N° 2699
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur les interventions territoriales de l’État au titre du plan Chlordécone IV
et du plan Sargasses 2
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Nicolas SANSU,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
SynthÈse du rapport et PrincipaleS PrÉconisations
I. Plan ChlordÉcone IV : informer, protÉger, rÉparer ?
II. Plan Sargasses 2 : structurer, collecter, valoriser ?
ANNEXE N° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par le Rapporteur spÉcial
ANNEXE N° 2 : DÉplacement en Guadeloupe et en Martinique
SynthÈse du rapport
et PrincipaleS PrÉconisations
Le chlordécone est un pesticide qui fut utilisé de 1972 à 1993, de manière dérogatoire, pour lutter contre le charançon dans les plantations de bananes en Martinique et en Guadeloupe. Outre la contamination des travailleurs agricoles, les propriétés particulières de la molécule, qui lui permettent de rester fixée plusieurs dizaines d’années, conduisent à une pollution pérenne des sols, puis des eaux de surface, souterraines et proches côtières. Cette pollution se transmet ensuite aux animaux ainsi qu’à certains fruits et légumes, conduisant par le biais de l’alimentation à la contamination d’une partie de la population antillaise. L’utilisation massive et prolongée, au-delà des alertes provenant des États-Unis dès la fin des années 70, s’inscrit dans un contexte de domination et d’héritage colonial qui nécessitent une réponse qui dépasse le simple fait technique. C’est « la chimie des maîtres » (Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, Éditions Le Seuil, 2019) qui a été épandue et répandue.
Les sargasses sont des algues brunes qui depuis 2011 s’échouent sur une partie du littoral de la Martinique et de la Guadeloupe. Outre la pollution visuelle et les problèmes d’accès aux plages et aux ports pour les professionnels, la putréfaction des algues échouées a pour conséquence l’émission de plusieurs gaz, dont l’hydrogène sulfuré (H2S) qui s’avère désagréable à l’odorat mais surtout particulièrement toxique pour l’organisme. Les sargasses contenant également de fortes concentrations en arsenic et, parfois, en chlordécone, leur détérioration peut également conduire à une pollution durable des sols et des eaux.
Ces deux phénomènes soulèvent des enjeux durables pour la Martinique et la Guadeloupe. Si le fait générateur concernant la pollution au chlordécone est désormais éteint, la pollution des sols et des eaux devrait persister et s’accentuer pendant plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs siècles. Quant aux sargasses, malgré la mise en place de dispositifs visant à empêcher les échouements, ces derniers devraient néanmoins continuer à se produire du fait du changement climatique et à dégager des gaz nocifs pour la population. Dans les deux cas, le problème de santé environnementale emporte avec lui des enjeux économiques, environnementaux et sociaux auxquels la puissance publique doit répondre.
Ces réponses font l’objet de deux plans financés par le programme 162 des interventions territoriales de l’État (PITE) de la mission Cohésion des territoires : le plan Chlordécone IV établi pour la période 2021-2027 et le plan Sargasses 2 établi pour la période 2022-2025.
Face à la persistance de la pollution des sols et des eaux et à l’absence de procédés scientifiques efficaces à grande échelle pour l’annihiler, le plan Chlordécone IV s’est aujourd’hui recentré sur le « vivre avec, sans risque », avec des actions visant à accroître l’information disponible, à limiter les risques d’exposition de la population et à renforcer le développement de la recherche scientifique. Le plan se traduit essentiellement par la mise en place de prélèvements visant à identifier le niveau de contamination au chlordécone dans le sang s’agissant des populations, mais aussi dans les sols, dans l’alimentation ou encore dans l’eau potable.
Pour ce qui concerne la population générale, chaque habitant a ainsi d’ores et déjà la possibilité d’effectuer gratuitement un test de chlordéconémie avec une ordonnance en Guadeloupe et sans ordonnance en Martinique. Les potentielles sources de contaminations sont ensuite testées par les contrôles sur les denrées alimentaires vendues et l’eau potable. Malgré des taux de conformité élevés (97,6 % en moyenne pour les deux îles), le fort développement dans ces territoires de circuits économiques informels (potager, marchands ambulants), plus faiblement contrôlés, pourrait laisser présager des taux de conformité effectifs moins bons.
Pour les particuliers ayant recours à des productions domestiques, des analyses de sols sont elles aussi possibles gratuitement. Le programme « Jardins familiaux » (JAFA) accompagne chaque foyer dans la mise en place de son potager pour sélectionner les produits les moins risqués compte tenu de la pollution des sols. Ces tests de sol sont également disponibles pour les agricultures volontaires, permettant ainsi de développer progressivement une cartographie de la contamination des sols. De la même manière, des programmes d’accompagnement existent pour les éleveurs avec des dispositifs de décontamination des bovins.
Dans ce contexte, le rapporteur spécial propose d’opérer un ensemble d’évolutions concernant les dispositifs du plan Chlordécone IV, notamment une amplification des contrôles sanitaires des circuits informels de distribution alimentaire, une harmonisation et une simplification des procédures de réalisation et de remboursement des tests de dosage de chlordéconémie, une intensification des analyses et de la cartographie des sols en augmentant le nombre de prélèvements annuels, ainsi qu’une amélioration des capacités analytiques locales nécessaires à la réalisation de l’ensemble de ces tests.
Il propose également d’intensifier le financement et les efforts de recherche sur les effets du chlordécone en soutenant les projets axés sur la modélisation de la diffusion de la pollution, sur l’impact sanitaire, notamment pour les pathologies féminines et les travailleurs agricoles, ainsi que sur le développement de méthodes de remédiation applicables en conditions réelles et l’étude des produits de dégradation du chlordécone.
Il suggère enfin de renforcer la médiation scientifique et d’améliorer la diffusion de l’information sur le chlordécone et ses impacts auprès du grand public et des professionnels de santé en Guadeloupe et en Martinique, en utilisant des moyens de communication adaptés à la perception locale du sujet et en s’appuyant sur des tiers de confiance comme les professionnels de santé, les élus locaux et les acteurs associatifs.
Si l’efficacité des dispositifs du plan peut et doit être interrogée, celui-ci ne constitue qu’une réponse partielle à un phénomène qui dépasse la problématique d’une simple pollution accidentelle ou isolée. La pollution au chlordécone est avant tout la conséquence d’un modèle agricole, celui de la monoculture bananière, héritage direct de l’économie coloniale, qui persiste aujourd’hui encore, notamment en Martinique, du fait de la forte concentration des terres agricoles et des monopoles économiques toujours à l’œuvre. Traiter la crise du chlordécone ne sera possible qu’à la condition d’identifier clairement les causes qui ont permis la pollution au chlordécone et de les traiter.
Dans cette perspective, la reconnaissance de la responsabilité de l’État est un préalable. Elle oblige dès lors à une politique de réparation envers les deux îles et l’ensemble des personnes qui sont aujourd’hui touchées par cette pollution, que ce soit de manière directe ou indirecte. Traiter les causes de la crise du chlordécone, c’est aussi mettre définitivement fin à la persistance de certaines structures économiques postcoloniales, notamment par le démantèlement de certains monopoles et la fin des politiques agricoles favorisant les gros producteurs et la monoculture.
Il ressort des travaux menés par le rapporteur spécial que le dispositif actuel d’indemnisation des victimes du chlordécone, mis en œuvre dans le cadre du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), s’avère totalement inopérant. Au 18 mars 2024, soit après plus de trois ans de fonctionnement, 174 dossiers ont été reçus par le FIVP pour les départements de Martinique et de Guadeloupe et seulement 66 rentes sont aujourd’hui versées. Au total, l’indemnisation par rente au titre du FIVP pour les bénéficiaires de Martinique et de Guadeloupe s’élève à ce jour à 197 477 euros de rente annuelle.
Ce très faible recours s’explique par le fait que le champ d’application de l’indemnisation est restreint aux seuls exploitants agricoles et salariés ayant effectué l’épandage de pesticides (dont le chlordécone) ainsi que leurs enfants ayant été exposés durant la période de parentalité, ce qui exclut l’ensemble des victimes dites environnementales. Cette faiblesse s’explique également par la complexité dans la constitution des dossiers (problématique concernant les travailleurs non déclarés) malgré le soutien apporté par plusieurs associations d’aide aux victimes sur les deux territoires.
Face à cet échec, le rapporteur spécial propose la création d’un fonds d’indemnisation spécifique géré par un établissement public indépendant, en partie financé par une augmentation de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et la création d’une contribution spécifique sur le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes, et offrant une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour l’ensemble de leurs ayants droit.
Depuis 2011, la Guadeloupe et la Martinique font face à des échouements de sargasses principalement situés sur la côte atlantique de ces îles. Le plan Sargasses II, qui regroupe l’ensemble des mesures visant à faire face aux sargasses, tire les conséquences de la pérennisation du phénomène par la mise en place d’une réponse opérationnelle durable. Il mobilise près de 36 millions d’euros sur la période 2022-2025 et s’articule autour de trois axes :
– un axe préventif visant à assurer une prévision des échouements par Météo-France et à renforcer la surveillance sanitaire par la mise en place d’un réseau de capteurs fixes ;
– un axe opérationnel concernant la collecte des algues en proche côtier (barrages flottants), le ramassage à la main ou par le biais de dispositifs mécanisés, le stockage et l’éventuelle valorisation des sargasses lorsque les algues sont échouées ;
– un axe de recherche portant sur la compréhension du phénomène, les pollutions engendrées, les conséquences pour la santé de la population exposée et les modalités de valorisation.
De manière globale, s’il est indéniable que l’ensemble des axes du plan font l’objet d’une montée en puissance, celle-ci semble malgré tout insuffisante aux vues de l’ampleur et de l’intensification du phénomène.
Concernant les réponses opérationnelles, celles-ci progressent mais restent, elles aussi, insuffisantes. Les opérations de collectes en mer s’appuient sur un système de barrages flottants qui permet de bloquer les algues en proche côtier, de les ramasser sur un bateau collecteur, de les transférer sur une barge de stockage qui les immerge ensuite en mer. Pour le ramassage au sol, celui-ci s’opère par des outils mécaniques ou manuellement. Pour l’heure, le niveau d’investissement réalisé reste très inférieur aux besoins constatés sur le terrain pour assurer une réponse opérationnelle suffisante en cas d’afflux de sargasses similaire à celui constaté en 2018. Preuve que les crédits actuels s’avèrent insuffisants, les deux préfectures mobilisent aujourd’hui leurs dotations de droit commun, tel que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), pour faire face aux besoins, et ce au détriment des projets de droit commun portés par les autres collectivités territoriales.
De la même manière, le niveau de connaissance sur le sujet, bien qu’en progression, reste limité, tout particulièrement pour ce qui concerne les effets sanitaires des échouements. S’il est acquis que la putréfaction de l’algue produit de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac, la composition précise du gaz dégagé n’a toujours pas été identifiée. Dès lors, la connaissance précise des conséquences sanitaires sur les personnes exposées reste limitée.
Ce tâtonnement est aussi visible concernant la gouvernance du plan en lien avec les différentes collectivités territoriales impliquées. En Guadeloupe, un groupement d’intérêt public (GIP) a été créé pour regrouper dans la gouvernance l’État et l’ensemble des acteurs locaux impliqués. Pour autant, la gestion opérationnelle étant effectuée par les communes, un syndicat mixte ouvert (SMO) devrait être mis en place pour devenir le bras armé opérationnel du GIP. En Martinique, un GIP est en cours de finalisation et deviendra l’opérateur unique mais seuls l’État, la collectivité de Martinique et les trois EPCI feront partie de sa gouvernance opérationnelle, excluant les communes qui sont pourtant l’échelon opérationnel des politiques mises en place.
Dans ce contexte, le rapporteur spécial estime essentiel de définitivement sortir de la phase de gestion de crise des dispositifs pour enfin déboucher sur une phase pleinement opérationnelle, à la hauteur des enjeux et des besoins constatés sur le terrain. Pour cela, il propose d’accroître significativement les financements mobilisés pour la gestion des sargasses en Martinique et Guadeloupe, non seulement pour l’acquisition de matériel spécialisé, mais également pour les coûts de fonctionnement et de maintenance à la charge des communes. Ce financement supplémentaire pourrait s’appuyer sur la mise en place d’une taxe additionnelle sur la taxe de séjour.
Il invite également à rationaliser et uniformiser les structures de gouvernance pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, afin de réduire la complexité administrative, d’améliorer l’efficacité de la réponse aux échouements et d’intégrer toutes les parties prenantes, en particulier les communes.
Il propose enfin d’intensifier la recherche sur la composition des gaz émanant de la décomposition des sargasses et sur les effets sanitaires de l’exposition chronique aux émanations de sulfure d’hydrogène et autres gaz issus de la décomposition des sargasses.
En matière de collecte des sargasses, il existe aujourd’hui un enjeu de sécurité pour les travailleurs effectuant la collecte manuelle des algues en putréfaction sur le littoral, dans la mesure où ces opérations exposent les travailleurs à des substances toxiques. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) recommande ainsi de limiter l’exposition des travailleurs par le port de détecteurs et d’équipements de protection individuelle. Pour autant, force est de constater que le protocole qui intègre des gants, des bottes et des demi-masques filtrants anti-gaz, ou encore une cagoule à ventilation assistée, semble difficilement applicable au regard de la nature physique des tâches et les conditions climatiques ambiantes. Dans une logique similaire, les recommandations à destination de la population générale pour prévenir les risques d’exposition aux gaz s’avèrent inadaptées aux réalités locales, invitant la population à se mettre à l’abri ou à utiliser des purificateurs d’air.
Le rapporteur spécial propose dès lors que soit examinée la faisabilité de l’adaptation aux conditions réelles sur le terrain des mesures de protection destinées aux travailleurs impliqués dans la collecte des sargasses et à la population.
L’échouement des sargasses présente aussi des risques environnementaux au niveau des sites de stockages. Au nombre de 8 en Martinique et de 17 en Guadeloupe, ils sont situés principalement en arrière-plage, souvent à même le sol et sans traitement particulier. De plus, en l’absence de dispositifs de valorisation efficace et pérenne, la capacité de stockage des sites s’avère insuffisante et conduit parfois à des stockages sauvages. De telles conditions posent un problème de pollution majeure pour les sols, mais aussi pour les eaux, notamment en raison de la forte concentration en arsenic du lixiviat issu des sargasses.
Aussi, le rapporteur spécial estime plus que jamais indispensable de répondre aux enjeux techniques, financiers et environnementaux pour le stockage des algues collectées en augmentant sa capacité et en créant un encadrement juridique adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux identifiés. Il semble aussi essentiel de clarifier le débat juridique concernant le statut de l’algue afin d’identifier juridiquement les responsabilités de chacun des acteurs.
Enfin, au-delà des conséquences sur la santé et l’environnement, l’exposition aux gaz de putréfaction entraîne une dégradation des biens contenant des métaux, notamment le matériel électrique, électroménager et les toitures des maisons. Il existe en effet un lien de causalité scientifiquement établi entre les sargasses et la corrosion des métaux, du fait notamment de l’émission d’hydrogène sulfuré. La dégradation de ces biens à un coût financier significatif pour les populations, auquel il faut ajouter la dévalorisation significative des biens immobiliers, du fait des nuisances dues aux sargasses. L’arrêt du 15 juin 2022 de la Cour de cassation dispose d’ailleurs que les algues sargasses peuvent être considérées comme un vice caché extérieur au bien vendu. Face à des enjeux financiers importants, il semble nécessaire d’explorer l’ensemble des pistes juridiques et assurantielles permettant de couvrir les personnes exposées.
Pour ces raisons, le rapporteur spécial invite le Gouvernement à mener une réflexion sur la définition d’un cadre juridique et financier pour indemniser les victimes des dommages matériels causés par les sargasses, y compris la corrosion des métaux des appareils électroniques et électroménagers, et la dépréciation des biens immobiliers.
Recommandation n° 1 : Renforcer les contrôles sanitaires des circuits informels de distribution alimentaire en Guadeloupe et en Martinique, en augmentant les prélèvements lors des périodes de forte affluence, notamment les fins de semaine. Cette action vise à sécuriser la qualité des denrées issues de l’autoproduction, des dons, et des ventes sur les « bords de route » ou les « petits marchés », qui sont essentiels à l’approvisionnement des populations locales.
Recommandation n° 2 : Harmoniser les pratiques des Agences régionales de santé (ARS) de Guadeloupe et de Martinique pour l’accès aux dosages de chlordéconémie, en adoptant un modèle uniforme qui permette l’accès le plus large possible au dispositif de suivi de l’exposition au chlordécone. Cette uniformisation aidera à augmenter le nombre de personnes bénéficiant d’un accompagnement pour réduire leur exposition au chlordécone et diminuer la concentration de cette substance dans le sang.
Recommandation n° 3 : Simplifier le processus de remboursement des tests de chlordéconémie en intégrant directement ces tests dans le régime de remboursement de la sécurité sociale, afin de réduire la complexité administrative actuelle qui implique des transferts financiers entre le PITE et le fonds d’intervention régional des ARS. Cette mesure facilitera l’accès aux tests pour les populations concernées et améliorera l’efficacité du suivi de l’exposition au chlordécone.
Recommandation n° 4 : Intensifier les analyses de contamination des sols agricoles en Guadeloupe et en Martinique, en augmentant le nombre de prélèvements annuels, y compris sur des parcelles déjà testées. Développer parallèlement un outil cartographique complet et en ligne des zones à risque pour informer efficacement les habitants et les décideurs locaux, permettant ainsi une meilleure gestion des risques liés à la pollution par le chlordécone.
Recommandation n° 5 : Intensifier les procédures de gestion foncière en Guadeloupe et en Martinique pour faciliter la reconquête et la protection des terres non exploitées et non polluées. Cette action vise à mobiliser des surfaces agricoles supplémentaires pour soutenir le développement agricole local et réduire la dépendance extérieure.
Recommandation n° 6 : Optimiser l’utilisation des fonds européens par la région Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique en simplifiant les procédures d’accès et en accélérant le processus de mobilisation de ces fonds pour les projets de recherche spécifiques au chlordécone. Cette démarche doit inclure une meilleure coordination avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), afin de maximiser l’efficacité des subventions disponibles et d’encourager une réponse rapide et efficace aux besoins de recherche dans les territoires.
Recommandation n° 7 : Intensifier le financement et les efforts de recherche sur les effets du chlordécone en soutenant spécifiquement les projets axés sur la modélisation de diffusion de la pollution (projet OPALE), ainsi que sur l’impact sanitaire, notamment sur les pathologies féminines et les travailleurs agricoles. Encourager également le développement de méthodes de remédiation pratiques et l’étude des produits de dégradation du chlordécone. Soutenir la priorisation de ces thèmes dans les futurs appels à projets de l’ANR pour assurer une application des recherches en conditions réelles, contribuant ainsi à une gestion plus efficace des conséquences de la contamination par le chlordécone.
Recommandation n° 8 : Développer et équiper des laboratoires de référence locaux aux Antilles pour améliorer les capacités analytiques nécessaires au diagnostic et au suivi du chlordécone et de ses produits de transformation. Il est essentiel de réduire les délais de traitement des échantillons et de résultat en mettant en place une plateforme analytique locale, notamment par un renforcement des ressources financières et matérielles allouées au Centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) et à l’Institut Pasteur de Guadeloupe.
Recommandation n° 9 : Renforcer la médiation scientifique et améliorer la diffusion de l’information sur le chlordécone et ses impacts auprès du grand public et des professionnels de santé en Guadeloupe et en Martinique. Il est crucial d’utiliser des moyens de communication adaptés à la réalité locale et de s’appuyer sur des « tiers de confiance » comme les professionnels de santé, les élus locaux, et les acteurs associatifs pour restaurer la confiance.
Recommandation n° 10 : Augmenter et réorienter les aides du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) pour soutenir activement la diversification agricole en Martinique et en Guadeloupe. Cette stratégie vise à réduire la dépendance à la monoculture de la banane, historiquement liée à l’usage du chlordécone, et à promouvoir une production alimentaire locale plus durable, qui contribue à l’autonomie alimentaire des territoires.
Recommandation n° 11 : Revoir et renforcer le dispositif d’indemnisation des victimes du chlordécone en créant un fonds d’indemnisation spécifique, sur le modèle du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Ce fonds devrait être géré par un établissement public indépendant et offrir une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour leurs ayants droit. En cas d’absence de création d’un tel fonds, il est suggéré au minimum d’étendre les capacités du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) pour inclure les victimes environnementales et de revoir à la hausse le niveau des indemnisations, tout en renforçant l’accompagnement local par les associations d’aide aux victimes.
Recommandation n° 12 : Financer le renforcement du dispositif d’indemnisation des victimes du chlordécone par une augmentation de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et la création d’une contribution spécifique sur le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes dans les Antilles. Cette approche garantira que les parties responsables contribuent directement à la réparation des dommages causés par l’utilisation historique du chlordécone.
Recommandation n° 13 : Modifier les dispositions légales concernant les délais de prescription pour les infractions résultant de la pollution des sols, de l’air ou de l’eau, afin de permettre une action judiciaire prolongée contre les responsables de pollution environnementale. Ces modifications devraient permettre l’application de délais étendus de manière à tenir compte de la découverte tardive des dommages et des responsabilités associées.
Recommandation n° 14 : Clarifier le statut juridique des algues sargasses pour mieux définir les responsabilités dans leur gestion entre les communes, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et l’État. Il convient d’expertiser la classification des sargasses collectées comme déchets, et ses conséquences en termes de valorisation et de répartition claire des rôles et des coûts associés à la gestion des échouements.
Recommandation n° 15 : Rationaliser et uniformiser les structures de gouvernance pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, afin de réduire la complexité administrative et d’améliorer l’efficacité de la réponse aux échouements de sargasses. Bien que les groupements d’intérêt public (GIP) en Martinique et en Guadeloupe ainsi que le projet de syndicat mixte ouvert (SMO) en Guadeloupe soient des initiatives positives, il est préconisé de standardiser ces approches entre les deux îles. La structure de gouvernance devrait inclure systématiquement toutes les parties prenantes, tout particulièrement l’échelon opérationnel que sont les communes, aujourd’hui exclues des GIP. Cette approche simplifiée permettrait une réponse plus rapide et coordonnée face aux crises futures, tout en optimisant les ressources et en réduisant les coûts.
Recommandation n° 16 : Augmenter de manière significative le financement disponible pour la gestion des sargasses en Martinique et Guadeloupe, en introduisant une taxe additionnelle sur la taxe de séjour, spécifiquement dédiée à la lutte contre les sargasses. Cette nouvelle taxe permettrait de financer non seulement l’acquisition de matériel spécialisé comme les « sargators » et les barrages flottants, mais également de couvrir les coûts de fonctionnement et de maintenance réalisés pour la collecte par les communes. Cette approche garantirait que les investissements nécessaires ne compromettent pas les dotations de droit commun destinées aux projets des collectivités territoriales. Elle offrirait également une source de revenus stable et dédiée qui permettrait aux collectivités de répondre plus efficacement aux crises sargasses sans réduire leurs budgets.
Recommandation n° 17 : Sous l’impulsion du ministère de la Santé, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) devrait rapidement examiner la faisabilité des mesures de protection contre les expositions aux gaz nocifs issus des sargasses, en tenant compte des spécificités locales et de la fréquence des émissions. Il est crucial d’élaborer des protocoles clairs et adaptés aux conditions de vie locale, et d’améliorer la communication pour garantir l’acceptabilité et l’efficacité de ces mesures parmi les populations concernées.
Recommandation n° 18 : Intensifier la recherche sur la composition des gaz émanant de la décomposition des sargasses et sur les effets sanitaires de l’exposition chronique aux émanations de sulfure d’hydrogène et autres gaz issus de cette décomposition. Soutenir et étendre des études comme « SARGACARE » pour mieux comprendre et caractériser les impacts neurologiques, respiratoires, et autres effets potentiels sur la santé, en particulier chez les populations vulnérables telles que les femmes enceintes.
Recommandation n° 19 : Renforcer les mesures de protection pour les travailleurs impliqués dans la collecte des sargasses, en demandant aux autorités sanitaires d’adapter les préconisations actuelles concernant les équipements de protection individuelle (EPI) et les pratiques aux conditions réelles sur le terrain. En l’absence de conditions de travail conformes, il convient d’envisager la suspension temporaire des opérations de collecte jusqu’à ce que les mesures de sécurité soient pleinement mises en place et respectées.
Recommandation n° 20 : Établir un cadre juridique et financier pour indemniser les victimes des dommages matériels causés par les sargasses, y compris la corrosion des métaux des appareils électroniques et électroménagers, et la dépréciation des biens immobiliers. Il est recommandé de revisiter les conditions d’application du fonds de prévention des risques naturels majeurs pour inclure spécifiquement les dommages liés aux sargasses, ou d’explorer la possibilité de mandater les compagnies d’assurance pour couvrir ces risques.
Recommandation n° 21 : Améliorer d’urgence les pratiques de stockage des sargasses pour répondre aux défis sanitaires et environnementaux posés, avec des aménagements adéquats pour prévenir la contamination des sols et des eaux souterraines en arsenic. Il convient d’établir sans délai une stratégie de stockage (nombre de sites, localisations au regard de l’impact environnemental) et de créer un encadrement pour installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux identifiés.
Recommandation n° 22 : Instituer un Observatoire antillais de la santé environnementale en Guadeloupe et Martinique pour coordonner la surveillance, la recherche, et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses. Cet observatoire servira de plateforme pour rassembler les données, promouvoir des études scientifiques, et élaborer des stratégies préventives en matière de santé environnementale, renforçant ainsi la réponse aux enjeux sanitaires et environnementaux de ces territoires.
Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2024 sur les crédits budgétaires de la mission Cohésion des territoires (Politique des territoires) d’octobre 2023, le rapporteur spécial soulignait l’action inaudible de l’État sur le plan Chlordécone IV et la nécessité de passer à l’échelle pour lutter efficacement contre les sargasses ([1]).
Les travaux menés dans le cadre de l’évaluation de ces deux politiques publiques, qui se sont soldées par 50 séquences de travail, pour partie dans l’hexagone (21 auditions) et pour partie en Guadeloupe et Martinique (29 auditions et rencontres de travail), n’ont fait que confirmer ces exigences.
Coupler les deux sujets pourrait paraître incongru, voire audacieux, c’est surtout la seule façon d’avoir une approche globale, car certaines recommandations recouvrent les deux problématiques (création d’un observatoire de la santé environnementale, renforcement des moyens de recherche, prise en charge des conséquences sanitaires, diffusion d’une information fiable, etc.).
Coupler les deux sujets, c’est aussi pour la France reconnaître que ces sujets ne sauraient être abordés sans comprendre le contexte historique, de colonisation et de domination, qui a présidé, et préside encore sur les deux îles.
Dans ce contexte, le non-lieu prononcé en janvier 2023 par les juges du pôle santé du tribunal de Paris dans le procès du chlordécone (non-lieu qui risque d’être confirmé en appel le 10 juin 2024 si l’on s’en tient aux réquisitions du parquet général de Paris) sonne comme l’humiliation de trop aux yeux des victimes de « la chimie des maîtres », selon le bon mot de Malcom Ferdinand ([2]).
Les dernières déclarations du Président de la République, tout comme le vote par l’Assemblée nationale de la reconnaissance de l’État, ne sauraient pourtant purger cette affaire. L’un des sujets majeurs dans cette crise tient aussi dans le fait que les détenteurs du pouvoir économique (cela est très criant en Martinique) restent ceux qui ont utilisé le chlordécone. Le chlordécone a cette particularité d’être une « assurance pour les gros planteurs » (Malcom Ferdinand), car il contamine les productions de légumes racines et permet la culture de bananes pour l’export. C’est tout bénéfice pour ceux qui ont pollué les sols et continuent de maîtriser la culture de la banane jusqu’au consommateur final en Europe.
Le rapport propose donc plusieurs recommandations, sur l’information avec des locuteurs audibles (l’État n’est peut-être pas le mieux placé !), sur des actions de réorientation vers les cultures vivrières en actionnant autrement les fonds du POSEI, ou encore sur la réparation. Ce dernier point est le plus sensible, la réparation ne saurait être vue comme un solde de tout compte. Aimé Césaire, évoquant l’esclavage dans son ouvrage d’entretiens avec Françoise Vergès (Nègre je suis, nègre je resterai), disait : « Combien ? Tant de chiffres sont avancés… je pense que ce serait leur faire la part belle : il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini… Non, ça ne sera jamais réglé. Je veux penser en termes moraux plutôt qu’en termes commerciaux. »
Pour ce qui est des sargasses, phénomène qui touche toutes les Antilles, il faut apprendre de l’inconséquence de l’État central sur le chlordécone pour ne pas reproduire des erreurs similaires, qui pourraient conduire au ressentiment. Le montant des crédits totaux du PITE pour lutter contre les sargasses s’élève à un peu plus 5 millions d’euros annuels (soit 0,001 % des dépenses de l’État), et est extrêmement faible eu égard aux enjeux de santé (risque sanitaire de l’hydrogène sulfuré), de marché de l’immobilier, d’économie touristique… Ne pas prendre la mesure du phénomène serait une faute lourde. Ne pas accélérer les recherches sur les risques sanitaires pour les riverains et les travailleurs exposés serait une faute lourde. Ne pas prendre la mesure des risques environnementaux dans le cadre du stockage serait rédhibitoire. Il est encore temps de proposer un plan beaucoup plus ambitieux qui associe toutes les dimensions (recherche en matière de valorisation, effet sur la santé des populations, moyens de collectes et de stockages), et pourrait éviter un nouveau scandale environnemental et sanitaire.
Ce rapport n’est pas un point final au travail que la représentation nationale doit mener pour s’attacher à ces deux sujets, qui ne sont pas que des problèmes techniques, et ne trouveront leur résolution que dans une approche politique qui ne nie pas le contexte de domination et de colonisation, Histoire des Antilles françaises.
Le programme 162 des interventions territoriales de l’État (PITE) de la mission Cohésion des territoires occupe une place à part au sein du budget de l’État. Structuré en différentes actions régionales, il met à la disposition des acteurs locaux une enveloppe budgétaire unique, elle-même financée par plusieurs programmes ministériels, qui a vocation à concourir à la mise en œuvre d’une politique publique sur un territoire. La contribution des ministères au financement des actions du PITE, déterminée au moment de la création de l’action, se matérialise par des transferts en base des programmes contributeurs vers le programme 162 selon une clé de répartition prédéfinie.
Le choix de recourir au PITE permet de bénéficier à la fois d’une souplesse dans la gestion de l’enveloppe budgétaire dédiée à chaque action et d’une réactivité accrue pour ajuster, en cours d’année, l’affectation des crédits aux priorités opérationnelles et à l’avancée des différentes mesures sur le terrain. Sa gestion est entièrement déconcentrée par la mise en œuvre d’une enveloppe territorialisée à la main de la ou des préfectures concernées.
En 2024, la structure du programme 162 est la même que celle de 2023 : huit actions réparties sur l’ensemble du territoire, dont 4 dans l’Hexagone et 4 dans les outre-mer. Parmi ces huit actions, deux ont suscité tout particulièrement l’intérêt du rapporteur spécial justifiant de leur consacrer une mission d’évaluation et de contrôle spécifique :
– l’action 08 Volet territorialisé du plan national d’action chlordécone en Martinique et en Guadeloupe qui assure le financement de l’ensemble des actions mises en œuvre dans le cadre du plan Chlordécone IV (2021-2027) ;
– l’action 13 Plan Sargasses 2 qui matérialise depuis 2023 l’engagement de l’État dans la lutte contre ce phénomène en permettant notamment de financer la collecte et le traitement des algues et d’apporter un soutien aux collectivités territoriales mobilisées.
Ces deux sujets, majeurs pour la Guadeloupe et la Martinique, soulèvent chacun des enjeux communs de santé environnementale, mais aussi des enjeux agricoles, économiques et sociaux forts pour les populations qui y sont confrontées. Il n’existe pour aucun des deux de solutions permettant de régler à la source le problème, il s’agit davantage d’apprendre à « vivre avec » pour en limiter les conséquences, tout en investissant dans la recherche fondamentale afin d’ouvrir de nouvelles perspectives. Ils résultent tous les deux de l’action de l’homme, directement dans le premier cas (utilisation d’un pesticide pour la culture de la banane), indirectement dans le second (un ensemble de facteurs liés au changement climatique, à la déforestation, à l’agriculture intensive, etc.).
L’exercice consistant à identifier des similitudes s’arrête toutefois rapidement, tant ces deux crises sont différentes dans leur ampleur et leurs conséquences. En effet, concernant le plan Chlordécone IV, si les services de l’État sont désormais pleinement mobilisés pour limiter l’exposition des populations antillaises au chlordécone, la question politique centrale de la responsabilité financière de l’État et de la colonisation n’est toujours pas résolue, rendant difficile, voire impossible, l’acceptation des mesures par les populations antillaises victimes de la pollution. Cette acceptation est d’autant plus difficile en Martinique du fait d’un passé d’exploitation coloniale encore non résolu à ce jour (I). À l’inverse, concernant le plan Sargasses 2, la difficulté n’est pas politique, si ce n’est dans la capacité à mobiliser au niveau international sur le sujet. En revanche, le rapporteur spécial estime que l’enjeu est davantage dans la capacité opérationnelle des acteurs à mobiliser des moyens humains et financiers suffisants pour faire face à une arrivée massive de sargasses. À ce jour, les dispositifs mis en place, bien qu’encourageants, interrogent sur leur capacité de résilience en cas de crise similaire à celles connues par le passé, tout particulièrement en l’absence de solutions crédibles de valorisation des sargasses collectées (II).
I. Plan ChlordÉcone IV : informer, protÉger, rÉparer ?
Le chlordécone est une molécule chimique qui a été utilisée pour lutter contre le charançon du bananier de 1972 à 1993. Les derniers stocks déclarés ont été récupérés en 2002. La pollution des sols par le chlordécone est localisée essentiellement dans le sud de Basse Terre en Guadeloupe et sur l’ensemble du territoire en Martinique.
Du fait de ses propriétés physico-chimiques, la molécule migre peu et la majorité des quantités épandues reste fixée dans le sol, conduisant à une forte rémanence de la pollution dans les sols. L’eau est ensuite le principal vecteur de diffusion de la contamination du sol vers les différents milieux aquatiques, à l’échelle d’un bassin versant (infiltration dans les sols, les cours d’eau, les nappes phréatiques, les milieux aquatiques). La contamination se diffuse ensuite dans les organismes aquatiques, en particulier la faune halieutique concernée par la pêche, conduisant à une interdiction globale de la pêche dans les cours d’eau en Martinique et en Guadeloupe, ainsi qu’à la mise en place de zones de pêche interdite en mer à proximité des bassins versants contaminés. Cette contamination se transfère enfin à la population principalement par l’alimentation, c’est-à-dire par la consommation d’eau (notamment de « bords de route ») ou d’aliments contaminés (notamment par la consommation de produits issus de cultures sensibles – légumes racinaires – ou d’élevage sur des sols contaminés, ou encore de produits issus de la pêche).
De ce fait, une partie importante de la population présente des taux de chlordécone dans le sang pour lesquels le risque pour la santé ne peut pas être écarté : 14 % de la population adulte en Guadeloupe et 25 % de la population adulte en Martinique présentent un dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) chronique interne fixée à 0,4 µg par litre de plasma, selon les données de l’étude Kannari 1 (2013-2014). Cette étude révèle aussi que l’exposition à très faible dose au chlordécone est généralisée dans la mesure où 90 % des échantillons dosés relevaient des concentrations détectables de chlordécone (supérieure à 0,02 µg par litre de plasma). L’étude Kannari 2, lancée en janvier 2024, permettra de faire un nouvel état des lieux de l’imprégnation de la population de Guadeloupe et de Martinique au chlordécone (et à d’autres polluants). Cette exposition a des conséquences sur la santé des populations (augmentation du risque de survenue et de récidive du cancer de la prostate, augmentation du risque d’un accouchement prématuré et de troubles du développement cognitif chez l’enfant) justifiant des politiques d’information et de prévention à l’exposition au chlordécone (principalement par une alimentation dite « zéro chlordécone ») et d’indemnisation des victimes professionnelles dans le cadre très limité du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Cette exposition s’insère par ailleurs à un contexte agricole tropical dans lequel la Martinique et la Guadeloupe font partie des départements qui utilisent des quantités importantes de pesticides par habitant, exposant la population locale à de futurs scandales sanitaires.
Dans ce contexte, et pour faire face à cette contamination durable de la Martinique et de la Guadeloupe, qui ne peut à ce jour pas faire l’objet d’un traitement direct à la source par des procédés de décontamination à grande échelle, le Gouvernement a mis en place plusieurs plans successifs visant à « informer, protéger, réparer ». Si le rapporteur spécial estime que les deux premiers objectifs sont dans l’ensemble atteints du fait d’une réelle mobilisation de l’État depuis le plan Chlordécone IV (A), la question plus fondamentale de la réparation reste aujourd’hui sans réponse et conduit à nourrir un sentiment d’inégalité entre l’hexagone et les populations antillaises, ainsi qu’un profond ressentiment envers l’État (B).
A. Une mobilisation rÉelle des services de l’État limitÉe aux actions de prÉvention et de traitement des expositions de la population au chlordÉcone
1. Une mobilisation interministérielle de l’État et de ses services à hauteur de 130 millions d’euros pour la période 2021 à 2027
Les risques liés à la contamination au chlordécone constituent, par leur ampleur et leur persistance dans le temps, un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social important pour les Antilles, justifiant la mise en œuvre par l’État de plusieurs plans chlordécone successifs pour la Martinique et la Guadeloupe : 2008-2010 avec 20 millions d’euros de crédits d’État, 2011-2013 avec 22 millions d’euros de crédits d’État et 2014-2020 mobilisant 16 millions d’euros. L’ensemble de ces plans successifs traduisent une prise de conscience de l’État à la fois tardive – plus de 10 ans après l’interdiction d’utilisation du pesticide – et limitée dans le traitement politique et sanitaire de la pollution au chlordécone.
● Un plan Chlordécone IV avec un engagement financier de 130 millions d’euros. Les différents plans ont été prolongés par la mise en œuvre d’un nouveau plan plus ambitieux, Chlordécone IV, pour la période 2021-2027 avec un montant initial de 92 millions d’euros (dont 31 millions d’euros par le PITE). Il a été porté en juin 2023 à 130 millions d’euros (dont 44 millions d’euros sur le PITE), soit un effort financier total dépassant la somme des trois plans précédents. Depuis le lancement du plan en 2021, la consommation effective s’élève à plus de 28 millions d’euros.
participations annuelles au PITE de chaque programme contributeur
pour le plan ChlordÉcone IV (pÉriode 2021-2027)
(en milliers d’euros)
Ministères contributeurs |
Programmes budgétaires |
Clé de répartition |
Montants répartis 2021-2022 |
Montants répartis 2023-2027 |
Ministère chargé de l’agriculture |
206 Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation |
26 % |
1 160 |
650 |
149 Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture |
3 % |
150 |
84 |
|
Ministère chargé de la mer |
3 % |
150 |
84 |
|
Ministère chargé de l’économie |
134 Développements des entreprises et du tourisme |
24 % |
1 080 |
610 |
Ministère chargé de l’outre-mer |
123 Conditions de vie outre-mer |
10 % |
440 |
247 |
Ministère chargé de la recherche |
172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
10 % |
440 |
247 |
Ministère chargé de la transition écologique |
181 Prévention des risques et lutte contre les pollutions |
10 % |
440 |
247 |
Ministère chargé de la santé |
204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soin |
10 % |
440 |
247 |
Ministère chargé du travail et de l’emploi |
111 Améliorations de la qualité de l’emploi et des relations au travail |
3 % |
150 |
84 |
Total annuel en faveur du plan Chlordécone IV au titre du PITE |
100 % |
4 450 |
2 500 |
|
Total en faveur du plan Chlordécone IV au titre du PITE pour la période 2021 - 2027 |
100 % |
31 150 |
12 500 |
Source : direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES).
La contribution des ministères au financement des actions du PITE, pour un montant total de 44 millions d’euros, se matérialise par des transferts en base des 8 programmes contributeurs vers le programme 162 selon une clé de répartition prédéfinie. Les ministères chargés de l’agriculture et de l’économie sont ainsi les deux principaux contributeurs au plan à ce titre, en apportant à eux deux près de 50 % du financement. Néanmoins, une grande partie des mesures sont financées en dehors du PITE par une contribution directe des différents ministères, pour un montant total de 86 millions d’euros, nuisant ainsi à la lisibilité budgétaire des actions menées.
Le rapporteur spécial note toutefois que le renforcement financier décidé en juin 2023 pour « vivre à terme sans risque chlordécone et réparer par l’action » se traduit par une augmentation de 2,5 millions d’euros des crédits du PITE (soit 12,5 millions d’euros sur 5 ans) par transferts annuels en gestion de crédits par les programmes concernés. Ainsi, la loi de finances pour 2024 ne prévoit que 4,3 millions d’euros en autorisation d’engagement (AE) et 4,2 millions d’euros en crédits de paiement (CP), soit à un niveau inférieur aux engagements pris en juin 2023 par le Gouvernement. Il estime qu’un transfert en base voté chaque année en loi de finances permettrait de sécuriser les disponibilités jusqu’en 2027 et de donner de la visibilité sur le financement du programme.
● Un plan Chlordécone IV décliné en six axes stratégiques. Le plan Chlordécone IV se décline autour de six stratégies permettant de couvrir l’ensemble des enjeux et priorités pour la population, dont cinq sont financées en partie dans le cadre du PITE :
– une stratégie « communication » visant à mieux informer la population sur l’état des connaissances concernant la pollution et sur les comportements à adopter pour limiter son exposition au chlordécone ;
– une stratégie « recherche » pour développer une recherche transversale prenant en compte les attentes de la population locale, sous le pilotage d’un comité scientifique national et de comités scientifiques locaux ayant une vision globale des impacts du chlordécone et plus largement des autres pesticides ; le plan prévoit un doublement de l’effort sur la recherche à horizon 2030. Le volet recherche représente un budget global de 52 millions d’euros, soit 40 % du budget total ;
– une stratégie « santé-environnement-alimentation » pour mieux connaître les sources d’exposition et ses impacts sanitaires afin d’adapter les mesures de prévention et de protection, de surveiller l’état de santé de la population et d’assurer un suivi sanitaire adapté, d’assurer une alimentation locale, saine et durable aux populations locales et de tendre vers le zéro chlordécone dans l’alimentation : le programme Jardins familiaux (JAFA) pour une somme de 640 000 euros en Martinique et 1 140 000 euros en Guadeloupe ; le soutien apporté à l’étude Kannari 2 pour un montant de 149 000 euros ; la prise en charge du surcoût de traitement de l’eau potable gérée pour 850 000 euros en Martinique et pour 1 130 000 euros CP en Guadeloupe ; les marchés de contrôles des denrées alimentaires pour 360 000 euros en Martinique et 560 000 euros en Guadeloupe ;
– une stratégie « socio-économique » pour accompagner les professionnels de la pêche et de l’agriculture et indemniser les préjudices économiques liés à la pollution au chlordécone, pour les professions agricoles (pour 140 000 euros en AE et 345 000 euros en CP en Martinique et 350 000 euros en AE et 240 000 euros en CP en Guadeloupe) ainsi que pour les marins pêcheurs (50 000 euros) ;
– une stratégie « santé-travail » pour améliorer la prévention des risques professionnels, mobiliser les acteurs de la santé au travail et faciliter l’information des salariés et des non-salariés agricoles dans les entreprises qui ont utilisé le chlordécone ou utilisent actuellement dans leurs procédés de travail des pesticides et mesurer l’impact des mesures de la stratégie « santé travail » au regard des attentes locales et des difficultés rencontrées en vue d’améliorer la prévention des risques professionnels et la réparation des travailleurs exposés au chlordécone. Il s’agit par exemple de financer des associations d’aide à la constitution des dossiers auprès du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) pour 130 000 euros en Martinique et 207 000 euros en Guadeloupe ;
– enfin, une stratégie « formation et éducation » pour sensibiliser le public scolaire, les professionnels de santé ainsi que les professionnels (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs) aux problématiques liées au chlordécone. Cette stratégie n’est pas financée dans le cadre du PITE mais exclusivement par les ministères chargés de l’éducation nationale et de l’agriculture.
● Une gouvernance du plan national et local. Au niveau national, la direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), par délégation du secrétaire général du ministère de l’Intérieur, responsable de programme 162, est chargée du pilotage budgétaire de l’action relative au plan Chlordécone IV, en lien avec les ministères contributeurs et les préfectures bénéficiaires. La direction générale des outre-mer (DGOM) est co-pilote du plan aux côtés de la direction générale de la santé (DGS). Elles veillent toutes deux à la bonne exécution du plan, en mobilisant au total neuf ministères et leurs services, avec l’appui d’une direction de projet commune responsable de la coordination du plan au niveau national. Elles coprésident deux fois par an un comité de pilotage national stratégique.
Au niveau local, les préfets de Martinique et de Guadeloupe (et à travers eux le secrétariat général pour les affaires régionales, chargé du suivi du plan) ainsi que les directeurs généraux des Agences régionales de santé ont pour objectif de veiller à la déclinaison efficace et rapide des actions, en lien étroit avec les acteurs locaux. Des comités de pilotage locaux sont présidés par les préfets afin d’associer les différentes parties prenantes (élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, associations et experts).
La participation des collectivités territoriales au niveau local reste à ce jour limitée, d’une part, à la participation financière de l’échelon régional en matière de recherche fondamentale et, d’autre part, à la signature d’une charte en Martinique visant à associer les maires à certaines mesures du plan. Concernant le premier point, la région Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique sont partenaires de l’appel à projets lancé par l’Agence nationale de recherche (ANR) en 2022 avec un financement à hauteur de 1 million d’euros (fonds FEDER) sur une enveloppe totale de 5,5 millions d’euros. Concernant la charte d’engagement signée le 15 mars 2024 avec l’Association des maires de Martinique, elle vise à favoriser des actions de sensibilisation auprès des administrés (diagnostics de sols, programme « Jardins familiaux », tests de chlordéconémie, processus d’indemnisation des victimes) et à permettre une meilleure formation et une sensibilisation des agents municipaux aux outils de lutte contre l’exposition au chlordécone. Des ambassadeurs « JAFA chlordécone et autres pesticides » seront également formés pour répondre aux besoins d’accompagnement des populations.
2. Une mobilisation limitée aux missions de prévention et de réduction de l’exposition des populations antillaises au chlordécone
Les différentes actions du plan Chlordécone IV peuvent être distinguées en fonction des différents publics cibles concernés par la pollution au chlordécone. Elles visent dans leur ensemble à réduire l’exposition de la population à la contamination et les risques sanitaires associés, par une politique dite du « zéro chlordécone » dans l’alimentation (du moins, en dessous de la limite maximale de résidus – LMR – fixée à 20 μg/kg de denrée).
● Pour la population générale et les consommateurs, le plan Chlordécone IV se traduit par des mesures concrètes pour :
– renforcer la surveillance et les contrôles sanitaires des denrées alimentaires : le nombre de contrôles des aliments a ainsi été doublé depuis 2017 pour atteindre près de 5 000 contrôles par an (4 564 contrôles en 2022 et 3 612 en 2021) avec un taux de conformité supérieur à 97 % depuis 2020 (et supérieur à 95 % depuis 2017).
RÉsultats des plans de surveillance et de contrÔle
en Guadeloupe et en martinique
(nombre de prélèvements et pourcentage)
Année |
Guadeloupe |
Martinique |
Total |
|||
Nombre de prélèvements |
Taux de conformité |
Nombre de prélèvements |
Taux de conformité |
Nombre de prélèvements |
Taux de conformité |
|
Animaux d’élevage |
1 348 |
99,2 % |
1 386 |
97 % |
2 734 |
98,1 % |
Produits de la pêche |
380 |
95,5 % |
564 |
96,8 % |
841 |
96,3 % |
Végétaux |
421 |
95,7 % |
465 |
95,9 % |
886 |
95,8 % |
Total |
2 149 |
98,4 % |
2 415 |
96,9 % |
4 564 |
97,6 % |
Source : direction générale de l’alimentation (DGAL).
Les organisations représentatives du monde agricole rencontrées soulignent la fragilité des contrôles réalisés sur les denrées provenant de circuits informels (les approvisionnements par autoproduction, les dons et achats auprès de marchands ambulants, les « bords de route » ou les « petits marchés »), qui sont plus à risque et qui constituent une part importante de l’approvisionnement des populations antillaises. La direction générale de l’alimentation (DGAL) indique que seulement une cinquantaine de contrôles ont été réalisés par les services déconcentrés sur ces circuits informels commerciaux, principalement en Martinique.
Le rapporteur spécial préconise dès lors un renforcement substantiel, dans les plans de surveillance et de contrôle élaborés localement, des prélèvements effectués sur les marchés informels, en particulier lors des périodes de forte affluence (notamment les fins de semaine). Il rappelle en effet que ces circuits de commercialisation informels et non contrôlés sont traditionnels et spécifiques aux Antilles.
Recommandation n° 1 : Renforcer les contrôles sanitaires des circuits informels de distribution alimentaire en Guadeloupe et en Martinique, en augmentant les prélèvements lors des périodes de forte affluence, notamment les fins de semaine. Cette action vise à sécuriser la qualité des denrées issues de l’autoproduction, des dons, et des ventes sur les « bords de route » ou les « petits marchés », qui sont essentiels à l’approvisionnement des populations locales.
– assurer la potabilité des eaux de consommation en assumant la prise en charge financière du surcoût du traitement de l’eau potable pour six stations en Guadeloupe et une en Martinique depuis 2023. En 2023, le taux de conformité était de 99 % en Guadeloupe et 100 % en Martinique. En revanche, certaines sources de bord de route sont très contaminées et leur consommation est fortement déconseillée, voire interdite ;
– limiter les expositions liées à l’autoconsommation par la mise en place d’un programme « Jardins familiaux » (JaFa) qui propose des analyses de sols gratuites ainsi qu’un parcours d’accompagnement pour les foyers concernés. Près de 4 500 tests de sol ont été réalisés dans le cadre du programme depuis 2021 et près de 746 visites au total ont été réalisées depuis 2017, dont 596 en Guadeloupe et 150 en Martinique. La connaissance du niveau de contamination du sol permet de choisir des productions adaptées, et d’éviter les cultures sensibles telles que les légumes racinaires (pourtant largement consommés dans les Antilles) ;
– informer sur la santé des populations en permettant des analyses gratuites du taux de chlordécone dans le sang (chlordéconémie) prises en charge intégralement par le plan chlordécone. Depuis 2021, près de 30 000 dosages de chlordéconémie ont été réalisés et environ 2 000 personnes dépassant le seuil ont bénéficié d’un accompagnement individuel. En effet, un accompagnement gratuit et personnalisé (visite à domicile par un expert en nutrition et nouveau contrôle de la chlordéconémie à 9 mois) est proposé aux personnes les plus exposées (chlordéconémie supérieure à 0,4 μg par litre de plasma). Il doit permettre de réduire l’exposition au chlordécone et de diminuer ainsi le taux de chlordécone dans le sang. En effet, les études réalisées attestent qu’en cas d’arrêt d’exposition, la teneur dans le sang en chlordécone est divisée par 2 entre 4 et 6 mois.
Le rapporteur spécial note toutefois des différences difficilement explicables dans la mise en œuvre du dispositif entre les ARS de Guadeloupe et de Martinique : accessible avec prescription médicale en Guadeloupe ; avec ou sans prescription médicale en Martinique. Ainsi, sur près de 30 000 dosages de chlordéconémie réalisés à ce jour, seulement 4 500 ont été réalisés en Guadeloupe. Le rapporteur spécial estime qu’une harmonisation des pratiques entre les ARS serait préférable, sur un modèle permettant l’accès le plus large au dispositif.
Recommandation n° 2 : Harmoniser les pratiques des Agences régionales de santé (ARS) de Guadeloupe et de Martinique pour l’accès aux dosages de chlordéconémie, en adoptant un modèle uniforme qui permette l’accès le plus large possible au dispositif de suivi de l’exposition au chlordécone. Cette uniformisation aidera à augmenter le nombre de personnes bénéficiant d’un accompagnement pour réduire leur exposition au chlordécone et diminuer la concentration de cette substance dans le sang.
Par ailleurs, le rapporteur spécial note la complexité administrative de la prise en charge des chlordéconémies, dans la mesure où elle nécessite un transfert des moyens financiers au sein du fonds d’intervention régionale des ARS, qui doivent par la suite conventionner individuellement avec les différents laboratoires partenaires, publics comme privés. Il estime qu’il serait plus simple de rendre le test directement remboursable par la sécurité sociale.
Recommandation n° 3 : Simplifier le processus de remboursement des tests de chlordéconémie en intégrant directement ces tests dans le régime de remboursement de la sécurité sociale, afin de réduire la complexité administrative actuelle qui implique des transferts financiers entre le PITE et le fonds d’intervention régional des ARS. Cette mesure facilitera l’accès aux tests pour les populations concernées et améliorera l’efficacité du suivi de l’exposition au chlordécone.
– accompagner dans leurs démarches les victimes d’une maladie professionnelle liée à une exposition au chlordécone par le financement d’associations d’aide aux victimes comme Phyto-Victimes (en Martinique et depuis 2024 en Guadeloupe) et France Assos Santé (en Martinique), mais aussi l’intermédiation de divers collectifs et associations comme le collectif des ouvriers agricoles contaminés (COAC) ou le collectif zéro chlordécone.
● Pour les professionnels de l’agriculture et de la pêche, le plan se traduit principalement par les actions visant à :
– connaître la cartographie de la pollution et réaliser des analyses de sols gratuites pour les éleveurs et pour les agriculteurs de la filière végétale (avec le soutien des chambres d’agriculture) : 4 231 tests des sols agricoles ont été réalisés depuis 2021 à ce titre, permettant d’établir une carte partielle de contamination des sols en ciblant les zones dites « à risques ». Ces parcelles à risque sont ciblées suivant plusieurs facteurs, tels que l’historique d’utilisation de la parcelle (culture de banane entre 1972 et 1993 par exemple), ou en s’appuyant sur des études scientifiques, telles que le projet ChleauTerre (étude conduite entre 2014 et 2017 par l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement qui visait à modéliser la contamination des bassins versants en Guadeloupe à partir de la contamination des cours d’eau). En 2022, selon la DGAL, seulement 35 % de la surface agricole « à risque » de Guadeloupe a été analysée, et 25 % de la surface agricole « à risque » de Martinique.
Le rapporteur spécial estime que, malgré l’effort important conduit par les services de l’État pour augmenter le nombre de prélèvements effectués, le niveau actuel ne permet pas de fournir une information suffisante sur le niveau de contamination des sols (même agricoles). Cette situation est d’autant plus préoccupante que la pollution évolue dans le temps, du fait de l’érosion et du ruissellement sur la contamination des sols (ou de l’utilisation d’eau contaminée pour irriguer). Il préconise une hausse du nombre d’analyses réalisées chaque année, y compris sur des parcelles déjà testées, et de fournir un outil cartographique qui permettra d’informer les habitants et les élus de l’ensemble des zones contaminées, permettant une meilleure gestion du risque.
Recommandation n° 4 : Intensifier les analyses de contamination des sols agricoles en Guadeloupe et en Martinique, en augmentant le nombre de prélèvements annuels, y compris sur des parcelles déjà testées. Développer parallèlement un outil cartographique complet en ligne des zones à risque pour informer efficacement les habitants et les décideurs locaux, permettant ainsi une meilleure gestion des risques liés à la pollution par le chlordécone.
Par ailleurs, le rapporteur spécial estime qu’une intensification des procédures concernant la gestion du foncier doit être réalisée, notamment afin de permettre la reconquête et la protection des terres non exploitées et non polluées et de mobiliser des surfaces supplémentaires pour augmenter l’autonomie alimentaire des territoires.
Recommandation n° 5 : Intensifier les procédures de gestion foncière en Guadeloupe et en Martinique pour faciliter la reconquête et la protection des terres non exploitées et non polluées. Cette action vise à mobiliser des surfaces agricoles supplémentaires pour soutenir le développement agricole local et réduire la dépendance extérieure.
– faire bénéficier les éleveurs ou détenteurs de bovins touchés par une contamination au chlordécone, et qui s’engagent dans « une démarche vertueuse sans risque chlordécone », d’un appui renforcé par les organismes à vocation sanitaire (à savoir le groupement de défense sanitaire en Martinique et Sanigwa en Guadeloupe). Les éleveurs concernés peuvent bénéficier gratuitement de la part de ces organismes d’un diagnostic de leur exploitation pour évaluer le risque de contamination de leurs animaux ; d’une préconisation de plan de sécurisation de leur production face au risque chlordécone, prenant en compte leur situation individuelle ; et d’une aide matérielle adaptée au plan de sécurisation, par exemple avec la mise à disposition d’équipements (citerne, mangeoire, clôture), le prêt de « box » mobiles de décontamination et une aide alimentaire en fonction de la situation de l’éleveur.
Un outil d’aide à la décision a été mis en place pour aider les éleveurs à décontaminer leurs bovins afin de s’assurer que les animaux envoyés à l’abattoir ne dépasseront pas les limites maximales de résidus (LMR) autorisées en chlordécone, ce qui impliquerait une saisie de la carcasse et une perte pour l’éleveur (projet INSSICA, porté par l’université de Lorraine). À partir d’un prélèvement sanguin réalisé sur animal vivant afin de doser le chlordécone dans son sang, l’outil d’aide à la décision permet d’indiquer à l’éleveur combien de temps mettra son animal à évacuer le chlordécone de son système pour passer sous la LMR. Le temps moyen de décontamination observé est de 28 jours.
S’appuyant sur ce dispositif de décontamination, une prime à l’engagement est disponible pour les éleveurs en zone chlordécone qui se lancent dans une démarche de sécurisation de leur production. Chaque éleveur peut bénéficier d’une prime dégressive par tranche de cheptel s’échelonnant de 160 euros jusqu’à 200 euros par animal abattu pour les petits cheptels. Selon la DGAL, moins de 300 éleveurs ont été accompagnés au 1er février 2024, et seulement 100 animaux ont fait l’objet d’une demande d’aide, en grande majorité de détenteurs de petits cheptels, ce qui reste donc une très faible part du cheptel total.
– accompagner les pêcheurs soumis aux zones d’interdiction de pêche en mer, du fait de la contamination des poissons ou des crustacés au chlordécone, par le versement d’une aide jusqu’en 2027 pour couvrir le paiement à 100 % de leurs contributions sociales généralisées (CSG) et au remboursement de la dette sociale (CRDS). L’objectif de cette aide est de permettre un désendettement afin d’offrir aux entreprises la possibilité de devenir éligibles aux aides publiques du fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA). Près de 400 pêcheurs ont été accompagnés depuis 2022 ;
– renforcer l’identification et la qualité des produits mis sur le marché localement. Pour la pêche, cette identification prend la forme d’un dispositif de macarons permettant de certifier que les pêcheurs professionnels qui en sont titulaires connaissent et respectent ces zones d’interdiction et assurent la traçabilité de leurs produits. Pour les fruits et légumes, la marque « Moso Tè La » a été officiellement lancée en 2023 en Guadeloupe avec un cahier des charges garantissant aux consommateurs une traçabilité fiable et sans chlordécone. En Martinique, un projet de « label zéro chlordécone » était en cours d’élaboration, mais ce dernier a été interrompu. La Collectivité territoriale de Martinique a déployé une stratégie de marque avec un label, « Cœur de Peyi Martinique », permettant de valoriser les produits locaux. Enfin, un projet est également en cours pour mettre en place une filière bovine « zéro chlordécone ». Le rapporteur spécial s’inquiète de la multiplication des labels conduisant à limiter leur visibilité pour le grand public.
● Enfin, pour les acteurs de la recherche, le plan consacre un effort de près de 52 millions d’euros, soit 40 % du plan, par la mobilisation de plusieurs appels à projets de recherche de l’Agence nationale de la recherche (ANR) spécifique au chlordécone depuis 2022. L’engagement de l’ANR sur ces appels est de 8,8 millions d’euros pour l’ensemble du plan Chlordécone IV.
Le premier appel à projet, avec une enveloppe de l’ANR de 4,9 millions d’euros, a permis de retenir 6 projets lauréats. Les projets financés dans le cadre du premier appel à projets ont démarré en janvier 2023 et la première réunion de suivi a eu lieu en mars 2024. La région Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique ont été partenaires de cet appel à projets, avec une contribution financière à hauteur de 1 million d’euros à elles deux. Les différents interlocuteurs ont toutefois souligné la difficulté à obtenir ces fonds dans une durée compatible avec la réalisation du projet, privilégiant par défaut les subventions proposées par l’État. Le rapporteur spécial s’étonne des difficultés évoquées, qui n’ont pas été confirmées par la région Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique, et estime qu’un travail doit être mené par les collectivités pour faciliter la mobilisation des fonds européens.
Recommandation n° 6 : Optimiser l’utilisation des fonds européens par la région Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique en simplifiant les procédures d’accès et en accélérant le processus de mobilisation de ces fonds pour les projets de recherche spécifiques au chlordécone. Cette démarche doit inclure une meilleure coordination avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), afin de maximiser l’efficacité des subventions disponibles et d’encourager une réponse rapide et efficace aux besoins de recherche dans les territoires.
Les 6 projets sélectionnés lors du premier appel à projets de l’ANR visent par exemple à étudier les produits de transformation du chlordécone (CHLOR2NOU), à déployer une méthode acceptable et opérationnelle de traitement des sols pour réduire l’exposition vis-à-vis du chlordécone et ses produits de dégradation (DéMETer), à rechercher un procédé de remédiation des sols contaminés (REMED-CHLOR), à étudier les conséquences d’une exposition au chlordécone sur la fertilité féminine (KARU FERTIL) ou encore à réaliser des études sociales sur le « vivre avec le chlordécone » (LiCOCO).
Il est à souligner qu’en dehors de ces appels à projets spécifiques, les guichets usuels de l’ANR restent ouverts aux projets sur le chlordécone, et que depuis 2005, 13 projets ont été ainsi financés, à hauteur de 5,3 millions d’euros, dont les débuts de l’étude TIMOUN (impact de l’alimentation maternelle sur déroulement de la grossesse et le développement de l’enfant dans la cohorte TIMOUN en Guadeloupe).
Afin d’animer les communautés de scientifiques impliquées sur la problématique de la pollution par le chlordécone et les pesticides aux Antilles, un comité de pilotage scientifique nationale chlordécone (CPSN) a été mis en place en juin 2021, en lien avec la Coordination locale de la recherche sur le chlordécone aux Antilles (CLoReCA). Le CPSN a pour mission de coordonner les activités de recherche et les connaissances sur les processus et les impacts de la pollution du chlordécone, de partager avec les différents acteurs les résultats des recherches qui contribuent à une prise de décision éclairée (organisation du colloque scientifique « Connaître et agir » de décembre 2022), et d’évaluer les besoins et les priorités de recherche à la lumière de nouvelles avancées scientifiques afin de préparer les appels à projets sur le chlordécone en lien avec les financeurs (ANR et collectivités).
Le CPSN a ainsi mené un travail de cartographie des projets de recherches en cours afin de relever un certain nombre de perspectives de recherches pour le prochain appel à projets de l’ANR sur le chlordécone et éventuellement d’identifier des sujets prioritaires sur lesquels il serait nécessaire de passer commande auprès des équipes de recherche.
Sur ce sujet particulier, il ressort des échanges réalisés par le rapporteur spécial sur le terrain avec la délégation régionale académique à la recherche et à l’innovation (DRARI) et les principales équipes de recherche l’existence d’un besoin de renforcer les actions de recherche sur plusieurs sujets :
– les transferts entre les compartiments sol, les eaux (souterraines, sources, rivières) et le milieu marin : modélisation des transferts dans les eaux souterraines, impact de l’irrigation sur la contamination des sols, cartographie de la contamination dans les compartiments continentaux et côtiers, etc. ; le rapporteur spécial propose un renforcement des moyens financiers mobilisés en soutien du dispositif d’Observatoire de la Pollution Agricole aux antilLEs (OPALE) ;
– les conséquences sur la santé, notamment sur les pathologies féminines (endométriose, cancer du col de l’utérus et de l’endomètre), sur les travailleurs agricoles (suite des travaux sur la cohorte agricole) et sur les « effets cocktails » de la pollution chlordécone avec d’autres pesticides ;
– les méthodes de remédiation pratiques, en particulier sur une meilleure connaissance des propriétés et des impacts des produits de transformation issus de la dégradation partielle du chlordécone (pour éviter que les produits de transformation soient tout aussi toxiques que le chlordécone) et sur une application des recherches sur le terrain, en conditions réelles et opérationnelles à grande échelle ;
Recommandation n° 7 : Intensifier le financement et les efforts de recherche sur les effets du chlordécone en soutenant spécifiquement les projets axés sur la modélisation de diffusion de la pollution (projet OPALE), ainsi que sur l’impact sanitaire, notamment sur les pathologies féminines et les travailleurs agricoles. Encourager également le développement de méthodes de remédiation pratiques et l’étude des produits de dégradation du chlordécone. La priorisation de ces thèmes dans les futurs appels à projets de l’ANR pour assurer une application des recherches en conditions réelles, contribuant ainsi à une gestion plus efficace des conséquences de la contamination par le chlordécone.
– les capacités analytiques pour développer de nouveaux outils rapides pour diagnostiquer et suivre le chlordécone et ses produits de transformation (sur le terrain et au laboratoire) ; cela pose directement la question de disposer localement d’un ou de plusieurs laboratoires de référence aux Antilles pour le dosage du chlordécone et d’équiper les laboratoires antillais pour permettre la mise en place d’une véritable capacité analytique locale. Le rapporteur spécial a ainsi été surpris des délais parfois importants entre la réalisation du test et la transmission du résultat (du fait de l’envoi de certains échantillons dans l’hexagone) et de l’absence d’une capacité d’analyse locale à hauteur des besoins. Il préconise par conséquent le développement d’une plateforme analytique locale afin de réduire les délais d’analyse, ainsi qu’un renforcement des moyens financiers et matériels mis à la disposition du centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) et de l’Institut Pasteur de Guadeloupe ;
Recommandation n° 8 : Développer et équiper des laboratoires de référence locaux aux Antilles pour améliorer les capacités analytiques nécessaires au diagnostic et au suivi du chlordécone et de ses produits de transformation. Il est essentiel de réduire les délais de traitement des échantillons et de résultat en mettant en place une plateforme analytique locale, notamment par un renforcement des ressources financières et matérielles allouées au Centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) et à l’Institut Pasteur de Guadeloupe.
– la médiation scientifique et la dissémination de l’information afin d’identifier les leviers pour faciliter la diffusion de l’information auprès du grand public et des professionnels de santé. Dans un contexte où la parole officielle, y compris celle des scientifiques, tend à perdre en acceptabilité aux Antilles, le rapporteur spécial estime qu’il est essentiel d’évacuer toute attitude surplombante et de construire des outils et des vecteurs de diffusion de nature à rétablir la confiance avec les populations de Guadeloupe et Martinique. Cette stratégie peut sans doute passer par la mobilisation accrue de « tiers de confiance » (professionnels de santé, élus locaux et acteurs associatifs, médiateurs scientifiques) et une adaptation des méthodes de communication à la population locale.
Recommandation n° 9 : Renforcer la médiation scientifique et améliorer la diffusion de l’information sur le chlordécone et ses impacts auprès du grand public et des professionnels de santé en Guadeloupe et en Martinique. Il est crucial d’utiliser des moyens de communication adaptés à la réalité locale et de s’appuyer sur des « tiers de confiance » comme les professionnels de santé, les élus locaux, et les acteurs associatifs pour restaurer la confiance.
Les recherches sur les impacts du chlordécone sur
la santé humaine
Les recherches sur les impacts du chlordécone sur la santé humaine ont permis de mettre en avant des associations observées, en lien avec une exposition professionnelle ou environnementale au chlordécone. Cette exposition peut ainsi conduire à une augmentation du risque de survenue et de récidive du cancer de la prostate chez l’homme, à une augmentation du risque d’accouchement prématuré chez la femme, ou encore à des troubles du développement (mémoire et motricité, capacités intellectuelles et troubles comportementaux) ou des conséquences hormonales chez l’enfant ayant subi une exposition prénatale ou postnatale.
Ainsi, l’exposition maternelle au chlordécone est significativement associée à une réduction de la durée de la grossesse ainsi qu’à un risque plus élevé de prématurité (cet effet de réduction du temps de grossesse ayant servi de base pour l’établissement de la VTR chronique interne de 0,4 μg par litre de plasma).
L’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée à une réduction du score de préférence visuelle ainsi qu’à un plus faible score sur l’échelle du développement de la motricité fine, chez les enfants âgés de 7 mois et confirmés à 18 mois. À l’âge de 7 ans, l’exposition pré ou postnatale au chlordécone est associée à de moins bons résultats aux tests estimant la capacité de traitement de l’information visuelle, à une moins bonne sensibilité aux contrastes visuels, à de moins bons scores sur les tests d’évaluation des capacités cognitives ainsi qu’à des troubles comportementaux.
Concernant l’impact du chlordécone sur le cancer de la prostate chez l’homme, les études montrent qu’il existe un risque significativement augmenté de survenue et de récidive de la maladie lorsque les concentrations sanguines en chlordécone dépassent 1 μg par litre. Ainsi, le cancer de la prostate a été reconnu comme maladie professionnelle au régime agricole en décembre 2021 et au régime général en avril 2022.
Enfin, la reconstitution d’une cohorte historique de travailleurs du secteur bananier, en Guadeloupe et en Martinique, montre des excès significatifs de décès pour le cancer de l’estomac chez les femmes ayant travaillé (salariée ou exploitante) dans le secteur bananier et pour le cancer du pancréas mais uniquement chez les femmes en charge d’une exploitation bananière.
Source : comité de pilotage scientifique national chlordécone (CPSN).
B. L’action de l’État restera inaudible sur le terrain sans traitement politique des questions centrales de responsabilitÉ et de rÉparation
1. Les actions mises en place restent inaudibles sur le terrain dans un contexte de défiance à l’égard de la parole institutionnelle
Au cœur du plan Chlordécone IV se situent des actions concrètes qui imposent aux habitants de Martinique et de Guadeloupe des contraintes dans leur vie quotidienne : ne pas taquiner le poisson ou pêcher le « ouassous » ou « z’habitant » dans les cours d’eau sur l’ensemble du territoire, ne pas faire son potager ou exclure les productions traditionnelles (igname, patate douce) dans de nombreuses parcelles, ne pas consommer le poisson issu des espaces côtiers contaminés, ne pas s’approvisionner en eau sur les sources de « bords de route » ou présentes chez soi, etc.
Voilà ce que le chlordécone a pu provoquer et qui rappelle à tous, dans le temps, le prix à payer. Des observations sur le terrain, le rapporteur spécial ne peut que constater un double phénomène, à la fois une volonté de ne pas s’empoisonner (ou plutôt de ne pas empoisonner ses enfants) en respectant du mieux possible les recommandations, mais aussi une déconnexion entre les mesures exigées et la réalité de la vie quotidienne.
Cette pollution, cette contamination, personne n’en voit le bout et de facto, c’est une forme de fatalité et d’écoanxiété qui dominent, et qui donnent corps à la colère. Ce qui ressort également, c’est, non pas la fatalité, mais le cynisme de l’État pendant plus de trois décennies, qui a nourri la véracité de la société postcoloniale. Le chlordécone est, comme l’écrit Malcom Ferdinand, « la remise en scène dans des sociétés post-esclavagistes de conflits écologiques opposant des personnes se reconnaissant comme descendants de colons esclavagistes, à des personnes se reconnaissant comme descendants d’esclaves, ne fait que rendre ces violences plus acerbes » ([3]).
Dans ce contexte, l’un des sujets, par trop négligé, selon le rapporteur spécial, tient dans une véritable politique agricole de sortie du modèle d’agriculture coloniale de la banane et de la canne à sucre, pour permettre à la fois une orientation vers une agriculture vivrière et une modification des circuits de distribution à l’exportation dominés par quelques familles historiques (monopole de l’Union des producteurs de bananes de Martinique – BANAMART).
Ce faisant, indépendamment du plan Chlordécone IV, il existe un besoin réel d’accompagnement pour sortir de cette situation d’une agriculture coloniale entièrement tournée en direction de l’exportation vers la métropole au détriment de la production alimentaire locale. Ainsi, en 2020, sur les 21 860 hectares de surface agricole utilisée en Martinique, seuls 1 150 hectares sont consacrés à des cultures fruitières hors banane et 1 570 hectares à des cultures de légumes frais ou de tubercules. De même, sur les 31 770 hectares de surface agricole utilisée en Guadeloupe, seuls 1 170 hectares sont consacrés à des cultures fruitières hors banane et 1 910 hectares à des cultures de légumes frais ou de tubercules ([4]).
Dans le cadre du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), une aide a ainsi été introduite en 2023 pour soutenir la reconversion de parcelles en culture de banane fortement touchées par la cercosporiose noire pour qu’elles conservent leur vocation agricole par des cultures de diversification ou de canne à sucre non sensibles à chlordécone. Cette aide représente 14 000 euros par hectare sur 5 ans. Le rapporteur spécial estime que les aides du POSEI doivent être renforcées et davantage orientées vers le développement des cultures de diversification, afin de permettre une diminution de la monoculture en Martinique et en Guadeloupe et un développement de la production alimentaire locale.
Recommandation n° 10 : Augmenter et réorienter les aides du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) pour soutenir activement la diversification agricole en Martinique et en Guadeloupe. Cette stratégie vise à réduire la dépendance à la monoculture de la banane, historiquement liée à l’usage du chlordécone, et à promouvoir une production alimentaire locale plus durable, qui contribue à l’autonomie alimentaire des territoires.
2. L’État ne doit plus éluder la question centrale de la responsabilité et de la nécessaire réparation des personnes victimes du chlordécone
Au-delà des mesures d’information et de prévention mises en œuvre dans le plan Chlordécone IV, et indépendamment de leur pertinence ou de leur efficacité, il est apparu au rapporteur spécial au cours de son déplacement en Martinique et en Guadeloupe que les questions de la responsabilité et de réparation restent centrales dans les échanges, notamment avec les organisations représentantes de la société civile ou des travailleurs exposés.
Tout particulièrement, la décision des magistrats du pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris de rendre une ordonnance de non-lieu le 2 janvier 2023, tout en constatant « le scandale sanitaire » sous la forme d’une « atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe, mais en arguant de la difficulté de rapporter la preuve des faits dénoncés 15 ou 20 ans après leurs perpétuations, a été reçue comme un déni de justice par les populations antillaises. Elle nourrit la défiance des populations locales vis-à-vis de l’État et de ses institutions, et la volonté de distanciation avec le pacte républicain qui les lie à la France. Elle pose aussi la question plus juridique du régime de la prescription en matière de pollution environnementale. Pour les associations de victimes, la solution pourrait résider dans la création d’un mode particulier de calcul de la prescription, dès lors que l’infraction poursuivie résulte d’une pollution des sols, de l’air ou de l’eau. En l’état actuel du droit, le point de départ est fixé au jour de la pollution sans qu’il soit toujours possible de déterminer la date exacte de son commencement.
Cette situation politique complexe doit nous interroger collectivement sur la responsabilité pleine et entière de l’État dans ce scandale environnemental. Si les responsabilités sont nécessairement complexes et longues à démontrer, mêlant responsabilités publiques et privées, pouvoirs oligarchiques et coloniaux, la responsabilité de l’État ne peut pas être écartée, tout comme la légitime réparation pour les victimes. Cette quête ne sera apaisée que si l’État prend ses responsabilités et assume dans la transparence ses erreurs ainsi que la nécessité de faire droit aux revendications des victimes, en tentant de réparer le préjudice, au-delà de la seule prise en compte des victimes de maladies professionnelles.
a. Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides en Guadeloupe et en Martinique est inopérant et insuffisant
Il ressort de l’analyse réalisée par le rapporteur spécial que le dispositif de réparation actuel mis en œuvre dans le cadre du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) est inopérant et insuffisant, en dépit de la mobilisation sur le terrain de plusieurs associations d’aide aux victimes. Au-delà des difficultés locales de mise en œuvre et de la complexité administrative du dispositif, le rapporteur spécial estime que le problème réside avant tout dans les conditions actuelles d’indemnisation qui ne répondent pas à un objectif de réparation.
Ainsi, depuis 2020, les travailleurs ou exploitants ayant contracté une maladie liée à l’utilisation de pesticides en milieu professionnel (dont le chlordécone), et leurs enfants exposés en période prénatale, sont reconnus comme des victimes et peuvent bénéficier d’une indemnisation au titre du FIVP, lui-même adossé à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). La loi définit les victimes concernées et l’organisation, le financement, le fonctionnement et les voies de recours applicables au fonds ([5]). Le décret du 27 novembre 2020 fixe les modalités d’organisation et de fonctionnement du FIVP ([6]). Ce dernier est financé pour partie par des contributions des régimes accidents du travail et maladies professionnelles et pour partie par une fraction de la taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques.
Le champ des personnes couvertes comprend les assurés relevant des couvertures accidents du travail — maladies professionnelles (AT-MP) du régime général et des régimes agricoles. Sont également couvertes, au titre de la solidarité nationale, les personnes jusqu’à présent non couvertes par l’AT-MP : les exploitants agricoles retraités avant la création du régime AT-MP et les enfants exposés durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle des parents. En revanche, les personnes relevant de régimes spéciaux AT-MP (notamment la fonction publique) ne sont pas intégrées dans le périmètre du FIVP et demeurent régies par les règles spécifiques de reconnaissance et d’indemnisation des maladies professionnelles de ces régimes.
Depuis fin 2021 pour le régime agricole et depuis avril 2022 pour le régime général, le cancer de la prostate est reconnu en tant que maladie professionnelle, liée à l’exposition aux pesticides, dont le chlordécone. Cette reconnaissance ouvre le droit, par le FIVP, à un capital pour les enfants et une rente annuelle pour les victimes professionnelles. Pour le cancer de la prostate par exemple, celle-ci est comprise entre 1 500 et 20 000 euros par an, à vie, en fonction du stade de la maladie et du taux d’incapacité permanente, pour un travailleur. Elle correspond à la principale source de demandes enregistrées en Martinique et en Guadeloupe au titre du FIVP.
Enfin, les personnes éligibles à ces indemnisations peuvent bénéficier gratuitement de l’appui de l’association Phyto-Victimes (depuis début 2024 en Guadeloupe et depuis 2022 en Martinique) et de France Assos Santé (en Martinique) pour monter leur dossier de demande d’indemnisation auprès du fonds. Le rapporteur spécial souligne l’importance du travail mené localement par cette association pour permettre aux victimes éligibles l’accès à leur droit à réparation, malgré un dispositif particulièrement complexe et peu adapté aux attentes des victimes. Dans le même temps, il est nécessaire d’améliorer et de renforcer les relations avec les associations de victimes qui permettent d’identifier les bénéficiaires potentiels.
Sur la base des informations transmises, le rapporteur spécial note le très faible nombre de personnes indemnisées depuis le lancement du dispositif. Au 18 mars 2024, soit après plus de trois ans de fonctionnement, 174 dossiers ont été reçus par le FIVP pour les départements de Martinique et de Guadeloupe et seulement 66 rentes sont aujourd’hui versées. Pour la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) de Martinique, le montant moyen d’une rente versée à un bénéficiaire (salariés et retraités) est de 4 345 euros par an et le montant total des rentes et des indemnités journalières versées (salariés et retraités) s’élève à 137 369 euros par an en mars 2024. Pour la CGSS de Guadeloupe, le montant moyen d’une rente versée est de 2 989 euros par an et le montant total des rentes versées s’élève à 60 108 euros par an. Au total, l’indemnisation au titre du FIVP pour l’ensemble des bénéficiaires de Martinique et de Guadeloupe s’élève à ce jour à 197 477 euros de rente annuelle.
Nombre de dossiers reçus par le FIVP en Martinique
et en Guadeloupe
(nombre de dossiers au 18 mars 2024)
Source : direction générale des outre-mer (DGOM).
b. Une procédure ouverte et claire d’indemnisation des victimes doit être mise en place pour avancer sur le chemin de la réparation
Le rapporteur spécial estime que 66 rentes versées pour un montant total inférieur à 200 000 euros ne constituent pas la juste « part de responsabilité » de l’État. Il convient de tirer les conséquences de l’insuffisance du dispositif actuel qui ne constitue pas une réponse adaptée aux attentes des populations locales en matière de réparation. Afin de répondre à la volonté du Président de la République « d’avancer dans le chemin de la réparation » ([7]), le rapporteur spécial propose d’entrer dans une procédure ouverte et claire d’indemnisation des victimes par :
– la création d’un fonds d’indemnisation spécifique sur le modèle du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Il s’agirait de mettre en place un fonds de recherche et d’indemnisation des victimes dont la gestion serait confiée à un établissement public indépendant pour l’exercice de ses missions. Pourraient obtenir la réparation intégrale de leur préjudice l’ensemble des personnes souffrant d’une maladie à la suite d’une exposition au chlordécone ainsi que leurs ayants droit, quel que soit le mode d’exposition, que la maladie liée au chlordécone soit reconnue en maladie professionnelle ou pas. Aussi, seraient bénéficiaires du fonds d’indemnisation les victimes professionnelles reconnues ou non, les victimes « environnementales » et les ayants droit d’une victime décédée des suites de sa maladie liée au chlordécone. Le rapporteur spécial préconise ainsi d’examiner en ces termes la proposition de loi de M. Marcellin Nadeau tendant à la reconnaissance, à l’étude et à l’indemnisation des victimes du chlordécone et à la création d’un établissement public indépendant chargé de cette mission ([8]) ;
– à défaut, une extension du FIVP aux victimes « environnementales », c’est-à-dire aux personnes malades qui ont été exposées au chlordécone en dehors d’un cadre professionnel, par exemple une personne exposée sur son lieu de résidence, son environnement ou par le contact avec de l’eau ou de la nourriture contaminée, et un renforcement des indemnités versées (en relevant significativement pour les Antilles les bases forfaitaires de calcul des rentes et des indemnités journalières) ; un renforcement de l’accompagnement des victimes ainsi que des agents des CGSS locales sera toutefois nécessaire afin de permettre une meilleure mise en œuvre du dispositif localement ;
Recommandation n° 11 : Revoir et renforcer le dispositif d’indemnisation des victimes du chlordécone en créant un fonds d’indemnisation spécifique, sur le modèle du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Ce fonds devrait être géré par un établissement public indépendant et offrir une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour leurs ayants droit. En cas d’absence de création d’un tel fonds, il est suggéré au minimum d’étendre les capacités du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) pour inclure les victimes environnementales et de revoir à la hausse les indemnisations, tout en renforçant l’accompagnement local par les associations d’aide aux victimes.
– dans les deux cas, le renforcement du dispositif d’indemnisation pourrait être financé par l’affectation d’une fraction supplémentaire de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et par la création d’une contribution spécifique assise sur le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes dans les Antilles. Sur ce point, le rapporteur spécial se félicite par ailleurs de l’adoption par l’Assemblée nationale le 29 février 2024 de la proposition de loi de M. Elie CALIFER visant à reconnaître la responsabilité de l’État et à indemniser les victimes du chlordécone et imposant « la création d’une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices générés par l’industrie des produits phytosanitaires pour les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros » ([9]). Il estime toutefois qu’il serait plus judicieux d’utiliser le vecteur existant de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques, définie à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime, qui s’applique aux titulaires d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique et assise sur le montant des ventes réalisées en France ;
Recommandation n° 12 : Financer le renforcement du dispositif d’indemnisation des victimes du chlordécone par une augmentation de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et la création d’une contribution spécifique pour le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes dans les Antilles. Cette approche garantira que les parties responsables contribuent directement à la réparation des dommages causés par l’utilisation historique du chlordécone.
– enfin, parce que la réparation ne doit pas effacer la question de la responsabilité, une modification des modalités d’application de la prescription, dès lors que l’infraction poursuivie résulte d’une pollution des sols, de l’air ou de l’eau. Toutefois, le rapporteur spécial rappelle que lorsque de nouvelles dispositions en matière de prescription sont adoptées, elles s’appliquent aux situations qui ne sont pas prescrites (une loi pénale d’allongement de la prescription plus sévère pour les auteurs n’a par principe pas d’effet rétroactif, sauf motif d’intérêt général contrôlé par le Conseil constitutionnel). La décision de non-lieu rendue le 2 janvier 2023 devrait être confirmée en appel le 10 juin 2024, ce qui est un coup dur pour toutes les Antilles, car le droit vient dans le cas présent contrecarrer la justice la plus élémentaire.
Recommandation n° 13 : Modifier les dispositions légales concernant les délais de prescription pour les infractions résultant de la pollution des sols, de l’air ou de l’eau, afin de permettre une action judiciaire prolongée contre les responsables de pollution environnementale. Ces modifications devraient permettre l’application de délais étendus de manière à tenir compte de la découverte tardive des dommages et des responsabilités associées.
Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA)
Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, est un établissement public administratif dont la mission est d’assurer la réparation intégrale de l’ensemble des préjudices subis par les victimes de pathologies en lien avec l’amiante, exposées sur le territoire français, et leurs ayants droit. Depuis 2024, le FIVA a pour nouvelle mission d’identifier les personnes qui auraient droit à une indemnisation mais qui n’ont pas réalisé de demande auprès du fonds.
L’indemnisation constitue le cœur de métier du FIVA. L’essentiel de ses activités est ainsi consacré à l’instruction des demandes, de leur réception à l’envoi aux victimes ou à leurs ayants droit des décisions relatives à leurs droits à indemnisation. Le FIVA assure ensuite le paiement des offres, ainsi que le traitement des éventuels contentieux engagés par les demandeurs en contestation des décisions relatives à l’indemnisation. Une fois subrogé dans les droits des demandeurs, le FIVA a également pour mission d’agir contre les employeurs responsables aux fins de reconnaissance, le cas échéant, de leur faute inexcusable.
L’objectif premier du FIVA est de réaliser les missions pour lesquelles il a été créé en respectant les délais légaux qui lui sont imposés : 6 mois pour communiquer une décision d’indemnisation aux demandeurs à réception de leur dossier jugé recevable ; 2 mois pour verser l’indemnisation à compter du moment où l’offre d’indemnisation a été acceptée par la victime ou l’ayant droit.
Les victimes de l’amiante bénéficient de plusieurs avantages de la mise en place du FIVA :
– des indemnisations rapides qui n’imposent pas des actions en justice longues et potentiellement coûteuses ;
– des indemnisations d’un niveau relativement élevé (près de 150 000 euros en moyenne pour les victimes atteintes des pathologies les plus graves) et permettant de prendre en compte l’ensemble des préjudices subis par la victime (économiques et personnels) ;
– des indemnisations identiques, à situation identique, sur l’ensemble du territoire ;
– une prise en charge des victimes non professionnelles de l’amiante (victimes environnementales) ainsi que du ou des ayants droit d’une victime décédée des suites de sa maladie liée à l’amiante (le conjoint, les enfants majeurs et mineurs, les petits enfants s’ils sont nés avant le décès de la victime, les frères et sœurs, les parents et certains proches sous condition).
Source : fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA).
II. Plan Sargasses 2 : structurer, collecter, valoriser ?
Depuis 2011, les Antilles françaises et plusieurs États de la région caraïbe font face à un phénomène récurrent d’échouement massif d’algues sargasses pélagiques (Sargassum fluitans et Sargassum natans). L’accumulation massive de ces algues sur les littoraux et leur putréfaction constituent des enjeux forts sur les plans sanitaires, économiques et environnementaux, conduisant à plusieurs reprises à des situations de crise. D’abord ponctuel, le phénomène a connu en 2018 un épisode majeur marquant sans doute un changement de régime. Une reprise précoce et intense est en effet intervenue depuis 2019, et semble désormais s’installer dans la durée.
Si les causes de ce phénomène ne sont pas encore clairement établies, elles sont toutefois durablement installées : l’augmentation de la température des océans du fait du réchauffement climatique, les évolutions de courantologie avec une nouvelle boucle de circulation des algues entre l’Afrique et l’Amérique du Sud ou encore l’augmentation des nutriments présents dans les océans du fait de la déforestation et de l’agriculture intensive.
Dans ce contexte de crise, un plan national de prévention et de lutte contre les sargasses, dit Sargasses 1, a été établi en 2018 et conçu de manière à répondre à un phénomène ponctuel et dans une approche de type « gestion de crise ». Il ne prévoyait pas de coordination interministérielle approfondie ni de gouvernance locale et était centré sur la collecte en urgence des algues échouées. Il n’a pas pu répondre aux enjeux de financement des opérations menées par les communes ni aux enjeux sanitaires et environnementaux.
Dans la mesure où le phénomène d’échouements massifs de sargasses sur l’arc antillais s’inscrit désormais dans la durée, le nouveau plan Sargasses 2 propose de mettre en place une réponse plus opérationnelle et structurante, conduisant à organiser le processus de gestion du phénomène en lien avec les collectivités territoriales, depuis la prédiction des échouements jusqu’au traitement final.
Il ressort des observations réalisées sur le terrain par le rapporteur spécial que la mobilisation de l’État et des collectivités territoriales à travers le plan Sargasses 2 permet désormais de sortir d’une gestion de crise et d’organiser une gestion plus opérationnelle de lutte contre les sargasses en Martinique et en Guadeloupe (A). Toutefois, les dispositifs mis en place, bien qu’opérationnels sur le plan technique, ne sont à ce jour pas suffisamment résilients en cas d’afflux significatifs de sargasses et ne permettent pas de traiter les problématiques de stockage et de valorisation des sargasses collectées (B).
A. Une mobilisation rÉcente de l’État pour soutenir et organiser l’action des collectivitÉs territoriales en matiÈre de collecte et de stockage des sargasses
L’ambition du plan Sargasses 2, pour la période 2022-2025, s’inscrit dans une démarche plus durable de gestion des arrivées de sargasses sur les côtes antillaises, dans un contexte où il est désormais certain qu’il s’agit d’un phénomène durable à l’échelle des Caraïbes, très probablement induit par l’activité humaine (changement climatique, déforestation et agriculture intensive). Ce nouveau plan vise à définir une stratégie entre l’État et les collectivités territoriales pour :
– organiser une gouvernance interministérielle nationale et une mobilisation des crédits des différents ministères concernés (ministères chargés des outre-mer, de la transition écologique et de la santé) et permettre la mobilisation à travers du PITE de 36 millions d’euros sur la période ;
– prévoir un continuum des opérations de lutte contre les sargasses allant de l’observation et la prévention, à la collecte, au traitement et à l’étude de pistes de valorisation et au renforcement de la coopération internationale ;
– organiser une gouvernance locale entre les préfets et les collectivités régionales et mettre en place des dispositifs de gestion au niveau local avec le bloc communal, sous une forme en cours de définition (groupement d’intérêt public pour la Martinique, syndicat mixte ouvert pour la Guadeloupe).
Le rapporteur spécial estime que l’ensemble des actions menées au niveau local, et financées en partie par l’État à travers le PITE, sont désormais bien identifiées pour accompagner la réponse opérationnelle des communes dans la collecte et le stockage des sargasses. En revanche, la gouvernance locale reste aujourd’hui encore tâtonnante et principalement organisée par des relations directes entre l’État et les communes concernées.
1. Une mobilisation financière et technique récente de l’État pour soutenir les actions des communes dans la collecte et le stockage des sargasses
Le plan Sargasses 2 a pour ambition de permettre de traiter les apports d’algues selon un processus industriel, rapide, efficace et pérenne, en réservant le mode de gestion de crise aux cas de débordements extrêmes et en évitant un fonctionnement par à-coups conduisant à une mise sous tension périodique du dispositif. Les préoccupations sanitaires et environnementales font désormais partie des objectifs du plan. Cette approche implique la mise en place d’un processus coordonné entre acteurs allant de la collecte des algues au moment où leur échouement apparaît comme inéluctable, jusqu’à leur stockage sécurisé en vue de leur élimination ou idéalement leur valorisation.
● Financement du plan Sargasses 2. Le plan fait l’objet d’un financement interministériel à hauteur de 36 millions d’euros sur la période 2022-2025. Ces crédits se déclinent de la manière suivante :
– 5 millions d’euros annuels sur la période du plan au titre du programme 162 d’intervention territoriale de l’État (PITE). Ces derniers ont fait l’objet d’un transfert en base des trois ministères contributeurs (ministères chargés des outre-mer, de la transition écologique et de la santé) lors de la création de cette action ;
– 1 million d’euros au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) pour les mesures du plan sargasses sur les barrages (500 000 euros) et les engins de collecte à terre (500 000 euros) ;
– 0,5 million d’euros annuels au titre du fonds d’intervention maritime (FIM) géré par la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) concernant le développement et la gestion de la flottille de navires de collecte ;
– 1,5 million d’euros de l’ANR pour la recherche fondamentale et opérationnelle autour des sargasses (3 appels à projets sur la durée du plan 2022-2025) et 0,45 million d’euros pour des études opérationnelles réalisées par l’ADEME ;
– 0,45 million d’euros au titre des financements des emplois aidés dits parcours emploi compétences (PEC) pour la collecte manuelle des sargasses par chantiers d’insertion, sur les enveloppes déléguées annuellement aux préfets par le ministère chargé du travail.
Les crédits du PITE dédiés à la mise en œuvre du plan sargasse ont fait l’objet d’un transfert en base des différents ministères contributeurs lors de la création de l’action au sein du programme 162.
Montant de participation des programmes contributeurs
au titre du PITE pour la pÉriode 2023-2025
(en euros)
Programme contributeur |
Ministère d’origine |
Code du programme d’origine |
Budget annuel pour la période 2023-2025 |
Paysage, eau et biodiversité |
MTE |
113 |
300 000 € |
Prévention des risques |
MTE |
181 |
1 110 000 € |
Énergie, climat et après-mines |
MTE |
174 |
50 000 € |
Conditions de vie dans les outre-mer |
MOM |
123 |
3 500 000 € |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soin |
MSS |
204 |
110 000 € |
Total de l’action |
|
|
5 070 000 € |
Source : direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES).
Au montant ouvert au titre du PITE dans la loi de finances pour 2023, ont été soustraits le montant de la mise en réserve de 5 %, soit 253 500 euros en AE et CP, ainsi que le montant du surgel de 1 %, soit 50 700 euros en AE et CP. En sens inverse, il a été ajouté un transfert en gestion de 761 000 euros en AE et CP en provenance du programme 123 Conditions de vie outre-mer. Le total disponible délégué pour l’action s’est ainsi élevé à 5 526 800 euros en AE et CP en 2023.
RÉpartition par sous-action des enveloppes dÉLÉGUÉE pour 2023 et Éventuels Écarts par rapport À l’exÉcution
(en euros et en pourcentage)
BOP |
Délégation 2023 |
Exécution 2023 |
Écarts d’exécution 2023 |
|||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Guadeloupe |
2 810 294 |
2 810 294 |
2 795 722 |
1 485 736 |
14 572 99 % |
1 324 558 53 % |
Martinique |
2 049 294 |
2 049 294 |
2 047 556 |
1 113 005 |
1 738 100 % |
936 289 54 % |
St-Martin St-Barthélemy |
667 212 |
667 212 |
667 212 |
0 |
667 212 100 % |
0 0 % |
Source : direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES).
Le PITE a été engagé en 2023 à hauteur de 100 % pour les autorisations d’engagement mais à hauteur de seulement 47 % pour les crédits de paiement, principalement du fait d’une sous-consommation sur la réponse opérationnelle (faible activité de collecte des sargasses et ralentissement dans l’établissement des barrages). Une demande de report de CP a été effectuée à hauteur de 2,9 millions d’euros pour l’action sargasses. Ces derniers ont été délégués au responsable de programme (préfet Guadeloupe) en mars 2024.
● Gouvernance du plan Sargasses 2. De la même manière que pour le plan chlordécone, la DMATES est chargée du pilotage budgétaire de l’action PITE relative au plan Sargasses 2, et à ce titre participe aux comités de pilotage et de gestion nationaux annuels. Elle réalise également un à deux dialogues de gestion par an afin d’échanger avec le responsable de budget opérationnel de programme (BOP), le préfet de Guadeloupe, sur l’exécution de l’année en cours et sur les perspectives des années suivantes. La DGOM reste la direction pilote du plan, ayant pour objectif de coordonner, faciliter et impulser sa mise en œuvre.
L’échelon préfectoral, et à travers lui le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), chargé du suivi du plan sargasses, est responsable du pilotage et de la planification de l’action, en lien avec les collectivités territoriales. Il est également chargé d’engager les dépenses en attendant la pleine opérationnalisation du groupement d’intérêt public (GIP) en Martinique et du syndicat mixte en Guadeloupe.
L’ensemble des actions mises en œuvre dans le cadre du plan Sargasses 2 peuvent être organisées autour de plusieurs axes : actions préventives, réponses opérationnelles, recherche et coopération internationale.
● L’action préventive comprend principalement deux volets que sont la prévision des échouements ainsi que la prévention et la surveillance sanitaire :
– la prévision des échouements par Météo-France qui opère depuis 2020 un bulletin d’information sur les afflux d’échouements de sargasses sur les Antilles françaises et la Guyane. La détection et la localisation des radeaux de sargasses autour de l’arc antillais sont réalisées par télédétection après acquisition et post-traitement spécifique des données issues de capteurs optiques ;
– la surveillance sanitaire par la mise en place d’un réseau de capteurs fixes implantés sur des sites choisis et la mise en place d’un dispositif de remontée et d’exploitation des données fournies, à fréquence journalière, en vue d’informer l’ensemble des acteurs de la gestion en établissant une graduation dans les mesures à prendre vis-à-vis de la population en fonction de seuils de concentration constatés.
Le préfet de département est ensuite chargé de la communication et de l’information des populations en liaison avec le directeur général de l’ARS pour les effets sur la santé. L’information sanitaire délivrée par les ARS aux collectivités territoriales aux professionnels de santé et aux populations est effectuée sur la base des avis des instances nationales d’expertise en fonction du niveau d’exposition aux gaz, de la durée d’exposition et de la sensibilité des personnes exposées.
● La réponse opérationnelle comprend la mise en place d’un processus permanent de collecte et de traitement des sargasses, adapté à la situation de chaque commune et de chaque site. Celle-ci est aujourd’hui principalement mise en œuvre par l’échelon communal, avec le soutien technique et financier de l’État. Chaque situation s’avère particulière selon l’accessibilité et la configuration du site (enrochement, plage, etc.), par son exposition aux vents et courants, sa sensibilité environnementale ou encore de son caractère urbanisé ou non :
– la collecte des sargasses en « proche-côtier » : afin d’éviter l’échouage et la décomposition des sargasses sur le littoral, source principale des nuisances occasionnées, il convient d’intervenir au maximum sur un produit frais et exempt d’amendements (exemple d’un ramassage sur le sable qui conduit souvent à augmenter les volumes de collecte et à porter atteinte au renouvellement de la plage).
Le dispositif proche côtier est constitué de barrages, de navires spécialisés (« sargator ») et d’équipements complémentaires (navires de stockage et de clapage, tapis de collecte à terre et cales de débarquements). Les différents types d’équipements peuvent être combinés, mais l’usage de l’un comme de l’autre impose que les sites de déploiement soient situés en proche côtier, sur des sites protégés des effets de la mer, notamment de la houle. Les zones les moins propices à l’installation des barrages peuvent aussi faire l’objet d’une collecte manuelle avec le soutien des pêcheurs (signature de convention de collecte et installation de dispositifs de récupération embarqués).
L’objectif des barrages est de contenir les arrivées massives ou de dévier celles-ci vers une zone choisie et préparée, où les algues seront collectées dès leur accostage, évitant ainsi la stagnation et le mélange avec le sable. La déviation peut aussi s’opérer vers une veine de courant favorisant la reprise par la mer et l’évitement du site que l’on veut protéger.
La méthode est aujourd’hui principalement déployée en Martinique, comme sur le site de la commune du Robert où le rapporteur spécial a pu se rendre et constater l’effectivité des dispositifs installés (barrages proche-côtier, navires de collecte dit « sargator » et de clapage, équipements des navires de pêche). Pour la collecte en mer, la maîtrise d’ouvrage est assurée par l’État pour 2023 et 2024, sous la forme d’un marché de prestations pour la collecte en proche côtier et la réimmersion (financement PITE) ainsi que par la mobilisation de subventions pour l’acquisition de navires et les équipements associés (financements par le fonds d’intervention maritime et le FEDER). Pour les barrages, la maîtrise d’ouvrage communale passe par des marchés de conception, de réalisation et d’entretien (financements du PITE et du FEDER).
Dispositifs de collecte proche cÔTIÈRE mis en place sur la commune
du Robert en Martinique
|
|
Navire de collecte des algues sargasses, dit « sargator » |
Barrages destinés à retenir les sargasses et passe permettant aux navires de circuler |
|
|
Navire de stockage et de séchage des sargasses collectées avant remorquage et clapage |
Navire de pêche conventionné pour la collecte des sargasses et équipé d’une « grande épuisette » |
Source : commission des finances.
– les opérations de collecte à terre se caractérisent par des environnements très divers souvent au sein de la même commune (urbanisation ou non, accessibilité, présence d’infrastructures, contraintes environnementales) et des produits collectés de nature très différente en fonction de leur état de décomposition et du substrat sur lequel les algues ont échoué (sable, vase).
La collecte est assurée par l’utilisation de matériels de collecte spécialisés (principalement tractopelles, tracteurs, pelles mécaniques, grappins, ratisseurs de plage, etc.) et le plus souvent manuellement, en particulier sur les sites peu accessibles aux engins ou à sensibilité environnementale forte et de superficie restreinte. Pour la collecte à terre mécanisée, la maîtrise d’ouvrage est assurée en régie par les communes (engins propres) et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ou par des marchés avec des entreprises locales disposant d’engins adéquats.
Pour la collecte à terre manuelle, qui constitue actuellement l’essentiel de l’activité, cette dernière s’appuie fortement sur la mobilisation de chantiers d’insertion d’emplois aidés dits parcours emploi compétences (PEC) au sein d’associations ou d’entreprises d’insertion. La maîtrise d’ouvrage est généralement assurée par les EPCI sous la forme de marchés et de subventions directes aux associations d’insertion, tandis que le financement des mesures s’appuie sur les aides de l’État (contrats aidés), le fonds social européen et les subventions des collectivités territoriales.
– le stockage et la valorisation des algues collectées : les sites de stockage représentent un maillon fondamental dans le processus de gestion des sargasses, en l’absence de débouchés crédibles en matière de valorisation. La mise en œuvre de la mesure incombe principalement aux communes ou aux EPCI, dans la mesure où il s’agit d’un déchet, mais ces dernières manquent de moyens pour identifier, aménager et sécuriser des zones de stockage. Selon la direction générale de la prévention des risques (DGPR), 8 sites de stockage sont identifiés en Martinique et 17 sites en Guadeloupe, principalement propriété de la commune qui en assure la gestion (remaniement des tas, aplanissement pour conserver une capacité, dépôt en vrac par les camions-bennes, aménagements pour éviter les dépôts sauvages). Le rapporteur spécial a pu constater que le stockage des sargasses se situe souvent en arrière-plage (afin de diminuer le coût et la durée de transport), à même le sol, sans aucun traitement particulier.
● Des efforts importants sont mobilisés en matière de recherche sur la compréhension du phénomène d’échouements massifs de sargasses, tout en faisant aboutir les travaux de recherche appliquée, de développement et d’innovation sur tous les segments du processus de réponse (collecte, stockage et valorisation).
Un premier appel à projets « Sargassum » piloté par l’ANR a été lancé en 2019 par l’Agence pour la transition écologique (ADEME) et doté de 8,5 millions d’euros (dont 2,2 millions d’euros par l’ANR), en lien avec le conseil régional de Guadeloupe, la collectivité territoriale de Martinique, le conseil régional de Guyane et la Fondation de recherche de São Paulo (FAPESP – Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo). Onze projets impliquant plus de 90 partenaires et 23 pays ont été retenus, parmi lesquels :
– SAVE-C, SARGOOD et SARGASSUM ORIGINS pour caractériser les sargasses aux plans génétiques, biochimiques, morphologiques afin d’en préciser l’origine ;
– FORESEA et CESAR pour la prévision de la formation des bancs de sargasses et de leurs trajectoires, au large et sur le proche littoral, le rôle de l’Amazone, des courants et du vent, les teneurs éventuelles des sargasses en cadmium, arsenic et chlordécone ;
– SAVE (et hors financement ANR, PYROSAR et SAR TRIB) pour les techniques de collecte en mer, de ramassage au sol, ainsi que les procédés de traitement et de valorisation des sargasses : compost, extraction de molécules à forte valeur ajoutée, biomatériaux, dont les bioplastiques ;
– SARGACARE/SARGACARE2, CORSAIR et SARG AS CLD, pour les impacts en termes économiques, sanitaires et environnementaux résultants du flux de sargasses, tant sur l’environnement terrestre que marin, ainsi que l’analyse géopolitique de ce phénomène à l’échelle internationale et locale et les stratégies d’aménagement du territoire envisageables.
Un second appel à projets coordonné par l’ANR a été lancé en 2021 en lien avec le CONACYT (Mexique), le FACEPE (Brésil) et le NWO (Pays-Bas) pour un montant de 1,6 million d’euros, dont 850 000 euros de l’ANR. L’objectif est de comprendre les raisons des phénomènes à l’œuvre, améliorer la gestion des afflux, mieux prévoir les moments de surabondance, anticiper le traitement mais également apporter des solutions pragmatiques aux échouages. Deux lauréats supplémentaires sont financés pour quatre ans :
– SARGALERT sur la prévision opérationnelle d’échouements de sargasses avec pour objectif d’améliorer la prévision des échouements en croisant les données satellitaires, la modélisation du transport et les mesures biologiques réalisées sur le terrain. Le projet doit proposer des modèles de bulletins d’alerte destinés aux utilisateurs finaux (collectivités territoriales, touristes, pêcheurs) ;
– BIOMAS pour une approche bioénergétique afin de développer un modèle de prévision de la prolifération des morphotypes de sargasses à l’échelle saisonnière.
Les résultats préliminaires des projets lauréats de ces deux appels suggèrent la nécessité de prolonger l’effort de recherche par un troisième appel à projets sur l’impact sur la santé humaine et sur les écosystèmes côtiers des îles Antillaises.
● Parallèlement, en matière de coopération internationale, la France a lancé, avec la collaboration de la région Guadeloupe, une initiative internationale de lutte contre les sargasses le 2 décembre 2023 à Dubaï, à l’occasion de la COP28 climat. Celle-ci comprend trois volets : sensibiliser les partenaires de la France au niveau multilatéral, en particulier à l’occasion de l’UNOC3 en adoptant un plan d’action international ; mobiliser les partenaires régionaux au sein de la Convention de Carthagène sur la protection du milieu marin dans la Caraïbe ; soutenir le projet européen Interreg SARG’COOP2 porté par la région Guadeloupe pour stimuler une coopération régionale concrète.
L’objectif sera ensuite d’intégrer cette problématique à l’un des panels de haut niveau de la Conférence des Nations-Unies sur les Océans qui aura lieu à Nice en juin 2025 sous la forme d’un plan d’action. Une résolution sera également proposée à l’Assemblée générale des Nations-Unies à l’automne 2024 pour :
– esquisser une définition juridique internationale permettant de qualifier le phénomène dans la perspective de la Conférence de Nice ;
– proposer, dans le cadre multilatéral, une feuille de route comprenant des actions concrètes permettant de lutter efficacement contre les échouements et la prolifération des sargasses en amont (prévention ; recherche sur les origines du phénomène) comme en aval (ramassage ; stockage ; destruction ou traitement ; valorisation) en partageant les efforts et les bonnes pratiques ;
– mener une réflexion sur le phénomène des réservoirs ainsi que sur la relation entre les sargasses et la préservation de la biodiversité.
2. Une gouvernance locale tâtonnante et incertaine entre l’État et les collectivités territoriales dans la gestion des actions du plan
Les communes ou leurs EPCI sont aujourd’hui les premiers responsables de la mise en œuvre opérationnelle du dispositif de collecte et de stockage des sargasses, à terre comme en proche côtier. L’État a été amené à prendre la maîtrise d’ouvrage pour certaines opérations d’envergure qui ne pouvaient, dans l’urgence, être assurées par une collectivité. Cette responsabilité opérationnelle du maire est toutefois souvent contestée par les élus locaux, qui estiment ne pas avoir compétence pour la gestion des échouements de sargasses.
Sur ce point, la DGPR souligne que pour code de l’environnement, les algues sargasses ont le statut juridique de « bien sans maître » lorsqu’elles s’échouent sur les plages, au même titre que des méduses ; en revanche, dès lors que les collectivités procèdent au ramassage des algues puis souhaitent s’en défaire dans des sites de stockage, ces algues prennent le statut de déchet (compétence généralement communale ou intercommunale).
Le rapporteur spécial note toutefois que cette définition est largement contestée par les élus locaux, qui estiment qu’il revient à l’État d’assurer la gestion d’une algue issue de la haute mer sur laquelle la commune n’a ni compétence ni capacité réelle à agir, et dont l’ampleur de la gestion est sans lien avec ses capacités financières et sa population. Ainsi, la commune de Capesterre-de-Marie-Galante – qui reçoit 30 % des échouages de sargasses en Guadeloupe – consacre entre un quart et un tiers de son budget au ramassage. C’est un effort démesuré pour une commune de 3 300 habitants.
Il note par ailleurs que l’algue ne devient juridiquement un déchet qu’à partir du moment où elle est collectée par la collectivité, sans qu’aucune autre solution ne soit en réalité possible, au risque de mettre en danger sa propre population. Le rapporteur spécial estime qu’il convient de clarifier juridiquement le statut des algues sargasses, afin de répartir clairement la chaîne des responsabilités dans leur collecte et leur gestion, et de définir aussi le cadre juridique dans lequel les sargasses peuvent faire l’objet d’un stockage par une installation ou d’une valorisation comme coproduit (et non-déchet). Il paraît essentiel que l’État assume toute sa responsabilité dans cette situation qui recouvre de nombreux enjeux sanitaires, économiques et sociaux (bien au-delà des seules compétences communales).
Recommandation n° 14 : Clarifier le statut juridique des algues sargasses pour mieux définir les responsabilités dans leur gestion entre les communes, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et l’État. Il convient de clarifier la classification des sargasses collectées comme déchets, et les conséquences en termes de valorisation et de répartition claire des rôles et des coûts associés à la gestion des échouements de sargasses.
Pour tenter de dépasser le débat juridique autour de la répartition des compétences, mais aussi du fait d’une implication financière récente mais croissante de l’État dans le financement de l’équipement des communes, plusieurs formes de gouvernance associant État et collectivités territoriales ont été mises en place en Martinique et en Guadeloupe :
– en Martinique, un groupement d’intérêt public (GIP) qui regroupe la collectivité territoriale de Martinique, les EPCI concernés et l’État. L’arrêté préfectoral d’approbation de la convention constitutive a été publié le 21 juillet 2023. L’assemblée générale constitutive s’est tenue le 21 novembre 2023. Il devrait notamment reprendre la maîtrise d’ouvrage de la collecte en mer et celle de l’aménagement des sites de stockage et de traitement, autorisés par le préfet ;
– en Guadeloupe, un GIP a également été créé en 2023 et a pour objectif d’être l’interlocuteur de l’opérateur responsable de l’opérationnel, d’être un coordinateur de l’action publique (planification, programmation pluriannuelle, définition des priorités) et d’avoir une mission d’information à la population. Il est composé de l’État, de la région, du département et de la Chambre de commerce d’industrie des îles de Guadeloupe. Son installation a eu lieu le 25 avril 2023. Le président du GIP est M. Loïc Tonton, maire de La Désirade et conseiller régional. Parallèlement, il est prévu en concertation avec l’ensemble des collectivités de créer un syndicat mixte ouvert (SMO) qui se substituera aux communes dans la gestion opérationnelle. La préfiguration de ce syndicat est en cours en vue d’une présentation des options possibles à la fin de l’année 2024.
Si le rapporteur spécial partage l’objectif général de différencier les politiques publiques pour les adapter au mieux aux réalités locales, il trouve en l’espèce étonnant de mettre en place deux dispositifs différents de gouvernance pour lutter contre un phénomène commun aux Antilles, avec des problématiques très similaires entre la Guadeloupe et la Martinique. Il recommande vivement d’éviter la multiplication des strates de structures, source de complexité et de lourdeur administrative, et de sortir rapidement de cette situation « tâtonnante » et peu satisfaisante en l’état, en raison de la nécessité de monter rapidement en puissance avant une prochaine crise majeure.
Par ailleurs, le rapporteur spécial alerte, avec une certaine incompréhension quant au sens pratique de cette décision, sur le fait que les communes, qui constituent le seul échelon opérationnel chargé actuellement de mettre en œuvre directement les mesures de collecte et de stockage des sargasses, soient exclues de la gouvernance opérationnelle des deux GIP.
Recommandation n° 15 : Rationaliser et uniformiser les structures de gouvernance pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, afin de réduire la complexité administrative et d’améliorer l’efficacité de la réponse aux échouements de sargasses. Bien que les groupements d’intérêt public (GIP) en Martinique et en Guadeloupe ainsi que le projet de syndicat mixte ouvert (SMO) en Guadeloupe soient des initiatives positives, il est préconisé de standardiser ces approches entre les deux îles. La structure de gouvernance devrait inclure systématiquement toutes les parties prenantes, en incluant tout particulièrement l’échelon opérationnel que sont les communes, aujourd’hui exclues des GIP. Cette approche simplifiée permettrait une réponse plus rapide et coordonnée aux crises futures, tout en optimisant les ressources et en réduisant les coûts.
B. Une rÉsilience du dispositif insUFfisante pour faire face À un phÉNOMÈne d’ampleur et traiter les enjeux de stockage et de valorisation des sargasses collectÉes
Les différentes études réalisées et les premiers retours d’expérimentation semblent démontrer qu’aucune solution de valorisation des algues n’apparaît à ce jour entièrement satisfaisante. Le rapporteur spécial estime qu’à ce stade des connaissances disponibles sur le sujet, seules la contention, la collecte et l’évacuation des algues dans les 48 heures après leur échouement (par immersion en mer ou stockage) permettent d’éviter le développement des nuisances dues à leur stagnation et leur décomposition. Dès lors, il convient de renforcer substantiellement les moyens financiers et techniques mobilisés par l’État dans le dispositif, en soutien des collectivités territoriales, afin d’assurer sa résilience en cas d’échouages massifs, et de permettre un stockage sécurisé des sargasses dans des sites aménagés.
1. Un besoin de financement considérable pour renforcer la résilience du dispositif et la protection sanitaire et matérielle des populations
Le rapporteur spécial estime que les moyens mobilisés à ce jour, s’ils traduisent une réelle volonté de l’État de soutenir l’action des collectivités territoriales, sont nettement insuffisants pour assurer la résilience du dispositif et permettre la protection de la population et de ses biens.
a. Un renforcement significatif des moyens financiers et techniques est nécessaire pour permettre la résilience des installations
Le rapporteur spécial estime que si les actions menées à ce jour par les communes et l’État sont encourageantes, notamment grâce à la mise en place de barrages flottants et de navire de collecte en proche côtier en Martinique, le niveau d’investissement réalisé reste très inférieur à la réalité des besoins constatés sur le terrain pour assurer une réponse opérationnelle suffisante en cas d’afflux de sargasses similaire à celui de 2018.
Ainsi, dans le cadre du PITE mobilisé en 2024, seuls 2,1 millions d’euros en AE et 0,81 million d’euros en CP sont délégués à ce jour pour organiser la réponse opérationnelle. À cette somme, il convient d’ajouter une mobilisation des préfectures, sur les dotations de droit commun telles que la DETR, à hauteur de 1 million d’euros pour l’acquisition de matériel de collecte à terre et l’installation de barrages, ainsi que 0,5 million d’euros au titre du FIM pour l’acquisition des navires de collecte en mer. Au total, l’effort de l’État afin d’assurer la préparation opérationnelle est de l’ordre de 3,5 millions d’euros par an. Le rapporteur spécial s’étonne de la mobilisation de la DETR pour des projets d’acquisitions de matériel de collecte des sargasses, au détriment des projets d’investissement de droit commun portés par les collectivités territoriales.
Or, le coût d’un seul « sargator » peut être estimé à près de 500 000 euros, celui d’un mètre de linéaire de barrage à 250 euros, ou celui d’une cribleuse à sargasses à 65 000 euros. Ainsi, l’installation de 7 kilomètres de barrage sur le territoire d’une commune, combiné à l’acquisition de 2 « sargators » et de 4 engins de collecte à terre peut déjà conduire à un besoin en investissement de l’ordre de 3 millions d’euros pour une seule commune, sans compter l’ensemble des coûts de fonctionnement et d’entretien que ces matériels induisent.
En effet, au-delà des besoins en investissement, les coûts de fonctionnement et d’entretien sont intégralement supportés par les communes, tant pour la collecte que pour l’aménagement de nouveaux sites de stockage, et ceci depuis le début de la crise des sargasses (alors que le soutien de l’État est récent). Le rapporteur estime sur ce point que les moyens financiers des collectivités territoriales sont largement insuffisants pour leur permettre de faire face à leurs responsabilités actuelles.
Ainsi, afin de renforcer fortement les moyens financiers mis à la disposition des GIP de Martinique et de Guadeloupe, sans empiéter sur les dotations de droit commun des préfectures et les moyens des collectivités territoriales, et afin d’assurer de financement de l’acquisition, du fonctionnement et de l’entretien des dispositifs de collecte (en proche côtier, à terre, y compris la collecte manuelle), le rapporteur spécial propose la mise en place d’une taxe additionnelle « sargasses » à la taxe de séjour (sur le modèle de la taxe additionnelle départementale de 10 % permise pour les départements ou de la taxe additionnelle pour Île-de-France Mobilités de 200 % mise en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour 2024).
Le rendement en 2023 de la taxe de séjour en Martinique est de 3,16 millions d’euros, et celui en Guadeloupe est de 23,4 millions d’euros. Ainsi, la création d’une taxe additionnelle de 20 % à la taxe de séjour perçue dans les régions de Guadeloupe et de Martinique (soit 50 centimes par nuitée pour un hébergement de 4 étoiles) permettrait de générer un rendement de l’ordre de 5,2 millions d’euros par an.
Recommandation n° 16 : Augmenter de manière significative le financement disponible pour la gestion des sargasses en Martinique et Guadeloupe, en introduisant une taxe additionnelle sur la taxe de séjour, spécifiquement dédiée à la lutte contre les sargasses. Cette nouvelle taxe permettrait de financer non seulement l’acquisition de matériel spécialisé comme les « sargators » et les barrages flottants, mais également les coûts de fonctionnement et de maintenance réalisés pour la collecte par les communes. Cette approche garantirait que les investissements nécessaires ne compromettent pas les dotations de droit commun destinées aux projets des collectivités territoriales. Elle offrirait également une source de revenus stable et dédiée qui permettrait aux collectivités de répondre plus efficacement aux crises sargasses sans réduire leurs budgets.
b. Un renforcement de la recherche et des moyens est impératif pour assurer la protection sanitaire et matérielle des populations
Le renforcement de la résilience du dispositif est d’autant plus impératif qu’en l’absence d’une collecte suffisamment rapide, la stagnation et la décomposition des algues sur le littoral conduisent à des nuisances immédiates pour la population :
– les émanations de sulfure d’hydrogène insupportables au quotidien, et dont la toxicité potentielle sur le long terme n’est plus à démontrer ;
– la confiscation du littoral dans certains cas et le plus souvent rendu peu attractif car impraticable ou théâtre de chantiers ;
– les conséquences sur l’attractivité et l’économie touristique, en particulier pour le secteur de l’hôtellerie installée sur des plages exposées ;
– la forte dévalorisation de l’immobilier et la dégradation, du fait de l’exposition au sulfure d’hydrogène, de tous les équipements électroniques, voire métalliques (toitures, voitures) ;
– l’atteinte au moral des populations riveraines, dont certaines sont contraintes de quitter leur domicile, parfois définitivement.
● Parmi ces nuisances, la question sanitaire constitue l’une des premières préoccupations de la population exposée aux émanations issues de la décomposition des sargasses. L’effet le plus important connu à ce jour de cette décomposition est le dégagement de sulfure d’hydrogène (H2S) et, dans une moindre mesure, d’ammoniac (NH3). Le H2S et le NH3 sont des gaz potentiellement toxiques, en fonction de leur concentration dans l’air et de la durée d’exposition.
Le haut conseil de la santé publique (HCSP) a défini les seuils d’intervention, établis sur une moyenne de 24 heures, relatifs aux concentrations mesurées en fonction des expositions au H2S et au NH3 :
– entre 0,07 et 1 ppm de H2S et pour des concentrations de NH3 inférieures à 8,3 ppm : mise en place rapide (sous 48 heures au maximum) du chantier d’enlèvement des algues et information des personnes vulnérables afin qu’elles se tiennent éloignées des zones affectées ;
– entre 1 et 5 ppm de H2S et pour des concentrations de NH3 inférieures à 8,3 ppm : il est recommandé à l’ensemble de la population de se tenir éloignée des zones affectées (mesures d’éloignement ou de mise à l’abri) ;
– valeurs supérieures à 5 ppm pour H2S ou supérieures à 8,3 ppm pour NH3 : il est fortement recommandé d’éviter l’accès aux zones à risque et de ne pas se placer sous le vent des émissions. L’accès aux zones affectées doit être réservé aux professionnels équipés de moyens de mesure individuels avec alarmes. De plus, des mesures d’H2S au niveau des habitations riveraines doivent être mises en œuvre et la fermeture temporaire d’établissements recevant du public pourra être décidée par les autorités locales, en concertation avec les services de l’État.
Pour permettre la mise en œuvre de ces recommandations et en particulier des mesures d’éloignement ou de mise à l’abri en cas de dépassement des seuils sanitaires, le HCSP recommande d’améliorer l’implication des populations concernées, notamment par la mise en place de lieux d’accueil, de mise à l’abri et d’information de la population. Cet éloignement peut ainsi se matérialiser, pour le HCSP, par un éloignement géographique d’une partie de la population (sans précisions sur la distance), la fermeture de certains lieux (de loisir ou éducatif) ou le confinement dans des lieux à l’abri de l’exposition. Ce confinement peut être réalisé, selon le HCSP, en piégeant l’hydrogène sulfuré de l’air intérieur (charbons actifs, tissus métalliques, filtration d’air, etc.).
Le rapporteur spécial, s’il comprend et partage les préoccupations sanitaires qui ont conduit le HCSP à mettre en place de telles mesures de protection des populations, souligne la difficulté de mise en œuvre par les services de l’État et d’acceptabilité pratique par la population. Il invite dès lors le ministère chargé de la santé à missionner sans délai le HCSP afin d’examiner la faisabilité de recommandations plus spécifique et plus opérationnelle pour la population, adaptées à leurs conditions de vie et à la fréquence plus importante des émissions de gaz à laquelle elle est soumise.
Recommandation n° 17 : Le ministère de la Santé devrait rapidement inviter le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) à examiner la faisabilité des mesures de protection contre les expositions aux gaz nocifs issus des sargasses, en tenant compte des spécificités locales et de la fréquence des émissions. Il est crucial d’élaborer des protocoles clairs et adaptés aux conditions de vie locale, et d’améliorer la communication pour garantir l’acceptabilité et l’efficacité de ces mesures parmi les populations concernées.
Le HCSP recommande enfin d’améliorer la connaissance et la compréhension des effets sanitaires liés à la récurrence des expositions aiguës et chroniques. En effet, il estime que « bien que les effets de l’exposition à de fortes concentrations de sulfure d’hydrogène soient clairs, les effets associés à l’exposition chronique à de faibles niveaux chez l’homme font débat ». Il rappelle par ailleurs qu’une « revue de 2023 montre que l’exposition chronique au H2S à des concentrations moyennes inférieures à 0,01 ppm est associée non seulement à des effets respiratoires et oculaires, mais aussi à une prévalence accrue d’effets neurologiques » ([10]).
Le rapporteur spécial partage entièrement cette recommandation, soulignant le faible niveau de connaissance dont la population et les pouvoirs publics disposent sur l’impact sanitaire des émanations issues des sargasses échouées. Il souligne qu’à ce jour, aucune étude n’a ainsi été réalisée pour identifier avec précision l’ensemble des composés aériens issus de la dégradation des sargasses.
Une étude « SARGACARE », menée par le CHUM et financée dans le cadre des appels à projets de l’ANR, a pour objectif la caractérisation des effets sanitaires selon l’exposition chronique aux gaz émis par la décomposition des sargasses. Cette étude vise notamment à interroger et examiner les patients du CHUM exposés, d’exploiter les données des capteurs et de compléter les résultats par une approche anthropologique. Interrogé sur l’avancée des travaux par le rapporteur spécial lors de son déplacement, le professeur Rémi Nevière, responsable de l’étude et coordinateur médical de la délégation à la recherche clinique et à l’innovation au CHUM, a indiqué que les premiers résultats sur l’examen clinique sur près de 500 patients semblent démontrer l’existence d’un risque d’hypertension artérielle chez la femme enceinte, un effet neurologique sur la régulation de la ventilation, et un effet respiratoire avéré (inflammation des bronches).
Il existerait aussi, selon la direction générale de la santé (DGS), un possible lien de prééclampsie en lien avec l’exposition aux gaz de décomposition issus des sargasses. L’étude évoquée présenterait toutefois des conclusions prudentes quant à cet éventuel lien, qui n’a pas été suffisamment étayé à ce stade.
Recommandation n° 18 : Intensifier la recherche sur la composition des gaz émanant de la décomposition des sargasses et sur les effets sanitaires de l’exposition chronique aux émanations de sulfure d’hydrogène et autres gaz issus de la décomposition des sargasses. Soutenir et étendre des études comme « SARGACARE » pour mieux comprendre et caractériser les impacts neurologiques, respiratoires, et autres effets potentiels sur la santé, en particulier chez les populations vulnérables telles que les femmes enceintes.
● Par ailleurs, le rapporteur spécial souligne l’importance de mettre en place des mesures de protection pour les personnes chargées de la collecte des sargasses, fortement exposées aux émanations de gaz issues de la décomposition des sargasses. Dans son avis de février 2016, confirmé par celui de mars 2017, l’ANSES rappelle que les mesures de protection et de prévention applicables aux travailleurs au contact des algues vertes sont applicables à ceux qui sont au contact des algues sargasses. Elle recommande ainsi de limiter l’exposition des travailleurs, notamment par le port de détecteurs d’H2S situé près des voies respiratoires, le recours à des moyens mécaniques pour le ramassage autant que possible, le port d’équipements de protection individuelle (notamment des gants, des bottes et des demi-masques filtrants anti-gaz, ou encore une cagoule à ventilation assistée lorsque la concentration en H2S dépasse 10 ppm), la formation et l’information des travailleurs sur les risques liés à l’exposition au H2S et la mise en place d’une traçabilité des travaux exposants. Elle invite enfin à poursuivre les recherches sur « la toxicité du H2S et plus particulièrement sur les effets d’une exposition chronique à de faibles doses » ([11]).
Interrogée sur le respect de ces préconisations, la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS) de Martinique a indiqué au rapporteur spécial que les prescriptions ne sont dans les faits que rarement mises en œuvre, en raison de la difficulté de faire porter « des gants, des bottes et des demi-masques filtrants anti-gaz, ou encore une cagoule à ventilation assistée » dans les conditions difficiles d’exercice des travailleurs (températures souvent élevées, nature physique des activités).
Le rapporteur spécial invite donc les autorités compétentes à se saisir de l’adaptation des préconisations aux conditions d’exercice réelles sur le terrain des travailleurs exposés, et de poursuivre les recherches sur les conséquences de cette exposition sur leur santé. Il estime que l’absence de données sanitaires à ce jour, et l’existence de préconisations dans les faits difficiles à appliquer, conduisent à une fuite des responsabilités et à une exposition de travailleurs en insertion aux conséquences inconnues, au risque d’un futur scandale sanitaire majeur. Il alerte sur le fait que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et doit conduire, soit à une application stricte des règles et à un arrêt immédiat des chantiers de collecte, soit à une évolution du cadre applicable à la réalité opérationnelle et à l’impératif de protection des travailleurs.
Recommandation n° 19 : Renforcer les mesures de protection pour les travailleurs impliqués dans la collecte des sargasses, en demandant aux autorités sanitaires d’adapter les préconisations actuelles concernant les équipements de protection individuelle (EPI) et les pratiques aux conditions réelles sur le terrain. En l’absence de conditions de travail conformes, il convient d’envisager la suspension temporaire des opérations de collecte jusqu’à ce que les mesures de sécurité soient pleinement mises en place et respectées.
● Au-delà des conséquences sur la santé des populations, le rapporteur spécial souligne l’importance de mener rapidement une réflexion sur les conséquences matérielles, en vue de définir le cadre juridique dans lequel certaines personnes victimes pourraient bénéficier d’une indemnisation.
Les associations de riverains victimes et les élus rencontrés ont ainsi souligné auprès du rapporteur spécial l’impact des sargasses sur la corrosion des métaux, conduisant les habitants exposés à changer régulièrement (parfois tous les ans) leurs matériels électroniques et électroménagers, ainsi qu’une dégradation accélérée des toitures (en tôle rivetée du fait des impératifs anticycloniques).
Le projet de recherche « CORSAIR », financé dans le cadre des appels à projets de l’ANR, a démontré, pour la première fois, l’existence d’un lien de causalité scientifique entre les sargasses et la corrosion des métaux. Les mesures de corrosion réalisées sur les différents sites révèlent des différences selon le terrain d’exposition, notamment sur la vitesse de corrosion. Ses travaux démontrent que l’H2S émis lors de la décomposition des algues est responsable de la corrosion accélérée des principaux métaux utilisés notamment dans les appareils ménagers et les enrobages, comme les tôles sur les toits. Le cuivre et le zinc se sont avérés particulièrement touchés. Au-delà de ces résultats sur l’évaluation de la corrosivité, des solutions physico-chimiques et biologiques sont en cours d’étude.
Les sargasses ont aussi des conséquences sur le prix des biens immobiliers situés dans les zones les plus exposées depuis 2018, le plus souvent sur la côte atlantique de la Martinique et de la Guadeloupe. Selon les acteurs interrogés localement, le prix des biens serait en effet en chute libre d’au moins 25 %, et la plupart des transactions n’arrivent en réalité pas à leur terme. Il est devenu impossible pour de nombreux propriétaires de vendre leur logement. Cette situation a même poussé certains acheteurs à porter plainte pour vice caché à la suite d’un achat dans une zone exposée. La Cour de cassation leur a donné raison dans un arrêt du 15 juin 2022 ([12]) qui dispose que les algues sargasses peuvent être considérées comme un vice caché extérieur à la chose vendue. Aussi, un vendeur qui dissimule la présence de sargasses à l’acheteur de son bien immobilier risque donc l’annulation de la transaction pour vice caché et une condamnation pour préjudice.
Dans ce contexte, le rapporteur spécial estime nécessaire d’explorer l’ensemble des pistes juridiques, de la manière la plus exhaustive possible, permettant d’accompagner les victimes. Cela pourrait se traduire par une modification des conditions de mise en œuvre du fonds de prévention des risques naturels majeurs (article L. 561-3 du code de l’environnement), par une prise en charge obligatoire par les compagnies d’assurance, ou encore par la création d’un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes les plus exposées.
Recommandation n° 20 : Établir un cadre juridique et financier pour indemniser les victimes des dommages matériels causés par les sargasses, y compris la corrosion des métaux sur les appareils électroniques et électroménagers, et la dépréciation des biens immobiliers. Il est recommandé de revisiter les conditions d’application du fonds de prévention des risques naturels majeurs pour inclure spécifiquement les dommages liés aux sargasses, ou d’explorer la possibilité de mandater les compagnies d’assurance pour couvrir ces risques.
2. Un risque sanitaire et environnemental majeur en matière de stockage en l’absence de filières crédibles de valorisation des sargasses
En dépit d’une activité intense de recherche menée depuis plusieurs années dans le domaine de la valorisation des sargasses, le rapporteur spécial constate, qu’à ce jour, aucune solution ne permettrait d’apporter un débouché viable et crédible en matière de valorisation et aucun projet n’est suffisamment avancé pour atteindre la phase industrielle ou de commercialisation.
● En effet, plusieurs freins majeurs rendent difficile la mise en place d’une véritable filière de valorisation :
– la contamination à l’arsenic (et en moindre mesure en chlordécone) engendre des coûts de traitement supplémentaires pour une efficacité pas encore pleinement démontrée ;
– la difficulté à fournir un approvisionnement stable (du fait du caractère fortement cyclique des arrivées de sargasses et de l’impossibilité de stocker les algues) et qualitatif (du fait d’un ramassage centré sur la collecte à terre qui ne permet pas de disposer d’un produit frais et sans apport extérieur) ;
– les risques économiques importants pour les entreprises (coûts élevés du prétraitement, risque de marché lié à la demande ou à la concurrence avec des produits existants de meilleure performance, modèle d’entreprise incertain en raison d’un manque de données sur la quantité des ressources par an) ;
– l’encadrement réglementaire de la sargasse, notamment pour les produits issus d’une filière de valorisation et à destination du marché européen. Ainsi, le Mexique a mis en place un dispositif de production de briques de construction composée à hauteur de 40 % de sargasses, qui ne pourrait probablement pas être réalisé en France du fait des forts taux d’arsenic dans les résidus compactés.
Plusieurs projets de recherche ont été soutenus par l’État et les collectivités territoriales au cours des dernières années sur différentes pistes thématiques : création de biomatériaux (plastiques, cartons, cosmétiques), compostage, méthanisation (faible quantité à cause de la présence du sel qui corrode les installations), pyrogazéification, matériaux de construction, combustion (taux de cendre trop élevé), création de biochar (pouvoir calorifique trop faible), épandage agricole et nutrition animale (déconseillé du fait de la présence d’arsenic et de sel).
À ce jour, aucun projet n’est prêt à passer à une phase de commercialisation. L’ADEME estime que la filière compostage a sans doute le niveau de maturité technologique le plus élevé (Technology readiness level de 7-8 = démonstration d’un prototype de système dans un environnement opérationnel), puis viennent les biochar, la méthanisation et les biomatériaux qui présentent des niveaux de maturité plus faible (TRL inférieurs de 5 à 7 = tests de prototypes dans un environnement tendant vers le réel).
SchÉma synthÉtique reprÉsentant les principales voies
de valorisation des sargasses explorÉes
Source : Agence de la transition écologique (ADEME).
En matière de valorisation des sargasses, le facteur limitant n’est ainsi pas tant le financement de projets de recherche mais plutôt l’absence d’attractivité (et de marché) pour les entreprises en mesure d’investir et industrialiser les procédés. Le rapporteur spécial estime que les futurs appels à projets de recherche de l’ANR devront être centrés sur le soutien aux projets démonstrateurs (plus coûteux). La participation de partenaires industriels des Antilles dans les projets pourrait être obligatoire pour parvenir à créer des filières de valorisation de ces algues avec la mise en place de pilotes, de démonstrateurs et une montée en niveau de maturité technologique.
● En l’absence de solutions crédibles en matière de valorisation, seuls la contention, la collecte et le stockage des algues dans les 48 heures après leur échouage sont réalisés. Dans ce contexte, le rapporteur spécial alerte sur la faiblesse des sites de stockage qu’il a pu constater sur le terrain (terrain nu sans aménagement particulier, parfois sur des terrains privés voire des espaces naturels, très souvent dans des conditions improvisées par l’urgence).
Cette situation peut conduire à déplacer les problèmes sanitaires et environnementaux et à paralyser à moyen terme les opérations de collecte. En effet, le transfert d’importantes quantités de sargasses en décomposition ou mélangées d’amendements marins, conduit à la diffusion de substance hautement toxique pour l’environnement.
Une étude de caractérisation de la sargasse réalisée par l’INERIS (projet SARGASS HP EMIS) et publiée en 2022 a permis de démonter à partir d’analyses chimiques que les échantillons d’algues fraîchement ramassés et les jus issus de la décomposition des algues pourraient être classés dangereux au sens de la réglementation « déchet », notamment du fait des concentrations très importantes en arsenic, qui représentent un potentiel toxique et écotoxique important. Leur forte salinisation et leur concentration en arsenic impliquent la destruction d’habitat potentiel pour les espèces y évoluant, et induisent un risque de contamination des eaux souterraines. L’étude préconise ainsi la mise en place d’installations en mesure de prendre en compte les lixiviats par la sélection de zones adaptées (peu pentues, éloignés des points d’eau, etc.), une gestion appropriée en aménagements préalables ou en réaménagement (clôturage, création de fossés pour éviter la dispersion des matières, traitement des eaux de lixiviation, etc.), afin de préserver les sols et limiter les ruissellements hors du site de stockage.
Le rapporteur spécial estime qu’il est dès lors indispensable de répondre aux enjeux techniques, financiers et environnementaux pour le stockage des algues collectées (fraîches ou après début de séchage et décomposition) et d’identifier les réponses techniques en matière de règles de stockage afin de proposer un schéma type des sites de stockage susceptible d’intégrer l’ensemble des contraintes propres à l’activité.
Il convient également d’établir sans délai une stratégie de stockage (nombre de sites, localisations au regard de l’impact environnemental) et de créer un encadrement ICPE adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux de ces algues. L’établissement d’un site pilote de stockage expérimental sur la commune du Robert en Martinique ou du futur site de Capesterre-de-Marie-Galante va dans la bonne direction, mais doit être très nettement accéléré pour traiter à très court terme la question de la gestion des lixiviats riches en arsenic et parfois pollués au chlordécone.
Recommandation n° 21 : Améliorer d’urgence les pratiques de stockage des sargasses pour répondre aux défis sanitaires et environnementaux posés, avec des aménagements adéquats pour prévenir la contamination des sols et des eaux souterraines en arsenic. Il convient dès lors d’établir sans délai une stratégie de stockage (nombre de sites, localisations au regard de l’impact environnemental) et de créer un encadrement ICPE adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux identifiés.
La mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion des crises du chlordécone et des sargasses en Guadeloupe et en Martinique révèle l’ampleur des défis en matière de santé environnementale auxquels sont confrontées ces régions. Ces crises, bien que distinctes dans leurs origines et manifestations, illustrent les conséquences profondes de l’intervention humaine dans l’environnement et la nécessité impérieuse de réponses publiques et territoriales adaptées.
Le chlordécone, un pesticide utilisé historiquement dans la culture de la banane, continue de présenter un risque majeur pour la santé publique, malgré l’interdiction de son utilisation depuis plus de 30 ans. La persistance de cette substance dans l’environnement met en lumière la nécessité d’une mobilisation soutenue et d’une réflexion approfondie sur les politiques d’utilisation de pesticides et de prévention de l’exposition des populations. De même, la crise des sargasses, exacerbée par des facteurs climatiques et anthropiques, requiert une stratégie robuste de gestion et de valorisation de ces algues pour prévenir les impacts sanitaires et économiques qu’elles induisent.
Face à ces enjeux, il est primordial que l’État, en collaboration avec les collectivités territoriales et la société civile, renforce son engagement en faveur de la santé environnementale. Cela implique de garantir non seulement une réponse immédiate aux crises, mais également de développer une stratégie à long terme basée sur la recherche scientifique, l’innovation technologique et une gouvernance environnementale améliorée.
En adoptant une approche intégrée, qui prend en compte la complexité des interactions environnementales et la spécificité des territoires, l’État pourra mieux protéger la santé des populations tout en préservant la biodiversité et la qualité des écosystèmes. Ce rapport devrait ainsi servir de base pour faire des territoires de Guadeloupe et de Martinique de véritables laboratoires sur la santé environnementale, leader en matière de recherche sur les pollutions et la santé, avec la création d’un Observatoire antillais de la santé environnementale.
Recommandation n° 22 : Instituer un Observatoire antillais de la santé environnementale en Guadeloupe et Martinique pour coordonner la surveillance, la recherche, et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses. Cet observatoire servira de plateforme pour rassembler les données, promouvoir des études scientifiques, et élaborer des stratégies préventives en matière de santé environnementale, renforçant ainsi la réponse aux enjeux sanitaires et environnementaux de ces territoires.
Lors de ses réunions de 17 heures et de 19 heures, le mercredi 29 mai 2024, la commission des finances a entendu M. Nicolas Sansu, rapporteur spécial des crédits Politique des territoires de la mission Cohésion des territoires, sur son rapport d’information sur les interventions territoriales de l’État au titre du plan Chlordécone IV et du plan Sargasses 2.
La commission a autorisé la publication du rapport d’information.
La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera prochainement consultable.
ANNEXE N° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par le Rapporteur spÉcial
(par ordre chronologique)
Agence pour la transition écologique (ADEME)
– M. Nicolas Soudon, directeur exécutif des territoires.
Direction générale de la santé (DGS)
– M. Grégory Émery, directeur général de la Santé.
Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA)
– M. Ronan Pierre, responsable de pôle innovation et produits.
Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA)
– M. Jean-Luc Izard, directeur ;
– M. Randy Nemoz, chargé de la lutte contre le non-recours et de la communication.
Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) *
– Mme Christine Dechesne-Ceard, directrice de la réglementation ;
– M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires.
Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER)
– M. Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint, pour les questions relatives au chlordécone ;
– Mme Marie-Pierre Halm-Lemeille, responsable de l’unité biodiversité et environnement de La Martinique, pour les questions relatives aux sargasses ;
– M. Vincent Rigaud, directeur du centre de Méditerranée et des départements d’outre-mer, pour les questions en lien avec le territoire.
Agence nationale de la recherche (ANR)
– Mme Anne-Hélène Prieur-Richard, responsable du département EERB.
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche — Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI)
Mme Corinne Borel, cheffe du service de la stratégie de la recherche et de l’innovation, adjointe à la directrice générale de la recherche et de l’innovation.
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES)
– M. Jean-Luc Volatier, adjoint au directeur de l’évaluation des risques de l’ANSES, responsable des « Observatoires, données et méthodes » ;
– Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles.
Ministère de l’intérieur et des outre-mer — Direction générale des outre-mer (DGOM)
– Mme Karine Delamarche, directrice générale adjointe des outre-mer ;
– M. Alain Carton, chargé de mission ;
– Mme Edwige Duclay, chargée de mission.
M. Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires — Direction générale de la prévention des risques (DGPR)
– M. Philippe Bodenez, chef de service ;
– Mme Emilie Hillion, cheffe du bureau santé environnement ;
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires — Direction de l’eau et de la biodiversité
– Mme Marie-Laure Metayer, adjointe de la directrice de l’eau et de la biodiversité.
Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)
– M. Luc Multigner, épidémiologiste et directeur de recherche à l’INSERM au sein de l’équipe Épidémiologie et science de l’exposition en santé‑environnement de l’Irset ;
– M. Xavier Coumoul, professeur de toxicologie et de biochimie à l’université Paris Cité ;
– M. Laurent Fleury, responsable du pôle expertises collectives de l’INSERM.
Ministère de l’intérieur et des outre-mer — Direction du management, de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur
– Mme Fabienne Balussou, directrice du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur ;
– M. Aurélien Adam, chef du bureau des moyens de l’administration territoriale au sein de la sous-direction de l’administration territoriale.
Association Phyto-victimes
– M. Antoine Lambert, président.
Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire — Direction générale de l’alimentation (DGAL)
– Mme Maud Faipoux, directrice générale de l’alimentation ;
– M. Quentin Guyonnet-Duperat, adjoint au sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments ;
– M. Niels Enslen, chargé d’étude.
Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire — Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)
– M. Philippe Duclaud, directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises au Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Comité de pilotage scientifique national chlordécone (CPSN)
– M. Guido Rychen, président ;
– M. Michel Samson, vice‑président ;
– M. Justin Daniel, vice-président ;
– Mme Magalie Jannoyer, chercheur senior, Cirad.
Cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer
– Mme Manon Delaune-Perriere, Directrice du cabinet
– Mme Noémie Gaddarkhan, Conseillère santé, protection sociale, éducation, jeunesse et sport
Parlementaires de Martinique et de Guadeloupe
– M. Johnny Hajjar, député ;
– M. Max Mathiasin, député ;
– M. Marcellin Nadeau, député ;
– M. Olivier Serva, député ;
– M. Jiovanny William, député.
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
ANNEXE N° 2 :
DÉplacement en Guadeloupe et en Martinique
25/03 – Jour 1 : Guadeloupe – Rencontres de l’ensemble des acteurs mobilisés sur le chlordécone et les sargasses
9h00-10h30 |
Table ronde avec les services de la préfecture :
M. Maurice TUBUL, sous-préfet, secrétaire général de la préfecture
M. François LETOUBLON, directeur adjoint de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF)
M. Luc SEGUIN, chargé de mission chlordécone (DAAF)
M. Matthieu LE GUERN, directeur adjoint de la mer (DM)
M. Gladys GARNIER, plan chlordécone (DM)
M. Jean-Yves BREHMER, plan Sargasses (DM)
M. Philippe POGGI, délégué à la recherche et à l’innovation (DRARI)
Mme Tiphaine DUVAL, chargée de mission chlordécone
|
10h30-12h00 |
Table ronde « santé » avec l’Agence régionale de santé, Santé public France et la CGSS de Guadeloupe
M. Laurent LEGENDART, directeur général de l’ARS de Guadeloupe
Dr Florelle BRADAMANTIS, directrice générale adjointe de l’ARS de Guadeloupe
Mme Meylanie BALOURD, cheffe du service santé et sécurité de l’environnement extérieur
Dr Mathilde MÉLIN, déléguée régionale adjointe de Santé Publique France pour les Antilles
Mme Annick MINATCHY-CELMA, ingénieur conseil régional responsable de ce dossier à la CGSS
Mme Tiphaine DUVAL, chargée de mission chlordécone
|
12h30-14h00 |
Rencontre avec la région de Guadeloupe :
Mme Sylvie-GUSTAVE DIT DUFLO, 4e Vice-Présidente, Présidente Commission environnement, eau et cadre de vie, Présidente du CA de l’OFB
|
15h30-16h30 |
Table ronde sur les sujets agricoles :
M. Tony LANCLUME, Directeur départemental de la SAFER de Guadeloupe
Mme Stéphanie JOCK, SANIGWA, groupement de défense et de soutien (GDS)
|
16h30-17h30 |
Table ronde avec les collectifs et les associations mobilisées sur le sujet du chlordécone :
M. Harry OLIVIER, Président du Collectif citoyen Guadeloupe
Dr Philippe VERDOL, Envie Santé
M. Andy URBINO, membre d’EnVie-Santé.
Dr Janmari FLOWER, Président, Association VIVRE
Dr Frédérique DULORME, URPS médecin libéraux
|
18h00-19h00 |
Rencontre avec le conseil départemental de Guadeloupe :
M. Jean DARTRON, VP, président de la commission Pêche, ports et aquaculture
M. Ferdy LOUISY, VP, VP de la commission Environnement, Solidarité énergétique et Prévention des risques
|
20h00-22h00 |
Dîner de travail avec M. le préfet et les parlementaires de Guadeloupe :
M. Xavier LEFORT, Préfet de Guadeloupe confirmé
M. Maurice TUBUL, sous-préfet, secrétaire général de la préfecture
M. Victorin LUREL, sénateur
Mme Solanges NADILLE, sénatrice
|
26/03 – Jour 2 : Martinique – Rencontres institutionnelles, focus sur les conséquences sur l’environnement et les activités économiques et rencontres avec différents collectifs de la société civile
10h00-12h00 |
Table ronde avec les services de l’État, l’Agence régionale de santé et Santé publique France :
Mme Monique LOWINSKI, secrétaire générale pour les affaires régionales adjointe et équipe chlordécone de la préfecture
M. Véronique MARTINE, directeur adjointe des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi
M. Jean-Rémi DUPRAT, directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt
M. Jean-Michel MAURIN, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement
M. Xavier NICOLAS, directeur de la mer
M. Julien THIRIA, directeur de la santé publique à l’ARS
M. Jacques ROSINE, responsable, direction des régions, cellule régionale Antilles Santé Publique France
M. Laurent MORILLON, délégué régional académique à la recherche et à l’innovation pour la Martinique — Professeur des Universités
|
14h00-15h00 |
Rencontre avec les représentants de la Chambre d’agriculture :
M. José MAURICE, Président de la Chambre d’agriculture de Martinique
M. Gilles MOUTOUSSAMY, chef de service à la CAM ;
M. Christian CARTESSE, président du groupement de défense sanitaire de Martinique
M. Philippe PELONDE, groupement de défense sanitaire de Martinique
|
15h00-16h15 |
Table ronde avec les associations d’agriculteurs sur les alternatives agricoles viables et les méthodes de décontamination :
M. Jonathan LORY, Organisation patriotique des agriculteurs de Martinique
Mme Viviane TONLI, Défense des intérêts des petits agriculteurs (DIPA) M. Reni GRANVISIR, Défense des intérêts des petits agriculteurs (DIPA) |
16h15- 17h30 |
Table ronde avec les collectifs et les associations mobilisées sur le sujet du chlordécone :
Mme Naéma RAINETTE-DUBO, Collectif Zéro Chlordécone
Mme Rosalie GASCHET Association pour la sauvegarde du Patrimoine martiniquais (ASSAUPAMAR)
M. Philippe PIERRE-CHARLES, Collectif Lyannaj Pou Dépolyé Matinik
M. Florent GRABIN, Pour une Martinique autrement (PUMA)
M. Yvon SERENUS, président du Collectif des ouvriers agricoles contaminés (COAC)
Mme Marie-Hélène MARTHE DITE SURELLY, ouvrière agricole et secrétaire générale du syndicat CGTM des ouvriers agricoles
Dr Josiane JOS-PELAGE, présidente de l’association médicale de sauvegarde de l’environnement et de la santé (AMSES)
|
18h00-19h00 |
Rencontre avec la Collectivité territoriale de Martinique :
M. Serge LETCHIMY, Président du conseil exécutif de Martinique
M. Jean-Philippe TRESIDENT, référent sargasses à la CTM
|
27/03 — Jour 3 : Focus sur la santé publique et la recherche
28/03 — Jour 4 : Moyens de lutte et de valorisation des sargasses
8h30-11h30 |
Visite d’un dispositif de gestion maritime et visite d’un site de stockage sur la commune du Robert :
1/ 8h30-10h00 : Embarquement à bord d’un navire pour visite de dispositifs de gestion en mer dans la baie du Robert : barrages anti-sargasses et moyens nautiques de collecte en action si présence de sargasses
2/ 10h15-11h30 : Visite du site de stockage actuel du Robert - M. Farell François-Haugrin, maire du Robert
- M. Bruno Lecomte, référent sargasses pour la ville du Robert
- M. Jean-Michel Cotrebil, président du Comité régional des Pêches et des Élevages Marins de Martinique, président du Parc Naturel Marin de Martinique
- M. Edward Porry, Société Somara
- M. Xavier Nicolas, Directeur de la mer
- M. Fabien Védie, Directeur du GIP sargasses
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12h00-13h30 |
Déjeuner de travail avec des élus concernés et l’Association départementale des maires de la Martinique :
M. Justin PAMPHILE, Président de l’ADMF de Martinique accompagné d’une délégation de maires touchés par le phénomène des sargasses
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14h00-15h30 |
Table ronde sur les services « État » mobilisés :
- M. Xavier Nicolas, Directeur de la mer
- M. Yannick Decompois, Directeur de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités
- M. Emmanuel Cloppet, Directeur régional de Météo-France
- M. Fabien Védie, Directeur du GIP sargasses
- M. Jean-François Mauro, Directeur régional de l’ADEME
- Mme Charlotte Gully, coordinatrice du pôle économie circulaire à l’ADEME
- M. Benoît Vittecoq, Directeur régional du BRGM
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15h30-17h00 |
Échanges avec les représentants de la CTM et des EPCI impliqués dans la gestion des Sargasses
M. David DINAL, Conseiller territorial Président de la commission Santé et Biodiversité M. Samuel TAVERNIER, Conseiller communautaire de la CAESM Jean-Philippe TRESIDENT, Référent Sargasses
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29/03 — Jour 5 : Rencontres sur le terrain avec les agriculteurs, les habitants et les pêcheurs de communes affectées
8h00-10h00 |
Le Lorrain |
Rencontre avec des petits planteurs de bananes sur l’exploitation de Kristian ZELELA au Lorrain
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10h30-12h00 |
Le Marigot |
Rencontre avec des habitants et les pêcheurs du Marigot victimes des nuisances liées aux algues sargasses
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12h30-14h30 |
Grand-Rivière |
Déjeuner à Grand-Rivière, en compagnie du Maire de la commune
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15h30-17h00 |
Le Lorrain |
Rencontre avec les responsables de l’association « Dlo mônn Kapo » au Morne-Capot dans la commune du Lorrain (problématique de l’eau)
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20h00 |
Fort-de-France |
Dîner avec M. Justin Daniel
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([1]) Rapport n° 1745 fait par M. Nicolas Sansu, annexe n° 8, Cohésion des territoires : Politique des territoires, 16e législature, Assemblée nationale, 14 octobre 2023.
([2]) Malcom Ferdinand, Une économie décoloniale, La chimie des maîtres (Martinique et Guadeloupe), 2019, édition Le Seuil, pages 181 à 192.
([3]) Malcom Ferdinand, Une économie décoloniale, La chimie des maîtres (Martinique et Guadeloupe), 2019, édition Le Seuil, pages 181 à 192.
([4]) Agreste, recensement agricole 2020, départements d’outre-mer, février 2022.
([5]) Articles L. 411-1 à L. 491-7 du code de la sécurité sociale.
([6]) Décret n° 2020-1463 du 27 novembre 2020 relatif à l’indemnisation des victimes de pesticides.
([7]) Déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République, sur la pollution à l’insecticide chlordécone aux Antilles, à Morne-Rouge le 27 septembre 2018.
([8]) Proposition de loi n° 1562 de M. Marcellin NADEAU tendant à la reconnaissance, à l’étude et à l’indemnisation des victimes du chlordécone et à la création d’un établissement public indépendant chargé de cette mission, Assemblée nationale, seizième législature, enregistrée le 20 juillet 2023.
([9]) Proposition de loi n° 245 de M. Elie CALIFER, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, visant à reconnaître la responsabilité de l’État et à indemniser les victimes du chlordécone, Assemblée nationale, seizième législature, 29 février 2024.
([10]) Haut conseil de la santé publique, Avis relatif aux recommandations sanitaires spécifiques en lien avec les émissions de gaz par les algues sargasses, 7 septembre 2023.
([11]) Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation environnement travail (ANSES), Expositions aux émanations d’algues sargasses en décomposition aux Antilles et en Guyane, Rapport d’expertise collective, mars 2017.
([12]) Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 15 juin 2022, 21-13.286.