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N° 2692

 

——

 

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mai 2024

 

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

 

 

sur la hausse du nombre de refus dobtempérer
et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre
 

et présenté par

MM. Thomas RUDIGOZ et Roger VICOT,

Députés

____


 

 

 

 

La mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre est composée de MM. Thomas Rudigoz et Roger Vicot, rapporteurs.

 

 

 

 


SOMMAIRE

___

Pages

introduction................................................ 9

PREMIère partie : Refus d’obtempÉrer et tirs des forces de l’ordre, deux phÉnomÈnes difficiles À appréhender et À interprÉter

I. LA HAUSSE DES REFUS D’OBTEMPÉrer, UN flÉau qui remet DIRECTEMENT EN CAUSE L’AUTORITÉ DE L’État ET qu’il CONVIENT DE combattre SUR davantage de fronts

A. Les refus d’obtempérer recouvrent différents délits dont la répression pénale a été encore récemment durcie par le législateur

1. Les délits de refus d’obtempérer

a. Le refus d’obtempérer simple

b. Le refus d’obtempérer aggravé

c. La récidive

d. Les refus d’obtempérer sont souvent confondus avec des infractions voisines

2. La répression pénale des refus d’obtempérer a connu des renforcements réguliers et ne nécessite pas de nouvel approfondissement

a. Les renforcements successifs de la répression pénale des refus d’obtempérer

b. Des réformes controversées mais indispensables

B. Des refus d’obtempérer globalement en hausse, particulièrement les plus graves d’entre eux, sans qu’il soit possible d’identifier des causes précises

1. La hausse tendancielle des refus d’obtempérer

a. Une hausse générale et des dynamiques inquiétantes

b. Une contestation et une relativisation de cette augmentation qui sont peu convaincantes

2. Des causes plurielles et très difficiles à identifier

a. La grande diversité des explications possibles et des profils des auteurs de refus d’obtempérer

b. La nécessité de disposer de données qualitatives pour mieux lutter contre ce phénomène

C. UNE réponse qui n’est pas à chercher du côté de l’action des magistrats ou des forces de l’ordre, mais dans un renforcement de la pédagogie et des moyens matériels

1. Les dangers évidents des refus d’obtempérer, notamment pour nos forces de l’ordre

2. Un rejet ferme du prétendu « laxisme judiciaire », même s’il est possible d’agir sur la formation des magistrats et les confiscations de véhicules

a. Il n’y a aucun laxisme judiciaire particulier sur la question des refus d’obtempérer

b. La question des peines complémentaires et notamment de celle de confiscation du véhicule reste toutefois entière

3. Un rejet tout aussi ferme d’une responsabilité des forces de l’ordre du fait de l’augmentation des contrôles, au regard de la doctrine précise et intelligente déployée

4. Renforcer la pédagogie autour des refus d’obtempérer

5. Moderniser les outils dont disposent les forces de l’ordre pour immobiliser les véhicules en toute sécurité

a. Les outils d’ores et déjà à la disposition des forces de l’ordre

b. La modernisation des outils d’immobilisation est une priorité

II. Les tirs sur des véhicules en mouvement, plus difficiles à interpréter, entraînent en tout état de cause des suites administratives et judiciaires

A. L’évolution des tirs depuis une dizaine d’années

1. Les tirs effectués par des policiers ()

2. Dans la gendarmerie ()

3. Des chiffres difficiles à analyser

a. Des tendances qui peuvent être interprétées de façon contrastée

b. Faute de conditions d’exercice similaires, les différences entre la police et la gendarmerie doivent être relativisées

c. Le recensement des tirs ne donne pas en lui-même d’informations sur leur légitimité et doit être en particulier mis en parallèle avec l’évolution des refus d’obtempérer

B. Les suites administratives et judiciaires en cas de tir

1. Les suites disciplinaires

a. L’enquête administrative

b. Le contrôle effectué par l’autorité judiciaire

2. Les suites judiciaires : une enquête pouvant donner lieu le cas échéant à l’ouverture de poursuites

a. L’enquête et les poursuites : un cadre général de droit commun

b. La question de l’opportunité d’un traitement procédural spécifique

3. Des justiciables comme les autres ?

Deuxième partie : les évolutions du cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre

I. avant 2017, la coexistence de deux régimes distincts d’usage de leur arme par les forces de l’ordre, néanmoins rapprochés par la jurisprudence

A. un régime spécifique ancien pour les gendarmes, le régime de droit commun du code pénal pour les policiers

1. Les gendarmes ont longtemps bénéficié d’un régime d’usage des armes qui leur était spécifique

a. Le cadre issu du décret du 20 mai 1903, profondément modifié par la loi du 22 juillet 1943

b. La codification

2. Les policiers inscrivaient quant à eux leur action armée dans les causes d’irresponsabilité pénale du droit commun

a. La légitime défense

b. L’état de nécessité

c. L’ordre ou l’autorisation de la loi et le commandement de l’autorité légitime

B. deux régimes rapprochés par la jurisprudence

1. Une doctrine claire et limitative

2. Des interprétations jurisprudentielles restrictives

C. La loi du 3 juin 2016 : un début d’harmonisation dans les situations de « périple meurtrier »

1. Un « arsenal législatif […] ne permettant pas d’appréhender toutes les situations » ()  dans un contexte de terrorisme

2. Les dispositions de la loi du 3 juin 2016

II. L’harmonisation des conditions d’usage de leur arme par les forces de l’ordre par la loi du 28 février 2017

A. une évolution suscitée par un contexte politique et sécuritaire particulier

1. Des forces de l’ordre sous pression face à la menace terroriste et aux conflits sociaux

2. La réflexion sur l’évolution du cadre légal d’usage des armes

a. La mission dite « Cazaux-Charles » relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure

b. Le refus de la présomption de légitime défense

B. vers l’article L. 435-1 du code de la sÉcurité intérieure

1. Le principe d’un cadre commun aux policiers et gendarmes

2. Sur les conditions d’ouverture du feu, la difficile recherche du juste équilibre tout au long des débats parlementaires

a. Le projet de loi déposé par le Gouvernement

b. Les débats au Sénat : la suppression de la notion d’imminence

c. Les débats à l’Assemblée nationale : une « ligne de crête » ()

C. L’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure : un cadre commun qui intègre explicitement les principales précisions issues de la jurisprudence

1. Les conditions relatives à l’agent

2. Les conditions relatives aux modalités d’usage des armes

Troisième partie : UNE DIVERGENCE QUANT À L’OPPORTUNITÉ D’AMENDER LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL mais une concordance POUR CE QUI CONCERNE L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LA FORMATION DES POLICIERS

I. nonobstant une impossibilitÉ de trancher le dÉbat sur l’existence ou non d’un lien entre la loi de 2017 et l’Évolution du nombre de tirs, des recommandations discordantes sur le devenir du cadre juridique

A. Une controverse sur l’existence d’un lien de causalitÉ entre la loi de 2017 et le nombre de victimes qui affaibliT malheureusement la lÉgitimitÉ des forces de l’ordre

1. Un lien de causalité controversé entre la modification du cadre juridique et l’évolution du nombre de tirs mortels contre les véhicules en mouvement

a. Une étude pointe un lien de causalité direct entre l’évolution du cadre légal d’usage des armes et une augmentation des tirs mortels des forces de l’ordre contre les véhicules en mouvement

b. De nombreux arguments amènent vos rapporteurs à considérer qu’il est difficile de trancher sur la controverse

c. Vos rapporteurs n’entendent ainsi pas trancher le débat sur le lien de causalité entre évolution du cadre juridique et hausse du nombre de tirs et de décès

2. En tout état de cause, cette controverse entraîne une regrettable dégradation de l’image des forces de l’ordre qui doit conduire à un débat plus apaisé

a. Quoi qu’il en soit, les affaires très médiatiques d’usage des armes dans le cadre de refus d’obtempérer contribuent à la dégradation de l’image des forces de l’ordre

b. Sortir d’un débat binaire et politicien est la condition première au rétablissement de la confiance

B. Un désaccord néanmoins sur la potentielle responsabilité de certaines formulations du cadre juridique et donc sur le devenir DE CE DERNIER

1. Le choix d’une modification du 4° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure pour l’un des rapporteurs et du maintien du cadre juridique actuel pour l’autre

a. Pour le rapporteur Roger Vicot, la rédaction actuelle du 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure porte en elle un risque d’ambiguïté

b. Pour le rapporteur Thomas Rudigoz, il convient de ne pas toucher le cadre juridique

2. La question, désormais obsolète, des formulations employées par l’instruction dite « Falcone » qui, conforme au droit, a pu apparaître ambiguë au regard du contexte

a. La lecture des instructions d’application respectives des directeurs de la gendarmerie et de la police conduit à s’interroger sur la maladresse des termes employés par la seconde, pourtant conformes au droit

b. L’importance de cette instruction, désormais abrogée, peut toutefois être relativisée pour se concentrer sur l’opportunité d’élaborer une nouvelle instruction commune

II. des modalités de formation perfectibles, en particulier chez les policiers

A. Des évolutions à saluer et à poursuivre, en particulier en ce qui concerne la formation initiale

1. Après plusieurs années de variations, un réajustement nécessaire de la durée de formation des policiers

2. L’usage du numérique

a. Des outils en plein essor dans la police et la gendarmerie

b. Un développement à poursuivre tout en laissant ces technologies à leur juste place

3. Un souci notable d’ouverture à la société

B. La formation au tir et à l’usage des armes : des obligations réglementaires plus contraignantes chez les policiers, mais moins bien respectées et sanctionnées

1. Le cadre réglementaire : des obligations annuelles de tir différentes

a. Chez les gendarmes

b. Chez les policiers

2. Au sein de la police, des obligations à peine suffisantes et pas toujours respectées

a. Des obligations réglementaires pas toujours respectées

b. Des modalités de formation qui ne permettent pas de reconstituer les conditions réelles d’intervention

3. Des carences qui résultent en particulier de difficultés logistiques et opérationnelles

4. La question de l’après-tir

C. Des conditions de formation plus favorables dans la gendarmerie, qui peuvent constituer une source d’inspiration À dÉfaut de pouvoir être rÉpliquées

1. Le cadre juridique actuel d’usage de l’arme s’inscrit dans une continuité plus évidente avec le cadre historique des gendarmes qu’avec celui des policiers

2. Le statut et la culture militaire des gendarmes constituent des atouts

Travaux de la commission

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Personnes entendues

 


 

Mesdames, Messieurs,

Les travaux de cette mission d’information ont commencé quelques mois seulement après la mort, à Nanterre le 27 juin 2023, du jeune Nahel M., dont le décès fut provoqué par le tir d’un policier, en réaction à un refus d’obtempérer dangereux présumé.

Ils s’achèvent quelques semaines à peine après la mort d’un autre jeune, à Aubervilliers le 13 mars 2024, lors d’une collision entre son scooter et une voiture de police, faisant suite à une course‑poursuite en réponse à un autre refus d’obtempérer présumé.

En outre, quasiment chaque semaine, de nouveaux cas de policiers blessés, parfois gravement, à l’occasion de refus d’obtempérer parvenaient aussi à la connaissance de vos rapporteurs : un policier à Tourcoing le 5 janvier, neuf policiers à Villeurbanne le 10 février, une sous‑préfète et un policier à Metz le 1er mars, un gendarme à Lorient (Saint-Barthélemy) le 9 mars, un policier le 13 mars au Puy‑en‑Velay, un autre à Nice le 19 mars, trois policiers à Val‑de‑Reuil le 1er avril…

Tel est le contexte dans lequel vos rapporteurs ont mené leur travail sur un sujet à l’actualité permanente et mouvante, aux conséquences humaines dévastatrices, dans un contexte médiatique et politique incandescent.

S’il ne s’agit en aucun de cas de comparer les situations, pas plus d’établir un quelconque parallèle entre des faits tous différents par leur nature, leur contexte ou bien entendu leur gravité, ni même d’établir une quelconque responsabilité, vos rapporteurs veulent montrer combien le phénomène des refus d’obtempérer aboutit à des drames infiniment regrettables et qui pourraient, probablement, être le plus souvent évités.

À la suite du décès de Nahel M. susmentionné et des évènements survenus en réaction, vos rapporteurs ont été missionnés par la commission des Lois et notamment son président afin d’analyser, avec le plus grand recul possible, la hausse tendancielle incontestable des refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre dans ce cadre. Au-delà, il s’agit d’évaluer l’impact éventuel de la modification du cadre juridique introduite par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique – souvent qualifiée rapidement de « loi Cazeneuve » – et notamment du 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure qu’elle a créé. Sa responsabilité est, en effet, très souvent pointée du doigt dans les médias ou par des personnalités politiques dans l’évolution du nombre de tirs contre des véhicules en mouvement, notamment du côté des policiers, et plus particulièrement de ceux aboutissant à un décès.

Conscients, dès le départ, d’entamer une réflexion sur un sujet sensible, vos rapporteurs ont peu à peu découvert combien les acteurs, sans aucun doute à l’image de la société, pouvaient être profondément divisés sur le sujet. C’est pourquoi ils se garderont bien, parfois, de trancher des débats sur l’interprétation de données brutes, sans pour autant nier les réalités qu’elles mettent en lumière.

Ainsi, c’est à l’issue d’un travail d’un peu plus de six mois les ayant conduits à mener 45 auditions, dans lesquelles ils ont entendu 90 personnes, et à procéder à deux déplacements, à l’école nationale de police de Roubaix et à Marseille, que vos rapporteurs peuvent désormais partager leur analyse.

Dans une première partie, ils s’attachent, d’abord, à décrire la hausse du phénomène de refus d’obtempérer, dont ils veulent, avec force et sans ambiguïté, condamner l’augmentation tendancielle et son impact sur l’affaiblissement de l’autorité de l’État et des forces de l’ordre. Au commencement de toutes les situations concernées, il y a le refus présumé d’un individu de se soumettre à un contrôle des forces de l’ordre, choix inacceptable, souvent irrationnel, et qui peut s’avérer extrêmement dangereux. Sans prétendre trancher le débat interprétatif sur cette évolution, vos rapporteurs s’attachent à émettre des hypothèses et, sur ces fondements, à proposer de nouvelles solutions en capacité, espérons-le, de renouveler la lutte contre ce fléau.

Le même travail d’analyse est effectué ensuite en ce qui concerne l’évolution du nombre de tirs de forces de l’ordre contre des véhicules en mouvement. Vos rapporteurs constatent avant tout une très grande difficulté pour interpréter ces données. À l’inverse du constat d’une hausse des refus d’obtempérer, partagé par la quasi‑intégralité des acteurs auditionnés et dont les données chiffrées parlent d’elles‑mêmes, l’évolution des tirs des forces de l’ordre divise profondément les acteurs, tandis que les chiffres peinent à illustrer une tendance évidente et pérenne. Pour tordre le cou à l’idée parfois véhiculée selon laquelle les policiers bénéficieraient d’une forme d’impunité, vos rapporteurs présentent les multiples suites administratives et judiciaires qui peuvent accompagner un tir, a fortiori et bien légitimement lorsque celui‑ci aboutit à un décès. Tout en écartant clairement un quelconque aménagement de cette responsabilité ou du traitement judiciaire des forces de l’ordre, ils formulent quelques propositions susceptibles de l’améliorer et notamment de renforcer la confiance entre magistrats et forces de sécurité.

Dans une deuxième partie, vos rapporteurs reviennent d’une manière plus descriptive sur le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre en France et sur son évolution récente. La loi du 28 février 2017 a mis en place un cadre légal unique pour les deux principales forces de sécurité intérieure. Pour autant, les grands principes juridiques de la légitime défense et, surtout, l’encadrement jurisprudentiel très strict dont l’usage de l’arme faisait d’ores et déjà l’objet (autour des notions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité) avaient contribué à unifier les régimes applicables aux policiers et aux gendarmes ; ils permettent de relativiser grandement l’impact juridique concret du nouvel article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure. Cette partie permettra toutefois à vos rapporteurs de revenir sur le contexte d’adoption de la loi du 28 février 2017, qui ne peut être séparé de son analyse politique et juridique, et sur les débats sémantico‑juridiques qui avaient émaillé l’examen du projet de loi au Sénat, puis à l’Assemblée nationale.

En s’appuyant sur ces constats, vos rapporteurs, dans une troisième partie, s’efforceront d’évaluer plus directement l’impact de la loi du 28 février 2017 voire de proposer une évolution de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure. Sans trancher le débat sur l’existence ou non d’un lien de causalité entre le changement de cadre juridique et l’évolution du nombre de tirs contre des véhicules en mouvement et de décès survenus dans ce cadre, vos rapporteurs présenteront chacun en ce qui les concerne leur analyse sur l’opportunité de remettre l’ouvrage sur le métier. Ils se retrouveront néanmoins pour reconnaître que le rôle joué par les instructions données et la formation délivrée aux forces de l’ordre sont les plus déterminants pour l’appropriation du cadre juridique. Constatant des difficultés, voire des lacunes, de ce point de vue, ils formuleront des recommandations concrètes pour améliorer la connaissance, par les agents des forces de sécurité, du cadre légal applicable à l’usage de leur arme.

Prenant toute la distance nécessaire à une analyse dépassionnée, mais sans nier pour autant l’importance sociétale des débats sur lesquels ils étaient appelés à se prononcer, vos rapporteurs auront travaillé pendant plus de six mois en bonne intelligence et sans jamais céder à un quelconque réflexe idéologique ou partisan.

Ils formulent ainsi 23 recommandations pragmatiques, qui pourront contribuer, demain, à une amélioration des relations entre la police et la population, exigence qui est au fondement de notre démocratie et de notre État de droit.

La responsabilité de cette évolution repose toutefois en premier lieu sur les acteurs de terrain, les représentants syndicaux de toutes les professions, les chercheurs, les avocats, les magistrats, les forces de l’ordre et surtout les femmes et les hommes politiques. De ce point de vue, vos rapporteurs font leurs les mots simples mais puissants d’Albert Camus :

« Aujourd’hui, on dit d’un homme : “C’est un homme équilibré”, avec une nuance de dédain. En fait, l’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir ».

*

*     *

 


   PREMIère partie : Refus d’obtempÉrer et tirs des forces de l’ordre, deux phÉnomÈnes difficiles À appréhender et À interprÉter

Avant d’évaluer à proprement parler la si discutée loi du 28 février 2017 dans son volet réformant le cadre de l’usage de leurs armes par les forces de l’ordre, il importe de tenter d’objectiver au maximum les faits en cause.

Les défenseurs de cette loi arguent de son utilité face à la multiplication des refus d’obtempérer, tandis que ses pourfendeurs pointent du doigt une augmentation des tirs des forces de l’ordre. Les uns et les autres usent et abusent des données chiffrées qui les arrangent et écartent celles qui les dérangent, établissent de fermes causalités sur de simples corrélations et font jouer la corde sensible de l’opinion publique, qu’ils prennent systématiquement à témoin.

Tout au long des auditions qu’ils ont menées, vos rapporteurs ont en effet pu expérimenter la véracité du propos de l’économiste et sociologue Alfred Sauvy : « les chiffres sont des innocents qui, sous la sollicitation, sous la torture, avouent très vite ce qu’on leur demande, quitte à se rétracter plus tard » ([2]).

Il est vrai que les deux sujets principaux de la mission d’information, les refus d’obtempérer, d’un côté, et les tirs des forces de l’ordre, de l’autre, sont deux phénomènes particulièrement difficiles à appréhender et à interpréter.

Les refus d’obtempérer, qui répondent à une définition juridique précise, connaissent incontestablement une hausse tendancielle, notamment pour les plus graves. Si l’on ne peut se contenter que d’hypothèses sur les facteurs explicatifs de ce fléau, vos rapporteurs écartent sans hésiter les arguments éculés d’un prétendu laxisme judiciaire, tout comme ceux d’une responsabilité des forces de l’ordre.

La même difficulté d’interprétation se présentera lorsqu’il s’agira d’analyser les tirs des forces de l’ordre sur des véhicules en mouvement. Là encore, une observation quantitative sera rendue possible par les données fournies par les services de police et de gendarmerie, mais il sera bien difficile de la déchiffrer ou de faire l’exégèse d’un lien de causalité avec la hausse des refus d’obtempérer. Vos rapporteurs insisteront en revanche sur les importantes suites administratives et judiciaires pour les forces de l’ordre en cas de tir, mettant en évidence que ces dernières ne bénéficient nullement d’une impunité.

I.   LA HAUSSE DES REFUS D’OBTEMPÉrer, UN flÉau qui remet DIRECTEMENT EN CAUSE L’AUTORITÉ DE L’État ET qu’il CONVIENT DE combattre SUR davantage de fronts

L’augmentation du nombre de refus d’obtempérer constitue l’une des raisons à part entière ayant mené la commission des Lois à créer cette mission d’information. Aucune évaluation objective de la loi réformant le cadre de l’usage de leurs armes par les forces de l’ordre ne peut en effet être envisagée sans tenir compte du contexte, qui est aussi celui d’une hausse constante des cas de refus d’obtempérer, notamment les plus graves d’entre eux.

Tout au long des travaux qu’ils ont menés, vos rapporteurs ont ainsi cherché à appréhender, aussi bien quantitativement que qualitativement, ce phénomène complexe, dont les causes sont multiples et difficiles à cerner. Pour autant, la remise en cause directe et brutale de l’autorité de l’État qu’il implique et le fort impact psychologique, voire parfois physique, qu’il fait peser sur les forces de l’ordre obligent le législateur à agir.

De ce point de vue, un renforcement de la fermeté du cadre juridique a d’ores et déjà été engagé. Peu convaincus par l’argument selon lequel la hausse des refus d’obtempérer s’expliquerait par une réponse pénale prétendument trop faible, vos rapporteurs appellent avant tout à agir sur le plan de la pédagogie et des moyens matériels à la disposition des forces de l’ordre, afin de renforcer la lutte contre ce nouveau fléau qui met en danger nos policiers, nos gendarmes, nos concitoyens.

A.   Les refus d’obtempérer recouvrent différents délits dont la répression pénale a été encore récemment durcie par le législateur

En droit, les refus d’obtempérer renvoient en réalité à deux délits, distincts selon le degré de gravité de l’infraction commise, notamment du point de vue de la mise en danger d’autrui. Le régime des peines applicables à ces délits a été récemment renforcé par le législateur.

1.   Les délits de refus d’obtempérer

Un refus d’obtempérer correspond à l’omission, pour tout conducteur, d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un agent des forces de l’ordre. La loi distingue, depuis 2004 ([3]), le refus d’obtempérer simple du refus d’obtempérer aggravé.

a.   Le refus d’obtempérer simple

L’article L. 233-1 du code de la route définit le refus d’obtempérer simple, sans circonstance aggravante, comme le fait, pour tout conducteur, « (…) d’omettre d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou d’un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité (…) » ([4]).

Le refus d’obtempérer est ainsi un délit d’omission qui s’applique à un conducteur ne s’étant pas arrêté à la suite d’un ordre donné par un agent ou un fonctionnaire dont la qualité était apparente. Il suppose donc une violation intentionnelle des sommations de s’arrêter et que soient caractérisées la connaissance non équivoque, par le conducteur, de l’ordre d’arrêt qui lui a été signifié ainsi que sa volonté de s’y soustraire. Il n’est donc pas constitué lorsque l’autorité publique n’est pas identifiable ou si l’ordre de s’arrêter n’est pas évident.

Le même article L. 233-1 du code de la route réprime ce délit de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Par exception au principe général de confusion des peines ([5]), le II du même article prévoit que la sanction du refus d’obtempérer simple se cumule avec les peines prononcées pour les délits commis à l’occasion de la conduite du véhicule. Ce changement, opéré par le législateur en 2022 ([6]), constitue une avancée fondamentale pour dissuader les conducteurs de commettre des refus d’obtempérer ([7]).

De nombreuses peines complémentaires sont également prévues :

suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus, cette dernière ne pouvant être ni assortie du sursis, ni limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle ;

– travail d’intérêt général ;

– jours-amendes ;

annulation du permis de conduire, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant une durée de trois ans au plus ;

confiscation du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction s’il en est le propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, s’il en a la libre disposition, à la condition que le propriétaire ait été mis en mesure de présenter ses observations aux fins de faire valoir sa bonne foi ;

– confiscation d’un ou plusieurs véhicules appartenant à la personne condamnée ;

– obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière.

Le refus d’obtempérer donne également lieu, de plein droit, à la réduction de la moitié du nombre maximal de points du permis de conduire.

b.   Le refus d’obtempérer aggravé

Le refus d’obtempérer aggravé, inscrit dans le code de la route par le législateur en 2004 ([8]), a pour objet de sanctionner plus sévèrement le refus d’obtempérer lorsqu’il est commis dans des circonstances exposant directement autrui à un risque. Il s’agissait alors déjà pour le législateur de mieux prendre en compte l’évolution de la délinquance et de s’attaquer plus fermement à ceux qui mettent en danger la vie des agents des forces de l’ordre pour tenter d’échapper à leur contrôle.

L’article L. 233-1-1 du code de la route punit ainsi le refus d’obtempérer commis dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, et même de sept ans et 100 000 euros d’amende lorsque les personnes exposées sont des forces de l’ordre.

En sus de celles applicables aux refus d’obtempérer simples, d’autres peines complémentaires sont prévues :

– la suspension du permis de conduire est possible pour une durée de cinq ans au plus, et non de trois ans au plus comme en cas de refus d’obtempérer simple ;

– la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction est dans ce cas obligatoire, sauf décision spécialement motivée du tribunal ;

– interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pour une durée de cinq ans au plus ;

 

– confiscation d’une ou plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, à la condition que le propriétaire ait été mis en mesure de présenter ses observations aux fins de faire valoir sa bonne foi.

Le refus d’obtempérer aggravé donne également lieu, de plein droit, à l’annulation du permis de conduire avec interdiction d’en solliciter un nouveau pendant cinq ans maximum.

Les mesures administratives conservatoires en cas de refus d’obtempérer

En cas de constatation d’un refus d’obtempérer simple ou aggravé, différentes mesures administratives conservatoires peuvent immédiatement être mises en œuvre :

– la rétention du permis de conduire du conducteur (article L. 224-1 du code de la route) ;

– la suspension du permis de conduire, prononcée par le préfet par arrêté à la suite de cette rétention (article L. 224-2 du code de la route) ou lorsqu’il est saisi d’un procès‑verbal constatant un refus d’obtempérer (article L. 224-8 du code de la route). Cette suspension est prononcée pour six mois maximum en cas de refus d’obtempérer simple ou un an maximum en cas de refus d’obtempérer aggravé ;

– l’immobilisation et la mise en fourrière immédiate du véhicule, pour une durée de sept jours, ordonnée par le préfet en cas de refus d’obtempérer simple (IV de l’article L. 233‑1 et article L. 325-1-2 du code de la route).

c.   La récidive

L’article L. 233-1-2 du code de la route prévoit que toute personne coupable d’un refus d’obtempérer simple en état de récidive encourt également la peine complémentaire de confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l’infraction, sauf décision spécialement motivée du tribunal. Une condamnation en état de récidive donne également lieu, de plein droit, à l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant une durée de trois ans maximum.

Dans le cas d’une condamnation pour refus d’obtempérer aggravé commis en état de récidive, la durée maximale d’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis qui accompagne son annulation de plein droit peut aller jusqu’à dix ans.

Par ailleurs, l’article 132-10 du code pénal prévoit un doublement des peines encourues dans le cadre d’une récidive délictuelle en cas de commission, dans un délai de cinq ans, du même délit ou d’un « délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive ». Or, les délits de refus d’obtempérer, simples ou aggravés, sont assimilés par l’article 132-16-2 du code pénal à plusieurs délits prévus par le code de la route : grand excès de vitesse ([9]), conduite sans permis ([10]), en état d’ivresse ([11]) et sous l’emprise de stupéfiants ([12]). Ils sont également assimilés aux infractions d’homicide involontaire ou d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, mais uniquement dans les cas où ces délits constituent le second terme de la récidive ([13]).

d.   Les refus d’obtempérer sont souvent confondus avec des infractions voisines

Le refus d’obtempérer est distinct du délit de fuite. Les articles 434-10 du code pénal et L. 231-1 du code de la route décrivent ce dernier comme le fait « pour tout conducteur (…), sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, de ne pas s’arrêter ». Même si le délit de fuite peut souvent s’accompagner d’un refus d’obtempérer par la suite, les deux infractions sont différentes.

Le fait de diriger son véhicule sur un agent de la force publique, en l’utilisant comme une arme par destination, constitue le délit de violences aggravées sur personne dépositaire de l’autorité publique et non celui de refus d’obtempérer ([14]).

2.   La répression pénale des refus d’obtempérer a connu des renforcements réguliers et ne nécessite pas de nouvel approfondissement

a.   Les renforcements successifs de la répression pénale des refus d’obtempérer

La répression du refus d’obtempérer a été renforcée par trois fois depuis le début des années 2000 : par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, par celle du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et enfin, plus récemment, par la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

● Comme déjà évoqué, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a créé le délit de refus d’obtempérer aggravé.

● La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a notamment :

aggravé une première fois les peines principales encourues en cas de refus d’obtempérer simple. Auparavant, ce délit était sanctionné des mêmes peines que le refus de se soumettre aux vérifications concernant son véhicule, prévu à l’article L. 233‑2 du code de la route. En portant les peines à un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, le législateur a permis que le refus d’obtempérer soit plus durement sanctionné, puisqu’il s’agit d’une infraction plus grave, et qu’il puisse faire l’objet d’une comparution immédiate en situation de flagrance ([15]) ;

– ajouté des peines complémentaires supplémentaires : annulation du permis de conduire ; confiscation d’un ou plusieurs véhicules appartenant au condamné ; stage de sensibilisation.

● Surtout, avec la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, le législateur a notamment :

aggravé de nouveau les peines principales encourues pour les refus d’obtempérer simples à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, ce qui a pour conséquence que tous les auteurs d’un refus d’obtempérer peuvent désormais être jugés en comparution immédiate ([16]) ;

– renforcé plus spécifiquement la protection des forces de l’ordre, en prévoyant que, lorsque le refus d’obtempérer aggravé est commis au détriment de celles‑ci, les peines sont encore plus sévères, celles-ci étant alors portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende ;

– prévu que les peines prononcées au titre du refus d’obtempérer se cumulent sans possibilité de confusion avec celles commises à l’occasion de la conduite du véhicule ;

– renforcé les règles relatives à la récidive en : i) modifiant l’article 132‑16‑2 du code pénal ([17]), de sorte, notamment, que si une personne condamnée une première fois pour certains autres délits routiers commet, dans un délai de cinq ans, un refus d’obtempérer simple ou aggravé, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende soit doublé ; ii) prévoyant, en cas condamnation pour refus d’obtempérer simple en état de récidive, la confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l’infraction (sauf décision spécialement motivée de la juridiction de jugement) et l’annulation de plein droit du permis de conduire avec interdiction de solliciter un nouveau permis pendant trois ans maximum ; iii) prévoyant, en cas de condamnation pour refus d’obtempérer aggravé en état de récidive, l’annulation de plein droit du permis de conduire, avec interdiction de solliciter un nouveau permis pendant dix ans maximum ;

ajouté ou modifié certaines peines complémentaires en cas de refus d’obtempérer simple, en prévoyant que la suspension du permis de conduire ne puisse plus être assortie du sursis ou limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle, et en rendant possible la confiscation du véhicule utilisé par le condamné pour commettre l’infraction ;

– renforcé les mesures administratives conservatoires.

La loi du 24 janvier 2022 et la fin du refus d’obtempérer « rationnel »

L’état du droit antérieur à la loi du 24 janvier 2022 luttait insuffisamment contre les refus d’obtempérer, du fait de deux principaux facteurs :

– la faiblesse relative de la peine principale encourue en cas de refus d’obtempérer simple (alors un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende) comparée à celles encourues, par exemple, en cas de conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants (deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende) ;

– l’absence de possibilité de cumuler la sanction du refus d’obtempérer avec celles prononcées pour les délits commis à l’occasion de la conduite du véhicule.

Cet état de fait créait une situation dans laquelle le conducteur coupable d’un délit routier avait rationnellement intérêt à refuser d’obtempérer. En effet :

– si, malgré ce refus d’obtempérer, le conducteur était tout de suite interpellé et jugé, la peine prononcée l’était sur la base du délit routier pour lequel la peine prévue par la loi était toujours supérieure ou égale à celle attachée au refus d’obtempérer. Le conducteur n’aurait alors pas vraiment été sanctionné pour son refus d’obtempérer, la répression de celui-ci étant, de fait, absorbée par celle de l’infraction principale ;

–  si les forces de l’ordre renonçaient à interpeller tout de suite le conducteur – ce qui arrive, dans les faits, le plus souvent – celui-ci pouvait ne jamais être retrouvé, ou ne l’être qu’au terme d’un délai suffisamment long pour que les éléments constitutifs de l’infraction qu’il tenait à dissimuler aient disparu. Cette situation survenait notamment, par nature, pour la consommation d’alcool ou de stupéfiants. Il n’était alors jugé que pour le refus d’obtempérer, sanctionné à l’époque par une peine moins ferme que s’il avait déféré à la sommation de s’arrêter au moment où il était sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, par exemple.

 La loi du 24 janvier 2022 a mis fin à cette situation, en renforçant les peines encourues pour refus d’obtempérer et en créant un principe de cumul des peines.

Il convient de noter que, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur ([18]), le législateur a envisagé de renforcer de nouveau la répression pénale des refus d’obtempérer. Il s’agissait alors de :

– porter les peines encourues pour refus d’obtempérer simple à trois ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ;

– diminuer les réductions de peine maximales auxquelles peuvent prétendre les personnes condamnées à une peine privative de liberté après avoir commis un refus d’obtempérer, en prévoyant qu’elles ne puissent bénéficier que d’une fraction de quatre mois par année d’incarcération et neuf jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an ([19]).

Ces dispositions ont toutefois été censurées par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial ([20]).

b.   Des réformes controversées mais indispensables

L’utilité de ce renforcement progressif de la répression pénale des refus d’obtempérer n’a pas fait l’unanimité des acteurs auditionnés.

Bien entendu, ce mouvement a été salué par l’ensemble des représentants des forces de l’ordre auditionnés par vos rapporteurs, aussi bien du côté de la hiérarchie que des syndicats de policiers et de gendarmes, puisqu’il contribuerait à dissuader davantage les délinquants. De même, la plupart des syndicats de magistrats ont affirmé que cette augmentation du quantum des peines a permis une prise de conscience accrue, du côté du parquet, de la gravité des faits en cause.

Toutefois, des chercheurs comme Sebastian Roché, des syndicats de magistrats comme le Syndicat de la magistrature ou l’Union syndicale des magistrats, ou encore des représentants d’avocats comme le Syndicat des avocats de France, ont fait part de leurs réserves. Selon eux, le cadre légal réprimant les refus d’obtempérer est d’ores et déjà très répressif et dérogatoire au droit commun à plusieurs titres – notamment sur la question du cumul des peines. Ils estiment que ces durcissements successifs n’ont en aucun cas permis d’endiguer l’augmentation des cas de refus d’obtempérer, et qu’ils relevaient avant tout d’un symbole politique, voire d’un affichage démagogique.

D’autres acteurs, au premier rang desquels la plupart des syndicats de policiers auditionnés, proposent une nouvelle augmentation du quantum des peines encourues afin d’approfondir leur effet dissuasif. Le syndicat Unité magistrats SNM-FO propose quant à lui une augmentation du quantum de la peine encourue pour ce qui concerne le refus d’obtempérer simple de deux à trois ans d’emprisonnement, moins pour rendre la peine plus dissuasive que pour permettre la mise en œuvre d’actes d’enquête aujourd’hui impossibles. Ce rehaussement du quantum, tel qu’envisagé par le législateur dans la loi d’orientation et programmation du ministère de l’intérieur, permettrait notamment au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire, à la requête du procureur de la République, de décider par une décision écrite et motivée, d’effectuer des perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction sans l’assentiment de la personne chez qui elles ont lieu ([21]). Les forces de l’ordre pourraient alors résoudre davantage d’affaires de refus d’obtempérer. En effet, puisqu’elles sont souvent amenées à ne pas poursuivre physiquement les auteurs, reportant leur arrestation à plus tard, la capacité à mener l’enquête est absolument essentielle pour éviter le classement sans suites de l’affaire.

Vos rapporteurs ne peuvent que constater, en effet, que le renforcement de la réponse pénale n’a pas permis de réduire le nombre de cas de refus d’obtempérer. Toutefois, le droit pénal a également une dimension politique et prescriptive, par laquelle une société affirme ses valeurs et précise ce qu’elle accepte et n’accepte pas. L’augmentation continue des refus d’obtempérer a donc rendu un durcissement de la législation pénale incontournable sur ce point. Certaines modifications du droit ont, par ailleurs, été rendues essentielles afin d’éviter le phénomène du « refus d’obtempérer rationnel » ([22]).

Si vos rapporteurs formuleront plus loin une proposition pour ce qui concerne le traitement judiciaire des auteurs des refus d’obtempérer, le cadre législatif actuel, dont la dernière modification remonte donc à janvier 2022, ne leur paraît pas déjà désuet ou dépassé. Aucun des deux rapporteurs n’appelle ainsi à le modifier dans le sens d’un nouveau renforcement.

B.   Des refus d’obtempérer globalement en hausse, particulièrement les plus graves d’entre eux, sans qu’il soit possible d’identifier des causes précises

1.   La hausse tendancielle des refus d’obtempérer

a.   Une hausse générale et des dynamiques inquiétantes

Si l’on observe une relative attrition du nombre de refus d’obtempérer depuis l’année 2021, ce phénomène connaît toutefois, sur une dizaine d’années, une hausse conséquente. Surtout, si l’on observe les données attentivement, des dynamiques inquiétantes se font jour, notamment en ce qui concerne la zone gendarmerie, d’un côté, et la gravité des refus d’obtempérer, de l’autre.

  1.   La hausse générale du phénomène de refus d’obtempérer

● Les données fournies par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) au journal Libération, qui les a mises à la disposition du public sur le site data.gouv.fr ([23]), démontrent une augmentation importante des refus d’obtempérer sur la période allant de 2012 à 2022. Ces chiffres agglomérés, reproduits dans le tableau ci-après, recoupent les tendances et les données transmises par la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).

Évolution du nombre de refus d’obtempÉrer entre 2012 et 2022

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Refus d’obtempérer simples

19 174

19 769

20 925

21 788

21 515

22 792

21 860

22 817

26 589

27 206

25 641

Refus d’obtempérer aggravés

2 520

2 294

2 323

2 776

3 047

3 459

3 185

3 987

4 543

5 247

4 905 

Total

21 694

22 063

23 248

24 564

24 562

26 251

25 045

26 804

31 132

32 453

30 652 ([24])

Source : commission des Lois avec les données du ministère de l’intérieur pour le bilan des infractions, transmises par l’ONISR au journal Libération.

S’il existe, bien entendu, des variations d’une année sur l’autre avec parfois des légers replis, les graphiques ci‑après permettent de constater une dynamique au long cours extrêmement inquiétante. Sur la période 2012-2022, les refus d’obtempérer simples ont ainsi augmenté de 33,7 % et les refus d’obtempérer aggravés de 94,6 %.

Évolution du nombre de refus d’obtempÉrer simples entre 2012 et 2022

Source : commission des Lois avec les données du ministère de l’intérieur pour le bilan des infractions, transmises par l’ONISR au journal Libération.

Évolution du nombre de refus d’obtempÉrer aggravÉs entre 2012 et 2022

 

Source : commission des Lois avec les données du ministère de l’intérieur pour le bilan des infractions, transmises par l’ONISR au journal Libération.

Évolution du nombre total de refus d’obtempÉrer entre 2012 et 2022

Source : commission des Lois avec les données du ministère de l’intérieur pour le bilan des infractions, transmises par l’ONISR au journal Libération.

● L’audition, par vos rapporteurs, de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a permis de mettre en lumière une tendance similaire du côté des passages de vive force pour échapper à un contrôle des agents des douanes.

Évolution du nombre de passages de vive force ET FUITES Dans un vÉhicule ([25])  pour Échapper au contrôle d’agents des douanes entre 2018 et 2023

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Passage de vive force avec poursuite

237

193

259

281

249

214

Passage de vive force sans poursuite

76

74

73

72

79

93

Fuite dans un véhicule avec poursuite

132

159

179

202

153

159

Fuite dans un véhicule sans poursuite

24

29

19

33

42

37

Total

469

455

530

588

523

503

Sources : commission des Lois avec les données communiquées à vos rapporteurs par la DGDDI.

  1.   Des dynamiques inquiétantes sont observables

Une analyse plus fine conduit, par ailleurs, à observer différentes tendances toutes aussi inquiétantes.

● En premier lieu, et contrairement à une idée reçue, la zone gendarmerie est de plus en plus touchée.

Ainsi, si la part de refus d’obtempérer constatés en zone police est toujours plus importante (environ 60 % des cas) que celle de ceux constatés en zone gendarmerie (environ 40 % des cas), la DGPN a indiqué à vos rapporteurs remarquer une relative stabilité des infractions annuelles constatées pour refus d’obtempérer depuis quelques années.

Depuis 2016, les infractions pour refus d’obtempérer en zone police représentent ainsi environ 15 000 faits annuels : 14 820 infractions en 2022, contre 15 328 en 2016 (soit une baisse de 3,3 %).  Une tendance à la baisse est même enregistrée en 2022 par rapport à 2021 : ainsi, 15 684 faits avaient été constatés en 2021, et l’année 2022 a donc connu une baisse assez sensible de 5,5 %. Cette tendance semble être confirmée par les premières données sur le premier semestre 2023, qui montrent une nouvelle baisse de 1,7 %, le nombre de faits ayant été ramené à 7 530, soit un peu moins que les 7 402 faits constatés au premier semestre 2022 ([26]).

Cette baisse est plus récente pour ce qui concerne la gendarmerie. En dehors d’une légère diminution des faits constatés entre 2017 et 2018, le nombre de refus d’obtempérer est en constante augmentation entre 2012 et 2021, jusqu’à atteindre un pic à 14 158 en 2021. Néanmoins, là aussi, une baisse assez nette est amorcée, puisque le nombre de refus d’obtempérer constatés a diminué de 6 % en 2022 par rapport à 2021 et de 8,5 % au premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022 (6 139 faits contre 6 712) ([27]).

Pour autant, la tendance sur plus longue période demeure à l’augmentation des refus d’obtempérer constatés, et celle qui est survenue entre 2012 et 2022 a été beaucoup plus importante en zone gendarmerie (+ 55,9 %) qu’en zone police (+ 32,5 %).

● En second lieu, on constate une augmentation de la part des refus d’obtempérer aggravés qui sont, pour mémoire, ceux qui mettent en danger l’intégrité physique d’un individu.

Outre la hausse plus conséquente des refus d’obtempérer aggravés par rapport aux refus d’obtempérer simples sur la période 2012‑2022 déjà évoquée précédemment, il apparaît aussi que la part des refus d’obtempérer aggravés dans le nombre total de constatations de ces délits augmente. Si ces refus aggravés représentaient 11,6 % de l’ensemble des refus d’obtempérer en 2012, cette proportion a atteint 16 % en 2022.

La visite de vos rapporteurs à Marseille a été particulièrement éloquente sur ce point. Ainsi, si l’on constate une diminution, entre 2022 et 2023, du nombre total de refus d’obtempérer constatés dans la ville, passant de 1 222 à 1 043 cas ([28]), le nombre de policiers blessés est passé, sur la même période, de 59 à 76.

Ainsi, malgré ce qui semble être l’amorce d’une décrue, la dynamique des refus d’obtempérer demeure celle d’une hausse et d’une aggravation, notamment pour les plus dangereux d’entre eux. Ce phénomène inacceptable et dangereux tend, de fait, à se diffuser dans notre pays, ce qui est inquiétant. Ainsi, un refus d’obtempérer constaté par un policier ou un gendarme aurait lieu toutes les 17 minutes en France.

b.   Une contestation et une relativisation de cette augmentation qui sont peu convaincantes

● Certaines personnalités auditionnées par vos rapporteurs ont pu remettre en cause le principe même de la hausse du phénomène des refus d’obtempérer, ou relativiser son ampleur.

C’est notamment le cas du sociologue Sebastian Roché, qui a affirmé que les données disponibles :

– se heurteraient selon lui à « l’absence de matérialité de ce délit ». La constatation de l’infraction correspondrait en réalité à une « appréciation subjective » de l’agent vis-à-vis d’un comportement ;

– ne permettraient pas d’identifier une hausse du nombre de refus d’obtempérer. Il n’existe pas, selon lui, de preuve de la « sincérité » des chiffres. Par ailleurs, une géographie des contrôles et des refus d’obtempérer serait a minima nécessaire pour tenter d’identifier les causes et voir s’il existe une corrélation entre les deux ;

– pourraient avoir de nombreuses autres explications, parmi lesquelles, possiblement, une médiatisation plus importante et une transformation de la sensibilité des agents des forces de l’ordre, qui en viendraient ainsi à rapporter davantage ces délits.

● L’ensemble des auditions menées, des rencontres effectuées et des données communiquées amènent vos rapporteurs à s’inscrire en faux contre ces propos.

En premier lieu, l’ensemble des représentants syndicaux de forces de l’ordre auditionnés, les policiers rencontrés, sur le terrain, lors d’un déplacement à Marseille mais aussi certains syndicats de magistrats et le procureur de la République de Marseille ont affirmé à vos rapporteurs qu’il existait en réalité, à l’inverse de ce qui est avancé par Sebastian Roché, un « chiffre noir » des refus d’obtempérer. Les policiers et les gendarmes, confrontés de plus en plus régulièrement à ce phénomène, ne les relèvent plus tous :

– par lassitude et parce qu’ils se concentrent sur les plus dangereux ;

– en raison de la lourdeur de la procédure, qui nécessite un retour au service et la saisie d’un procès‑verbal, très chronophage pour les agents ;

– parce que de très nombreux signalements de refus d’obtempérer restent bloqués au stade de l’enquête, au regard de leur nombre et de la nécessité, là encore, de se concentrer sur les délits les plus graves.

Ainsi, en dehors sans doute des refus d’obtempérer aggravés, qui sont bien sûr systématiquement constatés, le nombre de refus d’obtempérer simples serait, en réalité, davantage sous-évalué que surévalué.

Ensuite, s’il est vrai qu’une certaine attrition du nombre de refus d’obtempérer est constatée depuis 2021, il faut tout de même relever que le niveau de 2022 demeure très largement supérieur à celui constaté tout au long des années 2010. Certes, le nombre total de refus d’obtempérer constatés par les policiers et les gendarmes en 2022 (30 652) est inférieur à ceux de 2021 (32 453) et 2020 (31 132), mais il demeure bien supérieur à ceux relevés entre 2016 et 2019 par exemple (respectivement 24 652, 26 251, 25 045 et 26 804). Des baisses, d’une année sur l’autre ou même sur plusieurs années, ont d’ailleurs pu, déjà dans le passé, être constatées sans que cela ne remette en cause la tendance de fond. Les niveaux de 2020 et 2021 peuvent constituer des pics liés à une certaine désinhibition suivant les périodes de confinement, ou à une reprise rapide du trafic de drogue.

Vos rapporteurs considèrent toutefois que la précision des données gagnerait, en effet, à être améliorée ; cette amélioration devrait concerner moins leur aspect quantitatif que leur aspect qualitatif. Ils y reviennent plus loin dans le présent rapport ([29]).

2.   Des causes plurielles et très difficiles à identifier

a.   La grande diversité des explications possibles et des profils des auteurs de refus d’obtempérer

Si vos rapporteurs observent donc bien une hausse du phénomène, il leur est, en revanche, très difficile d’en identifier les causes réelles avant tout, car elles sont, bien entendu, plurielles. La faiblesse des données qualitatives est un problème unanimement souligné par les acteurs auditionnés.

Différentes causes plausibles ont toutefois été mises en avant durant les auditions menées par vos rapporteurs :

– l’augmentation de la commission de délits routiers connexes et donc de la volonté d’échapper aux contrôles. De nombreux auteurs finalement interpellés à la suite d’un refus d’obtempérer étaient en effet en situation d’infraction au regard du code de la route : conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, absence de permis, défaut d’assurance, ou encore défaut de contrôle technique. Cette explication fait plutôt l’unanimité des acteurs auditionnés et a été documentée ([30]) ;

L’augmentation massive du défaut d’assurance

Lors de son audition par vos rapporteurs, la déléguée interministérielle à la sécurité routière, la générale de brigade Florence Guillaume, a souligné une hausse massive des infractions pour défaut d’assurance, dont le nombre est passé d’environ 50 000 en 2017 à plus de 200 000 en 2022.

Trois principales explications ont été avancées par la déléguée interministérielle :

– le mauvais calcul financier des contrevenants, qui considèrent que le paiement d’une assurance mensuelle leur reviendrait plus cher que le coût d’un accident de voiture, fut‑ce avec dommage aux tiers ;

– un manque « d’éducation assurantielle » plus large en France ;

– un « comportement général de transgression ».

Par ailleurs, bien entendu, le phénomène de précarité et le manque de moyens financiers expliquent aussi pour partie les défauts d’assurance.

Les policiers et gendarmes rencontrés à Marseille ont confirmé cette multiplication du nombre de conduites sans assurance.

– le coût du permis de conduire, la création du permis à point ([31]) et les conséquences socio‑économiques désastreuses que peut représenter le retrait du permis de conduire sont aussi souvent mis en avant ;

– l’augmentation du trafic de stupéfiants et notamment le développement de la technique dite du go fast ([32]) ;

– un taux de récidive croissant pour ces délits, explication notamment mise en avant par le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale. Les données communiquées à vos rapporteurs par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice font toutefois état d’un taux de récidive stable, aux alentours de 12 % ([33]) ;

– en raison d’une prétendue faiblesse de la réponse judiciaire, argument essentiellement mis en avant par certains syndicats de policiers comme Alliance ou UNSA Police, sur lequel vos rapporteurs reviennent en détail plus loin dans le rapport ([34]) ;

– une volonté croissante de transgresser et de défier l’autorité de l’État que les forces de l’ordre représentent, dans une dynamique croissante d’affrontement avec les policiers et les gendarmes, argument surtout mis en avant par les syndicats de policiers, leur hiérarchie, mais aussi la plupart des syndicats de magistrats auditionnés ;

– un « effet de mode » et un impact des jeux vidéo sur les jeunes, où l’affrontement avec la police est présenté positivement ;

– la hausse des contrôles routiers, aboutissant mécaniquement à une hausse des refus d’obtempérer à ces contrôles.

 

La difficile analyse du lien entre la hausse des contrôles routiers et l’augmentation du nombre de refus d’obtempérer

Plusieurs chercheurs, mais aussi le Syndicat des avocats de France, estiment que la hausse du phénomène de refus d’obtempérer est avant tout due à l’augmentation du nombre de contrôles routiers effectués par les forces de l’ordre.

C’est notamment ce qu’a affirmé Sebastian Roché devant vos rapporteurs mais aussi le chercheur Mathieu Zagrodzki, du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), qui insiste notamment sur l’augmentation des contrôles antidrogues.

Il est vrai que les données mettent en évidence une augmentation des dépistages pour usage de stupéfiants, singulièrement en zone gendarmerie (+ 364,3 % entre 2015 et 2022, passant de 145 000 à 673 226), mais aussi en zone police (+ 125 % entre 2016 et 2022, passant de 45 818 à 103 101).

Les dépistages d’alcoolémie connaissent cependant quant à eux une forte baisse (‑ 17,4 % en zone gendarmerie entre 2014 et 2022 et ‑ 46,6 % en zone police entre 2016 et 2022). Ce chiffre augmente toutefois depuis 2020 (environ + 12,5 % pour la police et la gendarmerie entre 2020 et 2022), ce qui peut s’expliquer par le niveau historiquement bas du nombre de dépistages en 2020 dans le contexte de la pandémie de covid-19.

De même, pour ce qui concerne le nombre global de contrôles routiers, les chiffres semblent à l’inverse illustrer une baisse de leur nombre. C’est par exemple le cas pour les policiers de la sécurité publique, en première ligne de ce point de vue. Ainsi, d’après Philippe Tireloque, directeur adjoint de la direction nationale de la sécurité publique (DNSP) auditionné par vos rapporteurs, le nombre de contrôles routiers effectués par les policiers relevant de sa direction est en baisse du fait du développement de la vidéoverbalisation et des contrôles automatisés, notamment sur la vitesse. Ils étaient de 348 000 en 2022 contre 600 000 en 2012.

La DGGN a, quant à elle, indiqué à votre rapporteur que le nombre de contrôles routiers effectués par les gendarmes était « stable ».

Établir une corrélation, ou pire encore une causalité, sur ce sujet, dans un sens comme dans l’autre, apparaît ainsi extrêmement difficile.

Si les causes qui pourraient expliquer les refus d’obtempérer sont ainsi plurielles, c’est aussi le cas des auteurs, dont les profils sont extrêmement divers. Les représentants des policiers et gendarmes auditionnés, ainsi que ceux rencontrés lors du déplacement à Marseille, ont particulièrement insisté sur ce point. Les refus d’obtempérer peuvent aussi bien être commis par des personnes qui paniquent, par un individu lambda qui n’a pas d’assurance ou qui n’a pas effectué le contrôle technique de son véhicule, que par un trafiquant dont la voiture contient une grande quantité de drogue, ou par un multirécidiviste qui veut défier l’autorité des forces de l’ordre, voire s’en prendre directement à eux.

b.   La nécessité de disposer de données qualitatives pour mieux lutter contre ce phénomène

Les données concernant les refus d’obtempérer n’offrent en effet aucune analyse qualitative. Il n’existe donc pas de données consolidées qui soient en mesure de nous permettre d’isoler les causes de l’augmentation des refus d’obtempérer et donc de mieux orienter la lutte contre ce fléau.

La seule étude précise sur le sujet dont vos rapporteurs ont pu avoir connaissance durant leurs travaux a été menée par la DGGN et s’arrête avant tout sur le contexte. Menée à partir d’un échantillon de 100 refus d’obtempérer enregistrés en zone gendarmerie entre le 24 septembre et le 23 novembre 2023, cette étude permet de montrer que plus de 86 % des véhicules impliqués sont des véhicules légers et utilitaires (14 % de deux-roues), que les faits se déroulent davantage au cours de la nuit (56 %), et que si dans 56 % des cas, les individus ayant refusé d’obtempérer n’ont pas été interpellés au moment des faits, les immatriculations sont majoritairement connues par les gendarmes (85 %), même si certains véhicules affichent de fausses plaques d’immatriculation.

L’ancien directeur général de la gendarmerie nationale, Richard Lizurey, a également beaucoup insisté, lors de son audition, sur cette nécessité de disposer de données plus précises sur les auteurs et les mobiles des refus d’obtempérer. Il a déploré un manque de « granularité » des données et des travaux des chercheurs.

Bien entendu, vos rapporteurs, éclairés par plusieurs mois de travail sur le sujet, sont enclins à écarter certaines explications et le feront clairement plus loin dans le rapport. Pour autant, ils rejoignent l’unanimité des acteurs auditionnés et souhaitent que le phénomène de refus d’obtempérer soit davantage objectivé. Ils appellent ainsi au recueil systématique de données qualitatives sur les causes des refus d’obtempérer et les profils de leurs auteurs.

Recommandation n° 1 : Mener un travail d’analyse qualitative des causes des refus d’obtempérer et des profils de leurs auteurs. Pour ce faire, les forces de l’ordre devront rédiger davantage de commentaires lors de la constatation d’un refus d’obtempérer, et les magistrats devront s’intéresser davantage au mobile de l’infraction au moment du jugement. Sous l’égide des DGPN, DGGN et DACG a minima, ce recueil de données qualitatives devra ensuite donner lieu à la remise, par le Gouvernement, d’un rapport annuel précis au Parlement, comprenant l’ensemble des statistiques permettant de mieux cerner les causes des refus d’obtempérer.

C.   UNE réponse qui n’est pas à chercher du côté de l’action des magistrats ou des forces de l’ordre, mais dans un renforcement de la pédagogie et des moyens matériels

Malgré le manque de données objectivées et la nécessité de disposer de davantage d’éléments qualitatifs, le travail de vos rapporteurs les a rapidement conduits à écarter certaines hypothèses, sur le fond ou par principe. Ainsi, l’argument selon lequel la justice serait laxiste sur ce sujet ne résiste pas à l’épreuve des faits. De même, vos rapporteurs n’entendent évidemment pas remettre en cause la politique d’augmentation des contrôles routiers, notamment en matière de stupéfiants, parce qu’ils sont attachés à une lutte résolue pour la sécurité routière et parce que force doit toujours rester à la loi. Ils ont d’ailleurs pu apprécier sur le terrain que la doctrine appliquée lors des contrôles routiers était avant tout axée sur la sécurité des personnes.

Pour autant, vos rapporteurs, déjà conscients du danger représenté par la hausse des refus d’obtempérer, ont été encore davantage sensibilisés à cette question tout au long de leur travail. Ils appellent alors à agir résolument contre ce phénomène, par un travail de pédagogie et d’augmentation des moyens matériels à la disposition des forces de l’ordre.

1.   Les dangers évidents des refus d’obtempérer, notamment pour nos forces de l’ordre

Même si certains ont pu, hélas, relativiser partiellement la gravité des refus d’obtempérer, il y a naturellement eu une quasi-unanimité des acteurs auditionnés pour condamner ce phénomène et sa dangerosité, notamment pour les forces de l’ordre.

Du point de vue de la population générale, l’accidentalité liée aux refus d’obtempérer est évidemment relativement faible au regard des autres causes d’accidents. La déléguée interministérielle à la sécurité routière a indiqué à vos rapporteurs que 48 accidents liés à un refus d’obtempérer ont été recensés en 2022. Ce nombre est stable depuis 2012, autour d’une cinquantaine par an. Ces accidents ont occasionné 6 morts et environ 80 blessés en 2022. Le nombre de morts est donc faible selon Florence Guillaume : il était au minimum de 1 pour l’année 2018 et au maximum de 9 pour l’année 2013 ([35]). Il n’en demeure pas moins qu’il nous appartient de lutter contre toutes les formes de dangers sur la route.

Les forces de l’ordre sont en revanche particulièrement exposées, comme en témoignent les chiffres qui ont été communiqués à vos rapporteurs.

Du côté de la gendarmerie nationale, si le nombre de gendarmes blessés ou décédés en service à la suite d’une situation de refus d’obtempérer n’est pas spécifiquement recensé, les « agressions avec véhicule », c’est-à-dire lorsqu’un véhicule fonce délibérément en direction d’un militaire, sont comptabilisées ([36]). Ce sont en moyenne 170 gendarmes qui sont ainsi blessés chaque année. 3 gendarmes sont par ailleurs décédés dans ce cadre entre 2013 et 2022.

 

NOMBRE DE GENDARMES Décédés ou blEssés à la suite d’une agression avec véhicule

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre d’agressions avec véhicule

278

319

383

438

380

399

380

500

404

350

Nombre de gendarmes décédés à la suite d’une agression avec véhicule

0

0

0

1

0

1

0

1

0

0

Nombre de gendarmes blessés à la suite d’une agression avec véhicule

128

149

154

204

182

193

223

234

148

163

Source : commission des Lois avec les réponses écrites de la DGGN à vos rapporteurs.

Du côté de la police nationale, depuis 2013, sont recensés un total de 8 policiers décédés ([37]) alors qu’ils intervenaient dans le cadre d’un refus d’obtempérer.

Du côté des agents des douanes, les chiffres de blessés qui ont été communiqués à vos rapporteurs sont également impressionnants.

AGENTS DES DOUANES blEssÉs À l’OCCASION D’UN REFUS D’OBTEMPÉrer

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Passage de vive force avec poursuite

20

24

32

43

50

25

Passage de vive force sans poursuite

3

7

7

4

1

1

Fuite dans un véhicule avec poursuite

11

27

9

19

12

8

Fuite dans un véhicule sans poursuite

1

1

1

2

0

4

Total

35

59

49

68

63

38

Source : commission des Lois avec les données communiquées à vos rapporteurs par la DGDDI.

Derrière ces chiffres, il y a des réalités humaines. Les refus d’obtempérer sont une source importante de danger pour l’intégrité physique des gendarmes et des policiers, pour qui le risque est permanent. Au fil de leurs rencontres, vos rapporteurs ont pu constater l’angoisse que font peser ces refus d’obtempérer sur nos forces de l’ordre. De ce point de vue, la distinction entre refus d’obtempérer simple ou dangereux, évidente d’un point de vue juridique, a pu être contestée par certains représentants des forces de l’ordre. Sur le terrain, le refus d’obtempérer simple peut rapidement tourner au dangereux. Surtout, il est difficile d’identifier à première vue la différence entre l’un et l’autre, sauf à ce que l’on soit dans le cadre d’une agression par véhicule. Les circonstances des refus d’obtempérer au cours desquels des policiers ou gendarmes sont blessés, illustrées ci‑après avec l’année 2023, témoignent de la violence des situations auxquelles les forces de l’ordre sont confrontées et des conséquences qui s’en suivent pour eux.

Circonstances particulières des situations de refus d’obtempérer où des policiers ou gendarmes ont été blessés en 2023

En ce qui concerne les gendarmes (liste exhaustive) :

Dardilly : Lors d’un contrôle routier, le conducteur d’un véhicule refuse d’obtempérer et fauche le militaire placé en appui du dispositif. Arrêt de travail (AT) : 127 jours ; Interruption temporaire de travail (ITT) : 45 jours

Matoury : Lors d’une mission de lutte contre les rodéos moto, les militaires tentent de contrôler un cyclomoteur. Ce dernier refuse d’obtempérer et percute un militaire. AT : 109 jours 

Saint‑Aubin‑de‑Blaye : En service police route, les militaires tentent de contrôler le conducteur d’un véhicule léger connu pour des délits routiers, et qui est stationné sur un parking de supermarché. Le conducteur n’obtempère pas et prend la fuite à bord de son véhicule léger, à cette occasion il percute et roule sur la jambe de l’un des militaires. Interpellé et placé en garde à vue. AT : 115 jours

Avallon : Suite à un refus d’obtempérer, le mis en cause percute volontairement l’arrière du véhicule gendarmerie. AT : 11 jours ; ITT : 3 jours

Mont‑de‑Marsan : Suite à un refus d’obtempérer, le mis en cause (en moto) percute la main gauche du militaire. AT : 18 jours 

Matoury : Le militaire s’écarte suite à un refus d’obtempérer, trébuche dans le fossé et se blesse au genou. AT : 15 jours 

Labouheyre : L’auteur d’un vol de moto-cross refuse d’obtempérer aux injonctions d’arrêt des militaires sur un dispositif d’interpellation. Il percute un militaire. AT : 13 jours 

Roybon : Contrôlé à 137 km/h, l’individu refuse de s’arrêter, puis lors d’une manœuvre de dégagement roule sur le pied du militaire et prend la fuite. AT : 18 jours ; ITT : 10 jours

Vesoul : De mission police route, les militaires s’apprêtent à contrôler un motard. Ce dernier ralentit puis accélère et percute le militaire. Le mis en cause perd le contrôle et finit dans le véhicule léger de la gendarmerie. AT : 29 jours ; ITT : 28 jours

Perigueux : En mission de contrôle administratif de lutte anti-fraude dans le quartier Sandy Ground, le militaire est percuté par un individu conduisant un scooter refusant le contrôle qui prend la fuite. AT : 174 jours ;  ITT : 120 jours

Vierzon : Suite à plusieurs refus d’obtempérer, le mis en cause s’engage dans un carrefour et accélère à hauteur du militaire, qui lui demande de s’arrêter. Le militaire s’écarte, chute et fait usage de son arme. Le véhicule léger finit par s’arrêter à plusieurs centaines de mètres, pneus crevés par l’usage de stop sticks. AT : 8 jours 

Thiers : Un individu à moto-cross refuse de s’arrêter à la demande de la patrouille. Lors de l’interpellation, un militaire perd l’équilibre, chute et se blesse à la main gauche. AT : 44 jours 

En ce qui concerne les policiers (liste non exhaustive) :

Thonon-les-Bains : après un refus d’obtempérer faisant suite à une tentative de contrôle pour vitesse excessive, le fuyard s’engouffrait dans une impasse et enclenchait une marche arrière, percutant par deux fois, il percutait le véhicule où se trouvaient deux policiers. ITT : 1 jour.

Circonscription de sécurité publique de Freyming-Merlebach (Moselle) : À la suite d’un refus d’obtempérer, le conducteur percutait le brigadier, lui roulait sur le pied gauche et lui coinçait violemment la jambe gauche contre un mur. Le policier souffrait d’un traumatisme du bassin, de la hanche gauche, du genou gauche et du pied gauche.

Direction interdépartementale de la police nationale 38 (Isère) : Lors d’un contrôle routier, un fonctionnaire de police est renversé par une voiture, le conducteur ayant enclenché la marche avant et fonçé délibérément sur l’intéressé, le heurtant violemment au niveau des jambes. Il parcourait une dizaine de mètres avec l’agent sur le capot, jusqu’à ce que celui-ci passe par-dessus le toit et retombe au sol. Le fonctionnaire de police était blessé à la jambe droite et à la jambe gauche (fractures) ainsi qu’au bassin (fracture). ITT : en cours de détermination.

CRS autoroutière de Moulins : Lors d’un contrôle routier, alors que les fonctionnaires lui font signe de s’arrêter, le conducteur accélère et percute violemment un des fonctionnaires et lui roule sur les jambes. Le policier souffre d’une fracture par écrasement de la fibula, de dermabrasions à la malléole interne droite et de contusion à la rotule gauche.

Des cas de décès de policiers survenus au cours des dernières années dans le cadre de refus d’obtempérer ont également été portés à la connaissance de vos rapporteurs.

Source : Éléments communiqués par la DGGN et la DGPN.

Au-delà, vos rapporteurs reprennent les mots plusieurs fois prononcés par des personnes auditionnées : « un refus d’obtempérer n’est pas qu’un refus d’obtempérer ». Il s’agit aussi d’une remise en cause de l’autorité de l’État et d’une contestation directe de l’autorité des forces de l’ordre. Ces situations font ainsi également peser sur eux une pression psychologique désastreuse.

Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics ont le devoir de trouver des moyens de mieux protéger nos forces de l’ordre.

2.   Un rejet ferme du prétendu « laxisme judiciaire », même s’il est possible d’agir sur la formation des magistrats et les confiscations de véhicules

a.   Il n’y a aucun laxisme judiciaire particulier sur la question des refus d’obtempérer

S’il est une cause plusieurs fois avancée pour expliquer l’augmentation des refus d’obtempérer que vos rapporteurs veulent fermement et définitivement écarter, c’est celle qui repose sur un prétendu laxisme de l’autorité judiciaire qui encouragerait ainsi les délinquants à poursuivre leurs méfaits.

Vos rapporteurs ont d’ores et déjà écarté plus haut l’hypothèse d’une nouvelle augmentation du quantum des peines encourues, puisque la plupart des délinquants ne se posent pas véritablement la question de la peine qu’ils risquent au moment de commettre un refus d’obtempérer et que les situations favorisant les « refus d’obtempérer rationnels » ont été écartées par la loi du 24 janvier 2022 ([38]).

En revanche, la plupart des représentants syndicaux de policiers auditionnés, notamment Alliance, UNSA Police ou Synergie Officiers, ont dénoncé un prononcé des peines lent et manquant de fermeté.

● Les délais de jugement sont très variables et le ministère de la justice a été dans l’incapacité d’élaborer une moyenne significative à communiquer à vos rapporteurs. Selon que la personne est directement arrêtée et jugée en procédure de comparution immédiate ou qu’elle est interpellée plus tard et que de nombreux actes d’enquête sont rendus nécessaires avant le jugement, ils peuvent être très brefs ou s’étaler sur plusieurs mois. Vos rapporteurs insistent naturellement sur la nécessité d’agir le plus vite possible pour montrer que le jugement de ces actes est une priorité des pouvoirs publics. Ils affirment toutefois que cette préoccupation semble être à l’esprit de tous les syndicats de magistrats et de la DACG.

Surtout, il convient de noter que sur 18 092 affaires ayant donné lieu à des poursuites en 2022, 4 593 l’ont été dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), 2 436 d’une comparution immédiate, 116 d’une comparution à délai différé, et 4 131 d’une ordonnance pénale, qui sont toutes des procédures accélérées. C’est ainsi plus de 62 % des poursuites qui s’effectuent dans le cadre d’une procédure rapide de traitement des affaires pénales.

Vos rapporteurs considèrent qu’il s’agit d’un bon équilibre, même s’il y a toujours des moyens d’accélérer pour éviter certaines situations regrettables d’un point de vue individuel. Toutefois, une accélération des procédures pourrait aussi aboutir à un moindre passage devant le juge, ce qui aurait aussi pour conséquence négative d’affaiblir le caractère symbolique de la réponse judiciaire. Vos rapporteurs n’entendent ainsi pas participer de ces injonctions contradictoires auxquels nos magistrats sont quotidiennement soumis.

● Pour ce qui concerne le traitement judiciaire de manière générale et en lien avec l’augmentation du nombre de refus d’obtempérer, le nombre de procédures transmises à l’autorité judiciaire a crû, passant de 18 236 en 2014 à 22 857 en 2022 ([39]), soit une hausse de 25,3 % environ ([40]). Le nombre d’affaires poursuivables ([41]) a également augmenté, sur la même période, de 18,9 %.

Le nombre de condamnations ou compositions pénales pour refus d’obtempérer simple ou aggravé est quant à lui passé de 14 483 en 2014 à 15 106 en 2022, soit une relative stabilité qui doit néanmoins être nuancée par le chiffre record de 2021 (18 284 condamnations, soit une hausse de 26,2 % par rapport à 2014).

La justice a également pris en compte la priorité donnée aux refus d’obtempérer dangereux et leur hausse conséquente, puisque le nombre de condamnations ou compositions pénales pour refus d’obtempérer aggravé a connu une hausse entre 2010 et 2021, passant de 2 831 à 4 582, soit une hausse de près de 61,9 %. Les données provisoires pour 2022 font état de 3 474 condamnations ou compositions pénales sur ce fondement, soit une hausse de 22,7 % entre 2010 et 2022.

Certes, la proportion d’affaires classées sans suite car non poursuivables parmi les procédures de refus d’obtempérer est en augmentation, puisqu’elle est passée de 3,7 % en 2017 à 7,9 % en 2018 et 8,6 % en 2022, mais les motifs principaux, c’est‑à‑dire l’insuffisante caractérisation de l’infraction dans 47 % des cas et le défaut d’identification de l’auteur dans 44 % des cas, prouvent que cette hausse est avant tout la résultante d’un changement de doctrine qui conduit à moins poursuivre et à reporter à plus tard l’arrestation, sans garantie de pouvoir identifier l’auteur.

Pour ce qui concerne les affaires poursuivables, le taux de réponse pénale est très satisfaisant, à 97,70 % par exemple en 2022. Concernant les modalités de poursuites, sur 20 400 procédures poursuivables en 2022, 2 308 ont donné lieu à une procédure alternative (11,3 %) et 18 092 à des poursuites (88,7 %). En ce qui concerne la nature des peines prononcées en 2022, sur 6 806 condamnations et compositions pénales pour des procédures dans lesquelles l’infraction de refus d’obtempérer (simple ou aggravé) était la plus grave des infractions poursuivies, 42 % des condamnations incluaient une peine d’emprisonnement, et 23 % des condamnations incluaient une condamnation à de l’emprisonnement ferme, avec un quantum moyen de 7 mois d’emprisonnement ferme. 53 % des condamnations prévoyaient une peine d’amende ; 18,8 % des procédures donnaient lieu au prononcé d’une mesure de substitution (principalement des jours-amendes, un travail d’intérêt général ou une obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière) et 3,4 % à une sanction éducative (concernant les mineurs).

Du côté des procédures alternatives – mode de réponse pénale particulièrement minoritaire pour les infractions de refus d’obtempérer donc – vos rapporteurs saluent la baisse du nombre de rappels à la loi et d’avertissements. De nombreux acteurs auditionnés ont en effet critiqué devant eux, à raison, le faible impact sur la plupart des individus de cette procédure alternative. Ils sont ainsi passés de 1 333 en 2016 à 805 en 2022. En tout état de cause, il faut rappeler qu’aussi bien en 2016 (6 %) qu’en 2022 (environ 4 %), ce mode de réponse pénale était extrêmement minoritaire.

Ainsi, aucun élément factuel ne permet d’étayer le discours selon lequel la justice serait particulièrement lente ou laxiste. La réponse pénale est, au contraire, la plus rapide possible, systématique et suffisamment ferme, ceci en parfaite conformité avec les principes globaux de la circulaire de politique pénale générale du garde des Sceaux en date du 20 septembre 2022 ([42]) et ceux, plus spécifiques, de sa circulaire relative à la politique pénale en matière routière en date du 20 juillet 2023 ([43]).

Vos rapporteurs sont toutefois particulièrement inquiets du sentiment de défiance croissant de certains policiers vis-à-vis de l’autorité judiciaire. Selon eux, les magistrats du parquet, davantage à leur contact, seraient mieux sensibilisés aux réalités de terrain qu’ils vivent et notamment à la montée de la violence dans la société, que les magistrats du siège – bien que ces derniers soient pourtant ceux qui prennent, en dernier ressort, les décisions. Vos rapporteurs espèrent que les propositions du présent rapport ([44]) sur la formation des magistrats permettront de résoudre partiellement cette situation.

b.   La question des peines complémentaires et notamment de celle de confiscation du véhicule reste toutefois entière

● Concernant le prononcé des peines complémentaires prévues à l’article L. 233-1 du code de la route ([45]), les données transmises par la DACG démontrent que les peines le plus souvent prononcées sont, en 2021, la suspension du permis de conduire (1 725), l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière (615), l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis (429) et la confiscation du véhicule (187). Le tableau ci‑après en donne une vision plus complète et évolutive.

 

 

 

 

 

 

MESURES COMPLémentaires prévues à l’article l. 233‑1 du code de la route prononcées à titre complémentaire

 

2019

2020

2021

2022 ([46])

Annulation du permis de conduire avec interdiction de conduire un véhicule sans dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique

 

48

86

57

Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis

426

333

429

581

Confiscation du véhicule

126

106

61

34

Confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction

83

100

126

288

Immobilisation de véhicule

0

4

5

3

Jours-amende

12

10

13

18

Obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière

384

462

615

635

Obligation d’accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants

5

11

11

16

Suspension du permis de conduire

1 471

1 474

1 725

1 257

Travail d’intérêt général

4

1

6

11

Source : commission des Lois avec les données communiquées à vos rapporteurs par la DACG.

● L’une des peines complémentaires les plus intéressantes pour empêcher la récidive est aussi l’une des moins utilisées : la peine de confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction.

Plusieurs raisons ont été mises en avant par les représentants des magistrats auditionnés par vos rapporteurs :

– la difficulté à identifier le propriétaire, ce qui rend la confiscation impossible : les auteurs de refus d’obtempérer sont souvent au volant de véhicules prêtés, loués ou de « véhicules garages » dont l’appartenance est floue, avec des plaques allemandes ou polonaises la plupart du temps ;

– une réticence « sociale » à procéder à la confiscation, la voiture étant parfois le seul moyen de subsistance de certaines personnes. De ce point de vue, vos rapporteurs constatent pourtant une moindre réticence à annuler ou suspendre le permis de conduire ;

– dans le cas d’une peine complémentaire automatique, la mise en place d’une stratégie de contournement pratiquée par certains magistrats, directement évoquée par le Syndicat de la magistrature, qui consiste à ne pas qualifier les faits pour être certain que la peine sera adaptée aux circonstances et à la personne ;

– le coût de tous ces véhicules confisqués pour la collectivité publique, dans le cadre de leur mise en fourrière entre la saisie et l’immobilisation du véhicule, puis en frais de justice.

Du point de vue du cadre légal applicable, vos rapporteurs se satisfont de la situation actuelle : la confiscation du véhicule ayant servi à l’infraction est une peine complémentaire possible en cas de refus d’obtempérer simple, et obligatoire, sauf décision spécialement motivée, en cas de refus d’obtempérer aggravé ou commis en état de récidive. Ils souhaitent en rester à cet équilibre et ne pas faire de la peine de confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction une peine complémentaire obligatoire pour tout refus d’obtempérer, avec des conséquences sociales et financières importantes.

Empiriquement, ils se satisfont aussi de l’augmentation du prononcé de la peine complémentaire de confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction.

Toutefois, vos rapporteurs souhaitent que des directives plus claires pour développer encore davantage le prononcé de cette peine soient transmises aux parquets.

Recommandation n° 2 : Envisager une nouvelle circulaire du garde des Sceaux demandant aux parquets de requérir plus systématiquement la peine de confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction en cas de refus d’obtempérer simple lorsque ce véhicule est de valeur.

Du point de vue du coût pour la collectivité publique, vos rapporteurs appellent à démultiplier la vente avant jugement. En cas d’absence finale de condamnation, le propriétaire se voit alors remettre la contre-valeur monétaire ainsi que les intérêts.

3.   Un rejet tout aussi ferme d’une responsabilité des forces de l’ordre du fait de l’augmentation des contrôles, au regard de la doctrine précise et intelligente déployée

Comme évoqué précédemment, le lien entre l’augmentation des contrôles effectués par la police et la gendarmerie n’est pas évident à caractériser ([47]). Par ailleurs, en tout état de cause, vos rapporteurs n’entendent pas remettre en cause la politique pratiquée en matière de sécurité routière. Il convient ainsi de rappeler qu’en 2022, plus de 700 accidents mortels ont impliqué la consommation de cocaïne ou de cannabis.

Une question aurait en revanche pu se poser s’il était apparu, au cours des auditions ou des déplacements sur le terrain, que les policiers et gendarmes étaient mal formés aux situations de refus d’obtempérer ou si la doctrine des contrôles routiers était inappropriée.

Vos rapporteurs ont, au contraire, constaté que tout était fait pour que les contrôles se passent bien, pour éviter les situations de refus d’obtempérer et pour que, le cas échéant, la situation ne dégénère pas.

Une formation spécifique sur les refus d’obtempérer existe d’ores et déjà, aussi bien dans la police que dans la gendarmerie. Les forces de l’ordre sont donc bel et bien préparées à ces situations.

Dans le cadre des contrôles de véhicules sur la voie publique, qu’ils soient d’initiative ou lors d’opérations planifiées, la sécurité des agents, du contrevenant et des personnes tierces sont les priorités fondamentales et la prise de risque constitue le dernier recours.

La doctrine de la police comme celle de la gendarmerie insistent sur le fait que le refus d’obtempérer ne justifie pas, en toutes circonstances, d’engager une poursuite des contrevenants, et qu’il faut privilégier, la plupart du temps, une interception différée. En pratique, les hiérarchies et les représentants des forces de l’ordre auditionnés ont unanimement confirmé que la poursuite n’était pas la réponse privilégiée.

● Du côté de la gendarmerie, tout refus d’obtempérer est porté à la connaissance du centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie. En fonction des circonstances de l’espèce, ce dernier peut autoriser la prise en charge du contrevenant en diffusant une alerte et en déployant un dispositif d’interception ou limiter les risques si le véhicule est bien identifié ou localisé ou si la poursuite présente trop de dangers.

Un vademecum d’interception en sécurité d’un véhicule refusant d’obtempérer a été diffusé auprès de l’ensemble des militaires en 2018. La méthode prônée est celle du trigramme SUN : sécurité, urgence, nécessité. Il est bien précisé que l’interception immédiate doit être le dernier recours et demeurer proportionnée à la situation. Un kit pédagogique élaboré par l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) existe également, reprenant l’ensemble de ces éléments dans un cadre didactique et vulgarisé.

LA Méthode « sun »

Source : vademecum interception en sécurité d’un véhicule refusant d’obtempérer, transmis par la DGGN.

● Du côté de la police nationale, les règles relatives à la poursuite de véhicules en fuite sont également clairement définies dans les instructions adressées aux policiers. C’est notamment le cas de la fameuse « directive 89 », une note de service du directeur central de la sécurité publique en date du 20 août 2020, dans lequel ce dernier rappelle les règles en vigueur qui régissent la poursuite des véhicules en fuite et à laquelle est jointe une instruction de commandement n° 89.

Il y est clairement rappelé que la prise en charge des véhicules doit être réservée exclusivement à « des faits d’une grande gravité tels que :

«  fuite ou évasion d’un ou plusieurs individus armés ayant l’intention d’attenter à la vie d’un tiers ;

«  un ou plusieurs auteurs, armés ou non, d’un crime de sang ;

«  un ou plusieurs auteurs, armés ou non, d’un délit aggravé ayant entraîné un préjudice corporel (…)

 « Dans les autres situations pénales, toute poursuite systématique est exclue, notamment en cas de refus d’obtempérer ».

En pratique, le fonctionnement est approximativement le même que pour la gendarmerie : le centre d’information et de commandement (CIC) départemental est immédiatement avisé du refus d’obtempérer et décide de l’opportunité de la poursuite. Là encore, en pratique, les prises en charge sont rares. Les conversations radios sont enregistrées et les véhicules de police géolocalisés, afin de vérifier que les fonctionnaires se conforment aux décisions prises. La coordination du CIC permet, en cas de prise en charge, de positionner d’autres véhicules de police à des endroits stratégiques afin d’intercepter en sécurité le véhicule dont le conducteur a refusé d’obtempérer.

Le principe qui veut que l’interception différée est la règle et la poursuite l’exception a été très critiqué devant vos rapporteurs, notamment du côté des syndicats représentant les policiers, qui blâment assez vertement cette « directive 89 ». Il est vrai que la doctrine peut apparaître frustrante pour les forces de l’ordre qui, directement défiées par des contrevenants, ne peuvent agir. Certains policiers rencontrés à Marseille par vos rapporteurs ont fait part de leur regret de ne pas pouvoir procéder à des poursuites systématiques. Philippe Tireloque, directeur adjoint de la DNSP, a confirmé que cette doctrine « pose parfois des problèmes de management ». Néanmoins, il a également insisté sur le danger de la surenchère permanente et a affirmé que « ce n’est pas parce qu’on laisse partir un véhicule qu’on perd en autorité ». Le même discours a été tenu par toute la hiérarchie de la police et de la gendarmerie. Jean-Marc Falcone, ancien directeur général de la police nationale, a particulièrement insisté sur la nécessité de conserver cette doctrine.

Vos rapporteurs ne voudraient surtout pas laisser croire aux éventuels contrevenants que l’absence de poursuite immédiate signifie l’absence d’interpellation. Ce serait contreproductif et totalement faux. Dans l’immense majorité des cas, lorsque les centres opérationnels ne prônent pas la poursuite, c’est qu’ils disposent de suffisamment d’informations pour retrouver, plus tard, l’individu.

Vos rapporteurs ne souhaitent pas davantage remettre en cause cette manière d’agir, qui est une garantie absolue de sécurité et de légitimité de l’intervention des forces de l’ordre. Ils se réjouissent également des convergences doctrinales sur le sujet entre la gendarmerie et la police. Il leur semble toutefois que les outils pédagogiques à destination des gendarmes sont plus clairs. Ils prônent ainsi un partage de bonnes pratiques entre policiers et gendarmes sur le sujet.

● Au-delà de la doctrine, la question de l’organisation des dispositifs de contrôles routiers est également essentielle, puisqu’elle peut avoir une influence sur la décision d’obtempérer à l’ordre d’arrêt. Comme l’a très bien expliqué Richard Lizurey, ancien directeur général de la gendarmerie nationale, à vos rapporteurs, « il y aura plus de refus d’obtempérer avec un gendarme au milieu de la route tout seul qu’avec deux voitures très visibles, éclairées, avec des gyrophares et un dispositif très clair ». Toujours selon lui, avec des dispositifs inadaptés, par exemple installés dans une zone d’ombre, à la sortie d’un virage, ou avec un nombre insuffisant de gendarmes, « certes le conducteur est responsable et doit s’arrêter, mais ce n’est pas toujours l’évidence absolue ».

La visibilité des dispositifs de contrôles routiers est une nécessité qui a également été mise en avant par la plupart des représentants des forces de l’ordre auditionnés. Elle semble toutefois la plupart du temps remplie, les policiers et gendarmes de terrain rencontrés à Marseille l’ont confirmé à vos rapporteurs. De ce point de vue aussi, un partage de bonnes pratiques entre la police et la gendarmerie serait sans aucun doute profitable, l’harmonisation de leur pratique permettant de limiter toute possibilité d’ambiguïté.

Recommandation n° 3 : Engager un partage de bonnes pratiques entre DGPN et DGGN en ce qui concerne :

– les documents pédagogiques sur la doctrine en matière de refus d’obtempérer ;

– la doctrine d’organisation des contrôles routiers.

Les rapporteurs souhaitent notamment que la culture opérationnelle du jalonnement de la gendarmerie (c’est‑à‑dire la recherche de renseignements pour procéder à une intervention différée) soit généralisée à la police.

Vos rapporteurs souhaitent saluer le professionnalisme de la hiérarchie et des agents qui limitent les mises en danger. À ce propos, ils se félicitent que la méthode dite de « contact tactique », pratiquée au Royaume-Uni, ait été exclue en matière de refus d’obtempérer par la très grande majorité des acteurs auditionnés. Souvent objet de fantasmes, elle présente des risques physiques et psychologiques pour les individus et les agents, mais aussi médiatiques ou juridiques renforcés pour les forces de l’ordre. Par ailleurs, le parc automobile de la police et de la gendarmerie nationales est totalement inadapté pour ce faire.

Le « contact tactique » britannique

Au Royaume-Uni, certaines unités des forces de l’ordre spécialement formées sont autorisées à poursuivre des deux‑roues, à les coincer pour les empêcher de fuir et à entrer à leur contact avec leur véhicule, à faible allure, pour les faire tomber sans les blesser.

Cette technique du « contact tactique », encore appelée « percussion » ou « tamponnage », a d’abord été mise en place à Londres, puis étendue à d’autres villes, pour lutter contre les vols à l’arraché à moto.

Cette technique est régulièrement prônée dans le débat public pour mieux lutter tantôt contre les rodéos urbains, tantôt contre les refus d’obtempérer. Toutefois, il convient de préciser qu’elles sont réservées à des unités très restreintes, dans des cas très limités et qu’elles sont encadrées par des directives précises de l’Independent office for police conduct qui incite notamment à privilégier les techniques alternatives.

4.   Renforcer la pédagogie autour des refus d’obtempérer

À la suite de ces mois de travaux, vos rapporteurs ont acquis la conviction que l’un des moyens de lutte les plus efficaces contre les refus d’obtempérer est en même temps l’un des moins utilisés : la pédagogie.

L’unanimité des acteurs auditionnés a en effet affirmé que nombre de refus d’obtempérer étaient le fait d’individus sans histoire qui, pour une raison ou pour une autre, ne souhaitaient pas être contrôlés. Il peut s’agir d’une méconnaissance des risques qu’ils font courir aux tiers, aux agents ou à eux‑mêmes, ou d’une croyance dépassée et fausse qu’ils risquent moins à continuer leur route qu’à être contrôlés s’ils sont en situation d’infraction vis‑à-vis du code de la route. Cette réflexion est d’autant plus ubuesque lorsque l’infraction est relativement mineure, comme c’est souvent le cas.

Des efforts ont été effectués de ce point de vue : depuis septembre 2023, une question sur une situation correspondant à un refus d’obtempérer fait partie de la nouvelle banque de questions de l’examen du code de la route ([48]).

Vos rapporteurs préconisent toutefois d’aller plus loin, en introduisant une séquence sur les refus d’obtempérer dans les stages de sensibilisation à la sécurité routière.

Recommandation n° 4 : Introduire la question des refus d’obtempérer au sein des stages de sensibilisation à la sécurité routière, sans remettre en cause la place prépondérante que doivent occuper les causes majeures d’accidents au sein de ceuxci.

Au‑delà de cette proposition permettant de cibler avant tout les contrevenants au code de la route, vos rapporteurs préconisent également de sensibiliser la population plus générale, en lançant une campagne de communication spécifique destinée à présenter les risques des refus d’obtempérer et leur caractère irrationnel.

Recommandation n° 5 : Lancer une campagne de communication pilotée par la Délégation à la sécurité routière, « Vous auriez dû vous arrêter », insistant sur les risques physiques et en termes de droit pénal qu’il y a à refuser d’obtempérer, en comparant avec les risques que les infractions connexes font courir et en insistant sur la capacité qui est celle des forces de l’ordre de retrouver de toutes les façons les auteurs de refus d’obtempérer.

Vos rapporteurs ne sont pas naïfs et ne considèrent bien entendu pas que les auteurs de refus d’obtempérer récidivistes, malveillants ou en situation d’infraction beaucoup plus grave seront sensibles à ces éléments pédagogiques. Pour ces derniers, outre les propositions déjà formulées et la fermeté de la réponse pénale, il convient aussi d’agir sur les outils dont disposent les forces de l’ordre.

5.   Moderniser les outils dont disposent les forces de l’ordre pour immobiliser les véhicules en toute sécurité

a.   Les outils d’ores et déjà à la disposition des forces de l’ordre

● L’article L. 2142 du code de la sécurité intérieure ([49]) dispose que les forces de l’ordre, « revêtus de leurs uniformes ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité », peuvent faire usage de matériels appropriés pour immobiliser les moyens de transport dans trois cas :

– si le conducteur ne s’arrête pas à leurs sommations ;

– si le comportement du conducteur ou de ses passagers est de nature à mettre délibérément en danger la vie d’autrui ou d’eux-mêmes ;

– en cas de crime ou délit flagrant, lorsque l’immobilisation du véhicule apparaît nécessaire en raison du comportement du conducteur ou des conditions de fuite.

Les policiers et gendarmes ont à leur disposition deux principaux dispositifs d’interception des véhicules automobiles (Diva) :

– les herses traditionnelles, dites « de barrage », d’une longueur maximale de 7,5 mètres déployées et composées d’un châssis de 180 pointes amovibles au maximum, elles se déploient en travers des routes et sont surtout utilisées pour les contrôles programmés. Elles sont en effet très difficiles à transporter et à installer, nécessitant un pré-positionnement des forces de l’ordre. Elles sont réutilisables ;

PHOTOGRAPHIES D’UTILISATION DE HERSES TRADITIONNELLES

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../../../../../jgraindepice/AppData/Local/Microsoft/Windows/INetCache/Content.Outlook/UMSAX6CZ/_DSC0813.JPG

Source : photographies transmises à vos rapporteurs par la DGGN.

– les herses dites « d’intervention », plus communément qualifiées de stop stick, qui se présentent sous la forme d’un bâton, utilisable seul ou par assemblage, bien plus facilement mobilisables mais à usage unique. Ce dispositif crève les pneus du véhicule de manière progressive, ce qui le conduit à s’arrêter après moins de 200 mètres.

PHOTOGRAPHIES D’UTILISATION DE HERSES d’intervention, dites « stop stick »

C:\Users\jgraindepice\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\UMSAX6CZ\_DSC0897.JPG

../../../../../jgraindepice/AppData/Local/Microsoft/Windows/INetCache/Content.Outlook/UMSAX6CZ/_DSC0901.JPG

Source : photographies transmises à vos rapporteurs par la DGGN.

Pour des raisons de sécurité, ces dispositifs ne peuvent être utilisés pour intercepter la progression de véhicules deux roues et ne peuvent être projetés à partir d’un véhicule de police en raison des risques engendrés pour les tiers et du caractère aléatoire de la manœuvre.

● Vos rapporteurs constatent que les acteurs auditionnés ou rencontrés sont partagés sur l’efficacité de ces dispositifs.

S’ils sont salués par les hiérarchies, du côté des syndicats de policiers ou du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, on se montre plus dubitatifs quant à leur utilité. Parfois bien réelle, elle se heurte de plus en plus à la résistance croissante des pneumatiques fabriqués par les constructeurs, qui permet à certains véhicules de continuer à rouler sur plusieurs centaines de mètres voire quelques kilomètres. Comme déjà évoqué, certains dispositifs peuvent aussi être difficiles à déployer sur le terrain.

En cas de danger représenté par l’individu ayant refusé d’obtempérer, ces dispositifs constituent le dernier recours des forces de l’ordre avant le tir. L’usage de l’arme, en visant les pneumatiques ou le bloc moteur, n’ayant qu’une probabilité minime, voire inexistante, d’arrêter le véhicule, elle vise davantage à dissuader le conducteur de continuer sa route, ou dans des cas extrêmes et en dernier recours, hélas, à le neutraliser. Vos rapporteurs insistent donc sur la nécessité absolue de disposer d’outils d’intervention intermédiaires très efficaces.

b.   La modernisation des outils d’immobilisation est une priorité

Instruits des nombreuses auditions réalisées et des propositions des personnes entendues, vos rapporteurs prônent la mise en œuvre d’un travail de modernisation des outils d’immobilisation des véhicules ayant refusé d’obtempérer. Il convient d’envisager rapidement l’achat de dispositifs novateurs, comme les herses télécommandées, et d’amplifier la recherche sur la neutralisation à distance de l’électronique du véhicule.

Recommandation n° 6 : Garantir l’efficacité des outils intermédiaires d’intervention en :

– modernisant ce qui est déjà à la disposition des forces de l’ordre, par exemple en les dotant de herses télécommandées ;

– amplifiant le projet de recherche pour trouver une solution technologique innovante permettant d’arrêter des véhicules à distance, intitulé « Potential PCP project / Stopping vehicles remotely » ;

– au-delà de la seule capacité d’immobilisation, envisager le développement de balises aimantées qui permettent le marquage des véhicules qui refusent d’obtempérer, afin de faciliter les interceptions différées.

La modernisation de ces dispositifs permettrait à coup sûr de diminuer les interventions à risque pour immobiliser un véhicule.

 

 

 

 

II.   Les tirs sur des véhicules en mouvement, plus difficiles à interpréter, entraînent en tout état de cause des suites administratives et judiciaires

Tout autant que les chiffres sur les refus d’obtempérer, les chiffres sur les tirs effectués par les forces de l’ordre à cette occasion, qui sont recensés de façon systématique par les services de police et de gendarmerie, ont été évoqués tout au long des travaux menés par vos rapporteurs.

Ces tirs peuvent entraîner, pour les forces de l’ordre concernées, des conséquences administratives et judiciaires et si vos rapporteurs s’opposent à ce que le traitement judiciaire des forces de l’ordre dans ce contexte soit dérogatoire du droit commun, ils proposeront malgré tout quelques ajustements sur ces points.

A.   L’évolution des tirs depuis une dizaine d’années

Les chiffres fournis par la police et la gendarmerie apportent une connaissance quantitative des tirs par arme à feu sur des véhicules et sur les décès qu’ils peuvent entraîner.

Ces chiffres mettent en lumière des volumes très différents pour la police et la gendarmerie, constat dont les ressorts seront analysés ultérieurement. Il s’avère toutefois particulièrement délicat de « faire parler » ces chiffres dans le contexte de la problématique des refus d’obtempérer.

1.   Les tirs effectués par des policiers ([50])

 En 2022, 140 tirs sur des véhicules en mouvement par des policiers ont été recensés, soit une hausse de 22 % par rapport à 2012 (116 tirs) et une baisse de 32 % par rapport à 2017 (205 tirs).

Parmi eux, 138 sont des tirs à l’arme individuelle. Ces tirs se montent à 116 en 2012, 111 en 2013, 110 en 2014, 122 en 2015, 137 en 2016 ; ils ont connu un pic en 2017 (202) avant de diminuer : 170 en 2018, 147 en 2019, 153 en 2020, 157 en 2021 et 138 en 2022. La moyenne annuelle est de 142 tirs.

Il faut ajouter à ces chiffres quelques tirs avec arme longue (en dotation collective), plus rares. Le rapport d’activité de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) au titre de l’année 2022 note que l’usage de l’arme longue est généralement concomitant à celui des armes individuelles ([51]).

Précisions méthodologiques sur les données relatives aux tirs à l’arme à feu effectués par les policiers

Le rapport de l’IGPN distingue :

– Les tirs à l’arme individuelle et les tirs à l’arme longue, ces dernières étant en dotation collective ;

– Les tirs opérationnels par opposition aux tirs accidentels.

Le total des tirs à l’arme individuelle est constitué des tirs opérationnels et des tirs accidentels.

Les cas d’usage opérationnel de l’arme individuelle sont répartis en plusieurs catégories selon leur contexte : tir sur véhicule en mouvement ; tir sur personne dangereuse ; tir sur animaux ; tir d’intimidation ; tir hors service.

Les tirs effectués dans le contexte de refus d’obtempérer correspondent aux tirs sur véhicule en mouvement.

Le tableau et le diagramme ci-dessous résument ces données.

Nombre de tirs annuels sur véhicules en mouvement (VEM), 2012-2022

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Tirs avec arme individuelle sur VEM

116

111

110

122

137

202

170

147

153

157

138

Tirs avec arme longue sur VEM

NC

NC

NC

9

3

3

2

6

2

1

2

Total tirs sur VEM

116

111

110

131

140

205

172

153

155

158

140

Source : commission des Lois avec les chiffres issus du rapport annuel de l’IGPN, 2022. Les tirs à l’arme longue entre 2012 et 2014 ne sont pas disponibles dans le fichier recensant les tirs (TSUA).

total des Tirs (arme individuelle et arme longue) sur véhicules en mouvement (2012-2022)

Source : commission des Lois avec les données des rapports annuels de l’IGPN.

 

● Les tirs à l’arme individuelle sur des véhicules en mouvement représentent 54 % du total des tirs opérationnels à l’arme individuelle en 2022 ([52]). Ce pourcentage s’établit entre 50 et 62 % selon les années depuis 2012 et s’accompagne d’une légère tendance à la hausse. D’une façon générale, les deux variables sont relativement concomitantes.

● Les tirs effectués par des policiers dans le cadre de refus d’obtempérer ont engendré la mort d’une personne en 2020, de deux personnes en 2021, de treize personnes en 2022 et de trois personnes en 2023 ([53]). Aucun décès dans ce cadre n’a été recensé depuis le début de l’année 2024.

Il faut noter que tous les décès survenus à l’occasion de refus d’obtempérer ne sont pas nécessairement causés par des tirs. Une partie des décès peut aussi être le résultat d’accidents de la circulation, comme l’illustrent les extraits du rapport annuel de l’IGPN 2022 ci-dessous, présentant les circonstances des décès de particuliers survenus à l’occasion d’un refus d’obtempérer.

 

Circonstances des particuliers décédés à l’occasion d’une mission de police

26/03/2022 : à Sevran (93), un équipage de la BAC était appelé en renfort pour interpeller le conducteur d’un véhicule signalé volé. Un des policiers rattrapait en courant la camionnette bloquée à un feu de circulation et criait « police » pour ordonner au conducteur de s’arrêter. Alors que le conducteur redémarrait, le policier faisait usage de son arme individuelle. Blessé par balle à l’abdomen, l’homme décédait peu après à l’hôpital.

12/04/2022 : à Berre l’Etang (13), lors d’une surveillance opérée dans le cadre d’une affaire de trafic de stupéfiants, les policiers tentaient d’interpeller deux individus qui prenaient la fuite à bord d’un véhicule. Ce dernier forçait le barrage des policiers et percutait deux véhicules administratifs. Deux policiers ouvraient le feu à plusieurs reprises, blessant mortellement le passager.

04/06/2022 : à Paris 18ème (75), à la suite d’un refus d’obtempérer, le conducteur prenait la fuite mais se retrouvait bloqué dans le flux de circulation. Les trois policiers parvenaient à encadrer la voiture. Alors que le conducteur redémarrait précipitamment, malgré leurs injonctions, les policiers ouvraient le feu en direction du véhicule, blessant le conducteur et la passagère avant, laquelle décédait.

14/06/2022 : à Cantaron (06), à la suite de plusieurs refus d’obtempérer d’un véhicule frigorifique susceptible de transporter des migrants, un équipage de police de Nice intervenait en renfort pour bloquer le camion. Un policier mettait pied à terre pour tenter d’intercepter ce véhicule arrivant à vive allure sur la voiture de police qui faisait barrage. Il faisait alors usage de son arme. Un des migrants cachés dans la partie frigorifique était blessé grièvement à la tête. Il décédait quelques heures plus tard à l’hôpital.

13/07/2022 : à Tsararano (976), un équipage de la BAC contrôlait un homme faisant l’objet d’une fiche de recherche et qui circulait avec deux autres personnes à bord d’un véhicule. Lors des vérifications, le conducteur et le passager prenaient la fuite. L’individu recherché se sentant quant à lui pris au piège, se portait volontairement des coups de couteau. Pensant qu’il agressait à l’arme blanche un de ses collègues qui tentait de l’interpeller, un autre policier faisait usage de son arme individuelle sur l’individu et le blessait mortellement. Il décédait sur place.

19/08/2022 : à Vénissieux (69), à la suite d’un refus de contrôle, un véhicule fonçait sur un policier et le percutait. Se retrouvant sur le capot du véhicule, le fonctionnaire faisait usage de son arme individuelle à plusieurs reprises. Le passager du véhicule décédait sur place, tandis que le conducteur, transporté à l’hôpital, décédait peu de temps après.

30/08/2022 : à Neuville-en-Ferrain (59), à la suite d’un refus d’obtempérer impliquant un véhicule signalé volé, les policiers mettaient pied à terre et tentaient d’interpeller le conducteur. Ce dernier redémarrait le véhicule. L’un des fonctionnaires faisait usage de son arme individuelle et le blessait mortellement.

07/09/2022 : à Nice (06), à la suite d’un refus d’obtempérer réitéré du chauffeur d’un véhicule et alors que celui-ci venait de percuter frontalement un véhicule administratif qui tentait de l’empêcher de fuir, un policier faisait usage de son arme administrative. Le conducteur décédait.

07/09/2022 : à Rennes (35), dans le cadre d’un dispositif d’interception d’un véhicule impliqué dans un trafic de stupéfiants, le conducteur refusait de s’arrêter et fonçait sur un policier qui faisait feu en s’écartant pour l’éviter. La balle traversait le bras du  conducteur et tuait la passagère avant.

05/10/2022 : à Grenoble (38), le conducteur d’un véhicule qui s’était soustrait à un contrôle, tirait à plusieurs reprises en direction de l’équipage de police. L’auteur des coups de feu exhibait à nouveau son arme en direction des policiers. Le chef de bord faisait alors usage de son arme touchant la passagère du véhicule incriminé qui décédait.

14/10/2022 : à Paris 12ème (75), à la suite d’un refus de contrôle routier, un véhicule prenait la fuite. Bloqué par la circulation, le conducteur refusait d’obtempérer aux injonctions des policiers et redémarrait en direction des fonctionnaires de police qui faisaient alors usage de leur arme de service. Le conducteur était touché mortellement et décédait sur place.

28/04/2022 : à Paris 1er (75), une patrouille pédestre en uniforme se rapprochait d’un véhicule stationné pour le contrôler suspectant une transaction de stupéfiants. Alors qu’un des policiers se présentait au chauffeur, la voiture démarrait en trombe en direction des autres policiers intervenants. L’un d’eux ouvrait le feu au moyen de son fusil d’assaut HK G36. Le conducteur et le passager avant étaient mortellement atteints et décédaient sur place.

Source : rapport annuel de l’IGPN, 2022, pp. 29-31

● Le suivi des usages de l’arme et de leurs conséquences s’est amélioré ces dernières années grâce au développement de deux fichiers.

Le suivi des usages de l’arme individuelle, de l’arme longue et d’autres armes est assuré par le traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA). Ce fichier est alimenté par les déclarations des agents, les données collectées étant ensuite consolidées par l’IGPN (via son cabinet d’analyse, de la déontologie et de la règle) au moyen des télégrammes, fiches événements ou synthèses des états-majors de la police nationale.

Le fichier de recensement des blessés et décédés (RBD), opérationnel depuis le 1er janvier 2018, recense quant à lui le nombre de personnes tuées à l’occasion d’une opération de police, que la police ait eu un rôle déterminant dans ce décès ou pas (elle peut aussi s’être contentée de constater la matérialité du décès).

Les fichiers de suivi de l’usage des armes par les policiers et du nombre de personnes tuées à l’occasion d’une opération de police

 

1/ Le traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA)

Crée par l’arrêté du 16 novembre 2011, le TSUA a été déployé à partir du 1er janvier 2012. Il répond à l’obligation de rendre compte prescrite, notamment, par le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale.

Ses finalités, son alimentation et son mode d’utilisation ont été précisés par la note DGPN/CAB/N° 2011-8731-D du 19 décembre 2011.

Il permet de recenser l’usage de cinq types d’armes : arme individuelle, arme longue, lanceur de balles de défense (LBD), grenade de désencerclement et pistolet à impulsion électrique.

Doivent être déclarés tous les usages, y compris accidentels, réalisés dans l’exercice des fonctions ou à l’occasion de l’exercice des fonctions, y compris hors service, lorsqu’un lien peut être établi avec les fonctions (usage de l’arme individuelle dans le cadre d’une intervention sur le trajet domicile-travail ou incident lors de la mise en sécurité).

Les données sont ensuite fiabilisées par l’IGPN.

Le rapport de l’IGPN souligne qu’il s’agit de « l’unique source de remontée de l’information en matière d’usage d’armes. Il suppose une pratique pérenne et homogène d’enregistrement de la part des fonctionnaires de police ainsi qu’une bonne connaissance de l’outil au sein de l’institution » ([54]).

2/ Le fichier de recensement des blessés et décédés (RBD)

Le fichier RBD, opérationnel depuis le 1er janvier 2018, recense quant à lui le nombre de personnes tuées à l’occasion d’une opération de police, que la police ait eu un rôle déterminant dans ce décès ou pas (il peut s’agir, par exemple, d’un accident survenu dans la fuite d’une personne cherchant à se soustraire à une interpellation, ou d’un suicide en geôle de garde à vue).

Il faut que les faits (blessures ou décès) se soient produits ou aient été constatés à l’occasion d’une mission de police et aient donné lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire (à la suite d’une plainte de l’intéressé, d’une enquête décès, d’une interpellation,…) et, dans le cas d’une blessure, que l’interruption temporaire de travail (ITT), constatée par un médecin médico-judiciaire, soit égale ou supérieure à 9 jours.


2.   Dans la gendarmerie ([55])

● Les tirs avec arme à feu effectués par des gendarmes dans un contexte d’agression avec véhicule ou d’immobilisation de véhicule sont marqués par les tendances suivantes :

– après un niveau assez élevé en 2012 (37 tirs), une baisse, suivie d’une augmentation forte et continue de 2013 à 2017 (18 en 2013, 53 en 2017, soit une hausse de 194 %) ;

– une stabilisation entre 41 et 46 tirs annuels de 2018 à 2021 ;

– une nette diminution en 2022 : 30 tirs enregistrés dans ce contexte, soit une baisse de 19 % par rapport à 2012 et de 43 % par rapport à 2017 ([56]).

La moyenne annuelle est de 38 tirs.

 

Précisions méthodologiques sur les données issues du rapport de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)

Le rapport de l’IGGN répartit les cas d’usage de l’arme à feu en plusieurs catégories selon leur contexte :

– réponse à une agression physique ;

– réponse à une agression ou menace avec arme ;

– agression avec un véhicule (utilisé comme arme par destination) ;

– immobilisation d’un véhicule ;

– animaux dangereux ou blessés ;

– « autres », cette catégorie regroupant notamment les tirs de sommation.

Les tirs effectués dans le contexte de refus d’obtempérer peuvent se rattacher à la catégorie des tirs en réponse à une agression avec un véhicule ou à celle des tirs pour immobiliser un véhicule. Les chiffres présentés dans cette partie constituent donc la somme des tirs recensés pour ces deux catégories.  

nombre de Tirs annuels sur véhicules (agression et immobilisation), 2012-2022

Source : commission des Lois, à partir des données IGGN.

● Ces tirs représentent en 2022 48,4 % du total des usages de l’arme à feu par des gendarmes. Ce pourcentage oscille depuis 2015 entre 50 et 61 %, après une hausse entre 2013 et 2015.

● Depuis 2012, le nombre d’individus (hors gendarmes) décédés à la suite d’usage des armes dans ce contexte est stable : une personne est décédée en 2020, deux en 2021, aucune en 2022, 2023 et depuis le début de l’année 2024. Au total, de 2012 à 2022, 9 personnes sont décédées et 26 autres ont été blessées à l’occasion d’un usage des armes dans le cadre d’une agression de gendarmes avec un véhicule ou d’une immobilisation.

Comme pour les tirs de policiers, il faut relever que le nombre de décès survenus à l’occasion de refus d’obtempérer ne correspond pas forcément au nombre de décès survenus à la suite d’un tir dans le cadre d’un refus d’obtempérer. Une partie des décès peut être le résultat d’accidents de la circulation, comme l’illustrent les extraits du rapport annuel de l’IGGN 2022 ci‑dessous.

Source : rapport annuel IGGN 2022, p. 93.

3.   Des chiffres difficiles à analyser

a.   Des tendances qui peuvent être interprétées de façon contrastée

Les chiffres ci-dessus et les tendances qu’ils mettent en lumière se sont avérés difficiles à interpréter.

Le caractère exceptionnel de l’année 2017 est indiscutable. Le niveau record des tirs cette année-là, qui apparaît dans ce domaine comme une année charnière dans la police comme dans la gendarmerie, invite à comparer les chiffres antérieurs non pas à ceux de l’année 2017, mais plutôt aux chiffres des années qui suivent. Or, la moyenne annuelle des tirs contre des véhicules en mouvement est incontestablement en hausse : dans la police, elle est de 122 de 2012 à 2016 et de 156 entre 2018 et 2022, et dans la gendarmerie, de 32 et 41 tirs annuels en moyenne sur ces mêmes périodes.

Toutefois, depuis 2017, le nombre des tirs connaît une baisse : diminution de 32 % entre 2017 et 2022 au sein de la police, et diminution de 43 % au sein de la gendarmerie au cours de la même période. Dans la police, le nombre de tirs en 2022 est identique à celui en 2016 (140), ce qui fait dire à la direction générale de la police nationale (DGPN) qu’ils sont « stables » ([57]).  Le syndicat Alternative Police CFDT rappelle que le niveau de 2022 est « le plus faible en cinq ans ». Alliance Police nationale oppose la situation avant l’entrée en vigueur de la loi de 2017, marquée par une hausse des tirs sur les véhicules en mouvement, à la diminution observée depuis le pic de l’année 2017.

Ainsi, au cours des auditions, les rapporteurs ont pu constater combien les mêmes chiffres, que personne ne conteste, étaient interprétés de façon contrastée, pour ne pas dire opposée, d’un interlocuteur à l’autre ([58])

Le cas des agents des Douanes

Les agents des douanes étant soumis au même cadre juridique que les policiers et gendarmes en ce qui concerne l’usage de leur arme ([59]), vos rapporteurs se sont procurés les chiffres d’usages de l’arme en cas de passage de vive force (équivalent du refus d’obtempérer) ou de fuite d’un véhicule à la vue du point de contrôle.

Les cas d’usage des armes dans ce contexte varient de un à quatre selon les années, à l’exception de l’année 2018, marquée par un pic de 11 usages de l’arme.

Source : direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

b.   Faute de conditions d’exercice similaires, les différences entre la police et la gendarmerie doivent être relativisées

Par ailleurs, la comparaison entre les données relatives à la police et celles relatives à la gendarmerie met en évidence un fort écart entre le nombre de tirs effectués par les policiers et le nombre de tirs effectués par les gendarmes ; de même que, pour l’année 2022, un écart concernant le nombre de personnes décédées.

Ce constat ne peut qu’interpeller et a fait l’objet de nombreux échanges au cours des auditions réalisées par vos rapporteurs. Plusieurs facteurs sont généralement invoqués pour l’expliquer.

L’une des explications les plus couramment avancées, que l’on pourrait qualifier de « sociologique », est que les zones de compétence respectives des policiers et des gendarmes entraîneraient des contraintes et des conditions d’intervention différentes. D’une part, la densité urbaine en zone police rend l’interception différée plus difficile à mettre en œuvre pour les policiers, alors plus enclins à privilégier une interception immédiate, qui est plus risquée. D’autre part, policiers et gendarmes sont confrontées à des publics et à des types d’infractions différents, exposant davantage les policiers à des individus qui n’ont rien à perdre ou qui sont déterminés à s’en prendre à la vie des forces de l’ordre ([60]). L’ancien directeur général de la gendarmerie nationale Richard Lizurey rappelait ainsi au cours de son audition que les policiers exercent dans des zones « où la violence est exacerbée ».

La deuxième explication, qui laisse davantage de place à la réflexion sur une amélioration des pratiques, tient aux conditions de formation et d’encadrement chez les gendarmes. La présence plus forte de la hiérarchie et les points forts de la formation des élèves gendarmes ([61]) seraient à l’origine de la plus grande parcimonie des tirs de gendarmes.

Enfin, la proximité entre le cadre juridique actuel d’usage des armes et le cadre applicable aux gendarmes depuis plusieurs décennies facilite la compréhension du cadre par ces derniers, alors qu’a contrario, l’appropriation par les policiers du cadre leur étant désormais applicable a pu être moins évidente ([62])

Vos rapporteurs considèrent que toutes ces explications sont pertinentes et qu’aucune des très nombreuses auditions menées ne permettent d’exclure l’une ou l’autre. Ils souscrivent à l’analyse de la direction générale de la gendarmerie nationale ([63]) selon laquelle « chaque situation d’usage des armes est particulière. Aussi convient-il de rester prudent quant à l’analyse des chiffres de la police nationale et [quant à] toute comparaison avec ceux de la gendarmerie ».

c.   Le recensement des tirs ne donne pas en lui-même d’informations sur leur légitimité et doit être en particulier mis en parallèle avec l’évolution des refus d’obtempérer

Enfin, il convient de garder à l’esprit que le recensement des tirs ou des décès qu’il entraîne « n’a pas vocation à déterminer ou rendre compte de la légitimité des usages de la force ou des armes » ([64]).

En d’autres termes, d’une part, l’existence d’un tir ne dit rien par elle-même sur sa légitimité et, d’autre part, « le caractère légitime ou non de l’usage de la force n’est en rien déterminé par le résultat qu’il produit » ([65]).

À titre d’exemple, le constat « sec » d’une augmentation des tirs pourrait ainsi refléter :

– une hausse du nombre de situations justifiant sur le plan légal l’ouverture du feu, pouvant être elle-même due soit à une augmentation des contrôles, soit à une augmentation de la violence des individus concernés ;

– ou, à situations égales, une hausse de la propension des forces de l’ordre à ouvrir le feu.

De fait, le croisement des données relatives aux refus d’obtempérer et aux tirs met à mal l’hypothèse d’une hausse de la propension des forces de l’ordre à tirer. En effet, l’évolution du nombre de tirs doit être mise en perspective avec l’évolution du nombre de refus d’obtempérer.

Il apparaît que la part des refus d’obtempérer donnant lieu à un tir – police et gendarmerie confondues – reste stable entre 2012 et 2016 : 0,6 à 0,7 % des refus d’obtempérer sont concernés. L’année 2017 représente un pic, ainsi que l’année 2018 dans une moindre mesure, mais les niveaux observés entre 2012 et 2016 redeviennent la norme à partir de 2019 ; une tendance à la baisse est même dès lors constatée. La direction générale de la police nationale rappelle ainsi que le nombre de tirs recensés contre les véhicules en mouvement « représente moins de 1 % des refus d’obtempérer. Ce qui revient à dire que 99 % des refus d’obtempérer ne donnent pas lieu à usage de l’arme par un policier ».

Le tableau et graphique ci-dessous illustrent ces tendances :

Refus d’obtempérer (RO), tirs et part des refus d’obtempérer ayant donné lieu à un tir, zones police et gendarmerie confondues, 2012-2022

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Total des RO

21 694

22 063

23 248

24 564

24 562

26 251

25 045

26 804

31 132

32 453

30 652

Total des tirs

153

129

136

167

184

258

215

199

196

202

170

Pourcentage des RO donnant lieu à un tir

0,71

0,58

0,58

0,68

0,75

0,98

0,86

0,74

0,63

0,62

0,55

Le total des RO et des tirs est composé de l’addition de ces données pour les zones police et les zones gendarmerie. Données de l’Observatoire interministériel de la sécurité routière pour les refus d’obtempérer, IPGN et IGGN pour les tirs.

Part des refus d’obtempérer ayant donné lieu à un tir, zones police et gendarmerie confondues, 2012-2022

Source : commission des Lois, à partir des données de l’Observatoire interministériel de la sécurité routière pour les refus d’obtempérer, de l’IPGN et de l’IGGN.

Les données relatives aux circonstances dans lesquelles les tirs sont effectués ne permettent pas, toutefois, d’approfondir cette analyse ([66]), et notamment de distinguer l’évolution des tirs dans le contexte des seuls refus d’obtempérer simples, d’une part, ou des seuls refus d’obtempérer aggravés, d’autre part. Le rapport annuel de l’IGPN 2022 concède ainsi que « les déclarations faites dans le TSUA ne mentionnent pas toutes le contexte de l’intervention » ([67]). L’IGPN a toutefois indiqué à vos rapporteurs développer actuellement un projet de refonte de l’application des tirs, afin de disposer de données encore plus précises sur l’usage des armes dans la police nationale.

Recommandation n° 7 : Lorsque les outils d’analyse le permettront, rendre publiques chaque année les circonstances de l’ensemble des tirs effectués par les forces de l’ordre dans un contexte de refus d’obtempérer, par exemple dans les rapports annuels de l’IGPN et de l’IGGN.

B.   Les suites administratives et judiciaires en cas de tir

Contrairement à une idée parfois répandue dans les médias ou l’opinion publique, les forces de l’ordre rendent compte de leurs actes. Dans le cadre d’un refus d’obtempérer, l’usage de son arme par un policier ou un gendarme donnera généralement lieu à l’ouverture de trois enquêtes : une enquête administrative, une enquête judiciaire sur le tir lui-même et une enquête judiciaire sur les éléments ou les infractions à l’origine du tir.

Pour l’agent auteur du tir, ces enquêtes peuvent aboutir à des sanctions disciplinaires ou pénales.

Les enquêtes administrative et judiciaire sont distinctes, ne répondent pas aux mêmes finalités, ne sont pas conduites par les mêmes agents, qui ne disposent pas des mêmes pouvoirs et n’ont pas la même temporalité.

1.   Les suites disciplinaires 

a.   L’enquête administrative

Face à tout usage de l’arme, l’administration ouvre une enquête administrative, manifestation de son devoir de réaction.

Ces enquêtes administratives sont menées, pour l’essentiel, par les directions d’emplois. L’IGPN et l’IGGN peuvent être saisies des cas les plus graves ou retentissants ([68]) ; cette saisie est systématique dès lors que l’usage de l’arme a été létal.

La durée des enquêtes administratives n’est enserrée dans aucun cadre et dépend de la nature des faits, l’IGPN indiquant logiquement que « Plus les faits sont graves et/ou complexes, plus les investigations sont susceptibles de durer » ([69]).

L’enquête administrative permet de faire la lumière sur d’éventuels manquements professionnels ou déontologiques, définis par le code de déontologie, qui prévoit 22 manquements, déclinés en 68 items. Elle permet, en particulier, de vérifier que l’agent est à jour des obligations réglementaires en matière de tirs annuels et, si ce n’est pas le cas, de déterminer les raisons pour lesquelles il n’a pas accompli ses trois tirs réglementaires. En fonction de ces raisons, son éventuelle responsabilité individuelle pourra être constatée en cas de manquement personnel dû à une négligence ou de manquement au devoir d’obéissance. Il peut aussi s’agir d’une cause extrinsèque, comme l’inaccessibilité des stands de tirs.

À l’issue de l’enquête administrative, c’est à l’autorité administrative qu’il revient de décider, au vu des propositions émises par le service d’enquête, l’engagement ou non des poursuites disciplinaires, puis de sanctionner ou non. L’IGPN et l’IGGN peuvent proposer des sanctions, mais ne disposent pas de ce pouvoir disciplinaire.

b.   Le contrôle effectué par l’autorité judiciaire

Par ailleurs, des sanctions disciplinaires peuvent être prises par l’autorité judiciaire à l’encontre des forces de sécurité intérieure :  ainsi que l’a rappelé la circulaire du 20 septembre 2016 ([70]), il existe deux procédures disciplinaires relevant de l’autorité judiciaire :

– le procureur général peut suspendre ou retirer l’habilitation d’un officier de police judiciaire en cas de manquements professionnels ou d’atteintes à l’honneur ou à la probité ayant une incidence sur sa capacité à exercer des missions de police judiciaire de manière satisfaisante (articles R. 15-2 et R. 15-6 du code de procédure pénale) ;

– le procureur général peut saisir la chambre de l’instruction, afin de priver temporairement ou définitivement les officiers et agents de police judiciaire de l’exercice de ces fonctions (articles 224 et suivants du code de procédure pénale ([71])).

2.   Les suites judiciaires : une enquête pouvant donner lieu le cas échéant à l’ouverture de poursuites

La direction des affaires criminelles et des grâces a confirmé à vos rapporteurs que l’ouverture d’une enquête judiciaire par le parquet est « quasi-systématique » en cas d’usage par un policier ou un gendarme de son arme de service. Dès lors que des blessures ont été causées, et a fortiori en cas de décès, cette enquête est nécessairement ouverte ([72]).

Parfois perçue comme le signe d’un « acharnement » contre les forces de l’ordre, elle ne présume pourtant en rien de la culpabilité de l’agent concerné, qui bénéficie comme tout justiciable de la présomption d’innocence.

Les affaires d’usage de l’arme par les forces de l’ordre ne font pas l’objet d’une procédure spéciale d’enquête, de poursuite et de jugement : elles sont traitées comme des infractions de droit commun. Dans ce cadre, des mesures de sûreté de droit commun peuvent donc être prises à l’encontre de l’agent si les circonstances de l’espèce l’exigent. Ces mesures, parfois mal acceptées par les forces de l’ordre, conduisent à s’interroger sur la légitimité de l’introduction éventuelle de règles de procédure spécifiques applicables aux affaires d’usage de l’arme par les forces de l’ordre.

a.   L’enquête et les poursuites : un cadre général de droit commun

● L’enquête judiciaire est ouverte dans le cadre de la qualification pénale qui semblera la plus appropriée. Il peut s’agir, en particulier, des infractions suivantes :

– violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7 du code pénal) ([73]) ;

– violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-9 du code pénal) ([74]) ;

– homicide involontaire (article 221-6 du code pénal) ([75]) ;

– violences suivies ou non d’incapacité totale de travail (articles 222-12 et 222-13 du code pénal) ([76]).

L’objectif principal de l’enquête est de s’assurer de l’absolue nécessité de recourir à l’usage des armes, et du caractère strictement proportionné de cet usage au regard des circonstances de l’espèce.

Le ministère public dispose du libre choix du service d’enquête et oriente son choix en fonction des critères de complexité et de gravité des faits. Dans les cas les plus graves ou les plus complexes, ce sont l’IGPN ou l’IGGN ou qui sont saisies, au titre de leurs prérogatives d’enquête judiciaire, « au regard notamment de l’importance du préjudice subi, de la qualité de la victime, des fonctions du ou des mis en cause, de la pluralité de mis en cause ou encore du caractère organisé des faits ». L’IGPN précise être saisie de façon systématique en cas d’usage d’arme ayant entraîné un décès ([77]).

Les actes d’enquête incluent notamment l’audition de l’agent concerné (sous le régime de l’audition libre ou de la garde à vue), et des vérifications administratives concernant la régularité de son port d’arme.

Audition libre et garde à vue

La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut être entendue en audition libre. Elle est alors un accusé au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950  et bénéficie donc des droits associés : droit au silence, droit d’être assisté par un avocat. La personne ne peut être poursuivie pour faux témoignage. Elle peut quitter les lieux à tout moment.

Le placement en garde à vue est une mesure privative de liberté qui peut être exercée à l’encontre d’une personne dont il existe des raisons valables de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. La personne a droit à un avocat et droit au silence. La durée de la garde à vue est de 24 heures, qui peuvent être abrégées ou prolongées.

● Par la suite, le cas échéant, des poursuites judiciaires peuvent être engagées. L’ouverture d’une information judiciaire s’accompagne souvent de mesures conservatoires parmi celles prévues à l’article 137 du code de procédure pénale :

– le placement sous contrôle judiciaire, qui oblige la personne concernée à se soumettre, selon la décision du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention, à une ou plusieurs des obligations énumérées à l’article 138 du code de procédure pénale. En l’espèce, il est souvent fait interdiction à l’agent de porter ou de détenir une arme, d’exercer sa profession, ou d’être en contact avec du public. Il peut également lui être fait interdiction de paraître dans la commune du lieu des faits ou de rentrer en contact avec ses collègues ;

l’assignation à résidence avec surveillance électronique ;

– la détention provisoire, dans les conditions prévues à l’article 144 du code de procédure pénale.

● Il convient de rappeler que la qualité de policier ou de gendarme constitue une circonstance aggravante pour certaines infractions (violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violences avec ou sans incapacité). Cette circonstance peut aussi être cumulée avec celle d’usage de l’arme dans certains cas.

b.   La question de l’opportunité d’un traitement procédural spécifique

Il est parfois avancé que les missions et prérogatives des forces de l’ordre, au service de l’intérêt général, justifieraient un traitement dérogatoire en termes de procédure, qui se traduirait, par exemple, par le recours systématique au régime de l’audition libre plutôt que de la garde à vue pour entendre l’agent mis en cause ou encore par le recours à des juridictions spécialisées pour l’instruction et le jugement. Pour certains syndicats de policiers, la procédure de garde à vue est inadaptée et humiliante, tandis que la détention provisoire est jugée inutile pour s’assurer de policiers qui, employés par l’État, ne risquent pas de fuir.

Vos rapporteurs ne souscrivent pas à ces arguments ni à l’idée, avancée au cours de certaines auditions, de mettre en place un traitement procédural spécifique pour les agents des forces de l’ordre auteurs de tirs. Ils considèrent au contraire qu’il est souhaitable que le cadre de droit commun continue à s’appliquer à ces affaires – cadre qui, rappelons-le, respecte la présomption d’innocence.

L’existence d’un cadre procédural spécifique risquerait d’accréditer l’idée, parfois déjà relayée dans certains médias et sur les réseaux sociaux, que les forces de l’ordre font l’objet d’un traitement de faveur, ou qu’ils sont au contraire considérés avec davantage de sévérité que les justiciables ordinaires. Il appartient aux juges de faire les choix qui leur paraissent opportuns en fonction de la nature des faits et du profil de l’agent concerné.

Pour autant, quelques ajustements sont de nature, selon vos rapporteurs, à améliorer le traitement judiciaire des affaires de tirs de forces de l’ordre.

  1.   Une enquête dépassionnée et sincère au service de la vérité judiciaire

Le dépaysement judiciaire consiste à dessaisir la juridiction normalement compétente au profit d’une autre.

Il peut être décidé :

– soit sur le fondement de l’article 43 du code de procédure pénale, pour des raisons tenant à la qualité des personnes mises en cause, comme auteur ou comme victime ;

– soit sur le fondement de l’article 665 du même code, pour cause de sûreté publique ou dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Le rapport annuel du ministère public pour l’année 2020 ([78]) se borne à constater, dans sa partie consacrée spécifiquement au traitement des plaintes enregistrées contre des policiers et des gendarmes, que « les parquets ont tendance à solliciter [s]a mise en œuvre », sans préciser si cette procédure est fréquente. Sollicitée par vos rapporteurs, la direction des affaires criminelles et des grâces n’a pas pu fournir d’informations permettant d’objectiver le nombre d’affaires ayant fait l’objet d’un dépaysement. Le syndicat Unité Magistrats SNM-FO considère pour sa part que « le dépaysement des affaires est très exceptionnel et que nos collègues font état de la difficulté d’abord de le demander (…) et en cas de demande, de l’obtenir » ([79]).

Les acteurs judiciaires auditionnés par vos rapporteurs sont partagés sur ce sujet, la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires rappelant que le dépaysement « peut être préjudiciable en termes de délai et de compréhension des choses », tandis que le Conseil national des barreaux et le syndicat Unité Magistrats SNM-FO s’y montrent plus favorables.

Le dépaysement dans le code de procédure pénale

Article 43

« Lorsque le procureur de la République est saisi de faits mettant en cause, comme auteur ou comme victime […] un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale […] qui est habituellement, de par ses fonctions ou sa mission, en relation avec les magistrats ou fonctionnaires de la juridiction, le procureur général peut, d’office, sur proposition du procureur de la République et à la demande de l’intéressé, transmettre la procédure au procureur de la République auprès du tribunal judiciaire le plus proche du ressort de la cour d’appel. Si la personne en cause est en relation avec des magistrats ou fonctionnaires de la cour d’appel, le procureur général peut transmettre la procédure au procureur général près la cour d’appel la plus proche, afin que celui-ci la transmette au procureur de la République auprès du tribunal judiciaire le plus proche [...]. »

Article 665

« Le renvoi d’une affaire d’une juridiction à une autre peut être ordonné pour cause de sûreté publique par la chambre criminelle, mais seulement à la requête du procureur général près la Cour de cassation.

Le renvoi peut également être ordonné, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par la chambre criminelle, soit sur requête du procureur général près la Cour de cassation, soit sur requête du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a son siège, agissant d’initiative ou sur demande des parties.

La requête mentionnée au deuxième alinéa doit être signifiée à toutes les parties intéressées, qui ont un délai d’un mois pour déposer un mémoire au greffe de la Cour de cassation.

Dans les dix jours de la réception de la demande et s’il n’y donne pas suite, le procureur général près la cour d’appel informe le demandeur des motifs de sa décision. Ce dernier peut alors former un recours devant le procureur général près la Cour de cassation qui, s’il ne saisit pas la chambre criminelle l’informe des motifs de sa décision.

La chambre criminelle statue dans les huit jours de la requête. »

Vos rapporteurs, pour leur part, se montrent sensibles au principal argument en faveur du dépaysement, à savoir la proximité possible entre les membres des forces de l’ordre exerçant des fonctions d’officier de police judiciaire et les magistrats des juridictions territorialement compétentes, eu égard à leurs fonctions. Pour Maître Laurent-Franck Lienard, « Les liens sont souvent trop étroits et trop personnels entre les magistrats et les forces de l’ordre et cela peut nuire à l’appréciation objective et sereine de certains dossiers, dans un sens comme dans l’autre » ([80]).

Vos rapporteurs s’accordent donc sur l’intérêt du dépaysement judiciaire, tant dans l’intérêt des victimes que dans celui des forces de l’ordre. Ils souhaitent que cette possibilité juridique soit pleinement exploitée lorsqu’elle est pertinente à l’occasion des affaires d’usage de l’arme par les forces de l’ordre.

Recommandation n° 8 : Encourager, au moyen d’une circulaire du garde des Sceaux, le dépaysement des affaires mettant en cause l’usage d’une arme à feu par les forces de l’ordre, le cas échéant sous réserve de critères déterminés par cette circulaire et pouvant tenir, par exemple, à la gravité de l’affaire ou à son retentissement.

Les vidéos constituent un élément de preuve important dans les affaires de refus d’obtempérer. Elles peuvent provenir des caméras de vidéosurveillance, d’enregistrements effectués par des particuliers à l’aide de leur téléphone portable, ou des caméras des forces de l’ordre : les caméras-piéton (portées par l’agent lui-même) et les caméras embarquées dans un véhicule.

L’usage des caméras piéton et embarquées présente un intérêt à plusieurs titres.

Elles permettent de participer à la manifestation des faits, la direction générale de la gendarmerie nationale soulignant qu’elles garantissent « la documentation objective et transparente des interactions entre les forces de l’ordre et les administrés » ([81]). Du côté des forces de l’ordre, elles sont perçues comme une garantie pour leur sécurité juridique face à des vidéos amateur parfois tronquées, ou ne présentant qu’un seul angle de la scène. Le syndicat Synergie Officiers y voyait ainsi un moyen « d’opposer à la version des médias nos propres moyens de preuve ». La direction générale de la police nationale rappelait toutefois qu’elles ne constituent qu’un élément parmi d’autres et n’empêchent pas la recherche « d’autres éléments susceptibles d’établir la matérialité des faits (constatations, auditions…) » ([82]).

Elles apportent une plus grande transparence sur l’action des forces de l’ordre, au bénéfice des relations entre ces dernières et la population.

En permettant le cas échéant l’identification du conducteur, elles peuvent enfin faciliter les poursuites et la répression des infractions connexes aux refus d’obtempérer lorsque le conducteur est au volant d’un véhicule volé ou « emprunté ».

Pour autant, vos rapporteurs sont plus circonspects sur leur caractère dissuasif. Il est sans doute vain d’espérer qu’elles puissent contribuer directement à la baisse du nombre de tirs sur des véhicules en mouvement, eu égard au contexte de très forte tension dans lequel ces tirs se déroulent généralement ([83]).

● L’usage des caméras-piétons est autorisé pour les policiers et les gendarmes depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ([84]), précisée par le décret n° 2022-605 du 21 avril 2022 ([85]). Désormais, 22 000 caméras-piéton sont déployées dans la gendarmerie et 32 000 le sont dans la police nationale.

Le cadre juridique fixé par l’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure relatif à l’usage des caméras piéton

L’article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure permet aux agents de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale, dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens ainsi que de leurs missions de police judiciaire, de procéder, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions, lorsqu’un incident se produit ou est susceptible de se produire.

Les enregistrements ont pour finalités :

– la prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale ;

– le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ;

– la formation et la pédagogie des agents.

Plusieurs garanties sont apportées :

– les caméras sont portées de façon apparente par les agents et les militaires. L’information du public est assurée par un signal visuel spécifique, indiquant si la caméra enregistre, tandis que l’information des personnes filmées l’est au déclenchement de l’enregistrement, sauf si les circonstances l’interdisent ;

– l’enregistrement n’est pas permanent ;

– les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout d’un mois.

● Contrairement aux caméras piétons, le recours aux caméras embarquées, c’est-à-dire à l’ensemble des dispositifs de captation d’images installés sur des véhicules ou des embarcations, ne faisait l’objet d’aucun cadre juridique spécifique jusqu’à la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 ([86]).

Elles étaient déjà utilisées en pratique, dans des conditions de sécurité juridique insatisfaisantes, en particulier au regard des atteintes à la vie privée qu’elles peuvent engendrer.

Une première tentative d’encadrement, issue de la loi « Sécurité globale » ([87]), a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel, celui-ci ayant considéré que « le législateur n’a[vait] pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée » ([88]).

La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure insère au sein du code de la sécurité intérieure un chapitre encadrant l’usage des caméras embarquées (articles L. 243-1 à L. 243-5). Les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie ([89]), dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection des personnes et des biens, et aux seules fins d’assurer la sécurité de leurs interventions, peuvent procéder à un enregistrement de leurs interventions dans des lieux publics lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances ou au comportement des personnes concernées.

Ce dispositif a été complété par la parution, le 18 mars 2024, d’un décret en Conseil d’État ([90]) portant application des articles L. 243-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Le cadre juridique des articles L. 243-1 et suivants du code de la sécurité intérieure relatif à l’usage des caméras embarquées

Un certain nombre de garanties sont apportées :

 – L’enregistrement ne peut être permanent et ne peut être déclenché que lorsque les conditions prévues au même article L. 243-1 sont réunies. Il ne peut se prolonger au-delà de la durée de l’intervention.

– L’information du public est assurée par une signalétique spécifique apposée sur le moyen de transport et, quand un enregistrement est en cours, par un signal visuel ou sonore spécifique, sauf si les circonstances de l’intervention l’interdisent.

– Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont conservés pendant une durée maximale de sept jours.

– Les caméras embarquées sont employées de telle sorte qu’elles ne visent pas à recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Lorsque l’emploi de ces caméras conduit à visualiser de tels lieux, l’enregistrement est immédiatement interrompu.

Les acteurs auditionnés par vos rapporteurs se sont montrés presque unanimement favorables au  déploiement des caméras piéton et embarquées ([91]), même si des désaccords persistent en particulier sur les modalités de leur déclenchement. Le déclenchement à la seule initiative des forces de l’ordre, comme c’est le cas actuellement, est jugé insatisfaisant par Maître Arié Alimi ou la Ligue des droits de l’homme. La recherche d’autres dispositifs – comme un enregistrement permanent ou un déclenchement possible à l’initiative des tiers – pose des questions technologiques (capacité de stockage, activation à distance) et juridiques (respect de la vie privée des équipages).

Chaque caméra ne rendant visible qu’un champ limité, l’usage simultané de plusieurs caméras permet de multiplier les points de vue. Aussi vos rapporteurs saluent-ils le déploiement bien avancé des caméras-piéton et estiment-ils souhaitable d’accélérer celui des caméras embarquées au sein des véhicules de la police et de la gendarmerie.

Recommandation n° 9 : Amplifier le déploiement des caméras embarquées dans les véhicules de police et de gendarmerie.

  1.   Dans l’attente du jugement, la prise en compte des conséquences personnelles et professionnelles de la procédure pour l’agent concerné

Même dans l’hypothèse où il bénéficierait finalement d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement, l’agent qui fait l’objet de poursuites voit sa vie professionnelle durablement bouleversée, et avec elle, souvent, sa vie familiale et personnelle.

D’après la direction des affaires criminelles et des grâces, la durée de traitement des affaires « peut varier de manière particulièrement importante, en fonction de la gravité des faits et de l’ampleur des investigations à réaliser » ([92]). En fonction de la procédure choisie, plusieurs semaines à plusieurs années peuvent s’écouler entre la prise en charge par le parquet et la condamnation visant au moins une infraction de violence par personne dépositaire de l’autorité publique : un à deux mois en cas de comparution immédiate, de quelques mois à un an en cas de convocation par un officier de police judiciaire, convocation par procès-verbal ou comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, un an et demi pour une citation directe et trois ans en cas d’instruction.

Pendant cette période, l’agent est susceptible d’être placé sous contrôle judiciaire, dans le cadre duquel il peut lui être interdit de « se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale […] » (article 138 du code de procédure pénale).

Cet article permet une suspension concernant uniquement l’exercice des missions de voie publique, ou une suspension professionnelle totale emportant de lourdes conséquences pour l’agent : exclusion socioprofessionnelle, suspension de traitement avec des conséquences sur la vie personnelle et familiale. Aussi le syndicat Unité magistrats SNM-FO rappelle-t-il à juste titre qu’ « une interdiction d’exercice, dans le cadre d’une procédure qui aboutirait le cas échéant à un non-lieu après une ou plusieurs années d’instruction, serait extrêmement préjudiciable pour le fonctionnaire concerné » ([93]).

La liberté d’appréciation du juge dans le prononcé des mesures de contrôle judiciaire doit être maintenue. Vos rapporteurs estiment toutefois important que tous les magistrats soient conscients des possibilités offertes par l’article 138 du code de procédure pénale et que la suspension partielle, c’est-à-dire concernant le seul exercice des missions de voie publique, soit privilégiée.

Ils souscrivent pleinement à la remarque de Mme Karine Gonnet de la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ) : « retrait de la voie publique, évidemment ; fin de la vie sociale et du traitement, non ! ».

Recommandation n° 10 : Expliciter, par voie de circulaire du garde des Sceaux, la possibilité, dans le cadre du contrôle judiciaire, de suspendre uniquement l’exercice des fonctions sur la voie publique, tout en permettant l’exercice de fonctions administratives. 

  1.   La question de la formation et de la spécialisation des magistrats

L’office du juge s’exerce in concreto, en fonction des circonstances particulières de l’affaire. Dès lors, sans exiger, comme le craint le Syndicat national de la magistrature, que le juge « soit guidé par une connaissance parfaite du travail du policier pour bien juger » ([94]), vos rapporteurs considèrent que l’appréciation juste de ces circonstances ne peut qu’être facilitée par une connaissance pratique minimale des réalités du terrain.

● La formation initiale des magistrats aux techniques de maintien de l’ordre et aux réalités de terrain des forces de l’ordre repose actuellement sur un stage court dans un service d’enquête.  

De l’aveu même de nombreux membres de forces de l’ordre avec qui vos rapporteurs ont pu s’entretenir au cours de leur déplacement à Marseille, cette obligation, si nécessaire soit-elle, reste insuffisante. Elle ne permet pas aux auditeurs de se rendre compte des réalités du terrain comme le ferait un stage dans un service de sécurité publique, que vos rapporteurs proposent donc de rendre obligatoire.

Recommandation n° 11 : Rendre obligatoire, en formation initiale, la réalisation d’un stage dans un service de sécurité publique, soit en allongeant la durée consacrée aux stages, soit en réduisant de moitié la durée du stage dans un service d’enquête pour consacrer le temps ainsi dégagé à la sécurité publique.

● Par la suite, au cours de la formation continue, la sensibilisation aux contraintes et conditions d’exercice des forces de l’ordre apparaît encore trop tributaire de la bonne volonté des magistrats ou des initiatives locales. L’offre de formation continue propose des formations théoriques et pratiques sur l’usage des armes. La conférence nationale des procureurs généraux indique aussi que des initiatives locales, reposant sur les relations entre les procureurs de la République et les formateurs spécialisés, permettent à des magistrats de participer à des séances de tir ou à des mises en situation leur permettant d’être sensibilisés au maniement des armes et au stress généré par le contexte des interventions.

Ces initiatives méritent d’être saluées, mais elles apparaissent encore insuffisantes. Maître Laurent-Franck Lienard déplore notamment que « toutes les semaines des magistrats demandent à nos clients pourquoi ils n’ont pas tiré dans les pneus, alors qu’il est acquis que ces tirs sont dangereux et inefficaces », ce qui témoigne selon lui d’un « manque cruel de connaissance technique de la part de nos juges » ([95]). Le caractère disparate des initiatives génère, de surcroît, des inégalités de traitement des affaires de tirs en fonction du magistrat ou de la juridiction concernée, ce qui est source d’injustice.

Aussi vos rapporteurs sont-ils favorables à ce que ces thématiques soient abordées et proposées de façon plus systématique aux magistrats en formation continue.

Recommandation n° 12 : Promouvoir une offre de formation continue tendant à sensibiliser les magistrats aux spécificités et aux réalités des missions des forces de l’ordre, et promouvoir le suivi de ces formations par les magistrats.

● Enfin, vos rapporteurs estiment nécessaire que ces affaires soient confiées à des magistrats disposant d’une expertise particulière sur ces thèmes.

À cette fin, la désignation de magistrats référents apparaît préférable à la création de pôles spécialisés de magistrats, parfois évoquée par certains acteurs. Le volume des affaires concernées ne justifie pas nécessairement que des magistrats y soient exclusivement affectés alors que les effectifs et moyens de l’autorité judiciaire restent sous tension. 

Un système de magistrats référents présenterait toutefois un intérêt certain pour assurer le suivi des affaires de tirs, faire office de référent pour les services d’enquête et contribuer au développement d’actions de formation entre forces de l’ordre et magistrats.

Recommandation n° 13 : Désigner des magistrats référents pour les affaires d’usage de leur arme par les forces de l’ordre.

3.   Des justiciables comme les autres ?

Interrogée par vos rapporteurs sur le nombre de procédures engagées pour usage de l’arme depuis dix ans dans le cadre d’un refus d’obtempérer, le nombre de ces procédures classées sans suite, le nombre de mises en examen et, parmi elles, le nombre de mises en examen assorties d’un contrôle judiciaire, la direction des affaires criminelles et des grâces a indiqué ne pas « dispos[er] d’élément statistique précis sur ces points » ([96]).

Sans surprise, la question de la réponse judiciaire des forces de l’ordre auteurs de tirs dans le cadre des refus d’obtempérer a fait l’objet d’appréciations très disparates par les différentes personnes auditionnées par vos rapporteurs.

La plupart des syndicats de policiers portent un regard critique sur un traitement qu’ils considèrent comme particulièrement sévère à l’égard des forces de l’ordre. Le Syndicat indépendant des commissaires de police dénonce « un traitement de défaveur » des policiers, l’UNSA Police considère que ces derniers ne bénéficient de fait pas de la présomption d’innocence, tandis qu’Alliance Police nationale dénonce un « déchaînement judiciaire, administratif et surtout médiatique » à l’encontre de leurs collègues. Maître Laurent-Franck Lienard pointe, pour sa part, « l’aspect politique de ces questions et l’orientation que certains magistrats donnent à l’affaire en fonction de leurs opinions personnelles ».

Ce point de vue n’est pas partagé par tous, et d’autres appréciations s’inscrivent dans une perspective totalement opposée à celle-ci.

Ainsi, pour Olivier Cahn, la jurisprudence disponible montre que les juges font « une application bienveillante au bénéfice des policiers des règles de la légitime défense ou des dispositions de l’article L. 435-1 et qu’ils prennent en considération les circonstances dans lesquelles l’arme est utilisée pour apprécier la légalité d’un tel acte » ([97]). De même, pour Maître Arié Alimi, la pratique judiciaire prend déjà en compte la qualité de membre des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions des agents mis en cause ([98]). Le Syndicat national de la magistrature regrette que « la diligence de l’autorité judiciaire à enquêter sur ces affaires [soit] très inégale ». C’est la médiatisation d’une affaire qui aurait tendance à rendre l’autorité judiciaire plus diligente, tandis que « certaines affaires moins médiatisées donnent lieu à des mises en examen extrêmement tardives, parfois plusieurs années après les faits, laissant les victimes dans l’incompréhension du traitement judiciaire réservé à des comportements pourtant très graves » ([99]).

De fait, faute d’accès à des données statistiques précises, il est difficile à vos rapporteurs de se faire une idée du traitement exact qui est fait des affaires de tirs par l’autorité judiciaire. Quand bien même ces données seraient-elles accessibles, les chiffres eux-mêmes, séparés du contexte propre à chaque affaire, pourraient difficilement donner lieu à des conclusions.

Vos rapporteurs reconnaissent donc ne pas être en mesure de formuler une appréciation éclairée sur ce point dans le cadre du présent rapport.

 

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   Deuxième partie : les évolutions du cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre

En tant que signataire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la France a des obligations relatives à la protection du droit à la vie, protégé par l’article 2 de la Convention ([100]). Ainsi, le recours à la force potentiellement meurtrière par des agents de l’État doit être encadré par des dispositions légales protégeant la vie des personnes. Selon le juge français à la Cour européenne des droits de l’homme Mattias Guyomar, auditionné par vos rapporteurs, « l’encadrement de l’usage des armes est presque inhérent à l’obligation qui pèse sur les États d’assurer le droit à la vie ».

Le cadre légal d’usage des armes par les forces de l’ordre a connu, ces dernières années, des évolutions substantielles. Jusqu’en 2017, les policiers et les gendarmes inscrivaient leur action armée dans deux régimes légaux distincts, même si la jurisprudence les avait de facto unifiés et que certaines dispositions leur étaient communes. Depuis la loi du 28 février 2017, un cadre légal unique régit l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure.

I.   avant 2017, la coexistence de deux régimes distincts d’usage de leur arme par les forces de l’ordre, néanmoins rapprochés par la jurisprudence

Avant la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ([101]), les membres de la police nationale et de la gendarmerie nationale n’étaient pas soumis au même cadre légal d’usage des armes. L’action des forces de sécurité intérieure répondait néanmoins aux mêmes exigences, du fait de la jurisprudence et de la doctrine restrictive en vigueur dans la gendarmerie. En outre, les dispositions issues de la loi du 3 juin 2016, relatives aux situations de « périple meurtrier » ([102]), qui s’appliquaient tant aux policiers qu’aux gendarmes, avaient posé les bases d’un régime commun.

A.   un régime spécifique ancien pour les gendarmes, le régime de droit commun du code pénal pour les policiers

Alors que les gendarmes bénéficiaient d’un régime ancien qui leur était spécifique, les policiers inscrivaient tout usage d’une arme dans les dispositions de droit commun du code pénal.

1.   Les gendarmes ont longtemps bénéficié d’un régime d’usage des armes qui leur était spécifique

Le régime d’usage des armes des gendarmes s’inscrivait, avant 2017, dans les dispositions d’un décret de 1903, dont le contenu a connu de profondes modifications sous le régime de Vichy. Ces dispositions ont ensuite fait l’objet d’une codification dans le code de la défense.

a.   Le cadre issu du décret du 20 mai 1903, profondément modifié par la loi du 22 juillet 1943

Avant 2017, l’action armée des gendarmes s’inscrivait dans un cadre juridique ancien, encadré par le décret organique du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie ([103]). Son article 174, dans sa version initiale, en vigueur jusqu’en 1943, prévoyait que les gendarmes ne pouvaient « déployer la force des armes » que dans deux cas :

– lorsque des violences ou voies de fait étaient exercées contre eux ;

– s’ils ne pouvaient défendre autrement le terrain qu’ils occupaient ou les personnes qui leur étaient confiées, ou si la résistance était telle qu’elle ne pouvait être vaincue autrement que par la force des armes.

L’apparente ancienneté des conditions d’usage des armes pour les gendarmes ne doit cependant pas masquer des évolutions profondes survenues sous le régime de Vichy. En effet, la loi n° 392 du 22 juillet 1943 ([104]) a considérablement élargi ces conditions. D’une part, le premier cas a été élargi aux situations où les gendarmes étaient menacés par des individus armés. D’autre part, l’usage des armes a été autorisé dans deux situations supplémentaires :

– lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

– lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’ont pas obtempéré à l’ordre d’arrêt.

La loi n° 513 du 18 septembre 1943 ([105]) avait esquissé un rapprochement entre le régime juridique d’usage des armes des policiers et celui des gendarmes, en rendant applicables les dispositions de la loi du 22 juillet 1943 précitée « aux membres du personnel de la police en uniforme ou en tenue civile, sous réserve que les sommations prévues (…) soient faites sous la forme de l’appel : “Halte ! Police !”, au lieu de : “Halte ! Gendarmerie !” ».

Néanmoins, alors que les gendarmes sont restés soumis au régime légal tel que modifié par le régime de Vichy après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les dispositions relatives aux policiers ont été abrogées à la Libération ([106]). L’ordonnance n° 53-1309 du 23 décembre 1958, relative à l’usage des armes et au rétablissement de barrages de circulation par le personnel de la police a rétabli ces dispositions à titre provisoire dans le contexte de la guerre d’Algérie. Elles ont été de nouveau supprimées à l’issue de la guerre.

b.   La codification

Le code de la défense, créé par l’ordonnance n° 2004-1374 du 20 décembre 2004, procède à une codification des dispositions de l’article 174 du décret du 20 mai 1903, modifiées par la loi du 22 juillet 1943. L’article L. 2338-3 du code de la défense ainsi créé disposait :

« Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;

2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;

3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. »

Une lecture littérale du texte pouvait laisser penser qu’il consacrait un droit d’usage des armes particulièrement extensif, dans la mesure où les 3° et 4° de l’article, issus de la loi du 22 juillet 1943, autorisaient les gendarmes à faire feu contre des véhicules ou des fugitifs sans faire référence à la dangerosité de leur comportement. En pratique, comme l’analysera la suite de cette partie, la doctrine et la jurisprudence appellent à nuancer ce constat, du moins pour la période récente ([107]).

Le décret de 1903 a été abrogé par la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, mais les dispositions codifiées ont perduré à l’article L. 2338-3 du code de la défense.

2.   Les policiers inscrivaient quant à eux leur action armée dans les causes d’irresponsabilité pénale du droit commun

À l’exception des périodes évoquées plus haut, relativement courtes et liées aux événements exceptionnels que furent l’Occupation et la guerre d’Algérie, les policiers relevaient des dispositions de droit commun pour l’usage des armes. Ces dispositions correspondaient à trois causes objectives d’irresponsabilité pénale ([108]) : la légitime défense, l’état de nécessité et l’ordre de la loi. Par souci de clarté, ces trois faits justificatifs seront présentés mais dans la pratique, l’action armée des policiers s’inscrivait largement dans le seul cadre de la légitime défense.

a.   La légitime défense

La première cause d’irresponsabilité pénale est la légitime défense. Qualifiée de notion « historique et universelle » par Maître Arié Alimi lors de son audition par vos rapporteurs, la légitime défense figurait déjà à l’article 328 du code pénal de 1810 ([109]).

Les principales précisions apportées par la jurisprudence ont été codifiées lors de l’élaboration du nouveau code pénal, adopté le 22 juillet 1992. Depuis son entrée en vigueur le 1er mars 1994, le premier alinéa de son article 122-5, resté inchangé, dispose : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

Aux termes de cet article, plusieurs conditions strictes et cumulatives doivent être réunies pour qu’une personne puisse valablement se prévaloir de la légitime défense.

● Les unes tiennent à l’agression, qui doit être injustifiée. Ni une personne ayant initié une agression, ni une personne résistant à une arrestation régulière ([110]) ne peuvent se prévaloir de la légitime défense. L’agression doit également être réelle ou du moins vraisemblable : en fonction des circonstances de l’espèce, la légitime défense peut en effet être admise pour une agression apparente mais non réelle, à condition qu’elle soit normalement vraisemblable. Dans un arrêt du 26 juillet 2000, la Cour de Cassation a ainsi affirmé que « la légitime défense est caractérisée par le fait que l’agresseur a fait naître, dans l’esprit de la victime, la croyance de l’existence d’un danger et la nécessité de riposter pour échapper à ce dernier » ([111]).

● Les autres conditions tiennent à l’acte de riposte. Celui-ci doit avoir lieu « dans le même temps » que l’agression, cette exigence de concomitance ayant été réaffirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Dans l’arrêt du 26 juillet 2000 précité, la Cour souligne que « l’exclusion de la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction en raison […] de l’état de légitime défense dans lequel il se serait trouvé au moment où il l’a commise, suppose […] que l’agression […] qui est invoquée soit actuelle ou imminente ».

La riposte doit en outre être nécessaire. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans une décision du 19 juin 1990, que la légitime défense de soi-même ou d’autrui n’exige pas, pour son application, que l’auteur ou la personne au secours de qui il s’est porté se soient trouvés en péril de mort ([112]). Un arrêt du 26 juin 2012 a ensuite permis d’établir une définition positive de la nécessité : une défense est considérée nécessaire et mesurée lorsque l’acte accompli était le seul moyen de se défendre contre une agression ([113]).

Enfin, les moyens utilisés doivent être proportionnés à la gravité de l’atteinte subie. La Cour de cassation a ainsi estimé, dans une décision du 17 janvier 2017, que seule peut être prise en compte une éventuelle disproportion entre l’agression et les moyens de défense employés, « peu important à cet égard le résultat de l’action » ([114]).

● Les dispositions du code pénal prévoient du reste une irresponsabilité pénale susceptible de s’appliquer à l’ensemble des actes commis en situation de légitime défense, alors que l’ancien code ne désignait que les homicides et les coups et blessures.

● Enfin le code pénal n’établit aucune distinction entre la légitime défense de soi-même et celle d’autrui. 

b.   L’état de nécessité

L’état de nécessité est une cause d’irresponsabilité pénale qui se rapproche fortement de la légitime défense. Elle est toutefois peu adaptée aux situations auxquelles les forces de l’ordre peuvent se trouver confrontées en tant que telles.

D’origine jurisprudentielle, cette notion a été intégrée à l’article 122-7 du code pénal, qui dispose ainsi : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

Il suppose que soient réunies un ensemble de conditions. D’abord, il faut pouvoir justifier de l’existence d’une menace à l’encontre d’une personne ou d’un bien, menace qui doit se traduire par un danger actuel ou imminent. Dans une décision du 12 novembre 1956 qui a fait jurisprudence, le tribunal correctionnel de Nantes a ainsi jugé que pour être reconnu, l’état de nécessité doit placer l’auteur devant un danger immédiat et certain et non hypothétique ou futur. L’acte effectué doit être nécessaire : dans une décision du 19 novembre 1958, le tribunal correctionnel d’Avesnes-sur-Helpe a considéré que, pour bénéficier de l’irresponsabilité pénale, l’auteur d’une infraction doit pouvoir démontrer qu’il courait un péril inévitable par tout autre moyen que le délit qu’il a commis. Enfin, l’acte de riposte doit être proportionné.

En pratique, l’état de nécessité trouve surtout matière à s’appliquer face à un danger impersonnel, anonyme et résultant d’un concours de circonstances souvent purement matérielles – à l’inverse de la légitime défense, qui répond à un danger « matérialisé par une agression qui est “personnalisée” » ([115]). Aussi la légitime défense est-elle généralement préférée à l’état de nécessité, en ce qui concerne l’action des forces de l’ordre ([116]).

c.   L’ordre ou l’autorisation de la loi et le commandement de l’autorité légitime

Les notions d’ordre ou d’autorisation de la loi et de commandement de l’autorité légitime sont anciennes mais ont fait l’objet de changements substantiels avec la réforme du code pénal intervenue en 1992.

L’ancien code pénal disposait en son article 327 : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime. »

La réforme du code pénal a transformé l’approche de ce fait justificatif :

– d’une part, de manière analogue aux changements survenus pour la légitime défense, l’article 122-4 du nouveau code pénal prévoit une irresponsabilité pénale générale – et non seulement pour deux infractions, sans toutefois empêcher la constatation de l’infraction ;

– d’autre part, les deux cas d’ordre de la loi et de commandement de l’autorité légitime, qui étaient assimilés dans l’ancienne version, sont désormais envisagés séparément.

L’article L. 122-4 du code pénal actuellement en vigueur dispose ainsi :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires.

N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. »

● L’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement peut résulter de dispositions réglementaires et non seulement légales. En pratique, l’autorisation de la loi de l’article 122-4 du code pénal trouvait matière à s’appliquer, pour les policiers, dans le cadre des dispositions de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, relatives à l’utilisation de la force publique pour dissiper un attroupement ([117]). Cet article prévoit que l’usage de la force ne peut avoir lieu qu’après deux sommations de se disperser, adressées par le représentant de l’État, le maire de la commune ou tout officier de police judiciaire, demeurées sans effet. Cette disposition était rarement mise en œuvre ([118]).

● Le commandement de l’autorité légitime doit quant à lui être compris de manière stricte. La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi estimé, dans une décision du 6 octobre 2021, qu’un fonctionnaire de police ne pouvait invoquer le commandement de l’autorité légitime dans la mesure où son action avait dépassé les consignes qu’il avait reçues ([119]).


B.   deux régimes rapprochés par la jurisprudence

Malgré la coexistence de deux régimes légaux distincts, « la jurisprudence développée tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par la Cour de cassation [tendait] à assimiler les cas d’usage légitime des armes pour les deux forces » ([120]).

Les conditions a priori permissives applicables aux gendarmes ont été restreintes par la doctrine et la jurisprudence.

  1.   Une doctrine claire et limitative

Les instructions internes à la gendarmerie révèlent une doctrine limitative en matière d’usage des armes. Cette doctrine a tempéré la portée du droit d’usage des armes consacré par l’article L. 2338-3 du code de la défense. Trois circulaires méritent en particulier d’être examinées.

D’abord, une note express du 30 août 1996 émanant de la Direction générale de la gendarmerie nationale, et que vos rapporteurs ont pu consulter, rappelle que la possibilité de faire usage des armes, hors situation de légitime défense, ne peut se concevoir « [qu’] à défaut de tout autre moyen permettant d’arrêter le fuyard » et « qu’à l’encontre de personnes dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments généraux ou particuliers qui établissent ou font présumer leur participation à un crime ou délit grave ». Ainsi, bien que formellement absentes des dispositions légales, les notions de nécessité de l’usage de l’arme et de dangerosité du fugitif figuraient bien dans la doctrine de la gendarmerie.

La circulaire du 7 mars 2006, relative à l’emploi en service de l’armement de dotation par les militaires de la gendarmerie, a ensuite explicité ces notions et y a ajouté la notion de proportionnalité. Aux termes de cette circulaire, l’usage des armes par les gendarmes devait, même hors légitime défense, « être strictement nécessaire et proportionné » et « ne [pouvait] se concevoir qu’à défaut de tout autre moyen permettant d’arrêter un fuyard ou d’immobiliser un véhicule ».

Enfin, la circulaire du 2 février 2009, qui a remplacé la circulaire du 7 mars 2006 précitée, a de nouveau limité les conditions dans lesquelles les gendarmes sont autorisés à utiliser leur arme. Citant la convention européenne des droits de l’homme, cette circulaire précise notamment que l’interprétation jurisprudentielle « restreint de facto l’usage des armes à l’encontre des seules personnes dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments d’information généraux […] et surtout immédiats […] qui établissent ou font présumer leur participation à un crime ou à un délit grave […] et/ou représentant une menace pour la vie ou l’intégrité des personnes […] et en l’absence de toute autre possibilité d’action […] ».

Ces conditions sont reprises par la circulaire 133000 du 6 octobre 2014 puis la circulaire 233000 du 1er mars 2017, actuellement en vigueur.

L’analyse de ces circulaires permet d’établir que la doctrine de la gendarmerie nationale en matière d’usage des armes est limitative : les conditions d’immédiateté, de nécessité et de proportionnalité s’ajoutent aux dispositions légales. Ces restrictions s’accompagnent en outre d’interprétations jurisprudentielles restrictives.

2.   Des interprétations jurisprudentielles restrictives

Outre les instructions internes à la gendarmerie, la jurisprudence a également restreint les conditions d’usage de l’arme pour les gendarmes.

D’abord, l’usage des armes en application de l’article L. 2338-3 du code de la défense a été limité aux gendarmes en tenue militaire. Ainsi, dans une décision du 16 janvier 1996, la Cour de cassation a jugé qu’un militaire de la gendarmerie dans l’exercice d’une mission de police en tenue civile ne pouvait faire usage de son arme que dans les conditions de la légitime défense de droit commun ([121]).

Ensuite, la Cour de cassation a restreint, par une décision du 18 février 2003, l’usage des armes par les gendarmes aux situations dans lesquelles  cet usage était « absolument nécessaire en l’état des circonstances de l’espèce » ([122]). Cette interprétation stricte, plusieurs fois rappelée ([123]), a « anéanti le régime légal d’usage des armes par les gendarmes » selon le maître de conférences en droit privé et sciences criminelles Olivier Cahn, auditionné par vos rapporteurs. Elle a du reste permis à la Cour de cassation de juger le cadre légal d’usage des armes pour les gendarmes conforme à la Convention européenne des droits de l’homme ([124]).

La Cour européenne des droits de l’homme a souscrit à cette interprétation, en considérant, dans son arrêt du 17 avril 2014 Guerdner et autres contre France, que le cadre juridique français d’usage des armes par les gendarmes « est suffisant pour offrir un niveau de protection du droit à la vie  “par la loi” qui est requis dans les sociétés démocratiques contemporaines en Europe » ([125]). Il semble important de noter que ce cadre juridique comprend non seulement les dispositions législatives, mais également les normes règlementaires et les instructions reçues par les gendarmes. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé dans le même arrêt que la procédure interne était conforme aux exigences de la convention. En effet, la Cour a estimé que « l’enquête menée […] a été suffisamment indépendante » et « [qu’il n’a pas été] établi que les autorités judiciaires […] ont manqué d’impartialité » ([126]).

Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé, dans une décision du 27 février 2008, que les dispositions du code de la défense devaient être interprétées comme permettant l’usage des armes « avec mesure et discernement dans le cadre d’une nécessité absolue et à l’encontre de personnes impliquées dans des faits criminels ou de délinquance grave » ([127]). La jurisprudence a donc consacré un critère de proportionnalité pour tout usage de l’arme fait en application de l’article L. 2338-3 du code de la défense.

Il résulte des instructions évoquées plus haut et de la jurisprudence un rapprochement du cadre d’usage des armes par les gendarmes du droit commun de la légitime défense.

C.   La loi du 3 juin 2016 : un début d’harmonisation dans les situations de « périple meurtrier »

Dans le contexte des attentats terroristes des années 2015-2016, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a prévu la possibilité pour les forces de l’ordre de faire usage de leur arme à l’encontre de personnes effectuant un « périple meurtrier ».

1.   Un « arsenal législatif […] ne permettant pas d’appréhender toutes les situations » ([128])  dans un contexte de terrorisme

La vague d’attentats terroristes islamistes qui a frappé la France à partir de 2015 a dévoilé des lacunes dans le cadre légal d’usage des armes. En particulier, la condition d’immédiateté qu’exige la légitime défense ne permettait pas de répondre à l’évolution du mode opératoire terroriste. L’étude d’impact du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ([129]) constate ainsi :

« Entre deux coups de feu, il arrive que les individus déambulent sans menacer quiconque au sens strict de la loi (canon de l’arme baissée, aucune victime particulièrement visée). Cependant leur périple n’en demeure pas moins meurtrier puisqu’ils passent de nouveau à l’acte dès qu’ils le peuvent. Leur mode opératoire consiste ainsi en une succession d’assassinats multiples entrecoupés de périodes ne permettant pas stricto sensu de retenir la légitime défense pour autrui ».

Le projet de loi déposé par le Gouvernement visait donc « à répondre à un besoin opérationnel et au légitime souci de sécurité juridique des forces de l’ordre » ([130]). Il créait au sein du code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 434-2, caractérisant la réponse à un périple meurtrier comme relevant de l’état de nécessité au sens de l’article L. 122-7 du code pénal.

La rédaction finalement adoptée par la commission des lois du Sénat, qui figurera dans la loi du 3 juin 2016, a profondément modifié ces dispositions.

2.   Les dispositions de la loi du 3 juin 2016 

L’article 122-4-1 du code pénal, créé par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, disposait :

« N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ».

Ces dispositions s’appliquent à l’ensemble des forces de sécurité, c’est‑à‑dire aux fonctionnaires de la police nationale, aux militaires de la gendarmerie nationale, aux agents des douanes ainsi qu’aux militaires déployés dans le cadre de l’opération « Sentinelle ». Elles conditionnent l’usage de l’arme aux deux exigences conventionnelles et jurisprudentielles que sont l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité.

Deux autres conditions figurent également à cet article : d’une part, un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre doivent avoir été commis ; d’autre part, les membres des forces de sécurité doivent avoir des raisons réelles et objectives d’estimer probable la réitération de tels crimes. La condition de temporalité a été élargie par rapport aux causes d’irresponsabilité pénale précédemment évoquées, puisque l’article autorise l’usage de l’arme « dans un temps rapproché ».

Mélange « de légitime défense et d’état de nécessité, élargis et dénaturés » ([131]), ces dispositions ne sont demeurées que brièvement dans le code pénal.

La création d’une disposition commune aux deux forces de sécurité a en effet conduit le Conseil d’État à préconiser une unification plus large du régime légal d’usage des armes. Dans son avis du 3 février 2016 sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, le Conseil relevait ainsi « que […] dès lors que le parti est pris par le Gouvernement de modifier le régime de l’usage des armes par les forces de l’ordre, devrait être redéfini plus globalement cet usage afin notamment […] d’harmoniser les règles applicables aux policiers et aux gendarmes, ces deux forces étant désormais placées sous une même autorité ».

II.   L’harmonisation des conditions d’usage de leur arme par les forces de l’ordre par la loi du 28 février 2017

A.   une évolution suscitée par un contexte politique et sécuritaire particulier

Les évolutions portées par la loi du 28 février 2017 constituent une réponse politique au « malaise profond » des forces de sécurité intérieures. Les rapports parlementaires des deux chambres sur ce projet de loi rappellent ainsi les risques accrus auxquels ces dernières sont exposées et les conséquences sur leurs conditions de travail. L’exposé des motifs du texte s’ouvre quant à lui sur la « mobilisation sans précédent [des forces de sécurité intérieure] pour garantir la sécurité des Français ».

Cette évolution législative a été précédée d’une phase de réflexion sur le cadre d’usage des armes.

1.   Des forces de l’ordre sous pression face à la menace terroriste et aux conflits sociaux

À partir de 2015, la menace terroriste et les mouvements sociaux vont faire peser sur les forces de l’ordre une pression et une charge de travail importantes.

L’année 2015 est marquée par plusieurs attentats islamistes. Le 14 novembre 2015, en réponse aux attentats du Stade de France, des terrasses et du Bataclan, l’état d’urgence est décrété une première fois et prorogé pour trois mois par la loi du 20 novembre 2015. Il est de nouveau prorogé à plusieurs reprises jusqu’en 2017.

Les états d’urgence se traduisent, pour les forces de l’ordre, par une augmentation des missions de surveillance, des patrouilles, des perquisitions ou de la gestion des assignations à résidence. Il en résulte, pour les agents concernés, une dégradation de leurs conditions de travail et de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, due à des annulations de congés ou à la diminution des temps de repos et de formation. La presse se fit l’écho de leur fatigue ([132]).

Ce contexte global de tensions s’accompagne de menaces pesant plus spécifiquement sur les forces de l’ordre en tant que telles, comme l’illustrent deux événements dramatiques. Le 13 juin 2016, à Magnanville, un couple de fonctionnaires de police, Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne, Jessica Schneider, étaient assassinés par un individu se revendiquant de l’état islamique, à son domicile, sous les yeux de leur jeune enfant. Le tueur était ensuite abattu par les hommes du RAID. Le 8 octobre 2016, deux policiers ont été grièvement brûlés dans l’attaque de leur véhicule par des individus armés de cocktails Molotov.

À la même période, le contexte social fait peser une pression supplémentaire sur les forces de sécurité intérieure.

D’une part, la visibilité des Blacks blocs dans les manifestations s’accroît. Ces derniers seront particulièrement actifs au cours des manifestations contre la loi Travail (à partir de mars 2016), qu’ils infiltrent pour se livrer à des affrontements avec les forces de l’ordre et à des dégradations matérielles de symboles supposés du capitalisme : banques, commerces, panneaux publicitaires. D’autre part, les rassemblements continuent sur la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), contre le projet controversé de construction d’un nouvel aéroport.

Cette situation désastreuse sur le plan psychologique s’illustre aussi au regard des chiffres de suicides dans les forces de l’ordre. En ce qui concerne la gendarmerie, il est de 24 pour 100 000 en 2015 et 2016, de 16 pour 100 000 en 2017 et même de 32 pour 100 000 en 2018 ([133]). Au sein de la police nationale, ont été recensés 44 suicides en 2015, 36 en 2016 et 51 en 2017 ([134]).

Face à cette situation, des dispositions sont prises pour augmenter les effectifs des forces de l’ordre : des recrutements exceptionnels sont engagés, et des aménagements de la formation initiale des forces de l’ordre mis en œuvre pour former plus rapidement les élèves. Le contexte sécuritaire et social a toutefois engendré une charge de travail importante pour les forces de l’ordre ([135]).

C’est dans ce contexte que se développent à l’automne 2016 des manifestations de policiers spontanées, nocturnes et en dehors de toute base syndicale ([136]). Le mouvement finit par se constituer en association, « Mobilisation des Policiers en colère ».

2.   La réflexion sur l’évolution du cadre légal d’usage des armes

La réflexion sur le cadre légal de l’usage des armes n’a pas débuté avec le dépôt du texte qui deviendra la loi du 28 février 2017. Ce texte s’est nourri de travaux antérieurs, au Parlement et en dehors. Par ailleurs, l’instauration d’une présomption de légitime défense au bénéfice des forces de l’ordre, parfois évoquée, était d’emblée écartée.

a.   La mission dite « Cazaux-Charles » relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure 

Plusieurs propositions de loi tendant à réformer le cadre légal d’usage de leur arme par les forces de l’ordre avaient été déposées devant les deux chambres ([137]) avant que le sujet fasse l’objet d’une mission confiée en 2016 par le Premier ministre à l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice (INHESJ). Il s’agissait d’organiser les conditions d’un dialogue avec les organisations syndicales de police et le conseil de la fonction militaire gendarmerie, de diriger un travail interministériel entre les ministères de la justice et de l’intérieur et d’examiner l’opportunité d’une évolution du cadre juridique d’usage des armes ainsi que les conditions de cette évolution.

Fruit des travaux de cette mission, le rapport de la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure ([138]), présidée par Hélène Cazaux-Charles, directrice de l’INHESJ, porte trois principaux axes de recommandations.

● En premier lieu, le rapport propose la création d’un régime légal spécifique d’usage des armes pour les forces de l’ordre. La mission a en effet constaté que même si la différenciation du cadre légal d’usage des armes entre policiers et gendarmes ([139]) « mérite d’être relativisée en considération de la jurisprudence applicable, elle apparaît partiellement injustifiée dans le contexte actuel de rapprochement » entre ces deux forces.

Il ressort des auditions menées par la mission que cette différence était « ressenti[e] comme une source d’incompréhension génératrice d’un malaise certain » dans les forces de sécurité intérieure. Au-delà du ressenti des personnels concernés, la situation n’apparaît pas justifiée eu égard au rattachement organique désormais commun, aux missions, et aux risques encourus. Le rapport préconisait même d’étendre ce cadre aux douaniers, aux militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense et aux militaires chargés sur ce même territoire de la protection des installations militaires.

Le cadre légal unifié proposé par la mission s’inspire de l’article L. 2338-3 du code de la défense et respecte la jurisprudence établie par la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme.

Le cadre d’usage des armes unifié proposé par la mission Cazaux-Charles  

Légitime défense de soi-même ou d’autrui

« 1° Lorsque des violences sont exercées contre eux ou contre autrui ou lorsqu’ils sont en présence de personnes armées dont le comportement leur permet raisonnablement de craindre un passage à l’acte imminent, menaçant directement leur vie ou leur intégrité physique ou celles de tiers et que celles-ci refusent de déposer leur arme après deux sommations à haute et intelligible voix, faisant état de la qualité de leur auteur et ordonnant le dépôt des armes. La seconde sommation précise que le refus d’obtempérer est suivi de l’emploi de la force armée ; »

Défense des postes, terrains ou personnes qui leur sont confiés

« 2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ; »

Personnes cherchant à échapper à leur garde ou à leurs investigations

« 3° Lorsque, immédiatement après sommations faites à haute voix à l’encontre de personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations, celles-ci ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes et alors qu’ils ont des raisons réelles et objectives de penser qu’en s’enfuyant, elles vont perpétrer des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou celles de tiers ; »

Refus d’obtempérer (véhicule)

« 4° Lorsqu’ils ne peuvent autrement immobiliser immédiatement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et alors qu’ils ont des raisons réelles et objectives de penser qu’en s’enfuyant, leurs occupants vont perpétrer des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou celles de tiers. »

● Conscients que l’évolution du régime d’usage des armes n’aurait de sens que si elle s’accompagne d’une réflexion sur la façon dont ce cadre est enseigné à ceux qui sont amenés à en faire usage, les membres de la mission consacrent aussi plusieurs recommandations à la formation des forces de l’ordre et des magistrats. La mission propose aussi des solutions en réponse au « défaut d’accompagnement sur le terrain », notamment pour les jeunes policiers, et au « sentiment de solitude dans le déroulement des procédures consécutives à l’usage des armes ».

● Enfin, tout en excluant la création d’un statut dérogatoire du droit commun, applicable aux policiers et gendarmes en raison de leur seule profession dans le cadre des enquêtes sur les conditions d’usage de l’arme par les forces de sécurité, la mission considère qu’il est opportun de s’interroger sur les pratiques professionnelles en matière de procédure, et d’envisager leur harmonisation.

Le texte finalement adopté par le Parlement est différent du texte proposé par la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure. L’étude des débats parlementaires devant le Sénat, puis l’Assemblée nationale, permet de mieux comprendre ses évolutions.

b.   Le refus de la présomption de légitime défense

Bien qu’elle ait fait l’objet de plusieurs propositions de loi à l’Assemblée comme au Sénat, l’instauration d’une présomption de légitime défense au bénéfice des policiers et gendarmes n’a pas été retenue. Elle a de même été écartée en amont des réflexions par le rapport Cazaux-Charles.

La notion de présomption de légitime défense n’est pourtant pas totalement étrangère à la procédure pénale française, qui l’admet déjà dans deux cas. L’article L. 122-6 du code pénal prévoit ainsi qu’« est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit un acte :  1o pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2o pour se défendre contre les auteurs de vols ou pillages exécutés avec violence ».

Dès lors, l’idée était avancée par certains représentants des forces de l’ordre de compléter cet article pour étendre une telle présomption aux forces de l’ordre faisant usage de leurs armes dans l’exercice de leurs fonctions. Cette solution n’est pas apparue opportune, car factice et dangereuse.

La présomption ainsi instaurée, liée à la qualité des personnes en cause, ne saurait être assimilée aux cas existants déjà, ces derniers étant relatifs à des circonstances particulières.

De plus, cette présomption, dans un État de droit, ne saurait être que simple, et donc susceptible d’être écartée par la preuve contraire. Les cas de présomption existants ne constituent pas un blanc-seing absolu ; comme le montre une jurisprudence constante et ancienne, l’article L. 122-6 n’instaure qu’une présomption simple de légitime défense. L’étude d’impact du projet de loi rappelle qu’« une présomption irréfragable qui exclurait tout contrôle du juge, ne pouvant être envisagée. ».

Dès lors, mal comprise, elle pourrait donner aux forces de l’ordre comme au grand public l’illusion d’une irresponsabilité pénale générale. Cette situation serait de nature à générer de forts risques juridiques chez des forces de l’ordre, tout en renforçant encore la méfiance d’une partie de la population à leur égard.

Cette impasse est bien résumée par Maître Liénard qui, auditionné par vos rapporteurs, considérait qu’une une présomption de légitime défense conduirait à un changement de pratique dans l’usage des armes, mais pas de l’application de la loi par les magistrats, sauf à créer une présomption irréfragable, « ce qui serait un délire absolu du point de vue juridique ». En d’autres termes, comme l’observait le rapporteur du texte au Sénat François Grosdidier, « ce ne serait rendre service à personne ».

B.   vers l’article L. 435-1 du code de la sÉcurité intérieure

Issu de la loi du 28 février 2017, l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure rassemble, dans un article unique, des dispositions applicables aux policiers et gendarmes, jusqu’alors régis par des textes différents.

  1.   Le principe d’un cadre commun aux policiers et gendarmes

Si le contenu même de l’article a pu faire l’objet de débats, le principe d’une harmonisation des règles, fruit d’une réflexion initiée depuis plusieurs années, n’a pas été contesté au cours des débats parlementaires.

Dans son avis du 3 février 2016, le Conseil d’État soulignait que « dès lors que le parti est pris par le Gouvernement de modifier le régime de l’usage des armes par les forces de l’ordre, devrait être redéfini plus globalement cet usage afin notamment de renforcer la cohérence de l’ensemble du dispositif […] et enfin d’harmoniser les règles applicables aux policiers et aux gendarmes, ces deux forces étant désormais placées sous une même autorité » ([140]).

Le même constat transparaît des travaux préparatoires du projet de loi relatif à la sécurité intérieure. Ils soulignent aussi que ce rapprochement rendrait le cadre plus lisible et faciliterait la formation.

Le rapporteur du texte au Sénat indiquait pour sa part que « le besoin se fait sentir d’une doctrine partagée entre la chancellerie et le ministère de l’intérieur et d’un cadre commun aux policiers et aux gendarmes, qui interviennent de plus en plus dans les mêmes conditions et sont confrontés aux mêmes risques. Rien ne justifie deux régimes différents. Rien ne justifie non plus qu’une partie des agents des forces de l’ordre, dont la mission est de protéger les citoyens, soient soumis aux règles de droit commun applicables aux citoyens » ([141]).

2.   Sur les conditions d’ouverture du feu, la difficile recherche du juste équilibre tout au long des débats parlementaires

L’analyse des débats parlementaires permet de mieux comprendre comment la rédaction proposée par le Gouvernement a été modifiée par le Sénat, puis par l’Assemblée, jusqu’à la rédaction actuellement en vigueur ([142]).

a.   Le projet de loi déposé par le Gouvernement

Le projet de loi déposé au Sénat par le Gouvernement prévoyait cinq cas d’usage de leur arme par les forces de l’ordre « agissant dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité » et « en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » ([143]) :

– « 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles de tiers », sans que des sommations préalables soient nécessaires eu égard à l’actualité de la menace qui exige une riposte instantanée ;

– «  Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés » ;

– « 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix à des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations, ils ne peuvent contraindre ces personnes à s’arrêter que par l’usage de leurs armes, dans le but de les empêcher de perpétrer de manière imminente des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers ». Plus restrictive que l’ancien texte du 3° de l’article L. 2338-3 du code de la défense applicable aux gendarmes, cette disposition est conforme à la jurisprudence de la CEDH ([144]) ;

– « 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt, autrement que par l’usage de leurs armes, dans le but de les empêcher de perpétrer de manière imminente des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers ». Comme pour le 3°, la rédaction ici retenue est plus restrictive que celle qui se trouve dans l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui ne faisait aucune référence à la dangerosité des occupants du véhicule ;

– « 5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. » Cet alinéa constitue une reprise des dispositions relatives au « périple meurtrier », introduites à l’article 122-4-1 du code pénal par la loi du 3 juin 2016.

b.   Les débats au Sénat : la suppression de la notion d’imminence

● À l’initiative du rapporteur du texte au Sénat, François Grosdidier, la notion d’ « imminence » de la perpétration des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique, prévue dans la rédaction initiale du 4°, a été supprimée par la commission des Lois du Sénat au profit de la rédaction suivante : «  Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt, autrement que par l’usage de leurs armes et qu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer probable la perpétration par ces conducteurs d’atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ([145]).

La rédaction du gouvernement était en effet jugée problématique à plusieurs égards.

D’une part, le rapporteur faisait valoir qu’elle « conduira à mettre les forces de l’ordre dans une situation d’insécurité juridique en cas d’usage de leurs armes car il leur sera en pratique impossible de démontrer le caractère imminent de la perpétration d’une nouvelle atteinte » ([146]). Par ailleurs, le rapporteur observait aussi le flou qui s’attache à la notion d’imminence, que « Nul n’est capable de définir […], pas même les magistrats : est-ce une affaire de secondes, de minutes ? » ([147]). Pour le président de la commission des Lois Philippe Bas, la réécriture du rapporteur devait « faciliter la tâche des policiers », qui n’auraient pas à se poser la question de l’imminence ([148]).

Le rapporteur soulignait enfin les difficultés pratiques qu’elle pouvait entraîner, pointées par la police et la gendarmerie au cours des auditions : « on ne tire pas au milieu de la foule. Or s’il n’y a pas de foule, certains magistrats considèrent que la menace n’est plus imminente. Cela pose un problème : au moment où la fenêtre de tir se dégage, l’imminence disparaît, alors même que l’on sait qu’elle réapparaîtra quelques minutes plus tard ». Cette interprétation était susceptible d’ouvrir « une brèche dans laquelle les avocats s’engouffreront » ([149]).

Les arguments avancés en commission à l’appui de sa rédaction par le rapporteur reflètent le souci d’établir « un texte interprétable et praticable, ne donnant pas lieu à d’infinis contentieux » ([150]).

En reprenant le terme de « raisons réelles et objectives », cette rédaction se rapproche de celle proposée dans le rapport de la mission Cazaux-Charles, sans lui être totalement identique. Elle a été maintenue en séance.

● Les dispositions du 1° (atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, ou à celles de tiers), 2° (défense de terrains, de postes ou de personnes) et 5° (périple meurtrier) de l’article sont restés pratiquement inchangés au cours de leur examen au Sénat ([151]).

c.   Les débats à l’Assemblée nationale : une « ligne de crête » ([152])

● La rédaction des 3° et 4° a de nouveau été modifiée à l’initiative du rapporteur du texte à l’Assemblée, Claude Goasdoué. Le 4°, issu des travaux de la commission des Lois, autorise ainsi l’usage des armes « lorsqu’ils [les agents] ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ([153]).

Les députés n’ont pas souhaité revenir à la notion d’imminence, comme l’a rappelé Claude Goasdoué, auditionné par vos rapporteurs. Lors des débats en commission, il observait ainsi : « Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation avait ainsi appelé mon attention sur le fait qu’elle liait beaucoup trop le juge, lequel, alors même qu’il aurait la conviction que le tir était légitime – j’emploie ce terme dans un sens non juridique – se trouverait “coincé” faute de pouvoir prouver l’“imminence” d’une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des forces de sécurité ou d’autrui » ([154]).

Les débats parlementaires mettent en évidence le fait que la rédaction de la commission des Lois de l’Assemblée nationale était considérée comme un juste milieu entre une rédaction du Gouvernement jugée trop restrictive et une rédaction du Sénat jugée trop lâche. Pour le rapporteur, la rédaction retenue par le Sénat « ouvre trop largement le champ d’application des cas définis aux 3° et 4° du nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure […] Une telle modification ne paraît pas conforme au principe de nécessité exigé par la jurisprudence, européenne ou nationale, selon lequel l’usage de la force n’est légitime que si l’individu visé constitue une véritable menace au moment du tir. Il ne faut donc pas que la menace soit seulement probable, ni même que la personne visée soit jugée intrinsèquement dangereuse ; il est impératif que le comportement de la personne dans sa fuite soit dangereux et rende absolument nécessaire l’usage de la force armée pour écarter ce danger » ([155]).

La nouvelle rédaction a par ailleurs le mérite de proposer un encadrement temporel de la possibilité de faire usage de l’arme à compter du début de la fuite de l’individu.

● Les 1°, 2° et 5° de l’article n’ont pas connu de modifications substantielles au cours des débats à l’Assemblée ([156]).

 

Les évolutions de la rédaction du 4° de l’article L 435-1

Texte proposé par la mission Cazaux-Charles

« 4° Lorsqu’ils ne peuvent autrement immobiliser immédiatement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et alors qu’ils ont des raisons réelles et objectives de penser qu’en s’enfuyant, leurs occupants vont perpétrer des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou celles de tiers ».

Texte proposé par le Gouvernement

« 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt, autrement que par l’usage de leurs armes, dans le but de les empêcher de perpétrer de manière imminente des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers ».

Texte adopté en commission au Sénat et non modifié en séance publique

«  Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt, autrement que par l’usage de leurs armes et qu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer probable la perpétration par ces conducteurs d’atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Texte adopté en commission à l’Assemblée nationale, en vigueur

«  Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

 

C.   L’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure : un cadre commun qui intègre explicitement les principales précisions issues de la jurisprudence

L’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction actuelle, se montre particulièrement précis dans sa description des conditions d’usage de l’arme, relatives à l’agent et à la situation. Il intègre en particulier des précisions d’origine jurisprudentielle.

1.   Les conditions relatives à l’agent

● Pour faire usage de leur arme à feu dans les conditions prévues à l’article L. 435-1, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale doivent être dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité.

Faute d’uniforme ou de ces insignes, le recours à la force armée au titre de l’article L. 435-1 est proscrit. Tel était déjà le sens de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans deux arrêts de 1996 impliquant deux gendarmes ne portant pas leur uniforme, considère qu’ils ne peuvent pas se prévaloir des faits justificatifs issus du décret de 1903 portant règlement sur l’organisation du service de la gendarmerie ([157]). Cette analyse a été confirmée par l’étude d’impact du projet de loi relatif à la sécurité publique : les policiers et gendarmes ne peuvent alors faire usage de leur arme à feu que dans les conditions de droit commun, ouvertes à toute personne.

● Si seuls sont expressément désignés dans cet article les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale, d’autres catégories de personnel peuvent se prévaloir de ses dispositions, par un système de renvois. C’est le cas :

– des « militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 » du code de la défense ([158]) (article L. 2338-3 du même code) ;

– les agents des douanes (article 56 du code des douanes) ;

Enfin, certains agents ne peuvent se prévaloir que de certains alinéas de cet article :

– les militaires chargés de la protection des installations militaires situées sur le territoire national peuvent faire usage de leur arme dans les conditions prévues aux 1° à 4° de l’article L. 435-1, en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée (article L. 2338-3 du code de la défense) ;

– les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire peuvent faire usage d’une arme à feu en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée dans les cas prévus aux 1° et 2° de l’article L. 435-1 (article L. 227-1 du code pénitentiaire) ;

– les agents de police municipale autorisés à porter une arme peuvent faire usage de celle-ci dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 435-1 et dans les cas prévus au 1° du même article.

2.   Les conditions relatives aux modalités d’usage des armes

Le premier aliéna de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure rappelle que l’usage des armes ne peut intervenir qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. Cette condition était déjà bien en place dans la jurisprudence.

Les alinéas suivants énumèrent les cas permettant l’usage de l’arme dans le respect des exigences fixées par le premier alinéa. En pratique, l’usage des armes dans le cadre de refus d’obtempérer, donc contre des véhicules en mouvement, est susceptible de recouvrir les cas prévus au 1°, au 4° et au 5°.

– Le 1° se rapproche des situations de légitime défense. Il s’agit des situations où « des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui » ;

– Le 4° concerne directement les refus d’obtempérer commis par le conducteur d’un véhicule. S’il constitue une infraction au regard du code de la route, le seul refus d’obtempérer ne suffit pas à justifier l’usage de l’arme : il faut en effet que les occupants soient « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ;

– Le 5° correspond aux situations de « périple meurtrier » : il s’agit d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque les forces de l’ordre ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

Le tableau ci-dessous résume l’évolution des textes relatifs à l’usage des armes dans la gendarmerie, et met en évidence leur continuité.

La comparaison entre le cadre actuel et le cadre anciennement applicable aux policiers est quant à elle moins évidente.


 


La continuité du cadre légal d’usage de leur arme par les gendarmes 

 

Décret du 20 mai 1903, modifié par la loi du 22 juillet 1943

Codification de 2004

Loi du 3 juin 2016

 

Loi du 28 février 2017

 

Les officiers, gradés et gendarmes ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme…

Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :

Lorsque des violences ou voies de fait étaient exercées contre eux, ou en cas de menace par des individus armés

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;

 

-

1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;

S’ils ne pouvaient défendre autrement le terrain qu’ils occupaient ou les personnes qui leur étaient confiées, ou si la résistance était telle qu’elle ne pouvait être vaincue autrement que par la force des armes.

 

2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;

-

2 ° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne pouvaient être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

 

-

3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’avaient pas obtempéré à l’ordre d’arrêt.

 

4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. 

 

-

4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

… dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme.

5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.


   Troisième partie : UNE DIVERGENCE QUANT À L’OPPORTUNITÉ D’AMENDER LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL mais une concordance POUR CE QUI CONCERNE L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D’AMÉLIORER LA FORMATION DES POLICIERS

Ces évolutions du cadre juridique rappelées de manière exhaustive, il importe désormais de s’arrêter sur leur impact.

La question de l’existence d’un lien causal entre l’évolution du cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, intervenue par la loi du 28 février 2017, et celle du nombre de tirs, et plus particulièrement du nombre de tirs mortels, des forces de l’ordre contre des véhicules en mouvement, notamment des policiers, a bien entendu été omniprésente tout au long des auditions menées par vos rapporteurs. Elle a profondément divisé l’ensemble des personnes entendues, certaines d’entre elles pouvant être regroupées en deux camps assez fermement campés sur leur position. Elle est déterminante aux fins d’analyser l’impact de la loi souvent abusivement dite « Cazeneuve » et partant, l’opportunité de la réviser.

Vos rapporteurs ne se divisent pas sur la question de l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’évolution du cadre juridique et celle du nombre de tirs car ils ne prétendent pas conclure ce débat. La très grande difficulté d’interprétation des données recueillies, déjà rappelée au début de ce rapport ([159]), invite à la plus grande prudence. Parce qu’ils ont néanmoins une sensibilité différente sur le sujet, ils auront des préconisations divergentes quant à l’évolution du cadre juridique actuel.

Vos rapporteurs se retrouvent en revanche sans nuance pour prôner une amélioration de la formation des forces de l’ordre et tout particulièrement des policiers. Si des améliorations sont intervenues sur de nombreux points, la formation initiale comme la formation continue demeurent perfectibles. Les lacunes sont donc persistantes et ont été régulièrement soulignées par le passé notamment dans le cadre de la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité présidée par Hélène Cazaux‑Charles qui comprenait déjà une partie entière sur la formation « à perfectionner » et précisait que le nouveau cadre légal d’usage des armes qu’elle appelait de ses vœux devrait nécessairement s’accompagner d’une « formation adaptée […], cohérente entre les deux forces de sécurité intérieure, en concertation avec l’autorité judiciaire pour l’enseignement du droit de l’usage des armes » ([160]).

I.   nonobstant une impossibilitÉ de trancher le dÉbat sur l’existence ou non d’un lien entre la loi de 2017 et l’Évolution du nombre de tirs, des recommandations discordantes sur le devenir du cadre juridique

Sans prétendre trancher la question de l’existence d’un lien entre la réforme intervenue en 2017 et l’évolution quantitative des tirs des forces de l’ordre contre les véhicules en mouvement, vos rapporteurs n’auront toutefois pas la même appréciation de l’opportunité politique de modifier l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure.

A.   Une controverse sur l’existence d’un lien de causalitÉ entre la loi de 2017 et le nombre de victimes qui affaibliT malheureusement la lÉgitimitÉ des forces de l’ordre

La question de l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’évolution du cadre légal d’usage des armes par les forces de l’ordre et celle du nombre de tirs effectués contre les véhicules en mouvement a été l’objet d’âpres débats tout au long de la mission d’information. Vos rapporteurs n’ambitionnent pas de trancher la question, ce qui paraît à ce stade impossible, mais assument avoir une sensibilité divergente sur le sujet.

Quoi qu’il en soit, l’image des forces de l’ordre se trouve particulièrement abîmée par l’existence même de ce débat. Vos rapporteurs appellent donc à une discussion plus apaisée sur ce sujet grave, qui mérite des perspectives et des solutions concrètes, bien davantage que des polémiques politiques et des mises en cause institutionnelles graves.

1.   Un lien de causalité controversé entre la modification du cadre juridique et l’évolution du nombre de tirs mortels contre les véhicules en mouvement

Les données quantitatives concernant l’évolution des tirs mortels contre les véhicules en mouvement ont été analysées plus haut dans le rapport, tout comme la question de leur relation avec l’augmentation des refus d’obtempérer ([161]). Il s’agit ici de s’arrêter sur la question du possible lien de causalité entre cette évolution du nombre de tirs et la modification du cadre juridique intervenue en 2017.

a.   Une étude pointe un lien de causalité direct entre l’évolution du cadre légal d’usage des armes et une augmentation des tirs mortels des forces de l’ordre contre les véhicules en mouvement

Les personnes arguant de l’existence d’un lien de causalité entre la loi du 28 février 2017 et l’évolution du nombre de tirs des policiers contre les véhicules en mouvement se fondent essentiellement sur une étude des chercheurs Sebastian Roché (CNRS), Paul Le Derff (université de Lille) et Simon Varaine (université Grenoble Alpes), publiée dans la revue Esprit en septembre 2022 ([162]).

Le postulat de base de cette étude est que « la loi de février 2017 relative à la sécurité publique autorise les policiers français à tirer sur les occupants de véhicules même lorsqu’ils ne représentent pas une menace immédiate, ce qu’une simple analyse statistique permet de relier à l’augmentation du nombre de décès à partir de cette date. Pourtant, les dirigeants politiques et les organisations syndicales persistent à nier le rôle de la législation, en restreignant le débat public autour de la seule question des comportements dangereux des citoyens ».

La méthode suivie est dite « quasi-expérimentale » ([163]) et a été présentée à vos rapporteurs par Sebastian Roché lors de son audition. L’étude consiste à regarder dans un groupe « test » (ici, la police) les modifications de comportement avant et après un « traitement » (ici, la modification de la loi) dans des unités de temps (ici, les mois), sur une durée égale avant et après la date pivot (ici, l’entrée en vigueur de la loi). La même chose est faite pour le groupe témoin (pour lequel la loi n’a pas changé). Les variations d’un groupe par rapport à l’autre sont ensuite examinées. Il s’agit de l’application de la méthode des doubles différences, très souvent utilisée dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques.

Le modèle commence par distinguer les tirs des policiers sur les véhicules en mouvement de ceux effectués sur d’autres cibles, pour chaque mois de septembre 2011 à février 2017, puis pour les mois qui suivent l’entrée en application de la loi. La population de contrôle choisie sont les polices belges et allemandes.

Les chercheurs concluent que les tirs mortels sur les occupants de véhicules en mouvement sont plus fréquents après la réforme de février 2017 (0,32 décès par mois à l’issue d’un tir contre un véhicule contre 0,06 avant la réforme), sans que cette variation ne se constate sur les autres tirs policiers mortels (0,52 décès après la loi, contre 0,59 avant) et sans que cette élévation ne se produise dans les pays voisins testés. Ils concluent plus précisément qu’il y a eu cinq fois plus de personnes tuées par des tirs policiers visant des véhicules en mouvement depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2017 par comparaison avec la période précédente et qu’il y a donc bien un lien entre les deux.

 

 

nombre moyen de personnes tuÉes par des tirs de police chaque mois d’aprÈs l’Étude précitÉé

Source : Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine, « Homicides policiers et refus d’obtempérer. La loi a-t-elle rendu les policiers irresponsables ? », revue Esprit, septembre 2022.

Même s’ils précisent qu’une pluralité de facteurs entre en compte ([164]), les chercheurs excluent que la formation ne puisse expliquer une modification « soudaine et durable du comportement des agents ». Lors de son audition par vos rapporteurs, Sebastian Roché a indiqué que ce sont les mêmes policiers, avec les mêmes grades et les mêmes niveaux de formation, qui changent de comportement immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi.

Quant à l’argument, souvent avancé, du rôle joué par la dangerosité des situations vécues par les forces de l’ordre, les chercheurs considèrent que ce facteur n’est pas de nature à invalider l’effet de la loi de 2017 mis en avant dans l’étude. Pour eux, la violence homicide et les décès de policiers en service diminuent en France, à long terme comme à court terme, les comportements routiers sont de moins en moins accidentogènes, élément qui serait mis en évidence par la baisse du nombre de décès, tandis que le nombre d’infractions à la réglementation sur la consommation d’alcool au volant décroît nettement. La société deviendrait donc moins violente.

b.   De nombreux arguments amènent vos rapporteurs à considérer qu’il est difficile de trancher sur la controverse

Malgré le caractère à première vue implacable de l’étude, plusieurs arguments amènent toutefois à relativiser les résultats des chercheurs.

Bien entendu, ces arguments ont été mis en avant lors d’auditions d’acteurs ayant un intérêt direct – les syndicats représentatifs des policiers ou les hiérarchies de la police et de la gendarmerie nationales – ou indirect – les rapporteurs, à l’Assemblée nationale et au Sénat, du projet de loi qui deviendra la loi du 28 février 2017 ou l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, qui n’a pas porté la loi comme ministre de l’intérieur mais qui l’assume comme Premier ministre – à défendre le cadre juridique.

Mais ils ont aussi été évoqués par des acteurs plus neutres, comme le professeur Jacques-Henri Robert, les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales ou encore une étude approfondie des données rappelées dans la première partie de ce rapport ([165]) par vos rapporteurs qui invitent à ne pas confondre corrélation et causalité et à n’établir une causalité qu’en présence d’un contrefactuel réellement satisfaisant.

● D’abord, l’impact de la loi du 28 février 2017 sur le « pic » du nombre de tirs contre des véhicules effectivement constatés sur l’année 2017 peut être partiellement relativisé. En effet, alors que le cadre juridique de l’usage des armes par les gendarmes n’a pas été concrètement modifié par la loi ([166]), le nombre de tirs sur des véhicules effectués par les militaires durant cette même année 2017 connaît également un pic ([167]).

● Ensuite, si la loi du 28 février 2017 devait avoir eu un impact véritablement déterminant, ses effets se feraient sentir sur le plus long terme et la hausse du nombre de tirs se poursuivrait après 2017. Or, l’ensemble des données démontre une décrue après ce pic ([168]). La circonstance selon laquelle le nombre de tirs demeure plus élevé qu’avant 2017 – surtout pour ce qui concerne la police – pourrait tout à fait être liée à une évolution du cadre dans lequel les forces de l’ordre interviennent.

● De même, une augmentation du nombre de tirs était déjà engagée avant même l’année 2017 et le changement de cadre juridique, aussi bien du côté des policiers que des gendarmes.

● Surtout, comme déjà indiqué par vos rapporteurs, aucune donnée ne permet d’analyser la légitimité des tirs effectués par les forces de l’ordre. Si le nombre augmente sans que la proportion de tirs illégitimes, par exemple ayant donné lieu à une condamnation du policier, n’augmente également, la question se pose alors différemment. Pour mémoire, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) le dit elle‑même dans son rapport annuel 2022 précité, le recensement des tirs ou des décès « n’a pas vocation à déterminer ou rendre compte de la légitimité des usages de la force ou des armes, et ce d’autant plus que dans la plupart des cas le comportement du particulier a été déterminant ».

● De ce point de vue, un raisonnement similaire implique que la hausse du nombre de morts suite à un tir des forces de l’ordre ne permet pas davantage de conclure quoi que ce soit. Sinon, à quel changement de cadre juridique peut-on relier le « pic » de personnes décédées suite à un tir effectué par un policier dans le cadre de refus d’obtempérer en 2022 ?

● Vos rapporteurs ne peuvent aussi que constater, suivant les propos de l’ancien rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale Yves Goasdoué ou l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve lors de leur audition ([169]), que l’étude présente quelques biais :

les termes employés ne sont pas neutres, les chercheurs faisant, dès le départ, une interprétation partiale de la loi de 2017. L’étude précise en effet que « la loi de février 2017 relative à la sécurité publique autorise les policiers français à tirer sur les occupants de véhicules même lorsqu’ils ne représentent pas une menace immédiate » ;

l’argument selon lequel la dangerosité des situations vécues par les forces de l’ordre jouerait un rôle est un peu rapidement écarté, en considérant que la société serait « moins violente ». D’abord, la première partie du rapport a permis de montrer, sans que cela ne soit véritablement contestable, une hausse tendancielle du nombre de refus d’obtempérer, aussi bien simples qu’aggravés, auxquels les forces de l’ordre sont confrontées. Comme cela a déjà été indiqué, ces données sont d’ailleurs très probablement sous-évaluées. De même, vos rapporteurs ont constaté, de manière factuelle, que la part des refus d’obtempérer aggravés augmentait au sein du total. Même s’il ne s’agit pas spécifiquement du cadre de la mission, il convient également de rappeler, en premier lieu, que la diminution du nombre d’accidents de la route et de décès liés ne signifie en rien la diminution de la violence sur la route, sur laquelle de nombreuses associations alertent régulièrement et, en second lieu, que l’idée selon laquelle la société deviendrait de moins en moins violente est très contestable. Un regard rapide sur la courbe des « homicidités » ([170]), dont la progression est notamment portée par la hausse des tentatives d’homicide ([171]), relativise cette idée ;

– le contexte de l’année 2017 n’est jamais mentionné, alors qu’il pourrait bien entendu constituer un facteur explicatif de l’augmentation des tirs de policiers sur des véhicules en mouvement. Cette année correspond à une période où les forces de police sont surmobilisées, à la suite des attentats qui ont endeuillé la France en 2015 et 2016 et des nombreuses contestations sociales de l’année 2016. Elles ont également davantage peur pour leur vie que d’ordinaire, à la suite de l’attentat islamiste de Magnanville en juin 2016, de l’affaire des policiers brûlés à Viry‑Châtillon en octobre 2016 mais aussi de l’assassinat par un terroriste islamiste du policier Xavier Jugelé en avril 2017 sur les Champs‑Élysées ;

– la comparaison avec les polices belges et allemandes, qui ont des cadres d’intervention distincts et qui font face à des comportements différents, ne paraît pas opportune ;

l’ensemble des données utilisées par les chercheurs ne sont pas présentées dans leur étude, cet élément ayant sans aucun doute vocation à être corrigé avec la publication prochaine de l’étude dans une revue internationale européenne de rang 1, dans une version approfondissant les résultats succincts présentés dans la revue Esprit.

c.   Vos rapporteurs n’entendent ainsi pas trancher le débat sur le lien de causalité entre évolution du cadre juridique et hausse du nombre de tirs et de décès

À la lumière de l’ensemble de ces éléments et arguments contradictoires, vos rapporteurs n’entendent ainsi pas trancher le débat.

D’un côté, une étude quantitative basée sur des données partielles, des comparaisons peu opportunes et une sous‑estimation manifeste du contexte de l’époque ne peuvent à elles seules se targuer de constituer une analyse de la relation entre l’évolution du cadre juridique et celle du nombre de tirs de forces de l’ordre contre des véhicules en mouvement. Si les données avancées par cette étude doivent être regardées avec attention – comme l’ont d’ailleurs fait vos rapporteurs – elles ne constituent pas une évaluation complète de la loi du 28 février 2017.

De l’autre, les arguments solides avancés par les pourfendeurs de cette étude fragilisent nombre de ses fondements mais n’apportent pour autant aucune analyse scientifique alternative.

Vos rapporteurs considèrent que ce débat relève davantage du champ sociologique et scientifique. Sans s’en désintéresser, ils considèrent toutefois qu’en l’absence de dynamiques évidentes et constantes et de possibilité d’employer un contrefactuel solide, l’évaluation de l’impact de la loi du 28 février 2017 doit désormais passer dans le champ juridique et l’opportunité d’une éventuelle modification de celleci dans le champ politique.

2.   En tout état de cause, cette controverse entraîne une regrettable dégradation de l’image des forces de l’ordre qui doit conduire à un débat plus apaisé

a.   Quoi qu’il en soit, les affaires très médiatiques d’usage des armes dans le cadre de refus d’obtempérer contribuent à la dégradation de l’image des forces de l’ordre

Tout au long des travaux qu’ils ont menés, vos rapporteurs ont été profondément marqués par le caractère extrêmement sensible du sujet de la mission d’information.

Quelle que puisse être la réalité du lien de causalité discuté ci‑dessus, vos rapporteurs constatent que personne n’est gagnant face à ce débat et que l’image des forces de l’ordre s’en trouve même particulièrement dégradée.

 D’un point de vue individuel, cela a été détaillé plus haut par vos rapporteurs ([172]), dès l’instant où un policier tire, quelle que soit l’issue, les conséquences sont pour lui très nombreuses. Contrairement à une idée reçue sur une prétendue impunité, l’usage de l’arme par un policier ou un gendarme entraîne l’ouverture d’une enquête administrative et d’une enquête judiciaire, parfois perçues comme un signe de défiance à son égard.

Cela a été rappelé, les affaires d’usage de l’arme par les forces de l’ordre ne font pas l’objet d’une procédure spéciale d’enquête, de poursuite et de jugement et sont traitées comme des infractions de droit commun. Vos rapporteurs ont déjà indiqué plus haut ne pas envisager de revenir sur ce principe mais il faut comprendre avec quelle difficulté il peut être reçu par ceux qui sont dépositaires de l’autorité publique et agissent par essence et dans leur quasi-intégralité dans le cadre du droit et pour protéger les individus et la société, fut-ce en ayant recours à leur arme. Même si le tir est présenté comme le dernier recours lors de la formation, il n’en est pas moins enseigné comme un moyen de défense légitime de soi et des autres. La réalité selon laquelle tout tir déclenchera une enquête l’est, hélas, moins.

Bien entendu, si le tir entraîne le décès de l’individu, les enquêtes n’en seront que plus approfondies tandis que les conséquences psychologiques sur le policier ou le gendarme lui-même, non nulles en l’absence de décès, seront démultipliées.

Surtout, en cas de décès, l’affaire sera très probablement médiatisée, conduisant parfois à exposer un policier ou un gendarme sur la place publique, livré à la vindicte populaire dans un cadre laissant peu de place à la présomption d’innocence. Le caractère dramatique de l’affaire conduit chacun à élaborer sa propre interprétation des faits et qui s’accompagne parfois d’images capturées par des amateurs ne présentant de facto qu’une seule version des faits.

● C’est là qu’interviennent les conséquences sur l’image des forces de l’ordre dans leur intégralité. Cette suspicion médiatique, à laquelle s’ajoutent les propos de certains acteurs, notamment politiques, mal intentionnés, aboutissent à une fragilisation du lien entre la police et la population dont personne ne peut sortir gagnant. Vos rapporteurs s’accordent sur l’absence de problèmes systémiques de violence au sein des forces de l’ordre même si des difficultés systémiques peuvent quant à elles se faire jour, comme en ce qui concerne la formation, sur laquelle ils reviendront plus loin.

Bien entendu, la controverse sur l’existence ou non d’un lien entre la modification du cadre juridique applicable à l’usage de l’arme par les forces de sécurité intérieure et le nombre de morts suite à des refus d’obtempérer nourrit cette défiance et cette mise à mal du rapport police-population. Elle prend le risque d’obérer la légitimité des forces de l’ordre dans la société. Pour nécessaire qu’il soit, ce débat doit donc s’opérer dans un cadre moins binaire et politicien.

b.   Sortir d’un débat binaire et politicien est la condition première au rétablissement de la confiance

Vos rapporteurs regrettent en effet que, trop souvent, certains acteurs auditionnés aient pu manquer de nuances, à l’image des débats qui traversent la société sur le rapport entre la police et la population.

D’un côté, certains représentants des forces de l’ordre ont pu paraître considérer tout questionnement comme intrinsèquement illégitime, s’appuyant sur une frange de l’opinion publique défendant inconditionnellement tout policier du seul fait même de son appartenance à sa corporation et quel qu’ait pu être son comportement individuel regrettable voire condamnable. De l’autre, une frange parallèle farouchement critique avec la « maison police nationale » et qui peine à distinguer l’institution des individus.

La médiatisation renforce cette polarisation des acteurs, comme l’évoquait déjà une étude de la fondation Jean Jaurès notamment conduite par l’ancien président de la commission des Lois, Dominique Raimbourg, et dont vos rapporteurs ne commentent pas les propositions mais reprennent volontiers le constat sur ce point : « Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans la mise en scène et l’entretien de cette confrontation où la suspicion dépasse le plus souvent la réalité des faits, résultat inévitable du triple décalage entre le temps médiatique, celui de l’enquête et celui de la justice. Face au choc des images partielles et au poids des témoignages partiaux, éditorialistes et internautes se précipitent pour, selon les camps, juger un coupable ou l’innocenter. Cette urgence collective à prononcer un verdict induit une pression sur les responsables politiques, contraints de réagir avant même d’être informés eux-mêmes des détails de l’affaire qu’ils commentent ou d’avoir pris le temps de mesurer les conséquences de leurs propos » ([173]).

Si certains acteurs politiques choisissent de se positionner au sein de cette polarisation, instrumentalisant parfois de manière regrettable le sujet d’un côté ou de l’autre, ce n’est pas le choix qu’ont fait vos rapporteurs. S’ils vont défendre des positions différentes quant au devenir de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, c’est après avoir tous deux mené un travail de réflexion équilibré, avec le moins de préjugés possibles. Il s’agissait pour eux de la condition première à la crédibilité de leur analyse.

B.   Un désaccord néanmoins sur la potentielle responsabilité de certaines formulations du cadre juridique et donc sur le devenir DE CE DERNIER

Si vos rapporteurs s’accordent pour ne pas trancher le débat scientifique du lien de causalité, il n’en demeure pas moins entre eux une différence d’approche sur la potentielle responsabilité de l’évolution du cadre juridique et sur la marge d’interprétation qu’il peut sembler laisser aux agents sur la question spécifique de l’usage de l’arme en cas de refus d’obtempérer. D’accord pour dire que le cadre juridique n’a pas assoupli directement les conditions de l’usage de l’arme, ils se divisent en revanche sur la responsabilité potentielle de certains termes employés ayant pu le laisser penser. En conséquence, leurs préconisations sur le devenir de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure divergent.

Les points de vue des rapporteurs se rapprochent en revanche davantage en ce qui concerne les instructions d’application du nouveau cadre juridique, prises respectivement par le directeur général de la police nationale et le directeur général de la gendarmerie nationale de l’époque, et notamment sur le caractère regrettable d’une formulation utilisée par le premier qui, bien que conforme au droit, a pu apparaître maladroite au regard du public auquel elle s’adressait.

1.   Le choix d’une modification du 4° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure pour l’un des rapporteurs et du maintien du cadre juridique actuel pour l’autre

Si vos rapporteurs s’accordent pour dire que le cadre juridique n’a pas assoupli en lui‑même les conditions d’usage de l’arme par les forces de l’ordre en général, et pas davantage dans le cadre d’un refus d’obtempérer ([174]), ils ne sont pas totalement sur la même ligne concernant la responsabilité de l’évolution du cadre juridique, du fait des termes qu’il emploie, sur l’augmentation du nombre de tirs contre des véhicules en mouvement et de personnes tuées dans ce cadre. En tout état de cause, ils s’accordent en revanche pour dire que ce nouveau cadre a pu être compris comme un assouplissement.

Au préalable, rappelons que la combinaison du premier alinéa et du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure dispose que :

« Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent (…) faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :

« (…) Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui (…) ».

a.   Pour le rapporteur Roger Vicot, la rédaction actuelle du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure porte en elle un risque d’ambiguïté

Sans bien entendu considérer que le terme « susceptibles » soit responsable d’une augmentation – dont l’interprétation est discutable ([175]) – du nombre de tirs contre des véhicules en mouvement ni, a fortiori, du nombre de décès survenus en conséquence, le rapporteur Roger Vicot considère qu’il ne faut pas laisser dans le cadre juridique des formulations qui pourraient faire penser que le cadre a été assoupli et l’usage de l’arme facilité à la suite de la loi du 28 février 2017. Il préconise donc la suppression du terme « susceptibles » du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure et l’introduction de termes plus restrictifs.

  1.   Le terme « susceptibles » ne figurait pas dans le texte initial, ni dans celui sorti du Sénat, et peut apparaître comme une concession

Sans revenir sur le cheminement intégral de la navette parlementaire sur les termes utilisés dans l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure et notamment son 4°, exposé plus haut dans le rapport ([176]), il convient de rappeler que l’expression « susceptibles de perpétrer » ne figurait pas dans le texte originel et que son apparition peut être interprétée comme un assouplissement favorable à l’utilisation de l’arme par rapport au texte du Gouvernement.

Le texte proposé par la mission dite « Cazaux‑Charles » susmentionnée proposait ainsi de faire reposer plus directement la charge de la preuve sur les policiers, évoquant une situation où ces derniers « ont des raisons réelles et objectives de penser qu’en s’enfuyant les occupant vont perpétrer (…) ». Le projet de loi déposé par le Gouvernement au Sénat se fondait surtout sur le but recherché par l’usage de l’arme et avançait le terme d’imminence que votre rapporteur Roger Vicot considère important : « (…) dans le but de les empêcher de perpétrer de manière imminente des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers ». Au Sénat, l’apparition du terme « probable » approfondit encore davantage cet assouplissement, mais renvoie de nouveau la charge de la preuve aux policiers : « (…) des raisons réelles et objectives d’estimer probable la perpétration par ces conducteurs d’atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Considérant que le terme « probable » laissait trop de marge d’appréciation aux tribunaux et sans doute aux policiers, l’Assemblée nationale finit par adopter une version que votre rapporteur Roger Vicot a tendance à considérer comme trop ambiguë et déresponsabilisant sur le papier les forces de l’ordre : « (…) dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

C’est cette dernière formulation qui sera retenue par la Commission mixte paritaire et constituera donc la version définitive et actuellement en vigueur du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure. Il semble ainsi que la majorité de l’Assemblée nationale ait voulu faire un pas en direction du Sénat pour favoriser un accord. Le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, Yves Goasdoué, auditionné par vos rapporteurs, demeure convaincu de l’utilité de ce terme, considérant qu’il permet, à l’inverse du mot « probable », une « objectivation des circonstances », même s’il reconnaît que le travail de rédaction se situait sur « une ligne de crête », dans la mesure où « il fallait rester dans les principes de la légitime défense, tout en permettant une anticipation du danger ».

Les multiples versions du texte font, au contraire, dire à votre rapporteur Roger Vicot que le choix du terme « susceptibles » et l’abandon de la notion d’imminence n’étaient pas les plus opportuns. S’il ne critique pas la nécessité de rapprocher des régimes qui avaient déjà été harmonisés par la jurisprudence, que ce soit en termes de clarté juridique ou d’opportunité politique, ni même l’éventualité d’un cadre spécialement dédié aux situations de refus d’obtempérer, votre rapporteur Roger Vicot considère qu’il fallait en rester à des termes clairs et parfaitement conformes à l’appréciation déjà effectuée par le juge. L’ambiguïté introduite par la formulation du 4° doit donc être corrigée.

  1.   Tout au long des auditions, les risques de contradiction et de mauvaise interprétation induits par le 4° ont été de très nombreuses fois soulignés

De nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur les risques présentés par la rédaction actuelle de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure.

Celles qui préconisent son abrogation insistent souvent plus particulièrement encore sur l’ambiguïté de la formulation du 4°. D’autres personnes, parmi celles qui excluent plutôt l’opportunité de l’abrogation, concèdent également ce risque de mauvaise interprétation, par les forces de l’ordre, du 4°.

C’est le cas de chercheurs et notamment des représentants du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) auditionnés par vos rapporteurs. Son directeur adjoint, Olivier Cahn, considère que la rédaction de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure porte en elle « une contradiction fondamentale ». Le premier alinéa, qui dispose des conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, rappel de la jurisprudence et sur lequel les juges se fondent donc, semble « atténué » par la formulation de certains alinéas qui suivent, et notamment le 4°. D’après lui, on a laissé ainsi subsister l’idée que la loi constituait un assouplissement du cadre légal de l’usage de l’arme pour les policiers. Cette contradiction est, d’après lui, « un piège à policier », car « le plus honnêtement du monde, en toute bonne foi, des policiers se voient mis en examen et en détention. On ne peut pas continuer ainsi au prétexte qu’on a un texte mal écrit ».

C’est également le cas des grandes institutions et associations de défense des droits fondamentaux. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme a indiqué à vos rapporteurs que la condition d’absolue nécessité était « sérieusement atténuée » par la formulation du 4°. Nathalie Tehio, avocate et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, a indiqué à vos rapporteurs que la structure de la rédaction « donne l’impression que le 4° est à part, décorrélé, même si ce n’est pas exact ». 

C’est aussi le cas de juristes et notamment d’avocats. Les représentants du Syndicat des avocats de France auditionnés considèrent ainsi que l’adjectif « susceptibles » constitue une contradiction avec les exigences conventionnelles rappelées au premier alinéa. L’avocat Arié Alimi a pointé lors de son audition un « hiatus juridique » qui fait que « la loi tue ». Pour lui, le 4° introduit le concept de danger futur sur les tiers, en contradiction avec le principe même de la légitime défense.

L’avocat Laurent-Franck Lienard, qui ne peut pas être soupçonné d’être « anti‑flics » ([177]), affirme qu’il avait prévenu la commission des Lois du Sénat au moment de l’examen du projet de loi que ces dispositions constituaient « une bombe à retardement » car « des citoyens [allaient, si elles étaient adoptées,] mourir pour un défaut de permis, et des policiers [iraient] en prison ». Il déplore ainsi le message porté à l’époque auprès des policiers selon lequel ils disposaient, avec cet article L. 435-1, de nouveaux droits, notamment en cas de refus d’obtempérer. Ce message était pour lui « criminel » car il a provoqué plus de tirs, et des poursuites systématiques à l’encontre des forces de l’ordre. Le rapport entre le premier alinéa très ferme et le 4° formulé de manière plus souple, constitue pour lui une « schizophrénie » et un risque pour l’ensemble des policiers qui peuvent « passer dans la machine à broyer judiciaire » alors qu’ils ont agi de bonne foi en respectant le cadre juridique et les enseignements qu’ils ont reçus. Le mot « susceptibles » qui figure au 4° est tout particulièrement en cause. Il serait trop flou et en contradiction avec la jurisprudence et l’interprétation des magistrats, qui eux, souhaitent que le danger soit « imminent ».

Les représentants des magistrats, qui sont tout de même ceux qui interprètent le texte, ont également majoritairement fait le même constat devant vos rapporteurs. Le rapporteur Vicot se remémore notamment du propos de Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers, auditionnée en sa qualité de vice‑présidente de la conférence nationale des premiers présidents, indiquant que si « la grandeur du métier de juge est d’appliquer les lois », le 4° de l’article précité « ouvre la porte à des interprétations permanentes » tant de la part des policiers que des juges, notamment du fait de l’emploi de ce terme flou : « susceptibles ».

Votre rapporteur Roger Vicot note d’ailleurs que même les représentants du syndicat de policiers Alliance ont pointé lors de leur audition un terme « superfétatoire », tout en proposant de le remplacer par des mots non moins flous et sans aucun doute trop larges : « d’éventuelles atteintes ».

Même si plusieurs personnes auditionnées vont encore plus loin que cela et pointent une responsabilité directe du cadre juridique, voire du 4° tout entier, nombreux sont ceux qui partagent a minima le point de vue de votre rapporteur Roger Vicot : le terme « susceptibles » au 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure, s’il n’a pas élargi les conditions d’usage des armes, a entraîné une confusion dangereuse.

  1.   D’un point de vue opérationnel, une disposition qui semble pouvoir être modifiée sans problème

En droit, le cadre juridique est avant tout celui de l’absolue nécessité et de la stricte proportionnalité rappelées au premier alinéa et qui s’applique à tous les alinéas qui suivent. Les forces de l’ordre sont sensibilisées à ces notions dès le début de leur formation et les magistrats l’appliquent sans nuance afin de respecter le cadre fixé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui garantit les droits fondamentaux.

Par ailleurs, dans les faits, le 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure n’est quasiment jamais la base juridique évoquée par les policiers comme fondement de leur tir. Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l’IGPN, a ainsi indiqué à vos rapporteurs lors de son audition que cet alinéa n’a été utilisé qu’à deux reprises depuis 2017. Pour elle, si la mention de l’expression « refus d’obtempérer » n’apparaît que dans le 4°, les situations auxquelles font face les policiers relèvent en premier lieu de la légitime défense dans la mesure où le véhicule en mouvement est une arme par destination. Du point de vue interprétatif, elle a d’ailleurs affirmé que l’IGPN n’interprète pas l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure en faisant primer le conditionnel ou l’hypothèse mais plutôt les conditions strictes du premier alinéa : « les tirs doivent toujours répondre à l’absolue nécessité et à la stricte proportionnalité ». Le chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), Jean‑Michel Gentil, a également souligné que dans la pratique, le 4° n’est « quasiment jamais » utilisé, car « très souvent, les situations relèvent du premier alinéa ».

Ainsi, au regard du peu de cas où le 4° a été présenté comme le fondement juridique du tir, votre rapporteur Vicot considère que sa modification n’impliquera pas un danger opérationnel majeur.

  1.   Le remplacement du terme « susceptibles » paraît constituer une solution indispensable et équilibrée

Toutes les personnes auditionnées sans exception ont reconnu la difficulté du travail des forces de l’ordre et la complexité que représente le choix de tirer dans une situation opérationnelle concrète au cours de laquelle il faut décider rapidement et en situation de stress. Votre rapporteur Vicot souscrit sans aucune hésitation à ce propos.

De ce point de vue, le rôle du législateur est celui de trouver l’équilibre qui permette l’exercice, par les membres des forces de l’ordre, de leur mission dans les meilleures conditions opérationnelles possibles afin de garantir leur sécurité et celle des tiers sans toutefois laisser s’instiller la moindre ambiguïté qui soit de nature à faire croire que les conditions de tir ont été assouplies, ce qui placerait l’agent en situation paradoxale de violation de la loi et l’État de ses obligations conventionnelles.

Votre rapporteur Vicot pense que la recherche de cet équilibre doit conduire à :

ne pas abroger le 4° dans son ensemble. Cette solution, proposée par plusieurs personnes, est insatisfaisante pour des raisons juridiques, car le cas spécifique du refus d’obtempérer dangereux existe et doit être mentionné de la même manière que les cas visés aux 1° à 3° et au 5° qui, eux aussi, doivent parfaitement respecter les conditions strictes du premier alinéa ; pour des raisons politiques, aussi car cela enverrait un mauvais message aux auteurs de refus d’obtempérer dangereux ; et pour des raisons symboliques enfin car cela donnerait raison à ceux qui considèrent que ce 4° constitue en soi actuellement un « permis de tuer », ce que votre rapporteur a eu l’occasion de réfuter tout au long du rapport ;

remplacer le terme ambigu « susceptibles » pour, du point de vue de la théorie des apparences, ne laisser plus aucun doute sur l’absence de conditions plus souples pour l’usage de l’arme dans le cadre d’un refus d’obtempérer. Par ailleurs, ce changement législatif pourra envoyer un signal ferme et définitif aux agents des forces de l’ordre qui en douteraient encore ;

– réintroduire la notion d’imminence, déjà largement appréhendée par les forces de l’ordre et le juge, puisqu’elle constitue l’une des conditions de la légitime défense.

Ainsi, malgré le risque bien réel de donner médiatiquement raison aux pourfendeurs de la police – risque contre lequel il faudra lutter par une pédagogie très active –, votre rapporteur Vicot considère nécessaire de retoucher le 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure. L’usage du terme « manifestement » permettrait de davantage clarifier les choses et mettrait fin au risque de contradiction avec le premier alinéa.

Recommandation n° 14 A de Roger Vicot : Réécrire le 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure. Passer de la rédaction actuelle : « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » à : « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants vont manifestement et de manière imminente perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Cette nouvelle rédaction se rapprocherait de la manière dont l’ancien député Guillaume Larrivé avait proposé de rédiger la fin du 4° au moment de l’examen du projet de loi dit « sécurité publique » en commission des Lois : « et qu’il est manifeste que ces personnes envisagent de porter atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » ([178]) tout en réintroduisant la notion d’imminence.

b.   Pour le rapporteur Thomas Rudigoz, il convient de ne pas toucher le cadre juridique

Sans nier que le cadre juridique ait été plusieurs fois critiqué lors des auditions menées par la mission d’information, votre rapporteur Thomas Rudigoz considère quant à lui qu’il ne convient pas de relancer un débat sémanticojuridique qui pourrait aboutir à semer davantage de confusion. Il assume également ne pas vouloir, symboliquement et politiquement, envoyer un message négatif aux forces de l’ordre qui se sont parfaitement approprié le nouveau cadre d’usage de l’arme et qui savent, en tout état de cause, que le cœur de celui-ci est l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité.

  1.   Le cadre juridique actuel est l’héritage d’un débat complexe qui a conduit à s’accorder sur une solution sans doute imparfaite, mais comme le serait toute autre alternative

Comme cela a été rappelé assez largement dans la deuxième partie du présent rapport mais également par le rapporteur Roger Vicot ci‑dessus, il a été très compliqué de s’accorder sur les termes qui figurent actuellement à l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure. Les débats parlementaires, aussi bien ceux menés au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, témoignent bien de cette difficulté et surtout de l’absence de termes incontestables qui satisferaient tout un chacun.

Aucun débat sémantique, aussi long soit-il, ne permettra en effet d’accorder forces de l’ordre, juristes, magistrats, avocats, chercheurs et société civile en général. Les objectifs recherchés par ces derniers ne sont en effet pas les mêmes. Votre rapporteur Rudigoz considère à l’unisson du rapporteur Vicot que le rôle du législateur est de rechercher un équilibre. Pour le premier, celuici a toutefois été trouvé. L’existence du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure donne un cadre juridique précis aux policiers et aux gendarmes, intervenant sur un refus d’obtempérer dangereux pour la vie d’autrui. Tous les représentants de policiers ou de gendarmes auditionnés ainsi que tous les agents rencontrés sur le terrain ont parfaitement conscience du caractère incontournable de l’absolue nécessité et de la stricte proportionnalité.

Le terme « susceptibles », présent au 4° et qui a fait l’objet d’âpres discussions, est sans aucun doute imparfait, mais comme le sont, pour d’autres raisons, tous les autres termes suggérés au cours des débats.

On pourra ainsi reprocher au terme « manifeste » de supposer que l’acte doit être imminent. Or, ces notions de manifeste et d’imminence ont été explicitement écartées au cours des débats parlementaires pour leur caractère trop restrictif.

On rappellera les propos du rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Yves Goasdoué précédemment cités, qui observait en commission des Lois que  « le président de la chambre criminelle de la cour de cassation, avait ainsi appelé mon attention sur le fait que la notion d’imminence liait beaucoup trop le juge (…) ».

Ainsi, si le rapporteur Vicot invoque l’ancien député Guillaume Larrivé pour reprendre partiellement à son compte la rédaction qu’il avait envisagée au moment de la discussion du projet de loi, votre rapporteur Rudigoz tient à rappeler les mots employés par le même député lors de la discussion de cet amendement : « (…) autant il est possible à la commission des Lois de faire un travail de dentelle juridique, autant, pour le gendarme ou le policier qui se trouve sur le terrain, la différence entre « susceptible » et « manifeste », voire « imminent », n’est qu’une nuance » ([179]).

Cette citation fait apparaître la réalité évidente qu’au-delà du choix des mots, ce sont les actes qui l’accompagnent qui comptent le plus dans l’appropriation du cadre juridique. Le député Larrivé, lors de cette même discussion, le rappelait d’ailleurs également : « (…) lorsque la loi sera votée, il sera nécessaire, premièrement, de réaliser un important effort de formation des agents des forces de sécurité et, deuxièmement, que l’autorité judiciaire fasse preuve de pragmatisme ». Vos deux rapporteurs se retrouveront d’ailleurs un peu plus loin dans le rapport sur les questions des instructions données aux policiers et de la formation qui leur est délivrée.

  1.   Tout au long des auditions, les dangers de toucher à l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure ont été également régulièrement pointés

● D’un point de vue juridique, si, comme l’a rappelé le rapporteur Vicot, le 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure est peu évoqué comme fondement juridique de leurs tirs par les forces de l’ordre, il l’est parfois tout de même. Cette seule information conduit à justifier son existence, sans légitimer nécessairement le tir, appréciation qui revient naturellement aux magistrats.

Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué à vos rapporteurs lors de leur audition que si le nouveau cadre juridique n’avait pas assoupli les conditions d’usage de l’arme par les forces de l’ordre, il a en revanche mis fin à une forme d’insécurité juridique pour les forces de l’ordre, notamment dans le cas des refus d’obtempérer. Cet élément a notamment été mis en avant par les professeurs Alain Bauer et Jacques‑Henri Robert, par plusieurs syndicats dont le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, Alliance, le Syndicat indépendant des commissaires de police, l’UNSA Police, ou encore Synergie‑Officiers mais aussi par la cheffe de l’IGPN et le chef de l’IGGN, ajoutant que les différents alinéas de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure « ont permis de préciser les situations dans lesquelles les forces de sécurité intérieure peuvent faire usage de leurs armes » et que revenir en arrière serait « très dangereux et conduirait à une illisibilité du droit ».

Aussi, maintenir l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction actuelle se justifie aussi bien au regard des précisions utiles qu’il permet que des risques que sa modification pourrait engendrer en termes de stabilité normative, ce qui d’ailleurs, sur ce sujet précis, pourrait avoir des implications très importantes et très graves.

● Mais c’est aussi sur les plans politique et symbolique que cet article et son 4° se justifient pleinement. Comme cela a été rappelé plus haut, il s’agissait d’envoyer un message aux policiers dans un contexte particulièrement difficile, qui reste totalement d’actualité. Non pas pour leur indiquer qu’ils allaient pouvoir davantage utiliser leur arme, encore moins plus facilement, mais bel et bien pour leur dire que le législateur entendait clarifier le cadre juridique de l’usage de l’arme notamment face à des situations opérationnelles dangereuses et en croissance comme les refus d’obtempérer mettant en danger leur vie ou celle d’un tiers.

Revenir en arrière serait aussi donner raison à tous ceux qui considèrent que cet article et son 4° constituent des « permis de tuer ». Votre rapporteur Thomas Rudigoz ne peut l’accepter.

  1.   Remettre en cause le cadre juridique est d’autant moins souhaitable qu’il apparaît clair et ne laisse place à aucune marge d’interprétation

● Le professeur Jacques-Henri Robert a affirmé lors de son audition par vos rapporteurs qu’il faut « défendre la loi dite Cazeneuve », « malgré tout le mal qui en est dit » car elle a en réalité ajouté comme condition préalable à tout usage de l’arme en cas de refus d’obtempérer le critère du danger créé par le conducteur ou pour autrui. Il s’agit pour lui d’un cadre « très équilibré » et « très clair ».

Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, a affirmé lors de son audition que « les règles telles qu’elles s’imposent aux policiers sont claires : absolue nécessité, ordre d’arrêt, occupants susceptibles de porter atteinte à la vie ou à l’intégrité physique de personnes ». Les difficultés sont en réalité pour lui davantage liées à :

– des éléments sur lesquels il est possible d’agir sans toucher au cadre juridique : « les questions de formation, initiale et continue, de bonne compréhension des règles et d’instructions claires données par la chaîne hiérarchique » ;

– des éléments pour lesquels toucher au cadre juridique ne changera rien : la situation concrète, sur le terrain, les policiers n’ayant pas la capacité, en situation, d’analyser les conditions juridiques, ils agissent en temps réel pour « sauver [leur] peau et préserver la sécurité des personnes qui [les] entourent ». Il y a toujours un delta entre le moment où l’on s’interroge sur le cadre juridique et le moment où l’on tire pour sauver sa vie.

Plus particulièrement interrogé sur un éventuel risque pour les policiers induit par le terme « susceptibles » présent au 4°, Frédéric Veaux a affirmé que son opinion personnelle est que ce débat est strictement juridique et a lieu postérieurement aux faits, dans le cadre du procès pénal. Il affirme même que « le policier ne se pose pas cette question, il est face à un événement auquel il va devoir répondre, il faut qu’il y ait la clarté de la menace contre le policier ou un tiers ».

● L’idée d’une « marge d’appréciation approfondie » a été balayée par les personnes concernées. Votre rapporteur Rudigoz constate d’ailleurs que ceux qui prônent le plus fortement et fermement la modification ou l’abrogation de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure sont souvent ceux qui n’ont pas à l’appliquer concrètement et qui peuvent s’en faire une interprétation un peu fantasmée.

Ainsi, tous les représentants syndicaux auditionnés, de magistrats et de forces de l’ordre confondus, ont affirmé que l’article ne laissait aucune marge de manœuvre aux juges qui appliquent de toute manière strictement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’idée selon laquelle cet article pourrait constituer « un piège à policier », à laquelle votre rapporteur avait pu être sensible au départ, ne résiste pas à la démonstration, évidente lors des auditions, que les forces de l’ordre savent comment le juge interprète le cadre de l’usage des armes. Si méconnaissance il y a de ce point de vue, c’est sur la formation qu’il convient d’agir.

De même, la marge d’interprétation plus grande laissée aux policiers a été souvent balayée. Tous les policiers, gendarmes et représentants syndicaux interrogés ont ainsi clairement indiqué à vos rapporteurs que l’idée même de penser que l’usage de l’arme aurait été facilité ou simplifié était inenvisageable puisqu’en tout état de cause celuici demeurait toujours « l’ultime recours ».

  1.   Aussi, votre rapporteur Rudigoz suggère de ne pas modifier l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure

Votre rapporteur Rudigoz considère donc que les inconvénients juridiques et politiques de modifier l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure, fut-ce à la marge, l’emportent largement sur l’imperfection relative des termes employés.

Il ne recommande ainsi pas de modifier en quoi que ce soit le cadre juridique d’usage de leur arme par les forces de l’ordre.

Il n’estime pas pour autant que les arguments avancés par le rapporteur Vicot et par plusieurs personnalités auditionnées sur les risques d’ambiguïté portées par certains termes soient à balayer d’un revers de main. Il considère toutefois que la solution ne se trouve pas dans une nouvelle modification qui sera également imparfaite et sujette à interprétation dans un sens ou dans l’autre, mais plutôt dans une meilleure explication et appropriation du cadre juridique. Cela passe par la clarification des instructions et le renforcement de la formation.

Recommandation n° 14 B de Thomas Rudigoz : Ne pas engager de réécriture, futelle partielle, de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure.

2.   La question, désormais obsolète, des formulations employées par l’instruction dite « Falcone » qui, conforme au droit, a pu apparaître ambiguë au regard du contexte

Au‑delà de l’évolution du cadre juridique en lui-même, vos rapporteurs ont été très rapidement sensibilisés à l’importance de la manière dont il a été présenté aux agents des forces de sécurité.

De ce point de vue, l’instruction du directeur général de la police nationale de l’époque, Jean-Marc Falcone, dite « circulaire Falcone » a été régulièrement pointée du doigt pour ses formulations pouvant apparaître permissives, notamment au regard de celle de son homologue de la gendarmerie nationale.

Si vos rapporteurs regrettent, en effet, compte tenu du contexte, la manière dont la loi du 28 janvier 2017 a pu être présentée aux policiers, ils ne peuvent toutefois que constater que les termes visés de ladite « circulaire Falcone » sont parfaitement conformes au droit. Surtout, ils appellent à clore ce débat puisqu’elle a été abrogée.

a.   La lecture des instructions d’application respectives des directeurs de la gendarmerie et de la police conduit à s’interroger sur la maladresse des termes employés par la seconde, pourtant conformes au droit

  1.   Des différences entre les deux instructions visant à expliciter aux agents le cadre juridique

● L’instruction d’application du nouveau cadre juridique du directeur général de la gendarmerie nationale ([180]) commence, en préambule, par rappeler que « les militaires de la gendarmerie nationale bénéficient d’un régime d’usage des armes à feu strictement encadré par la loi et par les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme y apportent un éclairage complémentaire ».

Au tout début de l’explication du régime juridique relatif à l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie nationale, figure une phrase ainsi présentée, gras compris : « Les principes d’absolue nécessité et de proportionnalité s’imposent à l’ensemble des cadres légaux repris ci-après ». À la suite de celle-ci, les principes d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité sont explicités très clairement, en renvoyant vers des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et en faisant figurer directement dans le corps de l’instruction l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Chacun des alinéas de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure est ensuite précisément présenté. La deuxième partie de la circulaire est particulièrement pédagogique, rappelant la conduite à tenir pour l’ouverture du feu, autour de la méthode d’analyse réflexe très didactique « A.M.E.R », sur laquelle vos rapporteurs reviennent plus précisément plus loin dans le rapport ([181]).

Le directeur général de la gendarmerie de l’époque, le général d’armée Richard Lizurey, conclut son instruction par ces mots, que vos rapporteurs souhaitent reproduire ici en intégralité :

« Le militaire de la gendarmerie est détenteur de prérogatives exorbitantes du droit commun. L’usage des armes représente le niveau ultime de coercition déployée. Suivant les principes de l’intervention graduée, de manière absolument nécessaire et proportionnée, le militaire de la gendarmerie nationale peut faire un usage de son arme visant la neutralisation de (des) l’auteur(s) de l’action adverse.

« Chaque militaire doit donc s’approprier parfaitement les règles d’usage des armes et connaître de manière approfondie les dispositions contenues dans la présente instruction. Le plus grand professionnalisme est en effet requis pour conduire l’analyse des situations dans un cadre juridique adapté et être en capacité de maîtriser le feu.

« Chaque échelon de commandement doit exercer sa mission de contrôle et de formation en ce domaine. Il lui appartient d’assurer l’entretien des acquis professionnels et de vérifier que l’ensemble des mesures sont parfaitement assimilées et appliquées ».

L’instruction est enfin accompagnée de plusieurs annexes, dont trois ont retenu l’attention de vos rapporteurs :

– une annexe analysant la jurisprudence sur l’absolue nécessité et la proportionnalité ;

– une annexe constituée par un schéma illustrant le cadre légal d’usage des armes, présenté ci‑dessous ;

– une annexe constituée par un schéma illustrant la méthode « A.M.E.R », schéma que vos rapporteurs ne présentent pas ici car ils y reviennent plus précisément dans la suite du rapport.

 

 

 

 

 

 

 

schÉma explicatif du cadre lÉgal d’usage des armes joint en annexe de l’instruction d’application DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA GENDARMERIE NATIONALE (DGGN)

Source : instruction précitée, transmise par la DGGN.

 

● Du côté de la direction générale de la police nationale (DGPN), l’instruction d’application ([182]) – plus connue sous le nom de « circulaire Falcone » du nom du directeur général de la police nationale qui en est le signataire – apparaît moins précise et moins didactique :

– le rappel des conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité est bien présent, mais dans une version plus succincte, et sans référence directe aux jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme. S’il est bien fait mention que pour tout usage de l’arme, et notamment pour le 4°, il doit exister « un risque objectif d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique », il n’y a pas davantage de détails ;

de nombreuses explications juridiques se bornent en réalité à réécrire le texte, sans l’expliquer davantage ;

– les questions que doit se poser l’agent de police au moment de faire usage de son arme sont également présentes, mais elles peuvent apparaître moins claires, moins directement opérationnelles, moins pédagogiques ;

– aucun schéma ou rappel simplifié de la jurisprudence, similaire à ce qui a été décrit pour la gendarmerie, n’est par ailleurs joint à l’instruction.

Surtout, vos rapporteurs ont été plusieurs fois sensibilisés lors de leurs travaux quant à l’ambiguïté d’une phrase spécifique présente au moment du rappel des conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité :

« L’absolue nécessité s’apprécie in concreto, en fonction des circonstances de fait et de la conviction honnête que le policier a pu se forger en fonction des informations dont il disposait au moment du tir quand bien même cette conviction se révélerait erronée par la suite ».

Par ailleurs, vos rapporteurs remarquent que s’il est précisé très clairement que « les nouvelles dispositions ne dispensent en aucun cas de s’abstraire de la nécessaire évaluation de la situation dans laquelle l’agent se trouve placé », la comparaison avec les termes employés par l’instruction du directeur général de la gendarmerie nationale est là encore criante. Aucun préambule ou aucune conclusion n’insiste particulièrement sur la responsabilité immense qui est celle des policiers dans l’usage de l’arme, en rappelant par exemple le sens de l’honneur et la gravité des questions évoquées. En invitant le lecteur à relire préalablement la conclusion du général Lizurey pour la gendarmerie, vos rapporteurs veulent reproduire également ici les derniers mots de l’instruction de la DGPN :

« Compte tenu des enjeux pour la sécurité juridique et physique des policiers en cas d’intervention, je compte sur l’implication de l’ensemble de la chaîne hiérarchique des directions dans la diffusion et l’application des présentes instructions ».

  1.   L’instruction du directeur général de la police nationale, conforme au droit, a pu laisser penser à un assouplissement du cadre

De très nombreuses personnes auditionnées par vos rapporteurs ont vertement critiqué l’instruction du directeur général de la police nationale en date du 1er mars 2017, considérant qu’elle a pu laisser penser à un assouplissement du cadre juridique. C’est tout particulièrement le cas de la Ligue des droits de l’homme ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

● La phrase précitée par vos rapporteurs, qui se termine par l’expression relativement ambiguë « (…) quand bien même cette conviction se révélerait erronée par la suite », a notamment été régulièrement visée. Force est pourtant de constater qu’elle est tout à fait conforme au droit et reprend les termes employés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, la Cour a pu juger que « le recours à la force par des agents de l’État pour atteindre l’un des objectifs énoncés au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention peut se justifier au regard de cette disposition lorsqu’il se fonde sur une conviction honnête considérée, pour de bonnes raisons, comme valable à l’époque des événements mais qui se révèle ensuite erronée. Affirmer le contraire imposerait à l’État et à ses agents chargés de l’application des lois une charge irréaliste qui risquerait de s’exercer aux dépens de leur vie et de celle d’autrui » ([183]).

Cela a été confirmé lors de son audition par Mattias Guyomar, juge français à la Cour européenne des droits de l’homme, d’après lequel l’instruction « reprend la lettre même » de la jurisprudence européenne.

Jean‑Marc Falcone a également indiqué à vos rapporteurs que cette phrase correspondait parfaitement à la jurisprudence et a également affirmé n’avoir « aucun doute » sur le fait que son instruction n’a eu ni pour effet ni pour objet de couvrir un usage illégitime des armes par les policiers.

Si vos rapporteurs reconnaissent cette conformité au droit, ils regrettent que, par les mots employés, l’instruction ait pu éventuellement, en termes de théorie des apparences, laisser penser que le cadre d’usage des armes pour les policiers avait été assoupli alors que ce n’est pas le cas.

● Au‑delà de cette seule phrase, vos rapporteurs constatent que l’instruction délivrée aux policiers a été moins précise, détaillée et pédagogique que celle délivrée aux gendarmes. Cet état de fait est d’autant plus étonnant et regrettable que le cadre juridique a prioritairement évolué pour la police nationale.

Lors de son audition, le professeur Alain Bauer a particulièrement insisté sur ce point, considérant que « le vrai problème » n’a pas été la loi du 28 février 2017, « mais la manière dont elle a été interprétée ». Pour lui, l’instruction du directeur général de la police nationale de l’époque était de nature « politique et communicationnelle » et a consisté à interpréter la loi pour des motifs de communication interne, « pour calmer les tensions internes à la police » tandis que celle du directeur général de la gendarmerie nationale souligne que les règles fondamentales ne changent pas et « insiste notamment sur les conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité ». Toujours selon le professeur Bauer, cela a pu laisser penser que « la gendarmerie a gardé le pied sur le frein tandis que la police a appuyé sur l’accélérateur » et peut expliquer la hausse temporaire du nombre de tirs contre les véhicules en mouvement que l’on constate en 2017.

À noter néanmoins que plusieurs syndicats de policiers, parmi lesquels Alliance, le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure ou l’UNSA Police ont, au contraire, assez fermement défendu la formulation de l’instruction, les représentants d’Alliance considérant qu’elle visait à spécifier que la parole du policier doit primer sur le reste. L’UNSA Police précise par ailleurs que tous les textes qui régissent l’exercice par la police nationale de ses missions sont soumis à interprétation et que l’instruction de Jean-Marc Falcone constitue à ce titre « une interprétation strictement policière » de la loi qui ne porte « aucune valeur devant les tribunaux ».

b.   L’importance de cette instruction, désormais abrogée, peut toutefois être relativisée pour se concentrer sur l’opportunité d’élaborer une nouvelle instruction commune

L’importance de cette instruction peut toutefois être relativisée à au moins quatre titres :

– en tout état de cause, la formulation maladroite, fruit de la jurisprudence, était déjà dans les esprits des policiers. Comme l’a indiqué à vos rapporteurs Jean‑Marc Falcone, les policiers « savaient » que l’usage de l’arme pouvait être considéré comme légitime malgré une erreur honnête d’appréciation ;

l’instruction en soi, puisque c’est sa formulation qui est en cause, n’est pas véritablement lue et appréhendée directement par les policiers. Elle est plutôt expliquée par la hiérarchie. Ainsi, la cheffe de l’IGPN indiquait à vos rapporteurs « ignore[r] qui connaît véritablement cette instruction » ;

– comme l’a également dit la cheffe de l’IGPN à vos rapporteurs lors de son audition, depuis la rédaction de l’instruction « Falcone », la police a développé « un certain recul ». L’instruction serait donc considérée comme dépassée ;

– surtout, et même si vos rapporteurs ont pu constater que ce n’était pas assez connu des acteurs, l’audition du directeur général de la police nationale actuel, Frédéric Veaux, a permis de confirmer que l’instruction Falcone a été abrogée explicitement par une nouvelle instruction relative à l’arme individuelle ou de service ([184]). Cette nouvelle instruction rappelle le cadre juridique d’usage de l’arme individuelle mais, d’après le directeur, « ne détaille pas car quatre ans après, il n’y avait pas besoin de rentrer dans les détails ». Une instruction sur les armes collectives est par ailleurs en cours de rédaction, le directeur convenant que « la multiplication des textes rend parfois les choses peu claires pour les utilisateurs ».

Au regard de la défiance suscitée par cette circulaire, dont l’information sur l’abrogation n’est même pas parvenue à la très grande majorité des personnes concernées, de la difficulté présentée par la multiplication des textes mais aussi des différences trop fortes décrites plus haut par vos rapporteurs entre les instructions délivrées à la gendarmerie et à la police, l’établissement d’une instruction commune sur l’usage de l’arme, sur le modèle de la gendarmerie semble nécessaire.

Le professeur Alain Bauer l’a préconisé devant vos rapporteurs en recommandant d’uniformiser les circulaires en prenant pour modèle l’instruction de la gendarmerie.

Si cette hypothèse a été exclue en 2017 parce que le changement juridique n’était pas le même pour les policiers et pour les gendarmes compte tenu de l’uniformisation du régime des premiers vers celui des seconds, elle apparaît aujourd’hui tout à fait envisageable. Il existe d’ailleurs déjà une instruction commune aux deux forces de sécurité intérieure en matière d’usage des armes de force intermédiaire.

Recommandation n° 15 : Établir une instruction commune à la DGPN et à la DGGN relative à l’usage de l’arme, sur le modèle de celle de la gendarmerie.

II.   des modalités de formation perfectibles, en particulier chez les policiers

La formation fait le lien entre les textes et la façon dont ils seront mis en œuvre sur le terrain par les forces de l’ordre. Ainsi est-elle au cœur du présent rapport et son importance a été soulignée par l’ensemble des travaux, parlementaires et autres, évoqués précédemment.

Le rapport de la mission Cazaux-Charles lui consacre une sous-partie entière, soulignant que « Renforcer la protection des agents ne peut donc passer seulement par une évolution législative, nécessaire mais largement insuffisante, qui doit être complétée par une formation adaptée » ([185]).

Pour Jean-Marc Falcone, ancien directeur général de la police nationale auditionné par vos rapporteurs, « il faut que la formation soit une priorité, et que la chaîne hiérarchique soit convaincue que les policiers doivent être formés en continu ».

La Cour européenne des droits de l’homme elle-même rappelle que « les représentants de la loi doivent être formés pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser les armes à feu, non seulement en suivant la lettre des règlements pertinents mais aussi en étant à même de prendre en compte la prééminence du respect de la vie humaine (…) » ([186]).

Vos rapporteurs formuleront dans cette partie quelques observations et propositions tendant à améliorer l’appréhension des situations de refus d’obtempérer par les forces de l’ordre.

Les développements ci-dessous n’ont pas vocation à présenter de façon exhaustive le système de formation initiale et continue des policiers et gendarmes. Ils s’attacheront plutôt à présenter les remarques et recommandations les plus pertinentes aux yeux de vos rapporteurs eu égard à la problématique du présent rapport. Aussi, en ce qui concerne plus spécifiquement la police nationale, les développements se concentreront sur les gardiens de la paix et les policiers adjoints ([187]), dont il a été indiqué à vos rapporteurs qu’ils étaient en pratique les plus susceptibles de faire face à des refus d’obtempérer de par la nature de leurs missions.

Ces observations et propositions ne doivent pas être perçues comme une remise en cause de l’implication des élèves et des formateurs ou de la qualité des programmes. Vos rapporteurs tiennent à souligner qu’ils ont été favorablement impressionnés par le déroulement des formations tel qu’il leur a été présenté à l’occasion de leur déplacement à l’école de police de Roubaix. Ils sont, par ailleurs, pleinement conscients des contraintes budgétaires et opérationnelles qui pèsent sur les politiques et les moyens de la formation des forces de l’ordre.

A.   Des évolutions à saluer et à poursuivre, en particulier en ce qui concerne la formation initiale

Avant de formuler leurs observations sur les axes d’amélioration de la formation, vos rapporteurs souhaitent souligner les points forts de celle-ci.

Le niveau de recrutement

Dans la gendarmerie nationale, les gendarmes-adjoints sont recrutés sans diplôme, le concours de sous-officier de gendarmerie est accessible aux titulaires du baccalauréat et le concours d’officier de gendarmerie d’un bac + 5.

Dans la police nationale, les policiers-adjoints sont recrutés sans condition de diplôme, les gardiens de la paix doivent avoir le niveau bac, les officiers de police doivent être à bac + 3 et les commissaires à bac + 5.

1.   Après plusieurs années de variations, un réajustement nécessaire de la durée de formation des policiers

Les attentats islamistes de l’année 2015 ont donné lieu à un renforcement des effectifs des services de police et des unités de gendarmerie. Ces recrutements massifs ont été « absorbés » grâce à des ajustements à la baisse de la durée de la formation en école : celle-ci a été réduite à neuf mois et demi, puis rétablie à douze mois avant de subir une nouvelle réduction liée à la crise du Covid.

Vos rapporteurs se félicitent que la durée de formation des gardiens de la paix ait été rétablie à douze mois. Même s’il leur a été assuré que le raccourcissement de la durée de scolarité n’avait pas eu d’impact sur la qualité de la formation dispensée, il est difficile d’imaginer qu’il ne se traduise pas par une dégradation de l’assimilation d’une partie ou d’une autre du programme. Par comparaison, la formation de moniteur-éducateur dure deux ans et celle d’éducateur spécialisé, trois ans. Par rapport aux durées de formation des forces de l’ordre dans d’autres États européens, la durée de douze mois s’inscrit plutôt dans la moyenne basse : cette durée est de deux ans en Autriche et en Hongrie ou encore deux ans et demi en Suède, alternant formations théoriques et stages pratiques.

Par ailleurs, depuis mai 2022, la formation d’officier de police judiciaire est intégrée à la formation initiale. Elle est sanctionnée par un contrôle national judiciaire dont la réussite (66 % environ) permet de suivre un second module dans la perspective de l’inscription à l’examen d’officier de police judiciaire.

Vos rapporteurs saluent cette évolution, de nature à renforcer la compréhension des conséquences juridiques de leurs actes par les élèves – alors même que selon maître Laurent-Franck Lienard, « l’après tir n’est pas abordé [en formation initiale], pour ne pas effrayer les élèves » ([188]).

Les douze mois de formation sont organisés en trois périodes d’enseignement en école (un socle initial et deux socles avancés) entrecoupés de deux stages d’une durée de deux et trois semaines. Des évaluations régulières viennent ponctuer cette scolarité, en particulier les habilitations au port des armes et le contrôle national judiciaire.

Organisation de la scolarité des ÉLÈves gardiens de la paix et modalités d’évaluation

Source : Académie de police

La durée de la formation des policiers adjoints est plus réduite : quatre mois, incluant un stage d’adaptation. Vos rapporteurs considèrent que cette durée – même si elle a été récemment allongée – demeure insuffisante. En effet, même s’ils ont un rôle d’appui des fonctionnaires de police dans leurs missions, les policiers adjoints sont amenés à participer à des patrouilles, à pied ou en véhicule. Ils peuvent ainsi, au même titre que leurs collègues, se trouver dans des situations particulièrement difficiles et stressantes dans lesquelles leur intégrité physique ou celle d’autrui sera menacée.

Vos rapporteurs comprennent que les contraintes opérationnelles pesant sur les forces de l’ordre de façon particulièrement forte depuis plusieurs années aient pu rendre nécessaire une intégration plus rapide des élèves policiers en diminuant leur durée de formation. Ils considèrent, toutefois cette méthode comme peu opportune à moyen et long terme, au regard des défis auxquels feront face les forces de l’ordre une fois sur le terrain. Aussi leur paraît-il nécessaire d’envisager un allongement de la durée de la formation des élèves gardiens de la paix et policiers adjoints.

Recommandation n° 16 : Allonger la durée de la formation (théorique comme stages) des élèves gardiens de la paix et des policiers adjoints.

2.   L’usage du numérique

a.   Des outils en plein essor dans la police et la gendarmerie

Le numérique et les outils de réalité virtuelle constituent des opportunités d’amélioration de la formation dont la police et la gendarmerie se sont déjà saisies.

Au sein de la police nationale, des simulateurs Laser Shot sont déployés dans toutes les écoles de police. Ils consistent en la projection d’exercices de tir ou de mises en situations (contrôle routier, attaque au couteau…) sur un écran géant. Les élèves, debout face à l’écran dans une salle suffisamment grande, sont dotés d’une arme laser leur permettant de viser les protagonistes sur l’écran si la situation l’exige. Ils constituent donc un atout pour l’acquisition des réflexes comportementaux dans des situations de tension pouvant nécessiter un usage de l’arme.

Les films projetés sont initialement conçus aux États-Unis ; toutefois, afin d’améliorer l’adéquation des films projetés à la réalité du terrain, le déploiement par la police nationale de ses propres scénarios est en cours.

Le déploiement des outils de réalité virtuelle immersive est moins avancé que celui des simulateurs type Laser Shot mais également en progrès. Au sein de la police, le logiciel Asterion, produit par une société française, devrait être déployé prochainement pour la formation initiale ainsi que dans les commissariats – l’objectif étant de doter chaque direction zonale d’un certain nombre de mallettes qui pourraient être transportées d’un site à l’autre. De même, au sein de la gendarmerie, le développement d’un simulateur 3D de formation est en beta test pour un déploiement prévu en 2025.

Enfin, des enseignements à distance sont disponibles pour les policiers sur la plateforme e-campus et pour les gendarmes sur la plateforme Gendform. 

b.   Un développement à poursuivre tout en laissant ces technologies à leur juste place

Ces outils numériques présentent un certain nombre d’avantages et de limites, et les services en charge de la formation, au sein de la police comme de la gendarmerie, partagent globalement la même approche sur ce point.

Ils permettent de dispenser une formation plus homogène d’une école à l’autre. Ils offrent la possibilité de former davantage d’élèves, dans des conditions de sécurité optimales et avec des moyens logistiques limités (une grande salle non meublée suffit pour utiliser Lasershot et Asterion). Ils permettraient aussi, en formation continue, de contourner les contraintes liées à l’éloignement du lieu de la formation, qui peut constituer un obstacle au suivi par les agents de certaines formations ([189]).

Ces outils représentent toutefois un coût de développement très élevé, auquel s’ajoute le coût du maintien en condition opérationnelle, dans un contexte de forte concurrence avec le secteur privé pour le recrutement de personnel qualifié à cet effet. Selon Philippe Lutz, directeur de l’Académie de police, le coût de chaque valise Asterion est de 35 000 à 40 000 euros.

Enfin, comme l’observait le général d’armée Richard Lizurey, « rien ne vaut le stand de tir, la vraie cartouche ; le recul, le stress du maniement de l’arme ». En dépit du format numérique, qui peut rappeler les jeux vidéo avec lequel les nouvelles générations de forces de l’ordre sont familières, ces outils préparent à des situations de terrain qui n’auront plus rien de virtuel. Cet avis est en substance partagé par Philippe Lutz, qui rappelle que « la formation est un véritable enseignement ».

Vos rapporteurs partagent cet intérêt et ces réserves. Au cours de leur déplacement à l’école de police de Roubaix, ils ont pu assister à une séance d’entraînement sur Laser shot et sur Asterion et sont convaincus de l’intérêt de ces dispositifs, en complément de la formation de terrain. Eu égard aux difficultés qui s’attachent à l’organisation de séances de tirs en situation, ces outils permettent d’associer l’entraînement de précision requis par le tir et l’entraînement relatif à l’appréciation du contexte et du cadre juridique applicable.

Leur développement fera donc l’objet d’une recommandation ([190]), en complément des modalités classiques d’entraînement au tir.

3.   Un souci notable d’ouverture à la société

Les modalités de formation initiale témoignent d’un souci notable d’ouverture à la société.

Il s’agit, chez les élèves gendarmes, de l’un des cinq axes de la scolarité : la direction des ressources humaines de la gendarmerie nationale indique qu’ils sont ainsi sensibilisés « aux sujets de société auxquels ils seront confrontés, comme les violences intrafamiliales, les discriminations ou l’hostilité à laquelle ils peuvent faire face en tant que membres des forces de l’ordre » ([191]). La formation initiale fait aussi intervenir des structures étatiques ou des associations diverses, dans le cadre de conférences ou d’opérations de sensibilisation (inspections générales, contrôleur général des lieux de privation de liberté, SOS homophobie, Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme…).

Chez les gardiens de la paix, des « apprentissages complémentaires » dispensés au cours du socle avancé 2 permettent d’aborder les sujets de société comme la laïcité ou la maltraitance animale. La question plus spécifique des biais comportementaux liés aux stéréotypes est abordée à travers des séquences comme « identifier l’impact des attitudes discriminatoires des points de vue déontologique, humain et réglementaire » (3 heures), « mesurer les représentations sociétales liées au contrôle d’identité » (2 heures) ([192]) .

Si pour Philippe Lutz, il faut « casser l’image – fausse – d’une formation éloignée de la réalité », le recours à des intervenants extérieurs dans la scolarité reste plus développé chez les gendarmes que chez les policiers, comme le notait déjà la Cour des comptes dans son rapport précité ([193]), ce qui constitue assurément un axe d’amélioration de la formation de ces derniers. Doit toutefois être souligné le développement de projets entre certaines écoles de police – dont celle de Roubaix, où se sont rendus vos rapporteurs – et des acteurs associatifs.

Pour vos rapporteurs, le recours à certains formateurs extérieurs devrait être systématisé et généralisé dans toutes les écoles de police afin de renforcer l’appréhension et la compréhension par les élèves du contexte social et juridique dans lequel ils seront amenés à exercer leurs futures fonctions.

 

Recommandation n° 17 : Renforcer l’ouverture des écoles de police à des formateurs issus du monde extérieur (historiens, sociologues, professionnels du droit) pour apporter aux élèves une perspective historique, sociologique et pratique sur leur futur métier. 

 

La formation initiale des sous-officiers de gendarmerie et des gardiens de la paix

1/ Les sous-officiers de gendarmerie

Les sous-officiers de gendarmerie reçoivent une formation de douze mois : deux phases en école pour une durée totale de neuf mois, une phase de trois mois en unité. Elle s’organise autour de cinq axes :

– Le premier axe concerne l’état militaire et sous-tend l’ensemble de la formation.  Il s’attache à transmettre l’identité et le savoir-faire militaires aux élèves gendarmes.

– Le deuxième axe est un enseignement d’éthique, qui repose sur l’étude de la charte du gendarme et du code de déontologie des forces de sécurité, insérés dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure.

– Le troisième axe correspond à la formation aux interventions professionnelles. Cet axe inclut en particulier le contrôle d’un véhicule et l’usage de l’arme.

– Le quatrième axe est consacré à la fonction d’agent de police judiciaire et d’agent de la force publique, nécessaire à l’exercice des prérogatives qui lui sont confiées dans les domaines de la police judiciaire et de la police administrative.  

– Enfin, le cinquième axe vise à renforcer l’ouverture d’esprit des élèves gendarmes, et leur compréhension de la société. Dans ce cadre, ils sont ainsi sensibilisés aux sujets de société comme les violences intrafamiliales, les discriminations ou l’hostilité à laquelle ils peuvent faire face en tant que membres des forces de l’ordre. 

La DRHGN s’est déclarée satisfaite des moyens disponibles pour la formation initiale des gendarmes, décrits comme « suffisants ».

2/ Les gardiens de la paix

La formation initiale des gardiens de la paix comprend notamment :

– Des techniques de sécurité en intervention, sanctionnées par plusieurs épreuves pratiques ;

– Une formation « officier de police judiciaire », sanctionnée par un contrôle national judiciaire ;

– Des formations théoriques sur le cadre d’emploi des armes ;

– Des formations de déontologie, marquées par une cérémonie de remise du code de déontologie.

B.   La formation au tir et à l’usage des armes : des obligations réglementaires plus contraignantes chez les policiers, mais moins bien respectées et sanctionnées

La réflexion sur la réponse apportée aux refus d’obtempérer par les forces de l’ordre ne peut faire l’impasse sur une réflexion sur la formation initiale et continue au tir et au port des armes, ainsi qu’au cadre juridique d’usage des armes.

1.   Le cadre réglementaire : des obligations annuelles de tir différentes

Gendarmes et policiers sont assujettis à des obligations réglementaires distinctes en matière de formation au tir.

a.   Chez les gendarmes

● La détention d’une arme est conditionnée à la détention d’un Certificat Initial d’Aptitude à la Pratique du Tir (CIAPT) à jour, qui repose sur des enseignements théoriques et pratiques et sur la connaissance du cadre législatif et réglementaire. Le CIAPT est recyclé tout au long de la carrière du militaire. Il se compose de deux modules :

– un module alpha sur la connaissance du cadre législatif et réglementaire d’usage des armes qui doit être recyclé tous les ans et commun à toutes les armes ;

– un module bravo relatif à la connaissance et à l’emploi de l’arme, comprenant une phase de connaissance de l’arme et de manipulation et une séance de tir à munitions réelles. Le recyclage de ce module est spécifique à chaque arme.

Les gendarmes ont aussi accès à des vidéos de formation via une plateforme en ligne.

La périodicité des recyclages et le nombre de cartouches requises dépendent du type d’armes. Pour le pistolet automatique, le CIAPT doit faire l’objet d’un recyclage annuel réglementaire de 30 munitions réelles minimum, dont la validité court jusqu’au 31 décembre de l’année A+1. Une dotation supplémentaire annuelle de 60 cartouches peut être tirée.

Le suivi de la formation, des recyclages et des entraînements est réalisé dans le système d’information RH Agorh@, et inséré au dossier personnel du gendarme.

● Le cadre légal d’usage des armes fait l’objet d’une instruction du directeur général de la gendarmerie nationale ([194]) présentant la méthode « AMER », qui permet de résumer de façon pédagogique les questions à se poser avant d’utiliser son arme. L’acronyme « A.M.E.R. » est formé à partir de la première lettre du mot pivot de chacune des questions :

– Quelle Atteinte l’adversaire fait-il poser sur mon intégrité ou celle d’autrui, ou à défaut quelle Menace ?

– Mon Environnement est-il sécurisé, propice à l’usage de l’arme ?

– L’usage de l’arme est-il l’ultime Recours ?

 

schÉma explicatif de la mÉthode d’analyse rÉflexe préalable à un usage des armes joint en annexe de l’instruction d’application DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA GENDARMERIE NATIONALE (DGGN)

Source : instruction du 1er mars 2017 relative à l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie.

b.   Chez les policiers

● Les policiers ([195]) sont assujettis à une obligation annuelle minimale de douze heures de formation continue portant sur les « techniques de sécurité en intervention » (TSI), dans le cadre fixé par l’arrêté du 27 juillet 2015 ([196]).

Parmi ces formations TSI, on distingue :

– les formations au tir à proprement parler, qui doivent être réparties sur au moins trois séances par an, pour une durée minimale d’une heure chacune, et permettant le tir minimum annuel de 90 cartouches. Ces séances ne sont pas exclusivement consacrées au tir ; elles permettent aussi un rappel des règles de sécurité relatives au maniement de l’arme et le rappel du cadre légal de leur usage ;

– les formations de pratique professionnelle en intervention, qui doivent représenter au minimum neuf heures annuelles.

Au total, 70 formations TSI permettent de valider du temps d’entraînement réglementaire. Il revient au policier, en concertation avec sa hiérarchie et en fonction des besoins du service, de choisir le ou les modules suivis. En outre, « la hiérarchie peut contraindre un effectif à participer à une séance de l’entraînement réglementaire » ([197]).

En complément de ces dispositifs, et comme cela a déjà été mentionné dans la partie consacrée aux outils numériques, les policiers ont aussi accès à la plateforme e-campus leur permettant de visionner des mises en situation relatives à l’usage des armes.

La formation initiale inclut quant à elle environ un exercice de tir par semaine.

● La formation au cadre légal de l’usage de l’arme a été présentée à vos rapporteurs au cours de leur déplacement à l’école de police de Roubaix. Elle s’appuie notamment sur des explications théoriques et sur le questionnement des élèves à partir de nombreuses vidéos de mises en situation.

La formation initiale aux contrôles routiers dans la police et la gendarmerie

Au sein de la gendarmerie, les règles relatives à l’interception en sécurité d’un véhicule refusant d’obtempérer sont enseignées à l’aide d’un kit pédagogique, qui a été transmis à vos rapporteurs. Il présente de façon simple les grands principes suivants :

– la sécurité des militaires et des personnes est « la priorité fondamentale », avec la formule « un timbre amende ne justifie pas de briser des vies » ;

– l’action immédiate ne doit pas être systématique et l’interception différée doit être envisagée prioritairement. La méthode « SUN » permet de juger la pertinence d’une intervention immédiate : elle invite l’agent à se questionner sur les conséquences de son action sur sa sécurité ou celle de tiers, l’urgence à intervenir et la nécessité de cette intervention.

Au sein de la police, la formation au contrôle routier fait intervenir des formateurs aux TSI mais aussi des psychologues pour la gestion des contrôles qui dégénèrent (ces situations difficiles pouvant aller du simple agacement du conducteur à l’agression). Elle permet de « protocoliser » les situations de refus d’obtempérer.

La sécurité routière est traitée à la fois au cours du socle initial et du socle avancé 1 ([198]), les savoirs acquis faisant à chaque fois l’objet d’une évaluation à plusieurs titres (contrôle école simulation, vacation ([199]), contrôle école écrit, examen national judiciaire…).

2.   Au sein de la police, des obligations à peine suffisantes et pas toujours respectées

Les auditions menées par vos rapporteurs ont mis en lumière plusieurs points d’insatisfaction, quantitatifs et qualitatifs, concernant la formation au tir chez les policiers.

a.   Des obligations réglementaires pas toujours respectées

● Le taux de réalisation des trois séances de tir annuelles obligatoires, mesuré par le pourcentage de personnels actifs ayant réalisé au moins trois séances de tir dans l’année, est insuffisant : entre 2015 et 2019, il oscille selon les années entre 33 à 39 % pour les commissaires, 54 à 59 % pour les officiers, 61 à 67 % pour les gardiens de la paix et 45 à 56 % pour les policiers adjoints ([200]).

En 2022, selon les chiffres communiqués par la direction générale de la police nationale, ce taux est de 66 %, et de 79 % pour les agents de la direction générale de la sécurité publique. Il n’a pas été possible à vos rapporteurs d’obtenir des données récentes par catégorie de personnel. Force est donc de constater que les obligations réglementaires de formation au tir ne sont pas toujours respectées.

Ce constat est d’autant plus préoccupant que plusieurs syndicats de policiers auditionnés par vos rapporteurs ont considéré que le nombre réglementaire de 90 cartouches annuelles était insuffisant ([201]). Le syndicat des cadres de la sécurité intérieure proposait ainsi une séance tous les deux mois a minima. Synergie Officiers constate pour sa part que le nombre de séances de tir annuelles obligatoires est « insuffisant pour rester à l’aise dans le fait de porter et d’utiliser l’arme » et préconise donc également l’augmentation du nombre minimal d’exercices annuels de tir.

● Les chiffres ci-dessus contrastent également avec ceux qui ont été fournis par la direction des ressources humaines de la gendarmerie nationale, selon lesquels 97 % des gendarmes sont à jour de leur habilitation à porter une arme. Ce chiffre est constant depuis les quatre dernières années. L’aptitude médicale au port et à l’usage des armes est aussi contrôlée tous les deux ans.

  1.   Des modalités de formation qui ne permettent pas de reconstituer les conditions réelles d’intervention

Il ressort aussi des nombreuses auditions menées par vos rapporteurs que les modalités de la formation ne sont pas toujours pleinement satisfaisantes.

● La plupart des stands de tirs, comme ceux que vos rapporteurs ont pu observer lors de leur déplacement à l’école de police de Roubaix, sont des stands classiques avec une cible fixe en forme de tronc humain et un couloir par personne. Faute de moyens suffisants, les entraînements ne peuvent se dérouler sur des véhicules en mouvement, ce qui correspond pourtant aux conditions réelles auxquelles peuvent être confrontées les forces de l’ordre dans le cadre de refus d’obtempérer. Le développement d’entraînements sur des cibles mouvantes, plus proches de la réalité des situations de terrain, est ainsi une des pistes d’amélioration évoquées.

● La Cour des comptes constatait par ailleurs que « l’organisation actuelle des séances [d’entraînement obligatoire] conduit à une focalisation excessive sur le tir individuel, pratiqué “à la chaîne” et générant une perte de sens », alors qu’il serait nécessaire de « revenir à des mises en situation complètes, faisant appel à la maîtrise des armes, aux techniques d’intervention et à l’enseignement du cadre juridique et déontologique associé ».

Les constats faits par vos rapporteurs au cours de leur déplacement à Roubaix tendent toutefois à modérer cette critique ; il leur a été confirmé que les séances de tir s’accompagnaient d’un rappel sur les règles de sécurité liées au maniement des armes et au cadre légal d’intervention.

En revanche, il est vrai que la pratique de tir individuel, centrée sur la précision, ne se confond pas avec les mises en situation, qui mettent davantage au défi l’appréciation par les policiers de l’opportunité du tir eu égard au contexte.

Recommandation n° 18 : Engager une réflexion sur le développement, en formation initiale et continue, des compétences de gestion du stress et de désamorçage des conflits, en particulier au moyen de mises en situation.

3.   Des carences qui résultent en particulier de difficultés logistiques et opérationnelles

Si insatisfaisante soit-elle, la situation évoquée ci-dessus ne saurait, d’une façon générale, être imputée aux personnels de police eux-mêmes. Elle résulte en partie d’un ensemble de difficultés logistiques et opérationnelles, face auxquelles vos rapporteurs formuleront quelques propositions.

● La formation au tir souffre de l’état général des stands de tir. Dans son rapport consacré à la formation des policiers et gendarmes, la Cour des comptes évoquait une situation « particulièrement critique » en Île-de-France, « sous dimensionnée en infrastructures de formation » ([202]). Dans un rapport d’information consacré à la formation initiale et continue des personnels de la police et de la gendarmerie nationale, le Sénat relevait pour sa part que les 36 stands de tir dans cette région sont « souvent indisponibles en raison de la fréquence d’opérations de maintenance » ([203]).

Ce constat est particulièrement préoccupant : c’est en effet dans cette région que sont envoyés en priorité les jeunes policiers sortis d’école, et sa densité urbaine et sa sociologie y rendent les interventions d’autant plus périlleuses.

● Les formations au tir, même réglementaires, pâtissent du « primat de l’opérationnel » qui engendre un fort taux de places « perdues » dans les formations par manque d’assiduité des agents inscrits. Par ailleurs, la Cour des comptes, comme le Sénat, relèvent que la distance du lieu de formation implique souvent des frais de déplacement ou d’hébergement, « facteur désincitant » en raison des « montants et délais [de remboursement] » selon la Cour ([204]).

● Enfin, le non-respect de cette obligation n’est pas assorti de sanctions ni de restrictions quant à l’activité opérationnelle des agents ([205]), comme l’a confirmé la direction générale de la police nationale à vos rapporteurs. La seule exception concerne le port d’armes hors du service, par exemple dans le cadre du dispositif voyager-protéger, subordonné à l’accomplissement des trois séances de tir annuel.

Vos rapporteurs sont pleinement conscients des tensions capacitaires et opérationnelles pesant sur les infrastructures de formation et le suivi des entraînements réglementaires.

Aussi les outils numériques évoqués plus haut constituent-ils à leurs yeux une solution intéressante pour améliorer la formation sur cet aspect et constitueraient « un apport supplémentaire à la formation en réel » selon Alternative police. Vos rapporteurs recommandent donc, autant que les contraintes budgétaires le permettent, de poursuivre le développement des outils de réalité virtuelle à visée pédagogique ainsi que leur déploiement en formation initiale et en formation continue.

Recommandation n° 19 : Poursuivre le développement des outils de réalité virtuelle à visée pédagogique.

Par ailleurs, si les stands de tir ne peuvent être démultipliés, il est en revanche possible de favoriser leur utilisation optimale. À cet effet, vos rapporteurs estiment nécessaire d’améliorer la planification de la formation et de la sanctuariser afin de la mettre à l’abri, autant que possible, des fluctuations opérationnelles qui empêchent actuellement une partie des agents de suivre les formations prévues.

Enfin, il convient de conditionner de façon effective le port de l’arme à la réalisation des tirs annuels. Le fait que le non-respect des obligations réglementaires ne soit pas assorti de conséquences en ce qui concerne le port de l’arme n’est pas satisfaisant, alors même qu’il ne fait aucun doute que leur suivi constitue déjà « une priorité des services » et « un indicateur de performance des services » qui peut être « pris en considération dans [l’] évaluation annuelle » ([206]).

Afin de permettre aux formateurs, à la hiérarchie et aux équipes de s’adapter, et de ne pas placer des effectifs entiers en porte à faux de leurs obligations, l’entrée en vigueur de cette recommandation pourrait toutefois être différée dans le temps.

Recommandation n° 20 : Sanctuariser dans le planning des unités les formations réglementaires au tir afin de permettre le respect de ces obligations par l’ensemble des agents et d’optimiser l’usage des stands de tir.

 

Recommandation n° 21 : Conditionner effectivement le port de l’arme individuelle chez les policiers à la réalisation de leurs obligations réglementaires en matière de tir en leur transposant un système similaire au certificat initial d’aptitude à la pratique du tir (CIAPT) en vigueur dans la gendarmerie nationale. Prévoir une entrée en vigueur différée dans le temps de la présente obligation.

 

4.   La question de l’après-tir

Enfin, il est apparu au cours des auditions que les suites d’un tir, pour le policier concerné, n’étaient pas enseignées de façon satisfaisante. La méconnaissance des conséquences administratives et judiciaires laisse penser que cette thématique gagnerait à être enseignée et expliquée de façon plus spécifique.  Ainsi, pour Maître Laurent-Frank Lienard, « personne ne prépare les policiers à ce qui les attend » : il cite l’exemple d’un adjoint de sécurité dans le sud de la France, lui ayant affirmé n’avoir jamais été informé des conséquences judiciaires de l’usage de son arme.

Cette thématique permettrait aussi de mettre fin à l’idée, parfois répandue parmi les membres des forces de l’ordre, selon laquelle ils peuvent être poursuivis pour leur abstention à agir en cas de refus d’obtempérer donnant lieu à des infractions ultérieures. Ainsi, pour Éric Maillaud, procureur général près la cour d’appel de Bourges et vice-président de la CNPG, il est « juridiquement quasiment impossible » de poursuivre des forces de l’ordre pour une abstention indue.

Recommandation n° 22 : Renforcer la formation des policiers à l’« après-tir ».

C.   Des conditions de formation plus favorables dans la gendarmerie, qui peuvent constituer une source d’inspiration À dÉfaut de pouvoir être rÉpliquées

Alors que certaines personnes auditionnées ont exprimé des réserves quant à la formation des policiers, vos rapporteurs n’ont pas relevé les mêmes critiques à l’égard de la formation au sein de la gendarmerie. Dès lors, ils souhaitent relever deux facteurs, propres à cette dernière, qui présentent une influence favorable sur les conditions de formation des gendarmes, mais dont il faut reconnaître qu’ils ne peuvent être intégralement transposés aux policiers.

1.   Le cadre juridique actuel d’usage de l’arme s’inscrit dans une continuité plus évidente avec le cadre historique des gendarmes qu’avec celui des policiers

De l’aveu même de plusieurs gendarmes entendus, les conditions d’usage de l’arme issues de la réforme de 2017 et figurant à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure sont très proches de ce qu’elles étaient depuis des décennies pour les gendarmes.

La structure en cinq points de l’article L. 435-1 reprend celle de l’ancien article du code de la défense pour les points 1 à 4, en y ajoutant simplement le point 5 issu de la loi de 2016 sur le périple meurtrier.

Sur le fond, cet article intègre désormais explicitement les conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité qui avaient été précisées par la jurisprudence. De même, ses points 3 et 4 conditionnent l’usage de l’arme à la dangerosité de la personne, condition qui ne figurait pas dans les textes précédents mais qui était, de fait, déjà exigée par la jurisprudence.

Ainsi, auditionné par vos rapporteurs, le général de corps d’armée Bruno Arviset considérait que la loi du 28 février 2017 a essentiellement opéré un alignement du régime légal d’autre corps sur celui des gendarmes : n’apportant que « peu de nouveauté », elle n’a pas constitué une « révolution culturelle » pour les gendarmes.

Rien de surprenant, donc, à ce que l’appropriation de ce cadre juridique puisse paraître représenter pour les policiers un défi supplémentaire. 

2.   Le statut et la culture militaire des gendarmes constituent des atouts

La culture militaire est au cœur de l’identité commune des gendarmes, au-delà de la diversité des missions qui leur sont confiées. Elle constitue l’un des cinq axes de la formation initiale et plus largement, l’acquisition de cet « état militaire » « sous-tend toute la formation » ([207]). Ce constat emporte des conséquences concrètes sur les conditions et modalités de formation des gendarmes.

Dans son rapport d’information précité, le Sénat constatait que cette identité militaire s’exprimait « négativement par la mise à l’écart des élèves ne parvenant pas à remplir ces critères » ([208]).

Cette remarque fait écho à une interrogation de vos rapporteurs concernant la mise à l’épreuve de la résistance au stress des élèves policiers et la capacité du système de formation à l’enseigner, mais aussi à la contrôler.

Dans son rapport précédemment évoqué, la Cour des comptes, s’appuyant sur le faible taux de dossiers présentés au jury d’aptitude professionnelle et l’impossibilité de prononcer le licenciement pour insuffisance professionnelle à l’issue de la scolarité, écrivait son « sentiment d’une incapacité du système à exclure ceux qui ne présentent pas les aptitudes ou le comportement requis » ([209]).

Vos rapporteurs ont donc interrogé l’Académie de police sur le pourcentage d’élèves gardiens de la paix convoqués par le jury d’aptitude professionnelle en application de l’article 16 de l’arrêté du 2 mai 2022 ([210]), ainsi que sur le taux de prononcé annuel de redoublements ou de licenciements pour insuffisance professionnelle à l’issue de la scolarité.

Ils regrettent qu’aucune réponse n’ait pu leur être fournie sur ces points, et, dès lors, ne peuvent qu’émettre l’hypothèse, dans le sillage de la Cour, que la capacité du système à écarter les élèves dont la performance serait insatisfaisante reste limitée.

L’état militaire se manifeste aussi, tout au long de la carrière du gendarme, par la vie en caserne qui est plus propice à un encadrement et au suivi des obligations de formation, comme le rappelait le général d’armée Richard Lizurey au cours de son audition. L’encasernement permet d’observer le nouveau gendarme – qui bénéficie d’ailleurs d’un tuteur au sein de son unité – et d’organiser le cas échéant des séances d’entraînement complémentaires au tir en service ou hors service.

Cet atout résultant du statut militaire des gendarmes et des contraintes qui lui sont associées, il ne peut bien sûr être transposé tel quel aux policiers. Vos rapporteurs estiment toutefois que la recherche d’un état d’esprit similaire au sein de la police nationale va dans le bon sens.

À cet effet, il leur apparaît nécessaire de renforcer, en particulier via la formation initiale, une « culture policière » au sein de l’institution ; celle-ci s’appuierait sur le renforcement de l’ouverture des élèves aux questions de société et aux rapports entre la police et la population, ainsi que sur une attention particulière portée non seulement à la maîtrise de l’arme mais aussi plus largement à la relation à l’arme.

Recommandation n° 23 : Développer, via la formation initiale, une vraie « culture policière » et une appartenance collective à la police nationale, s’appuyant sur le développement d’une conscience aiguë de la place et des devoirs du policier au sein de la société et sur une relation à l’arme empreinte de maîtrise et de responsabilité.

 

 

 

 

   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 29 mai 2024, la commission des Lois a examiné ce rapport et en a autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/uTib2C


   LISTE DES RECOMMANDATIONS

La liste des recommandations faites par vos rapporteurs figure ci-après. Sauf mention contraire, chaque recommandation est faite conjointement par les deux rapporteurs.

 

Recommandation n° 1 : Mener un travail d’analyse qualitative des causes des refus d’obtempérer et des profils de leurs auteurs. Pour ce faire, les forces de l’ordre devront rédiger davantage de commentaires lors de la constatation d’un refus d’obtempérer, et les magistrats devront s’intéresser davantage au mobile de l’infraction au moment du jugement. Sous l’égide des DGPN, DGGN et DACG a minima, ce recueil de données qualitatives devra ensuite donner lieu à la remise, par le Gouvernement, d’un rapport annuel précis au Parlement, comprenant l’ensemble des statistiques permettant de mieux cerner les causes des refus d’obtempérer.

Recommandation n° 2 : Envisager une nouvelle circulaire du garde des Sceaux demandant aux parquets de requérir plus systématiquement la peine de confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction en cas de refus d’obtempérer simple lorsque ce véhicule est de valeur.

Recommandation n° 3 : Engager un partage de bonnes pratiques entre DGPN et DGGN en ce qui concerne :

– les documents pédagogiques sur la doctrine en matière de refus d’obtempérer ;

– la doctrine d’organisation des contrôles routiers.

Les rapporteurs souhaitent notamment que la culture opérationnelle du jalonnement de la gendarmerie (c’est-à-dire la recherche de renseignements pour procéder à une intervention différée) soit généralisée à la police.

Recommandation n° 4 : Introduire la question des refus d’obtempérer au sein des stages de sensibilisation à la sécurité routière, sans remettre en cause la place prépondérante que doivent occuper les causes majeures d’accidents au sein de ceux‑ci.

Recommandation n° 5 : Lancer une campagne de communication pilotée par la Délégation à la sécurité routière, « Vous auriez dû vous arrêter », insistant sur les risques physiques et en termes de droit pénal qu’il y a à refuser d’obtempérer, en comparant avec les risques que les infractions connexes font courir et en insistant sur la capacité qui est celle des forces de l’ordre de retrouver de toutes les façons les auteurs de refus d’obtempérer.

Recommandation n° 6 : Garantir l’efficacité des outils intermédiaires d’intervention en :

– modernisant ce qui est déjà à la disposition des forces de l’ordre, par exemple en les dotant de herses télécommandées ;

– amplifiant le projet de recherche pour trouver une solution technologique innovante permettant d’arrêter des véhicules à distance, intitulé « Potential PCP project / Stopping vehicles remotely » ;

– au-delà de la seule capacité d’immobilisation, envisager le développement de balises aimantées qui permettent le marquage des véhicules qui refusent d’obtempérer, afin de faciliter les interceptions différées.

Recommandation n° 7 : Lorsque les outils d’analyse le permettront, rendre publiques chaque année les circonstances de l’ensemble des tirs effectués par les forces de l’ordre dans un contexte de refus d’obtempérer, par exemple dans les rapports annuels de l’IGPN et de l’IGGN.

Recommandation n° 8 : Encourager, au moyen d’une circulaire du garde des Sceaux, le dépaysement des affaires mettant en cause l’usage d’une arme à feu par les forces de l’ordre, le cas échéant sous réserve de critères déterminés par cette circulaire et pouvant tenir, par exemple, à la gravité de l’affaire ou à son retentissement.

Recommandation n° 9 : Amplifier le déploiement des caméras embarquées dans les véhicules de police et de gendarmerie.

Recommandation n° 10 : Expliciter, par voie de circulaire du garde des Sceaux, la possibilité, dans le cadre du contrôle judiciaire, de suspendre uniquement l’exercice des fonctions sur la voie publique, tout en permettant l’exercice de fonctions administratives. 

Recommandation n° 11 : Rendre obligatoire, pour les magistrats en formation initiale, la réalisation d’un stage dans un service de sécurité publique, soit en allongeant la durée consacrée aux stages, soit en réduisant de moitié la durée du stage dans un service d’enquête pour consacrer le temps ainsi dégagé à la sécurité publique.

Recommandation n° 12 : Promouvoir une offre de formation continue tendant à sensibiliser les magistrats aux spécificités et aux réalités des missions des forces de l’ordre, et promouvoir le suivi de ces formations par les magistrats.

Recommandation n° 13 : Désigner des magistrats référents pour les affaires d’usage de leur arme par les forces de l’ordre.

Recommandation n° 14 A de Roger Vicot : Réécrire le 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure. Passer de la rédaction actuelle : « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » à : « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants vont manifestement et de manière imminente perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Recommandation n° 14 B de Thomas Rudigoz : Ne pas engager de réécriture, fut‑elle partielle, de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure.

Recommandation n° 15 : Établir une instruction commune à la DGPN et à la DGGN relative à l’usage de l’arme, sur le modèle de celle de la gendarmerie.

Recommandation n° 16 : Allonger la durée de la formation (théorique comme stages) des élèves gardiens de la paix et des policiers-adjoints.

Recommandation n° 17 : Renforcer l’ouverture des écoles de police à des formateurs issus du monde extérieur (historiens, sociologues, professionnels du droit) pour apporter aux élèves une perspective historique, sociologique et pratique sur leur futur métier. 

Recommandation n° 18 : Engager une réflexion sur le développement, en formation initiale et continue, des compétences de gestion du stress et de désamorçage des conflits, en particulier au moyen de mises en situation.

Recommandation n° 19 : Poursuivre le développement des outils de réalité virtuelle à visée pédagogique.

Recommandation n° 20 : Sanctuariser dans le planning des unités les formations réglementaires au tir afin de permettre le respect de ces obligations par l’ensemble des agents et d’optimiser l’usage des stands de tir.

Recommandation n° 21 : Conditionner effectivement le port de l’arme individuelle chez les policiers à la réalisation de leurs obligations réglementaires en matière de tir en leur transposant un système similaire au certificat initial d’aptitude à la pratique du tir (CIAPT) en vigueur dans la gendarmerie nationale. Prévoir une entrée en vigueur différée dans le temps de la présente obligation.

Recommandation n° 22 : Renforcer la formation des policiers à l’« après‑tir ».

Recommandation n° 23 : Développer, via la formation initiale, une vraie « culture policière » et une appartenance collective à la police nationale, s’appuyant sur le développement d’une conscience aiguë de la place et des devoirs du policier au sein de la société et sur une relation à l’arme empreinte de maîtrise et de responsabilité.


   Personnes entendues

Mercredi 25 octobre 2023

   M. Olivier Boisteaux, président

   M. Jean-Paul Mégret, secrétaire national

Jeudi 26 octobre 2023

   Lieutenant-colonel Ludovic Lainé

   Major Patrick Boussemaëre

   Major Vincent Charneau

   Major Olivier Dupin

   Major Christophe Le Jeune

   Major Stéphane Pithois

   Major Bruno Tromeur

   Major Érick Verfaillie

   Adjudant-chef Frédéric Le Louette

   Adjudant-chef Aline Rouy

   Adjudant-chef Sandrine Toulouze

   Maréchal des logis-chef Christophe Duprat

   M. Fabien Vanhemelryck, secrétaire général

   M. Olivier Hourcau, secrétaire général adjoint

   M. Éric Henry, conseiller spécial

 

 

Mercredi 8 novembre 2023

   Mme Ingrid Lecoq, déléguée nationale province

   M. Adrien Legrand, délégué national Île-de-France

   M. Denis Jacob, secrétaire général

   M. Matthieu Galvagnon, secrétaire national

   M. Grégory Joron, secrétaire général

   Mme Linda Kebbab, secrétaire nationale

   M. Fabien Jobard, docteur en science politique, directeur de recherche au CNRS, chercheur au CESDIP

   M. Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l’Université de Cergy, chercheur au CESDIP

Jeudi 9 novembre 2023

   M. Yann-Henry Tinière, conseiller technique

   M. Éric Guerry, conseiller technique

   M. Christophe Miette, secrétaire national

   M. Michel Heckmann, trésorier national

   Mme Alexandra Vaillant, secrétaire générale

   M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint

Mardi 14 novembre 2023

   Mme Kim Reuflet, présidente

   Mme Sarah Pibarot, secrétaire nationale

   Mme Béatrice Brugère, vice-procureure près le tribunal judiciaire de Paris, secrétaire générale

   Mme Delphine Blot, vice-présidente placée près la cour d’appel de Paris, membre du conseil national

   M. Marc Nouvion, substitut au tribunal judiciaire de Paris

   M. Benjamin Deparis, président du tribunal judiciaire de Nanterre, président

   Mme Danièle Churlet-Caillet, présidente du tribunal judiciaire de Pontoise, vice‑présidente

   Mme Karine Gonnet, présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France, secrétaire générale

   M. Bertrand Menay, président du tribunal judiciaire de Versailles, secrétaire générale adjoint

   M. Raphaël Balland, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Béziers, président

   M. Étienne Thieffry, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dieppe

   M. Hugo Gabucci, assistant du président

Mercredi 15 novembre 2023

   Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers, vice‑présidente

   M. Éric Maillaud, procureur général près la cour d’appel de Bourges, vice‑président

   Mme Domitille Nicolet, chargée de plaidoyer

   Mme Nathalie Tehio, membre du bureau national

 

Mercredi 22 novembre 2023

   M. Jean-Marie Burguburu, président

   M. Thomas Dumortier, conseiller juridique

   Mme Louna Bernardinello, chargée de mission

   Général de corps d’armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale

   Colonel Denis Nauret, adjoint au sous-directeur de l’emploi des forces

   Colonel Antoine Lagoutte, chef du bureau de la synthèse budgétaire

Mercredi 6 décembre 2023

   M. Jean-Michel Gentil, chef de l’IGGN

   Mme Cécile Gressier, sous-directrice de la justice pénale générale

   M. François Chevance, magistrat rédacteur au bureau de la police judiciaire

   Mme Agnès Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe de l’IGPN

Jeudi 7 décembre 2023

   M. Philippe Lutz, directeur

   Générale de brigade Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité routière

   Me Arnaud de Saint Remy, vice-président de la commission libertés et droits de l’homme

   Me Gérard Tcholakian, membre de la commission libertés et droits de l’homme


Mercredi 13 décembre 2023

   Me Lucie Simon, membre de la commission pénale

   Me Karim Forand, membre de la commission pénale

Jeudi 14 décembre 2023

Mercredi 20 décembre 2023

   M. Frédéric Veaux, directeur général

   Mme Marie-Laure Arnaud-Guidoux, conseillère doctrine défense planification renseignement

   M. Philippe Tireloque, directeur national adjoint

Jeudi 21 décembre 2023

   Mme Claire Hédon, Défenseure des droits

   Mme Mireille Le Corre, secrétaire générale

   Mme Marie Lieberherr, directrice de la protection des droits et des affaires judiciaires

   Mme Estelle Faury, juriste au pôle déontologie de la sécurité

   Mme France de Saint-Martin, conseillère parlementaire

Mercredi 17 janvier 2024

Jeudi 18 janvier 2024

Mercredi 24 janvier 2024

   Mme Christine Dubois, cheffe adjointe de l’inspection des services

   M. Pascal Decanter, directeur national du recrutement et de la formation professionnelle

   M. Thomas Charvet, sous-directeur adjoint à la sous-direction du réseau

   M. Frédéric Lauze, secrétaire général

   M. Michel Chaballier, premier secrétaire général adjoint

Jeudi 25 janvier 2024

   Général de corps d’armée Bruno Arviset, directeur

Mercredi 7 février 2024

Mercredi 13 mars 2024


déplacements

Jeudi 8 février 2024 : École nationale de police de Roubaix (59)

Vendredi 15 mars 2024 : Marseille

   M. Pierre-Edouard Colliex, préfet de police des Bouches-du-Rhône

   M. Cédric Esson, directeur interdépartemental de la police nationale

   Capitaine Rémi Labedade, commandant par intérim la CRS autoroutière

   Capitaine Olivier Bremond, chef des unités mobiles zonales

   Commissaire Olivier Guiochon, chef des unités voie publique de la division Nord

   Table‑ronde de policiers confrontés au phénomène de refus d’obtempérer

   Général Constant Caylus, commandant le groupement de gendarmerie des Bouches‑du‑Rhône

   Table‑ronde de gendarmes confrontés au phénomène de refus d’obtempérer

   M. Nicolas Bessone, procureur de la République


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Alfred Sauvy, L’opinion publique, Que sais-je ?, PUF, 1956.

([3]) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([4]) I de l’article L. 233-1 du code de la route.

([5]) Le premier alinéa de l’article 132-3 du code pénal dispose en effet que « Lorsque, à l’occasion d’une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé ». Ce principe général connaît toutefois des exceptions dans notre droit, par exemple pour la répression des rébellions en détention (article 433-9 du code pénal) et des évasions (article 434-31 du même code).

([6]) Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([7]) Voir a du 2 du présent A.

([8]) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([9]) Article L. 413-1 du code de la route.

([10]) Article L. 221-2 du même code.

([11]) Article L. 234-1 du même code.

([12]) Article L. 235-1 du même code.

([13]) Second alinéa de l’article 132-16-2 du code pénal.

([14]) Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 2002, n° 01-86.317.

([15]) En effet, l’article 395 du code de procédure pénale dispose que « si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à deux ans, le procureur de la République, lorsqu’il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée, peut, s’il estime que les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate, traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal ». En cas de délit flagrant, la comparution immédiate est toutefois possible « si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à six mois ».

([16]) Voir note de bas de page précédente.

([17]) Voir c du 1 du présent A.

([18]) Loi  202322 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

([19]) Par dérogation aux délais maximaux de droit commun, prévus à l’article 721 du code de procédure pénale : six mois par année d’incarcération et quatorze jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an. De telles dérogations sont déjà prévues, à l’article 721‑1‑2 du même code, pour les auteurs de violences sur des personnes dépositaires de l’autorité publique.

([20]) Conseil constitutionnel, décision n° 2022846 DC du 19 janvier 2023.

([21]) Quatrième alinéa de l’article 76 du code de procédure pénale.

([22]) Voir l’encadré : « La loi du 24 janvier 2022 et la fin du refus d’obtempérer « rationnel » » plus haut dans le rapport.

([23]) « Refus d’obtempérer recensés par les forces de l’ordre (2012-2022) » sur le site data.gouv.fr.

([24]) À partir de l’année 2022, les données distinguent les refus d’obtempérer commis en état de récidive légale. Ainsi, pour cette même année, il faut ajouter au total, outre les refus d’obtempérer simples (25 641) et les refus d’obtempérer aggravés (4 905), les refus d’obtempérer commis en état de récidive légale (au nombre de 106).

([25]) La DGDDI distingue le passage de vive force (cas où un usager de la route au volant de son véhicule, à l’attention duquel sont effectués des injonctions ou signaux d’arrêt, décide de ne pas s’y soumettre et franchit délibérément le dispositif de contrôle statique ou dynamique en continuant sa route) et la fuite en véhicule (cas où un usager de la route fait demi‑tour à la vue du service, en amont du point de contrôle). Les deux phénomènes sont regroupés sous l’appellation de refus d’obtempérer.

([26]) Données communiquées par la DGPN à vos rapporteurs.

([27]) Données communiquées par la DGGN à vos rapporteurs.

([28]) Le procureur de la République de Marseille a toutefois appelé à relativiser cette baisse de faits constatés, sans doute en grande partie due à la contestation des policiers marseillais durant l’été 2023 qui, à la suite du placement en détention provisoire de l’un de leurs collègues, ont décidé de se mettre massivement en arrêt‑maladie.

([29]) Voir le b du 2 du présent B.

([30]) L’étude d’impact du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure révélait ainsi que les refus d’obtempérer étaient, en 2019, connexes à un autre délit dans 85 % des cas. De même, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs que les infractions routières étaient souvent un motif fréquemment constaté expliquant la commission du refus d’obtempérer.

([31]) Le permis à point a été mis en place, à compter du 1er juillet 1992, par la loi  89469 du 10 juillet 1989 relative à diverses dispositions en matière de sécurité routière et en matière de contraventions.

([32]) Technique employée par les trafiquants de drogue afin d’acheminer les substances stupéfiantes (mais également les produits de contrebande) rapidement et discrètement vers les lieux de vente. Les trafiquants utilisent deux véhicules – l’un qui contient les marchandises et l’autre qui la précède et qui sert d’éclaireur – qui roulent, contrairement à ce que le nom de la technique pourrait laisser penser, à la vitesse réglementaire afin de ne pas éveiller les soupçons jusqu’à être éventuellement repérés par les forces de l’ordre, moment où la vitesse deviendra alors primordiale et le refus d’obtempérer évidemment systématique. Au départ essentiellement concentrée sur les autoroutes, cette pratique a évolué pour progressivement emprunter davantage les routes secondaires (on parle de technique du go slow) afin d’éviter les contrôles, ce qui les amène à se confronter davantage aux gendarmes.

([33])  Il s’agit de la part de condamnations prononcées en récidive légale dans des procédures au sein desquelles l’infraction de refus d’obtempérer est l’infraction principale.

([34]) Voir le 2 du C du présent I.

([35])  L’ONISR comptabilisant 3 248 morts dans des accidents de la route en 2018 et 3 268 en 2013, la part des morts dans des accidents de la route liés à des refus d’obtempérer oscille donc entre 0,03 % et 0,28 %.

([36]) D’après la DGGN, si ces agressions par véhicule peuvent résulter d’un refus d’obtempérer ou d’une autre situation, la grande majorité des blessés lors d’une agression avec véhicule le sont dans le cadre d’un refus d’obtempérer.

([37])  3 décès en 2013 ; 1 décès en 2014 ; 1 décès en 2015 ; 3 décès en 2020.

([38]) Voir encadré plus haut : « La loi du 24 janvier 2022 et la fin du refus d’obtempérer rationnel ».

([39]) Toutes les données pour 2022 sont provisoires.

([40]) Sauf mention contraire, l’ensemble des données présentées dans ce 2 proviennent de la DACG.

([41]) C’est‑à‑dire lorsqu’aucun motif de fait (auteur non identifié par exemple) ou de droit (irresponsabilité, prescription) ne vient faire obstacle à la poursuite devant une juridiction pénale.

([42]) Circulaire de politique pénale générale du garde des Sceaux, Crim 202216/E120/09/2022.

([43]) Circulaire relative à la politique pénale en matière routière, Crim 202313/E120/07/2023.

([44])  Voir recommandations n°s 10 et 11 au sein du B du II de la présente partie.

([45]) Pour un point juridique sur les peines complémentaires encourues, voir a du 1 du présent A.

([46]) Données provisoires.

([47]) Voir encadré plus haut dans le rapport : « La difficile analyse du lien entre la hausse des contrôles routiers et l’augmentation du nombre de refus d’obtempérer ».

([48]) Elle est d’ailleurs particulièrement réussie, puisque le taux de réussite de cette question est de 98 %.

([49]) L’arrêté du 10 juillet 2017 définissant les normes techniques applicables aux matériels d’immobilisation des véhicules complète ses dispositions.

([50]) Voir l’encart méthodologique ci-dessous.  

([51]) Rapport annuel d’activité de l’IGPN 2022, p. 33.

([52]) Les autres usages de l’arme individuelle concernent, par ordre d’importance décroissante, les tirs contre des animaux (54 tirs : animaux sauvages percutés, animaux dangereux et agressifs), les tirs en direction d’une personne dangereuse mettant directement en danger la vie des tiers ou celle des policiers engagés (50 tirs), les tirs d’intimidation (11 tirs), « souvent réalisés dans des situations au cours desquelles les agents ne disposent pas d’autre moyen pour s’extraire » et les tirs hors service (2 tirs) (source : rapport annuel IGPN 2022).

([53])  Données issues des rapports d’activité de l’IGPN pour 2020, 2021 et 2022; comptage du journal « Le Monde » pour 2023, confirmé en fin d’année 2023 par la DGPN ; DGPN pour l’année 2024.

([54]) Rapport annuel 2021 de l’IGPN.

([55]) Voir encadré méthodologique ci-après.

([56]) Les autres tirs concernent des tirs sur animaux (23), ou des agressions physiques ou avec armes (7).

([57]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([58])  La question du lien entre la loi du 28 février 2017 et l’évolution du nombre de tirs sera étudiée au 1 du A du I de la troisième partie du présent rapport.

([59]) Voir le C du II de la première partie du présent rapport.

([60]) Tout en reconnaissant cette différence de « publics », la Ligue des droits de l’homme refuse que cela justifie « la différence de traitement».

([61]) Voir le C du II de la troisième partie du présent rapport.

([62]) Voir le C du II de la troisième partie du présent rapport.

([63]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([64]) Rapport annuel 2022 de l’IGPN, p. 61.

([65]) Rapport annuel 2022 de l’IGPN, p. 61.

([66]) Lorsqu’un tir n’a pas entraîné de décès, ces données sont parfois insuffisantes pour analyser avec précision la situation qui l’a motivé.

([67]) Rapport annuel 2022 de l’IGPN, p. 35.

([68]) Au 31 octobre 2023, 112 enquêtes administratives étaient pendantes à l’IGPN, dont neuf concernant des usages d’arme sur des véhicules en mouvement. Vos rapporteurs n’ont pas pu obtenir les données équivalentes pour l’IGGN.

([69]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([70]) Circulaire du 20 septembre 2016 relative à la lutte contre les infractions commises à l’occasion des manifestations et autres mouvements collectifs.

([71])  L’article 229-1 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 3 juin 2016, permet au procureur général de saisir le président de la chambre de l’instruction afin de sanctionner à titre conservatoire, pour une durée maximale d’un mois, sans délai et sans procédure contradictoire, tout officier ou agent de police judiciaire, ou toute personne investie de fonctions de police judiciaire, qui serait mis en cause pour des faits d’une particulière gravité, et sans attendre l’issue de la procédure judiciaire ou disciplinaire.

([72]) Une exception a toutefois été signalée par la DACG dans sa réponse écrite au questionnaire : « aucune enquête n’a été ouverte depuis 2015 sur l’usage des armes dans le cadre de la neutralisation des auteurs d’attaques qualifiées de terroristes et ayant donné lieu à saisine des juridictions spécialisées. Il peut, à ce titre, être indiqué que les circonstances de fait permettaient le plus souvent et sans difficulté de caractériser l’état de légitime défense des fonctionnaires intervenus. »

([73])  Infraction punie de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’elle est exercée par une personne dépositaire de l’autorité publique.

([74]) Infraction punie de quinze ans de réclusion criminelle lorsqu’elle est exercée par une personne dépositaire de l’autorité publique.

([75]) Puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

([76]) Punies de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (ITT supérieures à huit jours) ou trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (ITT inférieure ou égale à huit jours ou pas d’ITT) lorsqu’elles sont commises par une personne dépositaire de l’autorité publique.

([77]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([78]) Direction des affaires criminelles et des grâces, rapport annuel du ministère public, 2020.

([79]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([80]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([81]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([82]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([83]) Cet argument était notamment partagé par Sebastian Roché.

([84]) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([85])  Décret n° 2022-605 du 21 avril 2022 portant modification du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure relatif aux traitements de données à caractère personnel provenant des caméras individuelles des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale.

([86]) Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([87]) Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.

([88]) Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, cons. 148. Étaient notamment en cause l’absence d’encadrement spatio-temporel de la captation, et une information du public non garantie.

([89]) Ainsi que les agents des douanes, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours ainsi que les personnels des services de l’État et les militaires des unités investis à titre permanent de missions de sécurité civile.

([90]) Décret n° 2024-238 du 18 mars 2024 portant application des articles L. 243-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et autorisant la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de caméras embarquées dans les véhicules, embarcations et autres moyens de transport des forces de sécurité intérieure et des acteurs de la sécurité civile.

([91])  Amnesty y est en revanche opposé pour des raisons de droit à la vie privée.

([92]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([93]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs..

([94]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([95]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([96]) Réponse écrite au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([97]) Réponse écrite au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([98]) Audition de Maître Arié Alimi.

([99]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([100]) L’article 2 de la Convention stipule que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ».

([101]) Loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

([102]) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.  

([103])  Décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie, abrogé.

([104])  Loi n° 392 du 22 juillet 1943 portant modification de l’article 231 de la loi du 28 germinal an VI relative à l’organisation de la gendarmerie nationale, publiée au Journal officiel de l’État français n°224 du 18 septembre 1943

([105]) Loi n° 513 du 18 septembre 1943 relative à l’usage des armes par le personnel de la police, publiée au Journal officiel de l’État français n°228 du 23 septembre 1943.

([106])  L’ordonnance n°45-532 du 31 mars 1945, additionnelle à l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, a constaté la nullité de la loi du 18 septembre 1943, mais pas celle du 22 juillet 1943.

([107]) Voir le 1 du B du présent I.  

([108]) Les causes objectives d’irresponsabilité pénale (ou faits justificatifs) trouvent leur source dans les circonstances de la commission de l’infraction ; elles s’opposent aux causes subjectives d’irresponsabilité pénale (ou causes de non-imputabilité), qui reposent sur des considérations propres à l’auteur de l’infraction (par exemple l’existence d’un trouble psychique abolissant le discernement).

([109])  « Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. »

([110]) Il convient à ce titre de noter que l’article 73 du code de procédure pénale prévoit que toute personne a qualité pour appréhender l’auteur d’un crime ou d’un délit commis en flagrant délit et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche.

([111]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juillet 2000, n°00-83.552.

([112]) Cour de cassation, chambre criminelle, 19 juin 1990, n°90-80.888.

([113]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 2012, n°11-86.809.

([114]) Cour de cassation, chambre criminelle, 17 janvier 2017, no 15-86.481. En l’espèce, la circonstance qu’à la suite de la riposte de la victime se prévalant de la légitime défense l’agresseur ait fait une chute qui l’a laissé tétraplégique, ne peut être juridiquement prise en compte pour refuser à la victime le bénéfice de la légitime défense.

([115])  V. C. Mascala, « Faits justificatifs - état de nécessité », J.-Cl. Pénal Code, Art. 122-7, 2016, n° 20.

([116])  Catherine Tzutzuiano, dans « L’usage des armes par les forces de l’ordre » (Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2017/4 (N° 4), estime que ce fait justificatif n’a été admis qu’une seule fois par la Cour de cassation au bénéfice des forces de l’ordre.

([117]) Les attroupements sont définis à l’article 431-3 du code pénal comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». 

([118]) Rapport n° 453 (2012-2013) de Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 27 mars 2013.

([119]) Cour de cassation, chambre criminelle, 6 octobre 2021, n° 21-84.295. En l’espèce, un policier avait fait usage de son arme contre une personne qui prenait la fuite sans disposer d’éléments permettant de conclure à l’implication de la victime dans les infractions commises dans les minutes qui précédaient, et avait donc selon la Cour dépassé la consigne d’interpeller les personnes troublant l’ordre public.

([120]) Étude d’impact sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([121]) Cour de cassation, chambre criminelle, 16 janvier 1996, no 94-81.585.

([122]) Cour de cassation, chambre criminelle, 18 février 2003, n° 02-80.095.

([123]) Par exemple : Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mars 2013, n°12-82-683.  

([124]) Par exemple, dans la décision du 18 février 2003 précitée, la chambre criminelle note que « l’article 174 du décret du 20 mai 1903 est compatible avec les dispositions de l’article 2.2 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

([125]) CEDH, 17 avril 2014, Guerdner et autres c. France.

([126]) A contrario, à l’occasion d’une affaire concernant la mort d’un jeune homme en Turquie à la suite d’un coup de feu tiré par un gendarme (CEDH, 5 juin 2012, Ülüfer c. Turquie, la Cour a considéré que « la teneur de l’article 16 de la loi n° 2559 [régissant les conditions d’usage de leur arme à feu par les forces de l’ordre], telle qu’interprétée par les juridictions répressives » en Turquie, constituait un cadre juridique « fondamentalement insuffisant » se situant « bien en deçà du niveau de protection « par la loi » du droit à la vie requis par la Convention ».

([127]) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 février 2008, n°07-88470.

([128]) Étude d’impact sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([129])  op. cit.

([130]) Étude d’impact sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([131])  Raphaële Parizot et Jean-Baptiste Perrier. « Chronique législative », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 2, no. 2, 2016, pp. 373-392.

([132])  Par exemple, France Info, 30 décembre 2015, « État d’urgence : les forces de l’ordre sont au bord du burn-out » ou encore Le Monde, 21 avril 2016, « État d’urgence : « Derrière chaque uniforme de policier, il y a un homme épuisé ».

([133]) Malgré une légère décrue en 2019 (19 pour 100 000) et une franche décrue en 2020 (9 pour 100 000), vos rapporteurs insistent sur des taux de suicide encore bien trop élevés : 25 pour 100 000 en 2022 et 21 pour 100 000 en 2023.

([134])  Ces chiffres restent variables d’une année sur l’autre : 46 suicides ont été recensés en 2022 et 35 en 2023.

([135]) Dont les effectifs avaient été revus à la baisse entre 2008 et 2012 dans le contexte de la révision générale des politiques publiques.

([136]) Si les policiers ne disposent pas du droit de grève, ils peuvent en revanche manifester, mais uniquement en dehors de l’exercice de leurs fonctions dans les conditions de droit commun et dans le respect du code déontologie qui précise que le policier « s’abstient, dans l’exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Lorsqu’il n’est pas en service, il s’exprime librement dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l’égard des institutions de la République ».

([137]) Par exemple, la proposition de loi n° 191 d’Éric Ciotti, Guillaume Larrivé et Philippe Goujon, déposée à l’Assemblée nationale le 12 septembre 2012 ; la proposition de loi n° 767 de Louis Nègre et Pierre Charon déposée au Sénat le 18 septembre 2012 ; la proposition de loi n° 156 de Jean Louis Masson, déposée au Sénat le 17 novembre 2015.

([138]) Publié en novembre 2016.

([139]) Qui prévalait avant la loi du 28 février 2017.

([140]) Conseil d’État, Avis du 3 février 2016 sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([141]) Intervention de François Grosdidier, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mercredi 18 janvier 2017.

([142]) Un encadré à la fin de la présente sous-partie présente les différentes versions du texte.

([143])  Même si seul le 4° fait référence à un véhicule, l’usage de l’arme contre un véhicule en mouvement est en réalité susceptible de s’inscrire dans le cadre d’autres paragraphes, en particulier les 1° et 5°. Aussi l’article entier sera-t-il présenté ci-après.

([144]) Voir par exemple Ulüfer c/ Turquie, 5 juin 2012 : « le but légitime d’effectuer une arrestation régulière ne peut justifier de mettre en danger des vies humaines qu’en cas de nécessité absolue. (...) En principe il ne peut y avoir pareille nécessité lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif ».

([145])  Amendement  26 du rapporteur. La rédaction du 3° a été plus longuement débattue mais elle est éclairante car l’enjeu est le même : la notion d’imminence.

([146])  Exposé sommaire de l’amendement n° 26 du rapporteur.

([147])  Intervention de François Grosdidier, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mercredi 18 janvier 2017.

([148])  Pour autant, selon le sénateur Michel Mercier, la notion de « raisons réelles et objectives » du rapporteur introduit une part d’autonomie de jugement des forces de l’ordre, que la rédaction du gouvernement, purement factuelle et procédurale, ne comportait pas.

([149])  Intervention de François Grosdidier, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mercredi 18 janvier 2017.

([150])  Intervention de François Grosdidier, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mercredi 18 janvier 2017.

([151])  À l’exception du remplacement de la référence à autrui par la référence à des tiers à la fin du 1°.

([152])  Expression utilisée par le rapporteur du texte à l’Assemblée au cours de son audition par vos rapporteurs.

([153])  Amendement CL 116.

([154]) Intervention de Claude Goasdoué, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mardi 31 janvier 2017, compte-rendu n° 43.

([155]) Intervention de Claude Goasdoué, rapporteur, au cours de l’examen en commission du projet de loi relatif à la sécurité publique, mardi 31 janvier 2017, compte-rendu n° 43.

([156])  Les députés ont adopté un amendement modifiant la rédaction du 2° pour substituer aux termes de « terrain » et « poste » le terme, plus neutre, de « lieux ». 

([157]) Cour de cassation, 16 janvier 1996 (n° 94-81.585) et 30 avril 1996 (n° 95-82.500).

([158]) Cet article dispose que « Aucune force armée ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles sans une réquisition légale ».

([159]) Voir 3 du A du II de la première partie du présent rapport.

([160]) Rapport de la mission relative au cadre légal de l’usage des armes par les forces de sécurité, présidée par Hélène Cazaux‑Charles, novembre 2016.

([161]) Voir II de la première partie du présent rapport.

([162]) Sebastian Roché, Paul Le Derff et Simon Varaine, « Homicides policiers et refus d’obtempérer. La loi atelle rendu les policiers irresponsables ? », revue Esprit, septembre 2022.

([163]) Une définition classique de la méthode « quasi-expérimentale » est donnée par Cook et Campbell en 1979 pour ce qui concerne la médecine : « expérimentation avec une intervention donnée, des résultats de santé mesurés et au moins deux unités expérimentales (groupe recevant l’intervention et groupe contrôle), mais sans recours à la randomisation [un échantillonnage aléatoire qui vise à supprimer l’interférence de variables autres que celles qui sont étudiées] pour créer les conditions d’inférence causale ».

([164])  L’étude indique qu’il existe de très nombreux déterminants autres que la loi dans le comportement des agents, y compris concernant l’usage des armes. Il y a la sous-culture professionnelle (ce que pensent les agents), le rôle de la chaîne hiérarchique, la culture organisationnelle (la manière dont la hiérarchie interprète les lois), et aussi de nombreux facteurs liés à l’exercice du métier (le stress, les conditions d’emploi), mais aussi des questions personnelles, l’état de santé psychique par exemple.

([165]) Voir II de la première partie du présent rapport pour consulter l’ensemble des données.

([166]) Voir notamment le 1 du B du II de la deuxième partie du présent rapport.

([167]) Le pic est de 205 tirs pour les policiers et de 53 tirs pour les gendarmes, des niveaux plus jamais atteints par la suite.

([168]) Pour rappel, du côté des policiers, 140 tirs sur des véhicules en mouvement ont été recensés en 2022, soit une hausse de 22 % par rapport à 2012 (116 tirs) mais une baisse de 32 % par rapport à 2017 (205 tirs). Du côté des gendarmes, 30 tirs ont été enregistrés dans ce contexte en 2022, soit une baisse de 19 % par rapport à 2012 et de 43 % par rapport à 2017.

([169]) Ainsi, Yves Goasdoué a considéré, devant les rapporteurs, que la revue Esprit « a[vait] poussé le bouchon » en publiant l’étude de Sebastian Roché, en indiquant qu’il « n’[était] pas convaincu du caractère scientifique ». En effet, selon lui, « on y confond causalité et corrélation ». Bernard Cazeneuve a, quant à lui, indiqué qu’en l’absence de publication des données utilisées, il était difficile de pouvoir qualifier l’étude de sérieuse.

([170]) Terme mis en avant par le criminologue Alain Bauer et qui regroupe les homicides et les tentatives d’homicide.

([171]) D’après le service statistique du ministère de l’intérieur, les tentatives d’homicide ont augmenté en moyenne de 8 % par an entre 2016 et 2022, pour s’établir à 3 584 victimes annuelles en 2022. Les homicides ont également progressé sur la même période, mais de manière moins forte, avec un taux d’évolution annuel moyen, hors attentats, de 3 %.

([172]) Voir B du II de la première partie du présent rapport.

([173]) Gustav Fiere, Jérôme Giusti et Dominique Raimbourg, « De Police à Polis, Refonder le lien entre forces de l’ordre et population en France », étude de la fondation Jean Jaurès, janvier 2021.

([174]) Voir la deuxième partie du présent rapport et notamment son II.

([175]) Voir II de la première partie du présent rapport.

([176]) Voir notamment l’encadré « Les évolutions de la rédaction du 4° de l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure » à la fin du B du II de la deuxième partie du présent rapport.

([177]) Cet avocat défend régulièrement les policiers lorsqu’ils sont mis en cause, au point que le surnom « d’avocat des flics » lui est régulièrement accolé. Il assume lui-même ce surnom puisqu’il en a fait le titre d’un livre publié en 2022.

([178])  Amendement CL71 de Guillaume Larrivé, finalement retiré au moment de la discussion.

([179]) Compterendu n° 43 de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, séance du mardi 31 janvier 2017 à 16h30.

([180]) Instruction n° 233000/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 1er mars 2017 relative à l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie.

([181]) Voir le 1 du B du II de la présente partie.

([182]) Instruction DGPN/cab 20178513D du 1er mars 2017 relative au nouveau cadre juridique d’usage des armes.

([183]) CEDH, 27 septembre 1995, Mc Cann et autres c. Royaume-Uni.

([184]) Instruction DGPN/cab n° 2021­‑1467‑D du 9 juin 2021 relative à l’arme individuelle ou de service.

([185]) Rapport de la mission Cazaux-Charles, p. 86.

([186]) Cette formule résulte d’une jurisprudence constante, par exemple : Natchova et autres c/ Bulgarie, 6 juillet 2005.

([187]) Anciennement « adjoints de sécurité », les policiers adjoints sont des personnels contractuels.

([188]) Cet avis tranche avec celui du général d’armée Richard Lizurey qui rappelait au cours de son audition qu’au sein de la gendarmerie nationale « l’après tir fait partie du socle opérationnel de formation ».  

([189]) Ce constat est en particulier formulé par la Cour des comptes dans son rapport de février 2022 consacré à la formation des policiers.

([190]) Voir le 3 du B du présent II.  

([191]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([192]) La question des discriminations liées à la sexualité ou au handicap est aussi abordée.

([193]) Le séquencier national comprend lui-même peu d’intervenants extérieurs à la police, même si des partenariats ont été développés avec quelques acteurs publics et associatifs.

([194]) Instruction n° 233000/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 1er mars 2017 relative à l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie.  

([195]) Tous corps confondus :  commissaires, officiers, gardiens de la paix et policiers-adjoints.

([196]) Arrêté du 27 juillet 2015 relatif à la formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des adjoints de sécurité.

([197]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([198]) Voir le 1 du A du présent II.

([199]) La vacation est une épreuve pratique de mise en situation professionnelle d’une durée de 3 heures, par groupes de trois élèves.

([200])  D’après les données transmises à la Direction centrale du recrutement et de la formation de la Police nationale à la Cour des comptes.

([201])  Constat partagé par l’UNSA, SGP Police-FO, Synergie et le SCSI. Le secrétaire général d’Unité SGP Police-FO Grégory Joron note en outre que « les mises en situation seraient un luxe » mais que la disponibilité et l’état des stands de tirs ne le permettent pas.

([202])  Rapport de la Cour des comptes, La formation des policiers, février 2022, p. 40.

([203]) Rapport d’information n° 410 de Mmes Catherine Di Folco et Maryse Carrère, fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 mars 2023.

([204]) op. cit., pp. 102 et 113.

([205]) Contrairement aux autres armes et aux armes de force intermédiaire, comme l’indique l’Académie de police  dans les réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([206]) Réponses écrites de l’Académie de police au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.  

([207]) Réponses écrites au questionnaire envoyé par vos rapporteurs.

([208]) Rapport d’information n° 410 de Mmes Catherine Di Folco et Maryse Carrère, fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 mars 2023.  

([209]) Rapport de la Cour des comptes, La formation des policiers, février 2022, p. 45.

([210]) Cet article prévoit notamment que « Le jury d’aptitude professionnelle convoque également les élèves gardiens de la paix dont l’évaluation de l’implication personnelle et professionnelle tout au long de la formation destinée à mesurer leur niveau de responsabilisation, au regard notamment du code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationale, n’est pas jugée satisfaisante ».