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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mai 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur la souveraineté industrielle européenne,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Denis MASSÉGLIA et Mme Yaël MENACHE,
Députés
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La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, David AMIEL, Rodrigo ARENAS, MM. Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, M. Stéphane BUCHOU, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Thibaut FRANÇOIS, Grégoire DE FOURNAS, Mme Elsa FAUCILLON, M. Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, , Mmes Brigitte KLINKERT, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, MM. Christophe PLASSARD, Jean‑Pierre PONT, Richard RAMOS, Mme Sandra REGOL, MM. Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA, M. Jean-Marc ZULESI.
SOMMAIRE
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Pages
b. La concurrence internationale n’explique qu’une partie du phénomène de désindustrialisation
ii. Le deuxième facteur correspond à des effets de périmètre.
iii. Le troisième facteur est lié à l’ouverture au commerce international.
a. L’industrie pharmaceutique est apparue fragilisée par quarante années de délocalisations
b. La forte dépendance aux semi-conducteurs importés est apparue au grand jour
3. La cartographie des vulnérabilités européennes est inachevée
c. L’Union européenne privilégie une stratégie de réduction des risques (ou derisking)
B. L’EUROPE, ATTACHÉE AU CADRE MULTILATÉRAL, A INITIÉ SON AGGIORNAMENTO COMMERCIAL
B. LE PLAN INDUSTRIEL DU PACTE VERT POUR L’EUROPE, UNE INITIATIVE PROMETTEUSE, MAIS NON FINANCÉE
1. La proposition de règlement pour une industrie « zéro net » (NZIA)
c. La pertinence d’une véritable préférence européenne (Buy European Act) est débattue
2. La proposition de règlement sur les matières premières critiques (CRMA)
3. La plateforme « STEP », un fonds de souveraineté européen au rabais
a. Le contrôle des IDE est plus rigoureux en France que dans le reste de l’Union
a. Le contrôle des exportations de biens et technologies à double usage
b. Examiner l’opportunité de mettre au point un instrument ciblé sur les investissements sortants
i. l’extraterritorialité des lois américaines en matière de lutte contre la corruption.
ii. l'extraterritorialité des sanctions unilatérales américaines ().
II. POUR UN VÉRITABLE CHOC DE COMPÉTITIVITÉ EN FAVEUR DE L’INDUSTRIE EUROPÉENNE
b. Ces programmes restent néanmoins insuffisants selon les acteurs industriels
a. Réaliser des « tests de compétitivité » dans les analyses d’impact
b. Préciser l’approche « un ajout, un retrait »
B. UN NOUVEAU PACTE D’INVESTISSEMENT DANS LE CAPITAL HUMAIN
C. UN PRIX DE L’ÉNERGIE COMPÉTITIF, FAVORABLE À LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DE L’INDUSTRIE
A. L’INDUSTRIE EUROPÉENNE DU FUTUR, UNE AMBITION À RENOUVELER
1. Mieux articuler les exigences d’innovation industrielle et d’autonomie stratégique
RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs
Au travers de la déclaration de Versailles – adoptée par les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement le 11 mars 2022 – la notion de « souveraineté européenne » et le concept corollaire de « réduction des dépendances stratégiques » trouvaient une forme de reconnaissance au plus haut niveau.
Les tensions commerciales exacerbées depuis 2018 ([1]), les plans massifs de subventions en Chine ou aux États-Unis, la crise sanitaire et la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine, ont achevé de convaincre les États membres les plus réticents de l’impérieuse nécessité d’émanciper l’Union européenne de ses dépendances dans des secteurs stratégiques. Un consensus européen a progressivement émergé, autour d’une notion que la France a largement contribué à forger ([2]), même si l’Union européenne – fidèle à sa ligne traditionnelle d’ouverture commerciale, et désireuse d’apaiser les inquiétudes de certains États membres ([3]) – prend toujours soin de préciser que cette autonomie stratégique doit être entendue comme « ouverte ».
Désormais inscrit à l’agenda, le concept de « souveraineté économique » peut s’entendre comme « la capacité à définir librement ses politiques publiques – économique, énergétique, ou environnementale » ([4]). La notion d’« autonomie stratégique », que l’Union européenne lui préfère, correspond peu ou prou au concept français de souveraineté ([5]). Si les États membres conservent, en matière de politique industrielle, la compétence de principe ([6]), il revient aux institutions de l’Union d’assumer leur rôle pour faciliter et favoriser leurs initiatives.
La souveraineté économique se construit ainsi, tout à la fois, aux échelles française et européenne.
Si M. Denis Masséglia, co-rapporteur, soutient pleinement cet objectif d’une souveraineté industrielle européenne, Mme Yaël MENACHE, co‑rapporteure, souhaite apporter une nuance par rapport à ce concept qui est difficile à définir et qui s’inscrit difficilement dans le contexte juridique, géopolitique et économique actuel. Sans exclure un recours complémentaire aux mécanismes européens susceptibles de soutenir le développement de l’activité industrielle – le rapport fait à ce sujet de nombreuses propositions afin d’en améliorer l’efficacité -, la co-rapporteure est très attachée à ce que ces mécanismes soient respectueux du principe de subsidiarité.
Le 1er février 2023, répondant à une demande des États membres ([7]),
la Commission européenne présentait son « Plan industriel du Pacte vert ». Ses principaux piliers sont trois propositions législatives présentées le 14 mars 2023 ([8]).
Il s’agit premièrement de la proposition de règlement pour une industrie à zéro émission nette, qui vise à simplifier le cadre réglementaire pour la production de technologies stratégiques. Le deuxième pilier est la proposition de règlement visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques, dont l’objectif est de soutenir le développement sur le territoire européen d’un écosystème industriel dédié aux matières premières critiques. Enfin, la réforme du marché de l’électricité devait permettre de réduire l’incidence des prix de l’énergie sur les producteurs et les consommateurs.
Lors de son audition dans le cadre du rapport, le ministre chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, percevait plus globalement dans les initiatives européennes – telles que l’adoption d’un règlement anticoercition pour lutter contre le chantage économique, ou encore la facilitation de la mise en œuvre des projets importants d’intérêt européen commun – le signe d’une « véritable révolution copernicienne en matière de politique industrielle ».
Vos rapporteurs, qui s’accordent sur la nécessité de mettre en œuvre l’Agenda de Versailles pour fonder à plus long terme une véritable politique du Made in Europe, s’attacheront, au fil de ce rapport, à vérifier que les instruments déployés à l’échelle européenne permettent de sortir des « incantations » ([9]) pour faire de la « souveraineté industrielle » une réalité.
Au terme d’une vingtaine d’auditions avec des interlocuteurs de haut niveau à Paris et à Bruxelles, et à la lecture des contributions écrites adressées par divers acteurs – publics et privés – de l’écosystème européen, vos rapporteurs ont pu mesurer à quel point la montée des comportements commerciaux non-coopératifs ([10]) rendait impérieuse la constitution d’une véritable stratégie industrielle à l’échelle des États membres et de l’Union européenne.
Le présent rapport d’information s’articule autour d’un plan unique et d’une vingtaine de priorités communes, reflétant l’état d’esprit dans lequel les travaux ont été conduits. Afin de nourrir la réflexion sur les voies et moyens de construire la souveraineté industrielle, vos rapporteurs ont également souhaité consigner certaines de leurs analyses respectives, pour exprimer la nuance de leurs idées.
PREMIÈRE PARTIE : LE RENFORCEMENT DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE, UNE PRIORITÉ DÉSORMAIS PARTAGÉE DANS L’UNION POUR REMÉDIER À NOS DÉPENDANCES STRATÉGIQUES
I. L’EUROPE, SI ELLE BÉNÉFICIE DE SON INSERTION DANS LES CHAÎNES DE VALEUR MONDIALISÉES, EST SOUMISE À DES VULNÉRABILITÉS D’APPROVISIONNEMENT CRITIQUES
L’objectif de « souveraineté industrielle » ne correspond pas à une remise en cause sans nuance des bénéfices que l’Union européenne tire des échanges commerciaux.
A. L’INSERTION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE DANS LES CHAÎNES DE VALEUR MONDIALISÉES LUI CONFÈRE UN AVANTAGE CONCURRENTIEL IMPORTANT
1. L’industrie européenne bénéficie de gains d’efficacité liés au partage international de la production
Sous l’effet de la mondialisation de l’économie – et à un rythme accéléré depuis les années 1980 – l’industrie européenne ([11]) s’est pleinement intégrée dans les « chaînes de valeurs mondiales ». Les différentes étapes de la production, répartie entre divers pays, « trouvent leur logique dans une étroite complémentarité, l’enchaînement des fabrications intermédiaires et des transformations débouchant sur un produit fini » ([12]). La division internationale des processus productifs façonne ainsi les systèmes industriels et conduit les producteurs à rechercher, à chaque étape de la production, un avantage comparatif.
En raison de ces interdépendances croissantes, la part des produits importés dans la valeur ajoutée des exportations est elle-même en constante augmentation. Dans le cadre des auditions réalisées par vos rapporteurs, le cabinet du Commissaire européen Valdis Dombrovskis a notamment fait valoir que le commerce international contribuait à rendre l’industrie européenne plus compétitive en lui permettant d’accéder à des intrants à moindres coûts, ce d’autant que deux tiers des importations de l’Union étaient en réalité des biens intermédiaires, tels que des pièces destinées à l’assemblage. Ces intrants et produits semi-finis importés sont intégrés en quantités croissantes dans les biens destinés à l’export. En d’autres termes, les États européens dépendent de biens intermédiaires importés depuis l’étranger pour leur propre production industrielle (la production et l’exportation d’aéronefs par Airbus en sont une illustration pertinente, puisqu’elles dépendent en amont de l’importation de pièces issues de divers pays).
À titre d’exemple, la production industrielle française inclut directement 39 % d'intrants étrangers, dont plus de la moitié provient certes de pays de l’Union. La part d’intrants étrangers atteint même 45 % dans la production industrielle de l’Allemagne ([13]).
Part d’intrants étrangers
dans la production industrielle de pays de l’Union en 2019
Source : Direction générale du Trésor, décembre 2020
Cette solidarité organique mondialisée permet à l’industrie européenne de profiter d’importants gains d’efficacité, grâce à la logique de spécialisation des entreprises. Au niveau macroéconomique, les chaînes de valeurs mondiales offrent ainsi un avantage décisif pour la croissance en France et dans l’Union européenne. La spécialisation permet aux entreprises d’accéder à une offre d’intrants intermédiaires de meilleure qualité ou moins coûteux.
L’Union européenne profite également de son positionnement en tant que puissance exportatrice. Selon les chiffres cités par le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis, les exportations européennes soutiendraient aujourd’hui 38 millions d’emplois dans l’Union (dont environ 4 millions en France), soit 11 millions d’emplois de plus qu’en 2010, répartis dans les secteurs primaires, secondaire et tertiaire.
La concentration des pays fournisseurs et la généralisation de la production à flux tendu créent néanmoins des vulnérabilités. Un choc localisé ou mondial - d’ordre sanitaire, protectionniste, climatique ou encore informatique - est susceptible de rompre les chaînes d’approvisionnement. Si les bénéfices de l’ouverture réciproque des marchés sont globalement fondés économiquement, ce constat ne dispense pas d’une analyse des causes de la désindustrialisation dans l’Union, et tout particulièrement en France.
2. La désindustrialisation de l’économie, plus marquée en France que dans le reste de l’Union, ne peut être imputée à la seule mondialisation des échanges
a. La désindustrialisation des économies, observable dans l’ensemble de l’Union, a été particulièrement marquée en France
Si la désindustrialisation ([14]) est un phénomène structurel observable dans les différentes économies avancées, le déclin industriel est plus marqué en France que chez nos voisins européens. Malgré l’alerte lancée par le « rapport Gallois » ([15]) en 2012, et une prise de conscience traduite par le lancement d’initiatives telles que « Territoires d’industrie », la France n’occupe que la 24e place pour la part de la valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale, et la 22e place dans l’Union pour la part de l’emploi industriel dans l’emploi total. Le tissu industriel européen se situe désormais essentiellement au nord et à l’est de l’Union, tandis que les États du sud de l’Union – à l’instar de la Grèce, de Chypre et de Malte – sont largement désindustrialisés.
En 2017, une inflexion a certes été observée en France, avec la création nette d’emplois industriels en France, pour la première fois depuis le début des années 2000. Lors de son audition par vos rapporteurs, le ministre délégué chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, a affirmé que « plus de 90 000 emplois nets » avaient été créés dans l’industrie depuis 2017 en France. En outre, toujours selon le ministre, 834 nouvelles implantations industrielles sont recensées en France depuis 2019, dont plusieurs gigafactories dans de grands domaines stratégiques « tels que ACC ou Verkor pour les batteries, Symbio ou McPhy pour l’hydrogène, Carbon pour le photovoltaïque, et ST Micro-Global Foundries pour les semi‑conducteurs ».
Pour autant, l’industrie ne représentait que 10 % du total des emplois en 2018, contre 25 % en 1977. Sur la même période, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) français avait diminué de 25 % à 13,5 %, alors qu’elle s’établissait à cette date à 25,5 % du PIB en Allemagne, et à 19,5 % du PIB en Italie ([16]).
Évolution de la part de la valeur ajoutée industrielle
dans l’économie dans différents pays de l’OCDE (1991-2018)
Source : France Stratégie
Une analyse par secteur fait apparaître des dynamiques variées au sein de l’industrie française. Ainsi, l’effondrement des industries extractives (dont le rôle est pourtant crucial pour assurer un certain niveau d’indépendance) et de fabrication de textiles contraste avec la forte progression de la production dans les secteurs du matériel de transport (industries aéronautique et ferroviaire) et de l’agroalimentaire.
b. La concurrence internationale n’explique qu’une partie du phénomène de désindustrialisation
Le phénomène de désindustrialisation est sous-tendu par plusieurs facteurs ([17]), parmi lesquels les délocalisations induites par la concurrence de pays émergents aux standards sociaux et environnementaux très inférieurs ([18]). Néanmoins, la désindustrialisation doit aussi être analysée au regard de la progression du secteur des services. Ainsi, en France, entre 1980 à 2007, alors que la part de l’emploi industriel dans la population active diminuait de 10 points (passant de 22 % à 12 %), la part de l’emploi dans les services marchands augmentait parallèlement de 12 points (passant de 32 % à 44 %) ([19]).
Ainsi, les auditions de la Direction générale du Trésor et de l’économiste Xavier Jaravel par vos rapporteurs ont permis de confirmer que la désindustrialisation ne résultait que pour partie du choix d’ouverture au commerce international.
Les études économiques de l’INSEE ([20]) et de la Banque de France ([21]) mettent en avant trois grands déterminants structurels expliquant le phénomène de désindustrialisation :
i. Le premier facteur est lié, d’une part, au changement relatif des prix dans l’économie et, d’autre part, à la déformation de la demande.
Selon l’INSEE ce facteur structurel serait responsable d’environ 35 % de la diminution de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale entre 1980 et 2007.
L’industrie étant plus productive que la moyenne de l’économie, son prix relatif et sa part dans l’emploi total chutent. Entre 1975 et 2011, la productivité relative de l’industrie – stimulée par l’innovation – n’a eu de cesse d’augmenter pour rattraper celle des services. Ces gains de productivité entraînent mécaniquement une diminution du prix relatif des biens industriels et, partant, un recul de la part de l’industrie dans la consommation.
La demande tend, quant à elle, à s’adresser de manière croissante au secteur des services, à mesure du développement économique. L’économiste Xavier Jaravel a souligné cette tendance de long terme, liée à la modification des modes de consommation des ménages. Au cours des quarante dernières années, une baisse sensible de la part des biens manufacturés dans les dépenses de consommation des ménages est constatée, au profit des services.
La Banque de France évalue que les changements dans les modes de consommation des ménages ont contribué à hauteur de 39 % au recul de la part manufacturière dans le PIB ([22]) de la France entre 1975 et 2015. Dès lors, la variable liée à la structure de consommation est fondamentale pour apprécier les causes de la désindustrialisation en France.
ii. Le deuxième facteur correspond à des effets de périmètre.
Les entreprises industrielles externalisent en effet un nombre croissant de leurs activités auprès de prestataires de services, ce qui contribue à augmenter la part relative des services dans le PIB.
Ce facteur serait responsable selon l’INSEE de 10 % de la diminution de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale en France entre 1980 et 2007, ce que corrobore une étude plus récente du Conseil d'Analyse Économique ([23]).
iii. Le troisième facteur est lié à l’ouverture au commerce international.
L’ouverture au commerce international expliquerait environ 40 % de la diminution de la part de l’industrie en France sur la période étudiée par l’INSEE.
Néanmoins, cet impact doit lui-même être décomposé entre, d’une part, les conséquences de la stratégie des groupes français et, d’autre part, les effets de la concurrence internationale qui conduisent à la fermeture de sites français (et à des délocalisations que l’on pourrait qualifier de subies).
Une tendance élevée des groupes français à délocaliser leur production
La propension des groupes français à délocaliser leur production est sensiblement plus élevée que pour les groupes allemands. France Stratégie a montré que les entreprises industrielles françaises produisaient près de deux fois plus à l’étranger que les entreprises industrielles allemandes, en proportion de leur chiffre d’affaires ([24]). Dès lors, l’une des priorités de la politique nationale devrait consister à « réancrer aux territoires » les entreprises, non pas exclusivement pour leurs activités d’innovation et de siège, mais aussi pour leurs activités de production ([25]). Pour tirer pleinement parti des échanges internationaux, la France doit accentuer ses efforts pour renouer avec la compétitivité. Sur la période de 1998 à 2018, les entreprises industrielles françaises ont compressé leurs marges pour ne pas augmenter leurs prix face à la dégradation de la compétitivité-coût (liée, notamment, à une fiscalité sur les facteurs de production et à un coût du travail relativement élevés). Ces choix stratégiques ont limité l’investissement productif et la montée en gamme des entreprises françaises, qui proposent des produits de milieu de gamme peu « différenciants », davantage exposés à la concurrence par les prix. Le maintien d’un ancrage productif sur le territoire français est un enjeu crucial pour l’économie, eu égard aux effets d’entraînement et aux externalités positives liées à la production industrielle (dépenses de recherche et développement plus élevées, recettes fiscales et balance commerciale plus équilibrée ([26])). De ce point de vue, la suppression progressive de la Cotisation sur la Valeur ajoutée (CVAE) dans le cadre du Pacte productif constitue un bon signal, même si le Conseil d’analyse économique préconise ([27]) en priorité la suppression de la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui agit comme un « impôt sur les exportations » en raison d’une taxation en cascade des entreprises à toutes les phases de la production industrielle. |
La désindustrialisation ne résulte donc que pour partie de la mondialisation des chaînes de valeur et de la délocalisation des structures productives. La montée en puissance du secteur des services, soutenu par le progrès technique, explique pour près de la moitié de ce phénomène. L’évolution des modes de consommation des ménages – que le progrès technique et le glissement des préférences ont réorientée vers le secteur des services – joue également un rôle central. Enfin, l’évolution du commerce extérieur et la réorientation de l’investissement dans l’économie expliquent aussi en partie le phénomène de désindustrialisation.
B. LA CRISE SANITAIRE ET LA GUERRE EN UKRAINE, RÉVÉLATEURS DES INTERDÉPENDANCES MONDIALES ET DES FRAGILITÉS EUROPÉENNES
Dans son récent ouvrage Souveraineté industrielle ([28]), l’économiste Elie Cohen montre que les interdépendances et la spécialisation géographique produisent des gains, mais qu’elles créent aussi des vulnérabilités pour l’économie européenne.
L’enjeu central, révélé au grand jour par la crise sanitaire ([29]) puis exacerbé par la guerre d’agression russe en Ukraine, est d’assurer la maîtrise des chaînes de production.
1. L’industrie européenne n’en reste pas moins dépendante, en amont, des intrants externes, et, en aval, de la demande issue des pays tiers
L’industrie européenne doit s’approvisionner en intrants, dont la production est souvent localisée hors de l’Union européenne, l’exposant aux chocs exogènes. Le groupe d’experts pour la programmation des ressources minérales de la transition énergétique souligne, dans un rapport publié en juillet 2023, que cet enjeu est exacerbé par la double transition écologique et numérique : l’industrie extractive européenne est en déprise, alors que la demande en métaux rares augmente fortement.
La vulnérabilité de l’approvisionnement français serait proche de la moyenne européenne, selon les principales études comparatives qui étudient le pourcentage d’intrants industriels étrangers importés ([30]).
Le Conseil d’analyse économique ([31]) conclut ainsi à la vulnérabilité modérée de l’approvisionnement français. Sur 9 334 produits étudiés importés en France, 644 produits – soit environ 7 % – seraient vulnérables, car majoritairement produits hors de l’Union et concentrés dans un faible nombre de pays fournisseurs. C’est le cas de certains équipements médicaux, tels que les appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM). Sur ces 644 produits vulnérables, 122 présentent une vulnérabilité renforcée, car leur approvisionnement est majoritairement issu de pays non membres de l’Union et qu’il est en outre concentré à plus de 70 % sur un unique pays producteur ou qu’il transite à plus de 90 % par une seule entreprise importatrice. Ces produits à la vulnérabilité renforcée sont très concentrés dans le secteur de la chimie, à l’instar des importations de principes actifs des médicaments.
Répartition des 122 produits à vulnérabilité renforcée en France
Source : Conseil d’analyse économique (CAE).
Une étude de la Direction générale du Trésor ([32]) aboutit à des résultats comparables, et dresse le constat d’une vulnérabilité globalement limitée de l’approvisionnement en France. Ainsi, 121 des 4927 produits étudiés (soit 2,5 %), dépendraient d’un nombre de fournisseurs restreints. Pour 12 de ces intrants (soit 0,2 %), l’approvisionnement serait particulièrement vulnérable, le principal producteur assurant plus des deux tiers de la production mondiale. On pourra citer par exemple les lampes LED, dont l’usage est répandu dans de nombreux secteurs industriels ([33]).
Dans un rapport relatif à la souveraineté économique de la France ([34]), le Sénat dressait néanmoins un constat beaucoup plus pessimiste, en notant par exemple que les semi-conducteurs ([35]) n’étaient pas considérés comme des intrants vulnérables, alors même que les goulets d’étranglement créés par la crise sanitaire avaient révélé la forte dépendance mondiale à Taïwan, qui assure 65 % des capacités mondiales de fonderie des semi-conducteurs. Les données des études comparatives reposent généralement sur des hypothèses de flux commerciaux « normaux », sous-estimant les risques de tension logistique ou commerciale et de conflit armé ([36]).
L’Union européenne, qui reste vulnérable aux chocs exogènes, doit renforcer sa résilience, en diversifiant ses sources d’approvisionnement. Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Xavier Jaravel, économiste, a présenté des statistiques du commerce extérieur de la direction générale des douanes et droits indirects, remontant à 2017 mais dont les enseignements restent d’actualité. À partir de ces données ([37]), Mme Isabelle Méjean et M. Xavier Jaravel ont identifié des produits importés en France pouvant être qualifiés de « vulnérables ». Ceux-ci sont très divers, qu’il s’agisse par exemple de moteurs à piston et de calculatrices électroniques, de pèse-personnes, ou encore de certaines matières premières critiques (à l’instar de la houille à coke et des condensats de gaz naturel).
L’industrie européenne est également dépendante, en aval, de la demande étrangère de produits intermédiaires et de produits finis. Les difficultés du modèle exportateur de l’Allemagne – liées notamment à la baisse de la demande mondiale – ont montré qu’une économie exportatrice compétitive pouvait être mise en difficulté en cas de choc de demande négatif résultant de tensions commerciales et d’un contexte géopolitique dégradé.
La souveraineté numérique de l’Union, mise à mal par les délocalisations Ainsi que l’a souligné Mme Asma Mhalla ([38]), spécialiste des enjeux politiques du numérique à SciencesPo et à Polytechnique, lors de son audition par vos rapporteurs, l’arsenalisation des interdépendances touche notamment le secteur des industries high-tech. Si l’Union européenne s’est saisie des enjeux normatifs – au travers par exemple de la récente directive « NIS2 » ([39]) – le diagnostic des dépendances stratégiques ne doit pas se limiter à la « couche numérique ». Un effort est indispensable sur les volets capacitaires et opérationnels pour les trois couches technologiques du cyberespace que sont :
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2. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont révélé l’équilibre précaire entre efficacité économique et résilience géopolitique
La crise sanitaire a agi comme un révélateur, conduisant à la révision de la stratégie industrielle européenne ([40]) et à l’établissement d’une nouvelle stratégie pharmaceutique ([41]).
a. L’industrie pharmaceutique est apparue fragilisée par quarante années de délocalisations
La crise sanitaire a cruellement mis en lumière les risques liés à la délocalisation de l’industrie pharmaceutique. Selon l’Agence européenne des médicaments (EMA), en 2017, près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne provenaient de pays tiers. La part des médicaments produits sur le territoire français ne dépasse quant à elle pas le tiers, au terme de quarante années marquées par les délocalisations et la recherche d’une plus grande rentabilité ([42]).
De ce point de vue, la création ([43])de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) constitue une avancée, car son mandat vise à remédier aux vulnérabilités et aux dépendances stratégiques. Dotée d’un budget annuel d’environ un milliard d’euros, l’HERA peut déployer des mesures de soutien à l’innovation ou à la production ([44]). À cette fin, cette autorité devrait tenir à jour une liste des productions dont le caractère vital pour les populations européennes justifierait une intervention publique ([45]).
Autrefois premier producteur industriel pharmaceutique en Europe, la France n’occupe plus que la cinquième place ([46]). Deux des quatre principaux producteurs du continent (Suisse et Royaume-Uni) ne sont de surcroît pas membres de l’Union. Les chaînes de valeur du médicament, très vulnérables, engendrent une forte dépendance : environ 80 % des principes actifs des médicaments passés dans le domaine public sont produits en Inde et en Chine ([47]). La diversification étant un facteur clef pour assurer la résilience, la relocalisation dans l’Union européenne de la production constitue une priorité de souveraineté.
b. La forte dépendance aux semi-conducteurs importés est apparue au grand jour
Au cours de la crise sanitaire, l’industrie européenne a été confrontée à une pénurie de puces électroniques, nécessaires à la fabrication de nombreux produits technologiques.
En réponse, le règlement sur l’établissement d’un cadre de mesures pour renforcer l’écosystème européen des semi-conducteurs (dit European Chips Act), entré en vigueur le 21 septembre 2023, préfigure une politique industrielle européenne de nature à renforcer l’autonomie stratégique. Le développement de nouvelles capacités de production dans l’Union européenne doit permettre d’atteindre un objectif de production fixé à 20 % de part de marché en 2030 (alors que celle-ci s’établit aujourd’hui autour de 8 à 10 %). À cette fin, le budget de l’Union européenne doit abonder à hauteur de 3,3 milliards d’euros un partenariat public-privé (dont le montant global s’élève à 43 milliards d’euros). Un soutien est prévu pour les projets productifs d’installations « pionnières ».
Si les autorités françaises défendaient une conception plus extensive de la définition des installations « pionnières » éligibles à un soutien, le modèle du European Chips Act pourrait être reproduit pour d’autres filières industrielles, afin de décliner des objectifs de production et limiter les risques de rupture des chaînes d’approvisionnement.
3. La cartographie des vulnérabilités européennes est inachevée
L’établissement de la stratégie industrielle de l’Union européenne dépend d’une revue rigoureuse des dépendances du continent, et de l’estimation précise des besoins dans les secteurs stratégiques. Comme le relevait M. Simone Tagliapietra, économiste au centre de réflexion Bruegel, un préalable à la réduction des dépendances de l’Union réside dans la réalisation d’un état des lieux des dépendances asymétriques existantes, afin de savoir comment celles-ci pourraient être instrumentalisées à notre encontre. En d’autres termes, la cartographie complète des dépendances critiques en intrants industriels entre la France et l’Union européenne reste à établir.
La définition harmonisée des critères d’identification des vulnérabilités est un élément clef pour promouvoir des politiques au service d’une véritable autonomie stratégique. Cet enjeu a notamment été soulevé par M. Xavier Jaravel lors de son audition par vos rapporteurs. La coordination et les échanges de bonnes pratiques entre États membres peuvent faciliter l’établissement d’une méthodologie commune de l’évaluation des dépendances stratégiques des États membres.
À l’échelle nationale – en dépit des efforts menés depuis la prise de conscience liée à la crise sanitaire – l’identification des dépendances et des vulnérabilités en matière d’intrants industriels reste « embryonnaire » ([48]). Afin d’établir clairement les priorités en matière de sécurisation et d’approvisionnement industriel, les filières industrielles devraient être associées plus étroitement à cet effort, par le biais du Conseil national de l’industrie (CNI) et des Comités stratégiques de filière (CSF). Le rapport d’information du Sénat sur la souveraineté économique de la France préconisait aussi de dédier un budget spécifique à cet effort de cartographie, dans le cadre de la mission budgétaire « Économie » mise en œuvre par la Direction générale des entreprises (DGE) ([49]).
À l’échelle de l’Union, la Commission européenne collecte depuis janvier 2022 des données relatives aux flux d’exports intraeuropéens. En outre, elle procède désormais à une analyse régulière des dépendances critiques de l’Union, au travers d’inventaires des secteurs stratégiques. Ainsi, l’inventaire mené en 2021 ([50]) avait permis de passer en revue 5 200 produits importés : l’Union européenne était considérée comme très dépendante pour 137 d’entre eux ([51]), tandis que 34 produits étaient identifiés comme « potentiellement vulnérables » en raison du rôle prépondérant d’un ou de deux États tiers dans leurs exportations vers l’Union. Les écosystèmes les plus directement concernés étaient ceux de l’énergie intensive pour les matières premières, et de la santé pour les produits transformés.
Parmi les pistes d’amélioration, les expositions indirectes liées aux goulets d’étranglement à l’importation devraient être évaluées, pour appréhender la dépendance à des entreprises ou à des sites spécialisés tels que les ports d’Anvers et de Rotterdam.
II. L’EUROPE S’ADAPTE DIFFICILEMENT À L’INTENSIFICATION DE LA COMPÉTITION ÉCONOMIQUE ENTRE GRANDES PUISSANCES
Ainsi que le soutient Christian Harbulot, que vos rapporteurs ont auditionné, « l’Europe ne peut pas rester herbivore dans un monde de carnivores ». Dès lors, l’Union européenne doit adapter sa stratégie afin de ne pas subir les conséquences des stratégies commerciales non coopératives, sans pour autant céder aux sirènes d’un protectionnisme désordonné.
A. NÉOPROTECTIONNISME ET VOLONTARISME INDUSTRIEL : L’EUROPE FACE À LA RÉSURGENCE DES PRATIQUES DÉLOYALES
L’Union européenne ne doit pas alimenter les tensions commerciales – dont les conséquences délétères sont bien établies ([52]) –, mais doit toutefois adapter sa politique industrielle aux stratégies de puissance de ses partenaires et rivaux commerciaux.
1. Le protectionnisme désordonné, une « fausse bonne idée » mise en œuvre par nos partenaires et rivaux internationaux
Si le libre-échange peut s’accommoder d’une dose calibrée de protectionnisme ([53]), les risques d’un « protectionnisme désordonné » sont néanmoins largement documentés.
a. L’Inflation Reduction Act, un pari économique aux conséquences néanmoins concrètes pour l’industrie européenne
Aux États-Unis, la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, ou « IRA ») consacre 369 milliards de dollars sur dix ans à des mesures de soutien à la politique industrielle verte américaine. Loin de se limiter à la seule réduction de l’inflation, l’IRA vise donc avant tout à protéger les industries américaines pour gagner en compétitivité et stimuler la croissance suivant une logique expansionniste keynésienne. L’objectif est de soutenir l’offre et la demande de technologies vertes produites sur le territoire américain, au travers de clauses de contenu local ([54]). Cette discrimination des produits étrangers sur le fondement de leur nationalité est contraire aux règles de l’OMC. Des subventions peuvent être accordées dans les trois secteurs clefs que sont les véhicules électriques, l’investissement dans les technologies durables ([55]) et l’énergie neutre en carbone ([56]).
Ce plan s’inscrit dans une stratégie plus globale d’investissements massifs visant à relocaliser la production industrielle sur le sol américain (avec l’adoption du Bipartisan Infrastructure Deal ([57]) en 2021 et du Chips and Science Act ([58]) en 2022). S’il est encore trop tôt pour évaluer pleinement les conséquences de l’IRA, la Commission européenne constatait toutefois dans un rapport ([59]) publié le 24 octobre 2023 une « nette accélération des investissements dans la clean tech américaine » ([60]), tout particulièrement dans « les industries des batteries du solaire et de l’éolien ». L’ampleur des montants mobilisés et leur composante discriminatoire créent des distorsions de concurrence, résultant en un différentiel de compétitivité pouvant être défavorable à l’industrie européenne. L’entreprise Volkswagen a par exemple suspendu un projet d’usine de batteries en Europe de l’Est pour développer sa production aux États-Unis ([61]).
L’IRA n’en reste pas moins un pari risqué pour les États-Unis ([62]). En freinant l’accès au marché national de certains produits importés, et en réduisant ainsi la pression concurrentielle, divers désavantages pourraient survenir :
- les entreprises américaines pourraient ne pas répercuter les baisses de coûts sur le prix de vente de leurs produits, au détriment des consommateurs ;
- les dépenses de recherche et développement (R&D) pourraient diminuer en raison de la diminution de la pression concurrentielle ;
- le processus de relocalisation induit par l’IRA – dont l’ampleur doit d’ailleurs être nuancée ([63]) - peut accroître la résilience de l’approvisionnement, mais risque aussi de renchérir le coût des biens, entrant en contradiction avec l’objectif de rendre les technologies vertes accessibles à tous.
En outre, le risque de représailles commerciales est important : en réaction à l’IRA ([64]), la Chine a déjà pris des mesures de rétorsion, en décidant de soumettre à un visa d’exportation les productions de gallium et de germanium ([65]). Vos rapporteurs insistent ainsi sur l’impérieuse nécessité de se prémunir face à la montée des risques liés à « l’arsenalisation des dépendances stratégiques » ([66]), dans un contexte de moins en moins coopératif. Toutefois, la mise en place d’une stratégie de réciprocité (au travers, par exemple, de clauses miroirs dans le cadre des futurs accords de libre-échange négociés ([67]), et de mesures miroirs s’imposant à tous les partenaires commerciaux) apparaît légitime, voire nécessaire pour préserver les intérêts nationaux et européens ([68]).
b. La Chine aspire à devenir la grande puissance industrielle des nouvelles technologies au travers de son plan Made in China 2025
La Chine – pays le plus protectionniste vis-à-vis de l’Union européenne ([69]), –mène une politique économique offensive à des fins de puissance. L’action des autorités chinoises conduit ainsi à une double distorsion :
- d’une part, les entreprises chinoises sont massivement subventionnées par l’État, qui accorde des subventions cachées à ses entreprises (à l’instar de rentes de monopoles), afin de leur permettre de pratiquer des prix bas à l’export et de gagner des parts de marché, au détriment du consommateur chinois et des entreprises européennes. Ces aides d’État sont versées dans des secteurs clefs tels que les véhicules électriques, permettant aux entreprises chinoises de proposer des prix artificiellement bas, face auxquels la production européenne ne peut rivaliser ([70]);
- d’autre part, les marchés publics chinois sont relativement peu ouverts à la concurrence internationale et les investissements étrangers sont contrôlés. Les entreprises étrangères implantées en Chine subissent un traitement défavorable en raison d’une réglementation nationale opaque. Par exemple, à l’occasion de la crise sanitaire, les mesures sanitaires et phytosanitaires ont constitué des barrières non tarifaires complexifiant l’importation de produits laitiers français ([71]). Enfin, un filtrage des investissements directs étrangers est pratiqué, restreignant (voire interdisant) l’accès à certains secteurs stratégiques tels que l’industrie minière et l’éducation ([72]).
Le plan décennal Made in China 2025, déployé depuis 2015, vise à faire de la Chine la grande puissance industrielle pionnière des nouvelles technologies. Cette stratégie identifie 10 secteurs prioritaires, tels que la robotique et les équipements médicaux, pour lesquels sont fixés – en contradiction avec les règles de l’OMC – des objectifs d’autosuffisance en composants et matériels produits sur le sol chinois (pour atteindre de l’ordre de 70 % de production locale en 2025 dans certains secteurs).
L’état de mise en œuvre du plan Made in China 2025 est toutefois difficile à mesurer, les autorités chinoises étant confrontées à plusieurs obstacles, parmi lesquels la création de surcapacités du fait des subventions massives, l’insuffisance de la recherche fondamentale, et les difficultés dans la déclinaison territoriale du fait de concurrences entre certaines autorités régionales et locales.
c. L’Union européenne privilégie une stratégie de réduction des risques (ou derisking)
L’Union n’a pas intérêt à rompre avec sa politique de promotion du libre-échange. Ainsi que le rappelle l’économiste André Sapir ([73]), l’Union européenne est plus dépendante du commerce international que les États-Unis, et sa puissance commerciale lui confère une influence certaine (soft power) dans les relations extérieures. L’Union européenne privilégie une stratégie de derisking (réduction des risques, notamment par la diversification de l’approvisionnement) plutôt qu’une stratégie offensive. Son action est aussi limitée, à certains égards, par la peur de représailles ([74]). L’Union compte essentiellement sur le dynamisme des marchés concurrentiels et sur une économie ouverte favorisant la compétitivité des entreprises, incitées à réduire leurs prix et à innover pour gagner des parts de marché.
Pour autant, l’application d’un principe de réciprocité dans les relations commerciales – qui n’entrerait pas en contradiction avec le droit de l’OMC – permettrait de sortir d’une forme de naïveté ([75]) dont les conséquences sont délétères pour le secteur industriel. Ainsi, Christian Harbulot juge-t-il nécessaire pour l’Union européenne de développer une stratégie économique volontariste, fondée non seulement sur la résilience, mais aussi sur la puissance et la souveraineté européenne, qu’il définit comme une réduction de la dépendance afin de ne pas se voir imposer des contraintes par des pays tiers.
L’Inspection générale des Finances (IGF), dans un rapport relatif à la politique de concurrence européenne publié en 2019, soulignait ainsi la légitimité pour l’Union européenne de se préoccuper de ses intérêts stratégiques et de « se doter de leviers pour négocier dans un monde de moins en moins coopératif » ([76]). L’Union a intérêt à articuler les règles commerciales de l’OMC avec les impératifs de transition écologique et de résilience, comme elle cherche à le faire au travers du futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
2. L’instrumentalisation des dépendances stratégiques à des fins politiques : l’Europe face aux limites du « doux commerce »
L’Union européenne ne peut pas négliger ses propres intérêts, alors que sa politique commerciale « ouverte » l’a rendue vulnérable aux stratégies agressives de certains de ses rivaux et partenaires. Les pays du G7 partagent ces inquiétudes et ont affirmé leur volonté, à l’occasion du sommet d’Hiroshima de mai 2023, de lutter contre la « militarisation des dépendances économiques ».
La Chine, en particulier, utilise le marché à des fins de puissance et exploite les réseaux d’interdépendance créés par la mondialisation ([77]).
La Chine et l’arsenalisation des dépendances stratégiques La Chine dispose de leviers pour contraindre les entreprises étrangères à suivre sa volonté, sans passer – comme dans le cas des États-Unis, v. supra, II.C. – par l’intermédiaire de lois extraterritoriales ([78]). Cette situation entrave la capacité de l’Union et de ses États membres à promouvoir leurs objectifs de politique étrangère. L’application récente de cette stratégie contre l’Australie en est une bonne illustration : le boycott de nombreux produits a en effet été imposé en réponse à la demande d’une investigation indépendante sur le début de l’épidémie de Covid à Wuhan. En 2021, la Lituanie a également subi des mesures de restrictions commerciales après avoir annoncé l’amélioration de ses relations commerciales avec Taïwan. Les entreprises lituaniennes ont notamment fait part de difficultés à renouveler ou à conclure des contrats avec des entreprises chinoises, ou encore de problèmes avec l’administration des douanes chinoises. Pour lutter contre ce chantage en matière économique, un nouveau règlement – dit « instrument anticoercitif » – a été adopté en octobre 2023, après avoir recueilli une très large majorité de 578 voix au Parlement européen ([79]). Son objectif prioritaire est de dissuader les pays tiers ciblant l’Union européenne ou ses États membres. En dernier ressort, l’adoption de contre-mesures peut être décidée à la majorité qualifiée par les États membres ([80]), sans dépendre de la procédure d’arbitrage, lente et peu fiable, de l’OMC. Pour contrer les tentatives de chantage, l’Union pourra par exemple décider de l’augmenter des droits de douane, de restrictions des IDE entrants ou de l’accès aux marchés publics. |
Un protectionnisme calibré, respectueux des marges de manœuvre offertes par le droit de l’OMC, est nécessaire pour répondre aux stratégies agressives pouvant fragiliser l’industrie européenne. Le commissaire européen au commerce Valdis Dombrovskis, dont vos rapporteurs ont auditionné les équipes, défend ainsi le principe d’une concurrence économique « équitable » ([81]).
B. L’EUROPE, ATTACHÉE AU CADRE MULTILATÉRAL, A INITIÉ SON AGGIORNAMENTO COMMERCIAL
1. L’Union demeure attachée au cadre commercial multilatéral, malgré le blocage persistant et inquiétant de l’OMC
L’Union européenne est traditionnellement favorable au libre-échange, du fait des bénéfices qu’elle retire de son exposition aux flux commerciaux (cf. supra, I/.A.) : la défense du multilatéralisme reste donc la solution économique optimale pour l’Europe ([82]). Tout en évitant une course mondiale aux subventions - dont les effets seraient délétères - l’Union doit néanmoins recourir plus systématiquement aux mesures « anti-dumping » dans les secteurs où son industrie souffre des pratiques déloyales des États tiers.
La France a joué un rôle moteur pour promouvoir le concept d’autonomie stratégique, malgré les réticences de certains États du nord de l’Union aux économies très ouvertes. L’Union lui a certes préféré la notion « d’autonomie stratégique ouverte », qui n’en reste pas moins une avancée. Dans le cadre de son audition par vos rapporteurs, le ministre délégué à l’Industrie, Monsieur Roland Lescure, indiquait ainsi que « les États membres de tradition libérale opér [aient] une mue par rapport à leurs positions libre-échangistes passées. Ces pays tiennent certes à souligner le caractère ‘’ouvert’’ de l’autonomie stratégique, craignant que le concept d’autonomie soit un prétexte pour un agenda promouvant l’autarcie. ».
À moyen terme, eu égard au blocage persistant ([83]) de l’OMC, il est impératif de consolider la défense des intérêts européens, ce qui peut passer par la mise en œuvre de la stratégie dite du « Made in Europe » défendue par la France au Conseil de l’Union européenne.
Vos rapporteurs estiment qu’une plainte contre les États-Unis déposée devant l’OMC serait contre-productive à plusieurs égards. Si les chances de succès d’une action de l’Union sont réelles en première instance ([84]), un appel des États-Unis empêcherait la résolution du différend en raison du blocage de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC.
Dès lors, la poursuite des négociations entre l’Union et les États-Unis dans le cadre de la Task Force sur l’IRA (créée en octobre 2022) apparaît plus pertinente. Comme le soulignait à vos rapporteurs le cabinet du Commissaire européen Valdis Dombrovskis, ces négociations ont déjà permis d’aboutir à des « solutions pragmatiques » pour limiter les répercussions négatives de l’IRA. L’Union européenne a obtenu des concessions, à l’instar de l’exonération d’impôt pour les véhicules mis sur le marché en leasing, y compris lorsqu’ils sont assemblés dans les pays tiers. Lors de leur rencontre le 10 mars 2023, la Présidente de la Commission européenne et le Président des États-Unis ont lancé un « dialogue sur les incitations au développement des énergies propres » (ou Clean Energy Incentives Dialogue) a été initié dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies (CCT), afin de mieux coordonner les investissements respectifs dans l’industrie verte et approfondir le partage d’informations sur les risques liés à la chaîne d’approvisionnement en matières premières critiques.
Recommandation n°1 : Nourrir activement le « dialogue sur les incitations au développement des énergies propres » récemment créé dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies, pour contribuer à l’assainissement de la compétition transatlantique. |
Face à l’enlisement des négociations sur le projet d’accord commercial global entre l’Union européenne et les États-Unis (TTIP), des accords de libre‑échange sectoriels permettraient néanmoins à certains produits européens d’entrer dans le champ de l’IRA. En effet, le département du Trésor américain a fixé des critères permettant d’amender la liste des pays tiers couverts par un accord de libre-échange au sens de l’IRA. Les minéraux critiques extraits ou raffinés dans l’Union pourraient, par exemple, être éligibles au crédit d’impôt « véhicules propres » en cas de conclusion d’un accord sur les minéraux critiques entre l’Union européenne et les États-Unis. C’est ainsi que le Japon a été intégré à cette liste le 28 mars 2023, à la suite d’un tel accord.
2. L’Union s’est dotée d’instruments commerciaux utiles pour rétablir un semblant de level playing field international
L’Union européenne s’est dotée d’instruments visant à assurer une réciprocité dans les marchés publics, la protection du marché intérieur contre les asymétries d’accès au financement, et les pratiques commerciales déloyales soutenues par les États tiers. Il convient néanmoins d’utiliser ces outils de façon moins pusillanime : l’Union européenne recourt presque cinq fois moins que les États-Unis aux instruments de défense commerciale.
L’Union européenne ne reste certes pas inactive, puisque 184 mesures de défense commerciale sont actuellement en vigueur, qui protégeraient ainsi quelque 500 000 emplois dans l’Union ([85]). Deux tiers de ces dispositions portent sur des importations en provenance de Chine, et concernent aussi des intrants tels que l’acier et l’aluminium.
En juin 2022, le règlement relatif à un nouvel instrument de réciprocité dans les marchés publics internationaux (IPI), issu d’une proposition de 2012, longtemps bloquée au Conseil, a finalement été adopté après un accord en trilogue obtenu sous la Présidence française de l’Union européenne (PFUE). L’objectif de cet instrument est d’appliquer le même degré d’ouverture des marchés publics européens aux entreprises de pays tiers que celui qu’appliquent ces pays aux entreprises européennes ([86]). L’instrument doit donc servir de levier pour faire pression sur les pays non partie à l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC ([87]), et dont les marchés publics demeurent fermés. L’IPI ne couvre cependant que les marchés publics à partir des seuils de 15 millions d’euros pour les travaux et les concessions, et de 5 millions d’euros pour les biens et les services (soit, au total, 15 % des marchés publics en nombre et 70 % des marchés publics en valeur).
Recommandation n° 2 : Étudier, à moyen terme, l’opportunité d’un abaissement du seuil des marchés entrant dans le champ d’application du nouvel instrument de réciprocité dans les marchés publics internationaux (IPI), sachant que l’instrument ne couvre aujourd’hui que 15 % des marchés publics en nombre. |
Dans le cadre de l’IPI, la Commission européenne sera, seule, juge de la violation des conditions de concurrence équitable par les États tiers. Elle pourra, après une phase de dialogue, appliquer une pénalité renchérissant les réponses aux appels d’offres issues de pays tiers dont les marchés publics ne sont pas ouverts. En dernier ressort, des restrictions d’accès, voire l’exclusion des marchés publics européens, pourront également être décidées. Selon une logique décentralisée, il pourrait être envisagé de permettre aux États membres de prendre des mesures de rétorsion, sous réserve de notification à la Commission européenne.
Recommandation n° 3 : Autoriser les États membres à prendre des mesures de rétorsion dans le cadre de l’IPI, sous réserve de notification à la Commission. |
Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), prévu dans le cadre du paquet « Ajustement à l’objectif 55 % », sera pleinement opérationnel en 2034 ([88]).
Les objectifs du MACF sont louables, puisqu’il vise à assurer une équité dans les relations commerciales internationales et à concilier les objectifs de développement durable et de développement industriel. Lors de son audition par vos rapporteurs, le ministre délégué à l’Industrie, M. Roland Lescure, considérait ainsi que le MACF était une « excellente idée [pour] assurer une juste compétition pour les producteurs européens sans fermer les frontières ».
Au 1er octobre 2023, le MACF est entré en vigueur dans sa phase transitoire. À l’issue de celle-ci, à compter du 1er janvier 2026, les importateurs de marchandises extra-européennes seront tenus d’acheter auprès des autorités nationales des certificats « MACF », dont le prix sera indexé sur celui du CO2 sur les cours du système d’échange des quotas d’émissions carbone (SEQE-UE).
Vos rapporteurs attirent l’attention sur les risques liés à la suppression concomitante des quotas d’émission gratuits prévus dans le cadre du « marché carbone » (SEQE-UE), qui bénéficient aujourd’hui aux entreprises les plus fortement exposées aux risques de délocalisation de la production. Sur la base d’un scénario où les quotas deviendraient totalement payants, au prix de 100 euros par tonne de CO2, et où les émissions seraient identiques à celles constatées en 2019, le think tank de La Fabrique de l’Industrie estime que 28 000 emplois industriels seraient menacés en France en cas de suppression des quotas d’émissions gratuits.
De plus, vos rapporteurs soulignent les risques de « fuites de carbone » si – comme le prévoit en l’état le règlement – le MACF ne s’applique pas aux produits finis et ne couvre que les importations.
D’une part, le MACF ne couvrirait que les entrées sur le marché intérieur et ne préserverait donc pas la compétitivité au grand export des industriels européens. Aucun mécanisme de compensation pour l’achat des quotas n’est prévu en l’état. Une piste, certes complexe, pourrait consister à mettre en place un système de rabais sur les exportations, afin de rembourser le prix du CO2 dépensé par les industriels européens.
D’autre part, et surtout, un périmètre minimaliste a été retenu pour limiter les risques de contentieux devant l’OMC, en excluant du champ d’application les produits finis et semi-finis, ce qui a pour conséquence regrettable de « taxer le contenu carbone des consommations intermédiaires tout en exemptant le contenu carbone des produits finaux » ([89]). Concrètement, l’acier et l’aluminium produits hors de l’Union seront par exemple taxés à la frontière, alors qu’un produit fini ou semi‑fini, pourtant produit lui-même à base d’acier ou d’aluminium transformé hors de l’Union, échappera au MACF.
La tarification carbone des biens intermédiaires reviendrait donc à taxer les étapes de la production des biens finaux des industriels européens, les incitant à acheter des produits usinés à l’extérieur de l’Union plutôt qu’à les assembler sur le territoire européen.
Eu égard aux risques de report des fuites de carbone vers l’aval des chaînes de valeur, mettant à mal aussi bien la compétitivité de l’industrie européenne que les objectifs de réduction des émissions globales de gaz à effet de serre, une évaluation plus complète du dispositif est nécessaire.
Recommandation n° 4 : Pour ne pas pénaliser les entreprises industrielles produisant dans l’Union européenne, vos rapporteurs appellent à : - étudier l’opportunité d’une extension, d’ici à 2026, du MACF à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone ; - reporter à 2033 l’extinction des quotas gratuits, tant qu’une évaluation des effets du MACF n’aura pas été rendue ([90]). |
III. LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE : UNE PRISE DE CONSCIENCE BIENVENUE, DE PREMIÈRES INITIATIVES À CONFIRMER
L’Union a historiquement privilégié la politique de concurrence face à la politique industrielle, afin de préserver l’intégrité du marché intérieur, au détriment d’une véritable politique industrielle ([91]). Considérant que « l’Union ne devrait pas être naïve face aux menaces qui pèsent sur la concurrence et le commerce équitables », la Commission européenne a annoncé, le 10 mars 2020 ([92]), une « nouvelle politique industrielle », sensiblement plus ambitieuse et reposant sur le concept d’une « double transition » écologique et numérique.
A. LE RÉÉQUILIBRAGE ENTRE DROIT DE LA CONCURRENCE ET POLITIQUE INDUSTRIELLE, UNE DYNAMIQUE À CONFORTER
Le diagnostic est connu : l’Union européenne a longtemps privilégié l’intégration de son marché intérieur (droit de la concurrence et prohibition des aides d’État) à la constitution de grands groupes industriels de dimension mondiale. Toutefois, l’évolution du contexte international a conduit l’Union à prendre conscience de la nécessité de défendre ses intérêts stratégiques.
1. L’absence d’une véritable politique industrielle a nui aux intérêts économiques et stratégiques de long terme de l’Union
Les ambitions industrielles européennes ont pâti d’une politique de concurrence ne tenant pas suffisamment compte de l’environnement international et de sa dynamique stratégique ([93]). Le refus de la fusion entre Alstom et Siemens constitue de ce point de vue un exemple édifiant. Ce d’autant que, en août 2019, quelques mois seulement après la décision regrettable de la Commission européenne, l’entreprise ferroviaire CRRC – abondamment subventionnée par la Chine – rachetait le groupe allemand Vossloh.
Dans le cadre du contrôle des concentrations, la Commission analyse l’évolution future du marché raisonnablement prévisible avec un horizon temporel de l’ordre de deux à trois ans.
Recommandation n°5 : Inviter la Commission européenne à clarifier sa doctrine en matière de concurrence potentielle future, et à : - allonger l’horizon temporel de leurs analyses de marché, afin de mieux prendre en compte l’entrée sur le marché d’un concurrent potentiel ; - tenir compte du fait que les concurrents potentiels peuvent bénéficier de subventions publiques déloyales. |
À cette fin, les lignes directrices prises en application du règlement 139/2004 relatives au contrôle des concentrations devraient être modifiées, pour supprimer la référence au délai pour prendre en compte l’entrée sur un marché d’un éventuel concurrent.
Comme le rappelait l’IGF dans son rapport ([94]) relatif au droit de la concurrence européenne, le contrôle des concentrations est appliqué plus rigoureusement dans l’Union européenne que dans les États tiers. Si le nombre total des rejets des opérations de fusion reste somme toute limité ([95]), la Commission ([96]) tend à assortir ses autorisations de fusions à des engagements structurels irréversibles, conduisant trop souvent à la cession d’actifs stratégiques à des concurrents extra-européens.
Les remèdes comportementaux ([97]), offrant davantage de souplesse en cas d’évolution du contexte concurrentiel, devraient ainsi être privilégiés à la cession d’actifs ([98]). Le recours accru aux remèdes comportementaux permettrait ainsi d’aligner la pratique européenne sur celle de ses partenaires et rivaux économiques : selon l’IGF, sur l’ensemble des cas approuvés sous conditions en 2017 et 2018, moins de 20 % avaient fait l’objet d’engagements comportementaux dans l’Union, contre 80 % en Chine sur la même période.
Enfin, l’article 173 du TFUE, qui constitue aujourd’hui la base juridique des initiatives de politique industrielle de l’Union, pose explicitement la subordination de la politique industrielle au droit de la concurrence et aux règles du marché intérieur. La mention au paragraphe 1 de l’article 173 du TFUE de l’objectif d’autonomie stratégique de l’Union européenne, à côté de l’objectif de « compétitivité de l’industrie », pourrait constituer un objectif pertinent à moyen terme.
Recommandation n° 6 : Envisager, dans le cadre d’une future révision des traités, la mention au paragraphe 1 de l’article 173 du TFUE de l’objectif d’autonomie stratégique de l’Union européenne, Mme Yaël Menache souhaitant que cet objectif soit formulé « sous réserve de la souveraineté nationale » |
2. Un rééquilibrage encourageant, principalement sous la forme de l’assouplissement des règles en matière d’aides d’État
Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui permettent aux États membres de subventionner certains projets industriels par dérogation aux règles encadrant les aides d’État, sont un outil au service de la souveraineté industrielle européenne.
Les PIIEC procèdent d’un cadre dérogatoire et relèvent d’un régime juridique complexe. Aux termes du paragraphe 3 de l’article 107 du TFUE, « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur (…) les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ». Si l’instrument du PIIEC était prévu dès le Traité de Rome de 1957, celui-ci n’était pas utilisable avant que la Commission n’en définisse le régime d’application par une communication de 2014 ([99]), qui a été révisée en 2021.
Les critères d’éligibilité et la définition Pour être considéré comme un « projet important d’intérêt européen commun », le projet doit répondre à trois conditions générales : - constituer un projet, ce qui signifie que l’aide ne soutient pas directement entreprise, mais un projet précis « dont les modalités d’exécution, y compris ses participants et son financement, sont clairement définies » ([101]), que ce projet soit simple ou intégré ([102]) ; - avoir une certaine importance, pour des raisons quantitatives (taille du projet) ou qualitatives (risques technologiques ou financiers) ; - présenter un « intérêt européen commun », c’est-à-dire une utilité publique qui ait par nature une dimension européenne. Le pouvoir d’appréciation de la Commission européenne est particulièrement décisif sur la qualification « d’intérêt européen commun ». La communication de 2014 – révisée en 2021 – établit ainsi plusieurs critères cumulatifs : - le projet doit contribuer de manière concrète à un objectif de l’Union ; - il doit associer au moins deux États membres (ce nombre a été revu à quatre dans le cadre de la révision de 2021) ; - il doit entraîner des externalités positives (effets de réseau, effets d’offre et de demande…) au-delà des entreprises concernées par le projet ; - ces externalités positives doivent profiter à l’ensemble de l’Union européenne ; - enfin, le projet doit avoir un caractère innovant ([103]). |
Cinq PIIEC ont été validés par la Commission européenne depuis la création du dispositif en 2014 ([104]). La dernière révision du règlement général d’exemption par catégorie (RGEC), soutenue par la France, a eu lieu en mars 2023 et a permis de faciliter la mise en œuvre des PIIEC en relevant les seuils de notification et l’intensité maximale admise des aides.
Au cours des auditions menées par vos rapporteurs, l’enjeu de simplification de la mise en œuvre des PIIEC a en effet été soulevé à plusieurs reprises. Des marges d’amélioration concernent la lenteur des procédures de notifications par les États membres et d’instruction par la Commission. À titre d’exemple, les délais observés entre la pré-notification des dossiers des entreprises et la décision d’autorisation des deux PIIEC sur l’hydrogène se sont élevés respectivement à 9 mois (Hy2Tech) et 1 an (Hy2Use), ce qui est manifestement incompatible avec l’accélération du temps des affaires.
Comme le rappelait le ministre chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, lors de son audition par vos rapporteurs, la France est mobilisée pour faire aboutir deux nouveaux PIIEC relatifs au cloud et aux industries de santé ([105]). Ces deux thématiques constituent des enjeux essentiels pour l’autonomie industrielle et stratégique de l’Union européenne. La commission d’enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments concluait par exemple que l’outil le plus à même de concrétiser la stratégie européenne de relocalisation de la production de médicaments résidait dans le projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) Santé ([106]). Enfin, la pertinence d’un PIIEC dans le domaine des matières premières stratégiques et critiques doit également être soutenue.
Recommandation n°7 : Plaider pour la réduction des délais d’instruction des PIIEC par la Commission européenne, afin de permettre notamment la mise en œuvre rapide des quatre PIIEC en cours de discussion. |
B. LE PLAN INDUSTRIEL DU PACTE VERT POUR L’EUROPE, UNE INITIATIVE PROMETTEUSE, MAIS NON FINANCÉE
Pour renforcer l’autonomie stratégique de l’Union, et améliorer la compétitivité du secteur industriel ([107]), la Commission européenne a présenté le 16 mars 2023 deux propositions de règlement relatives, d’une part, aux matières premières critiques (« CRMA ») et, d’autre part, aux technologies dites « zéro net » (NZIA).
Ces deux propositions, piliers du volet industriel du « Pacte vert », définissent des objectifs de production sur le sol européen à horizon 2030 pour sécuriser, en amont et en aval, les chaînes de valeur des technologies vertes. Les trilogues ont permis d’atteindre un accord sur ces deux textes qui sont en cours d’adoption définitive par l’Union européenne.
1. La proposition de règlement pour une industrie « zéro net » (NZIA)
La proposition de règlement pour une industrie « zéro net » ([108]) (NZIA) vise à développer la production européenne de technologies propres stratégiques nécessaires à la transition énergétique de l’Union. Un objectif de production des technologies propres d’au moins 40 % des besoins annuels de l’Union est fixé d’ici à 2030.
Les projets industriels de production de ces technologies bénéficieront de l’accélération de la délivrance des autorisations pour les projets industriels, d’un accompagnement des pouvoirs publics ou encore d’un accès facilité aux financements. Cette proposition, qui constitue une réponse au cadre fixé par l’Inflation Reduction Act aux États-Unis ([109]), doit permettre à l’Union européenne de faire émerger et attirer les projets industriels nécessaires à la transition écologique.
Le règlement NZIA vise in fine à réduire les dépendances stratégiques de l’Union européenne sur le volet énergie, conformément aux engagements pris par les dirigeants européens à l’occasion du Sommet de Versailles de mars 2022.
Deux points ont particulièrement retenu l’attention de vos rapporteurs, l’un sur la composition de la liste des technologies considérées comme stratégiques (article 3), l’autre sur les enjeux d’inclusion des critères de durabilité et de résilience dans les marchés publics (articles 19 et 20).
a. Les technologies nucléaires devraient, en vertu du principe de neutralité énergétique, être intégrées dans la liste des technologies stratégiques
La proposition initiale de la Commission européenne couvrait onze technologies, qui procèdent de deux régimes distincts plus ou moins avantageux (d’une part, les technologies net-zéro et, d’autre part, les technologies « stratégiques » net zéro). Seules huit technologies, listées en annexe de la proposition ([110]), étaient considérées comme des technologies « stratégiques » net-zéro et pouvaient, à ce titre, bénéficier de l’ensemble des dispositions du règlement, et singulièrement de la réduction des délais d’octroi de permis, de l’éligibilité aux critères de soutenabilité et de résilience, ainsi que de l’accès à la plateforme de coordination des financements.
La distinction entre technologies net-zéro et technologies
Les technologies énumérées dans l’annexe sont retenues sur la base de trois critères principaux : - le niveau de maturité technologique ; - la contribution à la décarbonation et à la compétitivité ; - les risques pour la sécurité d’approvisionnement.
Selon la proposition de la Commission, onze technologies « innovantes » (listées à l’article 3) et huit technologies « stratégiques » (énumérées dans les annexes) bénéficieraient d’une réduction des délais d’autorisation, de l’éligibilité aux critères de soutenabilité et de l’accès à la plateforme de financement.
Les autorités françaises soutiennent l’ajout de l’ensemble des technologies nucléaires, ainsi que de certaines technologies prometteuses (liées à la production d’hydrogène ([111]), ainsi que notamment, aux carburants durables maritimes et d’aviation et à l’hydroélectricité) à la liste des technologies considérées comme stratégiques. Ces technologies sont en effet de nature à contribuer à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050.
En tout état de cause, les deux listes devraient être mises à jour a minima tous les trois ans, pour tenir compte des évolutions technologiques. |
La proposition initiale de la Commission n’incluait pas la fission nucléaire dans la liste des technologies éligibles. Seules certaines technologies nucléaires (citées à l’article 3) étaient partiellement couvertes par le texte proposé par la Commission. Il s’agit des petits réacteurs modulaires (SMR) et des réacteurs de quatrième génération, qui bénéficieraient de certains avantages, tels que des guichets uniques, et de procédures simplifiées pour l’évaluation de l’impact environnemental, et de sandboxes (cadre réglementaire adapté aux innovations). Mais ces technologies nucléaires n’étaient pas listées dans les technologies « stratégiques » annexées à la proposition, et n’étaient pas couvertes par le chapitre sur l’accès au marché, permettant la coordination des sources de financement. En l’état, elles ne pourraient donc pas constituer des projets d’intérêt public supérieur.
Une telle proposition n’était pas acceptable. Les technologies nucléaires sont des technologies « stratégiques », puisque matures ([112]) et décarbonées. Conformément à l’article 194 du TFUE, chaque État membre est libre de choisir la « structure générale de son approvisionnement énergétique ». Par conséquent, et dans le respect des objectifs de décarbonation du paquet « Ajustement à l’objectif 55 », les États membres peuvent choisir leur mix énergétique. L’inclusion des technologies nucléaires permettrait d’envisager le relèvement de l’ambition globale de couverture des capacités européennes de production « zéro net », et serait donc placée au service d’une plus grande ambition écologique.
Au cours des négociations au Conseil, la France – soutenue par au moins neuf autres États membres ([113]) – a donc appelé à ajouter toutes les technologies nucléaires dans la liste des technologies visées par le règlement NZIA.
Contrairement à la proposition initiale de la Commission européenne présentée en mars 2023, l’accord obtenu en trilogue inclut toute la filière nucléaire dans la liste des technologies stratégiques. Il s’agit là d’une victoire importante pour la France et pour tous les pays qui incluent le nucléaire dans leur mix énergétique pour assurer leur approvisionnement en électricité décarbonée. La liste inclut aussi le captage et le stockage de CO2.
Vos rapporteurs appellent à confirmer cet accord de sorte que l’énergie nucléaire soit incluse dans la liste des technologies stratégiques, dans le respect du principe de neutralité énergétique et dans un souci de crédibilité.
Recommandation n° 8 : Permettre à l’ensemble des technologies nucléaires de bénéficier des avantages ouverts par le règlement NZIA, conformément au principe de neutralité technologique, et étant entendu que ces technologies permettraient à l’Union d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. |
L’objectif indicatif des capacités de production européennes à l’horizon 2030 est défini pour l’ensemble des technologies jugées stratégiques. Cet objectif global de répondre à 40 % des besoins annuels de déploiement de l’Union en matière de climat et d’énergie peut apparaître trop vague pour inciter efficacement les investisseurs. Vos rapporteurs soulignent que l’objectif de production pourrait être détaillé par secteur et par technologie, puisque les niveaux actuels et leurs perspectives d’évolutions sont très différents.
Recommandation n° 9 : Détailler l’objectif global de production des technologies « zéro net » par secteur et par technologie, afin d’offrir un horizon plus précis aux opérateurs. |
b. Si des critères de durabilité et de résilience sont prévus dans le cadre du NZIA, les règles de la commande publique pourraient être adaptées dans un sens encore plus ambitieux
Le règlement NZIA doit permettre aux pouvoirs adjudicateurs de pondérer plus significativement la contribution des critères de durabilité environnementale et de résilience, dans le cadre des marchés publics relatifs aux nouvelles installations industrielles.
Une telle approche – défendue activement par la France dans le cadre de la stratégie dite du « Made in Europe » – est conforme aux principes de non-discrimination et de libre accès à la commande publique, tout en permettant d’ouvrir prioritairement les marchés publics aux entreprises se conformant pleinement aux normes européennes. Ces critères qualitatifs de résilience et de durabilité constitueraient une avancée afin d’adapter la commande publique européenne aux enjeux de la politique industrielle.
Vos rapporteurs estiment néanmoins que le règlement devrait permettre de sélectionner un opérateur avec un différentiel maximal des coûts de 30 % (plutôt que les 10 % proposés). M. Simone Tagliapietra, économiste au centre de réflexion Bruegel, a indiqué à vos rapporteurs, lors de son audition, qu’un différentiel maximal des coûts de 10 % s’apparenterait davantage à un « effet d’annonce », puisque les produits européens sont généralement plus chers d’au moins 20 % par rapport aux produits chinois. Les différences de prix peuvent même atteindre jusqu’à 200 % sur l’énergie solaire.
Recommandation n° 10 : Porter le seuil du différentiel maximal des coûts permettant de sélectionner un opérateur européen de 10 à 30 %. |
À terme, de manière plus ambitieuse, l’introduction d’une clause de durabilité et de résilience pourrait être envisagée au travers de la modification de l’article 67 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, afin d’assurer la prise en compte systématique des critères environnementaux et sociaux.
En pratique, les adjudicateurs sont aujourd’hui incités à choisir l’offre sur la seule base du prix. Plus précisément, aux termes de l’article 67 de la directive 2014/24 UE, « les pouvoirs adjudicateurs se fondent, pour attribuer les marchés publics, sur l’offre économiquement la plus avantageuse ». La directive permet certes de prendre en compte d’autres critères, en particulier le cycle de vie (soit la durabilité) et le rapport qualité/prix (qui comprend lui-même des « aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux liés à l’objet du marché public »). Toutefois, ces « critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée au pouvoir adjudicateur ». L’appel d’offres doit dès lors préciser les critères choisis et leur pondération, ce qui conduit les adjudicateurs à privilégier la seule base du prix, du fait de la simplicité et de l’objectivité de ce critère.
Une modification de la directive 2014/24 UE pourrait prévoir, dans le cadre de l’attribution des marchés publics, l’inclusion systématique d’une « clause environnementale » ([114]), ainsi que d’une « clause de résilience », liée à la sécurité des approvisionnements.
Recommandation n° 11 : Envisager à terme, dans le cadre de l’attribution des marchés publics, l’introduction systématique d’une clause de durabilité et de résilience, au travers de la modification de l’article 67 de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. |
c. La pertinence d’une véritable préférence européenne (Buy European Act) est débattue
Le règlement sur une industrie « zéro émission nette » retient un critère de sécurité de l’approvisionnement dans l’attribution des marchés publics, mesuré à l’aune de la concentration de l’approvisionnement dans un pays (dans un souci de diversification) et non pas de la proportion de produits originaires de pays tiers. Le cabinet du Commissaire européen Valdis Dombrovskis estime que l’introduction d’un Buy European Act – qui relèverait de ce second critère et imposerait des règles différenciées en fonction du « contenu local », ne « serait pas compatible avec les engagements commerciaux bilatéraux et de l’accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC » et « exposerait [l’Union européenne] à des mesures de rétorsion de la part de ses partenaires commerciaux ».
Si vos rapporteurs ont pleinement conscience des difficultés liées aux clauses de « contenu local », ils constatent néanmoins que certains États signataires de l’AMP – au premier rang desquels les États-Unis – mettent eux-mêmes en œuvre des mesures pénalisant les offres des entreprises de l’Union européenne, en contradiction avec le droit de l’OMC.
Le Buy American Act aux États-Unis En mars 2022, les États-Unis ont actualisé les règles de commande publique au niveau fédéral dans un tel sens protectionniste en prévoyant l’augmentation progressive, dans le Buy American Act, des exigences de « contenu national », de 55 % aujourd’hui à 75 % en 2029, avec une première hausse à 60 % dès octobre 2022 et une cible intermédiaire de 65 % en 2024. En d’autres termes, afin qu’un produit bénéficie d’une priorité dans le cadre de la commande publique, un produit devra comporter 75 % de composants américains en 2029 pour être considéré comme « fabriqué aux États-Unis », contre 55 % aujourd’hui. De plus, une offre américaine pourra être préférée jusqu’à un surcoût de 20 % par rapport à une offre concurrente étrangère, alors que la préférence ne pouvait s’appliquer auparavant que jusqu’à un surcoût de 6 %. |
La solution étudiée pourrait consister en ce que le mécanisme préférentiel prévu par la directive de 2015 sur les concessions pour les opérateurs de réseau de plusieurs secteurs soit repris pour les marchés publics relatifs à des technologies stratégiques, afin que les offres contenant plus de 50 % de produits originaires de pays tiers n'ayant pas conclu avec l’Union un accord d’égal accès aux marchés publics ne soient pas retenues en cas de différentiel des coûts inférieur à 10 % ([115]). Ainsi, les signataires de l’AMP seraient explicitement écartés de l’application de telles dispositions.
La pertinence économique d’un Buy European Act est certes débattue. Ainsi, M. Simone Tagliapietra a-t-il estimé lors de son audition par vos rapporteurs qu’une telle disposition risquait d’alimenter les tensions protectionnistes, ce qui irait in fine à l’encontre des intérêts européens et de l’objectif de souveraineté industrielle.
En somme, le débat en cours à l’échelle européenne sur la proposition d’un Buy European Act ne pourra pas faire l’économie d’une étude minutieuse de la conformité de cette proposition au regard du droit de l’OMC, ainsi que des effets économiques et des répercussions sur le commerce international pouvant en découler.
2. La proposition de règlement sur les matières premières critiques (CRMA)
Dans La Guerre des métaux rares ([116]), Guillaume Pitron alerte sur les nouveaux risques de dépendance aux métaux rares, exacerbés dans le contexte de double transition écologique et numérique. La souveraineté industrielle et l’autonomie stratégique européennes dépendent, en amont, du bon approvisionnement en matières premières « critiques », essentielles au développement des nouvelles chaînes de valeur vertes ([117]).
La proposition de règlement sur les matières premières critiques ([118]) (dite « CRMA ») vise à permettre à l’Union de sécuriser ses approvisionnements en fixant une liste de matériaux nécessaires à la transition écologique, énergétique et numérique, et à diversifier les importations pour réduire sa dépendance aux pays tiers. Au travers du CRMA, la Commission européenne propose ainsi de développer dans l’Union toute la chaîne de valeur des métaux et de la métallurgie.
a. La mise à jour régulière (ou dynamique) de la liste des matières premières stratégiques aura une importance fondamentale
Le CRMA comprendra deux listes annexées et mises à jour à intervalle régulier, consacrées d’une part aux matières premières stratégiques et, d’autre part, aux matières premières critiques. La Commission européenne proposait ainsi de considérer 16 matières premières comme stratégiques, et 34 d’entre elles comme critiques, sur le fondement d’une évaluation de leur importance économique et des risques associés à leur approvisionnement.
L’Initiative Matières Premières Le CRMA approfondit les actions menées dans le cadre de l’Initiative Matières Premières, lancée en 2008. Ainsi, tous les trois ans depuis 2011, la Commission met à jour une liste des matières premières critiques pour l’économie européenne. En outre, des informations plus complètes sont disponibles dans le système d’information sur les matières premières de l’Union européenne ([119]), accessible en ligne. Le nombre des matières premières identifiées comme critiques est passé de 14 en 2011 à 30 en 2020, ce qui témoigne du fait que les technologies de la transition énergétique et du numérique dépendent de ces matières premières. Le CRM Act actualise ainsi la liste préexistante des matières premières critiques, et crée une nouvelle liste de matières premières stratégiques. |
La liste des matières premières stratégiques (annexe I du règlement CRMA) doit inclure :
- les matières premières qui revêtent une importance élevée, compte tenu de leur utilisation dans les technologies stratégiques qui sous-tendent les transitions écologique et numérique ou dans certaines applications du domaine spatial ou de la défense ;
- les matières pour lesquelles on peut s'attendre à un écart notable entre l’offre mondiale et la demande ;
- les matières dont la production peut assez difficilement être augmentée, en raison, par exemple, des longs délais de mise en route des nouveaux projets destinés à accroître les capacités d’approvisionnement.
La liste des matières premières critiques (annexe II du règlement CRMA) est plus large et comprend – outre les matières premières stratégiques – toutes les autres matières premières qui revêtent une importance majeure pour l’ensemble de l'économie de l’Union et pour lesquelles il existe un risque élevé de rupture d’approvisionnement.
La liste des matières premières stratégiques et critiques ([120])
Dans la version initiale de la proposition de règlement, la Commission a listé 16 matières premières stratégiques, et 34 matières premières critiques. Le Parlement européen et le Conseil ont ajouté l’aluminium à cette liste. Le Conseil a également ajouté l’alumine. Cet ajout s’explique par l’usage crucial de ces matières dans les technologies bas carbone, l’industrie de défense et dans toutes les filières industrielles stratégiques de l’Union. Vos rapporteures soutiennent ainsi l’ajout de l’aluminium et de l’alumine dans la liste des matières premières critiques.
b. Les objectifs globaux du texte en matière de transformation et de recyclage devraient être revalorisés
À l’horizon 2030, selon la proposition initiale de la Commission, l’Union devrait extraire 10 % de sa consommation de matières premières stratégiques, en transformer 40 % et en recycler 15 %.
L’objectif d’extraction de la proposition initiale, fixé à 10 %, apparaît suffisamment ambitieux. La production extractive actuelle de l’Union n’excède en effet pas 3 % de ses besoins.
En revanche, la France a défendu lors des négociations au Conseil le rehaussement des objectifs de transformation et de recyclage des matières premières critiques.
Le Parlement européen s’est prononcé pour :
- rehausser l’objectif de transformation de 40 à 50 % à horizon 2030 ;
- fixer un objectif de recyclage de la production supérieur de 10 % en volume « par rapport à la base de référence pour la période 2020-2022 » pour chaque matière stratégique.
Concernant l’objectif de transformation, l’orientation du Conseil a également retenu un taux rehaussé de 40 à 50 %, en ajoutant – contrairement au Parlement européen ([121]) – que cet objectif devrait être réalisé exclusivement sur le sol européen. Selon vos rapporteurs, cette précision permettrait de répondre plus efficacement à l’objectif de souveraineté de l’Union.
En ce qui concerne l’objectif de recyclage, le Conseil s’est prononcé pour un objectif global – sans doute plus efficace ([122]) – porté de 15 à 20 %. Lors des négociations au Conseil, la France a néanmoins appelé à la vigilance car, si les objectifs seront relativement faciles à atteindre pour certaines des matières premières, ils le seront de manière bien moins aisée pour d’autres – en particulier pour le lithium dont la demande sera en forte croissance d’ici 2030, rendant difficilement atteignable l’obligation de recyclage. Il aurait donc été sans doute encore plus pertinent d’affiner l’approche en différenciant les objectifs selon les différentes matières premières.
Vos rapporteurs saluent les cibles ambitieuses – mais non moins crédibles – de transformation et de recyclage proposées par les colégislateurs européens.
Plus généralement, le respect des obligations de recyclage et de transformation dépendra aussi de la cohérence des législations prises à l’échelle européenne, et d’un effort coordonné en la matière ([123]).
Recommandations n° 12 : - Revoir les objectifs de transformation des matières premières à 50 %, et les objectifs de recyclage des matières premières stratégiques à 20 % à horizon 2030. - Prévoir, dans le cadre du rapport d’évaluation du règlement, des cibles à horizon 2040 et 2050, afin d’offrir davantage de visibilité aux entreprises, et affiner à cette occasion les objectifs pour chaque matière première. |
c. L’ajout de certains matériaux stratégiques dans les listes pourrait être envisagé à court ou moyen terme
Lors des négociations au Conseil, les autorités françaises ont plaidé pour l’ajout à la liste des matières premières stratégiques de l’aluminium et de l’alumine, qui figurent effectivement au sein de l’orientation générale adoptée par les États membres.
La dépendance européenne vis-à-vis des alumines et de l’aluminium russes Conséquence de la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine, 60 % de la production européenne d’aluminium primaire et la moitié de la production d’alumines métallurgiques ont été interrompues. Ces deux matières sont hautement stratégiques au regard de leur usage crucial dans les technologies bas carbone, l’industrie de défense et les filières industrielles stratégiques de l’Union |
La France ([124]) a également demandé, à juste titre, l’inclusion du graphite synthétique dans le champ des listes du CRMA. La consultation d’un échantillon de rapports de spécialistes dans le cadre de cette mission en confirme effectivement la dimension stratégique (voir tableau figurant en annexe n° 3). De récentes annonces du ministère du Commerce chinois relatives à la limitation des exportations de graphite nécessaires pour les batteries électriques sont venues renforcer la pertinence de cette requête. En réponse, la Commission européenne a fait savoir qu’elle collectait des données sur le graphite synthétique, à la lumière de ces restrictions.
Eu égard aux enjeux stratégiques qu’emporte le secteur de l’industrie spatiale pour la défense et l’autonomie stratégique de l’Union européenne, certaines matières clefs du secteur, telles que le xénon ou des polymères particuliers, pourraient également figurer sur la liste des matières critiques ([125]).
Une mise à jour dynamique de la liste des matières premières stratégiques et critiques sera essentielle. Si la Commission européenne avait retenu dans la version initiale de la proposition de règlement une mise à jour tous les quatre ans des listes des matières premières, l’orientation générale du Conseil demande une mise à jour au moins tous les trois ans. Le Parlement européen plaide pour une actualisation tous les deux ans, ce qui constitue la position la plus adaptée pour soutenir les filières industrielles stratégiques. En effet, comme le rappelait le groupe d’expert sur la programmation des ressources minérales en juillet 2023, « l’hypothèse d’une apparition de nouvelles applications à forte valeur ajoutée pour les métaux technologiques n’est pas à exclure » ([126]), et suppose une forte capacité d’adaptation pour ne pas pénaliser les industries européennes.
Recommandation n° 13 : Assurer une mise à jour bisannuelle de la liste des matières premières critiques et stratégiques du CRM Act, prévoir à court terme l’ajout du graphite synthétique. |
d. L’autonomie stratégique de l’Union passe par la relance des programmes d’exploration, en utilisant des technologies respectueuses de l’environnement
Ainsi que le rappelait la Commission européenne dans une récente communication ([127]), « une meilleure exploitation du potentiel intérieur de l’Europe constitue un facteur essentiel pour que l’Union européenne devienne plus résiliente et se dote d’une autonomie stratégique ouverte ». En dépit d’un réel potentiel, en effet, les projets miniers restent trop peu nombreux au sein de l’Union. Ceci s’explique, notamment, par un manque d’investissement dans l’exploration et l’exploitation minière, ainsi que par le manque d’homogénéité et de cohérence des procédures nationales d’autorisation.
Partant de ce constat, les États membres seront tenus, dans le cadre du CRMA, de mettre en place des programmes nationaux d’exploration de leurs sous-sols pour être mieux informés sur le potentiel extractif de ceux-ci. Ainsi, l’article 18 de la proposition de règlement CRMA a trait au déploiement de programmes nationaux d’exploration.
Le dernier rapport du groupe d’expert français pour la programmation des ressources minérales de la transition énergétique s’inscrit dans la droite ligne de cet objectif, en qualifiant l’exploitation minière de « nécessité », et en appelant à en faire « une réalité (…) à l’horizon 2050 » ([128]). Les représentants de la Critical raw materials alliance, que vos rapporteurs ont rencontrés lors de leur déplacement à Bruxelles, ont appelé à une « sensibilisation accrue des opinions publiques sur les techniques d’exploitation minière durables » ([129]). Les initiatives de « mines responsables » en Autriche et dans les pays scandinaves en sont des illustrations pertinentes au sein de l’Union européenne.
Les gisements potentiels de matières premières critiques
dans l’Union en 2020 ([130])
Source : Commission européenne, à partir de données fournies par EuroGeoSurveys
Vos rapporteurs ont, en effet, pleinement conscience des enjeux liés à l’acceptabilité sociale de tels projets. Au cours de son audition dans le cadre du rapport, le ministre délégué chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, a prôné le développement d’une extraction responsable dans l’Union et dans les pays tiers. Cette question trouvera pleinement sa place dans le cadre de la grande consultation publique sur les enjeux liés aux obligations de la transition écologique annoncée par le Gouvernement en séance publique à l’Assemblée nationale le 27 juin 2023. Il est en effet crucial d’améliorer les méthodes d’exploitation afin qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement, et plus vertueuses socialement, en portant une attention particulière à la bonne application des obligations de diligence.
La France, largement favorable aux dispositions du CRMA, a toutefois émis des réserves sur la question des mesures de supervision et de rapportage des stocks stratégiques (articles 19 à 22 de la proposition de règlement), qui présentent un risque de mise à jour des vulnérabilités économiques des États membres ou d’opérateurs économiques stratégiques (à l’instar des industries de défense). En particulier, s’il est effectivement nécessaire d’établir des niveaux de stocks stratégiques au niveau européen, les informations ne devraient pas être rendues publiques ([131]), afin de préserver les intérêts et la sécurité économiques des États membres et des entreprises.
Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de veiller à garantir un traitement sécurisé des données des entreprises et des matières critiques, notamment celles susceptibles de relever de la défense ou de la sécurité nationales.
Recommandation n° 14 : - soutenir le déploiement de programmes nationaux d’exploration, en cernant les projets d’exploitation minière et de transformation et les besoins d’investissement, ainsi que les possibilités de financement connexes pour les matières premières critiques dans l’Union, dans le respect de standards environnementaux exigeants ;
- assurer une coordination intra-européenne, en particulier en matière de recueil de données sur les sites miniers exploitables et de suivi des projets stratégiques, tout en préservant la sécurité publique et la compétitivité de l’économie européenne. |
Dans le cadre du CRMA, la Commission européenne sélectionnera les projets stratégiques de nature à renforcer la chaîne de valeur des matières premières critiques. Ces projets bénéficieront de délais d’autorisation raccourcis, d’une mise en œuvre accélérée, et d’un soutien pour l’accès aux financements européens. La sélection sera assurée sur le fondement des critères définis dans le règlement, au vu des justificatifs produits par le porteur de projet.
Le comité européen des matières premières critiques, constitué de représentants des États membres, devra obligatoirement être consulté par la Commission, pour se prononcer sur le caractère complet de la demande et le respect des critères. Vos rapporteurs insistent ainsi sur la nécessité de veiller à l’association suffisante des représentants des États membres dans le cadre de l’étude des projets stratégiques. L’association d’experts nationaux pourrait notamment être envisagée pour apporter une expertise complémentaire.
3. La plateforme « STEP », un fonds de souveraineté européen au rabais
Le projet de fonds de souveraineté destiné à financer le soutien aux technologies « net zéro » a été réduit à sa plus simple expression et fait figure de patchwork budgétaire.
La « plateforme européenne des technologies stratégiques » (dite STEP ([132])), ersatz du fonds de souveraineté défendu par la France et par la présidente de la Commission européenne dans son discours sur l’état de l’Union de septembre 2022, s’appuie essentiellement sur la réallocation de fonds existants ([133]) au soutien à la compétitivité et au verdissement de l’industrie verte. Un total cumulé de dix milliards d’euros supplémentaires est toutefois prévu. Au total, le programme STEP vise à mobiliser jusqu’à 160 milliards d’euros d’investissements publics et privés pour couvrir, non seulement les « technologies zéro net », mais aussi les technologies numériques et les biotechnologies.
Ces financements restent insuffisants par rapport aux besoins identifiés, et dérisoires au regard des 369 milliards d’euros prévus pour la « sécurité énergétique et le changement climatique » dans l’IRA américain. Dans le cadre de son audition par vos rapporteurs, M. Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie, insistait sur la nécessité de consentir aux investissements nécessaires à l’accompagnement de la décarbonation des industries, et estimait que les 10 milliards d’euros d’argent frais annoncés dans le cadre du programme STEP étaient « un bon début mais rest [aient] insuffisants ».
Vos rapporteurs appellent à identifier clairement les financements et à rationaliser les programmes susceptibles d’être mobilisés dans le cadre du programme STEP. C’est à cette condition que la plateforme de coordination des financements pourra constituer un point de contact unique efficace à destination des industriels et des États membres. Vos rapporteurs attirent plus généralement l’attention sur le risque de saupoudrage des aides européennes, déjà très éparpillées.
Recommandation n° 15 : S’assurer de l’opérationnalisation et du lancement rapides de la plateforme de coordination des financements, afin de permettre aux États membres d’accorder les aides aux industriels pour la production de technologies stratégiques à zéro émission nette |
Les entreprises européennes pourront certes continuer à bénéficier d’aides d’État dans un cadre temporaire assoupli.
Le nouvel encadrement temporaire de crise et de transition des aides d’État, applicable jusqu’à fin 2025, simplifie l’octroi des subventions en faveur du déploiement d’énergies renouvelables et de la décarbonation des processus industriels. Il permet aux États membres d’accorder des aides plus élevées pour la production de technologies stratégiques à zéro émission nette, pour qu’elles correspondent aux aides reçues par des concurrents établis dans des pays tiers.
Comme le rappelait Mme Anaïs Voy-Gillis lors de son audition par vos rapporteurs, la capacité à mobiliser ce levier dépend toutefois des marges de manœuvre des États membres, dont certains – à l’instar de la France – sont pénalisés par leurs niveaux d’endettement élevés.
SECONDE PARTIE : UN PLAN D’ACTION POUR UNE SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE EUROPÉENNE RESPECTUEUSE DES SPÉCIFICITÉS NATIONALES
I. POUR UNE STRATÉGIE COMMERCIALE GLOBALE, PROTECTRICE DES INTÉRÊTS ESSENTIELS DE L’UNION ET DES ÉTATS MEMBRES
A. SÉCURISER NOS APPROVISIONNEMENTS STRATÉGIQUES EN NOUANT DES PARTENARIATS INTERNATIONAUX SÛRS ET DURABLES
La double transition écologique et numérique rend cruciale la diversification des partenariats afin de sécuriser l’accès aux intrants. Le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis a fait valoir à vos rapporteurs que l’objectif de sécurisation de l’approvisionnement était d’autant plus nécessaire que, à la date de l’audition, « seules 23 % des importations de matières premières critiques de l’Union prov [enaient] de partenaires commerciaux avec lesquels l’Union a [vait] un accord commercial préférentiel. ».
Si la souveraineté industrielle européenne n’implique pas nécessairement de relocaliser l’ensemble de la production en Europe, elle suppose a minima de réduire les dépendances vis-à-vis des pays tiers. La Commission européenne a fait de la diversification de l’approvisionnement l’une de ses priorités, théorisant le principe d’une véritable « diplomatie européenne des matières critiques » ([134]).
La communication « Résilience des matières premières critiques : Dans une communication publiée en 2020, la Commission européenne soulignait l’existence d’un « énorme potentiel inexploité pour la mise en place de partenariats stratégiques durables et responsables avec les pays riches en ressources ». Ces États sont très variés : il s’agit, par exemple, de pays miniers très développés tels que le Canada et l’Australie, de plusieurs pays en développement d’Afrique et d’Amérique latine, ou encore de pays proches de l’Union européenne. La Serbie, par exemple, possède des borates, tandis que l’Albanie dispose de gisements de platine. |
Surtout, la Commission européenne a présenté sa stratégie dite « Global Gateway » dans une communication du 16 mars 2023 intitulée « Un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques à l’appui de la double transition écologique et numérique » ([136]). L’objectif affiché est de nouer des engagements internationaux en vue de diversifier et d’intégrer des chaînes d’approvisionnement et de valeur durables, et d’établir des relations à long terme mutuellement bénéfiques avec les pays riches en ressources. Lors de son audition par vos rapporteurs, M. Simone Tagliapietra relevait d’abord que le coût de cette nécessaire stratégie de diversification devait être vu comme une « prime de sécurité », servant d’assurance en cas de choc négatif. Il expliquait ensuite que la conclusion de partenariats avec des États du continent africain, en particulier, devait permettre, tout à la fois, de réduire nos dépendances, tout en engendrant une croissance sociale et économique dont les effets pourraient au demeurant contribuer à la réduction de certaines difficultés migratoires.
Les accords de partenariats en lien avec la question des matières critiques La stratégie dite « Global Gateway » a été engagée par l’Union européenne pour viser une diversification des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. Divers partenariats stratégiques portant sur l’extraction, le traitement et le raffinage sont en cours de négociation. À cette date, l’Union européenne a déjà conclu des partenariats stratégiques avec le Canada, l’Ukraine, la Namibie, le Kazakhstan, l’Argentine et, depuis décembre 2022, le Chili ([137]). Des protocoles d'accord de l'Union ont également été conclus en octobre 2023 avec la Zambie (disposant d’importantes réserves de cuivre, cobalt, lithium, étain et manganèse) et avec le Groenland. À noter néanmoins l’échec récent des négociations avec l’Australie, qui revêtaient pourtant un intérêt tout particulier (l’Australie comptant en effet les deuxièmes réserves mondiales de lithium, de cuivre, de nickel, de cobalt et de manganèse). |
Afin de contribuer à la souveraineté industrielle de l’Union, vos rapporteurs invitent la Commission européenne à préciser rapidement les contours du « club CRM » sur les matières premières critiques. Le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis a indiqué que la commission travaillait sur ce projet visant à réunir des pays de production et des pays de consommation désireux de mener des projets d’investissement soutenables et de renforcer leurs chaînes d’approvisionnement. Vos rapporteurs estiment que ce « club CRM » devra favoriser les approvisionnements respectueux des normes les plus strictes en matière d’impacts environnementaux, sanitaires et sociaux, notamment au travers de la promotion d’un socle de critères économiques, sociaux et de gouvernance (ESG) ([138]).
Recommandation n° 16 : Préciser les contours du « club CRM » sur les matières premières critiques, qui devra permettre d’assurer la résilience des approvisionnements européens tout en promouvant des standards environnementaux et sociaux élevés dans le cadre des partenariats stratégiques. |
B. PROTÉGER NOS SECTEURS STRATÉGIQUES FACE AUX PRISES DE PARTICIPATIONS HOSTILES ET AUX FUITES DE TECHNOLOGIES
1. Renforcer le contrôle des investissements directs étrangers, aujourd’hui moins protecteur en Europe qu’en France
Le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) entrants dans l’Union est décisif pour protéger les capacités industrielles européennes des prises de participations hostiles ou opportunistes.
a. Le contrôle des IDE est plus rigoureux en France que dans le reste de l’Union
Le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) procède d’un dispositif d’autorisation préalable : pour prévenir les opérations financières susceptibles de porter atteinte aux intérêts nationaux, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier prévoit que certains investissements sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’Économie ([139]).
À partir de 2018, plusieurs décrets ont successivement étendu la liste des activités concernées par le contrôle des investissements. La loi « Pacte » ([140]) a renforcé les pouvoirs d’injonction et de sanction du Gouvernement ([141]). Par ailleurs, depuis 2020, le seuil de déclenchement du contrôle des IEF provenant de pays hors de l’Union européenne est abaissé de 25 % à 10 % des droits de vote. Cet abaissement du seuil – décidé par des décrets successifs ([142]) pour lutter contre les prises de participation inamicales facilitées par la crise sanitaire et le contexte économique – n’est toutefois que temporaire, et ne concerne que les prises de participation au sein de sociétés cotées ([143]).
Recommandations n° 17 : À l’échelle nationale, afin de limiter les risques pour la sécurité nationale liés à des prises de participation hostiles : - pérenniser l’abaissement du seuil de 25 % à 10 % des droits de vote déclenchant le contrôle des capitaux pour les investissements des entreprises hors de l’Union ; - envisager l’application de ce seuil à toutes les sociétés relevant des secteurs stratégiques français, et non pas uniquement aux sociétés cotées ([144]). |
b. La Commission européenne procède, depuis 2020, à l’analyse de certains IDE, mais les pratiques nationales de filtrage restent hétérogènes
À l’échelle européenne, un mécanisme de coopération entre les États membres et la Commission a été établi par un règlement de 2019 ([145]). Ce système, qui complète les efforts nationaux sans s’y substituer, vise à examiner les risques découlant de projets d’investissement ciblant des secteurs stratégiques ou impliquant des investisseurs contrôlés par le gouvernement d'un pays tiers. La décision de filtrage revient in fine à l’État membre, s’agissant d’une prérogative nationale.
Le troisième rapport annuel sur l’examen analytique des IDE ([146]) montre que la Commission européenne a analysé, avec une certaine diligence ([147]), plus de 420 IDE dans l'Union au cours de l’année 2022. Les six principaux pays d’origine des IDE notifiés en 2022 étaient les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Japon, les Îles Caïmans et le Canada. 59 % des IDE étaient orientés vers l’industrie, dans des secteurs très variés ([148]).
L’hÉtÉrogÉnÉitÉ des lÉgislations nationales
sur le filtrage des IDE dans l’Union
Note : La couleur bleue foncée indique un cadre de filtrage relativement plus exigeant que le bleu clair. Les pays en vert sont en cours d’élaboration d’une législation nationale. Les pays en vert clair n’ont aucune législation nationale en matière de filtrage.
Source : Banque de France, octobre 2023
Une étude ([149]) relative au système européen de filtrage des IDE, publiée par l’OCDE en 2022, s’inquiétait de ce que les États membres ne disposant pas de dispositif de contrôle servent de « point d’entrée » pour des opérations inamicales, mettant en péril l’édifice européen. Si le nombre d'États membres disposant d'un mécanisme de filtrage est passé de 11 à 21 depuis 2020, la majorité de ces dispositifs de contrôle des IDE se limitent de surcroît aux opérations de fusion-acquisition. Au-delà des définitions trop restrictives du filtrage des IDE, les divergences concernent aussi les délais applicables, les secteurs concernés et les exigences en matière de notification. La Commission européenne a indiqué qu’une proposition de révision du règlement sur le filtrage des IDE devrait être proposée avant la fin de l’année 2023, sur la base d’une évaluation en cours ([150]).
Vos rapporteurs s’inquiètent de l’hétérogénéité des pratiques nationales et des lacunes en matière de filtrage des IDE, qui mettent en péril la sécurité collective européenne. Le renforcement du filtrage des IDE entrants, selon des standards convergents avec ceux mis en œuvre par la France, est nécessaire afin de limiter les risques de rachats agressifs, de perte de savoir-faire technologique et de perturbation des chaînes de valeur.
Recommandation n° 18 : Plaider pour que l’ensemble des États membres se dotent de mécanismes complets de filtrage des IDE, alignés sur le niveau d’exigence de la législation française. |
2. Limiter les exportations et les investissements sortants dans les domaines sensibles et stratégiques
Dans leur déclaration conjointe prononcée en mars 2023 ([151]), le Président des États-Unis Joe Biden et la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen soulignaient leur « intérêt commun à empêcher le capital, l’expertise et les connaissances de nos entreprises d’alimenter les avancées technologiques qui renforceront les capacités militaires et de renseignement de nos rivaux stratégiques, y compris par le biais d’investissements à l’étranger ».
a. Le contrôle des exportations de biens et technologies à double usage
Un règlement européen – révisé en 2021[152] – précise les règles encadrant l’exportation de biens à double usage, ainsi que de certains produits chimiques ([153]). Si les États restent maîtres des modalités d’application de ces règles sur leur territoire, ils doivent toutefois informer les autres États membres de l’Union des résultats des procédures qu’ils gèrent.
Au cours de l’année 2022, les États de l'Union ont bloqué 560 demandes d'exportation de biens à double usage, un niveau élevé témoignant d’un engagement accru pour préserver la sécurité et l’ordre public européens.
Comme l’analysent MM. Mathieu Duchâtel et François Godement ([154]), la version révisée du règlement relatif au contrôle des exportations « permet aux États membres d’"européaniser" leurs listes nationales de contrôle. Si cette évolution peut paraître procédurière et technocrate, dans la pratique, elle a vocation à les inciter à développer ces listes nationales sans se contraindre à utiliser des accords interétatiques » ([155]).
Cependant, l’innovation technologique rend plus complexe la distinction entre aspects civils et militaires ([156]). La stratégie européenne en matière de sécurité économique, présentée en juin 2023, appelait ainsi à établir une liste européenne commune répertoriant les technologies stratégiques présentant un « risque de fusion entre usage civil et militaire ».
b. Examiner l’opportunité de mettre au point un instrument ciblé sur les investissements sortants
Le contrôle des investissements sortants ne vise plus seulement la réciprocité dans les relations commerciales, mais répond à une stratégie résolument offensive. À l’échelle de l’Union, il s’agirait en effet de limiter les investissements des États membres dans certaines technologies stratégiques développées par des États tiers, pour freiner in fine le développement de certains de leurs secteurs clefs.
En juin 2023 ([157]), la Commission européenne et le Haut représentant invitaient les États membres à examiner les risques pouvant résulter des investissements sortants. Cette proposition a été précisée dans une recommandation du 3 octobre 2023 ([158]), dans laquelle la Commission prône des évaluations approfondies avec les États membres des risques pour la sécurité économique de l’Union dans les domaines des semi-conducteurs avancés, de l’intelligence artificielle, de technologies quantiques et des biotechnologies. Sur la base de cet examen, la Commission a fait part de son intention de proposer une future initiative législative.
Cette perspective apparaît néanmoins peu réaliste à court terme, car le champ du filtrage des investissements sortants devra d’abord être rigoureusement précisé. Dans l’OCDE, seuls le Japon, la Corée du Sud ([159]) et les États-Unis (au travers de récents décrets présidentiels ([160])) ont mis en place des régimes de contrôle des investissements sortants, qui concernent une liste de technologies étroitement définie.
Vos rapporteurs saluent l’initiation d’un débat sur la question du filtrage des investissements sortants. Un tel mécanisme devrait viser une protection de la sécurité économique, dans certains domaines précis (« instrument ciblé »), et dans le respect des prérogatives des États membres.
Recommandations n° 19 : - Participer activement au processus d’évaluation approfondie des risques liés aux investissements dans les semi-conducteurs avancés, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et les biotechnologies. - Engager une réflexion sur la pertinence d’un « instrument ciblé sur les investissements sortants », aux fins de prévenir les transferts de technologie pour un nombre limité de technologies sensibles, dont la liste serait établie par les États membres. |
C. LUTTER CONTRE L’EXTRATERRITORIALITÉ DU DROIT PRATIQUÉE PAR LES PAYS TIERS, principalement les États-Unis
1. Guerre économique et souveraineté juridique : l’Europe face à l’extraterritorialité de la réglementation de pays tiers
Les entreprises européennes – en particulier les industries produisant des technologies stratégiques – sont confrontées aux sanctions extraterritoriales ([161]), qui constituent des interférences injustifiées et contraires au droit international.
La portée extraterritoriale des lois américaines s’est progressivement affirmée depuis le milieu des années 1990, et de manière très nette depuis 2007. L’extraterritorialité du droit américain constitue une atteinte manifeste aux souverainetés française et européenne. Dans une publication de 2022, l’IHEDN regrettait que, « malgré de nombreux travaux établissant clairement l’existence d’une application ciblée de lois extraterritoriales aux dépens de leurs entreprises », les pays européens n’aient « pas pris clairement conscience des dangers auxquels ils sont exposés » ([162]). De nombreuses entreprises ont pourtant été lourdement frappées, à l’instar de la BNP Paribas, de Total, d’Alcatel, de Technip ou encore, en Allemagne, de Siemens.
Un intérêt à agir extrêmement vaste des autorités américaines
La procédure d’extraterritorialité, qui débute lorsqu’un lien est identifié comme reliant la société ciblée et les États-Unis, est engagée par le ministère de la Justice américain ou par la Securities and Exchange Commission (SEC).
La société ciblée est réputée entretenir un lien avec les États-Unis si elle fait usage du dollar américain dans des transactions, ou encore si certains de ses flux numériques transitent via des serveurs de sociétés américaines ou sises sur le territoire américain. De plus, une société mère peut être sanctionnée à raison des agissements d’une de ses filiales.
Une fois mises en accusation, la majorité des entreprises choisissent de négocier avec la justice américaine, car la procédure – incertaine – peut aboutir à une majoration des amendes et à une interdiction de commerce avec les États-Unis. Dans le cadre des enquêtes, de nombreuses informations sont transmises à la justice américaine, dont certaines sont de nature stratégique ([163]).
Ce tableau est d’autant plus préoccupant que, comme le concluait M. Raphaël Gauvain, dans son rapport ([164]) à la demande du Premier ministre, « les poursuites engagées semblent être motivées économiquement et les cibles choisies à dessein. Les grandes entreprises américaines sont, pour la plupart, épargnées de toute poursuite et seules de grandes entreprises européennes et asiatiques, en concurrence directe avec des entreprises américaines, sont visées. » |
L’extraterritorialité du droit américain renvoie essentiellement à deux champs :
i. l’extraterritorialité des lois américaines en matière de lutte contre la corruption.
La justice américaine a par exemple enquêté sur le versement présumé de pots-de-vin par des responsables d’Alstom en Indonésie. La société a dû payer la somme de 772 millions de dollars, et cette procédure a pu faciliter la cession de la branche énergie d’Alstom à l’américain General Electric (GE) en 2014 ([165]).
Sur les 26 condamnations supérieures à 100 millions de dollars recensées entre 2008 et 2017 au titre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), 14 visaient des entreprises européennes, dont 5 françaises ([166]).
L’adoption, en 2016, de la loi dite Sapin II a apporté une réponse nationale à l’extraterritorialité des lois en matière de corruption : les autorités françaises sont désormais compétentes pour investiguer et sanctionner les entreprises françaises, ce qui permet à l’État de récupérer le montant des amendes et de recouvrer sa souveraineté.
ii. l'extraterritorialité des sanctions unilatérales américaines ([167]).
L’extraterritorialité des sanctions unilatérales américaines porte atteinte aux investissements et aux échanges légitimes des entreprises européennes avec certains États.
C’est ainsi que la BNP Paribas a dû s’acquitter d’une amende de 9 milliards de dollars pour des transactions avec l’Iran, le Soudan et Cuba.
Dans ce contexte, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont créé, avec le soutien technique et financier des services de la Commission et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), l’instrument d’appui aux échanges commerciaux (INSTEX), destiné à faciliter les paiements pour les échanges commerciaux légitimes entre l’Union européenne et l’Iran. Comme le rappelle la Commission européenne dans sa communication relative à un « Système économique et financier européen », INSTEX a été lancé en janvier 2019 et cinq autres États membres de l’Union (Belgique, Danemark, Pays-Bas et Suède) l’ont depuis rejoint en tant qu’actionnaires, ainsi que la Norvège ([168]).
Eu égard à l’intensification des menaces liées à l’application extraterritoriale par des pays tiers de mesures à l’encontre d’opérateurs européens, vos rapporteurs sont convaincus que l’adoption d’une politique plus ferme pour lutter contre l’application extraterritoriale illégale de sanctions unilatérales est une condition sine qua non de l’autonomie stratégique et de la résilience de l’Union.
2. Remédier au caractère inopérant de la « loi de blocage » de 1996 et renforcer la protection des données des personnes morales
Dans sa communication relative à un Système économique et financier européen du 19 janvier 2021 ([169]), la Commission européenne appelait à « développer des outils » pour « contrecarrer les effets sur les opérateurs de l’Union de l’application extraterritoriale illégale de mesures unilatérales par un pays tiers ».
La révision du règlement européen nº 2271/96 ([170]) – qualifié de « loi de blocage européenne » – reste indispensable. Ce règlement vise à protéger les entreprises européennes des effets extraterritoriaux de l’application d’une législation d’un pays tiers, mais sa portée est essentiellement « symbolique », celui-ci étant « peu applicable » dans les faits, ainsi que le soulignait M. Raphaël Gauvain ([171]) à l’occasion de son audition par vos rapporteurs.
Les entreprises et personnes européennes concernées doivent notifier la Commission européenne si l’une des législations extraterritoriales listées dans l’annexe de la directive (sanctions américaines relatives à l’Iran et à Cuba) affecte directement ou indirectement leurs intérêts économiques ou financiers. Comme le précisait à vos rapporteurs le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis, entre le 1er août 2018 et le 1er mars 2021, la Commission a reçu 63 notifications (dont 35 relatives aux sanctions américaines contre Cuba et 28 relatives aux sanctions américaines contre l’Iran).
Pistes d’amélioration identifiées par la Commission européenne Pour produire pleinement ses effets, la « loi de blocage » doit s’inscrire dans le cadre d’une stratégie européenne plus globale de lutte contre l’extraterritorialité, aux fins de laquelle la Commission mettra en place les mesures suivantes pour utiliser au mieux les outils existants et en créer de nouveaux, le cas échéant : (i) des procédures et des règles plus claires pour l’application de l’article 6 (en particulier, pour faciliter le recouvrement des avoirs des défendeurs dans toute l’Union européenne) ; (ii) des mesures nationales renforcées pour bloquer la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères fondées sur les mesures extraterritoriales énumérées (article 4) ; (iii) un traitement simplifié des demandes d’autorisation au titre de l’article 5, deuxième alinéa, y compris un réexamen des informations demandées ; (iv) la participation éventuelle à des procédures étrangères pour soutenir des entreprises et des ressortissants de l’UE. |
La Commission annonçait en 2021 la mise en place d’un groupe d’experts sur les sanctions et l’extraterritorialité, composé de représentants des États membres, dont le mandat visait à étudier la mise en œuvre technique des sanctions de l’Union et du règlement dit « loi de blocage ».
Vos rapporteurs souhaiteraient qu’un bilan intermédiaire des travaux de ce groupe d’experts soit présenté, pour servir de base à une révision de la « loi de blocage européenne ».
La création d’un bureau européen de coordination contre la coercition, suggérée notamment par l’institut Jacques Delors, serait également une piste pertinente. En effet, les entreprises européennes sont esseulées lorsqu’elles sont confrontées à des difficultés avec des pays tiers, et il n’existe pas d’organe européen représentant les intérêts européens lors du dialogue et de la négociation avec des entités telles que le Département de contrôle des exportations de l’État chinois (SECAD). Les experts du bureau européen de coordination contre la coercition serviraient d’interlocuteurs permanents avec les entités correspondantes des pays tiers, coordonneraient les efforts européens de résilience, et préviendraient en amont les gouvernements et les entreprises des risques de coercition ([172]).
Enfin, la prééminence des clouds américains expose les entreprises européennes aux dispositions du Cloud Act américain ([173]), qui permet aux autorités américaines d’accéder aux données stockées hors des États-Unis par les opérateurs américains. Une piste de réflexion – qui ne fait toutefois pas consensus ([174]) – consisterait à étendre le champ d’application du RGPD aux données des personnes morales des entreprises, afin de sanctionner les hébergeurs de données qui les transmettraient. A minima, des alternatives crédibles pour l’hébergement de données dans l’Union devraient être prévues, ce qui passerait par la relance du « projet d’infrastructure européenne » du cloud, alors que les objectifs de l’initiative GAIA-X sont aujourd’hui déçus ([175]).
Mme Yaël Menache tient toutefois à souligner que le développement d’une infrastructure européenne du cloud doit s’accompagner – et même être précédé – d’un effort analogue au niveau national. Les transferts de données personnelles de citoyens européens réalisées par les géants américains du numérique à partir de leurs filiales localisées sur le territoire européen démontrent la nécessité de développer des politiques publiques au niveau français propres à renforcer notre souveraineté nationale dans ce domaine. Un développement d’une infrastructure européenne est utile à envisager mais en fonction des besoins des États membres et en respectant leurs priorités nationales.
Recommandations n° 20 : - Inviter la Commission européenne et les États membres à présenter un bilan des travaux du groupe d’experts sur les sanctions et l’exterritorialité mis en place en 2021 pour proposer des modifications du règlement (CE) nº 2271/96 (« loi de blocage » de 1996). - Créer un bureau européen de coordination contre la coercition, représentant les intérêts des entreprises européennes lors du dialogue et de la négociation avec des entités des pays tiers, et prévenant en amont les gouvernements et les entreprises des risques de coercition. - Relancer le projet d’une « infrastructure européenne du cloud » afin de construire une alternative crédible pour l’hébergement des données des entreprises de l’Union conjointement avec les politiques nationales dans ce domaine et dans le respect des priorités des États membres. |
Dans une perspective plus offensive, dans certains cas précis portant atteinte à des entreprises stratégiques d’un État membre, l’adoption d’un instrument européen de défense collective contre l’extraterritorialité pourrait être envisagée, afin d’organiser une réponse européenne ([176]). À l’instar de « l’instrument anticoercitif » en matière de chantage économique (évoqué infra), un tel règlement pourrait autoriser les États membres, se prononçant à la majorité qualifiée, à mettre en œuvre des contre-mesures telles que des restrictions sur les marchés publics européens ([177]), afin de dissuader l’application de mesures extraterritoriales contraires au droit international.
Recommandation n° 21 : - Envisager l’adoption d’un « instrument européen de défense contre l’extraterritorialité » prévoyant la possibilité pour les États membres de se prononcer à la majorité qualifiée pour adopter des contre-mesures en cas de sanction extraterritoriale ciblant une entreprise européenne. |
Évolutions et perspectives de la réglementation française Face au caractère peu dissuasif de la loi de blocage française de 1968, le décret du 18 février 2022 et l’arrêté du 7 mars 2022 ont clarifié la procédure pour les entreprises, et désigné comme interlocuteur unique le Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), qui relève de la Direction générale des Entreprises (DGE). Les entreprises françaises peuvent désormais s’adresser au SISSE en cas de demande de communication étrangère, et « renforcer la sécurité juridique des entreprises en leur permettant de disposer d’un avis de l’administration français afin de renforcer le caractère opposable de la loi de blocage vis-à-vis des juridictions étrangères » ([178]). M. Raphaël Gauvain a souligné le caractère positif de cette réforme lors de son audition par vos rapporteurs, tout en regrettant la faiblesse de la sanction prévue par la loi de blocage française (7 500 euros). Il serait dès lors pertinent d’en augmenter le montant, ce qui nécessiterait cette fois de passer par la loi. |
À l’échelle nationale, une piste d’amélioration consisterait à renforcer la protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprise. La France est l’une des rares grandes puissances économiques à ne pas faire bénéficier ses entreprises du privilège de confidentialité (ou legal privilege) : les avis internes des entreprises peuvent être utilisés pour mettre en cause des sociétés françaises, dans tous types de procédures judiciaires (ce qui fut notamment le cas dans l’affaire BNP Paribas évoquée supra). Dans le même temps, les groupes concurrents de pays tiers sont largement protégés d’un tel risque contentieux.
La loi d’orientation et de programmation de la Justice pour la période 2023-2027 prévoyait, en son article 49, une protection de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ([179]). Ce legal privilege était une solution équilibrée pour préserver la souveraineté économique nationale, puisqu’il s’accompagnait de garanties (les matières pénales et fiscales étaient exclues, tandis que les juristes d’entreprises devaient être titulaires d’un master en droit et justifier du suivi de formations initiale et continue en déontologie).
Cependant, cette disposition a été censurée pour une raison formelle par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que la mesure ne « présent [ait] pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat » ([180]), ni avec les autres dispositions du projet de loi initial, et constituait dès lors un « cavalier législatif ».
Vos rapporteurs estiment que le legal privilege devrait être à nouveau introduit, dans le cadre d’une future proposition de loi. Comme le notait M. Raphaël Gauvain lors de son audition par vos rapporteurs, une telle réforme devrait être motivée par la défense de la souveraineté économique et des emplois, et par la nécessité de contrecarrer le risque de départ à l’étranger des directions juridiques ([181]).
II. POUR UN VÉRITABLE CHOC DE COMPÉTITIVITÉ EN FAVEUR DE L’INDUSTRIE EUROPÉENNE
A. UNE LÉGISLATION PERFORMANTE, QUI MINIMISE LE POIDS DE LA CONFORMITÉ RÉGLEMENTAIRE POUR LES ENTREPRISES
La qualité des travaux législatifs est essentielle pour minimiser l’impact des réglementations européennes sur la compétitivité des industries. Le Conseil compétitivité, réunissant les ministres des États membres chargés de l’Industrie, revêt une importance toute particulière pour poursuivre l’effort de simplification des procédures administratives.
1. Les entreprises européennes face à l’inflation normative : les insuffisances de l’initiative « REFIT » de la Commission européenne
a. L’inflation normative, qui affecte la compétitivité des entreprises industrielles, est ciblée par plusieurs programmes européens
La défense des souverainetés industrielles française et européenne passe aussi par la lutte contre l’inflation normative, qui affecte la compétitivité des entreprises. Dès 2002, l’Union a engagé une démarche visant à lutter contre ce phénomène, au travers du programme transversal « Mieux légiférer ». C’est dans ce cadre que la Commission européenne serait parvenue, entre 2007 et 2012, à réduire de 25 % la charge administrative des entreprises résultant de la législation de l’Union européenne ([182]).
Afin de prolonger cette dynamique, la Commission européenne a créé en 2015 la plateforme REFIT pour une législation dite « affutée et performante » (ou Regulatory Fitness and Performance Program). L’enjeu de REFIT est de simplifier la législation existante en réduisant les formalités administratives, en collaboration avec les citoyens et les différentes parties concernées. La Commission européenne a recensé, sur la période de 2015 à 2019, près de 162 initiatives REFIT, lesquelles ont majoritairement bénéficié aux petites et moyennes entreprises, qui représentent elles-mêmes 99 % de l’ensemble des entreprises de l’Union ([183]).
Pour lutter contre la surrèglementation, l’initiative REFIT a été approfondie en 2020, avec la constitution d’un groupe d’experts regroupés dans la plateforme « Prêts pour l’avenir ». Des propositions de simplifications du groupe d’experts, fondées sur des contributions citoyennes, seront soumises à la Commission.
Enfin, REFIT a été renforcé par le nouveau principe « un ajout, un retrait » (« one-in, one-out). L’objectif est d’étendre les bénéfices de REFIT aux actes législatifs futurs, pour prévenir in fine toute législation superfétatoire.
b. Ces programmes restent néanmoins insuffisants selon les acteurs industriels
Si les efforts de l’Union européenne pour rendre sa législation plus lisible pour les entreprises européennes sont réels, ils restent toutefois insuffisants aux yeux des acteurs concernés.
Vos rapporteurs ont auditionné Business Europe, le principal groupe d’intérêts représentatif des entreprises au niveau européen. Dans son premier rapport sur les performances du programme REFIT ([184]), l’organisation déplorait la persistance des surrèglementations. À titre d’exemple, Business Europe relève le manque de cohérence globale résultant de la multitude d’initiatives européennes plus ou moins contraignantes en matière d’écoconception pour les produits liés à l’énergie. La cohabitation d’une multitude de règlements, directives ou programmes incitatifs risque même d’entraver l’action des entreprises en rendant le cadre réglementaire illisible, voire incohérent ([185]).
En mars 2023, Business Europe a publié un plan d’action appelant les pouvoirs publics à « refaire de l’Union européenne l’endroit où faire des affaires » ([186]). La question de la charge réglementaire pesant sur l’industrie est citée parmi les chantiers prioritaires pour atteindre cet objectif. En particulier, le groupe d’intérêts regrette que les analyses d’impacts soient insuffisamment étoffées. De même, l’absence d’évaluation de l’impact cumulé de la législation européenne est soulignée ([187]).
L’enjeu de prévisibilité des législations revêt une dimension stratégique, au moment où les États-Unis déploient le plan massif de l’Inflation Reduction Act (IRA), offrant aux entreprises implantées aux États-Unis un financement clair, leur permettant de connaître la nature et le montant exacts des subventions qu’elles pourraient toucher. Le Net Zero Industry Act européen, quant à lui, est encore jugé trop complexe par les industriels ([188]). Les législations européennes ne contribueraient ainsi pas suffisamment à atténuer les incertitudes des industriels en leur offrant une visibilité suffisante.
2. L’incidence de la législation européenne sur la compétitivité des entreprises gagnerait à être mieux anticipée et évaluée
a. Réaliser des « tests de compétitivité » dans les analyses d’impact
Afin d’améliorer la qualité de la législation, la Commission européenne a introduit en mars 2023 un nouveau « test de compétitivité » centré sur quatre indicateurs :
- l'impact sur les coûts et sur les prix
- l’impact sur la capacité d’innovation
- l’impact sur la compétitivité internationale
- l’impact sur la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME)
Une attention toute particulière est effectivement portée à l’impact des législations sur les PME, ce dont témoigne la récente annonce de la désignation d’un représentant des PME au niveau de l’Union européenne.
L’indicateur relatif à « l’impact sur la compétitivité internationale » gagnerait à s’appuyer sur une comparaison (ou benchmark) des législations similaires des principaux concurrents commerciaux. L’objectif serait de pouvoir étudier l’impact des variations des différents paramètres des législations, en tenant compte du cadre de l’économie ouverte.
Les analyses d'impact se fondent aujourd’hui en moyenne sur 17 critères économiques et sociaux, relatifs au fonctionnement du marché intérieur, aux investissements internationaux et, désormais, à la dimension extérieure de la compétitivité (« competitiveness proofing ») ([189]).
Pour plus d’efficacité, vos rapporteurs défendent le principe d’un « test de compétitivité » élargi aux propositions non législatives, à condition toutefois d’en préciser suffisamment la méthodologie.
Recommandations n° 22 : - Envisager un élargissement aux propositions non législatives des « tests de compétitivité » introduits par la Commission européenne en 2023 ; - Dans le cadre des « tests de compétitivité », évaluer l’impact sur la compétitivité internationale à partir d’une comparaison des législations similaires des principaux concurrents commerciaux ; - Accroître le rôle du Conseil compétitivité en lui permettant d’étudier des textes ne relevant pas de son portefeuille, mais susceptibles d’avoir un impact sur la compétitivité et le marché intérieur ; - Organiser un débat annuel au Conseil sur les questions relatives à l’amélioration de la réglementation et à l’impact des normes sur la compétitivité des entreprises industrielles. |
Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de présenter systématiquement de véritables études d’impact à l’appui des propositions de législations européennes. En particulier, une simple évaluation des besoins ne saurait se substituer à une réelle étude d’impact.
De ce point de vue, il est par exemple regrettable que le règlement NZIA ait été présenté sans étude d’impact. La Commission européenne a certes présenté un « document des services de la Commission » exposant des données et les justifications de la proposition de règlement, mais certains éléments de la proposition auraient gagné à être mieux explicités (à l’instar de la notion de « bac à sable réglementaire » pour en définir les contours, ainsi que son articulation avec les droits nationaux).
b. Préciser l’approche « un ajout, un retrait »
L’approche « un ajout, un retrait » vise à compenser les nouvelles charges pour les entreprises et les citoyens induites par de nouvelles normes européennes, en retirant parallèlement d’anciennes normes relevant du même domaine d’action ([190]).
Une méthodologie d’estimation de la compensation des charges a été présentée par la Commission européenne. Pour estimer et enregistrer les coûts administratifs nouveaux et supprimés, ce calcul utilise la norme européenne du modèle de coût standard, fondée sur le temps nécessaire pour effectuer une obligation, multiplié par le coût horaire moyen de la main-d’œuvre. Les coûts soustraits et ajoutés sont ensuite comparés afin de s’assurer de leur équivalence. L'outil calcule la charge sur une base unitaire et permet une évaluation ponctuelle des frais de gestion.
Bien que la dimension sectorielle de l’évaluation permette une meilleure équité entre les secteurs de production, cette règle comporte plusieurs limites.
D’une part, la législation au niveau de l'Union vise souvent à remédier à la fragmentation réglementaire dans les différents États membres en se substituant à 27 systèmes nationaux différents. « Ces gains d'efficacité [sont alors] pris en compte en tant que retraits », ce qui peut contribuer à limiter la précision de l'allégement de la charge administrative, qui ne peut se réduire à une simple substitution de l'origine, nationale ou européenne, de la charge supplémentaire.
D’autre part, le système de compensation est flexible. L’introduction d’une nouvelle législation n’implique pas le retrait d’une charge dans la même année. De plus, l’ajout d’un coût jugé nécessaire dans un domaine peut mener au retrait d’un coût dans un autre champ, si aucun allègement n’est possible dans le domaine initial. En outre, s’il existe une volonté politique de réglementer mais qu'il n'est pas possible de désigner une compensation dans le même domaine – par exemple lorsqu'une réglementation concerne des domaines d'action émergents dans lesquels il est nécessaire de combler un vide réglementaire – la Commission peut décider de soustraire la réglementation à l'approche « un ajout, un retrait ». Cependant, il n’existe pas de définition précise encadrant ce système d’exemptions, ce qui risque de mener à des déséquilibres entre les domaines ainsi qu’à un non-respect généralisé de la règle.
Recommandation n° 23 : Préciser le système d’exemptions pouvant être activé par la Commission européenne pour soustraire une nouvelle réglementation à l’approche « un ajout, un retrait ». |
c. Renforcer, en amont et en aval, la consultation du RSB sur les législations affectant la compétitivité
La Commission européenne a créé en 2015 un Comité d’examen de la réglementation (RSB) dont le but est de garantir la qualité des analyses d'impact et des évaluations, dès les premiers stades du processus législatif. Ce comité publie des rapports annuels sur les travaux entrepris pour mener à bien sa mission.
Le RSB s’assure de la qualité des estimations de coûts présentées dans les analyses d'impact. Il vérifie les bilans de qualité et les évaluations importantes de la législation en vigueur, et émet des avis et des recommandations à leur sujet. Il conseille également le secrétariat général de la Commission sur la politique d'amélioration de la réglementation en émettant des avis. Ces derniers peuvent être « favorables », « favorables avec des réserves » ou « défavorables ».
En cas d’avis défavorable, le projet de rapport doit être réexaminé et présenté de nouveau au comité pour que la Commission puisse poursuivre la procédure. Lorsque le comité a rendu deux avis défavorables, seul le vice-président chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective peut soumettre l'initiative au collège des commissaires pour décider s'il y a lieu ou non de poursuivre la procédure. Selon le président du RSB, la Commission prend en compte les recommandations des études d’impact puisqu’il n’a rendu aucun double avis défavorable au cours de l’année 2022.
Cependant, le Comité ne se prononce pas en opportunité et n'examine pas toutes les évaluations de la Commission : seules 80 initiatives lui sont soumises en moyenne chaque année. De plus, en cas d’urgence, l’avis du comité n’est pas requis, comme ce fut le cas du Green Deal et du Net – Zero Industry Act, dont les évaluations ne furent pas étudiées alors même que ces législations revêtent une importance fondamentale pour la compétitive des entreprises industrielles. Un contrôle plus systématique, et a posteriori de ces évaluations urgentes pourrait ainsi être proposé a minima.
Enfin, les analyses d’impact devraient être renouvelées à plusieurs étapes du processus législatif en cas d’évolution des propositions législatives. L’OCDE insiste ainsi sur : (1) la nécessité d’intégrer les évaluations ex-post dans les cycles législatifs ; (2) le besoin de couvrir le stock de législation existante ; (3) l’importance d’inclure dans les révisions une analyse des résultats concrets des règlements, en comparaison avec leurs justifications et objectifs fixés ex ante.
B. UN NOUVEAU PACTE D’INVESTISSEMENT DANS LE CAPITAL HUMAIN
Selon le mot du ministre délégué à l’Industrie, M. Roland Lescure, auditionné par vos rapporteurs, les compétences « sont la mère des batailles » dans un contexte de pénuries pour certains secteurs industriels clefs.
1. La formation et le développement des compétences, condition sous-estimée de la prospérité économique de l’Europe
L’industrie manufacturière est confrontée à de fortes difficultés de recrutement, mettant à mal l’objectif de souveraineté industrielle européenne. Ces difficultés sont attribuées, selon les études, à la pénurie de demandeurs d’emploi qualifiés, à l’organisation interne insatisfaisante des entreprises, ou encore à des conditions de travail dégradées. Le ministre délégué à l’Industrie, M. Roland Lescure, appelle donc à « changer l’image de l’industrie ».
Dans ce cadre, la Commission européenne a lancé le programme de l’« Année européenne des compétences 2023 », qui vise à identifier et renforcer les compétences « afin d’aider les travailleurs et les entreprises, en particulier les PME, à remédier aux pénuries de compétences dans l’Union » ([191]), et à renforcer les compétences clés de la main-d’œuvre européenne, notamment dans le secteur du numérique.
En outre, le plan d’action sur le socle européen des droits sociaux – qui propose de grands objectifs pour l’Union à horizon 2030 – vise une participation d’au moins 60 % des adultes à des activités de formation chaque année d’ici à 2030, contre 37 % en 2016.
Un effort est également nécessaire pour promouvoir la parité dans le secteur industriel. Des initiatives telles que le « collectifIndustriElles » – chargé du recrutement de mentors pour parrainer des femmes dans les métiers de l’industrie – pourraient essaimer dans l’Union.
2. Renforcer l’attractivité des filières industrielles et l’adéquation des compétences aux besoins de la double transition écologique et numérique
Alors que les besoins liés à la double transition écologique et numérique vont croissant, le ministre chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, indiquait que 60 000 emplois étaient à pourvoir dans l’industrie française.
La désaffection de certaines filières de formation – telles que celles des soudeurs, des chaudronniers ou encore des techniciens de maintenance – est une préoccupation majeure. Plus d’un employé sur trois de l’industrie française sera retraité d’ici à 2030, exposant diverses filières – telles que la métallurgie ou le secteur minier – à une perte durable de savoir-faire, mettant en danger les souverainetés industrielles nationale et européenne ([192]) ».
Pour renforcer l’attractivité des filières de formation industrielle, il convient de « faire entrer l’industrie dans les écoles, et les écoles dans l’industrie » ([193]), ce qui pourrait passer par la généralisation à l’échelle européenne du dispositif de « semaine de l’industrie » ([194]), qui offre un cadre de sensibilisation, de conseil et d’orientation. Une communication renforcée sur les perspectives d’employabilité apparaît également nécessaire. Les filières industrielles offrent en effet des emplois qualifiés relativement mieux rémunérés et plus stables que dans le secteur des services.
La proposition de règlement pour une industrie « zéro net » (NZIA) prévoit la création d’académies de compétences européennes, s’inspirant du modèle de l’académie des batteries lancée en février 2022. Ces académies seront chargées de la mise en place de formations « afin de faire monter en compétences et favoriser la requalification des travailleurs, et contribuer à assurer la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée nécessaire au verdissement de l’économie et de l’industrie des États membres » ([195]). Si vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à ces objectifs, ils rappellent néanmoins que ces académies européennes n’ont pas vocation à se substituer aux dispositifs nationaux. À l’échelle nationale, l’un des enjeux sera, en particulier, d’assurer la complémentarité de ce dispositif avec la série de mesures prévues par le projet de loi industrie verte en faveur de l’attractivité de l’industrie ([196]).
C. UN PRIX DE L’ÉNERGIE COMPÉTITIF, FAVORABLE À LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DE L’INDUSTRIE
Le prix de l’énergie est un élément déterminant dans les décisions de production industrielle. Business Europe indiquait, dans son plan d’action de mars 2023, que le coût de l’énergie était la première préoccupation des entreprises européennes en matière de coût de compétitivité. Les prix de l’électricité pour les entreprises et les consommateurs sont toutefois deux fois plus élevés qu’aux États-Unis ([197]), ce qui justifie la réforme du marché de l’énergie en cours de finalisation.
1. La crise énergétique fragilise la compétitivité des entreprises européennes et la pérennité des emplois industriels
Depuis l’été 2021, l’Union européenne fait face à une crise inédite des prix de l’énergie, menaçant la stabilité de son économie et la compétitivité des entreprises des États membres. La reprise économique à la suite de la crise sanitaire, à l’origine d’une forte demande sur les marchés mondiaux de l’énergie, a été un élément déclencheur de cette crise, car l’offre est restée relativement contrainte. Cette situation s’est aggravée en raison de la guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, à partir du 25 février 2022, limitant l’approvisionnement de l’Union européenne en gaz russe.
L’Union européenne s’est adaptée à la diminution de l’approvisionnement Au cours de son audition par vos rapporteurs, le ministre délégué chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure, a relevé que le marché européen avait su faire face aux difficultés d’approvisionnement à la suite du déclenchement de la guerre d’agression de la Russie en Ukraine. Le marché américain a, pour sa part, connu des black-out. Dans un rapport publié le 24 octobre 2023, la Commission européenne a dressé un bilan des conséquences la rupture de l’approvisionnement en gaz russe. Il en ressort que l’Union européenne a su faire face à la faveur : - d'une baisse de la consommation de 18 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes ; - du recours croissant aux énergies renouvelables (qui ont produit 39 % de l’électricité continentale en 2022) - de la diversification des sources d’approvisionnement. Selon les estimations de la Commission, entre 2021 et 2023, les importations de gaz russe dans l’Union devraient passer de 155 milliards de mètres cubes à moins de 45 milliards de mètres cubes. |
Le marché de gros de l’électricité, c’est-à-dire le marché d’achat à court terme, a joué son rôle durant la crise, en permettant que la demande d’électricité soit satisfaite à chaque instant au moindre coût de production. Toutefois, le fonctionnement du marché implique, lors des pics de consommation, de mobiliser des moyens supplémentaires de production, soit les centrales à gaz et à charbon dont les coûts de fonctionnement sont élevés. Les prix de l’électricité connaissent ainsi une volatilité sans précédent, avec d’importantes répercussions sur les acteurs économiques dans l’Union.
Ainsi, en 2022, le prix moyen du Mégawattheure (MWh) avait augmenté de 45 % par rapport à 2021 et celui du MWh de gaz de 107 %. La hausse de prix du MWh est très hétérogène selon les établissements industriels, en fonction du type de contrats souscrits et de leur durée ([198]):
Évolution des prix de l’électricité et du gaz dans l’Union européenne
(base 100 en 2010).
Source : Insee Première, n° 1952, juin 2023
Le fonctionnement du marché de gros de l’électricité ([199])
Le prix sur le marché de court terme est le prix du MWh qui équilibre le marché horaire. Il correspond au coût marginal (coût variable de fonctionnement de la dernière unité de production mise en service sur le marché, selon le principe de l’ordre de mérite). Sont ainsi appellées en priorité les capacités de production avec un faible coût marginal, soit les énergies renouvelables et le nucléaire, tandis que les capacités de production avec un coût marginal plus important sont mobilisées lors des pics de consommation. Ainsi, les centrales à gaz et à charbon ne sont mobilisées que lorsque la demande d’électricité est particulièrement importante.
Le prix de production demandé par la dernière unité de production mise en service sur le marché est versé à tous les producteurs appelés. Ce prix est par nature volatil, puisque plusieurs technologies existent dans les parcs de production. Il varie très fréquemment, à la hausse comme à la baisse, en fonction des tensions entre l’offre et la demande. Chaque exploitant qui a des coûts d’exploitation plus bas que le prix horaire reçoit donc un surplus que l’on appelle la rente inframarginale.
La volatilité et l’envolée des prix causées par la crise du marché de l’électricité sont ainsi particulièrement préjudiciables pour la compétitivité des entreprises et la pérennité des emplois industriels. Selon une étude publiée en 2023 ([200]), 116 000 emplois seraient menacés en cas de doublement durable des prix de l’électricité et du gaz en Europe.
L’élasticité du chiffre d’affaires et du résultat courant des entreprises industrielles au prix de l’énergie diffère selon les secteurs industriels concernés. Ainsi, l’industrie chimique et la métallurgie seraient davantage touchées par un tel renchérissement que la fabrication de textiles ou le travail du bois.
Diminution du chiffre d’affaires et du résultat courant avant impôt par secteur en France selon les scénarios de prix de l’énergie en France et en Europe (millions d’euros)
Source : La Fabrique de l’industrie
Cette situation de crise énergétique, couplée à la réforme du marché carbone européen et à la mise en œuvre de l’IRA aux États-Unis, implique ainsi une évolution des politiques publiques pour la promotion de la souveraineté industrielle européenne. L’incertitude est également accentuée par la fin du dispositif de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), qui permet aux clients industriels d’accéder à une énergie dont le prix est en dessous du prix de marché, à 42 euros par MWh.
La réforme du marché de l’électricité, en cours de négociation ([201]), constitue une première réponse à ce défi au niveau de l’Union. L’un de ses objectifs est de diminuer les factures énergétiques des entreprises et des ménages, grâce à des contrats de long terme permettant de lisser l’impact de la volatilité des cours du gaz. Lors de son audition par vos rapporteurs, les représentants de la confédération patronale Business Europe ont souligné la pertinence d’une telle mesure.
2. Au-delà du soutien aux technologies nucléaires, renforcer les instruments de long terme qui assurent un accès à une énergie décarbonée et compétitive
Le soutien à l’industrie européenne passe effectivement par une protection face à la volatilité des prix de l’électricité, qui peuvent atteindre des niveaux très élevés en période de crise.
Le développement du marché de long terme de l’électricité, promu par la Commission européenne et protégeant les acteurs industriels des aléas du marché ([202]), est une première réponse à promouvoir au niveau européen. Les contrats pour la différence permettent ainsi de fixer un prix plancher et un prix plafond pour la vente d’électricité par les producteurs, garanti par l’État. Si les prix du marché sont inférieurs au prix plancher, l’État compense alors la différence auprès des producteurs, protégeant ainsi leurs capacités d’investissement dans la transition énergétique. À l’inverse, lorsque les prix de marché sont supérieurs au prix plafond, les producteurs reversent la différence à l’État, qui peut redistribuer les recettes aux consommateurs, dont les industriels.
Lors de son audition par vos rapporteurs, le ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure rappelait qu’un premier contrat de long terme avait été signé à la fin juin 2023 entre EDF et Trimet (entreprise productrice d’aluminium en Savoie).
Vos rapporteurs rejoignent la position défendue au sein de cette commission dans le cadre du rapport relatif à la sécurité énergétique et la réforme du marché de l’électricité ([203]) : les contrats pour la différence doivent être promus pour protéger l’industrie française et européenne.
Ces contrats permettent par ailleurs de soutenir la filière nucléaire dans les États membres, en garantissant un prix plancher de vente de l’électricité aux producteurs. Ces contrats dont le périmètre et les modalités de déploiement sont en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil, selon l’avis de vos rapporteurs, être étendus aux installations existantes, de manière à généraliser le soutien aux énergies décarbonées, et protéger l’ensemble des consommateurs professionnels et particuliers.
Recommandation : Promouvoir le déploiement de contrats de long terme sur le marché de l’électricité, notamment les contrats pour la différence, pour protéger les consommateurs industriels de la volatilité des prix sur le marché spot.
Une autre option pour protéger les clients industriels de la volatilité des prix à court terme sur le marché européen de l’électricité est de nouer des partenariats industriels entre le producteur d’électricité et les consommateurs, en bilatéral ou en consortium. Les contrats Power Purchase Agreement (PPA), seraient alors utilisés, en tant que contrats privés de long terme de gré à gré, permettant aux consommateurs industriels de bénéficier d’un prix fixe pour une période déterminée contractuellement. Ces contrats protègent ainsi les industriels des variations de prix sur le marché de gros de l’électricité, tout en leur offrant la visibilité nécessaire pour les investissements futurs ([204]). Le 26 juin 2023, un contrat de gré à gré de long terme a ainsi été conclu entre EDF et l’aluminerie Trimet, prévoyant la livraison de 22 TWh d’électricité sur 10 ans. L’État peut également superviser la conclusion de ces contrats, en tant qu’actionnaire d’EDF et régulateur.
Vos rapporteurs soutiennent également le développement de ces contrats Power Purchase Agreement (PPA), promus par l’actuelle réforme du marché de l’électricité en cours d’adoption définitive au niveau européen.
III. VERS UNE MOBILISATION EFFICACE DES FINANCEMENTS PUBLICS ET PRIVÉS AU BÉNÉFICE DE L’INNOVATION INDUSTRIELLE ET DES SECTEURS STRATÉGIQUES
A. L’INDUSTRIE EUROPÉENNE DU FUTUR, UNE AMBITION À RENOUVELER
1. L’Europe de l’innovation, un panorama complexe de dispositifs nationaux et communautaires qui sous-estiment le potentiel des technologies duales
À partir des années 1980, les États membres de l’Union européenne ont décidé de la mise en œuvre d’une politique commune en matière de recherche et développement (R&D) et d’innovation, financée au moyen de programmes-cadres pluriannuels. En 1997, le traité d’Amsterdam a inscrit la politique de la recherche parmi les objectifs de l’Union européenne, avant que le Conseil européen de Lisbonne ne jette en mars 2000 les bases d’un Espace européen de la recherche (EER) ([205]). Entre 1984 et 2020, sept Programmes-Cadres pour la Recherche et le Développement économique (PCRD) ont été mis en œuvre. Le huitième PCRD, intitulé « Horizon Europe », doté de 95,5 milliards d’euros, est déployé avec le cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Si l’Union européenne est un « colosse scientifique » ([206]), elle sous-investit néanmoins dans la recherche et l’innovation par rapport à ses concurrents. Selon Eurostat, l’intensité des investissements de l’Union en R&D est certes passée de 1,8 % à 2,3 % du PIB sur la période 2000-2020, mais reste loin de l’objectif de 3 % fixé par la « stratégie Europe 2020 ». Cet effort reste sensiblement inférieur à celui recensé en 2021 aux États-Unis (3,5 %), au Japon (3,37 %) ou encore en Corée du Sud (4,8 %).
La faiblesse des investissements s’explique essentiellement par un niveau de dépenses privées relativement faible en R&D. Pis, selon la Commission européenne ([207]), « sur la base des tendances actuelles », l’Union européenne restera « bien en deçà de l’objectif de 3 % d’ici à 2030. »
Les technologies duales forment un « terrain propice à une synergie public-privé » ([208]). De ce point de vue, les industries du numérique et du spatial s’appuient sur des technologies duales, pouvant alimenter un cercle vertueux au service du développement économique, de l’autonomie stratégique européenne et de la souveraineté des États membres.
Comme le soulignait Mme Asma Mhalla lors de son audition par vos rapporteurs, le soutien à l’industrie high tech reste trop largement cantonné aux usages civils. La FrenchTech ne constitue pas une réponse suffisante aux risques de cyberguerres et aux défis de la souveraineté numérique. Il est dès lors nécessaire d’accompagner davantage le développement des technologies numériques duales, qui recèlent de surcroît de fortes potentialités économiques.
En matière d’industrie spatiale, le « règlement sur l’espace » ([209]) de 2021 a prévu un fonds d’investissement sur sept ans (dit « fonds Cassini »), à hauteur de 1 Md€, afin de soutenir les start-up et industries de l’écosystème, dont les champs de compétence trouvent des applications dans les champs civils et militaires (à l’instar des applications découlant de l’intelligence artificielle et du calcul quantique). Les investissements gagneraient à être renforcés en la matière, tant aux échelles nationales pour les États membres – à l’imitation du Plan France 2030 dont l’un des volets a trait au financement de technologies de surveillance de l’espace – qu’à l’échelle européenne en ce qui concerne le volet civil, afin de profiter des effets multiplicateurs de ces programmes.
2. L’ampleur des besoins de financement de l’industrie européenne appelle une meilleure articulation des initiatives publiques et privées
Les mesures publiques d’appui à la recherche et au développement sont essentielles pour atténuer les risques liés à l’innovation et accroître les investissements nécessaires au financement des technologies vertes et des technologies de rupture.
Comme le rappelait M. Philippe Tibi ([210]) dans le cadre de son audition par vos rapporteurs, les financements français (de l’ordre de 5 milliards d’euros pour les projets d’innovation de rupture dans le « Plan France 2030 ») sont sans commune mesure avec les investissements consentis notamment par les États‑Unis (300 milliards de dollars dans le cadre du Chips Act, et 369 milliards de dollars prévus par l’Inflation Reduction Act). Or, le secteur public doit remédier aux défaillances du marché pour assurer des financements suffisants aux premières étapes de l’industrialisation et de la rechercher, mais également pour dérisquer les investissements et faire en sorte que le secteur privé s’engage suffisamment.
Au niveau européen, l’initiative Scale-up Europe, portée lors de la Présidence française de l’Union européenne en 2022, agrège désormais 3,5 milliards d’euros. Dans ce cadre, la Banque européenne d'investissement (BEI) a un rôle majeur à jouer au travers de la fourniture de financements et d’une expertise pour dérisquer les investissements et soutenir la recherche. Dans le cadre de Scale-up Europe, la BEI a été chargée d’un mandat spécifique (initiative dite « Champions technologiques européens ») pour gérer un fonds destiné à investir dans des entreprises technologiques européennes ([211]).
Les résultats encourageants des initiatives « dites Tibi » Le rapport Financer la IVe révolution industrielle - Lever le verrou du financement des entreprises technologiques (juillet 2019), rédigé par M. Philippe Tibi, dressait le constat d’une insuffisante capacité de financement des entreprises technologiques en France dans leur phase d’accélération industrielle et commerciale. Pour répondre à ces besoins de financement, « l’initiative Tibi » a été initiée afin de renforcer le financement de ces entreprises, en s’appuyant sur un cahier des charges établi par le ministère de l’Économie. Au cours de la première phase, lancée en septembre 2019, les investisseurs institutionnels français s’étaient engagés à consacrer 6 milliards d’euros en faveur du financement des entreprises technologiques jusqu’au 31 décembre 2022. La Direction générale du Trésor dresse un bilan très positif de la phase 1 de l’initiative Tibi. Selon elle, la France est « désormais le premier écosystème pour le financement des nouvelles technologies au sein de l’Union européenne ». La deuxième phase a été initiée le 14 juin 2023 par le président de la République, au travers de l’annonce d’une enveloppe de 7 milliards d’euros d’ici fin 2026. |
B. SIMPLIFIER L’ÉCOSYSTÈME DE L’INNOVATION ET CRÉER UN VÉRITABLE FONDS DE SOUVERAINETÉ EUROPÉEN POUR DÉRISQUER LES INVESTISSEMENTS PRIVÉS
1. Mieux articuler les exigences d’innovation industrielle et d’autonomie stratégique
Pour articuler les exigences d’innovation industrielle et d’autonomie stratégique, l’établissement d’un véritable guichet unique des dispositifs européens de financement de l’innovation apparaît comme une option possible, les deux co-rapporteurs ayant toutefois une approche différente sur ce sujet.
Le cadre d’Horizon 2020 a été à l’origine du projet de Conseil européen de l’innovation (CEI), qui a vocation à servir d’agence européenne dédiée à l’innovation de rupture. Ainsi, comme le rappelle la communication de la Commission pour une compétitivité à long terme (2023), le Conseil européen de l’innovation « combine subventions et investissements en fonds propres, et vise à créer les conditions adéquates pour permettre aux jeunes pousses de se développer sans devoir se délocaliser à la recherche de financements ». Sa vocation devrait néanmoins être affirmée plus clairement, tandis que ses missions gagneraient à être rattachées explicitement aux objectifs de la « double transition ». En outre, dans la lignée des suggestions recueillies lors de l’audition de Mme Anaïs Voy‑Gillis, chercheuse et spécialiste des questions de réindustrialisation, un assouplissement des critères permettant au CEI de prendre des participations au capital d’entreprises stratégiques pourrait être envisagé ([212]), alors que ces participations sont aujourd’hui limitées aux entités n’ayant pas accès au crédit bancaire.
Le modèle de la Defense Advanced Research Projets Agency (DARPA ([213])) américaine n’a pas vocation à être reproduit à l’identique à l’échelle européenne. Le CEI est sans doute plus adapté pour l’Union, en ce qu’il vise des domaines exclusivement civils (digital et santé notamment) et respecte mieux les prérogatives des États membres et les impératifs de défense. En effet, si les stratégies de subventionnement des technologies militaires et duales sont décidées à l’échelon fédéral aux États-Unis, elles relèvent, dans l’Union, des États membres.
Vos rapporteurs soutiennent ainsi la création, au sein du Conseil européen de l’innovation (CEI), d’une cellule chargée spécifiquement de l’innovation disruptive, avec un mode de fonctionnement davantage intergouvernemental, justifié notamment par des raisons d’efficacité.
Dans cette perspective, M. Denis Masséglia souhaite que soit constitué un véritable guichet unique des dispositifs européens de l’innovation. Mme Yaël Menache ne partage pas cette approche considérant que l’établissement d’un guichet unique comporte le risque d’une trop forte concentration des décisions et que les dispositifs européens de financement de l’innovation doivent être un recours complémentaire aux dispositifs nationaux.
Recommandation n° 25 : Soutenir la création, au sein du Conseil européen de l’innovation (CEI), d’une cellule chargée spécifiquement de l’innovation disruptive, afin de constituer, comme le propose le co-rapporteur Denis Masséglia, un véritable guichet unique des dispositifs européens de l’innovation. |
2. Les débats entourant la création d’un véritable fonds de souveraineté pour l’Europe, abondé par de nouveaux financements européens et doté d’une capacité d’intervention élargie
La France a plaidé pour un fonds souverain européen, alimenté par une capacité d’emprunt commune, sur le modèle du mécanisme Sure ([214]) inauguré durant la crise sanitaire. Cette solution, peu consensuelle, a toutefois été expressément écartée dans les conclusions du Conseil européen des 9 et 10 février 2023. Plusieurs États membres, en particulier les Pays-Bas, ont fait valoir qu’une capacité d’emprunt commune n’était pas justifiée pour remédier aux défaillances structurelles de la compétitivité des industries européennes.
Le financement d’un véritable fonds de souveraineté, dont l’ambition serait sensiblement plus élevée que celle du programme STEP (voir supra, II/. B/.3.), continue à faire l’objet de débats. C’est ainsi que, dans une récente résolution ([215]) relative au projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2024, le Parlement européen regrettait que la Commission n’ait pas donné suite à son engagement, pris dans le cadre du programme de travail pour 2023, de « [s’efforcer] de créer un nouveau Fonds de souveraineté européen » et « estim [ait] que la proposition STEP devrait servir de banc d’essai en vue de la création d’un véritable fonds de souveraineté au cours de la prochaine période du CFP ».
Sur ce sujet, vos rapporteurs proposent deux analyses différentes, qu’ils souhaitent verser au débat.
Mme Yaël Menache estime que la politique de soutien aux industries devrait, dans un souci d’efficacité et en vertu du principe de subsidiarité, davantage relever de l’échelon national. Ainsi, un véritable fonds souverain devrait être constitué en France, pour contribuer au financement de la transition écologique, alors que les mesures de financement prévues par la loi n° 2023-973 relative à l'industrie verte restent trop légères et ne permettront pas de réelles avancées pour la politique industrielle.
À l’échelon européen, la poursuite de l’assouplissement de l’encadrement du régime des aides d’État devrait constituer la priorité, bien plutôt que la constitution d’un nouveau fonds européen.
M. Denis Masséglia est favorable à la constitution d’un véritable fonds de souveraineté en soutien à la compétitivité des industries. À cette fin, les négociations budgétaires pour la mise en œuvre du nouveau cadre financier pluriannuel 2027-2033 – qui débuteront au second semestre de l’année 2024 – devront pleinement intégrer les enjeux du soutien à l’autonomie stratégique de l’Union.
Ce fonds de souveraineté pourrait être alimenté par de nouvelles ressources propres. Ainsi que le propose le Parlement européen dans une résolution du 10 mai 2023 ([216]), la Commission pourrait ainsi proposer un corpus réglementaire unique en matière d’impôt européen, avec pour éléments constitutifs principaux une assiette commune et la répartition de l’impôt sur les sociétés reposant sur les ressources BEFIT. En outre, une taxe européenne sur les transactions financières (TFF) pourrait également être envisagée pour alimenter ce Fonds de souveraineté européen.
Si les concepts de « souveraineté industrielle » et « d’autonomie stratégique » sont bien entrés dans les consciences européennes, ceux-ci doivent devenir une préoccupation constante dans la déclinaison des politiques dépendant de l’Union.
Il apparaît en particulier que, même si les bien-fondés du libre-échange ne sauraient être remis en cause sans nuance, les politiques commerciales et de concurrence ne peuvent pas ignorer l’enjeu de la stratégie industrielle.
Si la volonté existe – l’adoption en octobre 2023 du règlement anti-coercition en est un bon exemple – les marges d’amélioration restent nombreuses. Dans un contexte d’accélération du temps des affaires, la mise en œuvre des PIIEC et les contrôles ex ante des dépenses de recherche et développement doivent par exemple être fluidifiés. Alors que l’application extraterritoriale de mesures illégales va croissant, la loi européenne « de blocage » doit également être révisée. Enfin, alors que nos rivaux commerciaux refusent parfois d’ouvrir leur marché, les critères de résilience gagneraient à être systématisés dans le cadre de l’attribution de marchés publics.
À terme, et plus généralement, la mise en œuvre de l’Agenda de Versailles impliquera de définir, dans chacun des six secteurs ([217]) identifiés comme « sensibles » des objectifs précis afin de réduire les dépendances stratégiques européennes.
RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS
Œuvrer pour une compétition transatlantique plus saine
Recommandation n 1 : Nourrir activement le « dialogue sur les incitations au développement des énergies propres » récemment créé dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies, pour contribuer à l’assainissement de la compétition transatlantique.
Se saisir pleinement des instruments de souveraineté
dont dispose désormais l’Union
Recommandation n° 2 : Étudier, à moyen terme, l’opportunité d’un abaissement du seuil des marchés entrant dans le champ d’application du nouvel instrument de réciprocité dans les marchés publics internationaux (IPI), sachant que cet instrument ne couvre aujourd’hui que 15 % des marchés publics en nombre.
Recommandation n° 3 : Autoriser les États membres à prendre des mesures de rétorsion dans le cadre de l’IPI, sous réserve de notification à la Commission.
Recommandations n° 4 : Pour ne pas pénaliser les entreprises industrielles produisant dans l’Union européenne :
- étudier l’opportunité d’une extension, d’ici à 2026, du Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone ;
- reporter à 2033 l’extinction des quotas gratuits, tant qu’une évaluation des effets du MACF n’aura pas été rendue.
Poursuivre la rénovation de la politique industrielle européenne
Recommandation n° 5 : Inviter la Commission européenne à clarifier sa doctrine en matière de concurrence potentielle future, en :
- allongeant l’horizon temporel de ses analyses de marché, afin de mieux prendre en compte l’entrée sur le marché d’un concurrent potentiel ;
- tenant compte du fait que les concurrents potentiels peuvent bénéficier de subventions publiques déloyales.
Recommandation n° 6 : Envisager, dans le cadre d’une future révision des traités, la mention au paragraphe 1 de l’article 173 du TFUE de l’objectif d’autonomie stratégique de l’Union européenne, Mme Yaël Menache souhaitant que cet objectif soit formulé « sous réserve de la souveraineté nationale ».
Accélérer la mise en œuvre des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC)
Recommandation n°7 : Plaider pour la réduction des délais d’instruction des PIIEC par la Commission européenne, afin de permettre notamment la mise en œuvre rapide des quatre PIIEC en cours de discussion.
Pour un renforcement de l’ambition du Pacte vert industriel européen :
Recommandation n° 8 : Permettre à l’ensemble des technologies nucléaires de bénéficier des avantages ouverts par le règlement NZIA, conformément au principe de neutralité technologique, étant entendu que ces technologies permettraient à l’Union d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Recommandation n° 9 : Détailler l’objectif global de production des technologies « zéro net » par secteur et par technologie, afin d’offrir un horizon plus précis aux opérateurs.
Recommandation n° 10 : Porter le seuil du différentiel maximal des coûts permettant de sélectionner un opérateur européen de 10 à 30 %.
Recommandation n° 11 : Envisager, à terme, dans le cadre de l’attribution des marchés publics, l’introduction systématique d’une clause de durabilité et de résilience, au travers de la modification de l’article 67 de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics.
Recommandation n° 12 :
- Revoir les objectifs de transformation des matières premières à 50 %, et les objectifs de recyclage des matières premières stratégiques à 20 % à horizon 2030.
- Prévoir, dans le cadre du rapport d’évaluation du règlement, des cibles à horizon 2040 et 2050, afin d’offrir davantage de visibilité aux entreprises, et affiner à cette occasion les objectifs pour chaque matière première.
Recommandation n° 13 : Assurer une mise à jour bisannuelle de la liste des matières premières critiques et stratégiques du CRM Act, et prévoir en particulier l’ajout du graphite synthétique.
Recommandation n° 14 :
- soutenir le déploiement de programmes nationaux d’exploration, en cernant les projets d’exploitation minière et de transformation et les besoins d’investissement, ainsi que les possibilités de financement connexes pour les matières premières critiques dans l’Union, dans le respect de standards environnementaux exigeants ;
- assurer une coordination intra-européenne, en particulier en matière de recueil de données sur les sites miniers exploitables et de suivi des projets stratégiques, tout en préservant la sécurité publique et la compétitivité de l’économie européenne.
Recommandation relative à la plateforme STEP prévue par le règlement NZIA
Recommandation n° 15 : S’assurer de l’opérationnalisation et du lancement rapides de la plateforme de coordination des financements, afin de permettre aux États membres d’accorder les aides aux industriels pour la production de technologies stratégiques à zéro émission nette.
Diversifier les approvisionnements européens
Recommandation n° 16 : Préciser les contours du « club CRM » sur les matières premières critiques, qui devra permettre d’assurer la résilience des approvisionnements européens tout en promouvant des standards environnementaux et sociaux élevés dans le cadre des partenariats stratégiques
Protéger l’industrie européenne face aux prises de participation hostiles
Recommandation n° 17 : À l’échelle nationale, afin de limiter les risques pour la sécurité nationale liés à des prises de participation hostiles :
- pérenniser l’abaissement du seuil de 25 % à 10 % des droits de vote déclenchant le contrôle des capitaux pour les investissements des entreprises hors de l’Union ;
- envisager l’application de ce seuil à toutes les sociétés relevant des secteurs stratégiques français, et non pas uniquement aux sociétés cotées.
Recommandation n° 18 : Plaider pour que l’ensemble des États membres se dotent de mécanismes complets de filtrage des IDE, alignés sur le niveau d’exigence de la législation française.
Recommandation n° 19 :
- Participer activement au processus d’évaluation approfondie des risques liés aux investissements dans les semi-conducteurs avancés, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et les biotechnologies.
- Engager une réflexion sur la pertinence d’un « instrument ciblé sur les investissements sortants », aux fins de prévenir les transferts de technologie pour un nombre limité de technologies sensibles, dont la liste serait établie par les États membres.
Recommandation n° 20 :
- Inviter la Commission européenne et les États membres à présenter un bilan des travaux du groupe d’experts sur les sanctions et l’exterritorialité mis en place en 2021 pour proposer des modifications du règlement (CE) nº 2271/96 (« loi de blocage » de 1996).
- Créer un bureau européen de coordination contre la coercition, représentant les intérêts des entreprises européennes lors du dialogue et de la négociation avec des entités des pays tiers, et prévenant en amont les gouvernements et les entreprises des risques de coercition.
- Relancer le projet d’une « infrastructure européenne du cloud » afin de construire une alternative crédible pour l’hébergement des données des entreprises de l’Union conjointement avec les politiques nationales dans ce domaine et dans le respect des priorités des États membres.
Recommandation n° 21 : Envisager l’adoption d’un « instrument européen de défense contre l’extraterritorialité » prévoyant la possibilité pour les États membres de se prononcer à la majorité qualifiée pour adopter des contre-mesures en cas de sanction extraterritoriale ciblant une entreprise européenne.
Rendre la législation plus performante
et réduire son impact sur la compétitivité des industries
Recommandation n° 22 :
- Envisager un élargissement aux propositions non législatives des « tests de compétitivité » introduits par la Commission européenne en 2023 ;
- Dans le cadre des « tests de compétitivité », évaluer l’impact sur la compétitivité internationale à partir d’une comparaison des législations similaires des principaux concurrents commerciaux ;
- Permettre à la formation « Compétitivité » du Conseil d’étudier des textes ne relevant pas de son portefeuille, mais susceptibles d’avoir un impact sur la compétitivité et le marché intérieur ;
- Organiser un débat annuel au Conseil sur les questions relatives à l’amélioration de la réglementation et à l’impact des normes sur la compétitivité des entreprises industrielles.
Recommandation n° 23 : Préciser le système d’exemptions pouvant être activé par la Commission européenne pour soustraire une nouvelle réglementation à l’approche « un ajout, un retrait ».
Un prix de l’énergie compétitif, favorable à la transition environnementale
Recommandation n° 24 : Mettre en œuvre la réforme du marché européen de l’électricité afin de rapprocher les prix de l’électricité payés par les consommateurs des coûts moyens de production dans les États membres et de protéger les consommateurs industriels de la volatilité des prix sur le marché spot, dans le plein respect des souverainetés des États dans le choix de leurs sources d’approvisionnement énergétique.
Assurer un financement
mieux coordonné de l’innovation à l’échelle européenne
Recommandation n° 25 : Soutenir la création, au sein du Conseil européen de l’innovation (CEI), d’une cellule chargée spécifiquement de l’innovation disruptive, afin de constituer, comme le propose le co-rapporteur Denis Masséglia, un véritable guichet unique des dispositifs européens de l’innovation.
La Commission s’est réunie le 22 mai 2024, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information de nos collègues Denis Masséglia et Yaël Menache sur la souveraineté industrielle européenne.
M. Denis Masséglia, co-rapporteur. Commençons par un constat général : la crise du COVID, le déclenchement de la guerre en Ukraine et les tensions commerciales avec les États-Unis et la Chine ont démontré la nécessité pour l’Union européenne d’émanciper l’Union européenne de ses dépendances dans des secteurs stratégiques. Comme l’a déclaré aux rapporteurs un des experts auditionnés, « l’Europe ne peut pas rester herbivore dans un monde de carnivores ». C’est ce que j’entends par ce concept de souveraineté industrielle européenne : la nécessité pour l’Union de promouvoir une véritable stratégie industrielle commune et de créer les conditions de son autonomie stratégique dans un certain nombre de filières clefs.
Ma co-rapporteure vous dira ce qu’elle pense de ce concept car elle n’en a pas la même appréciation positive que moi. Je me félicite toutefois que malgré nos différences d’approche, nous ayons pu travailler en commun à un rapport qui fait de nombreuses recommandations.
Mme Yaël Menache, co-rapporteure. Ce concept de souveraineté industrielle européenne me parait – et c’est ce que beaucoup de personnes auditionnées ont indiqué – comme un concept incertain, difficile à définir. Et comme le disait Albert Camus, « mal nommer les choses c'est ajouter encore au désordre du monde ».
Entendons-nous bien : je n’exclus pas un recours complémentaire à des mécanismes européens pour soutenir le développement de l’activité industrielle. C’est à ce titre que j’ai pleinement joué le jeu de ce rapport en contribuant à notre réflexion commune sur les moyens d’améliorer l’efficacité de ces mécanismes. Mais ma conviction est que les dispositifs européens de soutien à la reconquête d’une autonomie stratégique européenne dans un certain nombre de filières doivent être envisagés selon des moyens respectueux du principe de subsidiarité.
Je poursuis sur quelques éléments généraux de constat. Comme vous le savez, l’ouverture au commerce international a été un des facteurs de la désindustrialisation des économies observable dans l’ensemble de l’Union et particulièrement marquée en France. La part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) français est passée depuis 1990 de 25 % à 13,5 % (cette part étant de 25,5 % en Allemagne et de 19,5 % du PIB en Italie).
Ce phénomène est imputable à deux principaux facteurs. Le premier est la montée en puissance du secteur des services dans l’économie – due elle-même à l’évolution de la demande des ménages, à la diminution du prix relatif des biens industriels sous l’effet des gains de productivité et à l’externalisation croissante des activités industrielles auprès des prestataires de services. Le second facteur est la mondialisation des chaînes de valeur - qui encourage des stratégies de délocalisation et entraîne la fermeture de sites sur le territoire national.
Cette mondialisation expose également l’Union européenne à des risques de rupture d’approvisionnement mis en valeur par la guerre en Ukraine et la crise sanitaire. Selon certaines études, la vulnérabilité de l’approvisionnement français serait proche de la moyenne européenne. Sur 9 334 produits étudiés importés en France, 644 produits – soit environ 7 % – seraient vulnérables, car majoritairement produits hors de l’Union et concentrés dans un faible nombre de pays fournisseurs.
C’est le cas de certains équipements médicaux, des puces électroniques, de 80 % des principes actifs de médicaments…
Dans un tel contexte, l’Europe s’adapte difficilement à l’intensification de la compétition économique mondiale. Face au lancement de l’Inflation Reduction Act (IRA) et du plan décennal Made in China 2025, l’Union privilégie par peur des représailles une politique de « réduction des risques » plutôt qu’une stratégie offensive. Elle continue à compter sur l’ouverture des marchés pour inciter les entreprises à réduire leurs prix et à innover. Malgré le blocage persistant de l’OMC, elle reste attachée au cadre commercial multilatéral.
M. Denis Masséglia, co-rapporteur. Par rapport à ce constat, je souhaiterais juste faire remarquer qu’une création nette d’emplois industriels a été constatée en 2023 pour la première fois en France depuis les années 2000.
Je voudrais également indiquer que face aux limites du « doux commerce », l’Union européenne est en train d’accomplir ce que certains experts désignent comme une révolution copernicienne.
En témoignent sous l’influence de la France la consécration du concept d’autonomie stratégie « ouverte » - qui est une formulation de compromis entre la France et les États membres de tradition libérale – et l’adoption d’instruments visant à assurer une réciprocité dans les marchés publics et à protéger le marché intérieur.
Il convient néanmoins d’utiliser ces outils de façon moins pusillanime : l’Union européenne recourt presque cinq fois moins que les États-Unis aux instruments de défense commerciale. À cette fin, nous recommandons d’abaisser le seuil des marchés publics déclenchant la mise en œuvre du nouvel instrument de réciprocité des marchés publics et, dans ce cadre, d’autoriser les États à prendre des mesures nationales de rétorsion.
Pour ne pas pénaliser les entreprises industrielles produisant dans l’Union européenne, nous appelons également à étendre, d’ici à 2026, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone. Nous estimons également nécessaire de reporter à 2033 l’extinction des quotas gratuits tant qu’une évaluation des effets du MACF n’aura pas été faite.
Il importe également de rééquilibrer politique de concurrence et politique industrielle afin que l’Union ne privilégie plus l’intégration de son marché intérieur par rapport à la constitution de groupes industriels de dimension mondiale. Ainsi, nous proposons que l’analyse par la Commission des projets de fusion d’entreprises tienne compte des éventuelles aides publiques déloyales reçues par les concurrents potentiels. Nous demandons également que cette analyse de la Commission s’inscrive dans un horizon temporel suffisamment long pour que soit prise en compte l’entrée sur le marché d’un concurrent potentiel.
S’agissant des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), il s’agit d’un dispositif utile qui permet aux États membres de subventionner certains projets industriels par dérogation aux règles encadrant les aides d’État. Mais les délais d’instruction sont beaucoup trop longs et il convient de les réduire.
Un autre progrès a été l’adoption en fin de législature de deux règlements visant l’un à simplifier le cadre réglementaire pour la production de technologies stratégiques zéro émissions nettes (NZIA), l’autre à favoriser le développement sur le territoire européen d’un écosystème industriel dédié aux matières premières critiques (CMRCA). Sur ces deux textes, nous avons présenté diverses préconisations comme l’inclusion de la filière nucléaire dans la liste des technologies stratégiques, une augmentation du différentiel maximal des coûts (afin de favoriser les opérateurs européens dans la passation des marchés) et une mise à jour régulière de la liste des matières premières stratégiques.
Je regrette toutefois que la mise en œuvre du règlement NZIA ne s’appuie pas sur un financement européen conséquent. La plateforme STEP, destinée à financer le soutien aux technologies « zéro net », est d’un montant réduit. A défaut, nous appelons a minima à identifier les financements et rationaliser les programmes susceptibles d’être mobilisés dans le cadre du programme STEP.
Mme Yaël Menache, co-rapporteure. La seconde partie de ce rapport est consacrée à un plan d’action pour une souveraineté industrielle européenne respectueuse des souverainetés nationales.
En premier lieu, l’Union européenne doit sécuriser ses approvisionnements stratégiques en nouant des partenariats internationaux avec les pays producteurs afin d’assurer la résilience des approvisionnements européens tout en promouvant des normes environnementales et sociales élevées.
Par ailleurs, les secteurs stratégiques doivent être protégés face aux prises de participations hostiles et aux fuites de technologies. Nous recommandons que l’ensemble des États membres se dotent, sur le modèle français, de mécanismes de filtrage des investissements directs étrangers (IDE). Il apparaît indispensable également que le contrôle européen sur les exportations de biens et technologies à double usage soit renforcé. Nous appelons également au lancement d’une réflexion sur la mise en place d’un instrument de contrôle des investissements sortants dans des domaines sensibles et stratégiques.
Un point d’inquiétude majeur est celui de l’extraterritorialité du droit pratiquée par les pays tiers (principalement les États-Unis). Les entreprises européennes – notamment celles produisant des technologies stratégiques - sont en effet exposées à des sanctions extraterritoriales qui constituent des interférences injustifiées et contraires au droit international. La création d’un bureau européen de coordination contre la coercition permettrait aux entreprises européennes d’être accompagnées lorsqu’elles doivent négocier avec des pays tiers. L’adoption d’un instrument européen de défense collective prévoyant l’adoption à la majorité qualifiée de contre-mesures en cas de sanction extraterritoriale pourrait être envisagée.
Nous pensons également que la législation européenne doit être plus performante et réduire son impact sur l’industrie. Les entreprises européennes font en effet face à une inflation normative qui nuit à leur compétitivité. Par exemple, 502 obligations et 3 670 pages de réglementation sur les entreprises sont sorties des bureaux de la Commission européenne et du Parlement européen depuis 2017.
Nous recommandons que les « tests de compétitivité » introduits par la Commission européenne en 2023 pour les actes législatifs soient renforcés. J’insiste particulièrement sur la nécessité que les propositions législatives européennes soient accompagnées de véritables études d’impact : ce n’était pas le cas du règlement NZIA et cela n’était pas acceptable.
La Commission européenne a lancé enfin une approche dite « un ajout, un retrait° » : sur le papier, l’idée est intéressante. Il s’agit de compenser les nouvelles charges induites par des normes européennes par le retraité d’anciennes. Mais cette démarche ne débouche sur rien de concret et nous appelons donc à ce que cette approche soit précisée et renforcée.
M. Denis Masséglia, co-rapporteur. Ce choc de compétitivité passe également par une protection de l’industrie européenne face à la volatilité des prix de l’électricité, qui peuvent atteindre des niveaux très élevés en période de crise. Sous l’impulsion de la France, une réforme du marché de l’électricité a été adoptée au niveau de l’Union qui a permis d’aboutir à deux objectifs évoqués dans le rapport : le développement du marché de long terme de l’électricité par la conclusion de contrats d’approvisionnement qui protègent les consommateurs industriels de la volatilité des prix sur le marché spot ; la conclusion de partenariats industriels entre le producteur d’électricité et les consommateurs pour permettre à ces derniers de bénéficier d’un prix fixe pour une période déterminée contractuellement.
Enfin, nous appelons à une mobilisation efficace des financements publics et privés au bénéfice de l’innovation industrielle et des secteurs stratégiques. Si l’Union européenne est un « colosse scientifique », elle sous-investit dans la recherche et l’innovation par rapport à ses concurrents. L’intensité des investissements de l’Union en R&D est certes passée de 1,8 % à 2,3 % du PIB sur la période 2000-2020, mais reste loin de l’objectif de 3 %. Cet effort reste sensiblement inférieur à celui recensé en 2021 aux États-Unis (3,5 %), au Japon (3,37 %) ou encore en Corée du Sud (4,8 %).
Je soutiens ainsi l’établissement d’un guichet unique des dispositifs européens de financement de l’innovation. Il conviendrait également de relancer le projet d’une « infrastructure européenne du cloud » afin de construire une alternative crédible pour l’hébergement des données des entreprises de l’Union. De même, je crois indispensable la création d’un fonds de souveraineté européen qui serait alimenté par de nouvelles ressources propres.
Mais je laisse la parole sur ces points à ma co-rapporteure qui ne partage pas entièrement ces points de vue.
Mme Yaël Menache, co-rapporteure. En effet, je considère que l’établissement d’un guichet unique comporte le risque d’une trop forte concentration des décisions et que les dispositifs européens de financement de l’innovation doivent être un recours seulement complémentaire aux dispositifs nationaux.
J’estime aussi que la politique de soutien aux industries doit privilégier l’échelon national. C’est en France que doit être constitué un véritable fonds souverain pour contribuer au financement de la transition écologique : au niveau européen, la priorité devrait être plutôt d’assouplir l’encadrement du régime des aides d’État.
Enfin, je ne suis pas hostile, loin de là, au projet d’un cloud européen mais je considère qu’un préalable doit être la recherche d’une souveraineté nationale dans ce domaine et qu’il importe de respecter les priorités des États membres.
L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.
M. Stéphane Buchou (RE). « La seule voie qui est située dans notre avenir, c'est la refondation d'une Europe souveraine », tels étaient les mots du président de la République en 2017, à la Sorbonne. Dans son discours sur l'Europe, présenté le 25 avril 2024, le président de la République exhortait à accélérer sur la puissance, notamment en bâtissant une Europe de la prospérité.
La politique industrielle, disait-il, en est un jalon clé. La pandémie du COVID-19 et l'invasion russe en Ukraine nous ont rappelé nos interdépendances et nos vulnérabilités. La communication du 5 mai 2021 centrée sur l'objectif d'autonomie stratégique dresse une liste de 137 produits pour lesquels l’Union était en situation de forte dépendance. Elle identifiait six domaines stratégiques dont les matières premières, les batteries, ou les semi-conducteurs. Depuis, un règlement sur les semi-conducteurs et une réglementation sur les matières critiques ont été adoptés.
Dans ce contexte d'intensification de la compétition économique mondiale avec le lancement de l'Inflation Reduction Act et du plan décennal made in China 2025, l'Europe doit s'adapter. Elle doit le faire de manière plus offensive, tout en trouvant le juste équilibre entre l'attachement à un cadre commercial multilatéral et l'adoption d'instruments visant à assurer une réciprocité dans les marchés publics, et à mieux protéger le marché intérieur.
Vous proposez un Plan d'action pour une souveraineté européenne respectueuse des spécificités nationales. Il s'agit de 25 propositions articulées autour de la sécurisation de nos approvisionnements stratégiques en nouant des partenariats sûrs et durables, de la lutte contre l'extraterritorialité du droit pratiqué par les pays tiers, du déclenchement d'un véritable choc de compétitivité en faveur de l'industrie européenne, ou encore une mobilisation efficace des financements publics et privés au bénéfice de l'innovation industrielle des secteurs stratégiques.
Je souhaite vous interroger sur les alliances industrielles dans les domaines stratégiques. Nouvelles formes de partenariat public privé, elles visent à améliorer la coordination entre les acteurs privés et faciliter leur coopération avec les acteurs publics. Plusieurs alliances industrielles ont été créées ces dernières années dans le domaine des plastiques recyclés en 2019, de l'hydrogène propre en 2020, des matières premières critiques en 2020, des processeurs et semi-conducteurs en 2021, pour le développement d'un avion à hydrogène en 2022, ainsi que pour les carburants alternatifs en 2021.
Pensez-vous qu'elles contribuent au renforcement de la souveraineté industrielle européenne ? Permettront-elles d'atteindre l'objectif de double transition de la politique industrielle de l'Union européenne, vers la neutralité climatique et vers le leadership numérique ?
Enfin, M. Denis Masséglia, pourriez-vous nous détailler le mécanisme de fonds de souveraineté envisagé et préciser la nature de ses ressources ?
M. Thibault François (RN). La notion de souveraineté industrielle est devenue un enjeu central pour les pays membres de l’Union européenne. Ces pays ont dû faire face à une succession de crises importantes, dont la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Les élus du Rassemblement National continueront à soutenir la coopération industrielle et technique sur les grands projets d’avenir dont l’intelligence artificielle ou encore l’aérospatiale. L’Europe que nous proposons sera celle des grands projets industriels entre les États membres.
Nous continuerons à lutter contre les ingérences de la Commission européenne pendant que la « macronie » se félicite de recevoir, en grande pompe, les investissements chinois à travers la venue du président Xi Jinping. L’Europe que nous défendons continuera de défendre la souveraineté des États et des peuples. Nous contrerons la volonté de la « macronie » et de la Commission européenne qui souhaitent une dilution de notre souveraineté à travers la mise en place d’une Union européenne centralisée. L’Union européenne ne dispose, d’ailleurs, pas de stratégie industrielle et ne souhaite pas nous protéger face aux autres grandes puissances mondiales.
Ce rapport met aussi en lumière les dépendances dont l’Union européenne a dû s’émanciper pour conserver certains secteurs stratégiques. Cette question est loin d’être aboutie et votre rapport l’indique également. Nous constatons que l’homogénéité reste, au sein de l’Union européenne, une notion très abstraite qui n’existera jamais dans une Union au sein de laquelle les États membres ne seraient pas respectés. Comme l’a rappelé ma collègue Yaël Ménache, les investissements devraient prioriser l’échelon national. La France devrait constituer un fonds souverain pour le financement de la transition écologique par exemple.
Je souhaiterais savoir, Madame et Monsieur les rapporteurs, comment vous proposez de garantir que les initiatives visant à soutenir la souveraineté industrielle de l’Union européenne respectent et maintiennent les souverainetés individuelles des Etats de l’Union ? En particulier, sur le contrôle national des industries stratégiques et les politiques industrielles locales ?
Mme Marietta Karamanli (SOC). Ce rapport interroge de manière pratique et opérationnelle la souveraineté industrielle européenne. Développer la souveraineté industrielle européenne nécessite de faire du marché intérieur un outil géopolitique. En effet, les crises sanitaires et énergétiques ont démontré nos déficiences sur certains produits dans les chaînes de valeurs. Ce problème réduit considérablement notre souveraineté en matière industrielle. Il faut alors que le marché intérieur constitue un levier de la souveraineté européenne.
Ensuite, il convient d’accroître la production, avec des débouchés pour les technologies innovantes au sein de l’Union européenne. Le leadership européen en termes d’innovation peine à être traduit en matière de production industrielle. Enfin un dernier objectif serait d’investir massivement dans les ressources humaines parce que l’accroissement des capacités de production ne peut être atteint que par ce mécanisme.
Un enjeu consiste à définir les secteurs, les produits et les composants stratégiques de l’Union européenne et de définir de nouvelles stratégies d’investissement avec deux principes moteurs. Il s’agit de la sécurité de l’Union européenne et de la réciprocité du pays investisseur à travers une joint‑venture avec un pourcentage minimum de détention européen de l’entreprise ou l’interdiction d’opérer dans certains secteurs stratégiques.
Ensuite, votre rapport rend compte de ma deuxième réflexion. Les pays européens ne peuvent innover que si la production, la formation et la compétence des travailleurs sont assurées de manière indépendante. Pensez-vous qu’il est possible d’aller plus loin que les recommandations habituelles sur la formation ? Il faudrait peut-être aller vers des parcours de compétences qui valorisent les salariés, mais aussi des Erasmus industriels pour les jeunes et les moins jeunes.
M. Thierry Mariani, député européen (ID). Votre Commission s’était penché, dans un rapport de Thibault François et de Christopher Weissberg sur les sanctions internationales. Vous avez mentionné dans votre rapport, l’extraterritorialité du droit américain et des menaces qu’il fait peser sur notre souveraineté industrielle. Que proposez-vous pour contrecarrer cette influence ? Elle n’est pas nouvelle, mais pénalise de plus en plus nos entreprises européennes.
M. Denis Masséglia, co-rapporteur. M. Stéphane Buchou, vous abordez deux questions dont les alliances industrielles publique-privée et le fonds de souveraineté. Nous avons écrit ce rapport avant le discours de la Sorbonne du président Macron en avril 2024. Le président Macron met en avant, dans ce discours, l’importance d’investir massivement dans la recherche, le développement et l’industrialisation. Il s’agit d’une vraie faiblesse de l’Union européenne, car nous disposons d’une politique adéquate pour former nos chercheurs, mais nous sommes en difficulté pour monétiser et mettre en place les productions industrielles. Le président Macron estime entre 600 et 1 000 milliards d‘euros le montant des investissements à réaliser chaque année. Soit nous choisissons une stratégie comme Israël, de spécialisation et dans ce cas-là nous aurons une souveraineté partielle, soit nous décidons d’investir pour défendre notre souveraineté globale.
Je souhaite ensuite vous répondre sur le volet financement. Aujourd’hui, nous avons un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne. Il s’applique sur les matières premières, mais pas sur les produits finis. Je crois que nous avons là un axe de travail. Cela permettrait que les entreprises extra-européennes, qui ne respectent pas nos normes, financent les entreprises européennes qui respectent les normes environnementales.
M. Thibault François, je vais reprendre votre phrase « respect de la souveraineté nationale et des peuples ». Vos propos étaient peut-être valables il y a plusieurs décennies de cela mais le monde a évolué ainsi que les besoins en financement. Mon collègue, député sous la précédente législature, Cédric Villani a mis en place un plan d’investissement pour l’Intelligence artificielle avec 1,5 milliard d’euros sur cinq ans. Dans le même temps, les GAFA investissent près de 15 à 20 milliards d‘euros par an. Nous avons donc besoin d’investissements dont nous n’avons pas les moyens individuels. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut sacrifier notre souveraineté, mais elle passera par un accord avec d’autres pays membres de l’Union européenne.
Il existe aujourd’hui deux pôles économiques importants dans le monde : les États Unis, qui sont nos alliés mais pas nos amis, et la Chine qui n’est ni notre alliée, ni notre amie. Nous devons donc trouver une position indépendante entre les États-Unis et la Chine. Nous ne pouvons le faire que collectivement car individuellement nous sommes un grand pays dont la taille du marché n’est pas suffisante.
Mme Karamanli souligne l’importance du marché intérieur pour conserver notre souveraineté. Si nous voulons exercer une certaine pression sur une entreprise comme Amazon ou Facebook, quelle est notre capacité de faire fléchir ces entreprises ? La France n’aurait qu’un pouvoir limité en restreignant l’accès au marché français là ou l’Union européenne a une capacité de pression beaucoup plus importante. Le rapport de force nous permet de négocier. L’Europe doit donc se transformer non pas pour imposer sa vision aux deux entités citées, mais pour défendre ses intérêts. Cela ne passe pas par un repli sur soi mais par une réciprocité. Il n’est pas acceptable aujourd’hui que certaines entreprises européennes ne bénéficient pas des mêmes règles que les entreprises chinoises. Nous ne pouvons pas accepter que l’accès à certains marchés comme en Chine soit limité alors que les entreprises chinoises peuvent commercer en Europe. Nous ne devons pas rentrer dans une guerre commerciale telle que Donald Trump a pu le faire par le passé. Cependant, nous devons mettre en place une réciprocité.
Vous parlez d’accroître les débouchés. C’est le marché européen qui permettra de les accroître si l’on s’assure que la concurrence est juste vis-à-vis des entreprises chinoises et américaines. Les entreprises françaises et européennes ne sont pas subventionnées comme peuvent l’être les entreprises américaines et chinoises.
Vous parlez enfin, d’investir massivement dans les ressources humaines et vous proposez de faire de la formation dans l’industrie à l’échelle européenne. Cela existe déjà, aujourd’hui : le jeune député en face de vous est parti en 2005 en Angleterre, avec un financement européen au sein d’un cursus d’apprentissage dans l’industrie. Ces financements ne sont cependant pas suffisamment connus et importants. J’entends dire qu’avec Donald Trump, les relations commerciales sont devenues compliquées, mais je rappelle que l’extraterritorialité des lois américaines a été développée par les démocrates. Richard Nixon affirmait dans les années soixante-dix que « le dollar est notre monnaie et votre problème ». Nous pouvons avoir des dissensions avec les Italiens et les Allemands, mais l’alternative de la dépendance à la Chine et aux États-Unis passe par une indépendance européenne.
Ceux qui vous font croire que cela sera possible en dépensant des centaines de milliards d’euros pour défendre nos entreprises mentent. Cela doit passer par un projet européen.
M. Mariani, sur l’extraterritorialité du droit américain, j’ai apporté des éléments de réponse. Je n’ai aucun doute que le Rassemblement National soutiendra la proposition figurant dans le rapport de créer un « legal privilege » pour permettre aux entreprises de disposer d’un juriste en leur sein. Je n’ai pas de problème pour appliquer le principe de l’extraterritorialité du droit européen en cas d’utilisation de l’euro.
Mme Yaël Ménache, co-rapporteure. Je vais apporter une réponse globale, nécessairement différente de celle de mon co-rapporteur. Depuis 2020 et la crise sanitaire, nous avons ouvert les yeux sur la dépendance de l’Europe et de la France vis-à-vis de la Russie, de la Chine et des États-Unis. Le président de la République appelle à une plus grande indépendance nationale et européenne, mais reçoit le président de la République populaire de Chine en grande pompe. La Chine et la Russie sont aujourd’hui des ennemis de la France et de l’Europe : nous devons impérativement trouver des solutions pour renforcer notre indépendance à leur égard.
L’Europe ne peut être forte qu’en ayant des États nations forts et respectés : il ne faut pas vendre l’identité de ces États à l’Union européenne. On ne peut pas laisser l’Union européenne prendre des décisions en lieu et place des États : dans le cadre d’une copropriété, on ne peut pas prendre des décisions à la place des copropriétaires et leur indiquer comment vivre chez eux. On ne peut pas faire sans l’Europe, mais il faut des nations fortes et souveraines, avec lesquelles coopérer. C’est la seule manière d’avoir une souveraineté industrielle forte.
La France est en retard dans plusieurs domaines, comme l’intelligence artificielle et la cyber sécurité. La plupart des acteurs que nous avons auditionnés nous ont signalé que la France n’avait pas d’armes pour se défendre dans le monde cyber. Il faut donc y consacrer des moyens financiers, et mener une véritable offensive en la matière.
Pour faire face au front de la Chine, de la Russie et des États-Unis, la France doit également travailler avec certains pays d’Afrique. Nous allons avoir besoin, pour renforcer la sécurité nationale ou européenne, d’échanges et d’engagements avec les pays d’Afrique.
Concernant la formation, il est important de revaloriser les métiers de l’industrie. On a trop souvent eu un rapport péjoratif avec nos industries. Ces industries manquent aujourd’hui de main-d’œuvre en raison des politiques passées : il faut aujourd’hui mettre un point d’honneur à ces enjeux de formation.
La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs
I/. Auditions conduites par les rapporteurs à Paris
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie
Mme Sabine Lemoyne de Forges, sous-directrice de la politique commerciale et de l’investissement
M. Pierre-Eliott Rozan, chef du bureau Politique commerciale
M. Pierre-Marie Voegeli, adjoint à la cheffe du bureau Contrôle des investissements étrangers en France
(par ordre chronologique)
M. Xavier Jaravel, économiste, professeur associé à la London School of Economics, membre du Conseil d’analyse économique (CAE).
M. Simone Tagliapietra, économiste, Senior Fellow du think tank Bruegel
M. Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique (EGE), directeur associé du cabinet Spin Partners
M. Raphaël Gauvain, avocat au Barreau de Paris, ancien député de Saône-et-Loire
Mme Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie, chercheuse associée à l’IAE de Poitiers
M. Philippe Tibi, professeur de finance à l’École Polytechnique, chargé du projet « Financement Scale-Up » au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
Mme Asma Mhalla, membre du Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de la recherche scientifique, enseignante à Columbia GC, à Sciences Po et à l’École Polytechnique
M. Louis Gallois, co-président du think tank La Fabrique de l’industrie
II/. Auditions conduites par les rapporteurs à Bruxelles
M. Joan Canton, membre du cabinet du Commissaire Thierry Breton
Mme Žaneta Vegnere, directrice de cabinet adjointe du vice-président exécutif Valdis Dombrovskis
Mme Caroline Boeshertz, membre du cabinet
M. Alexis Chalopin, conseiller Politique et compétitivité industrielle (industrie net zéro), innovation, PME, tourisme
Mme Ségolène Milaire, conseillère Politique et compétitivité industrielle (matières premières critiques), innovation, PME, tourisme
Mme Rebecca Lentini, Secrétaire générale
M. Alexandre Affre, directeur général adjoint, en charge des questions industrielles, de l’entrepreneuriat et des PME
Mme Eleonora Cattela, directrice adjointe pour les relations internationales
M. Jean-David Malo, Directeur
annexe n° 2 :
PANORAMA synthÉTIQUE COMPARATIF DE LA SITUATION DE L’INDUSTRIE DAns cinq pays en europe
Source : Document transmis par Mme Anaïs Voy-Gillis dans le cadre des travaux d’audition des rapporteurs.
annexe n° 3 :
Tableau de synthÈse des matiÈres premiÈres CONSIDÉRÉES COMME CRITIQUES OU STRATÉGIQUES DANS DIFFÉRENTS RAPPORTS
Clef de lecture : figurent en gras les matières critiques absentes de la liste proposée dans la proposition initiale de règlement CRMA par la Commission européenne.
Source ou institution |
Matières premières critiques |
Matières premières stratégiques |
Résolution du Sénat (07/23) |
Propose l’ajout de :
Propose la création d’une nouvelle liste pour d’autres matières premières essentielles dont les risques de difficultés d’approvisionnement pourraient affecter l’économie européenne comme le sable, le ciment, le gypse, l’asphalte ou les granulats. |
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Commission Parlementaire Industrie, Recherche et Énergie du Parlement européen
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Avis de la Commission des affaires étrangères (via proposition d’amendement) : Erbium, europium, lanthane, ytterbium, yttrium
Avis de la Commission du développement régional : Aluminium, chrome
Lors des débats sur le règlement : Aluminium, Étain, Graphite et Nickel |
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Rapport du Sénat (2016)
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Matériaux non métalliques : Hélium, Phosphates, Charbon à coke
Métaux (hors terres rares) : Antimoine, Bérylium, Borates, Chrome, Cobalt, fluorine, gallium, germanium, graphite, indium, lithium, magnésite, magnésium, molybdène, niobium, rhénium, silicium, tantale, tellure, tungstène. |
Rapport du Conseil Économique Social et Environnemental (2019)
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Le rapport ne produit pas de liste spécifique de matériaux critiques, mais met l’accent sur l’importance des métaux rares stratégiques ou critiques (des métaux peu présents dans la croûte terrestre comme le plomb) dans les chaînes de valeur françaises et européennes. En raison de leur rareté, les métaux rares et précieux sont susceptibles d’être identifiés comme des métaux critiques. |
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BRGM[i] |
Antimoine, Argent, Béryllium, cadmium, Chrome, Cobalt, Cuivre, Étain, Gallium, Germanium, Graphite, Hafnium, Indium, Iridium, Lithium, Molybdène, Nickel, Niobium, Platinoides, rhénium, Silicium métal, Tantale, Tellure, Terres rares, Titane, Tungstène, Vanadium, Zinc, Zirconium.
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Pour rappel : liste complète proposée par la Commission européenne dans sa proposition de règlement CRM Act. |
(a) l’antimoine (b) l’arsenic (c) la bauxite (d) la barytine (e) le béryllium (f) le bismuth (g) le bore (h) le cobalt (i) le charbon à coke (j) le cuivre (k) le feldspath (l) le spath fluor (m) le gallium (n) le germanium (o) le hafnium (p) l’hélium (q) les terres rares lourdes (r) les terres rares légères (s) le lithium (t) le magnésium (u) le manganèse (v) le graphite naturel (w) le nickel de qualité batterie (x) le niobium (y) le phosphate naturel (z) le phosphore (aa) les métaux du groupe platine (bb) le scandium (cc) le silicium métal (dd) le strontium FR 4 FR (ee) le tantale (ff) le titane métal (gg) le tungstène (hh) le vanadium |
a) le bismuth (b) le bore de qualité métallurgique (c) le cobalt (d) le cuivre (e) le gallium (f) le germanium (g) le lithium de qualité batterie (h) le magnésium métal (i) le manganèse de qualité batterie (j) le graphite naturel de qualité batterie (k) le nickel de qualité batterie (l) les métaux du groupe platine (m) les terres rares destinées à la production d’aimants (Nd, Pr, Tb, Dy, Gd, Sm et Ce) (n) le silicium métal (o) le titane métal (p) le tungstène |
Source : synthèse à partir de la documentation récoltée dans le cadre des travaux des rapporteurs.
([1]) Ainsi que le soulignait le Fonds monétaire international, dans ses Perspectives de l’économie mondiale publiées en octobre 2019 (« Ralentissement de l’activité manufacturière et augmentation des obstacles au commerce »).
([2]) On pourra rappeler, par exemple, le plaidoyer précurseur de la France au lendemain de l’échec de la fusion entre Siemens et Alstom, appelant à une « réflexion beaucoup plus stratégique que par le passé » en matière de politique industrielle.
([3]) La Suède, particulièrement attachée au libre-échange, redoute par exemple un retour du protectionnisme.
([4]) Pour reprendre la définition proposée à la page 27 du rapport de la commission des Affaires économiques du Sénat « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » (6 juillet 2022).
([5]) La notion de « souveraineté » appartient traditionnellement au champ juridico-politique.
([6]) Selon l’article 173 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
([7]) Lors de la réunion du Conseil européen du 15 décembre 2022, les Chefs d’État et de gouvernement – s’inquiétant notamment des conséquences de l’Inflation Reduction Act américain – avaient « invit (é) la Commission à présenter, au début de 2023, une stratégie au niveau de l’Union visant à stimuler la compétitivité et la productivité ».
([8]) Si la réforme du marché de l’électricité a fait l’objet d’un accord en octobre 2023, les trilogues sont en cours pour les textes relatifs, d’une part, aux matières premières critiques et, d’autre part, à l’industrie zéro émission nette (un accord devrait être obtenu d’ici à la fin de l’année 2023).
([9])Pour reprendre la formule utilisée par MM. Patrice Anato et Michel Herbillon dans leur rapport déposé au nom de la commission des Affaires européennes en 2021, sur le sujet de l’avenir de la politique industrielle européenne.
([10]) Le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis a notamment fait référence, dans le cadre du travail d’audition, à un contexte d’« arsenalisation du commerce et d’exploitation des indépendances économiques » (nous traduisons de l’anglais : “We face à paradigm shift in globalisation and risks to our economic security arising from the geopolitical environment, the “weaponisation” of trade and certain economic independences »).
([11]) Les activités industrielles, qui constituent le principal objet d’étude de ce rapport d’information, sont celles relevant du secteur dit « secondaire », ayant pour objet la fabrication de biens matériels à partir de matières premières ou de matières ayant déjà subi une ou plusieurs transformations (industries manufacturières), ou encore l’exploitation des sources d’énergie et des richesses minérales du sol (industries d’extraction).
([12]) Pour reprendre la définition des « chaînes de valeurs mondiales » proposée par Sébastien Jean, Ariell Reshef et Gianluca Santoni dans « Les chaînes de valeur mondiales à l’épreuve de la crise sanitaire », L’économie mondiale 2021, CEPII, La Découverte, Paris, 2020, p. 26.
([13]) Direction générale du Trésor (décembre 2020), « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Christophe Bonneau, Mounira Nakaa.
([14]) La désindustrialisation peut être appréhendée à l’aune du recul, d’une part, de l’emploi industriel et, d’autre part, de la contribution du secteur industriel au produit intérieur brut.
([15]) M. Louis Gallois, que vos rapporteurs ont auditionné, est l’auteur d’un rapport intitula « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », paru en 2012, et qui inspira les allègements de cotisations sociales destinés à susciter un « choc de compétitivité » sous le quinquennat du Président de la République François Hollande.
([16]) On pourra se référer à la note de la Délégation aux entreprises du Sénat, Commerce extérieur : l’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises, 2022. Cette note souligne en outre le lien direct entre désindustrialisation du pays et dégradation de la balance commerciale.
([17]) Pour une analyse des facteurs à l’origine de la désindustrialisation en France, on pourra se référer aux travaux de Yannick Kalantzis et Camille Thubin, Bloc-Notes Eco, Billet n° 37, Banque de France, novembre 2017.
([18]) La proposition de directive relative au devoir de vigilance des entreprises devra permettre de mieux lutter contre le dumping social et environnemental. La commission des Affaires européennes a adopté à l’unanimité un avis politique en ce sens en juin 2023.
([19]) « La mondialisation des chaînes de valeur : entretien avec Ariell Reshef et Gianluca Santoni », in Sciences économiques et sociales (ens-lyon.fr).
([20]) Lilas Demmou, « Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants : un état des lieux », Économie et Statistique, n° 438-439-440, INSEE, 2010.
([21]) Yannick Kalantzis, Camille Thubin, « Les causes de la désindustrialisation en France », Banque de France, 2017.
([22]) Ibidem.
([23]) Conseil d’analyse économique, Lionel Fontagné, Pierre Mohnen, et Guntram Wolff, « Pas d’Industrie, pas d’avenir ? » (note n° 13, juin 2014).
([24]) France Stratégie, décembre 2020, Les politiques industrielles en France – Évolutions et comparaisons internationales.
([25]) Commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, p. 259.
([26]) Conseil d’analyse économique, 2014, « Pas d’Industrie, pas d’avenir ? », ibid : une spécialisation productive centrée sur les services engendre un déséquilibre structurel du commerce extérieur, car les services sont moins exportables et puisque le commerce international est bien plus intensif en échange de biens.
([27]) Conseil d’analyse économique, 2019, « Les impôts sur (ou contre) la production » : selon l’étude économétrique du CAE, la C3S réduirait les exportations de l’ordre de 1 % et accroîtrait le risque de faillite des entreprises françaises.
([28]) Elie Cohen, Souveraineté industrielle : Vers un nouveau modèle productif, 2022.
([29]) Ainsi, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les causes de la désindustrialisation a mis en avant la forte dépendance des industries pharmaceutiques de l’Union, fortement dépendantes aux intrants extra-européens. La Chine et l’Inde produisent ainsi 80 % des principes actifs utilisés dans les médicaments fabriqués en Europe.
([30]) Xavier Jaravel et Isabelle Méjean, Conseil d’analyse économique, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », avril 2021.
([31]) Ibidem.
([32]) Direction générale du Trésor (décembre 2020), « Vulnérabilité des approvisionnements français et européens », Christophe Bonneau, Mounira Nakaa.
([33]) Commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, p. 39.
([34]) Ibid.
([35]) Ces puces, présentes aussi bien dans les ordinateurs que dans les véhicules électriques, sont indispensables à la « double transition » numérique et écologique.
([36]) Commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, p. 45.
([37]) Dont une partie n’est néanmoins pas publique du fait du secret statistique.
([38]) On pourra se référer à l’article publié en 2022 par Asma Mhalla dans Le Grand Continent, intitulé « Techno-politique de la puissance, des alliances et des interdépendances ».
([39]) La directive européenne relative à des mesures visant à assurer un niveau élevé commun de cyber-sécurité dans l’ensemble de l’Union (dite NIS2), adoptée en janvier 2023, prévoit le renforcement des mesures de cyber sécurité en entreprise.
([40]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Mise à jour de la nouvelle stratégie industrielle de 2020 : construire un marché unique plus solide pour soutenir la reprise en Europe, COM/2021/350 final, 5 mai 2021.
([41]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Stratégie pharmaceutique pour l’Europe COM/2020/761 final, 25 novembre 2020.
([42]) On pourra se référer au rapport (n° 4923) de la commission d’enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament.
([43]) Décision de la Commission du 16 septembre 2021 instituant l’Autorité de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire.
([44]) Commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, Rapport n° 828 (2022-2023), déposé le 4 juillet 2023, p. 351.
([45]) Commission d’enquête chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament : introduction du Président Guillaume Kasbarian, p. 25.
([46]) Commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, Rapport n° 828 (2022-2023), déposé le 4 juillet 2023.
([47]) Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France. op.cit.
([48]) Commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, page 47.
([49]) Ibid, page 48.
([50]) Publication (2021) d’un « document d’analyse des dépendances stratégiques ». Cette liste complète des marchandises concernées n’a pas été rendue publique, pour des raisons stratégiques.
([51]) Selon cette analyse, parmi les 137 produits pour lesquels l’Union est très dépendante, 52 % proviennent de Chine, suivie du Vietnam (11 %) et du Brésil (5 %).
([52]) Voir Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale (octobre 2019) « Ralentissement de l’activité manufacturière et augmentation des obstacles au commerce » : la hausse des droits de douane et l'incertitude prolongée entourant les politiques commerciales pénalisent l’industrie manufacturière.
([53]) Christian HARBULOT, « La guerre des protectionnismes », p. 147.
([54]) Le principe de préférence nationale sous-tend ainsi les mesures de subventions : les entreprises ne peuvent bénéficier des avantages fiscaux que si elles s’approvisionnent et produisent sur le sol nord-américain.
([55]) La production d’éléments pour les batteries électriques, les turbines, des composants pour les panneaux solaires ainsi que la production de matériaux critiques comme l’aluminium et le cobalt sont notamment éligibles aux subventions.
([56]) Les producteurs d’énergie neutre en carbone (dont l’hydrogène et les combustibles propres) sont éligibles à un crédit d’impôt.
([57]) Plan d’investissement massif dans les infrastructures nationales, dans le but de renforcer la compétitivité des industries nationales (accès à l’internet, connectivité ferroviaire, aérienne et routière, énergie verte …). Ce plan permet notamment d’allouer des fonds à des projets d’infrastructures vertes et résilientes.
([58]) Plan d’investissement dans la production et la recherche dans les secteurs de semi-conducteurs, tout en veillant à la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, compte tenu de la grande dépendance des chaînes de valeur des technologies vertes américaines et européennes à la Chine et aux matières premières provenant d’Australie, du Chili, de RDC et de Chine.
([59]) Commission européenne, rapport relatif aux initiatives européennes pour promouvoir les investissements dans les technologies propres.
([60]) L’Américain Clean Power Association estime pour sa part que l’IRA a permis la création de 20 usines de production vertes dans le pays en une année.
([61]) Financial Times, “ VW puts European battery plant on hold as it seeks €10bn from US”, 8 mars 2023.
([62]) Institut français des relations internationales, Patrick Lenain, « Inflation Reduction Act versus Pacte vert. Les divergences transatlantiques sur la transition énergétique Chroniques américaines », 28 février 2023.
([63]) A. Bouët, « Inflation Reduction Act – Comment l’Union européenne peut-elle répondre ? », Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales, février 2023.
([64])Le Monde, 4 juillet 2023, « La Chine veut contrôler les exportations de deux terres rares essentielles aux semi-conducteurs » .
([65]) Le gallium est notamment utilisé dans les puces et les panneaux photovoltaïques. Le germanium est nécessaire pour les technologies de l’infrarouge et la fibre optique.
([66]) Pour reprendre la formule d’Asma Mhalla, spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech et membre du Laboratoire d'Anthropologie Politique de l'EHESS/CNRS.
([67]) On pourra se référer sur ce point au rapport d’information de M. Thomas Ménagé et Mme Lysiane Métayer relatif au Bilan des accords de libre-échange, pp. 70 et 71, appelant à « généraliser le recours aux mesures miroirs et [à] en accroître les domaines d’utilisation. ».
([68]) Mathilde Dupré, Stéphanie Kpenou « Les mesures miroirs, un outil essentiel de mise en œuvre du Pacte vert - Premier bilan du mandat européen 2019-2024 et perspectives », Institut Veblen, septembre 2023.
([69]) Les Échos, 17 juin 2019, « La Chine est le pays le plus protectionniste vis-à-vis de l'Europe ».
([70]) Le Monde, 14 septembre 2023, « Subventions aux voitures électriques : la Chine met en garde contre l’« impact négatif » d’une enquête de l’Union européenne ».
([71]) Jérôme Lapree (dir.), Chine/États-Unis, Quelles guerres économiques ? Paris, Éditions VA Press, 2018, p. 36
([72]) National Development and Reform Commission, Mesures spéciales de gestion pour l'accès aux investissements étrangers (liste négative), op.cit., 4 pages.
([73]) Lecho.be, 11 février 2023, André Sapir (ULB) : « Les États-Unis violent de manière flagrante les règles de l'OMC ».
([74]) Geo, 4 juillet 2023, « La Chine restreint les exportations vers l'Europe de métaux vitaux pour sa transition énergétique » : l’article cite par exemple l’attachement aux contrats signés par Airbus ou EDF, ou encore l’enjeu de la construction d’un réacteur nucléaire à Taishan.
([75])Pour nuancer ce tableau, rappelons toutefois que l’Union européenne maintient des droits de douane moyens relativement élevés par rapport aux pays du G7 (5,2 % en 2021, contre 3,4 % aux États-Unis). Les droits de douane américains et européens restent en tout état de cause sensiblement inférieurs à ceux pratiqués par la Chine (7,5 %).
([76]) Inspection générale des finances, 2019, « La politique de concurrence européenne ».
([77]) Victor D. Cha ; Collective Resilience : Deterring China's Weaponization of Economic Interdependence. International Security 2023 ; 48 (1) : 91 – 124. doi : https://doi.org/10.1162/isec_a_00465.
([78]) Revue Défense Nationale, vol. 849, no. 4, avril 2022, « Extraterritorialité et coercition économique. Quelles solutions pour la France et l’Europe face à des pratiques internationales d’extraterritorialité du droit ? », p. 67.
([79])La signature du règlement a eu lieu le 22 novembre 2023, pour une entrée en vigueur prévue courant décembre 2023.
([80]) Pour décider de l’application de ces contre-mesures, les États membres devront se prononcer à la majorité qualifiée sur l’analyse, effectuée par la Commission, du comportement d’un pays tiers. La notion de coercition économique est définie comme une « situation dans laquelle un pays tiers tente de faire pression sur l'Union ou sur un État membre pour l'inciter à opérer un choix particulier, en appliquant ou en menaçant d'appliquer, à l'égard de l'Union ou de l'État membre, des mesures qui affectent le commerce ou les investissements ».
([81]) Ainsi, à l’occasion du dixième dialogue économique et commercial de haut niveau entre l’Union européenne et la Chine (Shanghai, 23 septembre 2023), le commissaire européen Valdis Dombrovskis a prononcé un discours en ce sens. Nous citons un extrait : “Fair is the key word here. We welcome global competition. But it must be conducted fairly”.
([82]) Sur ce point, on pourra notamment se référer aux analyses du Conseil d’analyse économique dans sa note publiée en 2018, « Avis de tempête sur le commerce international ».
([83]) Le cabinet du Commissaire européen note toutefois que l’Union faisait du renforcement de la capacité d’application des règles de l’OMC « la priorité absolue » et visait initialement le rétablissement d’« un système de règlement des différends pleinement opérationnel d’ici 2024 ». L’Union participe en tout état de cause au processus de réforme du règlement des différends de l’OMC à Genève.
([84]) Voir à ce sujet le rapport d’information de la commission des Affaires européennes sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (22 novembre 2023), par Mmes Marietta Karamanli et Sabine Thillaye.
([85]) Selon les données transmises par le cabinet du commissaire européen Valdis Dombrovskis. Les enquêtes sont ouvertes par la Commission sur le fondement des plaintes reçues, et sont efficaces puisqu’elles conduiraient en moyenne à une diminution de 85 % des volumes d’importation. Ainsi, en 2021, 14 nouvelles enquêtes avaient été ouvertes.
([86]) Concrètement, l’IPI prévoit que la Commission européenne puisse, après une phase de dialogue, appliquer une pénalité ou « mesure d’ajustement du prix » renchérissant les réponses aux appels d’offres issues de pays tiers dont les marchés publics ne sont pas ouverts. En dernier ressort, des restrictions d’accès voire l’exclusion des marchés publics européens pourraient être décidées.
([87]) L’IPI ne concerne que des entreprises issues de pays non-parties à l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC ou n’ayant pas souscrit d’engagement dans le cadre d’un accord de commerce avec l’Union, tout en excluant les pays les moins avancés. Ces critères garantissent la conformité des mesures de rétorsion de l’Union à ses engagements internationaux, mais limitent le champ d’application de l’IPI. Ainsi, les États-Unis – dont seuls 30 % des marchés publics sont ouverts (à comparer aux 85 % de marchés publics ouverts dans l’Union) – ne sont pas concernés par l’IPI en tant que parties à l’AMP.
([88]) Le MACF est prévu par le règlement 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
([89]) Commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, p. 198.
([90]) Vos rapporteurs reprennent ainsi à leur compte plusieurs des recommandations formulées par la commission des Affaires économiques du Sénat, dans « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022, p. 201.
([91]) On se référera par exemple aux rapports, rédigés sous la précédente législature, relatifs au « droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation » (novembre 2019) et à « l’avenir de la politique industrielle européenne » (mars 2021).
([92]) La communication du 10 mars 2020 prenait acte des orientations données par le Conseil européen (conclusions du Conseil européen du 22 mars 2019, précisées dans les conclusions du 20 juin 2019, pour une stratégie industrielle « à long terme qui soit audacieuse, globale et tournée vers l'avenir », allant « de pair avec une politique industrielle plus volontariste, globale et coordonnée »).
([93]) Rapport d’information de la commission des Affaires européennes sur l’avenir de la politique industrielle, 2021, page 56.
([94])Inspection générale des Finances, La politique de concurrence et les intérêts stratégiques de l’Union européenne, 2019.
([95]) Entre 2000 et 2019, 16 cas de refus ont été recensés sur plus de 6 000 opérations notifiées.
([96]) Plus spécifiquement, la Direction générale de la concurrence, dite DG COMP, chargée du contrôle des opérations de concentration dans l’Union européenne.
([97]) Les remèdes comportementaux désignent toute contrainte visant les pratiques commerciales du futur ensemble. Il peut s’agir, par exemple, de modifications de contrats de long terme ou de suppression de liens avec les concurrents.
([98]) Cette évolution pourrait être facilitée par la modification des paragraphes 15, 22 et 61 de la communication de la Commission prise en application du règlement 139/2004.
([99]) Communication du 20 juin 2014 sur les « critères relatifs à l’analyse de la compatibilité avec le marché intérieur des aides d’État destinées à promouvoir la réalisation de PIIEC » (2014/C, 188/02).
([100]) On pourra utilement se référer au rapport d’information de la commission des Affaires européennes sur l’avenir de la politique industrielle, 2021.
([101]) Communication du 20 juin 2014 sur les « critères relatifs à l’analyse de la compatibilité avec le marché, paragraphe 12.
([102]) Un projet intégré est un groupe de projets insérés dans un même programme et dont l’unité repose sur un « même objectif » et sur une « approche systémique cohérente » (paragraphe 13).
([103]) Paragraphes 21 et 22 de la communication. Ainsi, les « améliorations régulières d’installations existantes dépourvues de tout caractère innovant et le développement de nouvelles versions de produits existants ne sont pas considérés comme des PIIEC. ».
([104]) Parmi ces cinq PIIEC, l’un porte sur la microélectronique (1,75Md€ d’aides publiques), deux sur les batteries (3,2Mds€ et 2,9Mds€) et deux sur l’hydrogène (5,4Mds€ et 5,2Mds€).
([105]) Le PIIEC sur les industries de santé a été dévoilé en mars 2022 à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union (PFUE), dans le cadre d’un manifeste signé par 16 États membres.
([106]) Commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, Rapport n° 828 (2022-2023), déposé le 4 juillet 2023, p. 356.
([107]) Et ce même si la base juridique du texte reste fondée, selon le Service juridique du Conseil de l’Union européenne, le renforcement du marché intérieur.
([108]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement d’un cadre de mesures en vue de renforcer l’écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net » (règlement pour une industrie « zéro net ») – COM (2023) 161 final.
([109]) Dans leur rapport sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (22 novembre 2023), Mmes Marietta Karamanli et Sabine Thillaye rappellent ainsi que le NZIA mobilise trois types de leviers en réponse à l’IRA :
- l’accélération des processus d’implantation en Europe pour les technologies vertes, en simplifiant les procédures d’octroi de permis. Ces dispositions sont similaires à celles de la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023. La proposition NZIA prévoit la désignation d’un guichet unique au sein des États membres ;
- la formation de main-d’œuvre et de compétences nécessaires aux métiers des nouvelles industries ;
- l’introduction de critères de résilience et de durabilité dans les procédures d’octroi de marchés publics.
([110]) Ces huit technologies sont les suivantes, selon la liste initiale annexée à la proposition de règlement par la Commission européenne : les technologies solaires photovoltaïques et solaires thermiques, les technologies éoliennes terrestres et renouvelables en mer, les technologies de batterie et de stockage, les pompes à chaleur et technologies géothermiques, les électrolyseurs et piles à combustible, les technologies durables de biogaz et biométhane, les technologies de captage et de stockage du carbone (CSC), les technologies des réseaux.
([111]) Lors des négociations au Conseil sur le NZIA, la France – soutenue notamment par l’Italie, la Slovénie et l’Allemagne – a plaidé pour une définition large de l’hydrogène, au-delà des seuls électrolyseurs et piles à combustibles listés dans l’annexe de la proposition initiale de la Commission.
([112]) Leur maturité technologique est effectivement supérieure à 8 sur l’échelle de maturité technologique (TRL) et permet d’atteindre les objectifs en matière de climat et d’énergie (conformément à l’objectif « zéro net »).
([113]) Finlande, Pologne, Slovénie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Croatie, République tchèque (lors de la réunion du Conseil « Compétitivité » du 22 mai 2023), ainsi que Slovaquie (par exemple lors de la réunion du Conseil « Compétitivité » du 13 novembre 2023).
([114]) La commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux causes de la désindustrialisation en France préconisait l’inclusion systématique d’une « clause sociale et environnementale ».
([115]) Ce montant est actuellement fixé à 3 % pour les secteurs visés à l’article 85 de la directive 2014/25 sur le droit de préférence des offres européennes.
([116]) Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique — préfacé par Hubert Védrine aux Éditions LLL.
([117]) Communication de la Commission européenne (COM/2020/474 final) au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité ».
([118]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques et modifiant les règlements (UE) n° 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1724 et (UE) 2019/1020 – COM (2023) 160 final.
([119]) Lien vers le système d’information sur les matières premières de l’Union européenne (RMIS) : https://rmis.jrc.ec.europa.eu/.
([120]) D’après le rapport d’information de Mmes Marietta Karamanli et Sabine Thillaye sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (22 novembre 2023), p. 26.
([121]) Le Parlement européen proposait qu’une part de 20 % de ces 50 % puisse être obtenue par l’intermédiaire de partenariats stratégiques dans des marchés émergents et des pays en développement.
([122]) Dans leur rapport d’information sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (22 novembre 2023), Mmes Marietta Karamanli et Sabine Thillaye montraient ainsi que « la mention d’une production de 10 % de volume en plus par rapport à la base de référence pour la période 2020-2022 prévue par le Parlement pourrait en effet s’avérer inefficace. Si une matière première critique n’était pas du tout recyclée sur la période 2020-2022, l’augmentation de 10 % d’une valeur de zéro représentera [it] une augmentation nulle ».
([123])À titre d’exemple, la proposition de règlement relative aux exigences en matière de circularité applicables à la conception des véhicules et à la gestion des véhicules hors d’usage prévoit de s’inscrire en complément de la législation sur les matières premières critiques, en introduisant des mesures spécifiquement conçues pour atteindre un degré plus élevé de circularité des matières premières critiques utilisées dans les véhicules, notamment par l'extraction, la réutilisation et le recyclage des pièces, composants et matériaux contenant de telles matières premières critiques. Cet effort de coordination devra être assuré pour l’ensemble des législations européennes pertinentes.
([124]) Cette demande a été soutenue notamment par l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, et la Slovénie. Pour rappel, 65 % des importations européennes de graphite artificiel proviennent de Chine.
([125]) Ce point a par exemple été soulevé par la France lors de la réunion du Groupe Espace du Conseil le 13 juin 2023.
([126]) Rapport de synthèse du groupe d’experts pour la programmation des ressources minérales de la transition bas-carbone, juillet 2023 : « Les ressources minérales critiques pour les énergies bas-carbone ».
([127]) Communication de la Commission européenne, 2020, « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité ».
([128]) Rapport de synthèse du groupe d’experts pour la programmation des ressources minérales de la transition bas-carbone, juillet 2023 : « Les ressources minérales critiques pour les énergies bas-carbone », not. p. 105 : « Le sous-sol européen recèle des gisements exploitables au cours des prochaines décennies. Afin de réduire à la fois les dépendances stratégiques à long terme et la pollution importée d’autres continents, accélérer l’exploration du sous-sol français et européen est une nécessité. À ce titre, le PEPR exploratoire sous-sol (Plan de relance) sera l’un des lieux d’échange et de collaboration privilégié de la communauté française travaillant sur ces enjeux. »
([129]) Dans sa contribution écrite transmise à vos rapporteurs, la Critical raw materials alliance souligne ainsi : « The public is stuck with the idea of mining of decades ago and is unaware or not receptive to the enormous progress that mining has undergone in the last couple of decades in terms of sustainability and environmental/human protection. Mining is subject to extremely high environmental and human protection standards at EU level compared to other countries. It would, therefore, be beneficial for all to increase production in the EU where possible as well as share EU solutions with third resource-rich countries. More public awareness on sustainable mining is necessary to achieved public acceptance. The local communities should be involved in the mining project since the beginning and their concerns addressed, and solutions adopted.”
([130]) Des informations détaillées, pour chaque type de matière première, sont consultables via le système d’information sur les matières premières de l’Union européenne (https://rmis.jrc.ec.europa.eu/geological-data-157d8a).
([131]) La proposition initiale de la Commission (article 19, alinéa 4) était de ce point de vue très problématique, car elle prévoyait la mise en place par la Commission d’un site internet public présentant un tableau de bord contenant les résultats des tests de résistance des chaînes d’approvisionnement.
([132]) D’après l’acronyme anglais Strategic Technologies for Europe Platform.
([133]) À savoir des financements issus des programmes InvestEU, du Fonds pour l’innovation, d’Horizon Europe, du Fonds européen de la défense, de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), d’EU4Health, de Digital Europe et des fonds de cohésion.
([134]) Rapport d’information de M. Thomas Ménagé et Mme Lysiane Métayer, Bilan des accords de libre-échange, p. 62.
([135]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », COM/2020/474 final.
([136]) COM(2023) 165 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques à l’appui de la double transition, 2023.
([137]) L’accord conclu avec le Chili en décembre 2022 comprenait en effet un chapitre lié à l’énergie et à l’approvisionnement en lithium.
([138]) Vos rapporteurs souscrivent ainsi sur ce point aux recommandations formulées à l’échelle nationale par le groupe d’expert sur la programmation des ressources minérales, dans son rapport paru en juillet 2023.
([139]) Sachant que l’instruction des dossiers est assurée par la Direction générale du Trésor, en lien avec le comité interministériel des investissements étrangers en France.
([140]) Loi relative au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) de 2019
([141]) Le ministre peut désormais pénaliser pécuniairement un investisseur étranger qui réalise une opération sans autorisation préalable, qui obtient par la fraude une telle autorisation, qui méconnaît les conditions assortissant l’autorisation, ou encore n’exécute pas les injonctions mentionnées supra.
([142]) Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. Cette mesure a depuis été prorogée à plusieurs reprises (ainsi, le décret n° 2022-1622 du 23 décembre 2022 prévoit cet abaissement jusqu’au 31 décembre 2023).
([143]) Sur ce point, vos rapporteurs ne peuvent donc que partager l’analyse développée à la page 241 du rapport de la commission des Affaires économiques du Sénat « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».
([144]) Pour mettre en œuvre cette recommandation, une modification du 3° de l’article R. 151-2 du code monétaire et financier serait nécessaire.
([145]) Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.
([146]) Troisième rapport annuel de la Commission européenne concernant l’application du règlement de l’Union européenne (UE) sur le filtrage des investissements directs étrangers (IDE), publié le 19 octobre 2023.
([147]) Plus de 87 % des analyses de la Commission ont eu lieu en moins de 15 jours calendaires.
([148]) Pour les dossiers en phase 2 : énergie 16 % ; industrie aérospatiale : 16 % ; défense : 13 % ; transports : 7 % ; communications : 10 % ; semi-conducteurs : 9 % ; santé : 6 % ; traitement ou stockage des données : 10 % ; cybersécurité : 6 % ; autres 7 %.
([149]) OECD (2022). Framework for screening foreign direct investment into the EU - assessing effectiveness and efficiency. Technical report, OECD.
([150]) Communication du 20 juin 2023 sur la stratégie européenne en matière de sécurité économique.
([151]) Communication conjointe (joint Statement) du Président des États-Unis Joe Biden et de la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, 10 mars 2023.
[152] Règlement 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage. L'annexe I de ce règlement, qui porte sur la liste des biens contrôlés, fait l'objet d'une mise à jour annuelle.
([153]) Produits chimiques issus d’une liste de la Convention sur les Armes chimiques (CAC).
([154]) Institut Montaigne, 2023, « Chine : jusqu’où doit aller l’Europe pour assurer sa sécurité ? »
([155]) Et, dans le cas particulier des technologies à double usage, sans se contraindre à l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage.
([156])Institut Montaigne, 2023, « Chine : jusqu’où doit aller l’Europe pour assurer sa sécurité ? » : par exemple en matière d’intelligence artificielle, où « toute innovation destinée à des fins commerciales civiles est susceptible de trouver des applications militaires ».
([157]) Commission européenne et Haut représentant, communication conjointe concernant une stratégie européenne en matière de sécurité économique, 20 juin 2023.
([158]) Recommandation du 3 octobre 2023 de la Commission européenne (document disponible en anglais : Commission Recommendation of 03 October 2023 on critical technology areas for the EU's economic security for further risk assessment with Member States).
([159]) En Corée du Sud, l’investissement à l’étranger est assujetti à la loi sur la protection de la technologie industrielle, qui permet au gouvernement d’examiner les transactions financières impliquant des acquisitions, et des fusions concernant notamment la biotechnologie et la technologie des batteries.
([160]) Notamment le décret présidentiel 14105 sur les « investissements américains dans certaines technologies de sécurité nationale » a été publié le 9 août 2023 pour limiter les investissements technologiques américains dans certaines technologies chinoises (semi-conducteurs, technologies de l’information quantique, systèmes d’intelligence artificielle).
([161]) Au sens qu’en donne la Commission européenne dans sa communication relative à un « Système économique et financier européen : favoriser l'ouverture, la solidité et la résilience » (19 janvier 2021, COM (2021) 32 final) : « Les mesures législatives ou réglementaires qui ont vocation à s’appliquer au-delà du territoire d’un État souverain, et sans un lien suffisant avec ce pays, sont généralement considérées comme des mesures « extraterritoriales ».
([162]) Revue Défense Nationale, vol. 849, no. 4, avril 2022, « Extraterritorialité et coercition économique. Quelles solutions pour la France et l’Europe face à des pratiques internationales d’extraterritorialité du droit ? », p. 68.
([163]) On pourra se référer sur ce point au rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, p. 51.
([164]) Rapport établi par M. Raphaël Gauvain, Parlementaire en mission, à la demande de M. Édouard Philippe, Premier ministre : « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », 26 juin 2019.
([165]) Il s’agit toutefois d’une hypothèse plutôt que d’une certitude, comme le conclut le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée d’examiner les décisions de l’état en matière de politique industrielle.
([166]) Rapport établi par M. Raphaël Gauvain, Parlementaire en mission, à la demande de M. Edouard Philippe, Premier ministre : « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », 26 juin 2019.
([167]) Les pays visés par les sanctions unilatérales sont : l’Iran, le Soudan, la Somalie, le Venezuela, Cuba, la Corée du Nord.
([168]) Ainsi que le note la Commission européenne dans sa communication relative à un « Système économique et financier européen : favoriser l'ouverture, la solidité et la résilience ». La Commission ajoute qu’elle souhaite « étud [ier] des moyens d’améliorer encore l’efficacité d’instruments tels que INSTEX. ».
([169]) Commission européenne, 19 janvier 2021, communication relative à un « Système économique et financier européen : favoriser l'ouverture, la solidité et la résilience ».
([170]) Règlement (CE) nº 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant (JO L 309 du 29.11.1996, p. 1. Les dispositions – hélas peu opérationnelles – de la « loi de blocage » : annulent tout effet dans l’Union d’une décision d’une juridiction ou d’une autorité administrative fondée sur ces sanctions extraterritoriales (article 4) ; interdisent aux ressortissants de l’Union de se conformer à un certain nombre de sanctions extraterritoriales, sauf s’ils y sont autorisés (article 5) ; autorisent les ressortissants de l’Union à recouvrer en justice les indemnités dues pour tout dommage qui leur a été causé par ces sanctions extraterritoriales (clause de réparation) (article 6).
([171]) M. Raphaël Gauvain, ancien Parlementaire en mission, a été chargé en 2019 par le Premier ministre d’un rapport sur les lois et mesures à portée extraterritoriale.
([172]) Le Grand Continent, 3 mars 2021, « Défendre la souveraineté économique de l’Europe : de nouvelles voies pour résister à la coercition économique ».
([173]) Claryfying Lawful Overseas Use of Data Act.
([174]) Au cours de son audition, M. Raphaël Gauvain faisait savoir que le ministère des Armées était a priori favorable à une disposition de cette nature (tout comme l’IHEDN qui appelait à la « mise en place de normes pour réguler les échanges de données à l’image de la directive RGPD »). À l’inverse, le ministère de l’Économie et le ministère des Affaires étrangères y seraient plutôt défavorables.
([175]) Contexte Tech, 30 mai 2022, Agathe Cherki : « Gaia-X, ou les illusions perdues d’un cloud européen ».
([176]) Jonathan Hackenbroich : « Défendre la souveraineté économique de l’Europe : de nouvelles voies pour résister à la coercition économique », ECFR, octobre 2020.
([177]) Jonathan Hackenbroich verse au débat public une proposition ambitieuse, visant à ce que la Commission européenne se saisisse d’un vaste panel d’outils qui relèveraient de sa compétence en vertu des traités en vigueur. Pour citer Jonathan Hackenbroich, parmi les « mesures potentielles que les Européens pourraient envisager au titre de cet instrument », figurent les propositions suivantes : « imposer des taxes sur la fourniture transfrontalière de services ou bloquer les échanges de services ; renforcer les restrictions sur les transferts de données ; renforcer ou menacer les services d’investissements (certains iraient même jusqu’à suggérer de limiter la réaffectation des profits à leur pays d’origine) ; imposer des restrictions sur les marchés publics européens (certaines restrictions pourraient être possibles en s’en tenant aux obligations européennes) ; prélever des taxes de compensation aux entités qui bénéficient de la situation de coercition économique, afin d’équilibrer le marché. ».
([178]) Rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, p. 81.
([179]) À la suite de l’adoption en première lecture d’un amendement sénatorial déposé par M. Hervé Marseille. Lors des débats à l’Assemblée nationale, le rapporteur du texte, M. Jean Terlier, déclarait : « Lorsqu’un juriste d’entreprise, à l’occasion d’une consultation, met en garde sa direction contre tel contrat ou sur la conformité à telles obligations, ladite entreprise pourrait, si ce document venait à être saisi, se voir reprocher d’avoir commis une infraction et être sanctionnée de ce chef. L’instauration d’un legal privilege à la française met fin à une injustice : nous donnons la possibilité aux entreprises de se battre sur la scène internationale, en les soumettant aux mêmes dispositions que les entreprises étrangères. »
([180]) Décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023‑2027.
([181]) À l’instar du récent départ de la direction juridique de Lactalis, quittant la France pour la Belgique.
([182]) Il s’agit là du résultat d’un plan d’action de cinq ans, reposant sur le travail d’un groupe d’experts de haut niveau chargé de suggérer des simplifications administratives à destination des entreprises. Les économies résultant de ces modifications sont estimées à 30,8 milliards d’euros par an selon les estimations de la Commission européenne (v. REFIT – rendre la législation de l’UE plus simple, moins coûteuse et à l’épreuve du temps (europa.eu)).
([183]) Ibidem.
([184]) Business Europe, « Submission to the REFIT Platform », 5 avril 2019.
([185]) Ibidem.
([186]) Source : 2023-03-08_call_for_action_to_boost_competitiveness_final_single_pages.pdf (businesseurope.eu)
([187]) Ainsi que le soulignaient les représentants de Business Europe lors de leur audition par vos rapporteurs.
([188]) Tribune parue dans Le Monde, Olivier Sueur, « États-Unis : « Fini le libre-échange, l’enjeu clé est désormais la sécurité des chaînes d’approvisionnement », 19 mars 2023.
([189]) Voir à ce sujet le rapport sénatorial relatif à « La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises », publié le 15 juin 2023.
([190]) Elle s’apparente ainsi, à certains égards, à l’initiative française contenue dans la circulaire « maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact », signée par le Premier ministre Édouard Philippe le 26 juillet 2017, et qui visait à ce que toute nouvelle norme réglementaire soit compensée par la suppression de deux normes existantes.
([191]) Commission européenne, communication « La compétitivité à long terme de l’Union européenne : se projeter au-delà de 2030 » (16 mars 2023).
([192]) Étude de France Stratégie et de la DARES, « Quels métiers en 2030 ? », mars 2022.
([193]) Vos rapporteurs reprennent ici à leur compte la 29e recommandation du rapport de la commission des Affaires économiques du Sénat, « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », 6 juillet 2022.
([194]) Lancée en 2011, la Semaine de l’industrie valorise l’industrie et ses acteurs en proposant des événements pédagogiques de découverte des métiers : visites d’entreprises, job datings, forums des métiers, web-conférences, interventions en classe, expositions. Dans le cadre de son audition par vos rapporteurs, le ministre chargé de l’Industrie, M. Roland Lescure soulignait que « ce rendez-vous national contribue à renforcer l’attractivité du secteur, en particulier, mais pas exclusivement, auprès des jeunes. Il promeut aussi la mixité des métiers et la place des femmes dans les différentes filières. En 2022, la Semaine de l’industrie a rassemblé 1,8 million participants, sur plus de 4 700 événements ».
([195]) Selon les propos de M. Roland Lescure, ministre chargé de l’Industrie, lors de son audition dans le cadre du rapport d’information.
([196]) Par exemple : heures d’orientation, affichage sur les plateformes d’orientation du taux d’emploi et des salaires en sortie de formation, cible de 100 écoles de production d’ici 2027, augmentation des places dans les écoles d’ingénieurs, réforme du lycée professionnel, élargissement du plan « viviers de recrutements » à des métiers industriels.
([197]) Commission européenne, communication « La compétitivité à long terme de l’Union européenne : se projeter au-delà de 2030 » (16 mars 2023).
([198])Source : Insee Première, n° 1952, juin 2023.
([199]) Note du Conseil d’analyse économique n° 76, Le triple défi de la réforme du marché européen de l’électricité, mars 2023.
([200]) Document de travail de La Fabrique de l’industrie en collaboration avec le cabinet Olivier Wyman, « Emplois industriels menacés par la crise énergétique, le MACF et l’IRA : une estimation » (avril 2023).
([201]) Le 17 octobre 2023, les ministres européens de l’énergie ont trouvé un accord sur la réforme du marché européen de l’électricité.
([202]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d’améliorer l’organisation du marché de l’électricité de l’Union – COM (2023) 148 final.
([203]) Rapport d’information relatif à la sécurité énergétique et la réforme du marché de l’électricité, présenté par Mmes Pascale Boyer et Nathalie Oziol.
([204]) Rapport de Philippe Darmayan sur les conditions d’approvisionnement en électricité des industries françaises, 21 avril 2022.
([205]) L’Europe de la recherche et de l’innovation », 3 septembre 2021, Toutel’europe.euv.
([206]) La Commission européenne rappelle que, alors que sa population représente moins de 7 % de la population mondiale, l’Union prend à son compte « environ un cinquième des publications les plus citées, des brevets et de la recherche et de l’innovation dans le monde ».
([207]) Communication (16 mars 2023) intitulée « La compétitivité à long terme de l’Union européenne : se projeter au-delà de 2030 ».
([208]) Revue Défense Nationale, vol. 849, no. 4, avril 2022, « Extraterritorialité et coercition économique. Quelles solutions pour la France et l’Europe face à des pratiques internationales d’extraterritorialité du droit ? », p. 69. L’IHEDN ajoute que la « « taille et la maturité de l’économie de défense française peuvent entraîner un cercle vertueux constructif au niveau européen dans la protection de l’économie de défense. »
([209]) Règlement (UE) 2021/696 du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l’Union pour la période 2021-2027.
([210]) M. Philippe Tibi, économiste et professeur à l’École polytechnique, est l’auteur d’un rapport intitulé « Financer la IVème révolution industrielle », remis au Premier ministre en 2019, et qui a été à l’origine du financement des initiatives dites « Tibi » pour le financement de l’innovation.
([211]) « Le Groupe BEI soutient l’initiative paneuropéenne Scale-up Europe visant à faire émerger des champions technologiques », 9 février 2022, article en ligne sur le site internet de la Banque européenne d’investissement.
([212]) Cette recommandation figure notamment dans le rapport de la commission des Affaires européennes portant observations sur le projet de loi industrie verte, déposé le 28 juin 2023 par M. Charles Sitzenstuhl, p. 41.
([213]) La Defense Advanced Research Projets Agency (DARPA), constituée au sein du gouvernement fédéral américain, et dépendant organiquement du département de la Défense américain, est une cellule chargée de rationaliser les plans d’investissements de l’Etat. Cette équipe pilote fait appel à des talents variés (universitaires, membres de la recherche, entrepreneurs et investisseurs). La DARPA soutient les projets les plus risqués, y compris les technologies duales (dont les applications sont à la fois civiles et militaires).
([214]) Le système Sure était un système de soutien aux mécanismes nationaux d’assurance chômage temporaire déployé durant la crise Covid. Il autorisait la Commission à emprunter des fonds sur les marchés financiers, prêtés ensuite aux États, qui devaient ensuite rendre l’argent pour permettre à la Commission de rembourser ses opérations sur le marché.
([215]) Résolution du Parlement européen du 18 octobre 2023 concernant la position du Conseil sur le projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2024 (11 565/2023 – C9-0336/2023 – 2023/0264(BUD)).
([216]) Résolution du Parlement européen du 10 mai 2023 sur les ressources propres : un nouveau départ pour les finances de l’Union, un nouveau départ pour l’Europe (2022/2172(INI)).
([217]) À savoir : énergie, matières premières critiques, semi-conducteurs, santé, numérique et agroalimentaire.