qui ne devraient pas être mis sur le marché. Faut-il intégrer toutes les dimensions du problème ou se contenter de l’élément démographique ?

On a l’impression qu’une rationalisation a posteriori s’est imposée, consistant à dire qu’il ne fallait plus construire, mais rénover. Véronique Bédague et moi-même l’avons dit au CNR, devant la Première ministre d’alors et les ministres : il serait erroné de choisir entre les deux ; ce serait comme choisir entre la lutte contre les mauvaises conditions de logement des personnes âgées et celles des jeunes, alors qu’il faut évidemment agir dans ces deux domaines. La rénovation constitue un chantier majeur pour lequel nous avons formulé des propositions très fortes lors du CNR – ce thème était celui de l’un des trois grands groupes de travail dont vous avez pu lire les conclusions. Si l’on s’en tient à une analyse macroscopique, il est possible d’épouser le raisonnement de la direction générale du Trésor et de se contenter de mobiliser les trois millions de logements vacants ; sans même compter la vacance frictionnelle, il est patent qu’une telle approche manque de pertinence : ainsi, le département le plus affecté par la vacance de logements est le Cantal, où les besoins sont faibles.

Une approche sérieuse consiste à étudier, comme vous l’avez fait, les PLH : les acteurs locaux connaissent les besoins, ils consultent les acteurs économiques, ils analysent la liste des demandeurs de logements sociaux, ils observent les demandes de desserrement, ils prennent en compte les capacités foncières, etc. Nous voulons du sérieux… mais nous ne souhaitons évidemment pas nous substituer au Parlement, à l’État ou aux spécialistes.

Le sujet du foncier a fortement émergé : je n’aurais jamais pensé, en tant que délégué général de la fondation Abbé Pierre, pouvoir autant discuter de cette question avec tous les acteurs et parvenir à nous accorder sur la nécessité d’en faire le premier thème à aborder devant la Première ministre. Il ne s’agit pas d’être confiscatoire, mais d’appréhender tous les aspects, comme ceux de la plus-value, du partage, de l’aménagement du territoire et du bien commun – dans certains pays, le terrain n’appartient pas à la personne qui a fait construire sa maison dessus, parce qu’il servira peut-être à un autre usage dans cent ans. Nous avons demandé la création d’une mission visant à affiner les modalités de densification possibles : certains travaux montrent que 70 % à 75 % seulement du niveau de densification autorisé par le plan local d’urbanisme (PLU) est atteint dans la construction : c’est dommage ! Dans certains pays, la loi impose d’arriver à 100 % : voilà un levier ! Il est indispensable d’ouvrir la réflexion à ce sujet.

Nous avons également proposé d’instaurer une fiscalité incitant à la libération du foncier non bâti, alors que le système actuel rend avantageuse sa conservation par son propriétaire.

Le bail réel solidaire (BRS) recoupe la question de la construction, celle de la maîtrise du foncier à travers la dissociation de celui-ci et du bâti, et celle du rachat, en vue de les restaurer, de logements souffrant, par exemple, d’un mauvais diagnostic de performance énergétique (DPE). Cela ne suffira certes pas à répondre à notre première préoccupation, qui est de produire davantage de logements adaptés aux besoins de nos concitoyens, en soutenant les maires bâtisseurs et les investisseurs institutionnels : il faudra trouver les bons équilibres, mais agir en ce sens est indispensable. Une mission, qui pourrait être parlementaire et qui devra s’appuyer sur des comparaisons internationales, serait bienvenue, puisque des acteurs peu habitués à travailler sur ce registre ont ouvert la porte à cette réflexion.

Mme Véronique Bédague. Nous ne demandons pas de fiscalité spécifique pour relancer la création de logements, car la fiscalité sur le logement est déjà particulière. Un prélèvement unique sur les revenus fonciers, qui rassemblerait l’impôt sur le revenu, la taxe foncière et l’IFI, entraînerait des pertes de recettes pour l’État ou pour les collectivités territoriales. Mais le problème inhérent à la fiscalité actuelle sur le logement, c’est qu’elle diminue fortement le rendement de l’investissement : la taxe foncière représente près d’un mois de loyer, par exemple. Or les investisseurs comparent les placements et ils constatent qu’il n’y a pas de taxe foncière sur les obligations ni sur les dividendes. Nous appelons donc de nos vœux une normalisation de la fiscalité sur le logement, plutôt que des dispositifs ad hoc comme le Pinel.

M. Christophe Robert. Des travaux parlementaires ont déjà été réalisés sur le foncier de l’État, mais une question politique se pose : que voulons-nous faire de ce foncier ? Acceptons-nous d’en perdre une partie ?

Les bailleurs sociaux et les ménages ont subi des coupes massives, représentant environ quatre milliards d’euros par an, à cause notamment de la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Le ministre de l’économie et des finances a récemment annoncé des économies de dix milliards d’euros pour le budget de l’État : les APL seront à nouveau réduites ; or nous n’avons jamais fait mieux que ces aides pour lisser les difficultés : de telles diminutions sont délétères et nous inquiètent profondément.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Dans le prolongement de l’action de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement oppose propriétaires et locataires : cette position n’est pas seulement stérile, elle est dangereuse, car les petits propriétaires font face aux mêmes difficultés que les locataires à cause de l’augmentation des charges et des prix de l’énergie. Le clivage ne passe-t-il pas plutôt entre les gros propriétaires, qui possèdent plusieurs biens et qui spéculent, et tous les autres ?

Vos propos sur les propriétaires qui louent un bien m’ont intéressé, madame Bédague : en effet, on se demande pourquoi ils continuent de le faire, alors que la solution de l’Airbnb ou celle de l’assurance vie sont bien plus rémunératrices. Nous nous battons actuellement pour supprimer la niche fiscale sur la location en Airbnb, ce à quoi le Gouvernement se refuse. Quel est, selon vous, le clivage utile ?

Vous avez raison, nous n’avons plus les mots pour dire l’urgence du problème du logement, mais le problème n’est-il pas tout simplement celui du « je-m’en-foutisme » ? Les éléments étant connus – le ministère du logement demande les chiffres à la fondation Abbé Pierre lorsqu’il en manque –, ne faut-il pas supposer que l’attitude qui prévaut au plus haut niveau de l’État est, dans une logique darwiniste, l’attente d’un effondrement du marché – d’une « purge », comme j’ai pu l’entendre dire – pour que les investisseurs ajustent leurs positions et que le marché reparte à la hausse dans trois ou quatre ans, quitte à ce que la population souffre dans l’intervalle ?

Si nous faisons le deuil de la capacité du Gouvernement à montrer le moindre intérêt pour la question du logement, quels grands axes législatifs, au-delà du budget, devrait suivre un gouvernement qui prendrait le sujet à bras-le-corps en 2027 ?

M. Christophe Robert. Il me semble en effet que certaines personnes pensent utile de laisser le marché s’effondrer… mais, comme l’a dit Véronique Bédague, le prix du foncier ne diminuera pas à Paris, dont l’attractivité est forte, ni dans d’autres villes. Il s’agit donc d’une erreur de lecture politique et économique.

N’oublions pas les souffrances ! À force de commettre des erreurs et de refuser de déployer des politiques à la hauteur des enjeux sociaux, économiques et territoriaux, on provoque de très lourds dégâts ; comme nous l’avons déjà souligné, les souffrances vont bien au-delà des personnes mal logées. Le logement est une question compliquée qui n’est pas que technique ; or des apprentis sorciers affaiblissent notre capacité d’intervention dans ce domaine si important pour la vie de nos concitoyens et de nos territoires, à tel point que la pente sera difficile à remonter. Il y a quelques années, nous produisions 473 000 logements, donc cela est possible ; néanmoins, on accumule tellement de retard que la reconstitution d’un appareil de production performant sera difficile et longue ; dans ce domaine, la visibilité est essentielle pour tous les acteurs. Actuellement, règnent des logiques et des slogans déconnectés des besoins des territoires. Sur ce plan, le CNR a dégagé un consensus chez les élus comme chez les acteurs du secteur. J’ai rencontré peu de personnes connaissant le logement qui étaient en désaccord avec tout ce que nous avons dit depuis le début de cette audition. Notre diagnostic n’est pas le reflet de lubies mais de notre analyse de l’histoire des politiques du logement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire.

Quant au programme législatif à dérouler, il faut savoir que certaines questions restent en discussion : quel est le bon niveau des aides ? Quelles sont les contreparties sociales et écologiques idoines ? Quels investissements faut-il encourager ? L’État doit fixer des objectifs pluriannuels et apporter des soutiens : nous devrions discuter de cette politique dans un nouveau CNR, qui se pencherait sur la phase opérationnelle des chantiers qui nous sont collectivement apparus incontournables. Il faudra agir sur différents leviers et non en privilégier un seul. Nous avons conscience du niveau de l’endettement public, mais nous connaissons également le retour sur investissement d’une politique active du logement, pour les caisses de l’État comme pour la société.

Mme Véronique Bédague. Je suis, comme toujours, parfaitement d’accord avec Christophe Robert. Le sujet, c’est de loger les Français là où ils le souhaitent. Dans cette optique, il est totalement inutile d’opposer les propriétaires aux bailleurs, d’autant que tout se contracte, le nombre de propriétaires comme celui des logements sociaux ou du parc privé. Il faut agir dans tous les domaines et offrir aux gens de l’espoir. Actuellement, tous ceux qui veulent se mettre en mouvement – les jeunes, les décohabitants, les personnes qui souhaitent déménager pour travailler ou faire des études – sont bloqués. Entre 12 % et 17 % des jeunes ont renoncé l’année dernière à la formation de leur choix parce qu’ils ne trouvaient pas de logement : est-ce normal ? Il faut activer tous les robinets du système pour que l’énergie circule à nouveau.

Vous avez raison, de nombreuses personnes ont espéré que la crise actuelle débouche sur une baisse généralisée des prix, mais celle-ci est impossible puisque l’offre de logements est insuffisante. L’année dernière, la diminution des prix a été très légère et cantonnée à des villes qui avaient connu de fortes augmentations les années précédentes ; en janvier 2024, le mouvement s’est déjà arrêté : rien de plus normal dans un marché où l’offre est si faible.

Une loi d’orientation serait évidemment utile, mais ceux qui nous gouvernent doivent reconnaître le besoin de logements : si on produit 193 000 logements et que le pouvoir estime que 200 000 suffisent, la situation est satisfaisante ! Le problème est qu’à ce rythme, les Français ne parviennent pas à se loger, et cette cible est donc tout à fait insuffisante : à la rentrée 2026-2027, nous aurons bien du plaisir ! Je pensais que les chiffres des PLH étaient plus bas que ceux que vous avez avancés, monsieur le président. Tout le monde doit tenir le même discours aux maires : ces derniers doivent délivrer des permis et nous devons les aider à créer des équipements – dans de grosses opérations, mon entreprise paie des montants élevés pour les projets urbains partenariaux (PUP), ce qui est normal car il faut construire des écoles, des crèches et d’autres équipements publics autour des logements. Il convient de s’accorder sur les objectifs et de soutenir les maires pour les atteindre.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Les conclusions du CNR peuvent apparaître frustrantes après six mois de réflexion. J’ai travaillé au ministère chargé du logement pendant vingt-huit ans : j’ai vu de nombreux gouvernements s’y succéder et de nombreuses lois être promulguées, sans que les bonnes solutions aient été apportées ; notre tâche consiste à les trouver. Vous avez affirmé qu’une loi de programmation pluriannuelle fixant des objectifs donnerait de la lisibilité : nous partageons ce constat, d’autant que les acteurs ont besoin de retrouver de la confiance. Près de 56 % des ménages possèdent leur logement, dont deux tiers n’ont plus d’emprunt en cours : l’idée n’est pas d’opposer les propriétaires aux locataires, mais de restaurer la confiance pour que ces personnes participent sans crainte à la résolution de la crise du logement dans notre pays : ce chemin est indispensable pour ne pas devoir se tourner vers l’acteur le plus endetté, à savoir l’État.

Les territoires sont différents comme leurs problèmes. Malheureusement, bien que les statistiques à notre disposition soient nombreuses, aucun chiffre ne nous donne une idée précise de ce que nous devrions mettre en place à l’échelle du territoire, alors qu’une grande ambition en matière de logement ne pourrait se concrétiser que par la prise en compte de cette hétérogénéité.

Il faut effectivement utiliser tous les leviers pour faciliter le parcours résidentiel. L’exemple des étudiants montre qu’avant de pouvoir se payer un logement, il faut le trouver. Je constate qu’à Rennes, par exemple, les listes d’attente sont tellement longues que beaucoup d’étudiants auront terminé leur scolarité avant même de pouvoir déposer leur dossier… alors que des étudiants français ayant fait le choix d’étudier à l’étranger trouvent, dans certains pays, un logement dans la journée.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se crispent à l’écoute de l’expression « Zéro artificialisation nette ». Certains territoires disposant de terrains constructibles prévoient de rémunérer leur aménagement grâce au foncier des habitants, alors qu’il arrive que le propriétaire d’un terrain ne revienne sur le territoire que pour signer l’acte chez le notaire. Il est donc souhaitable qu’une part de la plus-value revienne aux collectivités afin de leur permettre de construire des équipements, de mener des travaux de réhabilitation thermique ou d’adapter les logements au handicap ou aux seniors. Il serait dommage que les 125 000 hectares pouvant être artificialisés jusqu’en 2030 ne profitent pas aux territoires.

Afin de construire suffisamment de logements, il faut redonner confiance à ceux qui souhaitent investir, mais qui se tournent aujourd’hui vers des investissements bénéficiant d’une rentabilité plus élevée. Six mois après la conclusion des travaux du CNR, certaines questions devraient pouvoir être remises sur la table. Cette mission d’information rendra bientôt ses conclusions et il faut éviter qu’elles aboutissent aux mêmes frustrations que vous avez pu connaître. Cela doit être l’occasion de faire du logement une priorité, car il concerne le quotidien de chacun et il est bien difficile pour ceux qui sont mal logés, quels que soient leur âge et leur revenu, de se projeter.

Vous avez parlé de quatre ou cinq priorités. Quelles sont celles qui sont suffisamment mûres pour être consensuelles ?

M. Christophe Robert. La première des priorités est le foncier, y compris public : comment l’encadrer et à quoi doit-il être dédié ? La production et les maires doivent être soutenus, à un niveau qui reste à définir : un niveau trop bas n’est pas incitatif et un niveau trop haut serait un gâchis du budget de l’État. Nous avons conscience de ces difficultés.

La régulation des marchés est également une priorité. Elle doit concerner celui du foncier, mais aussi celui des locations touristiques. M. Bayou évoquait une proposition de loi en ce sens, qui est d’autant plus urgente que les plateformes de location empêchent le développement local – les responsables politiques, de droite comme de gauche, ont pu le constater en Bretagne ou au Pays basque. Le BRS est une piste intéressante.

Il faut trouver le bon niveau d’investissement et de contrepartie en matière de transition écologique. Le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre relevait, parmi les points positifs de l’action du Gouvernement, les moyens mis sur la table pour la rénovation thermique des logements, mais nous avons appris il y a quelques jours que le Gouvernement avait décidé de retirer 1 milliard, ce qui m’a beaucoup surpris. Peut-être ces efforts ne permettaient-ils pas d’atteindre le niveau de deux cent mille logements, mais il s’agit d’une dynamique de long terme : un cap doit être fixé afin que les acteurs se mettent en ordre de marche pour l’atteindre.

Enfin, une question sociale se pose. La baisse des APL a certes permis d’économiser quatre milliards d’euros, mais les dégâts sociaux qu’elle a entraînés – difficultés à se maintenir dans son logement ou à pouvoir être en mobilité – ont-ils été bien mesurés ? Il faut trouver les bons indicateurs. Aujourd’hui, des personnes qui, jusqu’à présent, n’éprouvaient pas de difficultés à se loger y sont confrontées, et nous ne sommes malheureusement qu’au début de cette triste histoire. Nous constatons ainsi la fragilisation de catégories comme celle des artisans ou celle des commerçants. La baisse des APL a été catastrophique, car elle a affaibli le bouclier social que constituent les APL qui sont, avec les minima sociaux, l’aide la plus efficace pour faire sortir les ménages de la pauvreté. Elle nuit également au plan « Logement d’abord », alors qu’il concrétise une bonne politique du logement visant à aller vers des solutions de logement durables et dignes plutôt que de payer des hébergements d’urgence, qui coûtent cher à la nation.

Mme Véronique Bédague. Il faut d’abord que l’État reprenne sa place et la représentation nationale a un vrai rôle à jouer, notamment en faisant remonter les besoins. J’espère que les déclarations d’Élisabeth Borne en juin dernier – qui disait vouloir prendre le problème à bras-le-corps – ou du Premier ministre qui a affirmé vouloir aller chercher les logements « avec les dents » dans sa déclaration de politique générale se traduiront par des effets concrets. Le rôle de l’État est d’identifier les besoins et de fixer une politique pour y répondre. Faute de but de guerre, comment espérer mobiliser tout le monde dans ce combat ?

Si le foncier devient un bien rare, il n’est pas possible de mener une politique de non-artificialisation sans densifier. C’est mathématique ! Il faut donc se pencher sur le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), sur la densité minimale et sur les permis de construire, car tout est lié.

Il faut encourager les investisseurs et les accédants à la propriété. Je me suis opposée au retrait du prêt à taux zéro (PTZ) sur le neuf dans les zones détendues, mais je reconnais que des efforts ont été faits, notamment par les banques. Nous allons d’ailleurs lancer une offre pour les primoaccédants.

Pour la location, en revanche, je regrette que les annonces d’Élisabeth Borne sur l’insertion de dispositions dans le projet de loi de finances pour 2024 n’aient pas été suivies d’effets. Le sujet serait tellement compliqué qu’il faudrait prendre le temps de réfléchir… alors que l’urgence est absolue.

Nous n’avons pas beaucoup parlé des sujets écologiques, mais ils font l’objet d’une partie entière du rapport.

M. le président Stéphane Peu. Quel est votre avis sur les prêts hypothécaires et sur les prêts in fine ? C’est un sujet controversé et certains craignent un effet subprime.

Le Gouvernement annonce un retour des investisseurs institutionnels. Cela fait longtemps qu’il est annoncé mais, personnellement, je n’y ai jamais cru. Est-ce selon vous une réalité, qui pourrait remplacer le dispositif Pinel, ou un fantasme ?

L’État doit pouvoir quantifier les besoins afin de fixer des objectifs. Quelle est la relation entre la quantité des différents types de logement à produire et la réalité sociale du peuple français ? Je n’ai rien contre le logement intermédiaire, mais quand on sait que le salaire médian dans notre pays est de deux mille euros, on voit qu’il ne répond qu’aux besoins d’un tout petit segment. Or on a l’impression que les logements intermédiaires sont aujourd’hui brandis comme la solution idoine à la crise du logement.

Mme Véronique Bédague. Je n’ai pas d’avis tranché sur les prêts hypothécaires ni sur les prêts in fine. Je ne saurais dire s’ils sont une vraie promesse pour les Français, mais si les prêts classiques se remettaient à fonctionner normalement, cela ne serait déjà pas mal. Avec les règles fixées par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), les banques ont dû demander un apport plus important. Nous avons ainsi constaté que cet apport était en moyenne de quarante mille euros l’année dernière, alors que les jeunes entrant dans la vie active avec un tel pécule ne sont pas si nombreux. Les banques sont en train d’essayer de remettre le système classique en marche, mais peut-être faudrait-il vérifier si les règles prudentielles fixées par le HCSF ne constituent pas un facteur de blocage. Elles ont en effet été fixées à un moment où les prêts se trouvaient à un très haut niveau, alors qu’ils ont depuis diminué de 40 %. Je ne comprends pas pourquoi ces règles sont maintenues.

L’achat immobilier des particuliers n’est pas uniquement motivé par le rendement, il peut l’être, par exemple, par le désir de transmettre. Les investisseurs institutionnels, en revanche, sont des « monstres froids » qui exigent un certain niveau de rendement. Répondre à leurs exigences aujourd’hui nous demanderait de consentir un abattement de 30 % sur la vente de notre production, ce que personne ne sait faire. Nous avons réalisé une étude détaillant ville par ville les taux de rendement demandés par les institutionnels, par les family offices et par les particuliers, et nous avons observé des disparités entre les villes. J’ajoute qu’une aide aux investisseurs institutionnels serait très coûteuse pour les finances publiques. Je constate que leur retour est, pour le moment, une chimère en raison de la hausse des taux d’intérêt. Nous serions ravis de pouvoir leur vendre notre production comme nous le faisions il y a deux ans, car ils achètent en bloc.

M. le président Stéphane Peu. Une aide massive aux primoaccédants permettrait-elle de débloquer la situation ?

Mme Véronique Bédague. J’ai passé dix ans à la direction du budget, où nous nous méfiions comme de la peste des « économies qui coûtent ». C’est le cas de celles qui ont été réalisées dans le domaine du logement avec la suppression du dispositif Pinel. À cela s’ajoute la baisse de la production, de 365 000 à 200 000 logements, qui provoque un effondrement de la TVA et des conséquences sur l’emploi.

Nous réalisons des logements intermédiaires, mais de façon marginale par rapport au social. Ils ont leur utilité, car ils permettent dans certaines zones de sortir du logement social, donc d’y augmenter la rotation.

M. Christophe Robert. Le logement intermédiaire répond à un besoin dans certains territoires, mais l’intervention de la puissance publique doit d’abord porter sur les besoins sociaux, qui sont majeurs, et ne doit donc pas avoir pour conséquence de concurrencer le logement social sur le foncier ou sur l’appareil de production. Il ne s’agit pas d’une question de spécialiste : il s’agit simplement d’identifier la demande Parmi les 2,6 millions de ménages demandeurs de logements sociaux, seuls 5 % d’entre eux relèvent du logement intermédiaire. Il ne faut donc pas modifier la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) dans le sens voulu par le Premier ministre.

Si on regarde plus en détail la réalité des ressources de ces 2,6 millions de ménages, on constate que les trois quarts sont éligibles au logement très social et ne sont donc pas concernés par le logement intermédiaire, ni par le prêt locatif social (PLS), ni même par le prêt locatif à usage social (Plus). Cela aurait pu être le cas si les plafonds des APL étaient encore les mêmes que les plafonds de loyer dans le logement social, mais ils sont déconnectés depuis une quinzaine d’années. Les mesures d’économies dans ce domaine ne remontent pas à seulement à 2017. C’est une question de responsabilité collective : les moyens de l’État – foncier public, défiscalisation, TVA avantageuse sur le PLAI ou sur le Plus – doivent être alloués en priorité aux besoins sociaux – je ne parle pas ici des plus pauvres et des mal-logés, qui nous tiennent particulièrement à cœur, mais des classes populaires et, éventuellement, des classes moyennes inférieures. Dans le débat sur la crise du logement, il y a tromperie sur la marchandise. Il faut d’abord objectiver les besoins afin d’identifier les catégories qui n’arrivent pas à se loger.

À l’issue des travaux du CNR, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de faire quelque chose, mais le bon équilibre demande réflexion. Il faut soutenir l’accession sociale, car la demande existe et favorise la sortie du logement social, mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faut, par exemple, éviter de favoriser l’achat de logements « pourris » qui deviendront les copropriétés dégradées de demain. Je me méfie du prêt hypothécaire, comme de toute solution de dernier recours visant à donner à des ménages n’en ayant pas la capacité l’accès à la propriété : on l’a fait avec les prêts à trente ans, qui ont conduit à l’achat de logements toujours plus petits ; concernant les prêts hypothécaires, on a vu les effets catastrophiques des conditions de rachat aux États-Unis et en Espagne avec la saisie de logements de millions de personnes. J’appelle donc à la vigilance, qui devra être plus ou moins grande selon l’acteur qui pilotera la démarche.

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.