1

 

N° 2650

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 mai 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information, constituée le 15 novembre 2023,

sur la Défense et les territoires : quels rôles pour les acteurs du territoire

dans la défense nationale ?

 

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Patricia LEMOINE et Mélanie THOMIN,

Députées

——

 

 


1

 

SOMMAIRE

___

Pages

RÉsumÉ

Introduction

PremiÈre partie : les territoires face aux enjeux de dÉfense, une relation historiquement structurante qui s’est distendue au cours des derniÈres dÉcennies

I. La dÉfense territoriale, une prÉoccupation et une organisation longtemps effectives dans l’architecture de sÉcuritÉ en France

A. RÉguliÈrement contestÉe par le passÉ, l’intÉgritÉ du territoire français a été garantie de façon croissante par l’Édification d’une architecture de protection de ses espaces contre les menaces

1. Le territoire national a subi des atteintes directes à moult reprises dans l’histoire, se trouvant ainsi menacé dans son intégrité

a. Un déterminisme géographique

b. Un impératif d’équilibrage

2. Pour assurer la défense du territoire français, une variété de dispositifs a été conçue au niveau national, régional et local

a. Un système de défense organisé face à des menaces localisées

b. Après la défaite de 1870, une cohérence territoriale au profit d’une défense nationale

B. La dÉfense nationale a depuis longtemps mobilisÉ une large diversitÉ d’acteurs À diffÉrentes Échelles du territoire

1. L’évolution de la figure du « citoyen-soldat »

a. Au Moyen-Âge : du milicien au conscrit en passant par le mercenaire

b. L’apparition du « soldat » sous l’Ancien Régime

c. La conscription pour lever les armées de masse dont la jeune république a besoin

2. La mobilisation des entreprises au service de « l’effort de guerre »

3. L’engagement historique des pouvoirs publics locaux dans la territorialisation de la défense

II. La distanciation progressive du lien entre dÉfense et territoires depuis la fin du vingtiÈme siÈcle

A. La prÉsence physique des armÉes s’est atténuÉe sur le territoire national

1. La fermeture de nombreuses emprises militaires a réduit le maillage territorial dont bénéficiaient les armées

2. La documentation stratégique et les choix d’engagements opérationnels ont consacré un certain effacement de la fonction « protection » au profit de la « projection » hors du territoire

B. La convergence entre prÉoccupations civiles et militaires a connu un ralentissement

1. La suspension du service militaire obligatoire a fait reculer la place des armées dans la société française

2. L’industrie de défense a partiellement compensé les effets de la désindustrialisation dans les territoires où elle est durablement implantée

DeuxiÈme partie : face À la multiplication des menaces, la dÉfense territoriale connaÎt une nouvelle dynamique

I. En France, un nombre croissant d’acteurs du territoire s’investissent autour des sujets de dÉfense

A. La relocalisation des industries de dÉfense

1. Une volonté de relocalisation suite aux crises récentes

2. Un sujet de longue date : l’exemple de la relocalisation de la filière de la petite munition

3. Les obstacles rencontrés des relocalisations

B. Une restructuration rÉcente du rÉseau des dÉlÉguÉs rÉgionaux pour mieux porter les questions de dÉfense auprÈs des collectivitÉs territoriales

1. Une rénovation fonctionnelle qui répond à une évolution de la présence des armées dans les territoires

2. Des interactions avec les acteurs politiques, économiques et associatifs locaux qui demandent à être poursuivies

C. La rÉappropriation des sujets de dÉfense par les communes, conseils dÉpartementaux et conseils rÉgionaux

1. Au niveau communal

2. Au niveau départemental

3. Au niveau régional

II. La conflictualitÉ contemporaine invite À remettre, en France comme À l’Étranger, la notion de dÉfense territoriale au cœur des prioritÉs

A. De nouveaux conflits qui conduisent de nombreux États À replacer la dÉfense territoriale au cœur de leurs prÉoccupations

1. Des pays qui n’ont jamais baissé la garde mais renforcent leur défense : Suisse et Finlande

a. La Suisse et le système unique dans le monde occidental de milice

i. Un système pluriséculaire

ii. Une armée territoriale efficace et moderne

b. La Finlande, la Prusse des réservistes du Roi Sergent Guillaume en période contemporaine

2. La Suède, un modèle inspirant pour la France en matière de défense totale

a. Un tournant : la guerre en Ukraine et l’entrée dans l’OTAN

b. Le modèle de défense totale revivifié et la conscription choisie renforcée

i. La composante militaire de la défense totale

ii. La conscription choisie suédoise : un service militaire bien particulier

iii. La défense civile, composante civile de la défense totale : « trésor » suédois

3. L’émergence d’une défense civile en appui de la défense militaire en France ?

B. La prise en compte du territoire par les militaires : le continuum terre-mer, la conception de la mer en tant que territoire

1. La France, puissance maritime

2. La France, puissance ultramarine

a. Des territoires stratégiques

b. Un service militaire adapté qui a prouvé son utilité et son efficacité

C. Le territoire national face À de nouvelles menaces (cyber, ingÉrences ÉtrangÈres…)

D. De nouveaux exercices militaires redonnent de la visibilitÉ aux armÉes sur le territoire (Orion, etc.)

1. Une faible visibilité depuis les différentes réformes ayant affecté l’armée

2. Les exercices en terrain libre, un moyen de rapprocher l’armée des Français

TroisiÈme partie : des axes de travail sont envisageables pour consolider le lien entre dÉfense opÉrationnelle et L’implication des territoires dans la dÉfense civile

I. La dÉfense et la sÉcuritÉ : Un nÉcessaire renouveau territorial

A. Le rÉseau militaire

1. Définir et formaliser une Stratégie territoriale de la Défense, par exemple dans le cadre d’un futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

a. Approfondir la démarche initiée avec la création de la division « cohésion nationale » de l’EMA

b. Introduire la notion de « défense inclusive »

2. Disposer d’une vision du réseau immobilier du ministère des Armées à l’échelle de l’ensemble du territoire national

3. Moderniser la défense opérationnelle du territoire (DOT)

4. Systématiser la création d’écosystèmes tripartites entre les armées, les collectivités territoriales et les acteurs économiques

5. Poursuivre la dynamique de décentralisation de certains commandements militaires à l’instar du mouvement initié dans l’armée de l’Air et de l’Espace avec la création du CTAAE

6. Redynamiser le réseau des Délégués Militaires Départementaux (DMD)

B. VIGINUM et l’ANSSI : de nouvelles menaces Émergentes À dÉcliner dans les territoires

II. Les collectivitÉs locales et l’industrie de dÉfense

A. La redynamisation du rÔle des correspondants dÉfense

B. Une meilleure articulation des cartes administrative et militaire

C. La nÉcessitÉ de renforcer une BITD dans sa relation avec les territoires

1. Relever les défis de recrutement et d’attrition dans l'industrie de la défense et de la BITD

2. Prendre en compte les besoins des jeunes et des salariés : l’ancrage territorial et la promotion de la diversité dans l'industrie

3. Valoriser le rôle du tissu industriel dans la résilience nationale

D. Une vraie place pour les acteurs Économiques dans la dÉfense civile

III. Vers une obligation de service À la Nation ?

A. Augmenter le nombre de rÉservistes pour mieux impliquer les citoyens dans l'effort de dÉfense nationale au plus prÈs de leur territoire de vie

1. Les ambitions élevées de la LPM 2024-2030 en matière de réserve

2. Un recrutement facilité à différents niveaux

a. Les délégués aux réserves

b. La Garde nationale

3. Capitaliser sur les compétences détenues par les citoyens et tirer profit de leur implantation géographiquement diversifiée

B. Vers une appropriation culturelle de la dÉfense par le citoyen

1. Une modification au fil des années dans la législation du rôle du citoyen dans la défense

2. Un esprit de défense en déperdition chez les jeunes ?

3. Des obstacles subsistent à l’engagement concret des citoyens

C. Le parlement comme organe dÉmocratique de contrÔle de la politique de dÉfense

1. La lettre et l’esprit de la Ve République sont peu favorables au rôle du Parlement en matière de défense même si quelques aménagements récents ont été pris afin de renforcer ce rôle

a. Les institutions de la Ve République marginalisent le Parlement, d’autant plus dans le « domaine réservé » qu’est la défense

b. La dernière loi de programmation militaire prévoit des dispositifs permettant un meilleur contrôle du Parlement

c. Les parlementaires sont peu incités à s’investir sur les questions de défense

2. La relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en matière de défense doit être équilibrée

a. L’exécutif doit impliquer le pouvoir législatif dans les décisions sur les orientations et la mise en œuvre de la politique de défense

b. Le Parlement doit avoir les moyens du contrôle.

c. Le Parlement doit voir son rôle formellement renforcé.

Examen en commission

Liste des recommandations des rapporteures

I. Mesures À destination du monde militaire et de l’État

II. Mesures À destination des collectivitÉs locales

III. Mesures À destination des acteurs Économiques et de l’Industrie de dÉfense

IV. Mesures À destination de la sociÉtÉ civile et du citoyen

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteures

Annexe  2 : DÉplacements des rapporteures

 


1

 

   RÉsumÉ

 Régulièrement contestée par le passé, l’intégrité du territoire français a été garantie de façon croissante par l’édification d’une architecture de protection de ses espaces contre les menaces.

La formation progressive du territoire français de 1843 (traité de Verdun) au traité de Versailles (1918) en passant par le congrès de Vienne (1815) est marquée par les invasions terrestres ou maritimes, l’adaptation des dispositifs défensifs et l’évolution des implications locales et nationales. Pour assurer la défense du territoire français, une variété de dispositifs a été conçue au niveau national, régional et local via un système organisé face à des menaces localisées telle que la « Ceinture de fer de Vauban ». Néanmoins, après la défaite de 1870, a été favorisée une cohérence territoriale au profit d’une défense nationale.

La loi du 16 mars 1882, sur l’administration de l’armée, vient profondément bouleverser l’organisation de la défense en privilégiant le cadre territorial, celui de la région militaire, pour garantir aux armées la cohérence d’organisation et la continuité du commandement qui leur faisaient défaut. La loi Niel (1868) puis celle de 1872 rétablissent la conscription qui fera partie de l’univers national pendant près d’un siècle. Les entreprises seront également plus largement intégrées dans l’effort de guerre. L’on peut conclure que si les collectivités territoriales n'ont pas de compétences directes en matière de défense, elles doivent jouer un rôle de facilitateur pour que soit mise en œuvre efficacement la politique de défense. Leurs compétences seraient mises à l’épreuve dans l’hypothèse d’un engagement majeur des armées.

 La présence physique des armées s’est atténuée sur le territoire national

À la suite de la suspension du service militaire obligatoire, les armées se sont professionnalisées et ont, en ce sens, restructuré leur organisation via divers plans tels que le « plan Armées 2000 » (1990) qui ont résulté en la suppression de plus de 200 000 postes ainsi que la fermeture d’une soixantaine d’états-majors et de régiments.

Permettant une amélioration du soutien pour une projection rapide des forces françaises, le ministère de la Défense a ainsi procédé à une rationalisation de ses implantations géographiques autour de points nodaux, les bases de défense (BdD) permettant de combiner une réduction des coûts et une amélioration du soutien pour une projection rapide des forces.

La réduction du format s’étant traduite par un désengagement territorial, de nombreux départements n’abritent alors plus aucune caserne (Côtes d’Armor, Orne, Calvados, Mayenne, Vendée). Paradoxalement, c’est le processus même de réduction de format et de rationalisation du stationnement, combiné à la restructuration des arsenaux et des services qui entretint, pendant une dizaine d’années, un lien relativement étroit avec les territoires, afin de contribuer à l’accompagnement de la reconversion de dizaines de sites.

 La convergence entre préoccupations civiles et militaires a connu un ralentissement

La suspension du service militaire a fait reculer la place des armées dans la société française. On considère que le lien entre l’armée et la société s’est fortement amenuisé dans la mesure où les interactions avec les Français sont devenues rares. Aujourd’hui, 30 000 à 35 000 jeunes rejoignent chaque année les armées ou la Gendarmerie nationale, soit 5 % d’une classe d’âge.

In fine, le sentiment de délitement du lien armée nation, d’un recul de l’esprit de défense et d’une fracture de la cohésion nationale est moins le fait de la professionnalisation des armées que celui de la paix prolongée qu’a connu le territoire national et qui a conduit la société, moins inquiète pour sa sécurité physique, à se détourner de ces préoccupations.

 La relocalisation des industries de défense

Dans les années 90, les commandes liées au secteur de la défense s’effondrent à la suite de la chute du mur de Berlin et de la récession. Si la France a conservé, en général, ses compétences industrielles, elle a en revanche perdu en masse. La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont réactualisé les questions de la relocalisation des filières de l’industrie de défense. Le cas emblématique de cette relocalisation étant le poudrier Eurenco va ré ouvrir à Bergerac, une usine qui avait été délocalisée en 2007 en Suède. La relocalisation permet d'éviter les dépendances à l'étranger et d'offrir un meilleur contrôle des cadences de production, mais elle rencontre plusieurs difficultés à savoir une fiscalité désavantageuse par rapport aux pays voisins, une pénurie de main d’œuvre, une réticence des banques à financer des activités liées à la défense et un manque de foncier.

 Une restructuration récente du réseau des délégués régionaux pour mieux porter les questions de défense auprès des collectivités territoriales

Si le ministère des Armées a, aujourd’hui, de larges prérogatives dans la gestion des questions de défense sur le territoire national, il semble que la sphère civile dans son ensemble doit être intégrée plus largement dans cette gestion, étant entendu que ces enjeux surpassent la question militaire. La déclinaison organique du ministère des Armées au niveau territorial se décline en trois chaînes distinctes : la « chaîne militaire » sous l’autorité de l’État-major des armées, la « chaîne industrielle » relevant de la DGA et enfin la « chaîne civile » dépendant du SGA.

Dans la nouvelle feuille de route qui leur a été adressée en janvier 2024, les treize délégués régionaux du ministère des Armées se sont vu confier, outre la poursuite du travail de concertation en interministériel, de nouveaux objectifs destinés à traduire la remontée en puissance des enjeux de défense. Cet éventail élargi de missions vise à intensifier les interactions avec le monde civil pour mieux faire connaître les préoccupations inhérentes au ministère des Armées et inciter davantage d’acteurs à s’approprier les enjeux de défense. Si de nombreuses actions ont d’ores et déjà été conduites par les délégués régionaux à cette fin, le travail mérite d’être poursuivi.

L’appréhension des enjeux de défense par les élus locaux et la population est en général meilleure dans les territoires disposant d’emprises militaires en leur sein. Si la densité des implantations militaires est plus faible dans certains départements, des leviers existent néanmoins pour cultiver davantage la connaissance des enjeux de défense, par exemple via les relais régionaux de l’IHEDN. Plusieurs élus locaux font état de leur volonté de voir se renforcer ce type d’actions afin de territorialiser davantage les questions de défense.

 La réappropriation des sujets de défense par les communes, conseils départementaux et conseils régionaux

Si la défense nationale relève pour l’essentiel de la compétence de l’État, les collectivités territoriales pourraient néanmoins jouer sur ce sujet un rôle plus marqué que ce n’est actuellement le cas, ce qui est d’ailleurs souhaité par certains élus locaux. Le dispositif qui existe, pour l’heure, au niveau communal, est celui des « correspondants défense » : ayant pour mission de faire rayonner l’esprit de défense sur le territoire français et de nourrir le lien étroit qui unit les militaires et la Nation, leur action s’organise en trois axes que sont la politique de défense, le parcours citoyen et la politique de mémoire. Nombre de correspondants défense paraissent regretter la faiblesse des directives et l’insuffisance d’objectifs concrets qui leurs sont assignés.

 De nouveaux conflits qui conduisent de nombreux États à replacer la défense territoriale au cœur de leurs préoccupations

La Suisse est organisée selon le système de milice, un système unique dans le monde occidental. L’armée de milice est toujours plébiscitée par les trois quarts de la population. L’armée suisse, c’est désormais 3 500 militaires de carrière, 6 500 civils et 136 00 miliciens. Aujourd’hui encore, chaque homme suisse capable de porter les armes est convoqué à l’âge de 16 ans ; s’il est reconnu apte (65 % d’une classe d’âge l’est), il est incorporé entre 18 et 25 ans.

Le modèle finlandais de « défense totale », qui implique une intégration des civils et du secteur privé (entreprises dites « critiques ») très étroite dans les plans de préparation des crises et le recours à des réservistes, suscite actuellement l’intérêt de nombreux pays européens. Le pays n’a jamais supprimé le service militaire pour les hommes depuis l’indépendance de la Finlande.              En Suède, le concept de défense globale englobe tous les niveaux de la société (ministères/administrations/agences, régions et municipalités, entreprises), y compris chaque citoyen. L’hypothèse centrale qui sous-tend le concept de « défense totale » est celle d’une agression armée contre la Suède et la nécessité de pouvoir y faire face pendant une période de trois mois sans aide extérieure. La « défense totale » a deux composantes : une composante militaire et une composante civile. Lors de la planification, il s’agit de prendre en compte ce que l’armée peut faire pour les secteurs civils en cas de guerre mais aussi la façon dont ces derniers peuvent appuyer l’armée. La Suède applique un modèle de conscription choisie où toute une classe d’âge est convoquée mais où seuls les jeunes intéressants l’armée sont choisis avec, pour ces derniers, l’avantage d’avoir une ligne très valorisée sur leur CV à la fin de leur service.

 L’émergence d’une défense civile en appui de la défense militaire en France ?

Les actions de défense civile reposent sur trois piliers : la sécurité publique (maintien de l’ordre et lutte contre la criminalité, assuré par la police et la gendarmerie), la sécurité civile (prévention et interventions pour protéger les biens et les personnes, assurés par les SDIS) et la défense économique (Préservation des fonctions économiques essentielles telle que l’énergie, télécommunications, alimentation, transports). Ces actions peuvent soutenir les initiatives de défense militaire.

 La prise en compte du territoire par les militaires : le continuum terre-mer, la conception de la mer en tant que territoire

Les territoires d'outre-mer français sont stratégiquement importants, notamment pour la sécurisation des Zones Économiques Exclusives (ZEE). La présence militaire y est active pour répondre à divers enjeux, comme la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane et l'insécurité à Mayotte. La Gendarmerie nationale est investie pleinement dans ces territoires, elle participe à la continuité de l’État dans les territoires (gestion de crise), notamment dans le cadre de l’élaboration des plans locaux et la participation à la mise en œuvre d’exercices de crise. En complément des dispositifs militaires déployés dans les outre-mer, des initiatives telles que le Service Militaire Adapté (SMA), permettent de tisser un lien fort entre les territoires ultra-marins et les forces armées sur place et de remettre au centre de la relation les acteurs des territoires dans la défense nationale.

 Le territoire national face à la menace cyber

En 2015, l'ANSSI a mis en place des relais territoriaux pour soutenir les acteurs régionaux, notamment économiques, et les collectivités locales. Ce dispositif, en collaboration avec les services de l'État, compte aujourd'hui 17 représentants en métropole et outre-mer, tous spécialistes en sécurité numérique. Ils travaillent avec les autorités régionales pour prévenir les incidents et sensibiliser les acteurs locaux.

Avec 600 employés, l'ANSSI ne peut pas créer des agences régionales, mais utilise les préfets de région et de département comme relais, une compétence renforcée par une circulaire de 2022. Le plan France Relance 2021 soutient les collectivités et établissements de santé via des centres d'aide cyber (CSIRT), qui assistent les PME, ETI, collectivités et associations. Ces CSIRT offrent un service gratuit de réponse aux incidents et travaillent avec des prestataires et partenaires étatiques pour la prévention et la sensibilisation.

Le Pôle d'excellence cyber (PEC) créé à Rennes en 2014 montre l'engagement de l'État dans les territoires. Le PEC fédère la filière cyber, incluant l'ANSSI et le COMCYBER, et organise des exercices de gestion de crise comme Defnet.

La gendarmerie, via les antennes C3N, une task force numérique, et une réserve cyber, intervient également dans le domaine des cybermenaces, avec un maillage territorial pour répondre aux incidents numériques.

 De nouveaux exercices militaires redonnent de la visibilité aux armées sur le territoire

Avec la fin du service militaire et la fermeture des bases militaires, la visibilité des armées est une préoccupation importante. Cela peut avoir des conséquences sur le recrutement, surtout dans une période où les capacités de la réserve opérationnelle doivent doubler et où les armées doivent sans cesse renouveler leurs effectifs. Les exercices en terrain libre peuvent permettre de redonner de la visibilité aux armées, cela a été particulièrement montré lors de l’exercice ORION 2023.

Étant donné la dimension de l’exercice, un lourd travail d’information des populations locales a été mené en amont par les militaires. Un travail a été mené avec les préfectures pour assure la sécurité et limiter les nuisances. Pour les opérations en terrain libre, 3 000 courriers ont été envoyés à des mairies. Des réunions ont été organisées en amont dans les lieux où devaient avoir lieu des actions particulières. L’opération ORION a eu un impact positif au sein de l'armée, en particulier sur les nouvelles recrues et le moral des troupes.

 

 


1

 

   Introduction

 

La relation entre le monde militaire et les acteurs des territoires a connu en France une certaine distension depuis la fin du service militaire obligatoire en 1997 et au gré des fermetures d’emprises. Aujourd’hui, le retour d’une synergie orientée vers l’objectif d’une résilience commune apparaît nécessaire.

La perspective d’une plus grande appropriation des enjeux de défense par les citoyens, collectivités territoriales, entreprises et associations, s’impose ces dernières années, comme une nouvelle exigence. En particulier à l’aune d’un triple « réveil stratégique » qui concerne l’ensemble du continent européen – pour reprendre l’expression employée par le Président de la République dans son discours du 30 janvier 2024 à la communauté de défense à Stockholm, lors de sa visite d’État en Suède. Réveil dont la France s’attache à être l’un des protagonistes.

Une première phase de prise de conscience s’est ouverte à la suite des attentats terroristes de 2015, qui ont amèrement rappelé que notre sol national et notre population civile pouvaient être la cible de menaces sécuritaires, issues d’adversaires n’étant plus forcément des acteurs étatiques et parfois difficilement identifiables.

Puis, en 2020, la pandémie du Covid-19 a, elle aussi, sonné le glas de l’invincibilité territoriale, à laquelle certains s’attachaient peut-être à croire. La « crise sanitaire » a été, à tous les échelons, dans chaque région et dans chaque commune, d’autant mieux surmontée que les acteurs de terrain ont œuvré, avec pragmatisme et intelligence, à l’édification de mécanismes de résilience au regard des ressources – parfois menues - qui étaient à leur disposition.

L’invasion massive du territoire ukrainien par l’armée russe le 24 février 2022, a surgi dans notre actualité de façon explicite, avec l’enjeu de la défense territoriale. Si la mobilisation d’ampleur de la société ukrainienne et sa capacité à faire front face à l’envahisseur ont surpris les observateurs, le conflit a dans le même temps été l’occasion d’une mise en exergue de la vulnérabilité de certaines infrastructures, notamment énergétiques, pourtant constitutives de la souveraineté nationale au sein du pays.

De fait, tandis que la dissuasion nucléaire demeure un outil crédible pour préserver la France d’attaques ciblées contre ses intérêts vitaux, le risque ne saurait être intégralement écarté de voir le territoire national visé de façon plus insidieuse, via un conflit terrestre, via le terrorisme ou dans le cadre d’un contournement « par le bas ». Diverses menaces hybrides en-dessous du seuil de conflictualité, contre les différentes infrastructures vitales et contre les opérateurs de services essentiels, sont aujourd’hui à craindre : cybermenaces, menaces désinformationnelles, etc.

Si les militaires jouent, par définition, un rôle de premier plan dans la planification et la conduite des opérations de défense du territoire, ils ne sauraient se voir attribuer l’exclusivité de la responsabilité de celles-ci. Par leur ancrage local et leur connaissance du paysage tant citoyen qu’économique, les élus communaux, départementaux, régionaux et nationaux, en particulier, pourraient s’engager davantage dans cet objectif commun afin de conforter les forces morales de la Nation, de conjurer l’hypothèse d’un éventuel divorce du peuple pour ses forces armées, de planifier notre capacité collective à résister face aux menaces et de renforcer la résilience nationale.

C’est ainsi une réflexion complète sur « la place du soldat dans la société », qu’il convient de mener, comme l’appelait de ses vœux le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, le mardi 14 mai 2024 lors d’une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Le soldat doit en effet pleinement retrouver le sens de son métier à savoir l’engagement militaire au service de la défense de la Nation, alors même que sa mobilisation pour des missions d’ordre civil a pu déprécier son image et le décrédibiliser aux yeux d’une partie la population.

Dans le cadre de leurs travaux, vos rapporteures, Mme Patricia Lemoine (Renaissance) et Mme Mélanie Thomin (Socialistes et apparentés), ont mené une trentaine d’auditions à Paris et effectué quatre déplacements, à Brest, Stockholm, Berne et Helsinki. Si ces derniers ont parfois mis en lumière les profondes divergences entre pays, tous se sont avérés riches d’enseignements.

Aux termes de leurs travaux, vos rapporteures sont convaincues par l’idée selon laquelle il est indispensable de territorialiser la politique de défense, de permettre à tous les acteurs de se mobiliser pour la défense du pays, des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), aux collectivités territoriales, en passant par les acteurs associatifs et l’ensemble des citoyens. Cela en vue de conférer au territoire national, hexagonal comme ultramarin, une résilience de long terme face aux menaces susceptibles de l’affaiblir.

L’enjeu de ce rapport d’information est de réfléchir à un modèle de défense dans lequel tous les corps de la société seraient impliqués d’une manière ou d’une autre auprès des acteurs conventionnels.

Au Vè siècle avant J.C. déjà, Thucydide faisait remarquer, lors de la guerre du Péloponnèse opposant les cités grecques d’Athènes et de Sparte, que « la force de la cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens ». Si l’on ne saurait minimiser l’atout que représente, pour un territoire, le fait de protéger ses frontières extérieures et, pour une armée, de pouvoir s’appuyer sur du matériel de combat quantitativement et qualitativement dissuasif aux yeux de l’adversaire, il est nécessaire de forger l’aptitude de la Nation à assurer durablement sa propre défense qui ne peut s’affermir, in fine, qu’à la condition d’un engagement résolu de l’ensemble des acteurs du territoire.

 


1

 

   PremiÈre partie : les territoires face aux enjeux de dÉfense, une relation historiquement structurante qui s’est distendue au cours des derniÈres dÉcennies

I.   La dÉfense territoriale, une prÉoccupation et une organisation longtemps effectives dans l’architecture de sÉcuritÉ en France

L’organisation territoriale de la défense nationale s’est initialement structurée autour de la réponse aux menaces qui pesaient sur les frontières de la France. Qu’il s’agisse de prévenir la pénétration des armées voisines ou de projeter des troupes vers les pays limitrophes, les « marches », zones périphériques du royaume, de l’empire ou de la république, ont naturellement vu l’organisation territoriale de la défense se transformer au gré de l’évolution des menaces.

A.   RÉguliÈrement contestÉe par le passÉ, l’intÉgritÉ du territoire français a été garantie de façon croissante par l’Édification d’une architecture de protection de ses espaces contre les menaces

La formation progressive du territoire français de 1843 (traité de Verdun) au traité de Versailles (1918) en passant par le congrès de Vienne (1815) est marquée par les invasions terrestres ou maritimes, l’adaptation des dispositifs défensifs et l’évolution des implications locales et nationales.

1.   Le territoire national a subi des atteintes directes à moult reprises dans l’histoire, se trouvant ainsi menacé dans son intégrité

a.   Un déterminisme géographique

« La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre » écrivait Yves Lacoste en 1976 ([1]), mettant en exergue la façon dont la géographie constitue une force de structuration des espaces habités. Les corridors de mobilité potentiellement utilisés par des envahisseurs déterminent des places à défendre pour le défenseur, suscitant à leur tour l’émergence d’une vie économique autour des garnisons ainsi créées. Les invasions terrestres auxquelles la France a dû faire face ont systématiquement eu lieu dans les mêmes zones vulnérables de ses frontières. Ainsi, du IVe au VIe siècles, après la chute de l’empire romain, Vandales, Francs, Burgondes, Wisigoths et Huns pénètrent déjà l’hexagone par les Flandres ou la vallée du Rhin, tandis que les Ostrogoths passent d’Italie en Espagne en franchissant les Alpes puis les Pyrénées que les Arabes franchiront, vers le Nord cette fois, deux siècles plus tard. Aux Xe siècle, c’est à nouveau par la plaine d’Alsace que les Magyars entrent en France avant de gagner l’Italie par les Alpes. Enfin, la guerre franco-prussienne de 1870 et les deux offensives allemandes de 1914 et 1940 ont fini de démontrer que la frontière nord-est était de loin la plus vulnérable. Au Sud, les reliefs alpin et pyrénéen constituent des fortifications naturelles qui permettent d’en interdire le franchissement avec raisonnablement peu de moyens, comme l’a démontré la bataille des Alpes en 1940 face aux troupes italiennes.

b.   Un impératif d’équilibrage

Il faut souligner une autre réalité géographique de la France : ses frontières terrestres ne mesurent qu’un cinquième de la longueur de ses côtes. Très tôt, le contrôle des frontières maritimes constitue un enjeu de taille, face aux invasions normandes au IXe siècle dont les incursions fluviales leur permettent de gagner le cœur du royaume. À partir du XIVe siècle, les terribles razzias des Barbaresques sur la côte varoise valurent notamment à la ville de Toulon ses premières fortifications Comme tous les pays dotés de façades maritimes, la France a dû consacrer une partie significative de son effort militaire à protéger ses côtes et son littoral contre les attaques venues de la mer, qu’elles soient le fait de forces armées ou de bandes de pillards. Pour l’aspect militaire, les assauts anglais du XVIIe et XVIIIe siècles justifièrent la construction d’un vaste programme de fortifications sur le littoral Atlantique (La Rochelle, Rochefort, Brest, Lorient, Saint-Vaast, Calais…).

2.   Pour assurer la défense du territoire français, une variété de dispositifs a été conçue au niveau national, régional et local

Face aux menaces « existentielles » venant de la terre comme de la mer, la France est contrainte de trouver un équilibre entre les moyens accordés à la Marine et aux forces terrestres. C’est dans la recherche de cet équilibre difficile qu’il faut sans doute trouver la réponse originale en termes d’organisation qui établit, dès l’Ancien Régime, la continuité entre les fonctions civiles du préfet et les fonctions militaires de commandement de zone. Dans une logique de ressources comptées, la flexibilité de cette organisation permet de tirer parti de tous les moyens disponibles, quelle que soit l’administration qui les met en œuvre. Elle permet une parfaite fluidité entre les missions de « service public », d’action de l’État en mer et les missions militaires de défense.

a.   Un système de défense organisé face à des menaces localisées

L’organisation de la défense aux frontières a façonné la carte des garnisons militaires pendant de longs siècles. Du point de vue terrestre, les places fortes de Lille, Metz ou encore Besançon, et plus largement la « ceinture de fer » de Vauban illustrent la façon dont la géographie contraignit l’organisation de la défense du territoire pour contrôler les frontières les plus vulnérables. Cette logique a également donné leur nom aux ensembles de forces : « armées du Rhin » ou « armée des Alpes ». Le même constat s’impose pour la Marine : dans l’antiquité, la pointe de l’Armorique, est déjà le point d’appui de la flotte romaine de la Manche et de la mer du Nord. Il en va de même des autres ports militaires historiques que sont Toulon, Cherbourg ou Rochefort. Cette organisation naturelle trouve sa pérennité dans la continuité entre-temps de paix et temps de guerre. Or, la période relativement pacifique que connaît l’Europe à la suite du congrès de Vienne distend le lien entre l’armée et les territoires jusqu’à la défaite de 1870.

La ceinture de fer de Vauban

Source : Ch Grataloup, Ch. Becquart-Rousset, Atlas historique de la France, L’Histoire-Les Arènes, 2020

b.   Après la défaite de 1870, une cohérence territoriale au profit d’une défense nationale

L’organisation de la défense à la fin du second empire est en effet marquée par deux aspects : d’une part la continuité du commandement entre le temps de paix et le temps de guerre n’est pas assurée ; d’autre part la cohérence d’ensemble de l’armée, segmentée en corps d’armées, et coupée des services de soutien devenus indispensables (intendance, génie, santé, logistique des approvisionnements en munitions et en matériels) est devenue illusoire.

La loi du 16 mars 1882, sur l’administration de l’armée, vient profondément bouleverser l’organisation de la défense en privilégiant le cadre territorial, celui de la région militaire, pour garantir aux armées la cohérence d’organisation et la continuité du commandement qui leur faisaient défaut.

Les généraux commandant les régions militaires disposent désormais des prérogatives organiques et opérationnelles, ils sont donc responsables de la mise en condition et de l’entraînement en temps de paix et de la conduite de la bataille en temps de guerre. De surcroît, ils ont autorité sur les services associés (logistique, santé, cantonnement…) nécessaires pour effectuer la montée en puissance de la troupe. L’ensemble des régions militaires est alors placé sous l’autorité d’un état-major général en charge de la planification. Cette organisation robuste permettra d’absorber la secousse de 1914 et des quatre années de guerre qui suivront. Une autre particularité de ce modèle d’organisation tient à sa spécialisation régionale : tandis que les forces sont principalement implantées dans le nord-est, les entrepôts, les établissements de soutien et l’industrie de défense sont installés loin des zones exposées.

Loin des routes traditionnelles d’invasion, on voit ainsi naître pratiquement ex-nihilo les industries d’armement de Bourges, Tarbes, Roanne, de la filière aéronautique à Toulouse, Nantes et dans la vallée de l’Adour ou encore le pôle électronique de Rennes. Dans le même esprit, avec l’apparition de l’aviation durant la Première Guerre mondiale, l’essentiel des forces aériennes s’installent dans le quart nord-est tandis que les bases écoles sont localisées plus à l’ouest.

B.   La dÉfense nationale a depuis longtemps mobilisÉ une large diversitÉ d’acteurs À diffÉrentes Échelles du territoire

L’organisation de la défense nationale est le fait d’acteurs de diverses natures dont le rôle dans la défense du territoire n’a cessé d’évoluer au gré des régimes politiques, des évolutions techniques et de la nature des menaces. Il s’agit d’appréhender les changements dans la figure même du soldat, dans la mobilisation des entreprises dans l’économie de guerre ou encore dans la place de l’autorité politique locale dans cette organisation.

1.   L’évolution de la figure du « citoyen-soldat »

a.   Au Moyen-Âge : du milicien au conscrit en passant par le mercenaire

La société médiévale française présente, à l’instar de la société romaine sous l’antiquité, une organisation tripartite avec une distinction entre ceux qui prient – oratores – ceux qui travaillent – laboratores – et ceux qui guerroient – bellatores. La guerre est l’affaire de ceux dont la fonction sociale est de protéger les autres habitants du fief, il s’agit donc le plus souvent de porter les armes à proximité de son lieu de vie. Jusqu'au XIIe siècle, l'ost royal est composé des chevaliers et des grands officiers du palais. Elle ne devient une véritable armée qu'avec l'ajout des grands vassaux et de leurs propres troupes, et avec celui des milices piétonnes fournies par les villes et les abbayes. Le temps du service militaire n'excède pas le temps d'une campagne, puis une convention vassalique réduit ce temps à quarante jours. Le service vassalique décline au cours du XIIIe siècle, mais en contrepartie le service militaire royal s'élargit à tous les seigneurs du royaume et le temps du service est supprimé moyennant finances. Les villes prennent en charge leur propre défense et fixent les nombres de combattants qu'elles fournissent, alors que l'Église fournit surtout des chevaux et du matériel. La Guerre de Cent ans voit la création des Grandes compagnies, employées contre finances, qui fournissent les services de dizaines de professionnels de la guerre. Lors de leur démobilisation, elles n'hésitent pas à piller la population et à mettre des provinces en coupe réglée. En 1445 sont créées les compagnies d'ordonnance, premières armées permanentes du royaume. Elles mènent des opérations militaires en cas de guerre et restent en garnison dans des villes pour assurer la sécurité quotidienne du royaume.

  1.   L’apparition du « soldat » sous l’Ancien Régime

Sous l’ancien régime, les armées se professionnalisent. Les colonels sont propriétaires de leurs régiments et rétribuent leurs hommes en leur allouant une solde. Les unités constituées d’étrangers (Suisses, Allemands, Hongrois) constituent une importante composante des armées. Elles s’illustrent dans toutes les guerres de l’Ancien Régime. L'armée est réformée en profondeur au XVIIe siècle. L'administration civile est développée pour gérer l'armée et la hiérarchie militaire est réorganisée pour favoriser l'avancement au mérite à la petite noblesse et la bourgeoisie. Une ébauche de conscription est mise en place avec la milice provinciale, une armée de réserve composée d'hommes tirés au sort.

  1.   La conscription pour lever les armées de masse dont la jeune république a besoin

La France révolutionnaire voit l’Europe des rois se liguer contre elle. Pays le plus peuplé du continent, elle obtiendra les troupes dont elle a besoin grâce à la conscription. Après une première levée de 300 000 hommes en février 1793, la levée en masse est décrétée le 23 août. Organiser ces masses est un défi pour une armée dont la plupart des officiers, issus de la noblesse, ont émigré, aussi la solution retenue est-elle celle de l’amalgame, soit un bataillon d’anciens de l’armée royale est associé avec deux bataillons de conscrits. L’Empire s’ouvre sous les mêmes auspices. Napoléon, ayant lui aussi l’Europe liguée contre la France, utilisera largement la conscription. Tout en faisant, comme l’armée royale, largement appel aux contingents étrangers. L’armée française qui, en 1812, franchira le Niémen pour se porter sur Moscou ne comptera que 100 000 Français sur un global de 400 000 hommes.

La Restauration après 1815 se veut synonyme de paix. La France, cependant, se doit de posséder une armée. L’impopulaire conscription ayant été abolie il est fait appel à des professionnels. Le recrutement s’avérant insuffisant, les lois Gouvion-Saint-Cyr et Suchet, en 1818 et 1824, rétablissent, par voie détournée, la conscription. Le contingent annuel à mobiliser, 60 000 hommes, est appelé par tirage au sort. Le service dure d’abord six ans, puis huit ans, soit un retour déguisé à l’armée de métier de l’Ancien régime. Huit années de service représentent une longue période durant laquelle le soldat est coupé de ses racines, famille, village, métier. La caserne, les camarades deviennent son foyer et l’armée finit inexorablement par former un corps à part, sans liens étroits avec le reste de la nation. Cette armée connaîtra de nombreux engagements opérationnels loin des frontières, en Afrique, en Asie, en Crimée, en Italie, au Mexique. Ces campagnes à caractère colonial ne prépareront pas les généraux français à la guerre franco-prussienne a contrario de leurs adversaires. La défaite de 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine provoquent dans le pays un choc profond et remettent en cause les fondements de l’institution militaire. La loi Niel (1868) puis celle de 1872 rétablissent la conscription qui fera partie de l’univers national pendant près d’un siècle.

La figure du soldat a donc considérablement évolué au fil des siècles, passant du professionnel au conscrit et réciproquement. La relation du soldat au territoire varie donc considérablement selon qu’il est un conscrit défendant sa terre natale, un mercenaire étranger, un soldat du second empire engagé dans les campagnes ultramarines ou un appelé du contingent en 1990.

2.   La mobilisation des entreprises au service de « l’effort de guerre »

L’effort de guerre désigne la mobilisation sociale et industrielle visant à subvenir aux besoins militaires d'un État. Il affecte toute l'économie, surtout par une réorientation du système industriel vers la production d'armes ou de matériel nécessaire à la poursuite du conflit. Il peut également comporter les actions de défense ou de reconstruction des villes et infrastructures, ainsi que les soins médicaux aux victimes civiles ou militaires. L’effort de guerre relève à la fois de la production des ressources nécessaires à la guerre et des aspects logistiques liés à leur stockage, à leur acheminement et à leur distribution aux armées en campagne au temps et au moment voulu.

La création des commissaires des guerres remonte à 1357 et désignait des officiers itinérants chargés de contrôler la réalité des effectifs levés par les vassaux du roi. À partir du règne de Louis XIV, les commissaires sont officiellement subordonnés aux intendants, qui ont progressivement hérité de toutes les prérogatives du soutien : pouvoir de police (justice militaire) au XVe siècle, puis au XVIIe siècle (édit de mai 1635), avec Richelieu, l’intendant prend de l’ampleur. Désormais responsable des vivres, il contrôle notamment les fournisseurs, les comptables et assiste aux conseils de guerre. Puis progressivement jusqu’au milieu du XVIIe siècle, l’intendant va cumuler la gestion des hôpitaux, la subsistance, le ravitaillement, l’habillement, la gestion des magasins du roi, le logement. Par la suite, au cours du XXe et du XXIe siècles, chacune de ces fonctions va être clairement identifiée et assurée par des organismes dédiés.

Concernant la captation des ressources pour soutenir une armée en campagne, la nécessité de se doter d’un appareil d’État est forte. « Vivre sur le pays » selon l’expression consacrée, c’est-à-dire assurer le ravitaillement des armées à partir des ressources disponibles sur le théâtre des opérations, ne va pas de soi : il s’agit d’un savoir-faire tactique et technique qui s’apprend et s’anticipe. Il nécessite des moyens humains et une préparation minutieuse. Contrairement à une idée largement répandue, une armée qui progresse ne trouve pas sa nourriture grâce à des réquisitions hasardeuses dans les villes et les fermes qui se trouveraient le long de sa marche. Lorsque cela devient le cas et que les armées en campagne se livrent à la rapine et à la maraude, c’est que l’État a perdu le contrôle de son outil militaire qui n’est plus apte à atteindre ses buts politiques, notamment à cause du ressentiment suscité chez les populations civiles. Vivre sur le pays est à la fois une nécessité et un objectif politique, car les ressources de l’État sont contraintes. Mis en place par Wallenstein ([2]), le système des contributions et réquisitions permet d’obtenir un rendement supérieur tout en épargnant les populations civiles, le pillage et la maraude étant souvent la conséquence de l’imprévoyance, de l’amateurisme ou du laxisme des chefs en place.

Sous l’Ancien Régime, la production et l’acheminement des ressources nécessaires aux armées en matière de munitions, d’alimentation ou encore d’habillement, sont principalement dévolues à des entrepreneurs privés ayant contractualisé contrat avec l’État. L’inefficacité de la privatisation du soutien tarde à déclencher une réponse structurée malgré de nombreux exemples d’échecs voire de désastres. Rares sont les marchés qui donnent réellement satisfaction car partout et toujours, l’appât du gain du privé nécessite un contrôle constant de la part de l’État pour en faire appliquer les marchés. Les entrepreneurs privés ne donnent que très rarement satisfaction. Dans son Traité général des subsistances ([3]), Dupré d’Aulnay rapporte le cas de plusieurs forteresses qui durent être rendues à l’ennemi car les magasiniers privés avaient menti sur leurs comptes de stock, encaissant l’argent sans remplir les magasins. Il cite également l’exemple des délais supplémentaires pour entrer en campagne en 1709, à cause des munitionnaires qui avaient négligé de faire leurs achats à propos. La militarisation des chaînes logistiques par Napoléon constitue donc une réponse logique et le prolongement d’un mouvement de fond d’étatisation des armées. En effet, tandis que les fonctions combattantes avaient fait l’objet d’une étatisation progressive pendant tout l’Ancien régime depuis François Ier, ce processus demeurait inachevé, en particulier dans les fonctions de soutien.

La révolution industrielle et deux guerres mondiales vont pousser à son paroxysme le principe d’effort de guerre. Certains considèrent que l’économie de guerre est née au XXe siècle avec la Première Guerre mondiale, d’autres la font naître lors de la guerre de Sécession américaine. Alors que les belligérants s’attendaient à un conflit de courte durée, celui-ci s’est prolongé sur plusieurs années, exigeant de plus en plus de ressources. La guerre a ainsi acquis un caractère « total » : pour l’emporter, il fallait être capable de financer et d’organiser sur le long terme la production efficace d’armes et de biens essentiels à la survie de la nation et à la conduite de la guerre. Pour ce faire, les industries prioritaires (sidérurgie, chimie, armement, automobile) monopolisent la quasi-totalité des moyens disponibles. La conversion des complexes industriels occidentaux avant et pendant la 2e guerre mondiale, et la place donnée à la puissance publique dans l’orientation de l’effort industriel préfigureront la situation économique des Trente Glorieuses, avec la domination de l’industrie occidentale, et l’avènement de l’État providence.

3.   L’engagement historique des pouvoirs publics locaux dans la territorialisation de la défense

Un phénomène de centralisation s’est naturellement constitué concomitamment au développement de l’État central et unitaire, la défense devenant peu à peu le monopole du monarque. La devise inscrite sur les canons des armées de Louis XIV, « Ultima ratio regum », est à ce titre particulièrement révélatrice de cette concentration des pouvoirs.

D’un point de vue strictement sémantique, les autorités municipales, départementales ou régionales, aux préoccupations locales par essence, ne semblent pas faire partie des acteurs de la défense nationale dont les enjeux dépassent les intérêts particuliers. La défense des intérêts du royaume, puis la défense nationale, demeurent une prérogative régalienne très centralisée. Historiquement, c’est pourtant au sein des collectivités locales qu’ont émergé les premières forces de défense. Les autorités locales furent naturellement concernées par leur sécurité et leur auto-défense à une époque où il n’existait pas d’armée permanente et où les délais de déplacement d’une force armée se comptaient en semaines voire en mois. Certaines villes constituent alors des milices communales pouvant participer à la levée de l’ost. Par ailleurs, ces milices dites bourgeoises ont longtemps constitué la défense élémentaire des villes contre les agresseurs extérieurs. Au XIe siècle, on pouvait appliquer à toutes les grandes villes du nord de la Loire les mots tot cives, tot milites : « tous citoyens, tous soldats ». Ce mouvement procédait également d’une volonté d’émancipation vis-à-vis de certains seigneurs féodaux qui considéraient alors que les villes situées sur leur fief devaient leur être entièrement soumises.

La Garde nationale, qui naît au moment de la Révolution française, est historiquement l’héritière de l'ensemble des milices de citoyens formées dans chaque commune. Celle créée à Paris en 1789 était placée sous le commandement du général de La Fayette. Son rôle était d'assurer le maintien de l'ordre dans chaque commune en temps de paix mais également la défense militaire du pays en temps de guerre en complément de l'armée régulière. Elle a existé sous tous les régimes politiques de la France jusqu'à sa dissolution en juillet 1871, aux lendemains des insurrections communalistes (Commune de Paris) qu'elle a soutenues. Le changement majeur vient surtout de la double émergence de l'État et de la Nation. La Révolution française est un moment de cristallisation de cette conscience collective et fait de la Nation, l’objet même de la défense. Dans cette évolution, une divergence se produit entre la défense nationale et les collectivités locales, comme s'il s'agissait de deux mondes qui s'opposent moins qu'ils ne se différencient à un point tel que l'on ne songe même plus à faire le rapprochement.

Le cas de la Gendarmerie illustre cette ambivalence entre la mission de défense nationale dont la charge relève de l’État et la mise en œuvre de cette mission de manière très locale au sein des communes et espaces ruraux, au profit des collectivités locales donc. Dans les faits cela se traduit, par exemple, et alors qu’aucun texte de loi ne les y contraint, au fait que les collectivités locales participent au financement des logements de la Gendarmerie.

L’on peut conclure que si les collectivités territoriales n'ont pas de compétences directes en matière de défense, elles doivent jouer un rôle de facilitateur pour que soit mise en œuvre efficacement la politique de défense. Leurs compétences seraient mises à l’épreuve dans l’hypothèse d’un engagement majeur des armées. Les polices municipales ont un rôle à jouer dans la sûreté des villes abritant des unités ou des entreprises sensibles de la BITD. La qualité de la voirie, la disponibilité des transports publics et des réseaux d’énergie sont déterminants pour la mobilité et la logistique des forces militaires. Les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) constituent également une précieuse ressource indispensable à la sécurité des arrières. Enfin, par leurs prérogatives en matière d’enseignement et d’accompagnement de la jeunesse, les communes, départements et régions demeurent les acteurs principaux dans l’éducation à l’esprit de défense.

C’est dans cet esprit qu’a été créée la fonction de correspondant défense au sein des communes en 2001, s’appuyant sur les délégués militaires départementaux (DMD), ils œuvrent à donner toute leur place aux collectivités locales à travers le parcours citoyen, la valorisation du patrimoine et la communication sur la politique de défense. En 2008, la délégation à l’accompagnement régional (DAR) s’est vue confier la mission d’accompagner les collectivités locales touchées significativement par les mesures de restructuration des Armées. Depuis 2016 et son changement de nom, la délégation à l’accompagnement régional du ministère des Armées poursuit sa mission auprès des collectivités locales grâce à son réseau de délégués régionaux installés au sein des préfectures de région.

II.   La distanciation progressive du lien entre dÉfense et territoires depuis la fin du vingtiÈme siÈcle

La rupture géopolitique qui s’opère entre novembre 1989 et août 1990, avec la chute du mur de Berlin et l’invasion du Koweït par l’Irak, ainsi que l’éclatement de la Yougoslavie dans les années suivantes, vont venir bousculer le modèle de défense français. La menace principale, qui venait de l’Est, s’efface, alors qu’une crise majeure surgit dans le monde arabo-musulman et que la guerre s’installe dans les Balkans. Les armées vont ainsi se trouver engagées en opérations extérieures, à la fois loin de l’hexagone et parfois loin des préoccupations quotidiennes des Français.

A.   La prÉsence physique des armÉes s’est atténuÉe sur le territoire national

1.   La fermeture de nombreuses emprises militaires a réduit le maillage territorial dont bénéficiaient les armées

Le changement de paradigme stratégique a d’abord conduit à une importante réduction du format des Armées : de 720 000 hommes en 1962 (fin de la guerre d’Algérie), l’Armée de Terre n’en compte plus que 240 000 en 1996 au moment de la suspension de la conscription. Trois réformes profondes ont marqué les évolutions de l’empreinte territoriale de la Défense par suppressions, réorganisations et transferts d’unités :

-          En 1990, « le plan Armées 2000 » acte une réduction du format des armées de 35 000 postes et la fermeture d’une soixantaine d’états-majors et régiments de l’armée de terre ;

-          Sur la période 1997-2002, la professionnalisation complète des armées consacre la suppression de 150 000 postes et la fermeture ou le transfert d’une centaine d’unités des trois armées et des services ainsi que la réorganisation interne de toutes les unités conservées ;

-          De 2008 à 2016, le volet Défense de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ainsi que les Livres Blancs sur la défense de 2008 et 2013 signent la suppression de 54 000 emplois et la fermeture de plus de 30 unités opérationnelles et établissements de soutien.

Permettant une amélioration du soutien pour une projection rapide des forces françaises, le ministère de la Défense a ainsi procédé à une rationalisation de ses implantations géographiques autour de points nodaux, les bases de défense (BdD) permettant de combiner une réduction des coûts et une amélioration du soutien pour une projection rapide des forces. Tous les domaines du soutien comme le service de santé des armées, la maintenance des matériels ou encore le génie sont également concernés par ce type de rationalisation géographique, au risque que ces réorganisations n’affectent le fonctionnement des bases, les opérateurs concernés n’étant plus sous la hiérarchie directe du commandant de base. En conséquence, depuis 2008, la réforme des BdD a abouti à de nombreuses dissolutions d’unités, à des transferts d’unités d’un site vers un autre et à la mutualisation de moyens (compétences, infrastructures, etc.). Les restructurations entraînent la fermeture de plus de 80 sites ou unités militaires entre 2009 et 2016. Sur cette période, la dissolution ne concerne pas moins de 20 régiments et bataillons ainsi que 11 bases aériennes. Par ailleurs, plus d’une trentaine de sites ont été affectés par un déménagement d’une ville vers une autre.

La réduction du format s’étant traduite par un désengagement territorial, de nombreux départements n’abritent alors plus aucune caserne (Côtes d’Armor, Orne, Calvados, Mayenne, Vendée). Paradoxalement, c’est le processus même de réduction de format et de rationalisation du stationnement, combiné à la restructuration des arsenaux et des services qui entretint, pendant une dizaine d’années, un lien relativement étroit avec les territoires, afin de contribuer à l’accompagnement de la reconversion de dizaines de sites. Le bilan de ce désengagement, entre gagnants et perdants, s’avéra fort contrasté : à Grenoble (la caserne de Bonne), à Montpellier (l’école d’application de l’infanterie), à Pontoise (la caserne Bossut) et en maintes villes moyennes, la centralité des implantations offre alors des opportunités exceptionnelles en matière de développement urbain. Certains paris difficiles furent réussis : la transformation en technopole de la base du Bourget-du-Lac ; l’aménagement d’un nouveau quartier, à Dijon, sur le site de l’hôpital Hyacinthe Vincent. Mais dans le cas de collectivités qui vivaient, traditionnellement, des implantations militaires (à Aire-sur-la-Lys où elles représentaient plus de la moitié du territoire communal), la valorisation de ces actifs délaissés s’est avérée impossible à court ou moyen terme et le paysage conserve les cicatrices du passé, à l’image des sites industriels désaffectés ou des territoires miniers délaissés.

La désertification militaire de certains territoires fut vectrice de plusieurs conséquences pour ces derniers. Sur le plan économique, d’abord, la présence des armées est particulièrement profitable, fournissant des emplois et stimulant l’économie locale. La fermeture de casernes ou le déménagement de certains régiments peut donc être particulièrement préjudiciable pour les entreprises locales. Ces fermetures d’emprises militaires ont aussi un impact au plan social et sur celui de l’attractivité des territoires. À cet égard, cette désertification peut conduire à la fermeture de certains services publics, à la désagrégation des liens sociaux et de la vie communautaire.

Si la désertification militaire est souvent motivée par des impératifs budgétaires ou stratégiques, ses impacts sont parfois âpres et nécessitent une planification dans le dessein de les atténuer.

 

 

2.   La documentation stratégique et les choix d’engagements opérationnels ont consacré un certain effacement de la fonction « protection » au profit de la « projection » hors du territoire

Pour la France, le nouveau contexte stratégique impose une révision complète de sa doctrine stratégique. L’ennemi, principalement terroriste, ne se trouve plus aux frontières, mais il œuvre à l’intérieur de celle-ci tandis que ses commanditaires sont des acteurs non étatiques installés à l’étranger. On voit émerger de nouveaux concepts d’emploi des forces, souvent d’inspiration américaine à l’instar de l’« Air Land Battle », des capacités nouvelles (commandement interarmées, renseignement de théâtre, destruction à distance), la planification et les opérations interalliées. Surtout, une inflexion majeure à la politique de défense se dessine avec un nouvel équilibre entre la dissuasion et l’action, entre la protection et la projection, avec une transformation en profondeur des forces, que confirme le Livre blanc sur la défense de 1994. Le temps est alors venu des opérations extérieures (OPEX –les opérations Almandin, Trident, la mission des nations unies au Libéria ou encore plus récemment les opérations Pamir, Barkhane et Chammal) des forces armées, la France devient ainsi le premier contributeur de l’ONU en 1995. Depuis 1995, les armées françaises ont été engagées dans quelque 106 opé­rations menées à l’extérieur des frontières nationales. Il faut néanmoins souligner un paradoxe du Livre blanc de 1994 : s’il prend en compte, à bien des égards, la menace terroriste, les aspects liés à la protec­tion et à la sécurité du territoire se sont révélés insuffisants.

On notera que le sixième et ultime scénario des hypothèses d’emploi des forces du Livre blanc de 1994 évoquait la « résurgence d’une menace majeure contre l’Europe occidentale », dans les vingt ans à venir et concluait à la nécessité d’« un changement de format de notre outil de défense ». Vingt ans après, en 2014, la Russie annexait la Crimée.

Dès novembre 2002, une note commune de l’état-major des armées (EMA) et de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) complète avantageusement le Livre blanc de 1994. Le chapitre traitant des objectifs de la politique de défense de la France, souligne que « sécurité intérieure et sécurité extérieure sont désormais liées ; en renfor­çant sa capacité à agir à l’extérieur, la France assurera plus facilement sa sécurité intérieure ». S’agissant des principes d’actions de la France, la note avance l’idée que « la politique de défense s’appuie sur une démarche interministérielle (…) la nature globale de la défense est amplifiée par les liens (…) entre les menaces inté­rieures et extérieures, ce qui tend à fusionner les notions de sécurité et de défense. Cette politique (…) doit assurer la sécurité des institutions, des populations, des biens, et des ressources ». En affirmant le caractère interministériel de la défense, ce document de 2002 consacre l’entrée en force des armées, particulièrement de l’Armée de terre, dans le paysage de la sécurité nationale.

Le Livre blanc de 2008 pose un nouveau concept de « stratégie de sécurité nationale », dont les trois principes sont l’anticipation, la réactivité et la résilience, et qui regroupe la politique de défense, la politique de sécurité intérieure et de sécurité civile, la politique étrangère et la politique économique. Il identifie cinq fonctions stratégiques, connaissance et anticipation, dissuasion, protection, prévention et intervention. La France doit concentrer ses capacités d’intervention militaire sur l’axe Méditerranée, Golfe Persique, océan Indien. Le Livre blanc fixe le volume des forces terrestres projetables à 30 000 hommes, avec en plus une capacité de réaction ou de renfort autonome de 5 000. Cet objectif oblige l’armée de Terre à pouvoir projeter un effectif total de 35 000 hommes. Le LBDSN de 2008 fixe également le volume des forces pour répondre aux objectifs opérationnels pour les 15 ans à suivre. L’Armée de terre, forte de 131 000, hommes aurait une force opérationnelle de 88 000 hommes, dont 35 000 projetables (30 000 + 5 000), et 10 000 pour la protection du territoire. La Marine, forte de 44 000 personnes, dispose d’un porte-avions nucléaire et de 18 frégates. La composante aérienne (50 000 hommes) aligne 270 avions polyvalents en ligne et 70 avions de transport. Les effectifs du ministère de la Défense passent de 271 000 personnes (civils et militaires) à 225 000 en 2015, soit une réduction de 46 000 personnes.

Le Livre blanc de 2013 s’inscrit dans la continuité de celui de 2008, il multiplie également les références aux crises dans un sens extensif, insiste sur la complexité des crises produites par la mondialisation, par l’interdépendance des réseaux, par l’accélération de la circulation de l’information, perçus et décrits comme des facteurs de vulnérabilité dans la mesure où ils facilitent la propagation des crises et peuvent en augmenter l’impact. Le Livre blanc identifie des crises de nature très différentes : « crises de prolifération » au Moyen-Orient, en Corée du Nord, crises sanitaires liées à la circulation des personnes et des marchandises, à la concentration de populations dans des mégalopoles et à la défaillance des systèmes de santé dans certaines zones, des crises sanitaires potentielles liées à des nouvelles pandémies « hautement pathogènes et à forte létalité résultant, par exemple, de l’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou d’un virus échappé d’un laboratoire de confinement ».

Le texte revient sur la stratégie de gestion des crises qui avait été dessinée dans le précédent Livre blanc et en rappelle les fondamentaux, la collaboration de l’État avec les collectivités territoriales, les élus et les entreprises privées qui ont une portée stratégique. Il ouvre une perspective pour les quinze à vingt années suivantes en envisageant la prise en charge multidimensionnelle de crise complexe dans un cadre européen de référence dès lors qu’il s’agit de mobiliser toute la gamme des instruments civils et militaires requis pour mettre en œuvre une approche globale des crises.

Le Livre blanc de 2013 définit trois missions permanentes fixées à la Défense : la protection du territoire et de la population ; la dissuasion nucléaire ; l'intervention des forces armées à l'extérieur du territoire national et des missions non permanentes d'intervention à l'extérieur de nos frontières. Il fixe également de nouveaux contrats opérationnels. Dans ce domaine, les armées devront être aptes à s’engager dans la gestion de crises internationales (le cas échéant sur trois théâtres avec des moyens allant jusqu'à 7 000 hommes), mais aussi à mener une opération de coercition majeure à hauteur de 15 000 hommes, impliquant 45 avions de combat et un groupe aéronaval. Le Livre blanc de 2013 souligne enfin la tension entre la permanence du niveau des menaces et l’hypothèque que font peser des déficits budgétaires et commerciaux excessifs sur notre souveraineté.

Les attentats de 2015 marquent un arrêt des déflations d’effectifs prévues et rappellent aussi l’impérieuse nécessité d’une réponse globale à laquelle les armées apportent une contribution spécifique qui ne saurait constituer l’unique réponse face aux attaques du modèle de société français. Dans ce contexte, comme l’illustrera l’engagement militaire dans l’opération Sentinelle, la protection de la Nation reste la première priorité des armées.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 vient actualiser le Livre blanc de 2013. Elle tire les leçons de l'évolution d'un contexte stratégique instable et imprévisible, marqué par une menace terroriste durablement élevée, la simultanéité des crises (financière, sécuritaire, géopolitique), l'affirmation militaire de puissances établies ou émergentes mettant en œuvre de nouveaux modes opératoires, basés sur l’ambiguïté des intentions et l’hybridité des moyens d’action, l'affaiblissement des cadres multilatéraux et l'accélération des révolutions technologiques.

La revue souligne l’impérieuse nécessité d’être capable d’intégrer ces bouleversements afin de conserver la supériorité opérationnelle et la souveraineté numérique de la France. En ce domaine, la Revue évoque la qualité de la base industrielle et technologique de défense française dont elle préconise le soutien à travers le financement de la recherche et l’appui à l’innovation. La Revue de 2017 présente une stratégie de défense en recherche d’équilibre entre autonomie stratégique, ambition européenne et crédibilité transatlantique. Sur le volet spécifique de la protection, la revue répète que la mission première des armées est d’assurer la protection de la Nation contre toute menace de nature militaire, tout en mentionnant une nécessaire adaptation du dispositif Sentinelle dans un souci de préservation de la capacité opérationnelle des forces armées.

La revue nationale stratégique (RNS) de 2022 fixe quant à elle trois priorités : le renforcement de notre autonomie stratégique, la concrétisation de la souveraineté européenne et la consolidation des alliances et la défense d’un ordre international stable, fondé sur le respect du droit et le multilatéralisme. Confirmant la pertinence des fonctions stratégiques existantes, elle ajoute la fonction « influence ». Elle décrit en effet la menace subversive, paradigme nouveau où l’adversaire est capable d’influer sur les perceptions des individus présents sur le territoire national depuis l’étranger. La fonction influence doit s’incarner dans une stratégie nationale ayant pour objectif de défendre et promouvoir les intérêts de la France et ses engagements, mais aussi de répondre ou riposter à des manœuvres ou à des attaques, en particulier dans le champ informationnel, contre ses intérêts.

La RNS 2022 fixe dix objectifs stratégiques, dont celui d’une France unie et résiliente. Dans ce cadre, elle évoque le besoin de renforcer la capacité de la France à tenir, collectivement et en profondeur, et préconise d’étendre la stratégie nationale de résilience (SNR) vers les collectivités territoriales, les entreprises, les associations et la population. Elle appelle à promouvoir durablement l’esprit de défense dans la société et l’État, avec un effort vers la jeunesse à travers le projet du SNU, à l’action mémorielle et à la refondation du système des réserves. Enfin elle invite à développer la synergie entre les armées et les services de l’État, grâce à une rénovation de la défense opérationnelle du territoire et à la sensibilisation croissante aux questions de défense et de sécurité nationale des responsables publics.

Si les Livres blancs et revues stratégiques successifs évoquent systématiquement la protection comme la première priorité des armées, la place croissante des autres actions du territoire laisse à penser que l’effort consacré à la protection du territoire s’en trouve dilué. Il convient néanmoins d’appréhender les effets secondaires que peuvent avoir les nouvelles priorités. En effet, la fonction « projection », par exemple, concourt à la fonction « protection » de deux manières : indirectement en prenant en compte la menace avant qu’elle ne parvienne sur le territoire national, et plus directement en développant la performance opérationnelle des armées grâce à l’expérience accumulée des soldats. Le soldat déployé dans le cadre de l’opération Sentinelle en 2015 avait combattu en République de Centrafrique et combattrait bientôt au Mali, avec le même équipement et le même armement. Parmi les soldats déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle depuis 2015, 50 % avaient eu une expérience récente de déploiement extérieur.              Enfin, la documentation stratégique française a souligné de manière croissante la nécessité d’apporter une réponse collective aux défis posés par les enjeux de sécurité et de défense en impliquant tous les services de l’État et des collectivités, les territoires, le citoyen, la société française.

B.   La convergence entre prÉoccupations civiles et militaires a connu un ralentissement

1.   La suspension du service militaire obligatoire a fait reculer la place des armées dans la société française

Le modèle de la conscription, permettant de lever la patrie en armes, fut institué par la loi Jourdan (1798) disposant en son article premier que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». Les évolutions du contexte stratégique, la protection du sanctuaire national assurée par la dissuasion nucléaire, la situation de paix durable sur le sol européen et les contraintes budgétaires ont toutefois conduit à la suspension du service national. La professionnalisation des armées, annoncée par le président Jacques Chirac le 22 février 1996, est justifiée par des impératifs d’efficacité et de flexibilité. Elle apparaît alors adaptée aux défis contemporains en employant du personnel apte à utiliser des systèmes d’armes complexes sur des théâtres d’opérations éloignés nécessitant une forte réactivité et un entraînement continu. L’absence de soldats issus du contingent lors de la guerre du Golfe a entériné cette perception. Les Armées comptent aujourd’hui 205 000 militaires d’active.

Si la professionnalisation des armées a permis de préserver leur capacité opérationnelle grâce à la réduction considérable du format et des coûts de formation des appelés, on considère toutefois que le lien entre l’armée et la société s’est fortement amenuisé dans la mesure où les interactions avec les Français sont devenues rares. L’absence de solution alternative au service national a ainsi progressivement conduit les jeunes générations vers l’indifférence, voire la méconnaissance de leur armée. Les recherches françaises (1990-2000) ont rapidement mis l'accent sur l'intérêt des jeunes à l'égard des questions militaires, sur leur connaissance des évolutions du secteur de la défense et sur la perception des métiers offerts par l'armée. Selon un rapport du C2SD (Les jeunes, l'armée et la nation, 1998), seuls 9 % des jeunes s'intéressaient « beaucoup » aux questions militaires alors que 41.2 % s'y intéressaient « peu » et 23 % « pas du tout » ([4]). En réalité, la façon d’appréhender l’état du lien armée-nation tient davantage des représentations mentales que d’un phénomène sociologique observable. En effet, certains ont émis très tôt l’hypothèse que la disparition du service national pouvait avoir des effets positifs sur la perception que les jeunes ont de l’armée ([5]). La fin du rapport d’obligation vis-à-vis de l’institution militaire, et d’une certaine forme de coercition, a libéré d’autres façons d’appréhender l’armée et de considérer son utilité sociale et son champ d’action. À titre d’exemple, 83 % des jeunes ont, aujourd’hui, une appréciation positive des Armées qui eut été différente s’ils s’étaient trouvés dans l’obligation de leur consacrer plusieurs mois de leur vie.

D’autre part, il serait inexact de parler de méconnaissance des armées au sein de la société civile. Aujourd’hui, 30 000 à 35 000 jeunes rejoignent chaque année les armées ou la Gendarmerie nationale, soit 5 % d’une classe d’âge. Certes, ce chiffre est très mal réparti puisque le pourcentage est beaucoup plus élevé chez les hommes. Ces 5 % ne passent pas dix mois dans les armées à contrecœur, mais restent entre trois ans et quarante ans, volontairement. En ajoutant leurs proches, cela crée un niveau d’imprégnation plus important qu’il ne paraît ([6]). La proportion des jeunes Français prêts à envisager l’engagement militaire depuis la professionnalisation oscille entre 30 % et 42 % (42 % en 1998, 32 % en 2011, 37 % en 2016, 40 % en 2018) Les motivations affichées par ces éventuels volontaires ont évolué. Elles sont désormais caractérisées par la volonté du service de la patrie plutôt que par la recherche de qualifications professionnelles qui était un moteur d’engagement à la fin des années 1990.

En janvier 2015 d’après un sondage IFOP, 80 % des Français souhaitent la mise en place d’un nouveau service national obligatoire. Les partisans les plus nombreux se trouvent chez les plus âgés (90 % chez les 65 ans et plus), mais ils sont aussi majoritaires parmi les citoyens directement concernés, les 18-24 ans (67 %). Un an plus tard, le chiffre tombe à 70,5 % (IFOP/Le Parisien), mais il demeure élevé alors que, lors des années précédentes, le résultat oscillait autour de 60 %. En février 2018, une enquête (YouGov pour Le HuffPost et CNews) aboutit à des résultats similaires aux chiffres antérieurs à 2015 : 60 % des sondés se disent favorables à un service national obligatoire de trois à six mois. Ce chiffre inférieur à celui de 2015 s’explique par l’éloignement dans le temps des attentats de cette année particulière. Il peut aussi être analysé comme le signe de l’évolution normale de l’opinion des Français alors que le service national obligatoire n’est plus un sujet lointain et théorique, mais bien un projet concret porté par le président de la République et le gouvernement ([7]).

In fine, le sentiment de délitement du lien armée nation, d’un recul de l’esprit de défense et d’une fracture de la cohésion nationale est moins le fait de la professionnalisation des armées que celui de la paix prolongée qu’a connu le territoire national et qui a conduit la société, moins inquiète pour sa sécurité physique, à se détourner de ces préoccupations.

2.   L’industrie de défense a partiellement compensé les effets de la désindustrialisation dans les territoires où elle est durablement implantée

La BITD française est profondément implantée dans le tissu économique social et industriel français. Elle est composée d’une dizaine de grands groupes d’envergure européenne et mondiale, en mesure d’intégrer des solutions complexes (les maîtres d’œuvre industriels, MOI), autour desquels s’organise un vaste réseau de sous-traitants et de fournisseurs constitué de plusieurs milliers de start-up, PME et ETI souvent très innovantes, parmi lesquelles environ 500 entreprises sont identifiées comme étant stratégiques ou critiques. La BITD mobilise environ 200 000 emplois directs et indirects, soit autant que le secteur de production automobile, souvent très qualifiés, par nature peu délocalisables, et répartis dans des centres de production et de recherche sur l’ensemble du territoire. Ainsi, l’activité industrielle de défense occupe une place déterminante dans la constitution de certains bassins d’emplois départementaux, notamment les Yvelines, les Hauts de Seine et l’Essonne (nombreux sites industriels des principaux acteurs de la BITD), la Haute-Garonne et les Bouches du Rhône (nombreux emplois dans l’aéronautique), la Gironde (notamment dans le domaine spatial), le Var, le Finistère, la Manche, le Morbihan, et la Loire Atlantique (emplois dans le secteur naval), le Cher (secteur des missiles) ou encore la Loire (secteur terrestre).

La volonté politique de doter la France d'une capacité de dissuasion nucléaire autonome a fortement structuré une partie du paysage industriel de la défense tel que nous pouvons l'observer aujourd'hui. Elle a conduit en particulier à fédérer autour de grands programmes technologiques les capacités nécessaires à leur développement, concomitamment à la création d'une structure étatique dédiée à la conduite des programmes d'armement (création de la délégation ministérielle pour l'armement en 1961, devenue direction générale pour l'armement) et à la mise en place des outils budgétaires nécessaires pour en assurer la réalisation (vote de la première loi de programme en 1960). Ce paysage connaît une évolution importante à partir des années 1990, avec en particulier la transformation des anciens arsenaux d'État en sociétés de droit privé à capitaux publics et la concentration des secteurs industriels à travers des fusions successives de sociétés au courant des années 2000. Par ailleurs, l'industrie de défense présente la particularité d'échapper aux nomenclatures françaises et européennes, ce qui entraîne une difficulté méthodologique pour la définir avec précision. La partie la plus visible est constituée des maîtres d'œuvre industriels, contractuellement responsables vis-à-vis de l'État de la réalisation des systèmes d'armes. Constitués de grands groupes de défense (Airbus Group, Dassault Aviation, Naval Group, Thales, MBDA, Nexter, Arquus, Safran), ils présentent de premier abord une très grande hétérogénéité, à la fois de taille (en nombre d'employés et en chiffre d'affaires), mais surtout d'activités (très marquées sectoriellement) et de finalités (Airbus ou Safran réalisent ainsi près de 80 % de leur chiffre d'affaires sur les marchés civils, a contrario des entreprises comme Nexter ou MBDA sont exclusivement tournées vers l'armement).

Les dispositifs d’accompagnement des restructurations du ministère des Armées et notamment leur répartition géographique suggèrent que, sur certains territoires affectés par la réforme, l’industrie de défense joue un rôle structurant sur les tissus économiques régionaux en investissant – parfois de façon très conséquente – dans des projets de développement de leur capacité de production ou de diversification de leur activité. Ces projets autour des industries de défense concernent plus d’une dizaine de territoires parmi la soixantaine faisant l’objet d’un dispositif d’accompagnement du ministère des Armées. Ils se traduisent souvent par des investissements en local, réalisés par les grands donneurs d’ordres de la BITD ou leurs sous-traitants et partenaires. Ces investissements sont susceptibles d’avoir un rôle très structurant sur la demande et l’offre, contribuant ainsi au développement économique des territoires concernés. Il y a notamment des effets liés aux salaires du personnel employé et susceptible d’être en partie réinjectés dans l’économie locale (cet effet dépendant toutefois de la propension à importer et du taux d’épargne des ménages). Il y a aussi des effets sur l’offre : d’abord sur l’offre privée (éventuelle implantation de fournisseurs autour des activités industrielles, développement d’activités de sous-traitance et de services), mais aussi sur l’offre publique avec, par exemple, le développement de certains services publics (formation, transport…).

Les collectivités locales ont aujourd’hui deux raisons d’être plus attentives aux sujets de défense. La première tient aux externalités positives évoquées supra, car il s’agit pour elles de se rendre plus attractives pour les entreprises de la BITD. En effet, après plusieurs décennies de désindustrialisation de la France, l’industrie de défense représenterait actuellement entre 4 et 7 %, selon les régions, de l’emploi industriel français. La seconde tient au fait que, dans le domaine de la défense comme dans le reste de l’industrie, l’emploi est directement lié à l’activité industrielle qui, pour la BITD, dépend de la performance de l’entreprise à l’exportation. Appréhender cette question permet aux collectivités d’anticiper d’éventuelles difficultés ou des opportunités à saisir.

Enfin, il convient d’appréhender l’économie de défense au-delà du périmètre de la BITD. En effet, les fournisseurs de la défense ne sont pas uniquement des pourvoyeurs de canons, véhicules et munitions, mais de tout le quotidien des soldats et des organismes. C’est pourquoi, dans le cadre du plan Action PME du ministère des Armées, la délégation à l’accompagnement régional (DAR) organise, avec les collectivités locales, des rencontres entre les services acheteurs du ministère des Armées et les PME locales appartenant aux mêmes secteurs d’activité dans le but d’expliquer à ces dernières comment accéder à leurs marchés. Ces rencontres pédagogiques remportent partout en France un certain succès.

 

 


1

 

   DeuxiÈme partie : face À la multiplication des menaces, la dÉfense territoriale connaÎt une nouvelle dynamique

I.   En France, un nombre croissant d’acteurs du territoire s’investissent autour des sujets de dÉfense

A.   La relocalisation des industries de dÉfense

Dans les années 90, les commandes liées au secteur de la défense s’effondrent à la suite de la chute du mur de Berlin et de la récession, en témoignent l’arrêt de programmes emblématiques tels que la production du FAMAS (1992) et du VAB (1994). Les crédits militaires passent de 2,97 % du PIB sous la présidence de Giscard à 1,61 % en 2002, à la fin du premier mandat du président Chirac. Les conséquences finales dans la souveraineté de l’industrie de défense de ces réductions sont aujourd’hui à modérer si l’on considère l’ensemble de la BITD française, comme l’explique Benoît Rademacher de l’IRSEM : « La France est un des rares pays à disposer d’une industrie capable d’assurer la fabrication de la quasi-totalité des équipements militaires nécessaires aux armées » ([8]). La France a donc conservé, en général, ses compétences industrielles mais elle a perdu en masse.

1.   Une volonté de relocalisation suite aux crises récentes

La crise du Covid-19, avec l’exemple de la difficulté pour l’approvisionnement en masques, et la guerre en Ukraine ont réactualisé les questions de la relocalisation des filières industrielles en lien avec le secteur de la défense. Cela s’inscrit dans le schéma de l’économie de guerre dont l’expression a été lancée par le président Macron en juin 2022 lors du salon Eurosatory et que le ministre des Armées définit ainsi : « Quand le Président parle d’économie de guerre, cela veut dire comment notre industrie de Défense répond aux défis posés pour soutenir notre propre appareil militaire, mais aussi celui de pays amis en guerre comme l’Ukraine, ou des clients à l’export. Puisque le monde change, cela veut dire aussi que l’industrie de Défense doit trouver le chemin d’une production plus rapide. Et plus robuste. ». Pour illustrer la politique de relocalisation, le cas d’Eurenco a été particulièrement médiatisé. Le poudrier Eurenco a décidé de relocaliser, à Bergerac, en Dordogne, une usine qui avait été délocalisée en 2007 en Suède, ce qui représente un investissement de 60 millions d’euros. L’usine doit fabriquer la poudre pour gros calibres, tels que les obus de 155 mm utilisés par les canons CAESAR, et les charges modulaires, la mise en service étant prévue dès 2025 pour une production devant atteindre 200 000 obus par an. Pour montrer en exemple l’usine qui s’inscrit dans sa vision de l’économie de guerre, le Président Emmanuel Macron s’est déplacé directement sur le site pour poser la première pierre en affirmant « Nous sommes partis pour nous installer durablement dans un changement géopolitique, où les industries de défense vont avoir un rôle croissant. Il faut aller vite, fort, massifier ». Différents industriels se sont impliqués dans les sujets de relocalisation et d’augmentation de la production. Naval Group a déplacé dans la région de Belfort à Grandvillars la production des baguettes de soudure destinées aux coques de sous-marins alors qu’elles étaient produites en Italie, avec des capitaux américains. Une nouvelle chaîne à Rouvignies est en cours de création afin de fabriquer les corps de bombes de 250 kg (BA82) par Aresia. Cette chaîne a été autofinancée mais le ministère des Armées a soutenu le projet en accélérant la qualification du corps de ces bombes sans frais supplémentaires. Au total, ce sont une vingtaine de dossiers de relocalisation qui sont actuellement étudiés par la DGA.

Le Maillage du Territoire par l’industrie de dÉfense

Source : Infographie Le Monde – ministère des Armées, DGA

2.   Un sujet de longue date : l’exemple de la relocalisation de la filière de la petite munition

Le sujet de la relocalisation de la filière de la petite munition en France est devenu emblématique de cette question. À la fin des années 1990, l’établissement de GIAT Industries au Mans ferme ; la France ne dispose alors plus de filière industrielle capable de produire des munitions de petit calibre. À cette époque, le ministre de la défense, Alain Richard, affirme qu’il faut suivre « une logique d’entreprise, et non d’arsenal » : les entreprises sont privatisées et sont soumises à des normes de performances. Fin 2015, deux députés, M. Nicolas Bays et M. Nicolas Dhuicq écrivent dans leur rapport d’information sur la filière munition : « les rapporteurs plaident pour l’étude sérieuse des conditions de la reconstitution d’une filière de production française de munitions de petit calibre » et en 2016 ; le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian souhaite relancer la filière de production en concertation avec les groupes Thalès, LobelSport et Manurhin mais la solution n’est pas jugée économiquement viable du fait de la concurrence étrangère et parce que les quantités consommées sur le territoire ne sont pas suffisantes. En 2017, Joël Barre, le Délégué général pour l’armement, déclare lors d’une audition au Sénat que « Les munitions de petit calibre ne font pas partie des domaines identifiés comme devant rester souverains » et ces dernières n’apparaissent pas dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017. Depuis 2020, le ministère des Armées est régulièrement interrogé sur le sujet par les parlementaires mais la rentabilité de la filière est toujours évoquée par ce dernier en guise de réponse. Fin 2023, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, annonce avoir confié à Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement, une « mission pour documenter les coûts de la recréation d’une filière » de munitions de petit calibre. Ainsi, la poudrerie de Pont de Buis dans le Finistère pourrait être un site intéressant à explorer dans la relocalisation de la filière de la petite munition comme l’avaient évoqué les députés M. Jean-Pierre Cubertafon et M. André Chassaigne dans le rapport d’information du 17 septembre 2020 ([9]) sur la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en « petits » équipements.

3.   Les obstacles rencontrés des relocalisations

La relocalisation permet d’éviter les dépendances à l’étranger et offre un contrôle des cadences de production. Cependant, elle fait face à nombreuses difficultés. Le premier est le coût de la main d’œuvre qui désavantage la France par rapport à ses voisins européens. Cette main-d’œuvre peut d’ailleurs manquer et pour enrayer ce phénomène, les industriels ont fait preuve de différentes initiatives : augmentation des salaires, création du campus « Pyrotechnie du futur » à Bourges (seule l’ENSTA Bretagne proposait une formation dans ce domaine) et réalisation d’un stage d’initiation à l’esprit défense chez MBDA pour les nouvelles recrues afin de donner du sens à leur métier. Obtenir des financements peut être une difficulté du fait des réticences des banques à soutenir les activités militaires. Le foncier est également un enjeu, il est de plus en plus difficile pour les entrepreneurs de trouver des sites disponibles, d’autant plus quand les populations locales ne sont pas toujours favorables à l’implantation de sites industriels. À cela peut s’ajouter les enjeux écologiques portés par des dispositifs comme le Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Les ministères de l’industrie et de la transition écologique ont répondu à cette problématique en présentant le 16 avril un dispositif comprenant 55 sites « clés en main » venant en complément d’une liste de 424 projets pouvant être exclus du dispositif ZAN.

B.   Une restructuration rÉcente du rÉseau des dÉlÉguÉs rÉgionaux pour mieux porter les questions de dÉfense auprÈs des collectivitÉs territoriales

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 ainsi que, plus récemment, la réactivation de conflits anciens (Israël-Palestine, Arménie-Azerbaïdjan, rébellion houthiste en Mer Rouge) et, plus généralement, le durcissement des antagonismes de puissances dans différentes zones du globe, ont accéléré la prise de conscience, en particulier auprès des gouvernements et élus locaux des États européens, de la nécessaire réappropriation des enjeux de défense face aux menaces susceptibles de peser, directement ou indirectement, sur l’intégrité des territoires.

Si le ministère des Armées a, aujourd’hui, de larges prérogatives dans la gestion des questions de défense sur le territoire national, il semble que la sphère civile dans son ensemble doit être intégrée plus largement dans cette gestion, étant entendu que ces enjeux surpassent la question militaire. La déclinaison organique du ministère des Armées au niveau territorial témoigne de cette prégnance, puisque plusieurs directions centrales s’appuient sur des relais déconcentrés pour conduire leurs activités.

Une première « chaîne », militaire, placée sous l’autorité de l’État-major des armées (EMA), coordonne l’ensemble des unités implantées à titre permanent en région, dans les régiments, bases navales et bases aériennes. Elle s’appuie sur les commandants de base de défense (BdD) ainsi que sur les officiers généraux de zones de défense et de sécurité (OGZDS), au niveau régional, et sur les délégués militaires départementaux (DMD), au niveau départemental, ces deux derniers exerçants, entre autres, le rôle de conseiller militaire respectivement du préfet de région et du préfet de département.

Une deuxième « chaîne », industrielle, relève de la Direction générale de l’Armement (DGA) et accompagne les entreprises de la BITD, les PME et les start-up du domaine de la défense au niveau régional et local. Cet appui s’effectue par l’intermédiaire du réseau des attachés d’industrie de défense en région (AIDER), mis en place début 2024.

Enfin, une troisième « chaîne », civile, dépend du Secrétariat général pour l’administration (SGA) du ministère des Armées et, plus spécifiquement, de la Direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE), qui en fait partie depuis sa création le 1er avril 2022. La DTIE a fait l’objet d’une réorganisation interne à l’été 2023 afin de gagner en efficacité au niveau territorial.

1.   Une rénovation fonctionnelle qui répond à une évolution de la présence des armées dans les territoires

Si la DTIE a notamment pour mission de mettre en œuvre les politiques de logement, d’immobilier et de transition écologique pour l’ensemble du ministère des Armées et de ses implantations territoriales, elle entretient aussi des relations avec les acteurs extérieurs au ministère et contribue, ce faisant, au rayonnement des enjeux de défense dans la sphère civile. Pour ce faire, la DTIE disposait en son sein d’une délégation à l’accompagnement régional (DAR) – créée par l’arrêté du 7 avril 2017, soit cinq ans avant la création de la DTIE -, transformée en Service de l’aménagement des territoires et de l’immobilier (SATI) par l’arrêté du 25 juillet 2023. Si certaines caractéristiques de la DAR se retrouvent dans le SATI, les orientations confiées à ce dernier ont quelque peu évolué, traduisant une inflexion dans la façon dont le ministère des Armées conçoit sa présence dans les territoires.

Le SATI dispose d’un réseau de treize délégués régionaux, affectés au sein des secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) de chacune des treize préfectures de région hexagonales (le délégué régional en PACA étant également compétent pour la Corse). Ce positionnement auprès des préfets de région leur permet de faire office de courroie de transmission entre le ministère des Armées et les services interministériels de l’État à l’échelle régionale. Par les contacts qu’ils nouent à différents niveaux, les délégués régionaux ont également vocation à comprendre les singularités des écosystèmes politiques territoriaux et à tenir la directrice de la DTIE informée de la réalité des territoires. Ils accompagnent l’évolution des effectifs du ministère au sein de leurs bassins d’implantation (transports, logements, écoles…) et inscrivent le ministère dans les politiques publiques de cohésion du territoire, en lien avec l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

Le SATI est l’acteur de la cohérence du ministère des Armées dans son action territoriale. Il réalise des diagnostics de territoire et des études prospectives ou de réaménagement de sites. Participant à la préparation, au suivi et à l’accompagnement des décisions de transformation et des projets d’implantation des organismes du ministère des Armées, il évalue leur impact social et analyse leurs effets sur le territoire. Le SATI accompagne les acteurs économiques locaux et assure le suivi des dispositifs de contractualisation entre les collectivités territoriales et le ministère des Armées.

La création du SATI et l’évolution corrélative de la feuille de route des délégués régionaux répondent à un changement de contexte : lors de sa création de la DAR en 2017, le ministère des Armées devait céder plusieurs de ses emprises du fait d’une importante déflation de ses effectifs – conséquence, entre autres, de la RGPP, dont les effets se sont échelonnés a posteriori – et la DAR jouait un rôle d’accompagnement des territoires concernés en assurant la préparation et le suivi des contrats de redynamisation de sites de défense (CRSD) et des plans locaux de redynamisation (PLR). Préfigurés dans leur principe par la circulaire du Premier ministre du 25 juillet 2008, ces contrats avaient vocation à faciliter la transition des territoires affectés par des fermetures de sites militaires vers de nouvelles dynamiques et à recréer les conditions d’un développement économique durable.

Si deux CRSD sont encore actifs – concernant la Polynésie française et Châteaudun –, 45 étaient soldés fin 2023, soit deux tiers des 64 contrats signés depuis 2008. Le ministère des Armées a en effet désormais changé de politique immobilière puisque les deux dernières lois de programmation militaire (LPM 2019-2022 et LPM 2024-2030) ont mis un terme aux cessions d’emprises, posant au contraire l’objectif d’un renforcement des effectifs militaires. Les délégués régionaux ne sont donc aujourd’hui pratiquement plus mobilisés sur ce sujet des restructurations.

Dans la nouvelle feuille de route qui leur a été adressée en janvier 2024, les treize délégués régionaux du ministère des Armées se sont vu confier, outre la poursuite du travail de concertation en interministériel, de nouveaux objectifs destinés à traduire la remontée en puissance des enjeux de défense. Ils doivent désormais initier ou soutenir l’organisation de manifestations de rayonnement qui mettent en exergue les réalisations du ministère dans les territoires, accompagner tant que de besoin les trinômes académiques ([10]), favoriser l’action des recruteurs du ministère (pour les militaires d’active comme les réservistes), travailler à la reconversion et l’engagement des jeunes – notamment via les unités du Service militaire volontaire (SMV), les missions locales, France Travail et les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) – ou encore faciliter les projets de rénovation et de construction de logements pour les personnels civils et militaires du ministère des Armées, ainsi qu’appuyer les commandants de bases de défense (ComBdD) dans l’élaboration des schémas directeurs immobiliers.

Cet éventail élargi de missions vise à intensifier les interactions avec le monde civil pour mieux faire connaître les préoccupations inhérentes au ministère des Armées et inciter davantage d’acteurs à s’approprier les enjeux de défense. Si de nombreuses actions ont d’ores et déjà été conduites par les délégués régionaux à cette fin, le travail mérite d’être poursuivi.


Contrats de redynamisation de sites de dÉfense (CRSD) et plans locaux de redynamisassions (PLR)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Secrétariat général pour l’administration Direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement

2.   Des interactions avec les acteurs politiques, économiques et associatifs locaux qui demandent à être poursuivies

Si des variations sont inévitables dans la façon dont les enjeux de défense se manifestent au sein de chaque territoire – pour des raisons tenant à l’histoire, à la géographie des espaces ou aux caractéristiques économiques et sociales des populations -, rendant singulières les missions de chaque délégué régional du SATI, il existe néanmoins des constantes dans leur travail. En particulier, le souci d’interagir avec une large palette d’acteurs civils devrait demeurer au centre de leurs priorités.

Les délégués régionaux du ministère des Armées entretiennent des contacts réguliers avec les élus des communes, des conseils départementaux et des conseils régionaux. Ils sont par exemple représentés par la DTIE au Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) chaque année depuis 2021. Par ailleurs, ils peuvent faciliter la conclusion de conventions entre certaines bases de défense et les collectivités territoriales, pour que ces dernières apportent un soutien aux forces armées (accès à certains services, prestations sociales, etc.). Présentée par le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors de son déplacement sur la base aérienne 125 d’Istres-Le Tubé le 28 avril 2023, cette démarche de contractualisation a été engagée par la signature de plusieurs lettres d’intention, matérialisant localement l’importance et la qualité des liens entre la Nation et ses armées.

Certaines conventions ont même déjà été signées, comme celle du 14 avril 2023 entre le ministère des Armées d’une part (DMD de l’Eure, ComBdD d’Evreux et commandant de la base aérienne 105 Evreux-Fauville) et, d’autre part, les présidents du conseil régional de Normandie, du conseil départemental de l’Eure, des communautés d’agglomération d’Evreux Portes de Normandie, de Seine Eure et de Seine Normandie, de la communauté de communes du Vexin normand et les maires de plusieurs communes (Les Andelys, Beaumont-le-Roger, Bernay, Etrepagny, Evreux, Ezy sur Eure, Fauville, Gauciel, Gisors, Huest, Pont-Audemer, Sassey, Val de Reuil, Verneuil d’Avre, Iton, Le Vieil Evreux, Vernon, Pacy sur Eure). Cette convention se donne pour objectif de « développer la coopération entre le ministère des Armées et les collectivités signataires en vue de promouvoir l’esprit de défense au sein du département, d’accompagner le personnel du ministère des Armées et sa famille et de […] renforcer l’engagement citoyen du département de l’Eure et lui permettre de mieux connaître l’organisation et les enjeux de la défense nationale ». Pour assurer la mise en œuvre de cette convention de partenariat, un comité de pilotage et un comité de suivi ont été mis en place, qui se réunissent respectivement une fois par semestre et une fois tous les deux mois, associant les différents signataires ainsi que le délégué régional du ministère des Armées auprès du préfet de la région Normandie.

Une autre convention a été signée, le 4 avril 2024, entre le ministre des Armées et le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, afin de conforter l’ancrage des activités militaires en Bretagne, de soutenir les acteurs locaux de la BITD et d’appuyer la coopération déjà développée entre la région Bretagne, l’Agence de l’innovation de défense (AID) et le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER). D’autres conventions analogues sont en cours de négociation, à l’instar de celle qui devrait être signée au cours de l’année 2024 entre le ministère des Armées et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA).

Les délégués régionaux interagissent également avec les acteurs économiques et les chambres de commerce et d’industrie (CCI). Par exemple, à l’initiative du délégué régional Auvergne-Rhône-Alpes et du Gouverneur Militaire de Lyon, le Forum Innovation Défense Entreprise (IDEE) s’est tenu le 18 octobre 2022 au sein des écoles militaires de santé de Lyon-Bron, lors duquel le ministère des Armées a rencontré les entreprises innovantes du territoire (start-up, PME/ETI) souhaitant contribuer à l’innovation de défense. De la même façon, en mai 2023 s’est tenue en Corse une rencontre entre la branche locale du MEDEF, plusieurs acheteurs du ministère des Armées (Commissariat des Armées, commandant de base de défense, Économat des Armées), certaines chambres consulaires et une cinquantaine d’entreprises, au cours de laquelle ont été explicitées les règles relatives aux marchés publics de défense et de sécurité, dont nombre de petits acteurs ne connaissaient pas nécessairement les subtilités.

Le changement climatique amène de manière croissante les armées, les industriels et les collectivités à travailler ensemble face aux défis rencontrés dans les territoires. À titre d’exemple, le 19 mars 2024, un partenariat a été signé entre le commandant de la base Draguignan et les élus d’une communauté d’agglomération afin de raccorder six villages du Haut-Var au point de forage alimentant le camp militaire de Canjuers, en réponse à des sécheresses obligeant depuis plusieurs années l’acheminement de bouteilles d’eau dans ces communes en été. La question de l’accès à l’eau constitue également un enjeu pour certains industriels de la BITD, qui peuvent être pénalisés dans leurs capacités de production par les restrictions de prélèvements dans les nappes phréatiques. À propos de l’enjeu environnemental, il semble important, à vos co-rapporteures, de mettre en place un travail interministériel sur l’anticipation et la préparation aux nouvelles vulnérabilités, dans les territoires, engendrées par le changement climatique. Une question se pose autour de la raréfaction des ressources stratégiques et vitales (gestion de la ressource en eau). Il est impératif de nous préparer à ces nouvelles vulnérabilités au cas où elles seraient exploitées dans le cadre d’un conflit ouvert.

L’appréhension des enjeux de défense par les élus locaux et la population est en général meilleure dans les territoires disposant d’emprises militaires en leur sein. Selon le délégué régional du ministère des Armées pour la région PACA, M. Matthieu Lacaille – auditionné par les co-rapporteures le 5 mars 2024 –, le rayonnement des armées dans les collectivités du sud-est de la France est assez significatif du fait de la diversité des emprises militaires (base navale de Toulon, École de l’Air et de l’Espace et École des commissaires des armées à Salon-de-Provence, commandement de la Légion étrangère à Aubagne, etc.) et de leurs retombées économiques. La base aérienne d’Orange serait par exemple à l’origine, à elle seule, d’environ 3 250 emplois directs et indirects autour de la commune. Si la présence des armées est dans l’ensemble perçue favorablement localement, des désagréments légers difficilement évitables, peuvent survenir occasionnellement, (de type nuisances sonores à proximité des champs de tir où sont réalisés les exercices d’entraînement de l’artillerie).

Si la densité des implantations militaires est plus faible dans certains départements, des leviers existent néanmoins pour cultiver davantage la connaissance des enjeux de défense, par exemple via les relais régionaux de l’IHEDN, qui organisent des conférences. Plusieurs élus locaux font état de leur volonté de voir se renforcer ce type d’actions afin de territorialiser davantage les questions de défense.

C.   La rÉappropriation des sujets de dÉfense par les communes, conseils dÉpartementaux et conseils rÉgionaux

Si la défense nationale relève pour l’essentiel de la compétence de l’État, les collectivités territoriales pourraient néanmoins jouer sur ce sujet un rôle plus marqué que ce n’est actuellement le cas, ce qui est d’ailleurs souhaité par certains élus locaux. Dès lors qu’elles font partie, parmi l’ensemble des administrations chargées de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques, de celles les plus directement en lien avec les citoyens, les collectivités territoriales bénéficient en effet généralement d’une audibilité significative quant aux enjeux qu’elles soulèvent. Implantés, par définition, dans chacun des territoires de la République, les élus locaux – au nombre de 566 218 en France au 1er janvier 2023 ([11]) – constituent d’excellents relais potentiels des enjeux de défense auprès des populations. Si cette appropriation est déjà à l’œuvre dans certains territoires, elle mériterait d’être davantage systématique. Les différents niveaux de collectivités pourraient être sollicités à cet égard.

Certaines de la nécessité d’une implication croissante des collectivités territoriales dans les enjeux de défense, vos co-rapporteures appellent à la création d’un système de conseils de sécurité et de défense locaux à l’échelon territorial. Elles proposent la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel de rencontre et de travail pour débattre de la protection des fonctions vitales, de l’organisation en cas de crise majeure, du rôle de chacun. Cet espace de rencontre réunirait les élus locaux, les services déconcentrés, les représentants entrepreneuriaux (notamment des entreprises d’importance vitale), les parlementaires, les représentants militaires, etc. Il s’agirait de se préparer, en temps de paix, à toute éventualité.

1.   Au niveau communal

Reposant sur un réseau de 34 787 maires et de 459 811 conseillers municipaux en 2023 ([12]) - sans compter les 65 624 conseillers communautaires des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) –, le niveau communal représente l’échelon territorial de loin le plus significatif en termes d’effectifs élus en France. Si le maire dispose, aux termes de l’article L. 212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), de pouvoirs propres en matière de police afin d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » – pouvoirs qu’il exerce par l’intermédiaire d’arrêtés de police administrative et grâce au travail des personnels de police municipale qui en assurent la sanction -, il ne dispose, à proprement parler, d’aucune compétence spécifique en matière de « défense ».

Le dispositif qui existe, pour l’heure, au niveau communal, est celui des « correspondants défense » : après une première occurrence en 2001, une instruction du 8 janvier 2009 du ministre de la Défense et du secrétaire d’État chargé de la Défense et des Anciens combattants a invité les communes à désigner un tel correspondant, destiné à être l’interlocuteur privilégié des autorités civiles et militaires pour ce qui concerne les questions de défense. Par une décision du 30 mars 2023 ([13]), le Conseil d’État a jugé qu’en l’absence de disposition législative ou réglementaire précisant les modalités de désignation de ce correspondant défense, il revient au maire, seul chargé de l’administration communale en vertu de l’article L. 2122-18 du CGCT, de procéder à une telle désignation, sur laquelle il reste loisible de recueillir l’avis du conseil municipal. Désigné à l’issue des élections municipales, généralement parmi les membres du conseil municipal, le correspondant défense peut être le maire lui-même dans les communes dont la population est peu nombreuse et dont le conseil municipal est restreint.

Les correspondants défense se sont vu mettre à disposition un « Guide pratique » élaboré par le ministère des Armées, dont la dernière édition date du 23 mars 2023, comportant des fiches thématiques conçues pour faciliter la mise en œuvre d’actions concrètes par ces correspondants. L’ensemble des correspondants défense avaient déjà reçu, en 2022, une lettre signée du ministre des Armées. Par ailleurs, la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) leur adresse régulièrement des lettres d’information.

Ayant pour mission de faire rayonner l’esprit de défense sur le territoire français et de nourrir le lien étroit qui unit les militaires et la Nation, leur action s’organise en trois axes que sont la politique de défense, le parcours citoyen et la politique de mémoire. Le Guide pratique invite par exemple les correspondants défense à organiser des événements de sensibilisation aux questions de défense dans leur commune (conférences, visites de site militaire au profit des jeunes, rencontres avec des réservistes) et à informer les publics concernés sur la Journée défense et citoyenneté (JDC) et le Service militaire volontaire (SMV). Les correspondants défense sont également encouragés à organiser des visites de lieux de mémoire, à élaborer des projets pédagogiques avec les établissements scolaires à partir du monument aux morts communal, à faire participer des jeunes à des cérémonies commémoratives et à sensibiliser les jeunes générations à l’action du Bleuet de France. Par ailleurs, en guise de propos introductif du Guide pratique 2023 des correspondants défense, le ministre des Armées M. Sébastien Lecornu affirme que « l’action des communes auprès des militaires et de leurs familles est essentielle » et précise que cela passe notamment par l’aide apportée pour « trouver des solutions adaptées aux sujétions du statut militaire (pour la garde d’enfant, la scolarisation, l’emploi des conjoints, la recherche d’un logement, l’accès aux soins) ».

En dépit des indications sommaires qu’ils reçoivent, nombre de correspondants défense paraissent regretter la faiblesse des directives et l’insuffisance d’objectifs concrets qui leurs sont assignés, et ce alors même qu’ils manifestent généralement la volonté de s’investir davantage dans leur mission. C’est le constat qui ressort de plusieurs auditions menées par les rapporteures et en particulier de celle de M. Jacques Grandchamp, maire (DVD) de la commune de Publier-Amphion (Haute-Savoie) depuis 2020 et représentant de l’Association des maires de France (AMF). Rappelant que la Stratégie nationale de résilience (2022) élaborée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et officialisée en 2022 confie aux maires une responsabilité dans la mise en place de dispositifs de résilience en cas de crise, en bonne intelligence avec les services préfectoraux de l’État, M. Grandchamp estimerait judicieux de renforcer la fluidité de la communication entre les maires et les administrations centrales de l’État pour clarifier la nature des actions attendues de la part des communes sur le volet de la résilience. Cela pourrait selon lui se traduire, à l’échelle de l’AMF, par la désignation d’un interlocuteur en prise directe avec le ministère des Armées. Il considère par ailleurs que les Armées pourraient exploiter davantage le réseau d’agents dont elles ont la chance de bénéficier en nombre au sein des différents territoires pour renforcer les liens entre les mondes civil et militaire. Dans cette même logique de mise en réseau, M. Grandchamp estime que la création d’un réseau d’anciens militaires devenus élus locaux pourrait participer à la diffusion de bonnes pratiques concourant à l’appropriation des enjeux de défense dans les communes. S’agissant spécifiquement des correspondants défense, leur action tend parfois à se résumer à la participation à des dépôts de gerbe lors de cérémonies et s’avère donc en deçà du potentiel pédagogique qu’ils représentent.

Le délégué régional du ministère des Armées pour la région PACA, M. Matthieu Lacaille – auditionné par les rapporteures –, a fait savoir que dans les Alpes-Maritimes, si les correspondants défense étaient bien identifiés dans les grandes villes, ils n’avaient toutefois pas été désignés dans certaines communes. Selon lui, cette fonction est endossée avec un degré de sérieux variable selon les municipalités. Dans les Bouches-du-Rhône par exemple, parmi les 119 correspondants défense, certains ont été nommés par défaut voire ignoraient qu’ils tenaient cette fonction. De façon générale, il apparaît que les correspondants défense les plus investis sont généralement les anciens militaires et les réservistes.

Les municipalités doivent devenir proactives en terme de défense civile. À ce titre, il conviendrait que chaque commune mette en place une politique de recensement des citoyens ayant acquis des compétences utiles à la défense nationale, compétences qui seraient utiles en cas de crise majeure. Les co-rapporteures prônent la création d’un fichier recensant ces individus comprenant : assistantes maternelles, transporteurs routiers, sanitaires et logistiques, infirmiers libéraux, ingénieurs, travailleurs médico-sociaux, personnels de l’Éducation nationale, agents communaux, entreprises des pompes funèbres, retraités des armées et des pompiers, retraités civils ayant acquis des compétences particulières (médecins, pharmaciens par exemple). Les communes sont aussi appelées à mettre en place une liste des entreprises auxquelles elles pourraient faire appel, en cas de crise majeure, pour être plus résilientes. On pense aux entreprises de travaux publics, entreprises agroalimentaires, pharmacies, laboratoires, entreprises agricoles etc...

2.   Au niveau départemental

Les 4044 conseillers départementaux que compte la France ([14]) représentent également un potentiel pour susciter une meilleure appropriation des enjeux de défense dans les territoires. Aux termes de l’article L. 3211-1 du CGCT, le conseil départemental a notamment pour compétence de « promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale ». Si cette prérogative, réaffirmée par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), s’exerce principalement dans le cadre de politiques publiques ne présentant pas de lien avec le monde de la défense, une conception extensive des enjeux de défense pourrait servir de fondement à une plus grande mobilisation des conseillers départementaux sur ce sujet.

Le code de la défense indique, à l’article R*1211-3, que « dans chaque département, un délégué militaire départemental [DMD] représente l’officier général de zone de défense et de sécurité [OGZDS]. Il est conseiller militaire du préfet de département pour l’exercice de ses responsabilités de défense ». Le même article du code précise que « le commandant de groupement de gendarmerie départementale assiste le préfet pour tout ce qui concerne la participation de la gendarmerie aux missions de défense civile ». Ce sont donc les forces armées qui, d’après le droit en vigueur, sont chargées d’assurer la défense du territoire au niveau départemental.

Présents dans chaque département, les DMD peuvent intervenir auprès des préfets dans le cadre du dialogue civilo-militaire pour l’engagement éventuel des forces armées en cas de crise départementale. Rattachés, au niveau national, à l’État-major des armées (EMA), les DMD sont le premier point de contact des armées au niveau local et ont par ailleurs un rôle d’animation des correspondants défense des communes, qu’ils se doivent de former, d’informer et d’aider dans leurs actions (facilitation de la prise de contact avec les préfectures, les services de l’Éducation nationale, les entreprises, etc.).

Pour donner davantage corps à la notion de défense territoriale, un renforcement des liens entre les DMD et le conseil départemental du territoire ou il est affecté pourrait être utile. Cela permettrait de faire prendre conscience aux conseillers départementaux, en sens inverse, de l’impact de leurs décisions sur les armées elles-mêmes, dès lors que certaines des compétences confiées par la loi aux conseils départementaux sont susceptibles de receler, a minima en temps de crise, une importance vitale pour organiser la défense et assurer une résilience.

Certaines compétences des conseils départementaux peuvent ainsi impacter de manière indirecte les armées, notamment dans le cadre de la protection des infrastructures essentielles (ports, aérodromes, routes départementales) où un travail de coopération pourrait être utile avec ces dernières. Par ailleurs, services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) relevant également du département ont un rôle particulièrement important à jouer en cas de situation dégradée.

3.   Au niveau régional

Les régions s’intéressent aujourd’hui aux questions de défense majoritairement sous l’angle de l’économie, à travers l’aide à l’installation et au développement des entreprises de la défense et de leurs sous-traitants comme l’a indiqué aux rapporteures M. Hervé Morin, vice-président de l’Association des régions de France.

Parmi les prérogatives que la loi leur attribue, les conseils régionaux ont notamment compétence pour « promouvoir le soutien à l’accès au logement […] et le soutien aux politiques d’éducation » (article L. 421-1 du CGCT). Les conseils régionaux se doivent également d’élaborer un « schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires [SRADDET] », lequel fixe entre autres les « objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière […] d’implantation des différentes infrastructures d’intérêt régional [et] de développement logistique et industriel », « définit la stratégie régionale en matière aéroportuaire [et] identifie les voies et les axes routiers qui, par leurs caractéristiques, constituent des itinéraires d’intérêt régional » (article L. 4251-1 du CGCT).

Ces prérogatives en matière d’aménagement du territoire s’accompagnent d’une compétence dans le champ du développement économique, qui en fait un acteur essentiel des territoires, auprès des organismes de formation professionnelle et des entreprises qui composent le tissu économique local. La région dispose également d’un rôle moteur en matière d’intelligence économique, qui peut trouver sa traduction dans les comités de pilotage État/Région, la lutte contre l’espionnage industriel, ou l’investissement dans des programmes de recherche universitaire répondant au besoin des entreprises locales. Depuis la loi « 3DS », les régions volontaires assurent enfin la gestion des infrastructures stratégiques que représentent les portions d’autoroutes ou de routes nationales non-concédées de la part de l’État.

Si ces champs d’action s’appliquent en premier lieu au monde civil, ils peuvent néanmoins être amenés à concerner les forces armées, révélant le rôle que les conseillers régionaux sont susceptibles de jouer, indirectement, en matière de défense. Par leurs délibérations et arbitrages, ils ont en effet le pouvoir de favoriser ou au contraire de rendre plus complexe l’implantation d’emprises militaires au sein de leur territoire, mais aussi de contribuer au soutien des politiques de logement des familles de militaires et des projets éducatifs en lien avec la défense, ainsi que d’encourager le développement de la BITD localement par le biais d’aides financières dédiées. C’est précisément en vertu de ces compétences que des conventions ont commencé à être signées, depuis peu, entre le ministère des Armées et certains conseils régionaux.

L’échelon régional est d’autant plus pertinent pour permettre une meilleure appropriation des sujets de défense par les élus locaux qu’il recoupe le maillage des délégués régionaux du Service de l’aménagement des territoires et de l’immobilier (SATI) du ministère des Armées, positionnés au sein des SGAR auprès des préfets de région. Par ailleurs, c’est aussi au niveau régional que se déploie l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD), reposant dans l’Hexagone sur sept zones de défense et de sécurité (ZDS), chacune dirigée par un officier général (OGZDS), quand bien même les circonscriptions des ZDS englobent parfois plusieurs régions administratives (la ZDS Ouest regroupe par exemple les régions Bretagne, Normandie, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire, tandis que la ZDS Est englobe les régions Grand-Est et Bourgogne-France-Comté et que la ZDS Sud rassemble les régions Occitanie et PACA). Si les OGZDS entretiennent des liens étroits avec les préfets de région, ils pourraient interagir davantage avec les présidents des conseils régionaux pour diffuser davantage les enjeux de défense.

L’organisation territoriale interarmÉes de dÉfense : un dÉcoupage dont les frontiÈres se superposent avec le pÉRIMÈtre territorial des conseils rÉgionaux

Source : ministère des Armées

II.   La conflictualitÉ contemporaine invite À remettre, en France comme À l’Étranger, la notion de dÉfense territoriale au cœur des prioritÉs

A.   De nouveaux conflits qui conduisent de nombreux États À replacer la dÉfense territoriale au cœur de leurs prÉoccupations

1.   Des pays qui n’ont jamais baissé la garde mais renforcent leur défense : Suisse et Finlande

a.   La Suisse et le système unique dans le monde occidental de milice

i.   Un système pluriséculaire

En Suisse, le principe de l’armée de citoyens, en opposition à l’armée permanente, remonte aux convocations de chaque canton au bas Moyen Âge.

L’armée suisse est organisée selon le système de milice. La notion de système de milice désigne un principe d’organisation couramment pratiqué dans la vie publique en Suisse. Chaque citoyen ou citoyenne qui s’en sent capable doit assumer des charges et des tâches publiques à titre extraprofessionnel et bénévole. Le travail de milice est toutefois bien plus qu’une charge extraprofessionnelle ou bénévole d’utilité publique. Il est le reflet d’une identité républicaine laquelle, si assimilée, représente l’un des piliers de la culture politique suisse. Le principe de milice est en ce sens durablement ancré dans la culture politique et étroitement lié à la démocratie directe.

Le principe de l’armée de citoyens, inspiré des armées révolutionnaires française et américaine, fut inscrit en 1798 dans l’article 25 de la Constitution de la République helvétique, la première constitution s’appliquant à l’échelle nationale : « Tout citoyen est soldat né de la patrie. ». Ce n’est qu’en 1999 que le système de milice fut ancré de façon explicite dans la Constitution fédérale, à l’art. 58 : « La Suisse a une armée. Celle-ci est organisée essentiellement selon le principe de l’armée de milice. »

ii.   Une armée territoriale efficace et moderne

L’armée de milice est toujours plébiscitée par les trois quarts de la population. L’armée suisse, c’est désormais 3 500 militaires de carrière, 6 500 civils et 136 00 miliciens. Aujourd’hui encore, chaque garçon suisse capable de porter les armes est convoqué à l’âge de 16 ans ; s’il est reconnu apte (65 % d’une classe d’âge l’est), il est incorporé entre 18 et 25 ans.

« Il va passer dix-huit semaines en formation », explique le général de corps d’armée Dominique Andrey, le conseiller militaire du chef d’état-major du Département fédéral de la défense « Une fois la formation terminée, il rentre chez lui avec son fusil d’assaut et son paquetage » : treillis, rangers, ceinturon, gourde, brêlage, sac de couchage, masque à gaz, « mais pas les munitions ».

Le nouveau milicien est ensuite affecté dans une unité qui le rappellera régulièrement pour des entraînages. Au cours des neuf années suivantes, il devra y effectuer six « cours de répétition annuelle », chacun d’une durée de trois semaines. Puis, toujours armé de son fusil d’assaut, il se contentera d’aller, une fois par an, au stand de tir et de griller quelques cartouches.

Les femmes ne sont pas concernées par ce service militaire, mais elles peuvent se porter volontaires et servir dans la milice. Elles représentent à peine 2 % des forces armées.

Tous les députés quel que soit leur parti politique reconnaissent l’utilité de la défense civile, l’importance de la lutte antiterroriste, la nécessité de la cyberdéfense. D’ailleurs, les députés sont membres d’un « Parlement de milice » dont les élus se réunissent quatre fois par an. Le reste du temps, ils exercent une activité professionnelle comme les militaires miliciens.

b.   La Finlande, la Prusse des réservistes du Roi Sergent Guillaume en période contemporaine

La Finlande est capable de mobiliser l’une des plus importantes armées d’Europe avec 20 000 hommes jeunes conscrits et leurs encadrants dans l’armée régulière et 900 000 réservistes dont 280 000 rapidement mobilisables, le pays n’ayant jamais supprimé le service militaire, pour les hommes seulement depuis l’indépendance de la Finlande.

La Finlande augmentera de 40 % son budget de la défense d'ici 2026, principalement pour l’acquisition de nouvelles armes et équipements (antichar, antiaériennes, missiles et munitions). Le pays doit relever de 800 M€ ses crédits militaires en 2023, puis de 400 M€ chaque année d'ici 2026 (+2Mds€ par rapport au budget 2022).

Le modèle finlandais de « défense totale », qui implique une intégration des civils et du secteur privé (entreprises dites « critiques ») très étroite dans les plans de préparation des crises et le recours à des réservistes, suscite actuellement l’intérêt de nombreux pays européens. Les rapporteures s’y sont rendues en mai et ont découvert un modèle tout à fait original et « étonnant ».

Les chiffres à retenir sont donc : 5,6 millions d’habitants, 280 000 soldats mobilisables en 3 jours (conscrits et réservistes de premier rang) en période de paix et 900 000 en période de guerre. Certains parlent de modèle prussien du début du XVIIIe siècle ou un homme sur trois était dans l’armée, faisant de la Prusse la première puissance militaire européenne en termes de masse. Il s’agit d’un modèle tout à fait inédit en Europe qui s’explique en grande partie par la menace existentielle pesant sur la Finlande : 1 300 kilomètres de frontières avec la Russie.

Il est à noter que ce modèle militaire n’est que territorial. Chaque conscrit (et futur réserviste) prête serment pour protéger son territoire national et seulement lui, la Finlande.

Le 4 avril 2023, la Finlande est devenue le 31e pays membre de l'OTAN, après avoir déposé sa demande d’adhésion le 17 mai 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il s’agit d’un véritable tournant marquant la fin de la politique de neutralité militaire en vigueur depuis les années 1990. Le ministre de la Défense s’est depuis positionné en faveur de la création d’un état-major nordique de l’OTAN sur le territoire finlandais. Le 18 décembre 2023, la Finlande, percevant son adhésion comme un point de départ pour le renforcement de ses relations transatlantiques, a également signé un accord de coopération de défense avec les États-Unis.

Alors qu’elle partage une frontière de 1 340 km avec elle, la Finlande entretenait traditionnellement une relation basée sur la fermeté et le dialogue avec la Russie, dans un cadre de « neutralité active ». Elle a toutefois été l’un des premiers États à condamner l’intervention russe en 2014 comme en février 2022. Allant à l’encontre de sa politique consistant à ne pas fournir d'armes aux zones de guerre, la Finlande a décidé, dès le 28 février 2022, l’envoi d’armes en Ukraine. Depuis février 2022, l'aide finlandaise à l’Ukraine s’élève à 2,9 Mds€, dont une aide en matériel de défense à hauteur de 2 Mds€ et 220 M€ d’aide humanitaire, auxquels s’ajoutent 18 M€ d’assistance matérielle au travers du Mécanisme de protection civile de l’UE.

2.   La Suède, un modèle inspirant pour la France en matière de défense totale

a.   Un tournant : la guerre en Ukraine et l’entrée dans l’OTAN

Dans la perspective de son adhésion à l’OTAN, le gouvernement suédois a progressivement renforcé les capacités militaires du pays. En 2022, il avait annoncé une augmentation des dépenses de défense à 2 % du PIB d’ici à 2026, et le projet de loi de finances 2024 prévoit de porter le budget de défense de 96 Mds SEK (8 Mds€) à 126 Mds SEK (10,4 Mds€). Cette montée en puissance des forces armées s’inscrit dans la continuité d’un réajustement de la politique de défense suédoise en cours depuis une dizaine d’années dans un contexte de dégradation de l’environnement sécuritaire en Baltique. En 2017, la Suède avait notamment pris la décision de rétablir un service militaire partiel (après sa suppression en 2011) et de remilitariser l’île de Gotland, et elle rétablit progressivement une politique active de protection civile et des infrastructures (rapprochement du concept finlandais de défense totale).

Au cours de la dernière décennie, la Suède avait abandonné sa référence à la neutralité, lui préférant celle de « non-appartenance à une alliance militaire permanente ». La guerre en Ukraine a relancé la question de l’adhésion à l’Alliance atlantique, à laquelle la Suède a soumis, avec la Finlande, sa candidature le 18 mai 2022. La Finlande a adhéré à l’Alliance le 4 avril 2023 et l’adhésion de la Suède a été finalisée le 7 mars 2024. Dans le contexte de cette adhésion, le gouvernement suédois entend renforcer les capacités militaires du pays. Il a annoncé en 2022 une augmentation des dépenses de défense à 2 % du PIB d’ici à 2026, et le projet de loi de finances 2024 prévoit une hausse significative du budget de défense (passage de 8 Mds€ à 10,4 Mds€).

L’adhésion de la Suède à l’OTAN, finalisée le 7 mars 2024, a représenté une priorité majeure de l’exécutif. La demande d’adhésion (18 mai 2022) s’inscrit dans le contexte du conflit ukrainien, bien que la Suède ait déjà abandonné sa politique de neutralité au cours de la décennie précédente, préférant souligner sa « non-appartenance à une alliance militaire permanente ». Après plusieurs mois de blocage, les parlements turc et hongrois ont voté en faveur de l’adhésion de la Suède (respectivement le 23 janvier et le 26 février 2024).

Si la Suède a maintenu le dialogue avec la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, misant sur une « coopération concrète » dans le cadre des instances régionales, elle a fermement condamné l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Dès le 28 février, une assistance militaire - incluant du matériel létal - avait été approuvée par le Parlement suédois. 15 paquets d’aide militaire ont ensuite successivement été accordés, le dernier en date ayant été annoncé le 20 février 2024 (7,1 Mds SEK), et la Suède contribue aux opérations de formation de soldats ukrainiens (programmes INTERFLEX et EUMAM). Elle participe en outre à l’initiative tchèque de fourniture d’artillerie et de munition à l’Ukraine (communiqué du gouvernement le 18 mars). Depuis février 2022, l’aide totale s’élève à 37Mds SEK (3,2 Mds€, soit 0,6 % de son PIB). L’Ukraine est devenue le premier bénéficiaire de l'aide bilatérale suédoise dans le monde, et SIDA (agence de développement suédoise) prépare une politique suédoise d'aide à la reconstruction et au processus d'adhésion à l'UE.

b.   Le modèle de défense totale revivifié et la conscription choisie renforcée

Le concept de « défense totale » a été mis en œuvre en Suède après la Seconde guerre mondiale, puis abandonné peu à peu après la Guerre froide dans un contexte où la Suède tablait sur une pacification des relations internationales après la chute de l’Union soviétique et la vague de libéralisation et de démocratisation qui s’en est suivie.

Dans le contexte d’une dégradation de l’environnement sécuritaire (guerre en Géorgie en 2008, incidents liés à l’incursion d’avions russes dans l’espace aérien suédois, notamment en 2013, et surtout annexion de la Crimée en 2014), il a été réactivé à partir de 2014, avec l'obligation de participer à des exercices d´entraînement. La guerre d’agression russe contre l’Ukraine lancée le 24 février 2022 a donné un nouveau sens de l’urgence dans la concrétisation de la « défense totale ».

La défense totale englobe tous les niveaux de la société (ministères/administrations/agences, régions et municipalités, entreprises), y compris chaque citoyen.

L’hypothèse centrale qui sous-tend le concept de « défense totale » est celle d’une agression armée contre la Suède et la nécessité de pouvoir y faire face pendant une période de trois mois sans aide extérieure. Il s’agit donc de réaliser une planification, aux niveaux civil et militaire, autour du « pire des scénarios », celui d’une guerre sur le sol suédois, mais aussi de faire face aux perturbations/dysfonctionnements des fonctions vitales de la société. Lorsque les autorités disent que « la guerre peut arriver en Suède », c’est la transcription de cet état d’esprit et du scénario au cœur de la « défense totale ».

La « défense totale » a deux composantes : une composante militaire et une composante civile. Lors de la planification, il s’agit de prendre en compte ce que l’armée peut faire pour les secteurs civils en cas de guerre mais aussi la façon dont ces derniers peuvent appuyer l’armée. Le délai de mobilisation des ressources civiles et militaires est estimé à une semaine.

Avec le gouvernement, les responsabilités de la défense militaire et de la protection civile ont été regroupées sous l’autorité du ministère de la Défense – la protection civile relevait du ministère de la Justice pendant les années 2014-2022 – et même de nommer un ministre de la Défense civile distinct sous l’autorité du ministre de la Défense.

i.   La composante militaire de la défense totale

La composante militaire de la « défense totale » renvoie au concept de défense tel que communément admis, c’est-à-dire principalement le budget de la défense et les effectifs de l’armée.

La Suède a connu une forte augmentation de son budget dans les années récentes, dans le contexte de la réactivation de la « défense totale ». Son budget a ainsi augmenté de 40 % entre 2020 et 2024, atteignant, en 2024, 10,64 Mds EUR, soit 2 % du PIB. Ce budget, en augmentation de 30 % par rapport à l’année 2023, et représentant environ 10 % du budget total de l’État, a ainsi été qualifié de « plus grand réarmement de la Suède depuis les années 1950 ».

L’armée suédoise représente environ 14 700 personnels actifs/militaires d’active, et 60 000 personnes au total, en incluant les réservistes, la garde nationale et les personnels civils.

La conscription militaire, qui a existé jusqu’en 2010 avant d’être supprimée, a été rétablie en janvier 2017, afin d’aider les forces armées à atteindre leurs objectifs de recrutement dans le contexte d’un environnement sécuritaire dégradé. L’objectif est d’arriver à 8 000 appelés par an dès 2024 et d’avoir une structure de force en cas de guerre de 100 000 personnels à l’horizon 2030.

ii.   La conscription choisie suédoise : un service militaire bien particulier

Le service militaire s’adresse aux jeunes hommes comme aux jeunes femmes, âgés de 18 ans, soit 100 000 jeunes par classe d’âge. Ces personnes reçoivent à leur majorité un questionnaire en ligne auquel il est obligatoire de répondre. Il comprend des questions sur les aptitudes, l’état de santé, la motivation des jeunes. Sur ces 100 000 jeunes d’une classe d’âge, 30 000 environ sont convoqués pour passer des tests. Au final, 8 000 sont sélectionnés, en fonction de leurs aptitudes et motivation, puis soumis au devoir du service, impliquant des sanctions en cas de refus.

Toutefois, les autorités soulignent qu’elles n’ont pas à traiter des réfractaires mais à l’inverse plutôt à des personnes qui souhaiteraient faire le service militaire mais n’ont pas réussi les tests d’aptitude. Ces personnes peuvent dans certains cas être redirigées vers le « service civil ». Le service militaire en Suède dure entre 9 et 15 mois. Le conscrit reçoit une solde d’environ 5 000 SEK par mois (environ 435 €) et une prime de fin de service. Il est logé, nourri et équipé, et bénéficie de voyages de permission payés et de la prise en charge des frais médicaux.

Pendant du service militaire, le service civil, réinstauré en Suède en janvier 2024 (il avait été supprimé en 2010) est au cœur de la « défense civile ». Il s’agit de préparer les différents secteurs critiques de la société à l’éventualité d’une guerre.

Le processus de conscription, géré par l’Agence de protection civile (MSB), démarré en février 2024, cible dans un premier temps les personnes ayant une expertise dans les services de secours, et plus particulièrement les pompiers. 300 personnes devraient être appelées pour des exercices de répétition sur des scénarios de secours en septembre 2024. L’objectif est de doubler le volume des services de secours qui seraient prêts à intervenir en cas de guerre, de 16 000 à 32 000, et d’avoir 2 000 à 3 000 pompiers formés pour des interventions sur théâtre de guerre d’ici fin 2026. MSB va ensuite procéder de la même façon pour les autres grands secteurs critiques, celui de l’énergie notamment, en inscrivant des personnels auprès de l’Agence suédoise des producteurs d’électricité.

iii.   La défense civile, composante civile de la défense totale : « trésor » suédois

La « défense civile » fait l’objet en Suède d’un portefeuille ministériel dédié (il s’agit de M. Carl-Orskar Bohlin depuis octobre 2022), avec l’appui de l’Agence pour la protection civile, MSB.

Elle consiste en cinq points principaux : protéger la population en cas de crise ou de guerre ; assurer les fonctions critiques de la société ; fournir des biens et services ; soutenir la défense militaire ; susciter la « volonté de se défendre » et assurer la résilience face aux influences.

Fin 2022, 10 premiers secteurs critiques ont été identifiés : les services de secours, la sécurité économique, les systèmes de communication, l’énergie, les services financiers, la protection des données essentielles, l’eau et l’alimentation, l’ordre public, les transports, la santé. Il y a une agence chef de file pour chacun des secteurs, en charge de coordonner les différents acteurs. 6 régions de défense civile (Stockholm, Östergötland, Örebro, Västra Götaland, Skåne, Norrbotten) ont été définies sur le territoire. C’est le préfet qui se voit confier un rôle de commandant ou chef de région civile en charge de la coordination et de la planification de crise. Cet échelon est important en termes de planification OTAN notamment (transport de matériel militaire par exemple).

L’exercice de défense totale majeur « Totalförsvarsövning » (TFÖ), qui a eu lieu en 2021-2023 à partir d´un scénario de perturbations des fonctions vitales de la société (sabotages et cyberattaques), a permis l’entraînement à la coordination régionale et locale et à l’interaction entre les divers acteurs de la société (y compris les députés), ainsi qu’aux processus de décision (notamment au niveau médical et des transports).

La Suède est le 3ème pays en Europe per capita en termes d’abris antiaériens (63 307 dont 14 000 à Stockholm, pouvant abriter 7 millions de personnes).

L’Agence de défense psychologique a été créée en 1954 dans le contexte de la Guerre froide, puis démantelée en 2008, pour être remise sur pied en 2022 dans le contexte de la réactivation de la défense totale, dont elle est l’incarnation la plus visible. Elle a vocation à servir de pont entre la défense militaire et la défense civile, en orientant son action sur la résilience morale et psychologique de la population suédoise. Elle identifie et analyse les « influences inappropriées et autres informations trompeuses dirigées contre la Suède ou les intérêts suédois » et prend des mesures pour les contrer. Elle réalise des campagnes de communication pour sensibiliser la population, en particulier les jeunes, à la désinformation. Elle organise des formations à destination des institutions officielles et des journalistes, et travaille étroitement avec des organismes de recherche.

Un conseil intersectoriel des entreprises a été créé en 2021, avec pour objectif de renforcer la coopération entre les secteurs public et privé sur les questions intersectorielles liées à la préparation aux crises et à la défense totale.

La Suède étant un pays où l’usage de la monnaie physique n’existe quasiment plus (« cashless society »), des spécificités s’appliquent dans le secteur bancaire et des infrastructures de marché en cas de crise. Une nouvelle loi sur la Banque de Suède (Riksbank) est ainsi entrée en vigueur le 1er janvier 2023, qui confie une nouvelle responsabilité à la Riksbank en matière de préparation aux crises : cette dernière doit ainsi garantir que les Suédois pourront continuer à effectuer des paiements en cas de crise.

Les différents services de la Banque se sont réorganisés afin d’être en mesure de maintenir leurs opérations essentielles en cas de crise grave. Le Secrétariat général est ainsi en charge de la gestion des situations de crise en temps de paix ou en situation de « préparation renforcée ». Une cellule spécifique a été créée pour coordonner les travaux en matière de protection civile. Enfin, la Banque centrale doit désormais assurer la supervision des entités économiques qui garantissent le fonctionnement des infrastructures de paiement (textes réglementaires entrés en vigueur depuis le 1er février 2024) : établissements de crédit, entreprises ayant des activités en matière de paiements, générant des applications de paiement, fournissant des signatures électroniques authentifiées, mais aussi transport et traitement des espèces.

La Suède n’est pas dimensionnée pour un afflux massif de blessés de guerre. Il est estimé qu’elle devrait doubler son nombre de lits d’hôpitaux disponibles et sécuriser ses approvisionnements en médicaments et équipements en cas de guerre. Le pays disposait en 2020, en pleine pandémie de Covid 19, de 71 hôpitaux civils (526 places en soins intensifs), de 35 hôpitaux de campagne/de guerre et de 2 compagnies militaires médicales (à comparer à 115 hôpitaux, 4 000 places en soins intensifs et 50 hôpitaux de campagne dans les années 70).

Le nombre de places en soins intensifs a chuté de manière continue depuis vingt ans, passant dans l’ensemble du pays de 4,7 places pour 100 000 habitants en 2003 à 3,6 en 2023, situant la Suède parmi les pays les moins bien équipés au niveau européen.

Le Conseil national de la santé et du bien-être, Socialstyrelsen, a publié en 2022 un guide à l’attention des communes et des régions sur le rôle des services de santé dans la défense totale. Il y insiste sur la nécessité pour tous les services de santé de participer à la préparation de crise, en définissant clairement les rôles et les responsabilités de chacun, ainsi que les procédures applicables, par exemple pour la gestion du circuit du médicament ou des plateaux techniques en cas de panne informatique. Il met l’accent sur le besoin de sécuriser les recrutements, de fidéliser et de former les professionnels à des prises de décisions éthiques et humanitaires difficiles, et d’organiser la bonne coordination des soins entre structures hospitalières, par exemple pour la gestion de cas complexes pouvant survenir en cas de conflit, comme les grands brûlés.

3.   L’émergence d’une défense civile en appui de la défense militaire en France ?

Les deux co-rapporteures, inspirées par leurs déplacements en Scandinavie, sont persuadées que la défense civile est un pan à améliorer et à développer pour renforcer notre défense nationale. À ce titre, la création d’un Secrétariat d’État à la Défense civile qui se chargerait de planifier et de coordonner avec les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État, le monde économique et entrepreneurial, le monde de l’enseignement, etc, la préparation à toute crise majeure, apparaît nécessaire. Il aurait pour mission la diffusion d’un esprit de défense et la sensibilisation à ces enjeux. Dans la même ligne, elles proposent la création d’une agence publique de la défense civile, sur le modèle de la Swedish Civil Contingencies Agency (MBS), rattachée au SGDSN.

Traditionnellement, les actions de défense civile s'ordonnent autour des trois piliers que sont la sécurité publique, la protection civile et la défense économique.

La sécurité publique recouvre le maintien de l'ordre public et la lutte contre les diverses formes de criminalité et de délinquance. Elle fait appel essentiellement aux forces de police dans les zones urbaines et aux militaires de la gendarmerie nationale en zones rurales et péri-urbaines. La préfecture et les sous-préfectures par le biais de leurs services d'accueil du public, sont des acteurs de la police administrative touchant aux libertés publiques.

La sécurité civile désigne l'ensemble des actions de prévention et des interventions mises en place pour garantir la protection des personnes, des biens et de l'environnement contre les risques naturels, bâtimentaires (sécurité dans les établissements recevant du public), sanitaires et technologiques. Elle repose à titre principal sur les services d'incendie et de secours.

Elle s'appuie également sur les plans de secours qui formalisent les procédures et les moyens définis pour traiter un sinistre et ses conséquences en raison de leur gravité ou de leurs spécificités : plan ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile), plan secours à nombreuses victimes (anciennement appelé " plan rouge "), plan particulier d'intervention (établissements industriels sensibles type SEVESO), POLMAR, plan Transports de matières dangereuses…Les compétences de services de l'État, tels que la DDTM (sécurité des transports, agriculture, affaires maritimes), la DDPP, l'UD-DREAL (sécurité des installations classées), les forces de l'ordre (interdiction d'accès au périmètre de danger), mais également l'agence régionale de santé (ARS-sécurité sanitaire), les démineurs et pilotes hélicoptères de la sécurité civile peuvent également être sollicitées dans le cadre d'interventions participant de la sécurité civile, aux côtés d'associations de sécurité civile.

Le dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM) recense les risques naturels et technologiques majeurs qui sont susceptibles d'affecter les communes du département.

La défense économique comporte deux volets, celui strictement défensif de la préservation de la continuité des fonctions et des flux économiques essentiels à la vie de la Nation (approvisionnement en énergie, télécommunications, alimentation de première nécessité, transports), celui plus offensif de l'intelligence économique qui consiste à favoriser la diffusion des informations stratégiques afin de renforcer les positions des entreprises et des territoires dans la compétition économique internationale, ce qui contribue à la défense et au développement de l'emploi.

Ces actions de trois types pourraient être orientées vers un soutien aux actions de défense militaire telles que mentionnées plus haut dans les pays donnés en exemples. Cette définition de la défense civile « à la française » n’est pas, aux yeux des rapporteures, satisfaisante. En effet, il faudrait repenser le concept de défense civile comme composante civile d’une défense globale sur le modèle suédois.

B.   La prise en compte du territoire par les militaires : le continuum terre-mer, la conception de la mer en tant que territoire

1.   La France, puissance maritime

Lorsque l’on pense au territoire national, il s’agit de ne pas se focaliser sur le territoire terrestre et d’embrasser aussi les frontières maritimes de notre pays qui est la deuxième Zone Économique Exclusive après les États-Unis.

La fonction de commandant de grand port militaire prévoit depuis longtemps la continuité entre les fonctions civiles du préfet et les fonctions militaires de commandement de zone, ce qui est dispositif tout à fait spécifique à la France. Dans une logique de ressources comptées, la flexibilité de cette organisation permet de tirer parti de tous les moyens disponibles, quelle que soit l’administration qui les met en œuvre. Elle permet une parfaite fluidité entre les missions de « service public », d’action de l’État en mer et les missions militaires de défense. Elle prévaut toujours aujourd’hui.

Ainsi, on se doit de prendre en compte cette spécificité dans le contexte de la défense nationale et mettre en avant un continuum « sécurité-défense ». Ce « continuum sécurité-défense » se caractérise par l’existence d’un cadre juridique ad hoc qui permet à un officier général de la Marine de coordonner l’action des moyens des différentes administrations de l’État, affaires maritimes, douanes, gendarmerie maritime, sécurité civile et Marine nationale, chacune d’entre elles agissant selon ses procédures et avec ses propres moyens. Par ailleurs, tous les commandants de bâtiments de l’État reçoivent, de par la loi, des compétences spécifiques par lesquelles ils sont habilités à faire les constatations d’usage qui permettent de déclencher l’action judiciaire en cas d’infraction, comme par exemple les flagrants délits de trafics de drogue ou de dégazage en mer. Le préfet maritime est le maillon le plus important de ce dispositif (il y en a trois en France pour chaque face maritime concernée) car il dispose d’une double casquette militaire mais aussi civile. De ce fait, il exerce également les fonctions de commandant de zone maritime ainsi que de commandant d’arrondissement maritime, faisant preuve d’une véritable cohérence administrative dans la combinaison de ces rôles. Le préfet maritime est donc un militaire, commandant de zone maritime qui, en vertu du code de la Défense (article D3223-52), est chargé « de la conduite des opérations aéronavales qui ne sont pas confiées à une autre autorité par le chef d’état-major des armées […] et, en métropole, […] de la défense maritime du territoire ». Il s’agit ainsi de défendre le territoire en suivant « en permanence les navires d’intérêt, ciblés pour des motifs de sûreté ou qui transitent en direction de nos ports » (Jean-Louis Lozier, préfet maritime de l’Atlantique de 2018 à 2020).

Dans ses fonctions de commandant d’arrondissement maritime, une « fonction organique territoriale », sous l’autorité du chef d’État-Major de la Marine, le préfet maritime est en lien avec les services déconcentrés de l’État notamment pour les questions relatives à la sécurité nucléaire des installations, à l’application de la réglementation sur l’environnement… En tant que préfet maritime, il est placé sous l’autorité du Premier ministre et par délégation du Secrétariat général à la mer, il se doit de représenter l’État en mer, d’animer et de coordonner son action. Renforcée par le décret de 2004, cette mission permet au préfet de donner des directives aux chefs des services déconcentrés dans son domaine de compétence. L’arrêté du Premier ministre du 22 mars 2007 fixe 45 missions dans dix domaines différents pour définir l’action de l’État en mer dont des missions de souveraineté (défense du territoire, renseignement…), des missions de police administrative et de service public. La position de préfet maritime permet de fédérer de nombreuses administrations sous son autorité. Par exemple, la création de la fonction de garde-côtes en 2009 a permis d’unifier l’action des différentes administrations en mer (Marine nationale, Gendarmerie nationale, Gendarmerie maritime, Douane, Police nationale, Sécurité civile et Affaires Maritimes). Sa double casquette lui permet de coordonner la défense du territoire via des administrations militaires et civiles qui évoluent de concert sous son égide.

Sur le plan des moyens, la première ligne de défense est constituée par la chaîne de veille sémaphorique qui forme un maillage complet de la côte métropolitaine. Ses radars, connectés entre eux par un système informatique, permettent aux centres opérationnels de la Marine situés dans les trois préfectures maritimes d’avoir un tableau complet de la situation, complété par le renseignement issu de toutes les administrations et fusionné au sein de la Cellule de coordination de l’information maritime (CCIM). Dans la réalité cette mission implique aujourd’hui un dispositif dynamique, adaptable, connecté et articulé dans la profondeur, auquel la Marine participe pleinement par ses missions menées du grand large au long du littoral. Plus que jamais, dans un monde plus connecté et plus interdépendant, la protection du territoire est une mission « intégrale » qui illustre parfaitement la nécessité « d’une convergence accrue entre les cinq grandes fonctions stratégiques » souhaitées par le LBDSN de 2013.

2.   La France, puissance ultramarine

a.   Des territoires stratégiques

Outre le territoire français métropolitain, les territoires d’outre-mer sont d’une grande importance stratégique pour la France, rendant la sécurisation des Zones Économiques Exclusives (ZEE) un enjeu majeur pour le pays. Ils s’intègrent tout à fait dans la conception de la défense nationale et du continuum mer-terre.

PRÉSENTATION DES EFFECTIFS, DES UNITÉS ET DES ÉQUIPEMENTS DES FORCES DE SOUVERAINETÉ

https://www.senat.fr/rap/r22-012/r22-0125.png 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : ministère des Armées

Ainsi, la présence militaire des personnels du ministère de l’Intérieur et du ministère des Armées est particulièrement active en raison des diverses problématiques dans certains territoires comme la Guyane avec la lutte contre l’orpaillage illégal (opération HARPIE) ou encore vis-à-vis de l’insécurité et de la violence à Mayotte. De ce fait, la Gendarmerie nationale est investie pleinement dans ces territoires et contribue naturellement dans le cadre de ses missions à la protection des intérêts stratégiques du territoire national, notamment en outre-mer : elle participe à la continuité de l’État dans les territoires (gestion de crise), notamment dans le cadre de l’élaboration des plans locaux et la participation à la mise en œuvre d’exercices de crise. Elle est pleinement impliquée dans une mission permanente de renseignement qui lui permet d’anticiper et de détecter les menaces.

Dans le cadre du SAIV, elle participe à la protection des points d’importance vitale. Elle le fait notamment dans son investissement dans des moyens de lutte anti-drones. Elle est également présente sur les Centrales Nucléaires de Production Électrique (CNPE) et elle dispose de gendarmeries spécialisées présentes dans les ports, les aéroports et les sites militaires les plus sensibles. Plus largement, elle contribue à la protection des frontières.

Son maillage territorial notamment dans les outre-mer est un atout majeur dans la gestion de crise. En effet, la gendarmerie a ainsi un contact direct privilégié avec la population qui en fait un relais de communication et d’information absolument essentiel. Pour rappel, elle couvre 95 % du territoire pour 34,5 millions d’habitants et 33 372 communes. Dans le cadre des territoires ultramarins, ce sont 25 escadrons de la gendarmerie mobile déployés couvrant 99 % du territoire et 70 % des populations. Sont à prendre en compte les capacités techniques spécifiques de la Gendarmerie qui la rende indispensable dans les territoires.

La Gendarmerie nationale agit dans sa zone de compétence et poursuit son développement de coopération internationale avec les pays voisins afin d’éviter le phénomène d’isolement des territoires ultramarins et de limiter le risque de désintérêt de ces territoires pour les investisseurs. Inversement, elle contribue quotidiennement à endiguer l’afflux d’étrangers en situation irrégulière à la recherche de nouvelles opportunités, constituant en cela de multiples facteurs de déstabilisation.

Il convient également de noter que les forces armées présentes dans les outre-mer, appelées forces de souveraineté, disposent d’une organisation originale qui leur permet de s’adapter à la spécificité de ces territoires. L’intégralité du commandement y repose sur un commandant supérieur (COMSUP) interarmées, indépendamment du nombre de bases ou d’unité stationnant dans la collectivité. Ce COMSUP détient, en plus de ses fonctions de commandement opérationnel, les prérogatives attribuées traditionnellement à l’Officiel général de la zone de défense et de sécurité (OGZDS) au sein de la chaîne OTIAD en Métropole. Il remplace également le délégué régional du SATI issu de la chaîne civile du ministère des Armées en métropole en tant qu’interlocuteur des collectivités dans les 13 régions de la France continentale. Le cumul de ces prérogatives, permet au COMSUP de construire une relation privilégiée avec l’ensemble des acteurs des territoires ultramarins. Le contre-amiral Geoffroy d’Andigné, Commandant des forces armées en Polynésie française (COMSUP FAPF), a ainsi souligné qu’il était de par ses fonctions en relation permanente avec le Haut-Commissaire (ou Préfet selon les territoires), mais également avec les élus des principales collectivités territoriales et les acteurs économiques de son territoire. Cette organisation spécifique des forces armées constitue un modèle particulièrement éclairant d’intégration des forces armées aux écosystèmes propres à chaque collectivité ultramarine.

À l’heure où nos territoires ultramarins se retrouvent, de manière croissante, au centre des enjeux géopolitiques globaux, il nous faut réaffirmer notre souveraineté sur ces territoires et y consolider les enjeux de la défense. Il est important de renforcer le format de la Marine et de mieux défendre le fait maritime français. À ce titre, l’on pourrait par exemple préconiser l’installation d’une base scientifique sur l’île de Clipperton.

b.   Un service militaire adapté qui a prouvé son utilité et son efficacité

En complément des dispositifs militaires déployés dans les outre-mer, des initiatives telles que le Service Militaire Adapté (SMA), permettent de tisser un lien fort entre les territoires ultramarins et les forces armées sur place et de remettre au centre de la relation les acteurs des territoires dans la défense nationale.

En effet, le SMA, est un dispositif qui propose une réponse ciblée au chômage, à la désocialisation, à l’illettrisme et aux besoins en qualification pour 6 160 jeunes ultramarins âgés de 16 à 25 ans. Il est l’occasion pour les participants d’acquérir des connaissances de base de manière certifiée, ou encore des compétences favorisant grandement leur employabilité comme la formation à l’examen du permis de conduire. Le SMA accueille aujourd’hui 3 types de volontaires : les volontaires stagiaires, les volontaires techniciens et les volontaires jeunes cadets. Les volontaires stagiaires viennent suivre une formation de 6 à 12 mois et apprendre un métier. Les volontaires techniciens viennent acquérir une première expérience professionnelle et sont liés au SMA par des contrats d’un an, renouvelables quatre fois. Les stagiaires et techniciens sont âgés, à l’incorporation de 18 à 25 ans. Les volontaires jeunes cadets, accueillis en partenariat avec les rectorats, sont des jeunes en voie de décrochage scolaire de 16 à 18 ans, qui viennent se remobiliser au SMA.

Créé en 1961, suite aux émeutes d’une partie de la jeunesse aux Antilles-Guyane, le Service militaire adapté s’est d’abord implanté (1961) en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane puis à La Réunion (1965), en Nouvelle-Calédonie (1986), à Mayotte (1988) et en Polynésie française (1989). En 1995, un centre de formation est ouvert à Périgueux pour accueillir les futurs cadres ainsi que les Ultramarins en formation dans l’Hexagone. En 2009, en visite en Guadeloupe, le président Sarkozy annonce le doublement du volume de jeunes à accueillir : de 3 000 en 2009 à 6 000 pour 2017.

Une fois la montée en puissance réalisée, l’année 2018 marque le lancement du plan SMA2025 dédié au renforcement de la qualité de la formation et des compétences acquises, par une plus grande individualisation des parcours et un meilleur accompagnement socio-éducatif. Centrée sur le parcours de chaque bénéficiaire, l’évolution du SMA s’accompagne d’un effort soutenu d’investissement dans les compétences, d'une performance fondée sur une qualité durable et d'une intégration de l'ère numérique. En 2021, sous l’impulsion du ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, le plan SMA2025 est renforcé du projet « SMA2025+ » qui vient conforter la volonté initiale avec neuf projets spécifiques (élargissement au public mineur, aux mères isolées, aux chefs d’équipes ; renforcement de l’offre de permis, de l’accompagnement dans la formation, de l’apprentissage, de l’accès aux nouvelles technologies et accroissement de 10 % du dispositif).

En 2022, la loi de finances initiale a été augmentée en conséquence afin d’expérimenter le projet à Mayotte et permettre la création sur l’île d’une unité de formation supplémentaire (120 jeunes) ainsi qu’une unité supplémentaire à Hao (Polynésie française) sur décision du président de la République en visite officielle sur ce territoire à la fin du mois de juillet 2021. Les nouvelles compagnies à Hao et à Mayotte ont ouvert leurs formations aux volontaires dès juillet 2022. Aujourd’hui, une ambition « Horizon 2030 » propose d’étendre l’ensemble des projets mis en œuvre à Mayotte aux autres territoires ultramarins (117 M€ de mesures nouvelles sur 5 ans), à l’aune des premiers enseignements et des prospections réalisées. Enfin, en parallèle, une Fondation du SMA a été créée en juillet 2023. Abritée par FACE, cette Fondation a pour objectif de poursuivre l’action du SMA par d’autres moyens afin de permettre aux jeunes ultramarins de 18 à 30 ans, effectuant une démarche volontaire, d’être accompagnés vers l’emploi ou l’entrepreneuriat.

Il est à noter que depuis 2021, le SMA est autonome vis-à-vis des forces armées dans les territoires d’outre-mer. En outre, les corps veillent à ce que la mission principale du SMA, l’insertion socioprofessionnelle des volontaires, ne soit pas lésée par les activités militaires. Ainsi, l’engagement des RSMA se fait sur demande de concours des préfectures, avec décision du DGOM. Enfin, une interaction supplémentaire a cours avec les politiques publiques. Il s’agit des chantiers d’applications. Ces derniers ne sont pas des activités militaires et font l’objet d’un plan de campagne annuel, validé par le représentant de l’État local : le préfet dans les départements.

Lors des auditions réalisées, il est ressorti de manière unanime que ce dispositif constituait un réel succès. Celui-ci peut être apprécié de manière quantitative par le nombre de jeunes qui rejoignent les régiments, mais aussi de manière qualitative par la formation (constat de l’attrition et le volume de CAPI attribués qui est peu objectif) ou encore par la mesure du taux d’insertion.

Ainsi, si le critère principal retenu est le recrutement, il existe une disparité entre les territoires, potentiellement liée à la dynamique démographique des territoires et défavorable aux Antilles notamment, et parfois à une concurrence des politiques publiques comme en Martinique avec le dispositif REJI (Revenu Émancipation Jeunes Initiative). En conséquence, les régiments des Antilles sont ceux qui ont le plus de difficultés à atteindre les objectifs fixés de recrutement. Les autres régiments semblent encore capables d’atteindre les objectifs fixés, du moins dans une situation normale (sans Wuambushu à Mayotte). Néanmoins, il est possible d’observer cette différence de succès du SMA d’un territoire à l’autre, en considérant le taux d’attractivité. Dans ce cas, le RSMA-PF se détache nettement puisque plus d’un jeune sur quatre se présentant à la cellule recrutement est retenu pour servir au SMA. Dans les autres régiments, ce taux est plus proche d’un pour deux, voire un pour un.

Recrutement des Volontaires stagiaires illustrant le moindre succÈs dans les Antilles en 2023

Bénéficiaires/RSMA

VS

VJC

Total

Objectif

 

Guadeloupe

550

49

599

670

89 %

Martinique

337

27

364

575

63 %

Guyane

626

31

657

650

101 %

Polynésie Française

620

46

666

645

103 %

Mayotte

511

0

511

705

72 %

La Réunion

1 094

42

1 136

1 140

100 %

Nouvelle Calédonie

536

36

572

565

101 %

Source : ministère des Armées

À l’issue du SMA, 8 % des volontaires décident de s’engager dans les forces armées (un chiffre variable selon les régiments et les années). Ce type d’insertion n’est pas spécifiquement recherchée par le SMA mais demeure cependant une opportunité appréciée. Il est précisé qu’ils sont évalués au travers des mêmes tests que les candidats qui ne proviennent pas du SMA. Par contre, ce recrutement intéresse particulièrement les Armées car la population issue des SMA rompt moins son contrat en moyenne que les engagés volontaires sans expérience.

Le renfort du rôle des territoires dans la défense nationale est indirect car il est le fruit d’un apprentissage de valeurs acquises pendant le passage au SMA de la jeunesse ultramarine et cette dernière est donc sensibilisée à ce type de problématique même si elle n’est pas un acteur direct. En effet, n’ayant pas de formation au tir, de facto, les volontaires stagiaires ne deviennent pas des réservistes opérationnels à leur sortie du SMA. À l’avenir, une coordination entre les RSMA et les compagnies de volontaires du territoire national (lesquels suivront une formation militaire) pourrait contribuer à renforcer le rôle des territoires dans la défense nationale.

Sur le territoire métropolitain, le Service Militaire Volontaire (SMV), qui dépend exclusivement du ministère des Armées, s’apparente au SMA (mis en place en 2015). Il est aujourd’hui composé de sept centres de formation ou régiment du SMV où 7300 jeunes ont déjà été formés avec de bons résultats d’insertion (86 %). La principale différence avec le SMA, hormis la notoriété locale, concerne l’externalisation de la formation. En effet, si le SMA bénéficie de formateurs de formations professionnelles (les engagés volontaires du SMA), le SMV n’en bénéficie pas et externalise ses formations auprès des centres de l’agence de formations pour adultes (AFPA).

C.   Le territoire national face À de nouvelles menaces (cyber, ingÉrences ÉtrangÈres…)

Depuis le début du conflit russo-ukrainien, s’est révélée la prégnance de l’utilisation de moyens non-traditionnels dans le champ des conflits traditionnels. L’hybridité des menaces, c’est-à-dire les activités menées ouvertement ou non à l'aide de moyens militaires et de moyens non militaires correspondent par exemple à de la désinformation, des cyberattaques, de la pression économique, le déploiement de groupes armés irréguliers ou l’emploi de forces régulières. Ces actions sont menées par des acteurs étatiques ou non-étatiques et ne présentent pas de nouveauté. Ce qui est nouveau dans les attaques perpétrées ces dernières années, se retrouve dans la rapidité d’exécution, l’ampleur et l’intensité de celles-ci, autant de caractéristiques favorisées par l’évolution technologique rapide dans un monde interconnecté.

Bien que n’étant pas impliquée dans des conflits sur son territoire national, la France s’arme contre ces menaces hybrides qui ont des conséquences majeures sur les citoyens français dans la conduite de la vie quotidienne mais aussi leur rapport aux institutions et au pouvoir en place (campagnes de désinformation…). Afin de se prémunir de ces menaces, et face à l’augmentation des cyberattaques notamment depuis 2020 (10 000 entreprises attaquées via piratage), la France met en place des dispositifs de lutte.

Depuis le Livre blanc de 2008, l’État français s’implique bien plus largement dans la lutte contre ces menaces et le fruit de cette réflexion s’est traduit par la création par le décret n° 2009-834 du 7 juillet 2009 de l’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information.

L’Agence constitue un service du Premier ministre et est placée sous l'autorité du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. L’agence s’appuie sur les lois de programmation militaire qui prennent en compte ces enjeux et notamment les obligations relatives aux opérateurs d’importance vitale (OIV). Le statut interministériel et la nature défensive de ses missions permettent ainsi à l’ANSSI de conduire ses actions de façon efficace en lien avec ses partenaires ministériels, les entités victimes, les élus, les spécialistes de la cybersécurité ou encore les prestataires privés. Ce travail est effectué de concert avec le COMCYBER ou Commandement de la Cyberdéfense (créé en 2017) du ministère des Armées.

Organigramme de l'ANSSI

Source : https://cyber.gouv.fr/notre-fonctionnement

En raison de l’aspect relativement récent de ces institutions au sein de l’État, l’ANSSI s’est dotée de relais territoriaux via un dispositif d’action visant à soutenir les acteurs à l’échelle régionale en 2015. Une large part des missions assurées par l’ANSSI nécessite en effet de pouvoir agir au plus près de ses interlocuteurs, répartis sur l’ensemble du territoire, en particuliers les acteurs économiques et les collectivités territoriales. Conçu en liaison étroite avec les principaux services de l’État concernés, ce dispositif compte aujourd’hui 17 représentantes et représentants en métropole et dans les territoires d’Outre-mer. Les délégués de l’ANSSI en régions, tous spécialistes de la sécurité du numérique, œuvrent en synergie avec les structures et les autorités régionales existantes pour prévenir les incidents et sensibiliser les acteurs locaux du public et du privé aux bonnes pratiques informatiques.

Si l’agence dispose de 600 employés, il serait difficile de créer des agences régionales par manque de moyens. Des relais variés ont donc été identifiés comme les préfets de région et les préfets de département avec une circulaire datant de 2022 qui a déterminé que le cyber faisait partie de leur champ de compétence. Ainsi, le plan France Relance 2021 permet le développement de cet aspect territorial puisqu’il vient en aide aux collectivités territoriales et aux établissements de santé notamment via les centres d’aide cyber (CSIRT composé de 5 à 10 personnes). Les CSIRT régionaux (Computer Security Incident Response Team) sont des centres de réponse aux incidents cyber au profit des entités implantées sur le territoire régional. Ils traitent les demandes d’assistance des acteurs de taille intermédiaire (ex : PME, ETI, collectivités territoriales et associations) et les mettent en relation avec des partenaires de proximité : prestataires de réponse à incident et partenaires étatiques. L’émergence de ces CSIRT doit permettre de fournir localement un service de réponse à incident de premier niveau gratuit, complémentaire de celui proposé par les prestataires, la plateforme Cybermalveillance.gouv.fr et les services du CERT-FR. Ces équipes portent également des missions de prévention, sensibilisation et d’accompagnement dans la montée en maturité des acteurs de leurs territoires.

La création d’un Pôle d’excellence cyber (PEC) à Rennes en 2014, par la région Bretagne et le ministère des Armées, montre la volonté de l’État de s’implanter de manière concrète dans les territoires afin que ceux-ci soient intégrés pleinement dans les nouvelles dynamiques animant le territoire national. Le PEC est donc un acteur et un organisme fédérateur de la filière, à la charnière de l’initiative privée, de la recherche universitaire et des entités étatiques. La majeure partie de l’ANSSI y est implantée ainsi que le COMCYBER. La sensibilisation et l’implication des acteurs territoriaux se traduisent également par l’organisation d’exercices de gestion de crise cyber comme Defnet, piloté par le COMCYBER qui a eu lieu du 18 au 29 mars 2024 et mettant en scène une trentaine d’incidents cyber simultanés.

Dans le domaine du numérique et des cyber menaces, la gendarmerie s’est aussi positionnée pour être une force d’intervention dans ce nouvel espace avec un maillage territorial via les antennes C3N, la création d’une task force numérique (analyse, évaluation, recueil) ainsi que la création d’une réserve numérique et cyber (réservistes opérationnels, spécialistes, et citoyens de défense et sécurité).

Dans ce contexte de numérisation de la société, il est également important de prendre en compte les problématiques d’ingérence, de plus en plus nombreuses d’après l’agence VIGINUM et qui peuvent mettre en péril la confiance des citoyens français dans leurs institutions, notamment via des campagnes de désinformation. Créé en 2021, le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) répond à un défi majeur : préserver le débat public des manipulations de l’information provenant de l’étranger sur les plateformes numériques. À son origine, une véritable prise de conscience de l’importance de la menace informationnelle, notamment à la suite de la campagne d’attaques cyber (phishing ou hameçonnage) entre mars et avril 2017 ayant permis l’accès aux emails de la campagne présidentielle du Président de la République, M. Emmanuel Macron. Sa mission principale est donc de détecter et de caractériser des ingérences numériques étrangères affectant le débat public numérique en France.

Pour ce faire, le service étudie les phénomènes inauthentiques (comptes suspects, contenus malveillants, comportements anormaux, aberrants ou coordonnés) qui se manifestent sur les plateformes numériques. Son activité s’organise autour d’opérations de protection, ciblées sur une thématique particulière pour laquelle une posture de vigilance est nécessaire face à une menace informationnelle potentielle : événements institutionnels, démocratiques, politiques, sociétaux, historiques, sportifs, connus et planifiés ou en lien avec l’actualité, se déroulant en France ou y affectant le débat public. Un exemple d’une campagne de désinformation avérée et détectée par VIGINUM correspond au discours offensif du président turc Erdogan à l’encontre de la France, la présentant comme islamophobe complété par une campagne violente ciblant les entreprises françaises au Moyen Orient qui avait donné lieu à des boycotts.

Durant huit mois, VIGINUM a révélé quatre opérations dont la France a été victime, montrant la nécessité pour le pays de s’armer contre ces menaces : la campagne Doppelganger (un réseau de désinformation russe pratiquant notamment l’usurpation de l’identité d’institutions ou de grands médias), la campagne Olympia qui dénigrait les Jeux Olympiques et Paralympiques de l’Azerbaïdjan ou encore la campagne des étoiles de David (issue de la Russie également et dénotant une utilisation importante de bots ou faux comptes). La dernière en date correspond à la campagne Portal Kombat dans le cadre de laquelle VIGINUM a identifié un dispositif de propagande et de désinformation sous la forme de 193 sites visant les opinions ukrainiennes mais aussi des nations occidentales, notamment via le site « pravda ».

En partageant le fruit de ses enquêtes avec les médias, VIGINUM permet à ces derniers d’éclairer l’opinion en distinguant ce qui relève de la vraie et de la fausse information. En outillant l’opinion face à des attaques dans le champ informationnel, il contribue donc à améliorer la cohésion nationale à l’échelle des citoyens.

Fort de ces résultats, le service tend à diversifier ses activités afin de permettre une appropriation du sujet des ingérences numériques étrangères par les citoyens et les entreprises via, par exemple, un programme de formation auprès des professeurs de l’Éducation nationale afin de transmettre des éléments concrets sur la manipulation de l’information. Cette sensibilisation se traduit également par la création de livrets destinés aux entreprises dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques afin de les sensibiliser à la menace informationnelle et les modes opératoires et ainsi anticiper la menace. Son dispositif est complété par des initiatives de la Gendarmerie nationale par exemple : depuis 2020, le dispositif PréSAnSCE permet de proposer un appui coordonné aux entreprises, dans le champ de la lutte contre les ingérences étrangères par les référents « sécurité économique », dans celui de la prévention situationnelle (référents sûreté) et dans celui du traitement des cyber-menaces et atteintes.

Les co-rapporteures préconisent la création de postes de délégués régionaux de VIGINUM auprès des préfets de région, sur le modèle de l’ANSSI. Ces délégués régionaux auraient pour mission d’accompagner les services déconcentrés de l’État (préfecture, rectorat), les collectivités locales et la société civile (entreprises, population) dans la lutte contre la menace désinformationnelle. Ils mèneraient, entre autres, des campagnes de prévention à ce sujet. Ces délégués seraient aussi amenés à travailler avec les journalistes et la presse locale pour mieux acculturer ces acteurs à la question de la désinformation.

D.   De nouveaux exercices militaires redonnent de la visibilitÉ aux armÉes sur le territoire (Orion, etc.)

1.   Une faible visibilité depuis les différentes réformes ayant affecté l’armée

Avec la fin du service militaire et la fermeture des bases militaires, la visibilité des armées est une préoccupation importante. Selon le chef d’État-major des armées, le général Thierry Burkhard : « Nous souffrons d’un réel problème de visibilité, pour recruter à la fois des réservistes, mais aussi des personnels d’active. En réalité, les militaires sont extrêmement peu visibles : je crois qu’entre 50 % et 75 % des Français peuvent passer la totalité de leur vie sans n’avoir finalement jamais été au contact d’un militaire. » ([15]). Les militaires manquent de donc de visibilité malgré les défilés du 14 Juillet, les « journées portes ouvertes » des bases et des régiments, les meetings aériens et les missions sur le territoire national (Sentinelle). Cela peut avoir des conséquences sur le recrutement, surtout dans une période où les capacités de la réserve opérationnelle doivent doubler et que les armées doivent sans cesse renouveler leurs effectifs.

2.   Les exercices en terrain libre, un moyen de rapprocher l’armée des Français

Pour continuer à entretenir une relation avec les Français, les exercices en terrain libre peuvent permettre de redonner de la visibilité aux armées. Cela a été particulièrement montré lors de l’exercice ORION 2023 (Opération de grande envergure pour des armées Résilientes, Interopérables Orientées vers le combat de haute intensité et Novatrices). L’objectif est d’entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational, selon un scénario réaliste et exigeant, qui prend en compte les différents milieux (terre, mer, air, espace) et champs de conflictualité (cyber, informationnel et électromagnétique).

L’exercice Orion

Source : ministère des Armées

L’exercice s’est déroulé en quatre séquences représentatives d’une opération d’envergure :

ORION 23 marque le retour des grands exercices sur le territoire national. Le dernier exercice militaire de cette envergure, avec des manœuvres hors des camps d’entraînement, a été l’exercice bilatéral franco-allemand « Kecker Spatz », mené en 1987. Au total, 20 départements métropolitains, une grande partie de l’espace aérien national et l’ensemble de la Méditerranée occidentale ont été concernés par cet exercice. Sur les manœuvres de la phase 4, les combattants se sont affrontés dans les plaines du Grand-Est, de Besançon à Amiens, sur une zone de 400 km sur 250 km.

Étant donné la dimension de l’exercice, un lourd travail d’information des populations locales a été mené en amont par les militaires. Le général Gaulin explique ainsi : « Nous avons travaillé avec les préfectures pour assurer la sécurité et limiter les nuisances. Les opérations violentes auront lieu sur les camps de Champagne : Mourmelon, Mailly, Suippes, ou à Sissonne dans l’Aisne. Pour les opérations en terrain libre, 3 000 courriers ont été envoyés à des mairies. Des réunions ont été organisées là où auront lieu des actions particulières. Nous y voyons aussi l’occasion d’une formidable rencontre entre nos forces et nos populations ».

Les populations ont ainsi pu assister à des scènes de combat dans les rues, aux défilés d’hélicoptères, de VBCI et de chars Leclerc. D’autres occasions en lien avec l’exercice ont permis de mettre en relation les militaires avec les civils. Par exemple, le détachement de l'État-Major du corps de réaction rapide de Lille a participé aux commémorations de la célébration du 78e anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie dans la commune de Trouans, le chef du détachement ayant découvert la commune et son patrimoine lors de l’exercice. De même, à la fin de l’exercice, des dégâts ont pu être constatés sur les infrastructures routières (bordures de trottoirs arrachées par les chars Leclerc, chaussées endommagées) mais l’armée avait prévu ces conséquences et une officier était chargée de la PSR (prévention sécurisation réglementaire) pour évaluer les dégâts. Elle a rencontré les maires de différentes communes pour un inventaire « afin de procéder à la remise en état des chaussées ». Les élus rencontrés ont salué la qualité relationnelle des militaires. Le général Yves Métayer a indiqué, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées que « Tout s’est très bien passé. Nous avons reçu un accueil favorable de la population qui a compris l’intérêt des opérations et ce fut l’occasion de communiquer sur l’entraînement des armées à la haute intensité. ». De plus, le général Toujouse, commandant des forces terrestres, a souligné que l'opération ORION avait eu un impact positif au sein de l'armée, en particulier sur les nouvelles recrues et le moral des troupes.

 

 

 

 


1

 

   TroisiÈme partie : des axes de travail sont envisageables pour consolider le lien entre dÉfense opÉrationnelle et L’implication des territoires dans la dÉfense civile

  1.   La dÉfense et la sÉcuritÉ : Un nÉcessaire renouveau territorial

A.   Le rÉseau militaire

1.   Définir et formaliser une Stratégie territoriale de la Défense, par exemple dans le cadre d’un futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

La prise en compte de la dimension territoriale de la défense nationale ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une formalisation d’un niveau suffisant, chacune des trois armées disposant de sa propre vision en la matière tandis que les acteurs non militaires du territoire (entreprises, collectivités locales, citoyens) ne sont mentionnés que succinctement dans les documents de cadrage officiels relatifs à la défense nationale. Dès lors, une Stratégie Territoriale de la Défense (STD) pourrait être élaborée, qui préciserait le rôle joué par les collectivités territoriales en matière de résilience et de réponse aux crises sécuritaires et qui attribuerait aux populations et aux entreprises un rôle accru dans cette perspective. Cette STD pourrait faire l’objet d’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à la conception duquel pourrait notamment contribuer le SGDSN. La STD pourrait s’attacher à donner davantage corps à la notion de défense civile.

Le gouvernement, via le SGDSN, pourrait rédiger un nouveau Livre blanc sur la défense. Cet outil permettrait de prévoir et d’établir le cadrage global des nouveaux objectifs stratégiques et opérationnels français. L’évolution du contexte géostratégique nécessiterait la rédaction d’un tel Livre blanc, la RNS n’apportant qu’une perspective partielle. En ce sens, seront intégrés les objectifs de la politique de défense civile, ainsi que la planification et l’élaboration de la dimension territoriale de la politique de défense nationale, à travers cette Stratégie territoriale de la défense (STD) intégrée au livre blanc. Cette STD fixerait notamment le rôle joué par chaque acteur (collectivités territoriales, entreprises, populations locales) en cas de crise majeure.

a.   Approfondir la démarche initiée avec la création de la division « cohésion nationale » de l’EMA

À l’été 2023 a été créée une nouvelle division « cohésion nationale » (DCN) au sein de l’État-major des armées (EMA), qui exerce les attributions du CEMA dans le domaine de la réserve militaire et coordonne les politiques relatives à la jeunesse et au service national universel (SNU), ainsi que les relations avec les entreprises et l’Education nationale. Cette DCN, qui repose actuellement sur 13 personnels d’active et civils de la défense, a enclenché une dynamique qui mériterait d’être poursuivie et dont les actions pourraient être mentionnées dans la Stratégie Territoriale de la Défense.

La DCN se veut ainsi particulièrement attentive au fait que l’engagement, notamment dans les réserves, puisse être le reflet de la société en intégrant toutes ses composantes parmi ses effectifs. À ce titre, elle est particulièrement attentive à la diversité des milieux sociaux et géographiques qu’elle cible à travers ses dispositifs. Des partenariats ont notamment été tissés avec des communes rurales ou des villes possédant des quartiers classés politique de la ville (QPV). Les principales écoles d’élèves-officiers se sont ainsi engagées dans le dispositif des Cordées de la Réussite, qui propose le parrainage d’élèves de la 4e à la Terminale de leur ouvrir l’accès, dans une perspective d’égalité des chances, aux grandes écoles de la Défense.

Depuis 2021, un autre partenariat engage le ministère des Armées ainsi que le ministère de la Justice. Celle-ci vise à l’accompagnement de jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) au sein de centres éducatifs fermés (CEF) et de centres éducatifs renforcés (CER) au sein des dispositifs jeunesse des armées. Les jeunes concernés pourront être pris en charge par la PJJ pour participer au service militaire volontaire (SMV), réaliser des postes de travail d’intérêt général (TIG) ou de travail non-rémunéré (TER), tandis qu’une réserve PJJ verra le jour pour accueillir des militaires retraités susceptibles d’inspirer les jeunes par leurs parcours.

b.   Introduire la notion de « défense inclusive »

La Stratégie Territoriale de la Défense pourrait faire mention de la notion de « défense inclusive », », qui comprend la défense de nos armées, mais également la défense civile ainsi que la défense économique. Cela permettrait de rappeler que la défense nationale est l’affaire de tous et ne se cantonne pas au seul champ des forces armées. L’esprit de défense et le sens de la résilience face aux crises doivent en effet se diffuser non seulement auprès des élus et des chefs d’entreprises, mais en réalité aussi auprès de l’ensemble des citoyens. Pour parvenir à s’adresser aux populations les plus éloignées de ces enjeux, il pourrait être envisagé de faire appel à des relais d’opinion, des associations, des clubs sportifs, des stars, des youtubeurs, des relais d’influence et des influenceurs. Il conviendrait également de décliner ces concepts dans tous les niveaux de la société, en les enseignant dans les cursus éducatifs primaire, secondaire et supérieure à raison de quelques heures par an. Le mécénat des entreprises en direction des initiatives de défense civile pourrait être également encouragé afin de soutenir financièrement ces dernières, à l’image de ce qui se pratique en Suède.

Les associations de sécurité civile pourraient par exemple devenir des associations agrées de défense et de sécurité civiles, afin de promouvoir ces notions.

Afin de donner davantage de visibilité à ces associations, il convient d’accompagner une montée en puissance de la journée nationale de résilience. Instaurée par le Gouvernement en 2022 en date du 13 octobre depuis 2022, cette journée doit valoriser à travers une labellisation les porteurs de projets contribuant à améliorer notre préparation collective en cas de risque ou de menace impactant le territoire national. Ce sont ainsi 3 000 actions qui se sont inscrite dans ce dispositif en 2023. Le développement de cette journée devrait rendre possible la labellisation d’un nombre plus élevé d’actions, ce qui contribuerait à élever le niveau de défense civile sur notre territoire.

Certaines structures associatives se sont historiquement construites autour de cet objectif, à l’instar du Haut Comité Français pour la Résilience Nationale (HCFRN). Créé en 1982 – dans le contexte de la guerre froide – par le sénateur Maurice Schumann et le Général Pierre Billotte, originellement sous l’appellation de Haut Comité Français pour la Défense Civile (HCFDC), il s’agissait alors de stimuler la réflexion des décideurs publics et privés quant à la meilleure façon de protéger les citoyens français en cas de conflit sur le sol européen.

Au cours des quarante dernières années, les missions du HCFRN ont évolué mais il s’agit encore aujourd’hui d’une plateforme d’échanges entre les secteurs public et privé sur les questions des risques et menaces majeurs visant la résilience des organisations et de la société civile. Composé d’une centaine de personnalités morales issues des services de l’État, de collectivités, et d’entreprises, le HCFRN propose diverses prestations liées aux enjeux de résilience : outre la mise à disposition des adhérents d’études et analyses d’experts sur les principales menaces en France et à l’international, il délivre des certifications professionnelles en gestion de crise (faisant l’objet d’attestations via les labels « Résilience France Collectivités » et « Résilience France Entreprises ») et organise de façon régulière des événements d’acculturation à la maîtrise des risques. Compte tenu de la qualité de ces outils pour appréhender les crises, il serait particulièrement bienvenu que le HCFRN puisse partager ses outils avec un nombre plus important d’acteurs institutionnels, au sein du ministère des Armées comme parmi les collectivités ou les entreprises.

Bénéficiant de partenariats institutionnels avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et le Service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (SHFDS) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (MTECT), le HCFRN est organisé en plusieurs collèges thématiques, favorisant le développement d’une expertise en matière de résilience face à des enjeux sectoriels spécifiques.

Comme le propose le HCFRN, la sanctuarisation d’un budget minimum annuel correspondant à 1 % du budget de la défense, soit environ 7 € par français, pourrait permettre d’assurer la promotion de la défense civile et économique. Loin de réduire les marges de manœuvre des armées, cet investissement conforterait assurément la résilience de la nation en cas de menace existentielle, condition indispensable au bon fonctionnement des armées.

Des structures analogues au HCFRN mériteraient de voir le jour dans l’Hexagone ou en Outre-mer afin de conférer une portée davantage « civile » aux enjeux de défense. La rapporteure Patricia Lemoine considère intéressant l’idée de créer une école de la défense civile telle qu’évoquée dans l’audition de Christian Sommade, délégué général du Haut comité français pour la Résilience Nationale (15/05/2024). Cette école, qui devait voir le jour à Cambrai, pourrait contribuer à la montée en compétences de nombreux dirigeants associatifs, administratifs ou d’entreprise, et par la même occasion renforcer la résilience des structures dont ils ont la responsabilité.

2.   Disposer d’une vision du réseau immobilier du ministère des Armées à l’échelle de l’ensemble du territoire national

Dans la perspective de l’augmentation significative du nombre de réservistes opérationnels au cours des prochaines années, mais également compte tenu des incertitudes géostratégiques pouvant rendre nécessaire une montée en puissance de certains régiments ou bases navales et aériennes, il est nécessaire pour le ministère des Armées d’anticiper ses besoins en infrastructures immobilières. En cohérence avec les travaux de planification de l’activité militaire, une cartographie prospective du réseau immobilier des armées pourrait être élaborée, en veillant à l’équilibre des infrastructures entre les différentes zones du territoire national.

Le parc de logements que le ministère des Armées met à disposition des militaires est actuellement d’une double nature : une partie est constituée de places qui leur sont réservées au sein de logements sociaux, dans le cadre de conventions avec des bailleurs sociaux établis par la Direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE) du ministère ; une autre partie consiste en des logements domaniaux appartenant en propre au ministère, qui feront l’objet d’une rénovation intégrale au cours des prochaines années, conformément au Plan « Ambition Logement » signé le 14 février 2022 par Florence Parly. Si la LPM 2024-2030 a pris en compte, comme la LPM précédente, une partie des investissements budgétaires nécessaires à cette rénovation du parc de logements domaniaux du ministère des Armées, ils ne sont toutefois pas couverts en intégralité. Dès lors, il convient de veiller à ce que les prochaines lois de finances se conforment aux engagements pris lors de la LPM 2024-2030 s’agissant de ces investissements, avant de réitérer les engagements budgétaires sur ce sujet lors de la prochaine LPM.

3.   Moderniser la défense opérationnelle du territoire (DOT)

Notion définie dans le code de la défense (article R*1421-1), la défense opérationnelle du territoire (DOT) « concourt au maintien de la liberté et de la continuité d’action du Gouvernement, ainsi qu’à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation ». La DOT consiste en trois missions : premièrement, participer à la protection des installations militaires et, en priorité, de celles de la force nucléaire stratégique ; deuxièmement, assurer au sol la couverture générale du territoire national et s’opposer aux actions ennemies en présence d’une menace extérieure reconnue par le conseil de défense ou d’une agression ; troisièmement, mener les opérations de résistance militaire en cas d’invasion.

Dans un contexte de retour des risques de menaces sur le territoire national et d’hybridité croissante de ces menaces, et alors que des crises extérieures sont susceptibles de générer des rétroactions diffuses dans l’Hexagone, il est nécessaire de rénover le cadre conceptuel et organique qui sous-tend la DOT par l’élaboration d’une nouvelle doctrine. Celle-ci a en effet été élaborée du temps de la guerre froide, dans un contexte très différent de la situation actuelle. Cette modernisation devra notamment veiller à préciser l’articulation des missions entre l’armée de Terre et les forces de sécurité intérieure (FSI), au premier rang desquelles la Gendarmerie nationale. Cela pourrait passer par la constitution d’un plan venant renforcer la relation partenariale avec la chaîne préfectorale, à l’échelle du Préfet de région comme du Préfet de département, et par une meilleure coopération avec les directions départementales de la sécurité publique (DDSP) de la police nationale.

La création, par arrêté du 29 juin 2023, d’un état-major interarmées du territoire national (EMIA-TN), est une première traduction de cette évolution, déjà entamée, de la mise en œuvre de la défense sur le territoire national. Cette nouvelle structure a vocation à jouer le rôle de pilote de l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD), composée des OGZDS dans les territoires. Dans la lignée de la création de l’EMIA-TN, une « DOT 2.0. » pourrait être formalisée.

 

Encadré : extrait de l’arrêté du 29 juin 2023 créant l’EMIA-TN

Article 1

L'état-major interarmées du territoire national métropolitain (EMIA-TN) est un état-major opérationnel, organisme interarmées relevant du chef d'état-major des armées. Dédié aux opérations sur le territoire national métropolitain, il participe à la préparation et à la conduite des opérations interarmées dans le milieu terrestre en métropole dans le cadre de la sécurité intérieure, de la défense militaire du territoire et du soutien nation hôte (OTAN).

Il est commandé par un officier général.

À ce titre, il est notamment chargé des missions suivantes :

1° assurer la veille et la synthèse de la menace, des risques et des opérations en cours dans le milieu terrestre sur le territoire national métropolitain ;

2° planifier et, sur ordre du centre de planification et de commandement des opérations (CPCO), conduire les opérations dans le milieu terrestre sur le territoire national, en particulier s’agissant du renforcement de la protection des installations sensibles dans le cadre de la défense opérationnelle du territoire ;

3° planifier et, sur ordre du CPCO, conduire la montée en puissance des armées sur le territoire national pour une opération majeure, tout en travaillant à la réactivation des plans de mobilisation ;

4° planifier et, sur ordre du CPCO, conduire les opérations de soutien nation hôte et de sécurisation « zone arrière de l’OTAN » ;

5° préparer la contribution des armées aux grands événements du territoire national métropolitain nécessitant une coordination de l’échelon central ;

6° en cas de crise majeure ou d’opération d’envergure sur ou à partir du TN métropolitain et sur ordre du CPCO, générer une structure de commandement opérative du type « PC de théâtre métropolitain », avec une capacité de coordination interarmées adaptée selon le contexte ;

7° entraîner les armées à un engagement d’envergure sur le territoire national métropolitain en organisant de grands exercices interarmées dans l’espace terrestre.

Article 2

L’EMIA TN dispose également d’une division spécifique Terre regroupant l’expertise de l’armée de Terre s’agissant du milieu terrestre sur le territoire national.

À ce titre, il assure :

1° le lien du chef d’état-major de l’armée de Terre avec les unités de l’armée de Terre mises pour emploi au ministère de l’Intérieur ;

2° la conduite des études relatives à l’emploi des forces terrestres sur le territoire national ;

3° la préparation de la continuité d’activité de l’armée de Terre, du renforcement de la protection de ses installations en cas de crise et de la mise en œuvre de la mobilisation.

Article 3

L'EMIA-TN est la tête de chaine de l'organisation territoriale interarmées de défense en métropole.

À ce titre :

1° le sous-chef d'état-major "opérations" de l'état-major des armées en est l'autorité organique ;

2° la division "EMPLOI" de l'état-major des armées en est l'autorité organique déléguée ;

3° l'EMIA-TN est subordonné au CPCO de l'état-major des armées.

4.   Systématiser la création d’écosystèmes tripartites entre les armées, les collectivités territoriales et les acteurs économiques

Face à la volonté de nombreux élus locaux de s’impliquer davantage dans l’effort de défense nationale, à la nécessité des acteurs économiques – en particulier les TPE-PME – de pouvoir accéder plus facilement aux marchés publics de défense et de sécurité, et au besoin des forces armées de se faire mieux connaître auprès des citoyens, notamment dans la perspective des recrutements dans la réserve, force est de constater que ces acteurs pâtissent encore trop souvent d’une étanchéité excessive, ne rendant pas optimales les synergies que beaucoup appellent pourtant de leurs vœux. Dès lors, les initiatives rassemblant de façon tripartite les collectivités territoriales, les forces armées et les entreprises mériteraient d’être encouragées et systématisées dans toutes les régions de France, à l’image des événements de ce type qui ont déjà pu être organisés ponctuellement en présence des délégués régionaux du Service de l’aménagement des territoires et de l’immobilier (SATI) du ministère des Armées. Ces initiatives peuvent par exemple prendre la forme de forums, de salons ou de tables-rondes.

Il convient en particulier de citer le « trinôme économique », une convention signée le 19 décembre 2023 à Bordeaux par le général de corps aérien Laurent Lherbette, OGZDS de la région Sud-Ouest, M. Jean-François Clédel, président de la Chambre de commerce et d’Industrie (CCI) Nouvelle Aquitaine et M. Norbert Laurençon, président de l’association Aquitaine des auditeurs de l’IHEDN, sur le modèle des « trinômes académiques ». Cette convention a pour objet de renforcer la connaissance mutuelle du monde militaire et du monde économique. Elle doit apporter une capacité supplémentaire d’agir aux armées, en permettant de faciliter l’engagement de réservistes issus des entreprises partenaires, ou de préparer la reconversion des militaires au sein de celles-ci. À l’inverse, elle constitue une instance supplémentaire dédiée à la promotion de l’esprit de défense.

Des relations ont également été tissées sous l’impulsion de plusieurs OGZDS avec le monde universitaire, sous la forme par exemple de cafés stratégiques. Ces interventions contribuent au renforcement du lien armées-jeunesse, et peuvent contribuer à susciter des vocations, notamment pour rejoindre les réserves.

5.   Poursuivre la dynamique de décentralisation de certains commandements militaires à l’instar du mouvement initié dans l’armée de l’Air et de l’Espace avec la création du CTAAE

Dans le cadre de la reconfiguration de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) lancée en mars 2022 par le chef d’état-major de l’AAE (plan ALTAÏR), le Commandement territorial de l’armée de l’Air et de l’Espace (CTAAE) a été créé en décembre 2023 sur la base aérienne 106 de Bordeaux-Mérignac. Prenant la relève du Commandement des forces aériennes (CFA), il constitue, fort de 19 000 personnes, l’un des quatre grands commandements nationaux de l’AAE. Sa nouveauté réside dans la mission territoriale qui lui est confiée, le CTAAE étant chargé de porter la voix des différentes bases aériennes de France auprès de l’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (EMAAE) et d’apporter un appui de proximité à leurs unités et leur personnel. Ce nouveau commandement territorial, actuellement dirigé par le général de corps aérien Laurent Lherbette – qui occupe parallèlement la fonction d’officier général de zone de défense et de sécurité (OGZDS) pour la région sud-ouest – , interagit avec de nombreux interlocuteurs locaux, en particulier les préfets, les délégués régionaux de la DTIE du ministère des Armées et les différents OGZDS du territoire national. Si le maillage territorial de l’AAE est plus fort que celui de la Marine nationale (cette dernière repose en grande partie sur les deux bases navales que sont Brest et Toulon) et plus faible que celui de l’armée de Terre (dotée de nombreux régiments à l’échelle du territoire national), la création du CTAAE représente en tout état de cause une évolution vers un pilotage davantage décentralisé des forces armées. Cette dynamique mérite d’être saluée et de se poursuivre, notamment s’agissant des autres composantes des forces armées.

6.   Redynamiser le réseau des Délégués Militaires Départementaux (DMD)

Relais de l’État-major des armées au niveau départemental, les DMD sont actuellement au nombre d’un par département en France. Ils pourraient être davantage mobilisés, notamment dans les déserts militaires, afin de faire mieux rayonner l’esprit de défense au niveau territorial. Les missions qui leurs sont confiées pourraient être étendues, tandis qu’ils pourraient jouer un rôle plus actif d’animation des « correspondants défense » présents dans les communes relevant de leur circonscription départementale.

Alors que les DMD du Finistère et du Cher disposent actuellement en exclusivité de prérogatives supplémentaires par rapport à leurs homologues des autres départements du fait de la spécificité des enjeux stratégiques qui caractérisent ces deux territoires – ils abritent en leur sein des têtes nucléaires destinées à la dissuasion, respectivement à l’Ile Longue dans la rade de Brest et sur la base aérienne 702 d’Avord –, une implication plus grande de l’ensemble des DMD de l’Hexagone autour des points d’importance vitale (PIV) de chaque département pourrait être encouragée. Ces PIV, dont le nombre est estimé par le SGDSN à environ 1 500 sur l’ensemble du territoire, sont de nature variée (usines, infrastructures énergétiques, data centers, etc.) mais ont en commun de revêtir une dimension stratégique liée à l’impératif de garantir la continuité des services publics essentiels. Dès lors, associer les DMD à l’enjeu de leur sécurisation – en les faisant par exemple participer aux réunions occasionnelles entre les préfets et les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) dédiées aux PIV – pourrait permettre une meilleure appropriation de ce sujet au niveau territorial. Il serait également judicieux que les maires puissent être informés de la présence d’une structure référencée comme un PIV sur le territoire de leur commune, ce qui serait de nature à renforcer leur vigilance vis-à-vis de ces sites.

Interlocuteurs privilégiés des communes, où ils sont en lien avec les correspondants défense, les DMD pourraient par ailleurs être invités à participer aux réunions des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la Délinquance (CLSPD/CISPD). Leur participation permettrait de mettre à l’ordre du jour des enjeux locaux de défense, qui sont trop souvent effacés des préoccupations des élus locaux. Une telle association du DMD au CLSPD et CISPD constituerait un levier de réappropriation des sujets de défense par les acteurs du territoire qui en sont membre, au premier lieu duquel se trouvent les maires.

Il apparaît donc bienvenu de renforcer les moyens humains et financiers dont dispose le DMD pour lui permettre de jouer un véritable rôle de coordination auprès des élus locaux, et notamment des correspondants défense. Le DMD, qui dispose généralement d’un secrétariat et d’un ou plusieurs réservistes pour l’accompagner, ne dispose actuellement pas des ressources suffisantes pour approfondir son rôle d’animation territoriale. Ce rôle apparaît par ailleurs secondaire, dans la mesure où le DMD occupe simultanément d’autres fonctions opérationnelles en tant que militaire d’active. L’octroi de moyens supplémentaires lui permettrait de dégager davantage de temps pour renforcer sa présence dans les territoires, et ainsi son impact sur l’esprit de défense. On pourrait ainsi imaginer que le DMD puisse disposer d’un auxiliaire à l’échelle des cantons ou des sous-préfectures, qui serait en mesure de développer une plus grande proximité avec les correspondants défense, et serait davantage disponible pour les accompagner dans leurs missions.

B.   VIGINUM et l’ANSSI : de nouvelles menaces Émergentes À dÉcliner dans les territoires

Alors que la multiplication des menaces hybrides modifie le champ d’action des institutions comme des citoyens, l’intégration des dispositifs de lutte dans les territoires est nécessaire afin que les collectivités territoriales, notamment, se saisissent des problématiques cyber. En effet, les attaques touchent toutes les strates de la société et les infrastructures des territoires sont aussi des cibles potentielles (attaques sur les centres hospitaliers…).

Si l’ANSSI déploie 17 spécialistes dans les territoires, et a mis en place des CSIRT (centre d’aide cyber) via le plan France Relance dédiés aux collectivités territoriales et aux PME, le général Naegelen, directeur adjoint de l’ANSSI a mis en avant, lors de son audition, l’importance de faire évoluer la stratégie de l’agence mais aussi de l’émergence de relais permettant d’avoir une couverture très large dans les régions. Néanmoins, se pose la question de comment coordonner les différents acteurs en conséquence en possession des moyens actuels. De plus, l’intégration des outre-mer dans cette réflexion est majeure puisque certains territoires comme la Nouvelle Calédonie présentent des fragilités en terme d’infrastructures numériques et font face à un manque de compétence sur le sujet. Ainsi, il est crucial de mettre en place une montée en compétences des agents et des infrastructures (hôpitaux…) et de permettre à un écosystème local de prestataires de se construire de manière stable et coordonnée dans les territoires. Ces initiatives mettent également en avant les problématiques de recrutement dans le domaine du cyber avec une pénurie de 15 000 professionnels alors que la menace explose. L’offre de formation est récente et les cursus de la cyber sécurité manquent d’attractivité tout en sachant qu’il y a seulement 11 % de femmes travaillant dans ce milieu.

L’ANSSI met ainsi au centre de sa réflexion les pistes d’amélioration de la coordination des acteurs au niveau territorial dans la conception de la Revue Stratégique de la Cyberdéfense. Cette territorialité, qui s’appuie grandement sur une politique de sensibilisation aux risques cyber, est soutenue également par la création de branches dans les régions comme à Rennes, pôle de compétitivité cyber mais aussi via le Campus Cyber (situé à la Défense) qui permet de rassembler tous les acteurs du domaine en un seul lieu de partage et de coopération. Afin d’encourager la territorialisation de cette initiative, un projet de Campus Cyber à Lille ainsi qu’en Nouvelle Aquitaine est en cours. Ces projets devront bien sûr tisser des liens forts avec les acteurs de la région dans laquelle ils évoluent. C’est d’ailleurs pourquoi l’ANSSI collabore avec l’Éducation nationale afin de former les élèves à l’hygiène numérique mais aussi à la manipulation de l’information en coopération avec VIGINUM.

Si l’intervention de l’ANSSI se fait majoritairement auprès des préfets régionaux, les autres strates administratives telles que les collectivités territoriales ou encore les communes avec leurs correspondants défense ne sont pas sollicitées spécifiquement à ce jour malgré une volonté d’orienter la stratégie de l’ANSSI et de VIGINUM en ce sens. Cela est tout particulièrement important en raison de la nécessité d’associer les collectivités territoriales aux problématiques auxquelles elles peuvent faire face afin d’adopter les bons réflexes en situation de crise. Il est aussi de leur devoir de sensibiliser par la suite les citoyens français sur les risques cyber. Il est nécessaire de donner le rôle, aux collectivités territoriales, d’acteur à part entière de cette gestion des menaces.

II.   Les collectivitÉs locales et l’industrie de dÉfense

A.   La redynamisation du rÔle des correspondants dÉfense

Alors que les correspondants défense sont les relais locaux les plus proches des citoyens français au sein des territoires, les députées considèrent trop ténu le lien qui les lie avec les institutions militaires.

Comme le prône la politique actuelle, le renforcement du lien Armées-Nation passe par une connexion forte avec les territoires et les citoyens qui y vivent avec une action tournée vers les territoires, vers les femmes et les hommes qui se sont engagés et vers la jeunesse. Elle insiste également sur le devoir de commémoration, de mémoire et de transmission au sujet du monde combattant ancré dans les territoires. Malgré cela, un certain nombre de communes souffrent de l’absence de ce lien qui est pourtant central puisque les correspondants défense constituent une figure d’accueil auprès des familles de militaires se déplaçant au gré des mutations. Le cas des correspondants défense sans enclave militaire est particulièrement important puisque c’est dans ces communes que le lien est le plus ténu : si les correspondants défense doivent se saisir des enjeux de défense et mettre en place d’autres initiatives comme la participation au SNU, la promotion de la réserve citoyenne et opérationnelle ou dans les actions de commémoration, les DMD doivent également participer à ces initiatives et insuffler des actions conjointes tout en maintenant un dialogue constant avec les élus locaux.

Afin de donner davantage de prise aux correspondants défense pour exercer ses missions, plusieurs pistes peuvent être explorées en complément du renforcement de sa relation avec le DMD.

D’une part, pour les toutes petites communes, la pertinence de nommer un référent à l’échelle intercommunale se pose. Ce référent constituerait un interlocuteur idéal pour aider les petites communes proches à construire ensemble des initiatives concourant à l'esprit de défense sur un même territoire. Il représenterait par ailleurs une ressource précieuse pour ces plus petites communes, qui ne disposent pas d'une expertise suffisante pour mener des actions en faveur du lien armées-nation auprès de ses administrés.

D’autre part, il conviendrait d’intégrer les correspondants défense investis en faveur du lien armées-jeunesse au sein du trinôme académique, afin de faciliter la concrétisation de projets pédagogiques avec les établissements de sa commune. Les correspondants défense, qui peinent parfois à identifier un interlocuteur au sein des écoles, collèges et lycée de leur territoire désireux de prendre part à un projet commun relatif à la défense, pourraient ainsi s’appuyer sur les relais défense établissements (RDE), des enseignants contribuant à la mise en œuvre du projet pédagogique défini par le trinôme du territoire.

B.   Une meilleure articulation des cartes administrative et militaire

Le ministère des Armées, de par son histoire et la position de ses emprises est présenté comme un acteur majeur dans les régions où il est présent. Ainsi, ses liens avec les acteurs locaux sont forts puisqu’il favorise un écosystème local économique mais aussi social avec la présence des régiments, bases aériennes et navales dans les territoires (qui inclue les conjoints des personnels militaires affectés). Si la communication entre les différents acteurs est sanctuarisée de longue date, les rapporteures ont pu observer lors de diverses auditions que le fonctionnement en silos des armées entrave parfois la coopération que l’on pourrait observer entre les services civils et militaires (dans le cadre de l’immobilier par exemple). Outre des chaînes hiérarchiques et de commandement séparées, les régions militaires ou zones de défense ne correspondent pas aux régions civiles donc à la carte administrative. Ainsi, par exemple, la zone Est englobe l’Alsace, la Champagne-Ardenne, la Lorraine mais aussi la Bourgogne et la Franche-Comté. Ce manque de cohérence est aussi observable au niveau préfectoral avec les conseillers régionaux, ce qui peut constituer un frein à la communication et au partage d’initiatives entre ces différents acteurs.

Carte des zones de dÉfense et de sÉcuritÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : ministère des Armées.

C.   La nÉcessitÉ de renforcer une BITD dans sa relation avec les territoires

1.   Relever les défis de recrutement et d’attrition dans l'industrie de la défense et de la BITD

Les industries de défense subissent des difficultés marquées dans le recrutement de nombreux métiers spécialisés de la BITD. Alors que les carnets de commandes sont remplis, les industriels peinent à recruter, freinant alors leur capacité à augmenter leur production. La DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) estime à 60 000 le nombre d’emploi vacants dans l’industrie. Au niveau des besoins d’ingénieurs, l’association des Ingénieurs et scientifiques de France (IESF) évalue le nombre de postes non pourvus à 20 000 en 2023 pour environ 160 000 étudiants.

Ces difficultés sont principalement liées à deux facteurs. Le premier est le manque de formation qui amène alors à un déficit de diplômés sur le marché du travail. Pour les métiers de chaudronnier, soudeur et technicien de maintenance, spécialement liés au secteur de la défense aéronautique et maritime, les formations professionnelles ne couvriraient que 50 % des besoins en recrutement jusqu’à 2030 selon l’Observatoire de la Métallurgie. Le second facteur est l’attractivité. Les jeunes peuvent suivre une formation dans les domaines en tension mais finalement s’insérer dans un autre emploi. Selon le CEREQ (centre d'études et de recherches sur les qualifications), cela représenterait entre 8 % à 46 % des jeunes entrant sur le marché du travail. Dans une note publiée en juillet 2023 par la Fabrique de l’industrie, Guillaume Basset et Olivier Lluansi, anciens délégués aux Territoires d’industrie, soutiennent que le taux d’évaporation, c’est-à-dire la différence entre les débutants formés à un métier industriel et ceux entrant dans un emploi répondant à leur formation, est d’environ 50 %. Le manque de motivation de jeunes ayant été orientés vers les métiers de l’industrie par défaut est un premier facteur expliquant cette différence. Le second est qu’après plusieurs années de désindustrialisation, le nombre de centres de formation a diminué et se sont concentrés dans les grandes villes. De ce fait, la distance entre les établissements, les jeunes et les entreprises en mesure de les recruter n’a cessé d’augmenter. Les PME et ETI, particulièrement ancrées au sein des territoires souffrent de cet éloignement alors qu’environ la moitié des personnes refusent les offres situées à plus de 30 km de leur habitation. Les PME n’ont, de plus, pas l’avantage de l’image de marque que peuvent avoir les grands groupes, ce qui les affecte d’autant plus.

2.   Prendre en compte les besoins des jeunes et des salariés : l’ancrage territorial et la promotion de la diversité dans l'industrie

Pour répondre au problème de mobilité des jeunes diplômés de leur région d’ancrage, adapter les centres de formation aux besoins des territoires apparaît comme une voie à explorer. C’est ce que font par exemple les Écoles de Production, créées spécifiquement pour répondre aux exigences d'un consortium d'entreprises dans une région donnée.

Il est également nécessaire de renforcer le développement de la culture scientifique et technique chez les jeunes. Proposer durant la scolarité, dès le collège, des stages courts au sein des industriels permettrait de déconstruire les préjugés possibles autour de ce secteur mais également de montrer la diversité de métiers qui le compose. Il apparaît important de cibler plus particulièrement les femmes alors qu’elles ne représentent qu’entre 25 et 30 % des ingénieurs en France, 17 % des Compagnons du Devoir, et 30 % des salariés dans l’industrie.

Il est à noter que les grandes entreprises de la BITD sont pleinement intégrées dans l’écosystème local en étant bien souvent le premier employeur local et assurent l’existence d’un vaste tissu de PME-ETI locale par sa commande. En effet, 70 à 80 % des commandes sont adressées à ces fournisseurs locaux. Le suivi de ce tissu de TPE-PMI par la CCI et la Région est à encourager car il n’a pas la même résilience que les grands acteurs de la BITD. Il est en réalité, souvent dépendant d’un unique type de commande ou donneur d’ordre sans avoir le même rayonnement que ce dernier, rendant difficile l’atteinte de ses objectifs de recrutement et la quête des investissements.

3.   Valoriser le rôle du tissu industriel dans la résilience nationale

Les entreprises de la BITD ont un rôle essentiel dans la résilience nationale car elles font partie des plus proches intermédiaires entre la Défense et les citoyens. De plus, on ne saurait imaginer une résilience nationale forte en cas de conflit sans l’appui d’une BITD solide.

Ce lien entre les acteurs de la BITD et les armées a été notamment accentué par la LPM 2024-30, créant un statut de réserve industrielle de défense (RID). Ce dispositif a été développé dans l’optique de renforcer les chaines de production et de maintien en condition opérationnelle de l’industrie d’armement en cas de crise ou de guerre. Il vise à recruter 3 000 réservistes en 2030 qui pourront être déployés au sein des industriels de la BITD ou chez les industriels étatiques tels que le service industriel de l'aéronautique (SIAé), le service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer), le service logistique de la marine (SLM) ou encore le service Interarmées des munitions (SIMu). Les réservistes viendraient d’entreprises civiles ayant signé une convention de partenariat avec le ministère des Armées et mettraient à profit en cas de nécessité, leurs compétences dans les industriels de la BITD. Enfin, des initiatives telles que la remise de médailles de la défense nationale pour les salariés les plus méritants, comme à KNDS, sont à généraliser, étant un symbole fort du rôle crucial de la BITD dans le renforcement capacitaire des armées.

Il convient de souligner que le tissu industriel de la BITD par les acteurs publics est de mieux en mieux pris en compte. BPI France est devenu un acteur majeur du développement de l’industrie de défense à travers le soutien dans les investissements dans la production ou les nouveaux programmes d’armement. En collaboration avec la DGA, BPI France a lancé fin mars 2024 la première promotion de l’Accélérateur Défense. Les 28 PME sélectionnées par ce programme se verront accompagnées financièrement dans le renforcement de leur outil de production, la constitution des stocks stratégiques et leur attractivité. Le programme prévoit également une simplification des équipements, normes et procédures.

Enfin, la création de la DID (Direction Industrie Défense) au sein de la DGA illustre clairement la volonté de valorisation et prise en compte de la BITD. L’objectif de cette direction est de bâtir une équipe industrielle pour renforcer le lien entre l’État et l’industrie de défense (au travers de visites, rencontres, échanges) ainsi que de sa connaissance de la BITD (veille technologique et économique, intelligence économique). Elle s’est notamment dotée d’attachés d’industrie de défense en région (AIDeR) qui constituent le premier maillon local pouvant porter le rôle de conseiller technique pour les sujets de BITD régionale auprès des préfets de région. Par ailleurs, les AIDeR sont les interlocuteurs privilégiés des entreprises de la BITD dans les territoires et des acteurs régionaux du développement économique. Ils sont chargés d’amplifier la collaboration avec les collectivités régionales investies de prérogatives en matière de développement économique et de soutien aux entreprises. En particulier, ils ont un rôle d’éclairage de la région en matière d’orientations des politiques économiques régionales au profit des entreprises de la BITD implantées sur leur territoire.

D.   Une vraie place pour les acteurs Économiques dans la dÉfense civile

De nombreuses entreprises sont impliquées à leur propre niveau dans la défense civile aujourd’hui comme les opérateurs de télécommunication, les fournisseurs d’énergie, gestionnaires de déchets... Il s’agit donc de réfléchir activement à la façon dont l’État pourrait intégrer celles-ci dans un contexte de crise mais aussi d’anticiper une potentielle planification de l’utilisation de ces ressources. En effet, il est parfois difficile d’encourager les entreprises privées à s’investir dans la défense nationale alors que celles-ci évoluent dans un contexte de recherche de la production et d’une forme de profit qui leur semblent parfois bien éloignée des questions de défense civile. Cela implique également les associations qui s’investissent dans ce domaine.

Dans cette même lignée, les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) ont tout à fait un rôle à jouer dans l’impulsion d’une dynamique auprès des chefs d’entreprises, même ceux dont l’activité économique n’a pas de lien avec le milieu de l’industrie. C’est la raison pour laquelle, il est nécessaire d’inclure de manière plus complète ces entreprises, ne serait-ce que pour les sensibiliser à l’engagement de leurs employés dans les réserves militaires et civiles sur leur temps de travail.

Dans le domaine du cyber espace, les entreprises se doivent également de respecter les critères de sécurité déterminés par l’ANSSI. Les Organismes d’Importance Vitale (OIV), de par leur statut sensible ne sont pas publiquement listés, néanmoins, il serait important de prévoir un état des lieux de ces OIV et des entreprises qui pourraient rentrer dans ces critères. En effet, de nombreuses entreprises qui pourraient rentrer dans ces critères, ne se manifestent pas, souhaitant éviter des réglementations restrictives accompagnées d’investissements financiers supplémentaires.

III.   Vers une obligation de service À la Nation ?

A.   Augmenter le nombre de rÉservistes pour mieux impliquer les citoyens dans l'effort de dÉfense nationale au plus prÈs de leur territoire de vie

Acteurs du territoire par excellence, les citoyens peuvent contribuer directement, à leur niveau, à l’effort collectif de défense nationale. Les multiples possibilités d’engagement dans la réserve qui s’offrent à eux ont été réaffirmées par la LPM 2024-2030, tandis que des efforts accrus sont en cours de déploiement pour renforcer l’attractivité de ce dispositif, notamment au niveau territorial, et doivent être poursuivis.

1.   Les ambitions élevées de la LPM 2024-2030 en matière de réserve

Pour faire face à la hausse des besoins au cours des prochaines années, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, promulguée le 1er août 2023, a fixé l’objectif d’atteindre 80 000 réservistes militaires opérationnels en 2030 et 105 000 au plus tard en 2035, soit un militaire de réserve pour deux militaires d’active à cette échéance. S’agissant de la Gendarmerie nationale, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023 a défini la cible de 50 000 réservistes opérationnels à atteindre en 2027, les effectifs étant d’environ 33 700 début 2024.

Pour rappel, la réserve opérationnelle se distingue de la réserve citoyenne, laquelle rassemble des civils régis par un statut de bénévolat et susceptibles d’être employés par diverses administrations (ministère de l’Éducation nationale, collectivités territoriales, etc.) et associations, mais qui ne sont pas « mobilisables » au sens du code de la défense, contrairement aux réservistes opérationnels ([16]).

La réserve opérationnelle, mobilisable, se répartit entre un premier niveau (RO1) constitué des volontaires souscrivant un contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR), et d’un second niveau (RO2) constitué des anciens militaires d’active dans les cinq années qui suivent la fin de leur carrière, de façon obligatoire. Pour faciliter la montée en puissance des effectifs de la réserve opérationnelle, la LPM 2024-2030 a, dans son volet normatif (article 29), assoupli la limite d’âge, les réservistes pouvant désormais rester engagés jusqu’à 72 ans. La durée d’engagement varie d’un à cinq ans et la moyenne d’âge est de 39 ans.

2.   Un recrutement facilité à différents niveaux

a.   Les délégués aux réserves

Pour optimiser le recrutement, l’emploi et l’orientation des réservistes vers les besoins spécifiques des différentes forces armées, il est prévu, depuis l’arrêté du 2 septembre 2011 relatif aux délégués aux réserves, que le Chef d'état-major des armées (CEMA), le Délégué général pour l'armement (DGA), le Directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), le chef du Contrôle général des armées (CGA), les chefs d'état-major de l'armée de Terre (CEMAT), de l'armée de l'Air (CEMAAE) et de la Marine (CEMM) ainsi que les directeurs centraux du Service de santé des armées (SSA), du Service de l'énergie opérationnelle (SEO) et du Service du commissariat des armées (SCA), disposent chacun de l’appui d'un officier général ou supérieur exerçant les fonctions de délégué aux réserves. Les délégués aux réserves contribuent, dans leur domaine de compétence et en liaison avec le Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM) et la direction des ressources humaines du ministère des Armées (DRH-MD), à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques des réserves, incluant notamment le volet communication auprès des publics susceptibles d’être intéressés. Cette organisation permet à chaque service de conserver la responsabilité de la gestion de ses réservistes en fonction de ses besoins propres.

b.   La Garde nationale

Créée en France au lendemain des attentats de 2015, la Garde nationale – dont il est à noter qu’elle se distingue tant de la Garde nationale américaine que de la Garde nationale de 1789 dirigée par le marquis de La Fayette – répond à la nécessité d’un continuum dans la prise en compte des menaces de l’intérieur (sécurité) et de l’extérieur (défense) du territoire. Dirigée par le Secrétaire général de la Garde nationale (SGGN), elle constitue l’entité fédératrice de l’ensemble des réservistes opérationnels des forces armées (Terre, Marine, Air et Espace, directions et services interarmées) et des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie). Elle rassemble donc des personnels aussi bien du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer que du ministère des Armées, et a la charge de coordonner la trajectoire de doublement des réserves d’ici 2035, tout en veillant à améliorer la lisibilité du dispositif pour ne pas freiner de potentiels candidats. C’est la Garde nationale, et non les différentes unités directement, qui noue des conventions de partenariat avec les collectivités territoriales et les entreprises afin de définir les conditions du recrutement des agents publics et des salariés dans la réserve. Plus de 1 000 conventions ont été signées depuis 2017, dont 170 en 2023 (contre une moyenne de 120 à 125 les années précédentes), tant avec de grandes entreprises – une convention a par exemple été signée le 17 avril 2024 avec le groupe Renault, en présence du ministre M. Sébastien Lecornu qui a appelé, à cette occasion, à « une forme de patriotisme du capitalisme français » – qu’avec des PME et des administrations.

3.   Capitaliser sur les compétences détenues par les citoyens et tirer profit de leur implantation géographiquement diversifiée

La pleine implication des citoyens dans l’effort de défense nationale suppose de fidéliser au maximum les réservistes, au-delà de l’enjeu initial du recrutement. Cela passe notamment par la valorisation des compétences techniques ou professionnelles déjà détenues par les personnels recrutés et par le souci de privilégier leur affectation dans des unités localisées à proximité de leur lieu de vie. Dans cette logique, il conviendrait de constituer un fichier recensant les compétences remarquables des réservistes, afin de pouvoir disposer d’une meilleure visibilité sur les ressources humaines parmi les citoyens engagés.

Le choix des réservistes opérationnels de servir au sein d’une unité plutôt qu’une autre est principalement déterminé par des considérations liées aux appétences personnelles et au maillage territorial des forces (localisation des emprises et brigades). Les composantes de la Garde nationale qui comptent actuellement en leur sein le plus grand nombre de réservistes opérationnels sont, par ordre décroissant, la Gendarmerie nationale (33 700), l’armée de Terre (24 000), la Marine nationale (6 000), la Police nationale (6 000), l’armée de l’Air et de l’Espace (5 700), le Service de santé des armées (4 000), le Service du Commissariat des armées (430), le Service de l’énergie opérationnelle (200), la Délégation générale de l’armement (120) et le Service d’infrastructure de la défense (25) ([17]).

Dès lors que les réservistes opérationnels ont vocation à être intégrés, le plus possible, au cœur de métier des composantes, les compétences dont les unités sont susceptibles d’avoir besoin sont d’une grande diversité, couvrant la même largeur de spectre que les activités des militaires ou fonctionnaires d’active. Peuvent par exemple être recrutés comme réservistes des ingénieurs, des informaticiens, des techniciens, des intendants, des juristes, des linguistes, des comptables, des médecins, des logisticiens, des analystes, des cuisiniers, des mécaniciens, des contrôleurs aériens, des électroniciens ou encore des spécialistes des télécommunications. Les personnels qui disposent de compétences dans ces domaines – du fait de leur formation initiale ou car elles constituent le quotidien de leur activité professionnelle principale – peuvent ainsi en faire bénéficier, dans le cadre de leur travail de réservistes, les unités qui en ont besoin. Cet apport de compétences issu du monde civil est en particulier fructueux dans le secteur cyber, domaine dans lequel les services recruteurs éprouvent généralement le besoin de drainer davantage d’expertise. Cette valorisation des connaissances et aptitudes personnelles, outre qu’elle permet de combler des besoins réels des unités, permet de surcroît de renforcer le sentiment d’utilité des réservistes en les amenant à se savoir véritablement acteurs de la dynamique de défense nationale.

L’efficacité de ce dispositif suppose une coopération de la part des entreprises et administrations, qui doivent accepter que leurs employés s’absentent un certain nombre de jours dans l’année pour prendre part à leurs activités de réserve. Si tous les réservistes reçoivent une solde d’un montant compris entre 50 et 130 euros par jour - entièrement défiscalisée - en fonction de leur grade et de leur qualification, le maintien ou non du salaire lié à leur activité principale pendant leurs heures d’absence dépend quant à lui de la bonne volonté des employeurs, la législation n’imposant aucune obligation sur ce point. La souplesse des employeurs s’avère dès lors variable : pour ne citer que quelques exemples, Veolia s’est engagé à libérer ses salariés réservistes quinze jours par an, avec maintien de la totalité de leur salaire, tandis que Bouygues concède dix jours annuels avec réduction de 50 % de la rémunération et que Thales envisage d’accorder vingt jours de mise à disposition dans le cadre du renouvellement de sa convention de partenariat avec le SGGN, dont la négociation est en cours. Certaines collectivités territoriales accordent même jusqu’à trente jours. Certains personnels, craignant de se voir opposer un refus de la part de leur employeur ou, a minima, d’être pénalisés dans leur carrière professionnelle, dissimulent la réalité de leur engagement et demeurent des réservistes « clandestins » servant dans leurs unités pendant les week-ends et leurs périodes de vacances. Il semble donc absolument indispensable d’accompagner un changement d’état d’esprit chez les employeurs, afin que la présence de réservistes soit perçue comme une opportunité pour l’entreprise de contribuer à la défense de la Nation et d’intégrer d’assimiler des compétences précieuses à travers les salariés engagés. Si les entreprises du secteur de la Défense sont d’ores-et-déjà conscientes de cet enjeu, et surreprésentées parmi les entreprises signataires de conventions, il convient de concentrer les efforts sur les entreprises des autres secteurs, qui ne disposent pas nécessairement de la même connaissance des réserves.

L’un des moyens d’y parvenir pourrait être de diffuser des dispositifs tels que l’application interactive MINOT@UR utilisée par la Gendarmerie nationale, qui permet de rapprocher l’employeur de son salarié réserviste vis-à-vis de son engagement, en lui donnant accès au suivi des missions de ce dernier. Le recours à ce type d’interface pourrait être développé, de manière à limiter l’appréhension des entreprises au sujet des réserves.

L’une des dimensions structurantes de la réserve opérationnelle, qui demande à être renforcée encore davantage, est son empreinte territoriale. Les réservistes sont en effet engagés sur l’ensemble du territoire national, hexagonal comme ultramarin. Cela est particulièrement vrai s’agissant de la Gendarmerie nationale, essentiellement déployée en zone rurale ou semi-rurale et qui dispose de nombreuses brigades, couvrant ainsi 96 % du territoire et 52 % de la population, assurant la présence d’une emprise militaire dans de nombreux territoires ne disposant pas ou plus de base militaire. En tant que veilleurs du quotidien, les réservistes de la Gendarmerie sont un vecteur de la cohésion nationale de nature à générer une empathie territoriale. Interface entre le monde civil et le monde civil dans les territoires, leur ancrage est renforcé par une affectation systématique pour des missions se déroulant dans leur département d’origine.

Cette proximité se traduit également par la présence en ligne à travers l’application « Ma sécurité ». Destinée au grand public, celle-ci permet d’accéder à différents services de la gendarmerie ainsi qu’aux principaux numéros d’urgences. Un onglet relatif à la réserve de la gendarmerie pourrait être implémenté dans l’application, de manière à susciter la volonté de s’engager parmi les utilisateurs.

Selon le général Jean-Pierre Gesnot, commandant de la gendarmerie pour les réserves et la jeunesse ([18]), certaines des 238 brigades dont le Président de la République a annoncé, le 2 octobre 2023, la création d’ici 2027, seront d’ailleurs des brigades « mobiles » visant à accroître la fonction « contact » au sein de territoires « délaissés ». Si aucune région n’est totalement dépourvue de réservistes, les effectifs varient selon les territoires : la Creuse ne compte par exemple qu’une centaine de gendarmes réservistes, contre environ 700 en Haute-Savoie. Les profils se répartissent également différemment selon les zones : la part de jeunes parmi les gendarmes réservistes est assez significative en Ile-de-France, tandis que les régions comme la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine ou encore Provence-Alpes-Côte-d’Azur accueillent davantage, en proportion, d’anciens de l’active car ils y sont retraités.

L’armée de Terre, de son côté, dispose également d’une réserve fortement territorialisée. 90 % de ses réservistes servent en effet en dehors de l’Ile-de-France tandis que, selon le général Jean-Jacques Fatinet, délégué aux réserves de l’armée de Terre (DRAT) ([19]), il s’agit d’une réserve « très provinciale, provenant de tous milieux sociaux et originaire de toute la France métropolitaine et outre-mer ». Toutefois, ce déséquilibre peut constituer un frein à l’engagement chez les jeunes vivant dans des régions dépourvues ou presque de bases d’affectation telles que la Bourgogne ou l’Ile-de-France, dans la mesure où le déménagement vers la zone d’affectation constitue un sacrifice important.

2 400 réservistes de l’armée de Terre sont déployés quotidiennement, dont 400 au titre de l’opération Sentinelle, qui concerne l’ensemble du territoire. La centaine de régiments que compte aujourd’hui l’armée de Terre, et qui sont répartis sur plus de 550 emprises, verront la part de réservistes atteindre un volume d’environ 25 % de leurs effectifs d’ici 2030 et 33 % à l’horizon 2035. Par ailleurs, en 2024 et 2025, douze bataillons de réserve seront créés au sein des brigades interarmes et spécialisées de l’armée de Terre, destinés à monter en puissance progressivement jusqu’en 2030. Parallèlement, des réservoirs de compétences sont en cours de développement, à l’instar du Bataillon de renseignement de réserve (B2R) créé début 2024 dans un format distribué sur l’ensemble du territoire hexagonal, ou encore des domaines du cyber et de la logistique, pour lesquels des expérimentations ciblées ont été lancées récemment. Enfin, il est envisagé, sous la forme d’une duplication du modèle du 24ème régiment d’infanterie Ile-de-France, de créer progressivement des bataillons à vocation d’emploi territorial au sein de six grandes métropoles françaises. Ces efforts devraient être de nature à rehausser, quantitativement comme qualitativement, le degré d’implication des citoyens dans l’effort de défense nationale, dans une logique de « service à la Nation ».

Il est enfin ressorti des auditions que la convocation des réservistes en dehors des heures principales d’activité des militaires d’active, notamment les week-ends ou les jours fériés contribuait à leur marginalisation, et par conséquent affectait leur volonté de poursuivre leur engagement. Une évolution de ce fonctionnement serait un vecteur de fidélisation pour les réservistes opérationnels. Pour assurer cette fidélisation, il est également apparu le besoin de convoquer régulièrement les réservistes, au minium une fois tous les deux ans, pour éviter tout découragement qui pourrait aboutir à la sortie de l’engagement.

B.   Vers une appropriation culturelle de la dÉfense par le citoyen

Avec la suspension du service militaire en 1996 suite à la décision du Président Jacques Chirac, des questionnements autour de la pertinence de l’esprit de défense resurgissent. Un certain attachement à cet esprit de défense demeure, du fait de la relation originelle entre le citoyen et son devoir de « défense de la patrie » mais les menaces ne sont plus tout à fait les mêmes. Avec la crise de Covid-19 puis la guerre en Ukraine, l’importance de l’engagement de tous les citoyens est à nouveau soulignée pour préserver la continuité de toutes les activités du pays. La notion d’esprit de défense tend alors à se transformer en « résilience », plus adaptée à la multiplicité des crises modernes.

1.   Une modification au fil des années dans la législation du rôle du citoyen dans la défense

L’ordonnance de 1959 portant organisation générale de la défense, abrogée depuis 2004, donne une définition plus générale de la défense : « [elle a] pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». L’ordonnance distingue alors défense militaire et défense civile qui est sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et visant à « la protection matérielle et morale des personnes et de la sauvegarde des installations et ressources d'intérêt général. ». Une note de la FRS par Frédéric Coste souligne l’importance de cette généralisation : « le constat ayant guidé la formulation du concept de défense nationale à la fin des années 1950 était donc que la sécurité et la stabilité d’un État ne dépendent pas seulement de ses forces armées, mais également de sa police, de sa structuration sociale, de son système éducatif et de son mode de fonctionnement politique et social. Avec l’Ordonnance de 1959, la défense est devenue permanente (elle n’est plus seulement une organisation du temps de guerre) et globale, prenant en compte les aspects militaires comme non-militaires de la protection de la Nation contre les agressions. »

Le Livre blanc de 1994 utilise le terme « d’esprit de défense » dans le cadre du service national : « le peuple français demeure, tout compte fait, responsable de sa défense. Il est le principal vecteur de l’esprit de défense qui unit l’Armée à la Nation ». Avec cette idée de défense globale, l’armée insufflait à toute la société civile un esprit de vigilance. Mais avec la professionnalisation des armées, l’objectif de l’esprit de défense est réorienté et est attribué, en particulier, à l’Éducation nationale.

Sur le site de l’Éducation nationale, il est précisé que « l'esprit de défense et de sécurité n'est pas spontané. Il n'est pas non plus réservé aux militaires. Il repose sur la formation d'un esprit civique et citoyen qui doit être abordée dès l'école par une éducation à la citoyenneté ». Ainsi, l’esprit de défense ne consiste plus uniquement à prendre les armes pour protéger son pays, mais promeut une éducation complète en laissant les citoyens plus libres dans la manière dont ils peuvent s’engager pour leur pays. L’appropriation de cette notion par le citoyen se transmet alors via l’Éducation nationale et non plus l’armée. Le Livre blanc de 2008 instaure cette transition en définissant l’esprit de défense comme : « l’adhésion de la nation est la condition de l’efficacité de l’appareil de défense et de sécurité et de légitimité des efforts qui lui sont consacrés ». Il définit également la notion de résilience : « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable ». Il s’agit de préparer les citoyens à une crise grave.

Pour aiguiser cet esprit de défense, l’ensemble de la jeunesse française suit un parcours citoyen commun :

-    Un enseignement à la défense dont le dernier protocole d’accord passé entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Défense ([20]) date de 2007 et vise à : « développer l’esprit de défense, donner à l’enseignement de défense sa juste place dans la formation des futurs citoyens, dans la recherche et dans la vie intellectuelle de notre pays ; contribuer à l’emploi des jeunes et à l’égalité des chances ». L’enseignement de la défense n’est pas une matière mais est intégré tout au long du cursus scolaire.

-    Le recensement citoyen qui est une démarche devant être effectuée à partir de 16 ans et qui est une condition pour pouvoir participer à la Journée Défense et Citoyenneté. Il permet également l’inscription sur les listes électorales. Il n’est aujourd’hui plus nécessaire de se rendre à la mairie pour réaliser cette démarche qui peut aussi être dématérialisée. Sans cela,

-    La Journée Défense et Citoyenneté, réalisée avant l’âge de 18 en général, est nécessaire pour s'inscrire aux examens et concours de l'État (permis de conduire, baccalauréat...) jusqu’à 25 ans. Elle succède à la Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD) instaurée en 1997 à la suite de la suspension du service nationale. L’objectif de cette journée est de traiter de problématiques liées aux sujets de la citoyenneté et de la défense nationale. Elle permet également de faire découvrir les différentes possibilités d’engagement au sein des armées.

À ce parcours peuvent s’ajouter d’autres dispositifs : la réserve militaire constituée d’une réserve opérationnelle et d’une réserve citoyenne, le SNU, les classes de défense, les préparations militaires, le Service Militaire Adapté (SMA), les Cadets de la Défense, les Cadets de la République, les jeunes sapeurs-pompiers volontaires, les Cadets de la Protection Civile…Des réformes peuvent être attendues sur ce parcours. En effet, le 12 avril 2024, le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu a indiqué qu’il souhaitait « rendurcir militairement à des fins théoriques » la JDC qui « se démilitarise un tout petit peu avec le temps ». Dans le cadre de cette évolution de la JDC, il pourrait être intéressant de proposer aux jeunes une présentation plus concrète de ce que peut représenter un engagement au sein des forces armées. Pourraient notamment être intégrés à la sensibilisation des témoignages de soldats ayant pris part à des OPEX, au moins sous la forme d’un reportage vidéo, ou encore des exercices pratiques et des simulations de nature variées. Selon la rapporteure Patricia Lemoine, la JDC pourrait être organisée sur 3 à 4 jours répartis dans l’année afin qu’elle représente une découverte plus approfondie des armées et des enjeux de défense.

Il est important que l’engagement du citoyen dans la défense nationale commence dès l’école.

La rapporteure Mélanie Thomin prône la mise en place d’un enseignement de défense au sein de l’Éducation nationale, dans un cadre interdisciplinaire. Des initiatives pourraient aussi être mises en œuvre telles que l’association des élèves du primaire ou du premier cycle du second degré aux commémorations militaires dans leurs communes, ou la participation pour une classe d’âge, à une classe de défense et de sécurité globale.

2.   Un esprit de défense en déperdition chez les jeunes ?

En 1999, le député Bernard Grasset songeait au risque que la fin du service militaire entraine « une démobilisation, ou à tout moins une mobilisation moindre, de la vigilance du citoyen pour ce qui touche aux questions liées à la Défense » et, plus généralement, un « affaiblissement de la conscience citoyenne face à l’évolution du concept de défense nationale. ». Cette hypothèse ne s’est pas entièrement concrétisée. Dans une étude récente d’Anne Muxel ([21]), la sociologue affirme que les jeunes générations entretiennent à la fois un lien étroit et distant avec le monde militaire. Étroit parce qu’ils ont dans leur entourage proche des militaires, que plus de 90 000 jeunes se présentent aux tests de recrutement des armées (1/4 de ces derniers est engagé), qu’ils sont 52 % à s’intéresser aux questions militaires, 62 % prêts à défendre leur pays, mais distant parce que leur pays n’est pas directement impliqué dans un conflit à ses frontières. Les jeunes citoyens sont peut-être moins conscients des enjeux techniques de la mobilisation des militaires mais ils soutiennent leurs actions. Cela peut s’expliquer par les différents attentats qui ont touché le territoire depuis 2015 et de façon plus générale, les valeurs de notre démocratie.

Dans ce contexte sensible mais aussi de crise climatique, la jeunesse est empreinte de questionnements et témoigne d’une volonté d’engagement. Les jeunes de moins de 35 ans sont plus impliqués dans le bénévolat (augmentation de 37,5 % entre 2010 et 2019) 42 % d’entre eux considèrent que la guerre doit être faite par chaque citoyen si on lui en donne les moyens. La conclusion d’Anne Muxel sur la signification de l’engagement pour la patrie pour la jeunesse indique ce changement de perception et est plutôt positive alors que la société actuelle est plutôt perçue comme individualiste : « La vitalité du patriotisme est réelle. […] La patrie et sa défense n’ont donc pas seulement un passé, elles ont un avenir. […]. La patrie, surtout lorsqu’elle est menacée, réveille chez les jeunes Français, pourtant moins assujettis aux allégeances politiques et sociales traditionnelles que par le passé, le sens d’une aventure commune dont il faut préserver les conditions de réalisation. Engagement individuel et engagement collectif se rejoignent ainsi dans la défense d’une communauté nationale menacée. On voit réapparaître à cet endroit le sens du collectif pour sortir le citoyen individualisé du grand mouvement de désaffiliation auquel il est peu ou prou soumis. ». La chercheuse montre également qu’il y a un plus large consensus autour de l’institution militaire : « l’antimilitarisme des milieux de gauche s’est assez largement estompé au profit d’une reconnaissance de la légitimité de l’institution militaire à défendre les populations et à être une force de médiation dans la résolution des conflits. ». La fin du service militaire a donc pu avoir justement des effets positifs pour l’image de l’institution du fait de son caractère obligatoire et inégalitaire.

3.   Des obstacles subsistent à l’engagement concret des citoyens

Pour que les notions d’esprit de défense et de résilience soient bien appropriées par le citoyen, il faut donc que ce dernier puisse identifier clairement les menaces et risques mais également les accepter. Grâce à la construction de cette culture du risque, le citoyen trouvera les motivations qui lui permettront de développer avant et pendant la crise les forces morales nécessaires pour surmonter cette dernière. Cela n’est pas une tâche aisée du fait du caractère anxiogène de la culture du risque, rendant son acceptation délicate. Les collectivités territoriales ont alors un rôle non négligeable dans cette question. En effet, les communes doivent obligatoirement réaliser un document d’information communal sur les risques majeurs (DICRIM) lorsque qu’elles rentrent dans le plan de prévention des risques (PPR). Le DICRIM vise à sensibiliser les populations aux risques auxquels elles sont soumises et comment y réagir. Cependant, ce document n’est pour l’instant que peu réalisé (en juin 2021, 9 000 communes sur 28 000 concernées par un PPR) et est « indigeste et confidentiel » ([22]). Il convient donc d’encourager les communes à établir leur DICRIM afin de sensibiliser les citoyens aux enjeux de résilience nationale.

En complément du DICRIM, les communes sont invitées à se doter d’un plan communal de sauvegarde (PCS), qui vise cette fois de manière interne à planifier les actions à mener par les acteurs communaux de la gestion de crise. Si les PCS sont traditionnellement centrés sur les vulnérabilités et risques, tels que les catastrophes naturelles ou industrielles, il conviendrait d’inviter les maires à inclure une composante défense dans leurs plans, en intégrant les menaces extérieures auxquelles leur territoire est exposé. L’intégration de ce volet défense aux plans communaux et intercommunaux de sauvegarde (PCS/PCIS), permettrait de planifier la gestion de crise conflictuelle ou d’attaques diverses au niveau des municipalités. Le correspondant défense pourrait pleinement être associé à la rédaction de ce plan, comme les élus adjoints ou délégués à la sécurité investissent déjà la question des risques dans leur commune.

Le sport militaire de haut niveau peut également représenter un vecteur intéressant de diffusion de l’esprit de défense dont il convient de faire la promotion auprès du grand public. Du fait des capacités physiques exigées des soldats dans le cadre de leur préparation opérationnelle, le sport est au cœur de la vie au sein des armées. Il n’est dès lors pas étonnant que de nombreux miliaires soient devenus des athlètes de haut niveau, poursuivant leur engagement au service de la Nation sous une forme nouvelle. Ils constituent autant d’exemples inspirants qui peuvent contribuer au rayonnement des armées, dans la jeunesse comme dans l’ensemble de la population. De plus, les aspects liés au rôle des citoyens dans la défense civile sont régulièrement omis par manque de connaissance sur ce sujet par les collectivités territoriales.

Il est à noter que l’esprit de défense a pu s’estomper avec la centralisation du pouvoir décrite par M. Nicolas Rousselier ([23]) qui a conduit les citoyens à se mouvoir dans une bulle de passivité, espérant l’action de l’État. Ils ne sont pas toujours encouragés à croire en leur capacité à jouer un rôle actif ou à soutenir l'action des autorités publiques. Il y a donc une certaine subtilité à réaliser si les responsables politiques veulent faire surgir à nouveau « l’esprit de défense », nécessaire en particulier pour « l’économie de guerre » souhaitée par le Président Emmanuel Macron. En effet, pousser à ce dernier serait en quelque sorte une reconnaissance d’échec.

En parallèle, l’ordonnance de 1959 avait créé le poste de Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité (HFDS). Nommés dans chaque ministère, ils doivent durant le temps de paix, préparer les mesures qui permettront d’assurer la continuité des services de l’État. Leur rôle s’ancre parfaitement dans l’idée que la défense du territoire ne relève pas uniquement du ressort des armées mais d’une coordination entre tous les acteurs civils et militaires. Cependant, l’efficacité du réseau des HFDS diffère selon les ministères. Les grands ministères régaliens disposent de moyens et de profils plus solides en la matière. Le SGDSN réunit chaque mois les HFDS pour les informer. Des efforts considérables ont déjà été consentis pour renforcer le travail des HFDS, mais il reste des progrès à faire en termes de formation selon le SGDSN.

C.   Le parlement comme organe dÉmocratique de contrÔle de la politique de dÉfense

1.   La lettre et l’esprit de la Ve République sont peu favorables au rôle du Parlement en matière de défense même si quelques aménagements récents ont été pris afin de renforcer ce rôle

Historiquement, la défense et les prérogatives militaires sont l’apanage de l’exécutif et sont fortement centralisées. Depuis l’avènement de la Vème République, les spécificités constitutionnelles du régime se dessinent autour de la prééminence présidentielle, ainsi qu’autour de la fixation de la doctrine. À cet égard, certains caractérisent la Ve République, selon l’expression consacrée, de « monarchie nucléaire ». D’autre part, le président de la République, chef des armées, occupe une place prédominante dans le déclenchement des opérations extérieures et l’engagement des forces à l’étranger.

Cette prééminence du rôle présidentiel a tenu à l’écart la représentation nationale dans la détermination, la mise en œuvre et la conduite de la politique de défense, et donc à dessaisir le citoyen, détenteur légitime de la souveraineté, de son pouvoir en la matière, à travers ses représentants.

a.   Les institutions de la Ve République marginalisent le Parlement, d’autant plus dans le « domaine réservé » qu’est la défense

Le pouvoir du Parlement sur la politique de défense s’est longtemps caractérisé par une relative faiblesse, tant du fait de la lettre de la Constitution de 1958, que de la pratique institutionnelle depuis le Général de Gaulle.

« La défense fait figure d’idéal type concernant la marginalisation du Parlement sous la Ve République » : ces mots de chercheurs en sciences politiques résument l’étendue de la problématique.

Ainsi, la question du rôle du Parlement en matière de défense se pose de manière singulière pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en matière de défense, l’action gouvernementale ne s’exerce que marginalement par voie législative (à la notable exception de la loi de programmation militaire). Ensuite, le Président de la République dispose d’une prééminence en la matière. L’article 5 de la Constitution en fait le « garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire » et selon l’article 15 il est « le chef des armées et préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». En pratique et même si le gouvernement « qui dispose de la force armée » (article 20 de la constitution) et le Premier ministre qui est « responsable de la défense nationale » ne sont pas absents, c’est principalement le Président de la République qui définit la politique de défense de la France et qui décide de l’engagement des forces. Cette prééminence du Président n’est pas sans incidence sur le rôle du Parlement puisque c’est le gouvernement qui est responsable devant lui et non le Président de la République. Et la marque personnelle du général de Gaulle façonne toujours très profondément nos institutions. Enfin, la politique de défense suppose une capacité de réaction rapide et une discrétion qui s’accommodent difficilement de la publicité et du temps des débats parlementaires.

Contrastant avec la situation dans les autres grandes démocraties, le Parlement français n’a joué, jusqu’à très récemment, qu’un rôle relativement modeste dans la mise en œuvre de la politique de défense.

De fait, jusqu’en 2008, le Parlement a été cantonné, selon l’article 35, à la seule autorisation de la déclaration de guerre, disposition dont il n’a jamais été fait usage depuis le début de la Ve République. Pour autant, de nombreux rapports et propositions ont appelé à l’accroissement de la place du Parlement, d’autant que le nombre et le coût des opérations extérieures (OPEX) ont beaucoup augmenté et que leur nature a évolué, passant d’opérations de maintien de la paix à des actions impliquant de plus en plus souvent de véritables actions de combat.

En tant que représentants de la Nation, les parlementaires doivent également faire vivre le sujet de la défense nationale dans le débat public. Le poids de la parole publique des responsables politiques est particulièrement important dans le contexte de retour des conflits de guerre de haute intensité en Europe. À l’heure où le champ lexical de la guerre se retrouve brouillé par des concepts tels que la « guerre informationnelle » ou la « guerre hydride », les élus doivent aussi rappeler à l’opinion quelles seraient les conséquences d’un conflit armé impliquant le territoire national, afin de réactiver l’intérêt du citoyen pour ces enjeux.

La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété l’article 35 en instituant une procédure d’information et de contrôle du Parlement sur les OPEX.

En amont, le Gouvernement doit ainsi informer le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention, et doit préciser les objectifs poursuivis ; les modalités de cette information restent toutefois à sa discrétion. L’information transmise peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. L’idée motivant cette réforme est qu’une intervention sera d’autant plus légitime que les objectifs politiques seront transparents et le soutien de la représentation nationale affirmée.

  1.   La dernière loi de programmation militaire prévoit des dispositifs permettant un meilleur contrôle du Parlement

L’article 8 de la LPM a acté le principe d’une actualisation législative. Plusieurs rapports dans un but d’information des parlementaires sont prévus aux articles 9 et 10. Des pouvoirs spéciaux pour le rapporteur en charge du contrôle de l’exécution budgétaire de la LPM sont créés à l’article 11. Enfin, a été créée la commission parlementaire d'évaluation de la politique du Gouvernement d'exportation de matériels de guerre de l'article 54 sur le modèle de la délégation parlementaire au Renseignement (DPR).

c.   Les parlementaires sont peu incités à s’investir sur les questions de défense

Dans les faits, les parlementaires travaillant sur les questions de défense souffrent d’un manque de visibilité dans la mesure où les prérogatives données au Parlement sont faibles en la matière. Le chercheur Olivier Rozenberg définissait en 2012 trois types de motivations pour un parlementaire : conserver son éligibilité, tenter de progresser et influencer les politiques publiques.

Premièrement, pour conserver son éligibilité, à part pour des circonscriptions où l’industrie de défense ou des régiments militaires sont présents, les questions de défense sont peu « attractives » car elles ne pèsent pas dans les choix des électeurs. Le consensus politique sur ces questions est fort et l’intérêt médiatique pour le débat politique de défense faible : le domaine n’offre pas les moyens de se distinguer.

Deuxièmement, selon lui, le domaine de la défense offre peu de possibilités de « faire carrière ».

Troisièmement, il semble donc que les parlementaires investis sur la défense peuvent difficilement influencer les décisions dans le domaine. Les questions de défense sont d’autant plus difficiles à aborder qu’elles sont considérées comme exigeant une expertise importante, comme en témoigne le nombre de parlementaires effectuant une formation à l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN). Cependant, mis à part leur propre expertise, les parlementaires ont peu de moyens pour contrôler efficacement la politique de défense du gouvernement. Ce manque n’est pas complété par un outil assimilable à la Cour des comptes. Aux États-Unis, le Congrès dispose du Government Accountability Office (GAO), avec plus de 500 millions d’euros de budget annuel et 3000 employés.

Selon la rapporteure Mélanie Thomin, la marginalisation du Parlement sur les questions de défense est d’autant plus paradoxale qu’elle est synonyme d’une moindre efficacité pour les politiques publiques. Le travail des parlementaires est en effet utile pour aiguiller le gouvernement. Ainsi, lors de la législature 2012-2017 (14ème législature), la commission de la défense de l’Assemblée avec à sa tête la Présidente Mme Patricia Adam a effectué des contrôles « sur pièce et sur place » à propos de sujets sensibles.

Selon la rapporteure Mélanie Thomin, l’exécutif a tendance à considérer la parole parlementaire comme illégitime voire dangereuse, alors qu’elle est simplement nécessaire au fonctionnement démocratique des institutions. Le travail parlementaire permet en effet une information et un contrôle salutaire de l’exécutif, malgré les moyens limités qui lui sont dévolus. La chercheuse Bénédicte Chéron souligne que, malgré les apparences d’une image positive, les Françaises et Français et connaissaient mal leurs armées. Le Parlement, en tant qu’émanation de la nation, a un rôle primordial à jouer pour le lien armée-nation. Il doit être l’espace où les forces armées font l’objet d’un débat politique informé et contradictoire.

2.   La relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en matière de défense doit être équilibrée

a.   L’exécutif doit impliquer le pouvoir législatif dans les décisions sur les orientations et la mise en œuvre de la politique de défense

Une des propositions que l’on pourrait suggérer conduirait le ministre de la Défense à se rendre régulièrement devant la commission de la défense de l’Assemblée permettant une information continue et transparente à l’intention des parlementaires. L’exécutif doit être en mesure d’informer le Parlement et d’accepter le débat au sein de celui-ci.

b.   Le Parlement doit avoir les moyens du contrôle.

Son manque de moyens crée une situation de dépendance du législatif vis-à-vis de l’exécutif, le premier étant soumis à la bonne volonté du second en matière de transparence.

Les moyens humains et financiers de contrôle et d’évaluation du Parlement français doivent être renforcés. L’exemple du GAO américain est une piste qui pourrait également être étudiée.

c.   Le Parlement doit voir son rôle formellement renforcé.

Le précédent de la réforme constitutionnelle de 2008 notable en exigeant du Parlement un vote quatre mois après l’engagement d’une OPEX va dans le bon sens. Il est nécessaire de poursuivre sur cette voie par :

-            Un débat annuel en séance plénière sur les engagements des forces armées, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs.

-            Un vote annuel sur les opérations extérieures des forces armées françaises (l’article 35 ne prévoit qu’une autorisation au-delà quatre mois)

-            Selon la rapporteure Mélanie Thomin droit de veto sur la poursuite de certains programmes en coopération structurants (au-dessus de 25 millions d'euros) sur le modèle de ce que fait Bundestag.

 

 


1

 

   Examen en commission

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur « Défense et territoires : quels rôles pour les acteurs du territoire dans la défense nationale ? » au cours de sa réunion du mercredi 22 mai 2024.

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin appelle l'examen du rapport « Défense et territoires : un lien à réinventer », confié à nos collègues Patricia Lemoine et Mélanie Thomin.

Le sujet crucial du lien entre la défense et les territoires fait partie des trois missions d'information de notre cycle consacré à la défense globale : la mission « Défense et territoires », la mission « Défense, culture et éducation » et la mission portant sur l'après-Orion.

Chacun d’entre nous est au moins triplement engagé en matière de défense, comme citoyen, député et membre de la commission de la Défense. Certains ont d'autres engagements, notamment comme réservistes citoyens ou élus locaux. Cette mission nous mobilise tous en conséquence.

D'ici cet été, j’organise des dîners-rencontres avec l'ensemble des chefs d'État-major, le DGGN et le DGA, ouverts à d’autres députés que la commission, en vue de réfléchir à développer une culture de défense au sein de l'Assemblée nationale. L’exposition sur les plans secrets du débarquement, abritée par nos murs en ce moment même à l’initiative de la Présidente, contribue à cet objectif.

Votre mission, mesdames, fut particulièrement dense. J'ai été impressionné par le nombre des auditions et des intervenants de tous horizons : historiens, chercheurs en sciences politiques, juristes, militaires relevant de l'ensemble de l'organigramme des armées, en particulier la chaîne Otiad (Organisation territoriale interarmées de défense), mais également les acteurs principaux de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), des représentants des collectivités territoriales, des associations, etc.

Vous avez également effectué de nombreux déplacements à l'étranger en Finlande, Suède et Suisse, pour étudier les pratiques dont la France pourrait s’inspirer.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure de la mission d’information « Défense et territoires ». Monsieur le président, je vous remercie d’avoir souligné le caractère dense de notre mission qui s’est avérée des plus passionnantes, en raison des enjeux territoriaux et de défense auxquels nous faisons face.

Au moment d’établir la liste exhaustive des personnes à auditionner, nous avons veillé à n'oublier personne au regard de leur expérience et de leur vision de la défense globale. Plus de trente auditions se sont ainsi tenues à l'Assemblée nationale : militaires, entreprises de la BITD, collectivités territoriales, associations et chercheurs universitaires. Nos déplacements – nationaux comme internationaux – ont été extrêmement enrichissants : de Brest à la Suède et de la Finlande à la Suisse. Cela nous permet aujourd’hui d’affirmer que notre rapport reflète fidèlement nos constats et nos préconisations.

Nous avons souhaité intituler notre mission d'information, « Défense et territoires : un lien à réinventer », afin de l'inscrire dans les enjeux actuels. Depuis la fin du service militaire obligatoire en 1997 et les fermetures d'emprises, la relation entre le monde militaire et les acteurs des territoires en France s'est peu à peu distendue. Il est aujourd’hui crucial de renouer une synergie visant à une résilience nationale.

La défense nationale de notre pays ne peut pas être appréhendée que sous l’angle militaire. La nécessaire appropriation des enjeux de défense par l'ensemble des forces vives dans les territoires – citoyens, collectivités territoriales, entreprises, chambres consulaires, associations – devient une exigence nouvelle.

Ce besoin est particulièrement pressant au regard du contexte géopolitique actuel, marqué par un triple réveil stratégique de l'ensemble du continent européen. Le Président de la République évoquait la nécessité d’un réveil dans son discours du 30 janvier 2024 à la Communauté de défense, lors de sa visite d'État en Suède, soulignant que la France s'attacherait à en être l'un des protagonistes.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure de la mission d’information « Défense et territoires ». Je poursuis sur la nécessité d’un réveil stratégique. Une première prise de conscience avait eu lieu en France, et plus largement en Europe, après les attentats terroristes de 2015, qui nous avaient rappelé que notre sol national et notre population civile pouvaient être ciblés par des menaces provenant d'adversaires non étatiques et difficilement identifiables. En 2020, un second réveil stratégique s'était produit avec la pandémie de Covid-19, qui avait mis fin à l'illusion d'une invincibilité territoriale.

La crise sanitaire a notamment été surmontée grâce au pragmatisme et à l'intelligence des acteurs de terrain, notamment des maires, qui ont su édifier des mécanismes de résilience tout en composant avec des ressources limitées.

Dans cette phase de réveil stratégique, l'invasion massive de l'Ukraine par l'armée russe, le 24 février 2022, a évidemment marqué une rupture centrale.

Ce conflit met en lumière l'enjeu de la défense territoriale en Europe. La mobilisation de la société ukrainienne et sa capacité à résister ont surpris les observateurs, mais le conflit a également révélé la vulnérabilité de certaines infrastructures, notamment énergétiques, pourtant essentielles à la souveraineté nationale.

Bien que la dissuasion nucléaire demeure un outil crédible pour protéger nos intérêts vitaux, la France ne peut plus ignorer le risque de voir son territoire visé par plusieurs formes de guerres insidieuses telles que le terrorisme, les cybermenaces et autres menaces désinformationnelles. C’est précisément ce type de menaces, hybrides par nature, qui est à craindre dans l’immédiat. Leur mode opératoire consiste à viser diverses infrastructures vitales et opérateurs de services essentiels, tout en se maintenant en dessous du seuil de conflictualité.

Si les militaires jouent un rôle salutaire et de premier plan dans la planification et la conduite des opérations de défense du territoire, ceux-ci ne sauraient se voir attribuer l'exclusivité de la responsabilité. C'est précisément cela que nous avons fait émerger dans notre rapport.

Les élus communaux, départementaux, régionaux et nationaux, du fait de leur ancrage local et leur connaissance du paysage citoyen et économique, pourraient – et demandent – à s'engager davantage dans cet objectif commun. Ils contribuent ainsi à conforter les forces morales de la nation et à planifier notre capacité collective à résister aux évidentes menaces qui nous entourent. Les élus locaux pourraient ainsi mettre fin au désintérêt du peuple pour ses forces armées, en jouant un rôle fort de connexion entre les élus, le monde militaire et le citoyen.

Enfin, ma collègue et moi-même sommes persuadés que les entreprises de la BITD, à travers leur maillage territorial, ainsi que de nombreux acteurs économiques, ont un rôle important à jouer en matière de défense.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. C'est donc une réflexion complète sur la place du soldat dans la société qu'il convient de mener, ainsi que le rappelait notre ministre de la défense lors de son audition du 14 mai dernier, le soldat doit pleinement retrouver le sens de son métier, à savoir l'engagement militaire au service de la défense de la nation. La mobilisation des soldats pour des missions d'ordre civil a parfois déprécié leur image et les a décrédibilisés aux yeux d'une partie de la population. Il convient de restaurer cette image. De la même façon, le citoyen doit être reconnu comme un acteur incontournable de la défense globale, afin de permettre à la nation tout entière de faire preuve de résilience face notamment aux nouvelles menaces hybrides.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Nous estimons désormais indispensable de territorialiser la politique de défense et de permettre à tous les acteurs de se mobiliser pour la défense du pays : les collectivités territoriales, les acteurs associatifs, les entreprises de la BITD et l'ensemble des citoyens. L'objectif est de conférer au territoire national, hexagonal et ultramarin, une résilience de long terme face aux menaces susceptibles de l'affaiblir.

Notre rapport présente un modèle de défense où tous les corps de la société seraient impliqués, d'une manière ou d'une autre, aux côtés des acteurs conventionnels.

Arrêtons-nous un instant sur l'historique de nos territoires en matière de défense. La défense territoriale a toujours orienté l'architecture de défense vers les menaces pesant aux frontières du pays, ce qui explique la dynamique territoriale observée aujourd'hui. Les frontières terrestres ne représentant qu'un cinquième de la longueur des côtes, les frontières maritimes ont été un enjeu constant. Dès l'Empire romain, des ports militaires historiques tels que Brest, Toulon ou Cherbourg, constituaient des points d'appui majeurs sur le plan stratégique. La ceinture de fer de Vauban avait déjà été organisée face à des menaces localisées, illustrant cette tendance de l'organisation de la défense du territoire à se concentrer sur les frontières les plus vulnérables.

Au XIXe siècle, les forces armées étaient principalement implantées dans le nord-est, tandis que les entrepôts, les établissements de soutien et l'industrie de défense se tenaient loin des zones les plus exposées : Bourges, Tarbes, Roanne, les filières aéronautiques de Toulouse et de Nantes, la vallée de l'Adour ou le pôle électronique de Rennes. La loi du 16 mars 1882 sur l'administration de l'armée a profondément bouleversé l'organisation de la défense en privilégiant un cadre territorial, celui de la région militaire, pour garantir aux armées la cohérence d'organisation et la continuité du commandement qui leur faisait défaut.

Les armées s’étaient professionnalisées sous l'Ancien Régime. Les lois Gouvion-Saint-Cyr et Suchet, de 1818 et 1824, ont rétabli la conscription via un tirage au sort. Cette dynamique a été poursuivie par la loi Niel de 1868, puis celle de 1872 qui a fixé le cadre de la conscription pendant plus d'un siècle.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. Au cours de la première guerre mondiale, la mobilisation des entreprises au service de l'effort de guerre a généralisé leur implication pour subvenir aux besoins militaires de l'État français. Cette participation, qui remontait au XIVe siècle, avait été poussée à son paroxysme après la Révolution industrielle. Dès lors, la guerre avait acquis un caractère total. Pour l'emporter, il fallait être capable de financer et d'organiser à long terme une production efficace d'armes et de biens essentiels à la survie de la nation et à la conduite de la guerre.

Les industries prioritaires – sidérurgie, chimie, armement et automobile – ont monopolisé la quasi-totalité des moyens disponibles. La conversion des complexes industriels occidentaux avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que la place donnée à la puissance publique dans l'orientation de l'effort industriel, a préfiguré la situation économique des Trente Glorieuses, marquées par la domination de l'industrie occidentale et l'avènement de l'État-providence.

L'engagement des pouvoirs publics locaux dans la territorialisation de la défense est historique. Tel est le sens de la création de la garde nationale lors de la Révolution française, héritière des milices de citoyens formés dans chaque commune. Bien que les collectivités territoriales n'aient pas de compétences directes en matière de défense, elles sont en mesure de jouer un rôle de facilitatrices de la mise en œuvre de la politique de défense. C'est dans cet esprit qu'a été créée, en 2001, la fonction de « correspondant défense » au sein des communes.

Il reste qu’une distanciation progressive du lien entre défense et territoire s’observe depuis la fin du XXe siècle, principalement en raison de la rupture géopolitique des années 1990 qui a définitivement bousculé le modèle de défense français.

La présence physique des armées sur le territoire national s'est amoindrie suite à la fermeture de nombreuses emprises militaires, réduisant le maillage dont bénéficiaient les armées, et la suppression de plus de 500 000 emplois entre 1962 et 1996. Suite au plan « Armée 2000 » de 1990, la professionnalisation complète des armées a entraîné la suppression de 150 000 postes entre 1997 et 2000. Le ministère a procédé à une rationalisation de ses implantations géographiques autour de points nodaux, les bases de défense, permettant une réduction des coûts et une amélioration du soutien pour une projection rapide des forces.

En conclusion, la convergence entre préoccupations civiles et militaires a connu un ralentissement du fait de la suspension du service militaire et de l'absence de solutions alternatives pour les jeunes générations, participant à la disparition progressive des armées dans le paysage français.

Ce n’est pas tant la professionnalisation des armées que la période de paix dont nous sommes issus qui expliquent le délitement du lien armée-nation, le recul de l'esprit de défense et la fracture de la cohésion nationale. Cette période de tranquillité nous a portées à moins nous préoccuper de notre sécurité physique et des impératifs qu’elle implique.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Nous sommes à un tournant stratégique de la réorganisation de notre défense territoriale.

Face à la multiplication des menaces, la notion de défense territoriale regagne en légitimité et en dynamique. En France, un nombre croissant d'acteurs s'investissent dans les sujets de défense, à commencer par les industries de défense dont plusieurs sont en voie de relocalisation grâce à la récente restructuration du réseau des délégués régionaux du ministère des Armées, en plus de l'intérêt accru de certaines collectivités territoriales pour les enjeux de défense.

Dans les années 1990, suite à la chute du mur de Berlin et la récession, les commandes liées au secteur de la défense s’étaient effondrées, ce qu’était venu illustrer l'arrêt de la production de programmes emblématiques tels que le Famas et le VAB. Le poids des crédits militaires par rapport au PIB a chuté significativement à la fin du XXe siècle, passant de 2,97 % du PIB sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing à seulement 1,61 % du PIB en 2002. Cette phase de désindustrialisation dans le domaine de la défense s’est surtout traduite par une perte de volume, car la quasi-totalité des compétences industrielles a tout de même été conservée.

Depuis quelques années, la volonté de relocaliser certaines industries de défense pour retrouver de la masse sur le territoire national a pris de l'ampleur, notamment suite à la crise sanitaire du Covid-19 et à l'attaque russe en Ukraine. Cette relocalisation s'inscrit en cohérence avec le schéma d'économie de guerre souhaité par le Président de la République, Emmanuel Macron. Par exemple, l'entreprise Eurenco, qui produit la poudre utilisée par les canons César, après s'être délocalisée en Suède en 2007, a décidé de se relocaliser à Bergerac (Dordogne). Naval Group a déplacé sa production, des baguettes de soudure destinées aux coques de sous-marins, d’Italie vers la région de Belfort.

Un autre exemple emblématique est celui de la filière de petites munitions. Cette production industrielle avait été abandonnée en France à la fin des années 1990, avec la fermeture de l'établissement Giat Industrie (Le Mans). Depuis, la production de munitions de petit calibre obéissait principalement à une logique de rentabilité et n'était plus considérée comme devant rester souveraine.

Les projets de relocalisation industrielle se heurtent toutefois à différents obstacles. Parmi ceux-ci, je citerai le niveau de fiscalité en France, ainsi que la réticence des banques à financer des activités militaires. À cela s'ajoutent la faible disponibilité des sites, les contraintes liées au zéro artificialisation nette et la crainte des populations locales d'une pollution supplémentaire.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. L'effort de reterritorialisation dans nos activités de défense se traduit déjà par l'évolution du réseau civil du ministère des Armées dans les territoires. Depuis 2024, la Direction générale de l'armement (DGA) dispose d'un ensemble d'attachés d'industries de défense en région. Ces attachés ont pour mission d'accompagner les entreprises de la BITD, les PME et les start-up du domaine de la défense au niveau régional et local.

Par ailleurs, la Direction des territoires, de l'immobilier et de l'environnement (DTIE) du ministère des Armées a été réformée à l'été 2023. Cette réforme a confié de nouvelles missions aux 13 délégués régionaux du ministère, actuellement en poste dans toutes les préfectures de région de l'Hexagone. Leur mission est d’accompagner l'évolution des effectifs du ministère dans leurs bassins d'implantation, notamment en matière de transport, de logement et d’écoles. Ils facilitent également les interactions avec les différents services déconcentrés de l'État, soutiennent les acteurs économiques locaux et assurent le suivi des dispositifs de contractualisation entre les collectivités territoriales et le ministère des Armées.

Pendant toute la période de fermeture des emprises sur le territoire national, notamment dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) des années 2008-2012, les délégués régionaux étaient fortement impliqués dans les contrats de redynamisation des sites de défense (CRSD). Ces contrats visaient à faciliter la transition vers de nouvelles activités économiques des territoires affectés par les fermetures de sites. La dynamique s'est toutefois inversée depuis les deux dernières lois de programmation militaire et nous assistons à une fin progressive des CRSD et au renforcement des effectifs militaires dans les territoires.

Le délégué régional du ministère des Armées pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse nous a donné des exemples concrets de son travail. Il organise régulièrement des rencontres entre les élus locaux, les directeurs de PME, les commandants de base de défense et les membres de la chambre de commerce et d'industrie (CCI). Ces rencontres visent à favoriser la compréhension mutuelle des besoins, à atténuer les craintes et les difficultés éventuelles, qu'il s'agisse des questions d'accès à la commande publique, des opportunités d'engagement dans la réserve ou des désagréments ponctuels ressentis par les populations locales. Par exemple, la présence d'un stand de tir à proximité d'habitations peut parfois créer des tensions avec l'environnement local.

Le ministère des Armées s'appuie également sur les relais régionaux de l'IHEDN pour cultiver la connaissance des enjeux de défense via l'organisation de conférences au niveau local.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. L'État joue un rôle évidemment majeur en matière de défense et les élus locaux souhaitent s'intégrer à cette dynamique.

Notre rapport aborde la question des correspondants de défense. Cette fonction relevant des conseils municipaux a été instituée en 2003. Les correspondants de défense sont désignés parmi les membres du conseil municipal. Leur mission est de promouvoir l'esprit de défense au sein de leur commune en soutenant des projets pédagogiques en lien avec les établissements scolaires et en organisant des événements de sensibilisation de la jeunesse. Le niveau d’information des correspondants de défense reste souvent trop sommaire, bien qu’ils aient reçu le guide pratique du ministère des Armées en 2023. Ils bénéficient parfois du soutien des DMD, qui sont les officiers généraux des zones de défense et de sécurité au niveau départemental.

Les DMD jouent un rôle de conseiller militaire auprès du préfet départemental, mais les conseils départementaux sont tenus éloignés des enjeux de défense, alors même que certaines de leurs compétences, comme la gestion de l'eau, des infrastructures et des services départementaux d'incendie et de secours, peuvent revêtir une importance vitale en temps de crise. Nous préconisons donc le renforcement des liens entre les DMD (délégués militaires départementaux) et les conseillers départementaux.

Les conseillers régionaux pourraient également s'emparer des sujets de défense, en vertu de leurs prérogatives en matière d'élaboration du Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. Ce schéma fixe des objectifs en matière d'implantation de différentes infrastructures d'intérêt régional, y compris des emprises militaires. Les élus régionaux pourraient renforcer leurs liens avec les délégués régionaux du ministère des Armées, ainsi qu'avec les états-majors des zones de défense et de sécurité.

La conflictualité contemporaine et ses nouveaux champs d'expression nous invitent à remettre la notion de défense territoriale au cœur de nos priorités, que ce soit en France ou à l'étranger. Cela inclut l'organisation de nouveaux exercices militaires, pensés de manière à redonner de la visibilité aux armées dans nos territoires.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. La France n'est pas le seul État à s'intéresser à sa défense territoriale. De nombreux pays européens sont organisés autour de modèles de défense fortement territorialisés et cette architecture précise gagne en importance avec le conflit ukrainien. Dans le cadre de notre mission d'information, nous avons visité la Finlande, la Suède et la Suisse pour observer les systèmes s’en prévalant.

L'armée suisse, organisée selon le système de milices, repose sur la participation bénévole et extraprofessionnelle des citoyens. Le système de milices suisses a été formalisé dans la Constitution de 1798 et réaffirmé en 1999. Ce principe, profondément ancré dans sa culture et consubstantiel à celui de démocratie directe, privilégie une armée de citoyens plutôt qu'une armée permanente.

Actuellement, l'armée suisse comprend 3 500 militaires de carrière, 6 500 civils et 136 000 miliciens. Les hommes aptes sont convoqués à 16 ans pour le service militaire, suivent une formation initiale de dix-huit semaines et participent, pendant les neuf ans qui suivent, à des exercices réguliers pour rester opérationnels.

La Finlande peut aussi se prévaloir d’une défense territoriale très forte, composée de 20 000 conscrits et de 900 000 réservistes. Grâce au maintien du service militaire obligatoire pour les hommes, le service militaire n'a jamais été interrompu. D'ici 2026, la Finlande augmentera son budget de défense de 40 % pour acquérir de nouveaux équipements. Ce modèle de défense totale associe les civils et le secteur privé de manière très étroite et permet de mobiliser 280 000 soldats en trois jours. La défense finlandaise repose sur la protection du territoire national contre la menace russe, une nécessité évidente compte tenu de sa frontière commune de plus de 1 340 kilomètres avec la Russie.

La défense suédoise s'appuie quant à elle sur une stratégie de défense totale revitalisée et intégrant tous les niveaux de la société. Cette approche a été réactivée suite à la détérioration de l'environnement sécuritaire en Baltique, notamment l'annexion de la Crimée en 2014. La Suède a remilitarisé l'île de Gotland et rétabli le service militaire partiel dès 2017. Dès son adhésion à l'Otan en 2024, la Suède renforcera ses capacités militaires et augmentera son budget de la défense à 2 % du PIB d'ici 2026. La composante militaire inclut des forces armées, soit 14 700 personnels actifs et un objectif affiché de 100 000 personnes d'ici 2030. La composante civile vise à protéger les infrastructures critiques et à assurer la résilience en cas de conflit, ce qui est évidemment crucial. La Suède a ainsi créé des régions de défense civile et dispose d’ores et déjà d'abris antiaériens pour 7 millions de personnes. Avec une population d'environ 8,6 millions de personnes, autant dire qu'ils sont bien préparés. La coopération avec les secteurs privés et publics est renforcée pour garantir la préparation aux crises, soutenue par la nouvelle loi sur la Banque de Suède visant à assurer les paiements en cas de crise.

Ces modèles étrangers sont difficilement transposables en France, car notre organisation territoriale reste très différente de la leur. En s'en inspirant néanmoins, la défense civile de notre pays pourrait être renforcée et venir en appui de la défense militaire.

En France, la défense civile s'articule traditionnellement autour de trois piliers : la sécurité publique, la sécurité civile et la défense économique. La sécurité publique concerne le maintien de l'ordre et la lutte contre la criminalité, impliquant la police en zones urbaines et la gendarmerie en zones rurales et périurbaines.

La sécurité civile englobe la prévention et l'intervention contre les risques naturels, sanitaires, technologiques et bâtimentaires. Les services d'incendie et de secours sont au cœur de ces actions, soutenues par divers plans de secours comme le plan Orsec et le plan de secours à nombreuses victimes. Les services de l'État sont également impliqués, par l’entremise de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), de l’Agence régionale de santé (ARS) et des associations de sécurité civile. Enfin, la défense économique vise à assurer la continuité des fonctions économiques essentielles – énergie, télécommunication, alimentation, transport – et à promouvoir l'intelligence économique pour renforcer la compétitivité des entreprises et des territoires.

Cette définition de la défense civile à la française est désormais perfectible. Il conviendrait en effet de repenser le concept de défense civile comme la composante d'une défense totale, à l'image du modèle suédois.

Mme Mélanie Thominco-rapporteure. Notre mission nous a conduits à réaffirmer la fierté d'être une puissance maritime, la France restant la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde derrière les États-Unis. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 avait souligné l'importance de nos frontières maritimes.

Le concept de continuum sécurité-défense met en avant la coordination entre les différentes administrations de l'État agissant en mer. Le préfet maritime, à la fois militaire et civil, joue un rôle central dans cette coordination, assurant la défense du territoire et représentant l'État en mer. Cette fonction permet de fédérer diverses administrations sous son autorité, notamment grâce à des missions de police administrative et de services publics. La chaîne sémaphorique et la cellule de coordination de l'information maritime contribuent à une surveillance efficace du littoral. La protection du territoire maritime s’avère essentielle et illustre la nécessité d'une convergence entre différentes fonctions stratégiques dans un monde interdépendant.

La présence de nos forces armées est assez instructive en outre-mer. Depuis 1961, le service militaire adapté (SMA) offre aux jeunes ultramarins des opportunités en matière d'emploi, de qualification et de formation. Le plan SMA 2025 vise à renforcer la qualité des formations et des compétences. Le recrutement par le SMA constitue une opportunité pour les forces armées, au vu du taux d'engagement relativement élevé en fin de SMA. Le SMA renforce le lien entre les territoires ultramarins et la défense nationale, sensibilisant la jeunesse à ses enjeux. En parallèle, le service militaire volontaire (SMV) offre une formation similaire et des résultats aussi positifs en termes d'insertion professionnelle.

L'hybridité des menaces, couplée à une évolution technologique très rapide, pousse la France à concevoir et mettre en place des dispositifs de lutte adaptés. Depuis la présentation du Livre blanc de 2008, l'ANSSI, créée en 2009, a mis en place des actions interministérielles et au sein des entreprises considérées comme organismes d'importance vitale, en parallèle des actions du Commandement de la cyberdéfense (Comcyber) du ministère des Armées. Cette territorialisation du service est certes récente, mais montre la volonté de l'État d'intégrer ces nouvelles menaces au sein des territoires afin de sensibiliser et de venir en aide aux institutions en difficulté.

Une autre agence d’importance est Viginum. Créée en 2021, sa mission est de détecter et de caractériser les ingérences numériques étrangères affectant le débat public numérique en France. Cette semaine encore, Viginum relevait une augmentation des actions d'ingérence étrangère dans notre espace numérique public national. En huit mois, Viginum aura révélé quatre opérations dont la France a été victime. La campagne Doppelgãnger, par exemple, pratiquait l'usurpation d'identité d'institutions ou de grands médias et provenait d’un réseau de désinformation russe. La campagne Olympia, qui dénigrait les Jeux olympiques et paralympiques, avait été orchestrée par l'Azerbaïdjan. La campagne des étoiles de David, également d'origine russe, recourait à une utilisation importante de bots ou de faux comptes. Cette semaine encore, des mains rouges étaient apposées sur le Mur des justes. La dernière en date est la campagne Portal combat au cours de laquelle Viginum a identifié tout un dispositif de propagande et de désinformation réparti en 193 sites visant les opinions ukrainiennes et occidentales, notamment via le site Pravda.

Nos armées ne bénéficiaient jusqu’ici que d'une trop faible visibilité, en raison des réformes mises en place après la suspension du service militaire. L'exercice Orion 2023, a permis de relier les citoyens et les armées sur le territoire dans un format de terrain libre et d'interaction avec la population. Cet exercice, qui s’est déroulé en quatre phases, marque le retour des grands exercices sur le territoire national, à l'image de l'exercice franco-allemand Kekerspatz mené en 1987. Étant donné sa dimension, un lourd travail des populations locales a dû être mené en amont par les militaires.

À l'issue de notre mission, nous sommes parvenues à la conclusion qu'il existait des marges d'amélioration pour renforcer le rôle des territoires dans la défense nationale. Bien plus que de « marges », on pourrait parler de véritables « boulevards » pour investir cette question de la défense territoriale.

Premièrement, il est évident que la défense et la sécurité, notamment cyber, connaissent un renouveau territorial. Nous faisons de nombreuses propositions en ce sens.

Deuxièmement, nous appelons de nos vœux une plus forte implication du citoyen, qui passe en premier lieu par l'augmentation des réservistes au plus près de leur territoire de vie, ainsi que la nécessité de travailler à une appropriation culturelle de la défense par tous les acteurs. Contrairement aux idées reçues, l'esprit de défense n'est aucunement en déperdition chez les jeunes de France, ce qui est un vrai motif de satisfaction.

Troisièmement, nous recommandons que le Parlement, émanation de la nation et des territoires, des citoyens, soit un véritable organe démocratique de contrôle de la politique de défense.

Quatrièmement, les collectivités locales doivent devenir des acteurs à part entière de la défense civile en appui de notre défense militaire.

Enfin, nous avons fait des propositions concernant la BITD, qui est évidemment au cœur du maillage territorial et économique de la nation.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. J’ai récemment découvert l’existence du Haut comité français pour la résilience nationale (HCFRN).

Le HCFRN dispose d'une mine d'informations extrêmement utiles et intéressantes pour enrichir tout ce qui a trait à la défense et, à mon sens, sa base n'est pas suffisamment utilisée. L'une de nos préconisations serait de permettre au HCFRN de partager ses outils avec un plus grand nombre d'acteurs institutionnels. Le HCFRN est composé d'une centaine de personnalités morales issues des services de l'État, de collectivités et d'entreprises. Il propose diverses prestations liées aux enjeux de résilience. Outre la mise à disposition d'études et d'analyses d'experts sur les principales menaces en France et à l'international, il délivre des certifications professionnelles et des labels, notamment pour la gestion de crises. Par exemple, le label destiné aux collectivités locales, « Résilience France Collectivités », comprend près d'une centaine de collectivités, tandis que le label Résilience France Entreprises organise régulièrement des événements d'acculturation à la maîtrise des risques.

Le besoin d'acculturation de notre population sur tous les sujets ayant trait à la défense est ressorti de façon très claire lors de nos auditions. Pour avoir été maire pendant dix ans et présidente d'une intercommunalité, je dois dire que mes plans de sauvegarde communaux n’ont jamais comporté de volet consacré à la défense. Il existe un besoin de culture en la matière. C’est donc l'une des premières propositions que nous mettons en avant.

Une deuxième proposition consiste à décliner la stratégie nationale de résilience dans les territoires. La revue nationale stratégique 2022 détermine dix objectifs stratégiques, dont celui d'une France unie et résiliente. Pour ce faire, elle évoque le besoin de renforcer la capacité de la France à tenir collectivement et en profondeur, et préconise d'étendre la stratégie nationale de résilience aux collectivités territoriales, aux entreprises, aux associations et à la population.

Nous pourrions nous engager sur un important volet de communication. À partir du moment où nous exprimons la volonté de le faire, donnons-nous les moyens d'y parvenir. Une journée nationale de la résilience est organisée une fois par an, mais il semble que personne n'en ait connaissance. Des améliorations sont donc à apporter.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Pour être élue municipale dans une commune rurale du Finistère et conseillère d'agglomération, je confirme que c’est bien à cet échelon que nous souhaitons voir certaines de nos propositions se concrétiser.

Nous proposons d’instaurer un système de conseil de sécurité et de défense locale à l'échelon territorial. En Suède, de tels conseils existent au niveau régional et permettent de débattre, dans un cadre institutionnel, de la protection des fonctions vitales et de l'organisation en cas de crise majeure. Nos collectivités ont l'habitude de collaborer face aux aléas climatiques, ce qui est une bonne chose, mais il y a un véritablement un champ à renforcer sur les enjeux de défense. Cet espace de rencontre réunirait des élus locaux, les services déconcentrés, des représentants entrepreneuriaux notamment des entreprises d'importance vitale, des parlementaires et des représentants militaires. Il s'agirait de se préparer, en temps de paix, à toute éventualité. Plusieurs pays européens s’inscrivent déjà dans une préparation, une planification et une anticipation face à ces enjeux. Il nous semble intéressant que la France y réfléchisse et mette en œuvre un certain nombre de dispositifs en la matière.

Nous proposons également, via le SGDSN, la rédaction d'un nouveau Livre blanc sur la défense. Il ne s’agit aucunement de rouvrir le débat politique autour de la LPM, mais d’établir un cadrage global des nouveaux objectifs stratégiques et opérationnels français. L’idée serait d'inclure à ce livre blanc les objectifs de la politique en matière de défense civile, la planification et l'élaboration de la dimension territoriale de cette politique de défense, par exemple au travers une stratégie territoriale de défense. Cette stratégie s’emploierait à définir clairement le rôle de chaque acteur en cas de crise majeure, notamment les collectivités territoriales, les entreprises et les populations locales.

Par ailleurs, nous proposons d’activer une politique municipale de recensement des citoyens ayant des compétences utiles à la défense nationale. Il ne s'agirait pas seulement des réservistes. Nous suggérons la création d’un fichier respectueux du RGPD pour recenser des individus susceptibles de contribuer efficacement à la continuité de l’activité, tels que les réseaux d'assistantes maternelles, les transporteurs routiers, sanitaires, logistiques, les infirmiers libéraux, les ingénieurs, les travailleurs médico-sociaux, les personnels de l'Éducation nationale, les agents communaux, les entreprises de pompes funèbres, les retraités des armées, les pompiers ou autres retraités civils ayant des compétences particulières. L'objectif est d'optimiser les compétences disponibles et de connaître le vivier local à disposition en cas de crise majeure.

Un maire finlandais que nous avons auditionné a souligné l'importance de maintenir les services publics ouverts, notamment pour l'accueil des enfants et l'accompagnement des personnes âgées ou fragiles. Cette proposition nous semble vraiment intéressante. L'appui sur les entreprises est également crucial, notamment celles des travaux publics, de l'agroalimentaire, des pharmacies, des laboratoires ou des entreprises agricoles.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. Nous pensons que le rôle du correspondant défense pourrait être grandement amélioré.

Un certain nombre de correspondants défenses ont exprimé leur frustration d'être principalement relégués à des tâches mémorielles, sans être suffisamment associés aux autres sujets de défense. Certains nous ont même avoué, en audition, qu'ils ignoraient avoir été désignés comme correspondant défense, sans parler des communes françaises qui n'en ont pas encore désigné. Un véritable travail de reconnaissance est donc à mener à l’endroit de ces correspondants, pour leur donner cette culture et leur permettre de nouer des échanges à un niveau plus élevé. Ils en sont demandeurs et ont vraiment envie de s'engager. Nous sommes convaincues qu'ils pourraient jouer un rôle très important, notamment comme courroie de transmission en cas de dégradation de la situation dans les territoires.

Une autre mesure concerne les entreprises, notamment celles de la BITD. Nous devons aider à constituer une réserve civile industrielle plus conséquente. Nous savons qu'il existe des freins. Lors de nos auditions, plusieurs personnes faisant partie de la défense civile nous indiquaient le faire de manière anonyme, voire cachée, préférant intervenir le week-end ou le soir pour ne pas s'exposer. Un travail spécifique est à faire sur ce point, sachant l’objectif fixé à 3 000 réservistes pour 2030. Il faut que nous puissions travailler main dans la main et encourager la signature de conventions. Les dernières auditions ont été plutôt rassurantes à cet égard, ce qui semble indiquer que les choses évoluent dans le bon sens.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Parmi les mesures fortes, nous estimons crucial de réfléchir à la défense civile, soit un domaine encore mal maîtrisé en France, contrairement à d'autres pays européens. Nous proposons donc la création d'un secrétariat d'État à la défense civile. Ce secrétariat aurait pour mission de planifier et de coordonner les actions de défense civile avec les collectivités, les services de l'État, le monde économique, entrepreneurial et de l'enseignement. L'objectif est de préparer des scénarios de crise majeure à tous les niveaux de la société, tout en laissant la défense militaire se concentrer sur ses missions actuelles. Ce secrétariat diffuserait l'esprit de défense et sensibiliserait aux enjeux de la défense civile.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. Il nous avait demandé d'être audacieuses et j'espère, monsieur le président, que nous l'avons été. Nous nous tenons à votre disposition pour vos questions.

M. le président Thomas Gassilloud. Je tenais à souligner tant l'importance que la qualité de votre travail, qui a mobilisé des chercheurs, des historiens et des élus de terrain, pour connecter nos politiques nationales de défense au territoire.

Le ministère des Armées a présenté de manière pédagogique les investissements de la loi de programmation militaire (LPM) et démontré ses retombées économiques sur les territoires.

Votre rapport offre une nouvelle impulsion pour mobiliser les territoires en matière de défense. Cela inclut des aspects concrets tels que le logement, la petite enfance, l'emploi du conjoint, l'accompagnement de la BITD ou l'acceptation des nuisances, par exemples liées aux champs de tir.

Il s'agit donc de développer un esprit et une culture de défense, par l'organisation de cérémonies mémorielles, par une aide à la compréhension des enjeux géopolitiques actuels et par un soutien moral à nos armées. Il n'y aura pas de réarmement moral de la nation tout entière sans un réarmement moral depuis les territoires.

Dans un pays comme le nôtre, où beaucoup de choses ont été construites autour d’un État réputé « tout pouvoir faire », il est crucial de rappeler que, face aux menaces qui nous guettent et aux stratégies intégrées de nos compétiteurs, notre sécurité repose aussi sur la mobilisation de chacun, notamment dans les territoires.

Votre travail trouvera une déclinaison concrète avec le projet de loi Résilience des entités critiques qui nous sera présenté d'ici l'été et marquera une nouvelle impulsion, essentielle pour notre sécurité.

Je propose maintenant de donner la parole aux orateurs de groupes.

M. Philippe Sorez (RE). Au nom du groupe Renaissance, je vous félicite pour la qualité de votre intervention. J’espère que ce travail contribuera à notre réflexion collective et donnera un nouvel élan aux acteurs des territoires dans le domaine de la défense.

Je souhaitais revenir avec vous sur le rôle de nos réservistes, acteurs majeurs de la protection de notre territoire. L'article 7 de la loi de programmation militaire fixe un objectif ambitieux pour les effectifs de volontaires de la réserve opérationnelle militaire ; de 80 000 en 2030, ce nombre a été porté à 105 000 en 2035. Cet objectif inclut également l'outre-mer, avec une cible d'un réserviste pour deux militaires actifs.

Comment valoriser et ancrer la réserve dans les territoires ? Avez-vous des préconisations à formuler en ce sens ? Avez-vous réfléchi à un maillage territorial, à l'image de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, afin d’enraciner la réserve sur l'ensemble du territoire national et permettre une activation plus efficace en cas de crise locale ?

M. Christian Girard (RN). Au nom du groupe Rassemblement national, je tiens à vous remercier pour ces nombreuses semaines de travail qui nous offrent une photographie précise du rôle des territoires dans la défense nationale.

Nous avons pu constater l'étendue des éléments apportés, allant de l'évolution historique du citoyen-soldat à l'implantation de la BITD dans nos territoires, en passant par le déclin du rôle des parlementaires dans la défense nationale.

Je souhaite toutefois m'arrêter sur quelques points, en précisant d’emblée que notre groupe votera en faveur de ce rapport.

En page 52, vous concluez à la nécessité de repenser le concept de défense civile comme composante d'une défense globale. Selon vous, quels leviers seraient à activer pour atteindre cet objectif et quels sont les obstacles persistants à l'instauration d'une défense civile ?

Votre rapport synthétise 69 propositions pertinentes et réfléchies, mais la question demeure de savoir comment assurer leur pérennité et leur concrétisation. Je pense notamment à l’incitation faite aux collectivités locales de recenser les citoyens ayant acquis des compétences utiles à la défense nationale et/ou en cas de crise majeure, ou à l’intégration d’un volet défense aux plans de sauvegarde communaux et intercommunaux.

Enfin, nous avons été surpris qu’il ne soit fait aucune mention des émeutes de l'été dernier. Même si le maintien de l'ordre public relève de la police nationale et de la gendarmerie, il est évident qu'en cas d'aggravation de la situation jusqu'à un climat insurrectionnel, l'armée pourrait être mobilisée sur le territoire national. Avez-vous discuté de ce sujet avec les personnes auditionnées et pourquoi votre rapport omet-il de mentionner cette hypothèse ?

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Monsieur le président, chers collègues, mesdames, je tiens à souligner la qualité de votre travail.

Concernant la BITD, vous avez très justement souligné que notre pays avait délaissé la filière des armements de petit calibre, munitions comprises, production que nous nous efforçons aujourd’hui – et tant bien que mal – de relocaliser. Ces difficultés résultent d’un manque de pilotage de la part de l'État, qui a laissé les entreprises de défense privilégier leurs profits plutôt que la souveraineté. Les produits à forte valeur ajoutée, bien qu'intéressants, ne suffisent pas à assurer notre défense. De la même manière sur la question cyber, la BITD s’est développée sur les services, soit des activités à plus grand profit, tout en négligeant les infrastructures qui nécessitent des investissements importants.

Dans cette logique de relocalisation industrielle, nous avons la chance d'avoir un fort passé industriel et donc des friches industrielles. Il serait intéressant de créer un partenariat entre le Gouvernement et les collectivités territoriales, principalement les régions, pour identifier des sites propices à ces relocalisations, en tenant compte de leur localisation, des moyens logistiques et de transport.

Enfin, je suis très sensible à la question de la cybersécurité des collectivités territoriales. La crise en Nouvelle-Calédonie, où nous avons subi une cyberattaque de très grande ampleur, a montré qu'une déstabilisation interne pouvait être exploitée par une puissance étrangère pour des actes d'ingérence. Le niveau de sécurité informatique des collectivités territoriales, notamment les plus petites, n'est pas toujours satisfaisant, ce qui les menace individuellement et menace l'ensemble du système, comme le montre l'exemple calédonien.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Concernant les réservistes, l'objectif d'en augmenter les effectifs est issu des débats sur la LPM. À cet égard, il est crucial de travailler avec les entreprises pour convaincre les employeurs de libérer du temps pour que leurs salariés puissent s'engager civiquement. Concernant les réserves, l’unique proposition du rapport est de créer une interface similaire à l'application Minot@ur utilisée par la gendarmerie nationale pour d'autres formes de réserves.

Nous avons voulu explorer l’impact du retour de la conflictualité internationale sur nos territoires et collectivités locales. En matière de sécurité nationale ou civile, il existe déjà de nombreux dispositifs de maintien de l'ordre et de gestion des aléas climatiques. Cependant, en cas de conflit avec des adversaires étatiques et face aux nouveaux types de menaces, nos territoires sont-ils prêts ? Avons-nous vraiment planifié quelque chose ? Il y a un véritable champ d'exploration à ce niveau.

L’idée est d’impliquer les citoyens dans cette réflexion d’une défense à l'échelle du territoire. Pour ce faire, les plans communaux de sauvegarde seraient à consolider davantage. Il pourrait être décidé d’y inclure la perspective d'un conflit ou la menace d'un adversaire, ce qui demanderait de prévoir et planifier, soit une occasion de les mettre concrètement en œuvre. Cette question de la « défense civile », sur laquelle nous avons centré notre réflexion, est à différencier de celles relevant de la « sécurité nationale », une confusion fréquente dans notre pays.

Concernant notre industrie et la perte de souveraineté, je ne peux que souligner l'importance de reterritorialiser nos industries. L’exemple des petites munitions a très justement été évoqué. Il est crucial d’implanter et de réimplanter les entreprises garantissant notre souveraineté et d’évaluer le niveau des infrastructures de nos territoires je pense particulièrement. Je suggère dans cette optique de faire un état des lieux des entreprises sous statut d'opérateur d'importance vitale (OIV). Il est essentiel de consolider ce type d’entreprises touchant aux fonctions vitales et stratégiques de la France. Il nous faut davantage mettre en avant les fonctions vitales de notre pays, parfois oubliées au nom de la rentabilité économique.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. En réponse à M. le député Mathieu, la Direction territoriale de l'industrie et de l'environnement (DTIE) effectue un travail important d'aménagement du territoire et identifie les sites potentiels pour la relocalisation de notre industrie de défense.

Nous avons évoqué les contrats de redynamisation des sites de défense (CRSD) et les plans locaux de redynamisation, qui sont contractualisés entre l'État, les régions et parfois les intercommunalités. Les intercommunalités, compétentes en matière de développement économique, doivent se voir attribuer un rôle dans ce travail. Cela devra se faire de manière concertée, en réunissant tous les acteurs locaux, afin d'éviter des décisions étatiques unilatérales, comme cela a pu être par le passé.

En réponse à M. le député Girard, le volet des émeutes relève davantage de la sécurité nationale que de la défense nationale. En cas d'émeutes majeures néanmoins, nous pouvons nous appuyer sur nos militaires.

Nos propositions visent essentiellement à sensibiliser aux enjeux de la défense, et ce, dès l'école. Nous attendons avec impatience la restitution de la mission sur le cycle de la défense globale de l'Éducation nationale, car nous pensons y retrouver certains des éléments qui ont émergé lors de notre mission, notamment la nécessité d'aborder ces questions dès l'école primaire, au collège et dans les lycées. Les classes de défense méritent d'être encore développées. Un important travail de sensibilisation est à réaliser et c'est tout l'objet de notre mission.

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Je vous remercie et vous félicite pour la qualité de votre rapport.

Au 1er janvier 2024, la France comptait près de 35 000 communes qui constituent un relais primordial pour développer l'esprit de défense au sein de la population. Les maires et les élus locaux jouent un rôle fondamental de proximité en cas de crise majeure et dans la planification de l'organisation de la résilience, qui passe par la mobilisation de l'ensemble des forces vives, y compris les forces armées.

Des correspondants défense assurent ce lien au sein des conseils municipaux. L'objectif de résilience est traité, dans le cadre de la stratégie nationale de résilience, dont neuf des soixante-neuf points concernent les collectivités territoriales. Si la France dispose d'un réseau territorial pour son armée via les délégués militaires départementaux (DMD), ce réseau est peu tourné vers le conseil aux collectivités territoriales et le déploiement de cette stratégie.

Au moment de l'exercice Orion, plusieurs militaires m'ont fait part de difficultés dans la mise à disposition de biens communaux. Votre rapport envisage-t-il de modifier le code de la défense afin d'intégrer la réquisition de biens communaux lorsque des exercices militaires le nécessitent ?

Lors de nos fréquentes rencontres avec les élus, nous constations un problème relatif aux conseils et à la formation sur les enjeux de défense globale. Bien qu'il existe un DMD par département, celui-ci est essentiellement tourné vers les préfets. À votre avis, faudrait-il renforcer les liens entre le DMD et les élus plutôt qu'entre le DMD et les préfets ?

Mme Sabine Thillaye (Dem). Pour ma part, je vous rejoins sur le travail à mener pour renforcer les liens entre l’armée et la nation. Nombreux sont nos concitoyens qui ne rencontrent jamais de militaires au cours de leur vie. En finlande, a contrario, les abris sont intégrés à la vie civile, permettant aux citoyens de s'approprier ces lieux en temps de paix et de ne pas être déstabilisés en temps de crise aigüe.

L'ANSSI, dans son rapport du 27 avril 2024, dresse un panorama des cybermenaces, en identifiant trois principales menaces : les attaquants liés à la Chine, ceux liés à la Russie et l'écosystème cybercriminel global. Il est illusoire de penser que la menace ne concernera pas nos territoires, nos services, nos élus et nos entreprises. Le rapport souligne bien l’augmentation de l'espionnage via les téléphones portables, tant personnels que professionnels, des dirigeants et des équipes de cybersécurité. Malgré cette connaissance, nous restons encore assez légers dans l'utilisation de ces outils. L'ANSSI intervient également au niveau territorial, notamment auprès de nos PME et TPE.

Cette question a-t-elle été évoquée lors de vos déplacements et auditions ? Avez-vous constaté une prise de conscience accrue de ce risque cyber parmi les acteurs locaux, notamment les entreprises et les collectivités locales ? Quelles sont vos recommandations sur le sujet ?

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Je remercie les deux rapporteures pour ce rapport passionnant.

Vous avez noté à raison l'envie des Français de s'engager.

En tant qu'élu local de Vannes, je puis vous dire que le troisième régiment d'infanterie de marine joue un rôle essentiel dans l'appropriation de l'esprit de défense et la compréhension de son métier. Cela peut prendre notamment la forme de passations de commandement au cœur de la ville, des cérémonies mémorielles en dehors de leurs murs et des participations au Téléthon. La visibilité de la présence militaire contribue à la confiance des Français envers les armées et leurs soldats, notamment dans leurs missions de sécurisation et de protection, comme on peut le voir aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie.

L'engagement du ministère des Armées montre une volonté de rapprochement avec le citoyen, à travers les classes de défense, la réserve citoyenne, la réserve opérationnelle et même le service national universel (SNU). Bien qu’il ne soit pas une formation militaire, le SNU contribue à rapprocher les jeunes de la République et des institutions et à leur donner confiance dans les valeurs républicaines.

Votre rapport fait également état d'initiatives permettant l'engagement des citoyens dans la réserve de sécurité civile : réserve communale, réserve citoyenne, réserve opérationnelle, etc. Le fait que ces engagements émanent de différentes organisations, administrations et ministères, provoque une dispersion du volontariat et aboutit à un manque de cohérence dans le pilotage des réserves.

Vous proposez de repenser une défense civile et je partage pleinement votre position. Pourriez-vous nous éclairer sur les moyens requis, notamment humains et de gouvernance, pour une défense civile opérationnelle et efficace ?

Mme Valérie Rabault (SOC). Je souhaiterais revenir sur la défense civile.

Quelles seraient les prérogatives du secrétariat d'État à la défense civile dont vous sollicitez la création ?

Sur le terrain, les situations de la réserve civile varient selon l'appréciation du régiment de rattachement. Souhaitez-vous une architecture plus uniforme et augmenter les interactions opérationnelles sur le territoire ?

Par ailleurs, je souhaitais entendre vos conclusions sur l’engagement des citoyens et des associations en Suède et en Finlande.

Enfin, concernant les champs de tir, mentionnés par le président, afin que les habitants acceptent de telles installations, le ministère doit tenir ses engagements, comme celui de réduire le bruit et de réaliser les travaux promis.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous constatons une réelle volonté de développer la réserve. Je voudrais savoir si des mesures spécifiques seront mises en place pour des citoyens qui, bien que situés dans des territoires éloignés, souhaiteraient s'engager dans la réserve marine.

Ma deuxième question concerne la réindustrialisation et le rôle des territoires dans la défense nationale. Je souhaitais avoir plus de détails sur les initiatives qui seront mises en place et connaître le montant des aides de l'État à la réindustrialisation des territoires comprenant une orientation militaire ou de défense.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. Je me propose d’abord de répondre à notre collègue Bazin-Malgras sur la difficulté de réquisition des biens communaux. Notre rapport a souligné l'importance de lister les personnes prioritaires en cas de dégradation d'une situation quelconque dans la commune, le département ou la région. Il est tout aussi crucial d'identifier les bâtiments vitaux et les infrastructures à protéger, comme de cadrer la problématique de l'eau et des acheminements. Ce travail est extrêmement important. L'identification des personnes, dans le respect du RGPD, doit être effectuée à l'échelle communale, en commençant par les élus. Les maires, notamment, sont les mieux placés pour accomplir ces nouvelles responsabilités. Leur correspondant défense pourrait aussi se voir confier cette mission complémentaire. Il convient aussi de prévoir des mécanismes de réquisition dans des situations exceptionnelles. Même si le code de la défense actuel ne le prévoit pas, nous devons être en mesure d'enclencher de tels mécanismes. Je rappelle que nous avons su le faire lors de la crise Covid, où des dérogations avaient été accordées par le préfet pour autoriser des réquisitions. Si la volonté est là, les moyens suivront.

Une autre question portait sur le rôle des DMD. Les DMD ont un vrai rôle d'animation à jouer, mais il faut leur en donner les moyens. Nos auditions ont révélé une insuffisance de moyens humains et budgétaires et des réseaux encore trop peu structurés. Pour qu'ils jouent pleinement leur rôle, nous suggérons au ministre de leur en donner les moyens dans l’enveloppe budgétaire de 2025.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Je me propose maintenant d’aborder plusieurs points liés à la redéfinition des enjeux de défense civile, en commençant par la question des financements et des moyens disponibles pour organiser cette défense.

Lors de nos déplacements à l'étranger, notamment en Suède et en Finlande, nous avons souvent posé la question du coût. Il faut savoir que la Suède mobilise deux ministères de la défense : le premier pour la défense militaire et le second pour la défense civile. Les Suédois me répondaient avec malice que leur défense militaire leur coûtait 2 % du PIB, tandis que la défense civile représentait les 98 % restants. Ce message souligne que ces politiques sont de nature interministérielle et concernent la société dans toutes ses dimentions. Pour organiser correctement la résilience de notre société, qu'il s'agisse des collectivités locales, des entreprises ou des citoyens, il faut des moyens nouveaux et consolidés au sein des différents ministères.

L'objectif n'est pas de « remilitariser » notre société, mais de s'assurer qu'en cas de conflit ou de menace, chacun puisse jouer un rôle à son propre niveau. Cela suppose une coordination, une planification et un dialogue entre les ministères, comme nous le faisons pour les scénarios d'aléas climatiques dans nos territoires. C'est une nouvelle manière de concevoir notre défense nationale et il est passionnant d'entendre les perspectives suédoises et finlandaises à ce sujet.

En réponse à ma collègue Mme Le Hénanff, nous avons fortement ressenti la grande dispersion des dispositifs. Les collectivités locales se sentent souvent exclues de la réflexion, car nos politiques de défense sont perçues comme régaliennes. Il redevient essentiel d'affirmer que les initiatives de défense peuvent être décentralisées et que nos territoires peuvent s'emparer de ces sujets. Parmi les différents acteurs, l'Éducation nationale joue un rôle clé. Tout dépend du programme que nous voulons insuffler à l'école en matière de défense. Le fait que l'école s'empare de ces sujets constituera une grande opportunité d’appropriation en lien réel des enjeux de défense.

Au niveau des entreprises, nous avons encore observé des efforts significatifs chez des pays voisins. En Suède, les grandes entreprises réinjectent une partie de leurs profits dans du mécénat pour la défense civile. Nous avons rencontré des associations de citoyens promouvant la défense de leur pays. Ces associations, qu'elles soient syndicales, sportives ou religieuses, contribuent – à mesure de leurs capacités – à l'effort de défense. Le mécénat est pratiqué et les entreprises financent la défense civile, ce qui est crucial pour le sens collectif.

En réponse à Mme Thillaye, concernant le volet cyber, il est essentiel de territorialiser la menace cyber. Nous avons auditionné une CCI et il est clairement apparu que nous progressions rapidement dans ce domaine. Nous proposons que l'ANSSI et Viginum soient consolidées dans les territoires, notamment au niveau régional, pour renforcer les conseils de sécurité ou de défense. Ces acteurs doivent se situer au plus près des citoyens face aux menaces de désinformation.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. En réponse sur les réservistes, vous avez mis en exergue une différence notable entre les territoires dotés ou non de bases militaires. En Seine-et-Marne, hormis l'école des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) et Sainte-Assise, nous n'avons pas de base militaire.

Lors de nos auditions, nous avons relevé que les armées étaient souvent présentes dans les forums sur l'emploi et participaient à de nombreux événements liés aux orientations dans les études supérieures. Leur présence démontre leur capacité à offrir des opportunités aux jeunes en recherche d'orientation. Il est donc nécessaire d'améliorer encore la communication et la visibilité de tout ce que les armées peuvent offrir.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. On touche là à la question centrale de l'engagement des jeunes dans notre pays. Il se trouve que de nombreuses bases et sites militaires sont situés dans des zones rurales ou périurbaines, où la question des mobilités est cruciale. Bien que les billets soient remboursés, il est nécessaire de réfléchir aux moyens à mettre à disposition pour accompagner les jeunes. Dans les outre-mer, le SMA est perçu comme utile pour passer son permis de conduire de manière pratique. C'est là une mesure importante qu'il faudrait consolider et valoriser dans les parcours des jeunes, notamment en traduisant cet engagement par des crédits universitaires.

L'aide à la mobilité est un enjeu majeur pour permettre à chacun de se déplacer comme il se doit. Dans mon département le Finistère, très pourvu en bases, traverser la rade de Brest reste un défi. Les transports en commun ne desservent pas les petites communes voisines, même dans les zones très militarisées, créant des situations de blocage en raison des zones blanches de transport.

Une réflexion plus approfondie se devra d’intégrer davantage les collectivités locales aux enjeux de défense, ce qui permettra notamment d’affiner les politiques publiques facilitant l'engagement des jeunes.

Mme Jacqueline Maquet (RE). Les interactions historiques des territoires avec la défense nationale peuvent-elles nourrir notre objectif de revitaliser le rôle des acteurs locaux ? Ceux-ci doivent évoluer dans le contexte d’une défense moderne, faire avec la réduction des installations militaires et l'absence du service militaire national.

Parmi vos nombreuses propositions, quelles sont les trois recommandations susceptibles d’être rapidement intégrées aux collectivités territoriales dans une stratégie de défense nationale ?

M. Hubert Brigand (LR). Depuis la création des préfets de zone de défense, il y a environ quinze ans, leurs missions et attributions se sont considérablement diversifiées. En plus de la défense non militaire et de la sécurité civile, ils sont désormais responsables du maintien de l'ordre public. Traditionnellement centrés sur la gestion des crises et la planification stratégique au niveau local, ces préfets évoluent désormais vers un rôle de gestionnaire de véritables circonscriptions administratives de sécurité intérieure. Il convient de considérer l'ampleur de leurs zones d'intervention, dans un contexte global de réduction massive des effectifs, notamment entre 2010 et 2020, une situation dénoncée par la Cour des comptes.

Mme Nathalie Serre (LR). Je vous remercie pour ce rapport particulièrement inspirant pour nos circonscriptions.

Je tenais d’abord à souligner à mon tour l’importance des correspondants défense. La réunion des correspondants défense autour des sujets du cyber, que j’ai organisée avec l'aide de la gendarmerie, a été un grand succès. Nous tenons là un vrai sujet.

Outre la question financière, les réserves du territoire souffrent surtout d’un manque de coordination, comme nos collègues Parigi et Blanchet l’avaient souligné dans un rapport lors de la précédente mandature. Le financement des réserves demeure un vrai sujet. Les retours que je reçois du monde militaire et des réservistes indiquent que les jours de réserve sont régulièrement divisés par deux, passant de trente-six à dix-huit, pour disposer de plus de personnel. Le financement reste flou.

Enfin, je voulais vous remercier pour la mise en lumière du Haut comité français pour la résilience nationale, que je ne connaissais pas. Pourriez-vous nous en dire un mot ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Monsieur le président, chères co-rapporteures, la défense globale n'a justement de sens que dans nos territoires, tant nous sommes profondément attachés à ce pays que nous voulons défendre. Ce rapport est à cet égard extrêmement précieux.

Madame Thomin, vous évoquiez l'importance d'avoir des correspondants défense dans les communes, les départements et les régions. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

Par ailleurs, avez-vous effectué une cartographie des déserts militaires ? Dans votre réflexion, avez-vous envisagé de redévelopper des emprises militaires dans ces déserts, sachant que beaucoup ont été cédés et ne sont plus sous le contrôle du ministère des Armées ?

Enfin, il y a quelques heures, l'annonce a été faite que la France renonçait à une filière de petites munitions et nouait un partenariat avec FN Herstal. Quelle est votre position sur le sujet ? Pensez-vous acceptable de se satisfaire d'une production stratégique délocalisée à l'étranger ?

M. Yannick Favennec-Bécot (HOR). Je tiens à féliciter nos deux co-rapporteures pour leur rapport.

Je souhaite revenir sur les DMD. Dans mon département, la Mayenne, nous avons eu plusieurs DMD successifs et très impliqués, qui ne se contentaient pas de leur seule relation avec le préfet du département. Les DMD organisaient des manifestations à destination du grand public pour présenter nos armées à nos concitoyens. Avez-vous réfléchi à des actions spécifiques susceptibles d’être organisées par les DMD dans nos départements ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour vos questions. Je dois malheureusement vous quitter, car je dois assister à un événement à l'Assemblée avec la présidente, le chef d'État-major des armées et la secrétaire d'État. Je propose que M. Jean-Louis Thiériot me remplace pour la fin de l'audition, afin de répondre à vos questions, faire voter la publication du rapport et annoncer l'audition à venir sur les enjeux de la France dans l'Otan.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. Je vais répondre sur le HCFRN, les DMD et les correspondants défense.

C’est lors d’une audition, que j’ai découvert le HCFRN, institution souvent méconnue. Il réunit des services de l'État, des opérateurs d'importance vitale, des entreprises et des collectivités locales, offrant ainsi une grande diversité. Son objet est d'aider ses membres à mieux appréhender et implémenter le concept de résilience à différents niveaux. Il dispose à cet effet d'éléments de base de données et de cartographie extrêmement intéressants.

Sur le rôle potentiel de nos DMD et le travail avec les correspondants défense, j'ai la conviction qu'un organisme tel que le HCFRN pourrait participer et distribuer une information utile à tous. En réalité, tout est à construire. Nous procédons au diagnostic et émettons des idées, mais le défi sous-tendant ce rapport est de susciter l'intérêt de notre ministre et de donner l’envie de construire une défense globale.

M. le vice-président Jean-Louis Thiériot. Ma question sur la délocalisation des petites munitions était inopportune. Après vérification, il s'agit d’acquérir des munitions auprès de FN Herstal et de développer en contrepartie une chaîne d'assemblage sur le territoire national. Dès lors, je me félicite de ce partenariat industriel.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. C'était le niveau d'information qui était le mien et la réponse que je souhaitais vous apporter.

Concernant les préfets de zone de défense, lors de deux auditions en particulier, nous avons pu mesurer l’étendue du travail qu’ils effectuaient avec l'ensemble des acteurs locaux dans les territoires.

Sur le rapport entre la jeunesse et l’armée, sachant que 40 % de nos médaillés olympiques sont issus du monde militaire, je suis convaincue que le sport militaire de haut niveau peut être un vecteur de sensibilisation à la culture de la défense de nos forces armées.

Mme Mélanie Thomin, co-rapporteure. Toujours sur les préfets de zone de défense, nous préconisons une meilleure cohérence de nos administrations. Nous souhaitons une meilleure articulation entre la carte militaire et la carte administrative de nos collectivités locales. Par exemple, mon préfet de zone de défense est basé à Rennes, soit à plus de deux heures trente de route de chez moi. Il n'est donc pas un interlocuteur quotidien. Il est crucial de réfléchir à cette question d’une meilleure cohérence des dispositifs pour vraiment rapprocher les enjeux militaires de nos collectivités.

En ce qui concerne l'organisation de notre défense à l'échelle territoriale, notamment le rôle des départements et des régions, il nous semble pertinent de développer les enjeux de défense au niveau départemental. Les départements sont des acteurs majeurs pour la résilience de nos territoires et la coordination avec les préfets. Ils protègent déjà plusieurs fonctions vitales, notamment à travers les SDIS, la gestion des routes et des ports. En matière de défense, ils gèrent des infrastructures essentielles pour anticiper les risques et les conflits.

Certains présidents de région collaborent avec les acteurs économiques pour développer des filières dans l'industrie de défense. Ces programmes, en lien avec la recherche, sont essentiels à l'échelle régionale. Par leur compétence en aménagement du territoire, les régions sont au cœur de notre volonté d'harmoniser la défense sur l'ensemble du territoire national. Elles jouent également un rôle important dans la gestion des infrastructures stratégiques. Par exemple, dans le cadre de la réforme du Zan, il revient aux régions d’identifier les sites d'importance nationale, y compris les sites militaires.

J’en viens à la question du DMD, soulevée par notre collègue M. Favennec. Lorsque nous avons tenté de comprendre leur rôle, une forme de déception s’est emparée de nous. Le fonctionnement n’est pas toujours optimal selon les DMD. Dans le Finistère par exemple, que nous avons eu l'occasion de l'auditionner, le DMD a la chance d'officier dans un territoire très animé en matière de politique de défense. Il a donc matière à travailler, mais pour harmoniser le territoire national, une réflexion approfondie est nécessaire. Peut-être devrions-nous nous inspirer de nos amis suédois, qui distribuent à la population un livret de résilience reprenant tous les éléments essentiels à une population pour faire face aux situations de conflit ou de difficulté majeure, comme la constitution de stocks dans les foyers ? Les DMD peuvent également piloter tous les conseils à donner à la population.

Pour conclure, je voulais partager avec vous l’un des conseils que les Suédois ont inclus dans leur livret et que j'ai trouvé fascinant. La recommandation était encadrée en rouge : « En cas d'invasion de notre pays, ne vous rendez pas à l'ennemi et résistez ». J'ai trouvé cela magnifique.

Mme Patricia Lemoine, co-rapporteure. En d’autres termes, celui qui vous suggère de rendre les armes vous ment. C'est très révélateur de l'état d'esprit des suédois

M. le vice-président Jean-Louis Thiériot. Mes chers collègues, je vous remercie pour ce rapport des plus stimulants. Conformément à l'usage, nous devons soumettre à votre accord la publication de ce rapport.

En l’absence de votes contre et d’abstentions, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport « Défense et territoires : un lien à réinventer ».

 

 

 

 


1

 

   Liste des recommandations des rapporteures

I.   Mesures À destination du monde militaire et de l’État

II.   Mesures À destination des collectivitÉs locales

III.   Mesures À destination des acteurs Économiques et de l’Industrie de dÉfense

IV.   Mesures À destination de la sociÉtÉ civile et du citoyen

 


1

 

   Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteures

(Par ordre chronologique)

 

Auditions

 Institut catholique de Paris Mme Bénédicte Chéron, Maître de conférences en histoire contemporaine ;

M. André Yché, président, ancien pilote militaire, contrôleur général des armées, directeur adjoint de cabinet du ministre de la Défense d’Alain Richard ;

Université Paris NanterreM. Thibaud Mulier, Maître de conférences en droit public, membre du laboratoire de recherche « Centre de théorie et analyse du droit » ;

Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information M. Le Général Emmanuel Naegelen, directeur général adjoint ;

Institut d’études de stratégie et de défense M. Olivier Zajec, directeur et professeur des universités en science politique ;

Association des Maires de France M. Jacques Grandchamp, maire de Publier-Amphion (Haute-Savoie), représentant ;

Dassault Aviation M. Bruno Giorgianni, directeur de Cabinet de M. Éric Trappier ;

M. Tristan Lecoq, inspecteur général d’histoire-géographie, membre de l’Académie de Marine et membre associé de l’Inspection générale des affaires maritimes ;

Institut de recherche stratégique de l’École militaire M. Maxime Launay, chercheur « Défense et société » et M. Florian Opillard, chercheur en géographie et sociologie militaire ;

MBDA France M. Jean-René Gourion, directeur général délégué ;

Naval Group M. Guillaume Rochard, directeur stratégie, partenariats et fusions-acquisitions et Mme Sylvia Skoric, directrice des affaires publiques ;

ArianeGroup M. Hugo Richard, Head of CEO office & Public Affairs;

Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères – M. le lieutenant-colonel Marc-Antoine Brillant, chef du service ;

Secrétariat général des Armées – Mme Sylviane Bourguet, directrice des territoires, de l’immobilier et de l’environnement ;

Secrétariat général des Armées – M. Matthieu Lacaille, délégué régional du ministère des Armées PACA et Corse ;

Groupement de soutien de base de défense – M. le commissaire général (2S) Olivier Averous, chef ;

KNDS/Nexter – M. Alexandre Dupuy, directeur des affaires publiques, de la communication et du commerce France & Europe ;

Gendarmerie pour les Réserves et la Jeunesse – M. Jean-Pierre Gesnot, commandant ;

État-major de l’armée de Terre – M. le général de brigade Jean-Jacques Fatinet, délégué aux Réserves ;

État-major des armées – M. le colonel Thibault de Brébisson, adjoint de la division « cohésion nationale » ;

Secrétariat général de la Garde nationale – M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari, Secrétaire général et secrétaire général du Conseil supérieur de la réserve militaire ;

Direction générale des outre-mer – Service militaire adapté – M. le général de brigade Claude Peloux de Reydellet de Chavagnac, commandant ;

Commissariat des Armées – Direction centrale – M. le commissaire général hors classe Philippe Jacob, directeur central ;

M. le général Laurent Lherbette, commandant des forces aériennes / officier général de la zone de défense Sud-Ouest ;

Association Régions de France – M. Hervé Morin, président ;

Direction générale de l’armement – M. Alexandre Lahousse, directeur de l’industrie et de la défense ;

État-major des armées – M. le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division Emploi ;

Direction générale de la Gendarmerie nationale M. le général de division Frédéric Boudier, général adjoint au major général et M. le général de brigade Salvador Munoz, sous-directeur de l’organisation et des effectifs ;

M. le contre-amiral Geoffroy d’Andigné, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française ;

Haut comité français pour la résilience nationale – M. Christian Sommade, délégué général ;

M. Christophe Abad, Gouverneur militaire de Paris.

 


1

 

   Annexe n° 2 :
DÉplacements des rapporteures

 

1. Déplacements sur le territoire national

 Du 12 au 13 mars 2024 : déplacement à Brest

Mairie de Brest, M. Michel Gourtay, vice-président à l’économie ;

CCI, MM. Jacques Le Failler, président de la délégation de Brest et Thierry Guezennec, directeur de la délégation de Brest ;

Vice-amiral d’escadre, Jean-François Quérat, préfet maritime pour l’Atlantique et commandant de la zone et de l’arrondissement maritimes Atlantique ;

Contre-amiral Cyril de Jaurias, commandant de la Base de défense ;

DMD Finistère, le colonel Fumé ;

Mme Patricia Adam, ancienne députée du Finistère et ancienne Président de la Commission de la Défense nationale et des forces armées ;

Vice-amiral Jacques Fayard ; commandant des forces sous-marines et de la force océanique stratégique (ALFOST)

Naval Group, M. Eric Balufin, directeur de site ;

 

2. Déplacements internationaux

Du 1er au 3 avril 2024 : Déplacement en Suède

Ambassadeur de France en Suède, M. Etienne de Gonneville ;

Commission parlementaire de défense, Riksdag, M. Lars Wistedt, Mmes Hanna Gunnarsson et Sara-Lena Bjälkö, députés ;

Ministère de la Défense, M. Per Bolinder, Directeur de la Défense civile ;

Association Folk & Försvar, Mme Maud Von Heijne, Secrétaire Générale et Mme Karin Abbor-Svensson, Directrice de cabinet ;

Région militaire Centre, M. Magnus Lüning, Commandant ;

Ville d’Uppsala, M. Stefan Attefall, gouverneur d’Uppsala ;

 

Du 11 au 10 avril 2024 : Déplacement en Suisse

Ambassadrice de France en Suisse, Mme Pälvi Pulli ;

Mme Pälvi Pulli, cheffe de la stratégie et de la coopération, secrétaire d’État adjointe pour la politique de sécurité ;

Brigadier Hans-Jakob Reichen, chef d’état-major du commandement des opérations ;

M. Schmid, représentant de l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse) ;

M. Roland Bollin, chef du bureau international de l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP) ;

Délégation parlementaire à la Commission de la politique de sécurité du Parlement, au Palais fédéral ;

M. Charles Juillard, président de la commission, conseiller aux États, Le Centre ;

Mme Isabelle Chappuis, conseillère nationale, Le Centre ;

M. Jean-Luc Addor, conseiller national, Union démocratique du Centre (UDC) ;

M. Fabien Fivaz, conseiller national, Les Verts ;

M. Pierre-Alain Fridez, conseiller national, Parti Socialiste ;

Divisionnaire Claude Meier, officier général en activité, représentant les Centres de Genève dédiés à la politique de paix et de sécurité (GCSP, DCAF et GICHD), le CHPM (Centre d’Histoire et de Prospective Militaires), ainsi que la Société Suisse des Officiers (SSOP) pilote de chasse, breveté du Collège interarmées de défense à Paris ;

Colonel Alexandre Vautravers, Rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS+), Directeur scientifique, Centre d’Histoire et de Prospective Militaires (CHPM) ;

 

 Du 6 au 7 mai 2024 : Déplacement en Finlande

Ambassadrice de France en Finlande, Mme Agnès Cukierman ;

Ministères de la Défense et de l’intérieur :

Mme Karoliina Honkanen, directrice de la Stratégie ;

M. Olli Rusanen, chef du bureau de la politique de défense ;

M. Chistian Perheentupa, Comité de sécurité ;

PIA, association des industries de défense et de l’aérospatial, M. Lauri Kangas et M. Pertti Immonen, ;

M. Anssi Munkki, ancien attaché de défense finlandais à Paris ;

Brigade blindée, Défense nationale, Colonel Petri Toivonen, commandant adjoint de la garnison ;

Brigade blindée, Défense nationale, M. Lasse Lahdenmaa Engineer Major et M. Jukka Järvinen Master sergeant ;

Mairie de Hämeenlinna, M. Olli-Poika Parviainen, maire et Mme Anne Iijalainen directrice RH et préparation.

 


([1]) Yves Lacoste, La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Maspero, Paris, 1976.

([2])  Albrecht Von Wallenstein (1583-1634), était un célèbre entrepreneur de guerre durant la guerre de 30 ans, qui fut au service de l’Empereur romain germanique.

([3]) Dupré d’Aulnay, Traité générale des subsistances militaires, Paris, 1744.

([4]) GALLAND, Olivier et PFIRSCH, Jean-Vincent, « Les jeunes, l'armée et la nation », Les Études du C2SD, novembre 1998.

([5]) BONIFACE, Pascal, La jeunesse et la défense. « Génération Tonton David », Centre d’études en sciences sociales de la défense, décembre 1998.

([6])  Général Benoît DURIEUX, directeur de l’IHEDN, in Esprit défense8.

([7]) Bénédicte CHERON, Note de recherche n°53, IRSEM.

([8]) Cahier français : L’armée dans la société - n°428, Les industries françaises de défense, Benoît Rademacher.

([9]) n°3346.

([10])  Créés en 1987 pour favoriser l’esprit de défense de façon décentralisée, les Trinômes académiques associent, sous l’autorité des recteurs d’académie, un représentant du ministère de l’Éducation nationale, du ministère des Armées et de l’Union des associations d’auditeurs de l’Institut des Hautes Études de la défense nationale (IHEDN).

([11])  Chiffres de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), publiés le 21 novembre 2023.

([12]) Ibid.

([13])  Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 30 mars 2023, n° 468012.

([14])  Chiffres au 1er janvier 2023, selon l’IFRAP (cité supra)

([15])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2324003_compte-rendu#

 

([16])  L’article L2171-1 du code de la défense dispose en effet qu’« en cas de menace actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, sur la protection de la population, sur l’intégrité du territoire ou sur la permanence des institutions de la République », seuls peuvent être mobilisés dans le cadre du « dispositif de réserve de sécurité nationale » les personnels issus « de la réserve opérationnelle militaire, de la réserve opérationnelle de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves de sécurité civile ». Le détail des différentes formes de réserve citoyenne existantes et de leurs caractéristiques peut être consulté en ligne (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34283).

([17])  Ces chiffres sont ceux indiqués sur le site officiel de la Garde nationale ou fournis par les représentants des forces lorsqu’une actualisation ultérieure a été effectuée. Il ne s’agit en tout état de cause que d’ordres de grandeur, les recrutements étant en constante évolution.

([18])  Auditionné par les co-rapporteures de la mission d’information lors de leurs travaux.

([19])  Auditionné par les co-rapporteures de la mission d’information lors de leurs travaux.

([20])  BOEN n°7 du 07/02/2007

([21])  Anne Muxel, Les jeunes et la guerre – Représentations et dispositions à l’engagement, Etude 116, IRSEM, avril 2024

([22])  Mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels, ministère de la transition écologique, juin 2021

([23])  Nicolas Rousselier, La force de gouverner, 2015