N° 2706

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2024

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur l’évaluation de l’adaptation des logements
aux transitions démographique et environnementale

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Véronique Louwagie et Annie Vidal

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

I. UNE POLITIQUE QUI SE VEUT AMBITIEUSE ET QUI S’ORGANISE AUTOUR DE DEUX INSTRUMENTS : MA PRIME RÉNOV’ ET MA PRIME ADAPT’

A. MA PRIME RÉNOV’ : UN DISPOSITIF DOTÉ DE MOYENS IMPORTANTS, QUI SOUFFRE DE SA COMPLEXITÉ ET DE SON INSTABILITÉ JURIDIQUE

1. Des objectifs ambitieux et légitimes, malgré l’impossibilité de garantir des économies d’énergie réelles

a. La trajectoire de rénovation à long terme n’est pour l’instant pas respectée

i. Des objectifs ambitieux à l’horizon 2050

ii. Beaucoup de passoires thermiques, peu de rénovations globales

b. « L’effet rebond » ne doit pas empêcher d’isoler les logements

i. Certaines études relativisent l’intérêt des rénovations énergétiques

ii. D’autres arguments justifient une politique de rénovation énergétique ambitieuse

2. Une multitude d’aides faussement simplifiées

a. Deux régimes juridiques : les aides à la pierre et l’aide nationale

b. Le maintien parallèle des certificats d’économies d’énergie (CEE)

3. Des critères d’éligibilité complexes et changeants

a. La réforme de 2024 vise à recentrer les aides sur la rénovation globale

i. Un nombre de rénovations globales insuffisant et en baisse

ii. Restrictions à l’aide par geste et incitations à la rénovation globale

iii. Un reste à charge réduit et de mieux en mieux financé

b. Trop contraignante, la réforme de 2024 a été rapidement suspendue

i. Un surcroît de complexité dont les conséquences ont été mal anticipées

ii. Une neutralisation de la réforme en mars 2024

B. MA PRIME ADAPT’ : UN NOUVEAU DISPOSITIF PROMETTEUR

1. Une réelle simplification par rapport aux dispositifs préexistants, malgré le maintien partiel et en principe provisoire du crédit d’impôt

a. La fusion de trois aides très diverses

b. Le maintien jusqu’au 1er janvier 2025 du crédit d’impôt

2. Des critères d’éligibilité et un périmètre adéquats, des objectifs et des moyens cohérents

a. Une logique davantage préventive

b. Le choix des travaux éligibles laissé à un accompagnateur obligatoire

c. Des objectifs et des moyens en hausse

3. « MaPrimeAdapt’ » ne sera pas toujours la solution

a. Faut-il financer l’adaptation de logements structurellement inadaptables ?

i. L’adaptation des logements est en principe un investissement vertueux

ii. Logements inaccessibles et pertes d’autonomie irrémédiables : les limites de l’adaptation

b. La solution du parcours résidentiel devrait être davantage envisagée

i. Étendre la mission de conseil de l’accompagnateur aux alternatives à l’adaptation

ii. Développer les résidences autonomie et l’habitat inclusif

C. DES PROBLÉMATIQUES COMMUNES : L’OPACITÉ BUDGÉTAIRE, L’ACCOMPAGNEMENT ET L’ARTICULATION DES DEUX AIDES

1. Des budgets présentés en hausse, mais opaques et difficiles à tracer

a. L’absence de publication du budget de l’Anah : un problème de transparence

b. Rénovation énergétique : une complexité accrue par la multiplicité des circuits de financement et par les annulations et reports de crédits

i. Une unification budgétaire à opérer entre deux programmes distincts

ii. Un budget systématiquement surévalué, des crédits sous-exécutés et annulés en cours d’exercice

iii. Un possible détournement frauduleux des aides publiques

c. Adaptation des logements : un budget théoriquement en hausse

2. Une réflexion à mener sur le rôle de l’accompagnateur obligatoire

a. Adaptation des logements : un accompagnement indispensable

b. Rénovation énergétique : un accompagnement coûteux et dissuasif

i. L’accompagnateur de MaPrimeRénov’ a-t-il une valeur ajoutée ?

ii. Une étape obligatoire qui peut freiner l’accès aux aides

iii. Les usagers diligents devraient pouvoir déposer directement un dossier

3. Aller plus loin dans la logique du « guichet unique » et créer une vision d’ensemble de la rénovation des logements

a. Le guichet unique n’a pas permis d’unifier les démarches entre adaptation des logements et rénovation énergétique

b. Des passerelles à créer entre MaPrimeRénov’ et MaPrimeAdapt’

i. Prévoir un accompagnateur doublement agréé et la possibilité d’un dossier unique

ii. Créer des passerelles d’éligibilité entre les aides

iii. Étendre le « prêt avance rénovation » aux travaux d’adaptation

II. DES RÉFORMES À CONDUIRE POUR ENCLENCHER UNE RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE MASSIVE DES LOGEMENTS

A. DES OBSTACLES JURIDIQUES ET ADMINISTRATIFS À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DES LOGEMENTS

1. Définitions, normes, régimes d’aides : recentrer les critères sur les travaux réalisés et non sur l’étiquette obtenue

a. Une définition confuse de la « rénovation performante »

b. Rendre plus pertinents les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation globale

i. Des critères d’éligibilité trop rigides et inadéquats

ii. Une réforme nécessaire des critères d’éligibilité et du rôle de l’accompagnateur

2. La politique de préservation du patrimoine peut s’opposer à la rénovation énergétique des logements

a. Les ABF méconnaissent leur obligation légale de « tenir compte des objectifs nationaux de rénovation énergétique des bâtiments »

i. L’isolation par l’extérieur, plus efficace, modifie l’aspect des bâtiments

ii. Les ABF : une capacité de blocage à ne pas sous-estimer

iii. Une opposition systématique à l’isolation thermique par l’extérieur (ITE), sans doctrine rationnelle

b. Résoudre le conflit de normes entre politique énergétique et patrimoine

i. Établir une doctrine sur l’ITE de l’ancien pour chaque type de bâtiment

ii. Encadrer le pouvoir discrétionnaire des ABF

iii. Adapter les aides pour tenir compte du coût de l’isolation de l’ancien

c. Contrainte d’alignement : inciter les mairies à mieux anticiper et coordonner les ravalements à l’échelle de la rue

3. Les difficultés à la rénovation en copropriété insuffisamment prises en compte

B. LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE AU-DELÀ DES AIDES : INCITER PAR LA RÉGLEMENTATION

1. Faire appliquer l’obligation d’isolation au moment du ravalement

a. Des exceptions trop larges au principe, qui font du principe l’exception

b. Une obligation méconnue, sans réelle contrainte juridique

2. Interdiction de location des passoires thermiques : un dispositif efficace, mais source d’incompréhension et d’insécurité juridique

a. Les logements énergivores progressivement considérés comme « indécents »

i. Gel des loyers des passoires thermiques

ii. L’interdiction progressive des logements classés G, F et E à la location

iii. Une interdiction à l’habitation des logements classés F en 2028 ?

b. Un régime juridique peu clair

i. L’absence d’interdiction formelle de location des passoires thermiques

ii. Des exceptions trop larges à « l’interdiction » de louer

iii. Une situation juridiquement impossible pour les bailleurs

iv. De possibles comportements opportunistes de la part des locataires

c. Des réformes en cours qui ne résolvent pas la problématique juridique

i. La réforme en cours du DPE corrige un biais pour les petites surfaces

ii. Une proposition de loi intéressante, mais insuffisante, en cours de discussion

iii. Une réforme plus importante à conduire

3. Pousser à la rénovation des passoires thermiques au moment de l’acquisition

i. Une décote à l’achat des passoires thermiques et des effets d’aubaine

ii. Flécher la valeur de la décote vers la rénovation énergétique

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES

 


 

   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURES

Proposition n° 1 : Unifier les régimes juridiques des aides à la rénovation énergétique, en basculant la prime de transition énergétique (« MaPrimeRénov’ ») dans le régime des aides à la pierre, ou à l’inverse en intégrant les aides autonomes de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) au décret du 14 janvier 2020.

Proposition n° 2 : Pérenniser la prorogation du crédit d’impôt autonomie en faveur des ménages intermédiaires, aussi longtemps qu’aucune autre solution n’a été trouvée pour leur donner accès à MaPrimeAdapt’.

Proposition n° 3 : Ajouter une condition d’éligibilité à MaPrimeAdapt’ relative au potentiel d’adaptation du logement au regard de la situation de son occupant, et confier à l’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) la mission d’accompagner les personnes âgées dans leurs démarches auprès du département visant à intégrer un parcours résidentiel, quand l’adaptation du logement ne suffirait pas à permettre le maintien à domicile.

Proposition n° 4 : Rendre obligatoire la publication des documents budgétaires de l’Anah.

Proposition n° 5 : Mettre fin à la dualité budgétaire qui caractérise le financement des aides à la rénovation énergétique en déplaçant la dotation MaPrimeRénov’ du programme 174 vers une action spécifique du programme 135.

Proposition n° 6 : Détailler, dans le jaune budgétaire relatif à la rénovation énergétique des bâtiments, le budget et l’exécution de chaque aide à la rénovation énergétique.

Proposition n° 7 : Rendre facultative l’AMO, pour les aides à la rénovation énergétique, dès lors que les ménages présentent un dossier cohérent comprenant un audit énergétique et des devis conformes aux préconisations de cet audit.

Proposition n° 8 : Encourager les bénéficiaires à réaliser une rénovation d’ensemble, en prévoyant systématiquement que l’accompagnateur soit doublement agréé pour les ménages sollicitant MaPrimeAdapt’ et pour les personnes de plus de 70 ans sollicitant MaPrimeRénov’.

Proposition n° 9 : Donner la possibilité aux usagers de créer un dossier unique MaPrimeAdapt’ et MaPrimeRénov’ Sérénité, comme cela est déjà possible pour MaPrimeAdapt’ et Ma prime logement décent.

Proposition n° 10 : Créer des passerelles entre MaPrimeAdapt’ et MaPrimeRénov’, afin d’encourager la rénovation énergétique des logements à adapter et inversement :

– rendre les personnes éligibles à MaPrimeAdapt’ automatiquement éligibles à MaPrimeRévov’ Sérénité, sans condition de gain de performance, et donner la faculté à l’accompagnateur d’intégrer des travaux énergétiques au projet d’adaptation du logement ;

– rendre les ménages intermédiaires éligibles à MaPrimeAdapt’ à condition de réaliser en même temps une rénovation globale de leur logement.

Proposition n° 11 : Étendre le périmètre du Fonds de garantie pour la rénovation énergétique (qui deviendrait le « Fonds de garantie pour la rénovation de l’habitat ») aux travaux d’adaptation des logements, afin que ceux-ci soient éligibles au « prêt avance rénovation » dans les mêmes conditions que les travaux de rénovation énergétique.

Proposition n° 12 : Faire évoluer les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation énergétique :

– dissocier l’objectif d’isolation des bâtiments de l’objectif de performance du mode de chauffage ;

– supprimer le critère du « saut d’étiquette » au profit d’un critère fondé sur la pertinence intrinsèque des travaux réalisés ;

– octroyer l’aide à tout projet cohérent incluant l’isolation complète, en une fois, des façades et de la toiture, avec si nécessaire le traitement des lots associés (fenêtres, ventilation).

Proposition n° 13 : Majorer les plafonds de travaux en cas d’isolation par l’extérieur, afin d’inciter les bénéficiaires à isoler par l’extérieur plutôt que par l’intérieur.

Proposition n° 14 : Définir précisément dans une ligne directrice, opposable aux maîtres d’œuvre et aux architectes des bâtiments de France (ABF), l’étendue des contraintes patrimoniales relatives à la rénovation énergétique des logements : dire pour quel type de façades (matériaux, époque, état de conservation) l’isolation par l’extérieur est interdite, et pour quel type de façades elle est en principe autorisée, sous réserve de l’emploi de techniques adaptées aux caractéristiques du bâti.

Proposition n° 15 : Restreindre la compétence des ABF, en matière de travaux énergétiques modifiant l’aspect du bâtiment, aux seuls lots de travaux visibles depuis la rue, afin que l’isolation par l’extérieur des façades sur cour puisse être autorisée par la mairie sans consultation des ABF.

Proposition n° 16 : Prévoir des « bonus » adossés aux aides à la rénovation globale pour financer une partie du surcoût induit par les contraintes techniques et patrimoniales propres à l’isolation de l’ancien (fenêtres en bois ; réalisation d’un diagnostic patrimonial ; emploi de matériaux biosourcés).

Proposition n° 17 : Encourager les maires à utiliser toute la latitude que leur confère le pouvoir d’injonction de ravalement défini à l’article L. 126‑2 du code de la construction, afin que cet outil soit utilisé pour faciliter l’isolation par l’extérieur :

– modulation de l’injonction en fonction du projet de ravalement (laisser davantage de temps aux copropriétés souhaitant faire une rénovation globale) ;

– anticipation des ravalements à venir à l’échelle de la rue pour inciter les copropriétés concernées à se coordonner ;

– possibilité de délivrer des autorisations d’urbanisme communes à plusieurs copropriétés voisines afin de définir un nouvel alignement résultant de l’ITE.

Proposition n° 18 : Étendre la liste des travaux privatifs d’intérêt collectif, définie à l’article R. 173-10 du code de la construction, aux travaux de ventilation décentralisée et faire supporter par l’ensemble des copropriétaires le coût de ces travaux, quand ils ont été votés en application de l’article 25 f) de la loi du 10 juillet 1965 dans le but d’obtenir une aide collective.

Proposition n° 19 : Supprimer le critère d’éligibilité de l’aide aux copropriétés tenant à un gain de performance thermique, et garantir l’octroi de l’aide à tout projet de travaux incluant l’isolation complète de la toiture et des façades (sous réserve, côté rue, des contraintes d’urbanisme), la ventilation et le remplacement des fenêtres peu performantes.

Proposition n° 20 : Supprimer l’exception pour cause de contrainte technique à l’obligation de travaux embarqués prévue à l’article L. 173‑1 du code de la construction et de l’habitation, et réserver l’exception économique aux bâtiments de classe énergétique C.

Proposition n° 21 : Conditionner la délivrance d’une autorisation d’urbanisme relative à un projet de ravalement à la justification, par le demandeur, de la satisfaction de l’obligation de travaux embarqués, en faisant référence à cette obligation dans le texte fixant la liste des informations devant figurer dans la déclaration préalable (article R*431-55 du code de l’urbanisme).

Proposition n° 22 : Clarifier à l’article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989 dans quelles conditions le locataire peut s’opposer à des travaux de rénovation énergétique, signifiant ainsi son acceptation du statut énergétique de son logement, et considérer le cas échéant la réalisation de ces travaux comme motif légitime au sens de son article 25‑8 pour justifier le non-renouvellement du bail.

Proposition n° 23 : Préciser la portée de l’obligation d’effectuer les travaux de rénovation dans les logements énergétiquement indécents loués :

– afin de clarifier l’étendue de l’obligation pesant sur le bailleur, supprimer les exceptions inopérantes tenant à des contraintes architecturales, patrimoniales ou au statut de copropriété ;

– suspendre l’obligation si des démarches ont été entreprises (vote d’une maîtrise d’œuvre conception ou demande d’urbanisme) en vue d’effectuer une rénovation globale plus ambitieuse, avec isolation par l’extérieur.

Proposition n° 24 : Inciter les établissements bancaires, lors de l’acquisition de logements énergétiquement indécents, à vérifier que les acquéreurs de passoires thermiques aient toujours la capacité financière de réaliser les travaux de mise en conformité énergétique.


SYNTHÈSE



   INTRODUCTION

Le 20 octobre 2022, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail une évaluation de « l’adaptation des logements aux transitions démographique et environnementale ». Mesdames Véronique Louwagie (Les Républicains) et Annie Vidal (Renaissance) ont été désignées rapporteures.

Le Comité a décidé de solliciter l’assistance de la Cour des comptes, sur le fondement de l’article L. 132-6 du code des juridictions financières. La Cour des comptes a remis au CEC un rapport sur « Le soutien des logements face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population », auquel le présent rapport se réfère sous le nom de « rapport de la Cour des comptes », et dont les conclusions ont été présentées au Comité le 26 octobre 2023 par Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre.

La politique de rénovation énergétique des logements et la politique d’adaptation à la perte d’autonomie sont de prime abord très différentes : la rénovation énergétique est une politique qui a vocation à porter sur l’ensemble des logements ; elle justifie donc des subventions importantes, dont le bénéfice s’étend aux ménages aisés dans un objectif de massification ; à l’inverse, l’adaptation des logements ne poursuit pas une finalité universelle, mais elle dépend des besoins transitoires de l’occupant, et les aides publiques qui la soutiennent sont conditionnées à des critères de besoins (âge et perte d’autonomie) et de revenus.

Depuis cette année, ces deux politiques sont entièrement gérées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) selon une logique similaire. Elles s’appuient sur deux aides aux noms et au mode de fonctionnement analogues, qui ont été créées pour simplifier les dispositifs antérieurs : « MaPrimeRénov’ » et « MaPrimeAdapt’ ».

La première partie de ce rapport analyse les deux systèmes d’aides et leurs difficultés respectives, mais aussi leurs difficultés communes, liées à la gestion budgétaire peu transparente de l’Anah et à l’absence de véritables synergies entre les aides à la rénovation des logements.

La deuxième partie de ce rapport porte plus spécifiquement sur les freins juridiques et institutionnels à la rénovation énergétique : complexité, conflits de normes, textes réglementaires confus ou incohérents. Le rapport formule des propositions à la fois audacieuses et réalistes pour permettre la satisfaction des objectifs de long terme à moyens budgétaires constants.


I.   UNE POLITIQUE QUI SE VEUT AMBITIEUSE ET QUI S’ORGANISE AUTOUR DE DEUX INSTRUMENTS : MA PRIME RÉNOV’ ET MA PRIME ADAPT’

Les politiques de rénovation énergétique et d’adaptation des logements au vieillissement s’organisent principalement autour de deux aides distribuées par l’Anah : « MaPrimeRénov’ » et « MaPrimeAdapt’ ». Malgré une similitude d’appellation, ces aides sont très différentes dans leur esprit, leur finalité et leurs conditions d’éligibilité. Les nombreuses difficultés qui freinent le succès des aides à la rénovation énergétique (A) ne semblent pas concerner la nouvelle aide à l’adaptation des logements, qui est plus cohérente (B). Ces dispositifs ont en commun un défaut de transparence de leurs moyens budgétaires et un fonctionnement en silo qui ne favorise pas les synergies et les rénovations d’ensemble (C).

A.   MA PRIME RÉNOV’ : UN DISPOSITIF DOTÉ DE MOYENS IMPORTANTS, QUI SOUFFRE DE SA COMPLEXITÉ ET DE SON INSTABILITÉ JURIDIQUE

« MaPrimeRénov’ » est au service d’une politique ambitieuse de rénovation énergétique des logements, dont elle ne satisfait qu’imparfaitement les objectifs au regard du nombre insuffisant de rénovations globales (1). La complexité du dispositif, qui repose en fait sur plusieurs aides aux statuts juridiques divers, est la principale cause de ses résultats décevants (2). La réforme de 2024, qui devait en théorie recentrer l’aide sur les rénovations globales, a généré des effets de bord et contribué à aggraver les difficultés qu’elle devait résoudre (3).

1.   Des objectifs ambitieux et légitimes, malgré l’impossibilité de garantir des économies d’énergie réelles

La politique de rénovation énergétique des logements est un élément clé de la stratégie plus générale de décarbonation de la France (a). La trajectoire ambitieuse qu’elle a fixée doit être respectée même si l’amélioration de la performance énergétique des logements ne suffit pas à garantir une baisse en proportion de la consommation énergétique effective des ménages (b).

a.   La trajectoire de rénovation à long terme n’est pour l’instant pas respectée

i.   Des objectifs ambitieux à l’horizon 2050

La politique de rénovation énergétique des bâtiments s’inscrit dans le cadre de la « stratégie nationale bas carbone » (SNBC) instaurée par la loi n° 2015‑992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique.

La politique de rénovation des logements s’organise autour de deux axes :

– la diminution de la consommation énergétique des bâtiments pour atteindre le niveau « bâtiment basse consommation » ;

– la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de 95 % entre 2015 et 2050.

Le bâtiment représente actuellement 43 % des consommations d’énergie et 23 % des émissions de GES, dont les deux tiers sont imputables au logement.

Ces deux axes sont distincts, même s’ils ne sont pas complètement indépendants :

– la consommation énergétique d’un logement dépend de ses besoins de chauffage, déterminés à la fois par la performance de l’isolation et par l’efficience du mode de chauffage (rapport entre l’énergie consommée et la chaleur produite) ;

– les émissions de GES dépendent du type d’énergie utilisée par les équipements de chauffage : énergie électrique ou énergie fossile.

La « décarbonation » des logements consiste donc à remplacer les chaudières fuel et gaz par des pompes à chaleur, ce qui n’est pas suffisant pour réduire la consommation d’énergie si le logement n’est pas isolé. À l’inverse, une réduction des besoins énergétiques réduit mécaniquement les émissions de GES, même avec un chauffage ancien. Toute politique de rénovation énergétique devrait donc avoir pour priorité l’isolation des bâtiments.

La diminution de la consommation des logements devrait aboutir ([1]), en 2050, à ce que l’ensemble du parc ait atteint la catégorie « bâtiment basse consommation » correspondant à une consommation conventionnelle en énergie primaire inférieure à 80 kWh par mètre carré et par an, soit l’équivalent de l’étiquette A et du haut de l’étiquette B dans le système actuel de classes de performance énergétique. Selon l’Ademe, il faudra viser de manière plus réaliste l’étiquette A ou B pour 80 % à 90 % des logements, car il restera toujours une part incompressible de bâtiments anciens qui plafonnera à l’étiquette C.

ii.   Beaucoup de passoires thermiques, peu de rénovations globales

En cohérence avec cet objectif de long terme, le Gouvernement a fixé une trajectoire de 370 000 rénovations performantes par an d’ici 2030 puis de 700 000 par an jusqu’en 2050. Dans son dernier rapport annuel, le Haut Conseil pour le climat remarque que la trajectoire de décarbonation a été respectée sur la période 2019-2022, grâce à un déploiement rapide des pompes à chaleur (qui a permis une diminution de 2,4 millions de tonnes équivalent CO2 par an), mais le nombre de rénovations performantes reste insuffisant. En 2022, 66 000 rénovations performantes seulement ont été réalisées dans le cadre des aides publiques.

Selon les statistiques officielles de l’ONRE ([2]), il y avait l’an dernier 6,6 millions de passoires thermiques, dont 4,8 millions de résidences principales, sur un total de 37 millions de logements (dont 30 millions de résidences principales). Les logements A ou B, qui sont censés composer la totalité du parc en 2050, ne représentent aujourd’hui que 6 % des résidences principales (1,8 million de logements).

Nombre de passoires thermiques en 2022 et 2023

 

2022

part du parc

2023

part du parc

Logements F et G

(dont résidences secondaires)

7,2 millions

19 %

6,6 millions

18 %

Logements F et G

(résidences principales)

5,2 millions

17 %

4,8 millions

16 %

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de l’ONRE.

De manière générale, la part de passoires thermique est un peu plus basse dans les résidences principales que dans les résidences secondaires, mais plus élevée dans les résidences principales occupées par un locataire (20 % de passoires thermiques dans le parc locatif privé au lieu de 16 % en moyenne).

La baisse en 2023 de 380 000 du nombre de passoires thermiques en résidence principale est « à interpréter avec prudence », note l’ONRE, en raison « des effets de comportement tant des diagnostiqueurs que des propriétaires ». L’interdiction progressive de la location des passoires thermiques (voir infra, II‑B‑2) peut conduire les propriétaires à fournir quelques efforts pour gagner une étiquette et à réaliser les diagnostics après les travaux et non avant, ce qui fausse un peu les statistiques sur le nombre de passoires thermiques dans l’ensemble du parc. L’ONRE ne dispose pas, en effet, d’une vue d’ensemble de tous les logements du parc : l’estimation de l’état du parc à une date donnée correspond en fait à une extrapolation à partir des diagnostics réalisés dans les trois mois qui précèdent et qui suivent cette date (soit environ 1,5 million de DPE pour 37 millions de logements).

b.   « L’effet rebond » ne doit pas empêcher d’isoler les logements

Les estimations d’économies d’énergie résultent toujours d’un calcul « conventionnel », c’est-à-dire qu’elles sont calculées en fonction de certaines hypothèses relatives notamment à la température de chauffe. Un diagnostic de performance énergétique (DPE) ne fait que simuler, toutes choses égales par ailleurs, une consommation théorique avant et après travaux pour une température de consigne donnée. Mais la consommation réelle d’un logement dépend d’abord du comportement des occupants, sur lequel les pouvoirs publics n’ont pas de prise, en tout cas pas dans le cadre de la politique de rénovation des logements.

Cet écueil méthodologique fait dire à la Cour des comptes, dans un référé du 28 juillet 2022, que « les objectifs ambitieux de la politique de rénovation énergétique se traduisent par des résultats limités en termes de performance énergétique […] La définition des cibles comme la mesure des résultats de la politique de rénovation énergétique s’expriment le plus souvent par le nombre de logements rénovés et les dépenses publiques consenties, plutôt que par les quantités d’énergie économisées et d’émissions de gaz à effet de serre évitées, dont l’évaluation est insuffisante ou inexistante » ([3]).

Plusieurs études récentes ont néanmoins permis de comparer les économies d’énergie théoriques aux économies d’énergie réelles après rénovation énergétique. La connaissance des évolutions réelles de consommation va s’accroître grâce à la mise à disposition systématique des données (anonymisées) des fournisseurs d’énergie au Service des données et études statistiques (SDES) du ministère de l’environnement, prévue par un arrêté du 10 février 2023 ([4]).

i.   Certaines études relativisent l’intérêt des rénovations énergétiques

Dans une note de janvier 2024 ([5]), le Conseil d’analyse économique montre que le DPE tend à surestimer les écarts de consommation énergétique entre les logements performants et les passoires thermiques. L’écart réel de consommation entre un logement classé A ou B et un logement classé G est de 85 %, un chiffre important mais six fois inférieur à l’écart de 560 % prédit par le modèle du DPE.

Selon l’étude, les écarts entre consommations théoriques et réelles dépendent de deux variables : la surface des logements et les revenus des ménages.

Le DPE tend en effet à exagérer les besoins de consommation des petites surfaces, car il ne rapporte pas les besoins d’eau chaude sanitaire au nombre d’occupants mais au nombre de mètre carré. Ce biais va prochainement être résolu (voir infra, II-B-2-c-i).

L’ajustement du comportement des ménages, ou « effet rebond », c’est‑à‑dire la propension des ménages à augmenter la température de chauffe d’un logement isolé plutôt qu’à réduire leur consommation pour une température identique, est quant à elle corrélée à leurs revenus. Elle expliquerait les deux tiers de l’écart entre la consommation conventionnelle (théorique) et la consommation mesurée (réelle).

Dans une étude de 2018 portant sur un programme de rénovation énergétique de 30 000 logements dans le Michigan, des économistes américains ([6]) concluent que la rénovation énergétique n’a permis qu’une baisse de 20 % de la consommation énergétique, un résultat insuffisant pour amortir le coût des travaux. Une étude réalisée en 2020 en Allemagne ([7]) conclut, dans le même sens, que les 340 milliards d’euros d’investissements réalisés dans le pays depuis 2010 n’ont pas eu les effets escomptés sur la consommation énergétique réelle.

Notons néanmoins que ces études ont été conduites avant la forte inflation des prix de l’énergie, qui aura permis de tempérer « l’effet rebond » et de rendre les politiques d’isolation des logements d’autant plus pertinentes aussi bien d’un point de vue économique, environnemental, et géopolitique.

ii.   D’autres arguments justifient une politique de rénovation énergétique ambitieuse

Allant à rebours des études précédentes, un article de l’ambassadeur de France en Suède ([8]) montre le succès des politiques de rénovation énergétique dans les pays du nord de l’Europe exposés à des conditions météorologiques particulièrement rigoureuses.

Dans ces pays, les politiques de rénovation énergétique ont permis de considérablement diminuer les émissions de GES par rapport à d’autres pays européens, notamment la France.

comparaison des Émissions de co2 des logements en europe

Source : Julien Grosjean (2022), à partir des données de la Banque mondiale.

L’ambassadeur commente : « En sus des résultats excellents obtenus en matière de bilan carbone, la stratégie nordique s’est traduite par une souveraineté énergétique renforcée de la zone, laquelle présente aujourd’hui le taux d’indépendance énergétique le plus élevé d’Europe », 70 % contre 40 % en moyenne dans l’Union européenne.

Dans une étude récente ([9]), conduite à partir des 9 000 logements sociaux parisiens ayant bénéficié d’une rénovation énergétique dans les années 2010, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) montre que la rénovation énergétique a entraîné une baisse réelle de 28 % de la consommation énergétique moyenne ([10]), soit une économie pour les occupants de 250 € à 400 € par an. Si ces résultats doivent être nuancés par le fait qu’ils portent structurellement sur des logements très énergivores (avant travaux) et dont les occupants, aux revenus modestes, sont peu propices à « l’effet rebond », ils n’en demeurent pas moins encourageants.

Vos rapporteures considèrent que les arbitrages des ménages entre économies d’énergie et gain de confort thermique ne doivent pas affecter la trajectoire de la politique de rénovation énergétique des logements. Les objectifs de performance énergétique des logements et de sobriété énergétique des ménages doivent être dissociés et traités par des politiques différentes. La politique de rénovation énergétique des logements a pour objectif de réduire les besoins de consommation énergétique pour telle cible de température : c’est à une politique différente de s’assurer que les ménages respectent bien la température de consigne théorique de 19 ° C fixée par le code de l’énergie ([11]).

Une réduction de l’ordre de 30 % de la consommation énergétique réelle suffit déjà à justifier les objectifs ambitieux de rénovation énergétique fixés par la stratégie bas carbone. La politique de rénovation des logements ne dispensera pas de mesures d’incitation à la sobriété énergétique, mais la sobriété énergétique elle-même n’a de sens qu’au sein de logements suffisamment performants.

2.   Une multitude d’aides faussement simplifiées

En 2024, une réforme importante des aides publiques à la rénovation des logements entend « simplifier » les dispositifs désormais orientés autour de deux « parcours » : un parcours accompagné pour la rénovation globale (à un moment appelé « pilier performance »), et un parcours « par geste » pour le changement du système de chauffage des logements déjà isolés (à un moment appelé « pilier efficacité »). En réalité, cette réforme n’a pas changé l’organisation juridique des aides dont les dénominations n’ont jamais été aussi confuses.

a.   Deux régimes juridiques : les aides à la pierre et l’aide nationale

Malgré une unification apparente sous une dénomination commune, « MaPrimeRénov’ », les aides à la rénovation énergétique relèvent toujours de régimes juridiques, de programmes budgétaires et d’autorité d’instruction différentes.

Présentation des aides directes en faveur de la rénovation énergétique

Parcours

Dispositifs Anah

Public éligible

Instruction

Programme budgétaire

Parcours par geste pour la décarbonation du chauffage

MaPrimeRénov’
par geste

Ménages aux revenus très modestes (TMO), modestes (MO) et intermédiaires (INT)

Anah

P174 :
« Énergie, climat et après-mines »
(DGEC)

Parcours accompagné pour les rénovations d’ampleur

MaPrimeRénov’
Rénovation globale

Ménages aux revenus INT et SUP

MaPrimeRénov’
Sérénité

Ménages aux revenus TMO et MO

Délégations locales de l’Anah ou collectivités délégataires

P135 :
« Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat »
(DHUP)

Source : réponse commune de la DHUP, de la DGEC et de la mission de coordination interministérielle au questionnaire.

Les aides à la rénovation énergétique s’organisent depuis 2020 autour de deux pôles :

– Les aides créées par l’Anah d’abord, aussi appelées « aides à la pierre », dans un cadre prévu par l’article L. 301-2 du code de la construction et de l’habitation. Ces aides sont régies par des délibérations du conseil d’administration de l’Anah. Elles dépendent du programme budgétaire 135 et sont réservées aux ménages aux revenus modestes et très modestes. Elles soutiennent les projets de rénovation globale, avec accompagnement obligatoire. L’instruction se fait au niveau local par des délégataires de l’Anah qui sont soit des collectivités locales volontaires, ou à défaut les services déconcentrés de l’État. Ces délégataires ont la possibilité de moduler les aides en ajoutant des « primes » locales pour certaines prestations (recours à des matériaux biosourcés, diagnostics complémentaires…). Ces bonus locaux sont ensuite remboursés à l’Anah par les délégataires.

– La loi de finances pour 2020 a créé une « prime de transition énergétique » qui complète les aides à la pierre, orientées vers la rénovation globale, par une aide forfaitaire sans accompagnement obligatoire. Cette aide finançait essentiellement la rénovation « par geste », malgré la création en 2021 d’un forfait « rénovation globale » au demeurant peu incitatif et peu utilisé. Initialement réservée aux ménages modestes, dans l’esprit des aides à la pierre et notamment de l’aide « Habiter mieux agilité » qu’elle remplace, elle a été étendue par la suite à l’ensemble des ménages. Son régime juridique n’est pas fixé par des délibérations de l’Anah mais par des textes réglementaires, principalement le décret n° 2020‑26 du 14 janvier 2020. L’Anah est chargée de l’instruction pour le compte de l’État, sans pouvoir la déléguer au niveau local. Les crédits de l’aide sont prélevés sur le programme 174 et inscrits sur une ligne indépendante à l’intérieur du budget de l’Anah (voir infra).

En 2024, le forfait « rénovation globale » de cette aide nationale, réservé aux ménages INT et SUP, a été remplacé par une aide calquée sur les aides à la pierre (barème proportionnel et accompagnement obligatoire), sans mettre fin à la différence entre les deux systèmes d’aide.

Selon les revenus des ménages, le parcours « accompagné » pourra donc correspondre soit à une déclinaison de la prime de transition énergétique, instruite au niveau national avec des conditions d’éligibilité et un barème fixés par décret (ménages INT et SUP), soit à une aide autonome de l’Anah instruite selon une logique différente et dont les règles sont fixées par délibérations du conseil de l’Anah (ménages MO et TMO).

Le processus d’alignement de l’aide nationale sur les paramètres des aides à la pierre, en ce qui concerne la rénovation globale, a nécessité plusieurs modifications réglementaires – le décret a subi sept révisions en trois ans – sans aboutir à simplifier l’architecture juridique, toujours scindée entre deux corpus de textes qui évoluent dans le même sens mais de façon parallèle et selon un rythme différent. Cette dualité juridique entre « aides à la pierre » et aide nationale n’a plus beaucoup de sens alors qu’il s’agit désormais de la même chose.

Vos rapporteures souhaitent donc que le régime juridique des aides à la rénovation énergétique distribuées par l’Anah soit unifié.

Deux solutions pourraient être envisagées :

– La requalification de la prime de transition énergétique, comme aide à la pierre au sens de l’article L. 301-2 du code de la construction. Le décret du 14 janvier 2020 serait supprimé et la subvention instituée par ce décret intégrée aux délibérations de l’Anah. Cette solution aurait l’avantage de préserver l’autonomie de l’agence dans la définition des aides et rendrait possible la délégation au niveau local de la partie « INT et SUP » des aides à la rénovation globale.

– La nationalisation des aides à la rénovation globale bénéficiant aux ménages MO et TMO, et leur intégration au décret du 14 janvier 2020. Cette solution offrirait davantage de garanties de transparence et de qualité de la norme, puisque le décret, contrairement aux délibérations de l’Anah, doit être publié au journal officiel et ne peut être pris qu’après consultation du Conseil d’État. Cette solution serait aussi un gage de transparence budgétaire puisque les crédits correspondants devraient nécessairement figurer au budget de l’État, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (voir infra).

Sans se prononcer définitivement en faveur de la seconde solution, vos rapporteures observent que les délibérations de l’Anah sont particulièrement peu accessibles : elles ne sont pas classées en fonction du type d’aide (rénovation énergétique, adaptation des logements, etc.), mais en fonction de la situation du bénéficiaire (propriétaire occupant, bailleur, copropriétaire). Ainsi, les règles des aides à la rénovation énergétique sont exposées dans trois délibérations différentes ([12]) faisant chacune plusieurs dizaines de pages, auxquelles s’ajoutent les délibérations sur l’ingénierie, sur les avances et sur l’accompagnement obligatoire.

Proposition n° 1 : Unifier les régimes juridiques des aides à la rénovation énergétique, en basculant la prime de transition énergétique (« MaPrimeRénov’ ») dans le régime des aides à la pierre, ou à l’inverse en intégrant les aides autonomes de l’Anah au décret du 14 janvier 2020.

La dénomination des aides ne facilite pas la lisibilité des dispositifs. À l’origine, « MaPrimeRénov’ » est le nom courant donné à l’aide créée en 2020, officiellement appelée « prime de transition énergétique ». Mais l’Anah a par la suite renommé ses programmes « Habiter mieux » d’après ce vocable, pour former « MaPrimeRénov’ Copropriété » (2021) et « MaPrimeRénov’ Sérénité » (2022). Par capillarité, d’autres programmes de l’Anah ont été renommés sur ce modèle, « Habiter Facile » devenant « MaPrimeAdapt’ », « Habiter sain » et « Habiter serein » devenant « Ma prime logement décent ».

« MaPrimeRénov’ » désigne aujourd’hui, au sens strict, l’aide par geste créée par le décret du 14 janvier 2020, tandis que son pendant pour la rénovation globale s’appelle « MaPrimeRénov’ rénovation globale » et l’aide à la pierre correspondante « MaPrimeRénov’ Sérénité ». Deux autres aides à la pierre, assimilées au « parcours accompagné », existent pour les bailleurs (« Loc’Avantages ») et pour les copropriétaires (« MaPrimeRénov’ Copropriété »).

 

Aides à la pierre

Aide nationale

Textes juridiques

délibérations de l’Anah

décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020 et arrêtés

Programme budgétaire

135

174

Délégables au niveau local

oui

non

Nom des aides

- MaPrimeRénov’ Sérénité
  (parcours accompagné MO et TMO)

- MaPrimeRénov’ Copropriété

prime de transition énergétique, avec deux volets :

- parcours accompagné INT et SUP ;

- aide par geste (MaPrimeRénov’ au sens strict)

La Cour des comptes remarque que le fait d’employer la formule « MaPrimeRénov’ » pour toutes les aides « peut être source de confusion ». En outre, l’emploi récurrent du possessif (« ma » prime, « mon » accompagnateur Rénov’), les abréviations par apocope (« rénov’ », « adapt’ ») et la référence à un code couleur pour désigner les catégories de revenus (parcours bleu, jaune, violet, rose) relèvent de choix marketing qui ne contribuent pas davantage pour le grand public que pour les professionnels à la compréhension des termes utilisés.

b.   Le maintien parallèle des certificats d’économies d’énergie (CEE)

En plus des subventions à la rénovation énergétique, les ménages peuvent bénéficier sur leurs travaux de « certificats d’économies d’énergie » (CEE).

Les travaux de rénovation énergétique produisent des certificats que les fournisseurs d’énergie rachètent (soit directement au maître d’ouvrage, soit à l’entreprise ayant réalisé les travaux, qui les déduit de la facture) pour justifier de leurs actions en matière de réduction de la consommation énergétique. La « valorisation » des CEE auprès de ces entreprises impose aux ménages de constituer un dossier spécifique, indépendant du dossier Anah.

En 2024, les CEE ont été réintégrés aux aides à la rénovation globale (sauf copropriétés), comme c’était déjà le cas jusqu’en 2021 (avec Habiter mieux sérénité), mais pas à l’aide par geste.

Plusieurs observateurs proposent d’intégrer ([13]) le bénéfice des CEE à MaPrimeRénov’, pour éviter cette complexité accrue pour les ménages. La Cour des comptes note ainsi que « le maintien d’un système dual s’oppose en soi à l’ambition d’un guichet unique ».

Deux solutions seraient théoriquement envisageables : la valorisation des CEE par l’Anah pour l’aide « par geste » comme déjà pour le parcours accompagné, et la suppression pure et simple des CEE au profit des subventions publiques.

La valorisation des CEE par l’Anah pour l’aide par geste n’a pas été retenue. Justifiée pour la rénovation globale, en raison de la complexité des opérations (intervention de plusieurs entreprises) et de la présence d’un accompagnateur obligatoire dont la mission consiste précisément à monter le dossier d’aides, la valorisation des CEE par l’Anah pour l’aide par geste impliquerait pour l’agence un surcroît de complexité qui l’éloignerait de son cœur de métier.

La suppression des CEE serait une solution séduisante, car ce dispositif, comme le taux réduit de TVA, n’est pas conditionné aux revenus (même s’il existe un « coup de pouce » pour les ménages modestes) ni réservé aux résidences principales et ne permet donc pas de cibler ni les ménages ni les logements prioritaires. Mais les CEE disposent d’une logique propre, normée par le droit européen ; ils ont en outre une portée bien plus large que la rénovation des logements, couvrant par exemple l’électrification des véhicules.

À défaut de pouvoir supprimer les CEE, l’administration travaille à l’harmonisation des critères d’éligibilité entre les CEE et l’aide MPR par geste. Celle-ci ne pourra toutefois pas être complète, car les deux systèmes ont des logiques différentes. Ainsi, les pompes à chaleur air-air sont éligibles aux CEE parce qu’elles sont plus efficaces comme mode de chauffage qu’un convecteur électrique ; mais parce qu’elles sont surtout utilisées en mode « climatisation », alors qu’elles ne peuvent servir à la production d’eau chaude, contrairement aux pompes à chaleur air-eau, et parce qu’elles ne sont pas produites en France, il n’a pas été jugé pertinent de les subventionner dans le cadre de l’aide par geste.

La meilleure façon d’articuler subventions à la rénovation énergétique et CEE reste donc encore de circonscrire les cas de cumul en concentrant les aides publiques sur la rénovation globale. Tel est d’ailleurs le sens de la réforme de 2024.

3.   Des critères d’éligibilité complexes et changeants

Les aides à la rénovation énergétique étaient unanimement critiquées pour être orientées vers la rénovation par geste, peu efficace, au détriment de la rénovation globale. La réforme de 2024 a changé les critères d’éligibilité et les barèmes pour restreindre l’accès aux aides par geste et rendre les aides à la rénovation globale plus attractives. Mais la complexité des nouveaux paramètres a seulement eu pour effet de réduire la demande pour toutes les aides, si bien que la réforme de 2024 a rapidement été suspendue.

a.   La réforme de 2024 vise à recentrer les aides sur la rénovation globale

i.   Un nombre de rénovations globales insuffisant et en baisse

En 2022, le nombre de rénovations ayant bénéficié d’une aide publique s’élevait à 670 000, pour un montant d’aides de 3,1 milliards d’euros. Mais les rénovations globales ne représentaient que 66 000 logements (logements en copropriété compris) soit moins de 10 % du total, alors qu’il faudrait, selon l’Ademe, au moins 600 000 rénovations performantes par an pour atteindre les objets de la stratégie nationale bas carbone.

On observe que l’introduction de l’aide par geste a progressivement « phagocyté » l’aide à la rénovation globale, surtout depuis son ouverture aux ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs en 2021. Alors que l’aide par geste connaît une forte dynamique (dépenses multipliées par quatre en trois ans), l’aide à la rénovation globale décline depuis 2022 jusqu’à retrouver en 2023 son niveau de 2020 (470 millions d’euros).

L’année 2023 marque pour la première fois un recul non seulement des aides à la rénovation globale (- 11 % de logements aidés pour MPR Sérénité), mais aussi de l’aide par geste (- 20 % de logements aidés). Ce recul général des aides à la rénovation énergétique s’explique par le contexte économique (hausse des taux d’intérêt et inflation) et, en ce qui concerne plus spécifiquement l’aide par geste, par une diminution des barèmes pour – déjà – inciter les ménages à s’orienter vers la rénovation globale, en parallèle d’un « effet de saturation » de la demande (beaucoup de ménages ayant déjà remplacé leur mode de chauffage).

aides individuelles à la rénovation énergétique – statistiques

 

2020

2021

2022

2023

MPR Sérénité

 

(rénovation globale MO et TMO – hors aide bailleurs)

Nombre de logements aidés

58 000 ([14])

41 000

34 000

30 200

Montant moyen de la subvention

8 150 €

13 600 €

14 700 €

15 600 €

Montant total versé

470 M€

560 M€

503 M€

470 M€

Montant moyen des travaux réalisés

17 000 €

25 000 €

29 000 €

 

MPR

 

(aide par geste et forfait rénovation globale INT et SUP ([15]))

Nombre de logements aidés

141 000

658 000

629 000

505 000

dont monogestes

91 %

77 %

73 %

 

Montant moyen de la subvention

4 000 €

3 200 €

3 900 €

3 900 €

Montant total versé

570 M€

2 101 M€

2 462 M€

1 952 M€

Montant moyen des travaux réalisés

7 300 €

9 900 €

12 000 €

 

Source : CEC, à partir des données de la Cour des comptes complétés par les chiffres récents de l’Anah.

On observe également une montée en charge qualitative des deux dispositifs, qui se traduit par une hausse du montant moyen des travaux subventionnés (de 17 000 à 29 000 € pour la rénovation globale et de 7 300 € à 12 000 € pour la rénovation par geste) et par une hausse corrélative du montant moyen des aides versées (de 8 150 € à 15 600 € pour la rénovation globale et de 3 200 € à 3 900 € pour l’aide par geste ([16])). Ainsi, avant la réforme de 2024, on pouvait déjà constater que l’aide par geste finançait davantage de bouquets de travaux, la part de monogestes (dans trois quarts des cas, le simple changement du système de chauffage) passant de 91 % à 73 % entre 2020 et 2022.

Cela signifie bien que l’aide par geste s’est en partie substituée à l’aide à la rénovation globale, y compris pour les projets multitravaux, alors même que les aides aux rénovations globales étaient de plus en plus généreuses. Bien que financièrement moins attractive, l’aide par geste est une aide forfaitaire, dont le barème et les conditions d’éligibilité sont clairs et qui ne nécessite ni diagnostic ni accompagnement, dans l’esprit du crédit d’impôt pour la transition énergétique qu’elle a remplacé en 2020. La simplicité de l’aide est en soi un facteur de son succès.

Mais les rénovations par geste présentent peu d’intérêt à long terme, d’une part parce qu’elles portent en pratique sur le changement du mode de chauffage (72 % des dossiers entre 2020 et 2022) et non sur l’isolation, et que les gestes ainsi subventionnés ne sont pas les plus efficients, comme l’a remarqué France Stratégie ([17]), d’autre part parce qu’elles ne permettent pas de traiter les lots de travaux de manière cohérente. Une rénovation globale est essentielle pour éviter les déperditions au niveau des interfaces entre les parois (les « ponts thermiques »). Enfin, le coût d’un même bouquet de travaux est supérieur quand il est réalisé en plusieurs fois plutôt qu’en une seule : à long terme, la réalisation de monogestes est donc à la fois moins efficace et plus coûteuse.

La progression qualitative de l’aide par geste ne compense donc pas le déclin du nombre de rénovations globales, qui passe (hors aide copropriété) de plus de 45 000 en 2021 à moins de 34 000 en 2023.

Chute du nombre de rénovations globales
subventionnées par les aides de l’Anah

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données publiées par l’Anah.

C’est pourquoi la réforme du 1er janvier 2024 change de manière substantielle les modalités des aides dans le sens de la rénovation globale.

ii.   Restrictions à l’aide par geste et incitations à la rénovation globale

La réforme de 2024 restreint l’accès aux aides « par geste », tout en augmentant les plafonds des aides à la rénovation globale.

L’aide « geste par geste » est triplement restreinte :

– elle n’est plus accessible aux passoires thermiques ;

– elle n’est plus accessible aux ménages à revenus supérieurs ;

– elle est réservée au changement de chauffage (ou à d’autres gestes réalisés à l’occasion d’un changement de chauffage).

Cette réforme réserve donc aux rénovations globales les aides publiques, à l’exception des logements déjà relativement bien isolés mais chauffés au gaz ou au fuel, qui pourront bénéficier d’une aide pour passer à un mode de chauffage décarboné. Du même coup, la réforme étend aux ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs l’obligation d’accompagnement qui valait déjà dans le cadre de l’aide « sérénité » pour les ménages modestes.

En parallèle, l’aide à la rénovation globale voit les plafonds de travaux et les taux d’aide significativement augmenter. Pour les ménages MO et TMO, le barème déjà revalorisé à 50 % et 65 % en octobre 2023 ([18]), passe à respectivement 60 % et 80 % en 2024, même si la suppression du cumul avec les certificats d’économies d’énergie (voir supra) atténue l’effet de cette nouvelle hausse.

Le plafond de travaux, qui était de 35 000 €, passe à 40 000 €, voire à 55 000 € et à 70 000 € pour un gain de trois et de quatre étiquettes. Le bonus « BBC » (atteinte de l’étiquette A ou B) disparaît, puisque les travaux les plus ambitieux sont désormais valorisés par la gradation du plafond de travaux en fonction du nombre d’étiquettes gagnées, mais le bonus « sortie de passoire thermique » demeure non plus sous la forme d’un forfait (1 500 €) mais d’un bonus sur le taux de l’aide (+ 10 %), qui peut donc atteindre 90 % pour un ménage très modeste rénovant un logement en F ou en G.

Au total, le montant maximum de l’aide est multiplié par deux et demi (ménages MO et TMO), par trois (ménages INT) et quatre (ménages SUP). L’objectif de cette réforme est d’atteindre, en 2024, 120 000 rénovations globales (hors aide copropriété), au lieu de 34 000 en 2023, dont 70 % devraient concerner les ménages modestes et 30 % les ménages intermédiaires et supérieurs.

Comparaison des aides à la rénovation globale en 2023 et en 2024

 

 

Aides rénovation globale 2023

Montant maximum aide 2023

Aides rénovation globale 2024

Montant maximum aide 2024

TMO

(parcours bleu)

% aide

50 %

ou 65 %**

25 750 €

80 %

63 000 €

plafond travaux

30 000 €
ou 35 000 €*

de 40 000 €

à 70 000 €

bonus BBC

1 500 €

bonus sortie de passoire

1 500 €

10 %

MO

(parcours jaune)

% aide

35%

ou 50 %**

20 500 €

60 %

49 000 €

plafond travaux

30 000 €

ou 35 000 €*

de 40 000 €

à 70 000 €

bonus BBC

1 500 €

bonus sortie de passoire

1 500 €

10 %

INT

(parcours violet)

% aide

forfait 7 000 € ou 10 000 €*

12 000 €

45 %
ou 50 %***

35 000 €

plafond travaux

de 40 000 €

à 70 000 €

bonus BBC

1 000 €

bonus sortie de passoire

1 000 €

10 %

SUP

(parcours rose)

% aide

forfait 3 500 € ou 5 000 €*

6 000 €

30 %

ou 35 %***

24 500 €

plafond travaux

de 40 000 €

à 70 000 €

bonus BBC

500 €

bonus sortie de passoire

500 €

10 %

Source : Comité d’évaluation et de contrôle.

* à partir du 1er février 2023.

** à partir du 1er octobre 2023.

*** taux de l’aide majoré pour des sauts de trois ou quatre étiquettes.

Les nouveaux plafonds de travaux sont plus cohérents avec l’ambition d’encourager les rénovations globales, par nature plus coûteuses. L’ancien plafond de travaux, fixé à 35 000 €, était bien en deçà du coût réel d’une rénovation globale, que l’on peut situer ([19]) dans une fourchette moyenne de 60 000 € à 70 000 € (Ademe), même si le coût dépend d’abord de la surface à rénover et de la performance recherchée.

Reste à charge pour la rénovation performante en 2023 et 2024

Source : Institut de l’économie pour le climat (I4CE) (2023).

iii.   Un reste à charge réduit et de mieux en mieux financé

Ainsi, grâce à la réforme, le reste à charge n’est plus l’obstacle principal aux projets de rénovations énergétiques aidés.

Au demeurant, selon vos rapporteures, le principe d’un reste à charge est justifié. Même si la rénovation énergétique génère des externalités positives pour l’ensemble de la société, c’est d’abord le propriétaire du bien rénové qui en bénéficie, d’une part parce que cela augmente la valeur de son logement, d’autre part parce que le gain de performance réduit ses dépenses énergétiques futures. Il est donc normal que les propriétaires des logements à rénover contribuent au coût de la rénovation à mesure de leurs facultés financières.

Pour les ménages modestes et très modestes, en revanche, le reste à charge peut être un facteur bloquant. Deux outils de financement spécifiques à la rénovation énergétique ont été créés, dont le développement est une condition clé du succès de la politique de rénovation énergétique des logements.

L’éco-PTZ est un prêt à taux zéro qui peut être sollicité pour financer des travaux de rénovation énergétique. Il est proposé par les banques, qui sont rémunérées par un crédit d’impôt correspondant au taux d’intérêt de marché. Il est sans conditions de ressources, mais les banques sont libres de l’attribuer ou de le refuser en fonction de la solvabilité du demandeur. La Cour des comptes remarque qu’il bénéficie en pratique aux ménages à revenus intermédiaires (déciles 4 à 7).

Le nombre de dossiers pour l’éco-PTZ connaît depuis quelques années un certain engouement, à la faveur de la hausse des taux. Le nombre de dossiers validés est passé de 61 000 en 2021 à 105 000 en 2023. Ce succès s’explique aussi par les mesures de simplification qui ont allégé la charge administrative pour les banques. En 2022, l’éco-PTZ a été « couplé » avec MaPrimeRénov’, ce qui signifie que l’attestation d’éligibilité à MaPrimeRénov’ vaut automatiquement éligibilité à l’éco‑PTZ.

L’article 71 de la loi de finances pour 2024 prévoit trois nouvelles mesures qui devraient permettre d’amplifier encore la dynamique de l’éco-PTZ :

– l’augmentation du plafond à 50 000 € pour les rénovations globales (il reste à 30 000 € pour les rénovations partielles) ;

– l’ouverture de la distribution aux sociétés de tiers-financement ;

– le couplage entre l’éco-PTZ et MaPrimeRénov’ Copropriété.

Le prêt avance rénovation, créé en 2021 par la loi Climat résilience, est un prêt hypothécaire (sur le modèle du « prêt avance mutation ») garanti par l’État via le Fonds de garantie pour la rénovation énergétique. La garantie de l’État couvre 75 % de la perte de la banque en cas de défaillance de la garantie hypothécaire.

Comme un prêt viager hypothécaire, il s’agit d’un prêt in fine, c’est‑à‑dire que le remboursement du principal est effectué en une fois, au moment de la vente ou de la succession. Les intérêts peuvent être payés en même temps que le remboursement du principal, ou par mensualités.

Le prêt avance rénovation est réservé aux ménages modestes et au financement de travaux énergétiques (la condition de revenus devrait toutefois être supprimée). L’idée de ce prêt est de permettre aux ménages de s’endetter pour rénover et de différer le remboursement à la mutation, alors que les travaux auront augmenté la valeur financière du bien. Il offre plusieurs avantages : taux plus bas qu’un prêt hypothécaire classique, absence de frais de dossier et d’assurance emprunteur. Les plafonds d’emprunt et les travaux éligibles sont fixés par les banques qui choisissent de le proposer.

Malgré ses avantages, le prêt avance rénovation n’est quasiment pas utilisé. Depuis son lancement en 2022, on ne compte qu’une quarantaine de dossiers par an. La faible diffusion de ce prêt (seuls quelques établissements bancaires le proposent) et son coût, qui reste important – comme pour tous les prêts in fine – sont les principaux obstacles à son développement.

Afin d’encourager davantage de ménages à le solliciter, même s’ils ne disposent pas de trésorerie, la loi de finances pour 2024 a inclus les frais hypothécaires et les frais notariés dans le montant susceptible d’être couvert par l’emprunt.

b.   Trop contraignante, la réforme de 2024 a été rapidement suspendue

La réforme de 2024 n’a pas seulement revalorisé les barèmes des aides à la rénovation globale. En généralisant l’accompagnement obligatoire et en modifiant le critère de performance, elle a considérablement restreint leur accès.

i.   Un surcroît de complexité dont les conséquences ont été mal anticipées

Si l’accompagnement était déjà obligatoire dans le cadre de MaPrimeRénov’ Sérénité, réservée aux ménages modestes, cet accompagnement était pris en charge directement par les délégataires. Le nouvel accompagnement repose sur un tiers agréé, qui relève d’une structure à but lucratif et dont le financement n’est intégralement remboursé que pour les ménages très modestes, mais sans avance ni garantie (voir infra).

Le critère de performance, qui était exprimé en pourcentage (il fallait un gain thermique de 35 % ([20])) est désormais exprimé en gains d’étiquette, sauf pour l’aide aux copropriétés. Cette méthode apparemment plus simple produit des effets de seuil et des inégalités d’accès à l’aide en fonction du diagnostic de départ.

Seuils de performance énergétique

Source : synthèse par Effy.

Un logement ayant une consommation de 421 kWh par m² et par an devra réduire sa consommation de 91 kWh par m² et par an pour être éligible aux aides (atteinte de l’étiquette E), alors qu’un logement ayant une consommation de 420 kWh par m² et par an devra réduire sa consommation de 170 kWh par m² et par an (atteinte de l’étiquette D), ce qui correspond plutôt à un saut réel de trois étiquettes mais avec le plafond de travaux applicable à un saut de deux étiquettes.

Pour les logements bénéficiant d’un classement médiocre avant travaux, l’accès aux aides est bien plus difficile qu’avant la réforme. Ainsi, un logement ayant une consommation de 210 kWh par m² et par an, soit le milieu de l’étiquette D, devra réduire sa consommation de plus de 100 kWh pour être éligible aux aides, ce qui représente un gain de performance de 48 % plus exigeant que le critère de 35 % qui prévalait auparavant. Les logements classés C, quant à eux, devront atteindre l’étiquette A (soit un gain de performance qui peut être supérieur à 60 %) ce qui est souvent impossible pour des raisons tenant aux caractéristiques de l’immeuble.

En outre, la réforme du DPE de 2021, en mélangeant isolation et décarbonation, a également pu créer de la confusion et rendre plus difficile le gain d’étiquette pour les logements chauffés au gaz. Or le remplacement d’un système de chauffage au gaz n’est pas toujours possible (chauffage collectif) ni opportun (cas de l’installation récente d’une chaudière à condensation performante).

En ce qui concerne l’aide par geste, l’inéligibilité des passoires thermiques a eu pour conséquence non seulement d’exclure les passoires thermiques – c’était le but –, mais d’exiger des autres logements la fourniture d’un DPE comme preuve de leur éligibilité. Ce DPE est à la charge des ménages, y compris pour les plus modestes, et il représente un coût élevé et dissuasif en proportion du montant de l’aide sollicitée. Cet écueil aurait pu être évité en remplaçant la condition d’étiquette par une condition de revenus (réserver l’aide geste par geste aux ménages modestes et très modestes, y compris en passoires thermiques).

ii.   Une neutralisation de la réforme en mars 2024

Comme cela était prévisible, et comme cela avait d’ailleurs été prévu ([21]), le nombre de demandes a drastiquement baissé à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme. Au premier trimestre 2024, le nombre de dossiers de rénovations globales chute de 43 % par rapport au premier trimestre de 2023, qui était déjà décevant, pour atteindre le chiffre de 5 584 ([22]). Toutes aides comprises, le nombre de dossiers s’élève au 22 avril 2024 à 80 000 ([23]), alors que l’objectif de rénovations pour l’année est de 700 000.

Face à la situation, à l’issue d’une réunion entre le ministre de l’écologie, le ministre du logement et les deux grandes fédérations professionnelles, le Gouvernement a annoncé le 8 mars 2024 des mesures de « simplification » qui consistent en fait à revenir, au moins jusqu’en 2025, aux règles qui s’appliquaient en 2023. Ainsi, le décret n° 2024-249 du 21 mars 2024 revient entièrement sur la réforme de l’aide par geste, en levant les restrictions y compris pour les passoires thermiques.

Concernant l’accompagnement obligatoire, si la suppression temporaire de cette contrainte avait un moment été envisagée, il a finalement été décidé de la maintenir, en accélérant le processus d’agrément (en février 2024, 650 structures étaient en cours d’agrément). L’avis préalable des Comités régionaux de l’habitat et de l’hébergement (CRHH) sera ainsi supprimé.

La réforme de 2024, et sa suspension partielle trois mois après son entrée en vigueur, sont représentatives de l’instabilité juridique ([24]) des systèmes d’aides énergétiques et du caractère dommageable de mesures qui, présentées comme « simplificatrices », ne font en fait que détériorer la lisibilité des dispositifs et les conditions d’accès aux aides, sans bénéfice notable. En revenant à la situation antérieure, pour une période théorique de six mois, le décret du 21 mars 2024 cherche donc à réparer dans l’urgence les conséquences d’une réforme elle-même adoptée de manière prématurée et qui renforcera les difficultés qu’elle devait résoudre.

Si les fédérations professionnelles se sont félicitées de la suspension de la réforme de 2024, qui répondait à leurs demandes ([25]), il faut craindre que ce revirement soit contreproductif au regard de l’objectif initialement affiché, et que les ménages se détournent tout à fait de la rénovation globale au profit de travaux moins efficaces, certes moins subventionnés mais selon des modalités beaucoup plus simples, accentuant le phénomène de « phagocytage » des aides à la rénovation globales par les aides forfaitaires à la rénovation partielle.

Les travaux monogestes qui seront réalisés dans ce cadre pourront avoir pour effet d’améliorer les statistiques relatives aux passoires thermiques à court terme, mais ils n’auront aucune efficacité par la suite, puisqu’une rénovation performante nécessite dans tous les cas la reprise de la totalité de l’isolation (pour éviter les ponts thermiques) puis le changement du mode de chauffage (pour éviter un chauffage surdimensionné). La démarche consistant à subventionner « des monogestes plutôt que rien » peut donc être questionnée dans une perspective d’efficacité de la dépense publique.

Vos rapporteures formulent des propositions permettant de simplifier réellement l’accès aux aides à la rénovation énergétique sans renoncer à l’objectif de performance (voir infra, II-A-1).

B.   MA PRIME ADAPT’ : UN NOUVEAU DISPOSITIF PROMETTEUR

« MaPrimeAdapt’ » est le pendant adaptation des logements à la perte d’autonomie de « MaPrimeRénov’ Sérénité » pour la rénovation énergétique. La nouvelle aide, qui résulte de la fusion de plusieurs dispositifs, opère une réelle simplification et plusieurs changements de paramètres qui devraient lui permettre de remplir adéquatement ses objectifs. L’adaptation des logements ne représente toutefois qu’une réponse possible à la perte d’autonomie des personnes âgées, et il faudrait davantage envisager les cas où un logement n’est pas adaptable du fait de ses caractéristiques ou de la situation de l’occupant.

1.   Une réelle simplification par rapport aux dispositifs préexistants, malgré le maintien partiel et en principe provisoire du crédit d’impôt

a.   La fusion de trois aides très diverses

La démarche de « MaPrimeAdapt’ » est analogue à celle de « MaPrimeRénov’ » : en 2020, la prime de transition énergétique fusionnait une aide de l’Anah (Habiter mieux agilité) et un crédit d’impôt (le CITE) ; « MaPrimeAdapt’ » fusionne également une aide de l’Anah (Habiter facile) et un crédit d’impôt (le crédit d’impôt « autonomie »), qui comprenait lui‑même deux volets ([26]), ainsi qu’une aide de la CNAV (Habitat et cadre de vie).

Mais là où « MaPrimeRénov’ » a créé un surcroît de complexité, avec un deuxième niveau d’aide (une aide réglementaire s’ajoutant aux aides déléguées), MaPrimeAdapt’ simplifie grandement l’architecture juridique des aides et le parcours pour les usagers en supprimant un acteur, la CNAV, et le circuit de financement associé.

MaPrimeAdapt’ crée donc un point d’accès unique pour l’usager. Deux domaines restent toutefois en-dehors du périmètre de la nouvelle aide :

– le parc social, qui n’est pas dans le champ de compétence de l’Anah et continue de relever de la CNAV ;

– les aides locales des centres communaux d’action sociale (CCAS) ou des CAF, qui peuvent se cumuler avec les aides nationales.

MaPrimeAdapt’ simplifie également les critères d’éligibilité des aides antérieures, qui étaient épars et peu lisibles au regard de l’âge et du degré de perte d’autonomie et des conditions de ressources. Comme pour la rénovation énergétique, l’aide de l’Anah était réservée aux publics modestes, alors que le crédit d’impôt était universel ; l’aide de la CNAV était également réservée aux ménages modestes mais selon une grille propre ([27]).

MaPrimeAdapt’ harmonise les barèmes des aides antérieures et augmente les plafonds de travaux de façon importante.

Tableau comparatif des aides existant en 2023 et de MPA

 

Anah

(Habiter Facile)

CNAV

(Habitat et cadre de vie)

Crédit d’impôt autonomie

MaPrimeAdapt’

Âge minimum

60 ans

55 ans

sans condition d’âge (volet adaptation)

60 ans (si GIR)

70 ans (sans GIR)

Condition de GIR

attestation de perte d’autonomie

5 ou 6

1 à 4

(volet adaptation)

sans condition de dépendance (volet accessibilité)

Conditions de ressources

TMO

MO

TMO ([28])

sans

TMO

MO

Taux de l’aide

50 %

35 %

35 % à 65 %

25 %

70 %

50 %

Plafond de travaux

(hors taxes)

10 000 €

7 000 €

2 000 € à 3 000 €

(selon grille de revenus actualisée)

5 000 € ou 10 000 € (couples)

22 000 €

Montant maximum de l’aide

5 000 €

2 450 €

1 950 €

2 000 €

15 400 €

11 000 €

Montant moyen de l’aide

3 200 €

2 400 €

 

5 800 €

(prévisionnel)

Source : Comité d’évaluation et de contrôle.

Auparavant, les plafonds de travaux cumulés s’élevaient au maximum à 15 000 € pour une personne seule (10 000 € Habiter mieux et 5 000 € crédit d’impôt), il est désormais de 22 000 € quels que soient les revenus et le degré de dépendance.

Pour les ménages qui étaient déjà éligibles, la nouvelle aide devrait être financièrement globalement neutre. Les anciennes aides avaient des plafonds de travaux plus bas, et des barèmes facialement plus bas aussi, mais ces barèmes se cumulaient. Ainsi, les anciennes aides pouvaient couvrir la totalité ([29]) du coût de travaux s’élevant à 8 000 € et réalisés par un couple très modeste, alors qu’il sera limité au mieux à 70 % du coût des travaux (5 600 €) avec MaPrimeAdapt’.

La nouvelle aide est en fait avantageuse pour les travaux importants, au‑delà du seuil de 10 000 € qui était la limite des anciennes aides. Ces plafonds peuvent sembler élevés, alors que les travaux d’adaptation coûtent plutôt de l’ordre de 6 000 € à 8 000 €. Ces plafonds « généreux » contrastent avec ceux des aides à la rénovation énergétique, qui demeurent justes malgré leur récente augmentation, et ils traduisent la volonté d’étendre les travaux d’adaptation à des postes auparavant non pris en charge (tels que la domotique).

Le montant moyen prévisionnel de MaPrimeAdapt’ est de 5 800 €, c’est‑à‑dire l’équivalent, ou à peine plus, du cumul du montant moyen des anciennes subventions (3 200 € pour Habiter Mieux et 2 400 € pour l’aide de la CNAV), hors crédit d’impôt. Le nouveau dispositif est donc un peu plus avantageux pour les ménages aux revenus modestes et sans perte d’autonomie et, de manière générale, pour les ménages souhaitant réaliser des travaux importants ; il est moins avantageux pour les ménages qui effectueront des travaux peu importants et pour les ménages plus aisés, puisqu’il exclut désormais les ménages supérieurs et en principe les ménages intermédiaires.

Les nouveaux paramètres de l’aide privilégient donc les personnes dépendantes, dans une logique préventive (voir infra) et à l’inverse les personnes très dépendantes dont le maintien à domicile nécessitera des travaux d’envergure (domotique, lève-malades…).

b.   Le maintien jusqu’au 1er janvier 2025 du crédit d’impôt

Comme toutes les aides de l’Anah, MaPrimeAdapt’ est réservée aux ménages modestes et très modestes. La fusion des autres aides dans Habiter facile a donc exclu du dispositif les ménages intermédiaires et supérieurs qui ne bénéficiaient auparavant que du crédit d’impôt.

C’était précisément pour exclure les ménages aux revenus supérieurs, qui étaient à la fois les premiers bénéficiaires du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et ceux qui en avaient le moins besoin, qu’a été créée MaPrimeRénov’. Mais l’aide a été rouverte un an plus tard à ce public, avec des barèmes adaptés, au regard des enjeux d’intérêt général qui s’attachaient à la rénovation énergétique.

La problématique est un peu différente pour MaPrimeAdapt’, mais les hésitations sont les mêmes. Pour les ménages aux revenus intermédiaires, et particulièrement pour les déciles 5 et 6, le reste à charge peut être un facteur bloquant.

Alors qu’il était initialement prévu de supprimer complètement le crédit d’impôt, le Gouvernement a finalement décidé, par un arrêté du 30 décembre 2023 ([30]), de prolonger le crédit d’impôt jusqu’au 31 décembre 2025 au moins, pour les seuls ménages aux revenus intermédiaires. Par cohérence avec le dispositif MaPrimeAdapt’, une condition d’âge de 60 ans a également été instaurée qui n’existait pas dans l’ancienne forme du crédit d’impôt. En outre, les deux volets du crédit d’impôt (adaptation et accessibilité) ont été fusionnés.

La solution retenue ne semble de prime abord pas très satisfaisante. Alors que MaPrimeAdapt’ avait pour objectif de fusionner les aides, le maintien partiel et en principe provisoire du crédit d’impôt ne peut passer que pour une solution transitoire. Pourtant, la solution la plus simple et la plus rationnelle, qui serait de créer une troisième catégorie de revenus au sein de MaPrimeAdapt’, pour les ménages intermédiaires – comme cela vient d’être fait pour MaPrimeRénov’ – poserait d’autres types de difficultés. Si les travaux éligibles aux deux aides sont comparables ([31]), le montant maximal du crédit d’impôt n’est que de 1 000 €, un montant tout simplement trop faible pour justifier l’entrée dans un parcours avec accompagnement obligatoire.

MaPrimeAdapt’ illustre donc bien, comme MaPrimeRénov’, la difficulté de l’instauration d’un parcours unique accompagné, et l’arbitrage à faire entre un programme global et ambitieux, et un programme plus simple, « par geste ».

Une façon de se tirer de cette difficulté « par le haut » serait d’étendre pleinement l’aide à l’adaptation des logements aux ménages intermédiaires s’étant engagés en parallèle dans un parcours accompagné de rénovation énergétique globale de leur logement (voir infra, I-C-3). Dans l’immédiat, le crédit d’impôt semble être la meilleure solution pour ne pas exclure complètement les ménages intermédiaires de toute aide à l’adaptation.

Proposition n° 2 : Pérenniser la prorogation du crédit d’impôt autonomie en faveur des ménages intermédiaires, aussi longtemps qu’aucune autre solution n’a été trouvée pour leur donner accès à MaPrimeAdapt’.

2.   Des critères d’éligibilité et un périmètre adéquats, des objectifs et des moyens cohérents

Sur le fond, les anciennes aides faisaient l’objet de trois critiques :

– les aides étaient versées après la réalisation des travaux (et avec un an de décalage pour le crédit d’impôt) ;

– elles intervenaient trop tard, à un stade de perte d’autonomie déjà avancé ;

– aucun accompagnement des ménages n’était prévu, alors que le public visé était par définition plus fragile.

Le premier point a été résolu par la création d’un système d’avance, sur le modèle des aides de l’Anah à la rénovation énergétique. Pour répondre aux autres difficultés, la nouvelle aide est désormais dans une logique davantage préventive (a) et prévoit un accompagnement obligatoire (b) ce qui en fait une réponse convaincante par rapport aux objectifs fixés (c).

a.   Une logique davantage préventive

En 2023, la moyenne d’âge des nouveaux bénéficiaires des aides de l’Anah et de la CNAV était de 84 ans. L’adaptation était donc trop tardive : les personnes en perte d’autonomie demeuraient trop longtemps dans un environnement parfois dangereux, et ne profitaient pas assez longtemps des nouveaux équipements installés. La volonté du Gouvernement était d’inciter les ménages à adapter leur logement sans attendre qu’il soit « trop tard ».

Le passage à une logique préventive a toutefois suscité quelques débats interministériels. Faut-il adapter des logements « à l’aveugle », dans l’éventualité où l’occupant subirait une perte d’autonomie, alors qu’il n’est même pas sûr qu’il souhaite rester dans ce logement jusqu’à la fin de sa vie ? L’adaptation d’un logement est certes moins coûteuse qu’une rénovation énergétique, mais l’intérêt pour l’occupant suivant est moindre, du fait de son caractère personnalisé. La question se pose d’autant plus que l’aide est directement ouverte aux locataires – contrairement aux aides à la rénovation énergétique – lesquels sont davantage susceptibles de déménager.

Conformément aux recommandations du rapport Broussy, il a finalement été décidé d’ouvrir l’aide sans condition de perte d’autonomie aux personnes de plus de 70 ans, tout en maintenant une condition de début de perte d’autonomie (GIR 6) pour les personnes de 60 ans. Il s’agissait sans doute de la solution la plus équilibrée entre la nécessité d’adapter « en temps utiles » sans toutefois financer l’adaptation de logements « pour rien ».

Présentation des degrés de perte d’autonomie (gir)

Source : rapport de la Cour des comptes.

Il est permis de se demander si le nouveau dispositif permettra réellement l’abaissement de l’âge moyen de l’adaptation des logements, qui semble davantage être freinée par des obstacles psychologiques que par des questions d’éligibilité. D’après les premiers résultats qui ont été communiqués à la mission, il semble que la moyenne d’âge soit passée au début d’année en-dessous de 80 ans, ce qui est prometteur.

b.   Le choix des travaux éligibles laissé à un accompagnateur obligatoire

Même si le montant moyen de l’aide n’augmente pas de façon significative, l’élargissement des travaux éligibles, associé à la rehausse des plafonds, confère à l’aide un potentiel intéressant qui sera pleinement exploité dans le cadre de l’accompagnement obligatoire.

La nouveauté principale du dispositif consiste en effet à permettre à l’instructeur de décider d’inclure dans le projet subventionné des travaux qui n’étaient pas expressément prévus par la délibération de l’Anah, afin de le personnaliser en fonction des caractéristiques du logement et des besoins de son occupant. L’aide pourra donc couvrir presque tous les aménagements imaginables, à condition qu’ils aient du sens, qu’ils concernent le logement et qu’ils ne nécessitent pas d’abonnement pour fonctionner (ce qui exclut les bracelets anti‑chutes).

Les travaux éligibles comprendront donc, sans s’y limiter : le gros œuvre (démolitions de murs, élargissement d’un couloir ou d’une porte…), les aménagements intérieurs (cloisons, menuiseries), l’eau et l’électricité, les équipements sanitaires (évier, lavabo, douche, installation de WC adaptés…), les escaliers (nez de marche antidérapants, systèmes motorisés) et les travaux induits (pose de carrelage après la transformation d’une douche en baignoire, finitions…). Pourront également être inclus, à la demande de l’instructeur, la domotique et les équipements pour le personnel aidant.

Au regard du coût des travaux les plus courants, la hausse des plafonds de 10 000 € (ancienne aide de l’Anah) à 22 000 € laisse une latitude suffisante pour adapter la totalité du logement.

Principaux postes de travaux d’adaptation et coût associé

Pièce à adapter

Exemples de travaux

Coût moyen indicatif

Douche

Remplacement de la baignoire par une douche : dépose baignoire, pose du receveur et de la paroi de douche, revêtement mur et sol, plomberie et robinetterie ; aides techniques (siège de douche, barre d’appui).

de 4 000 € à 7 000 €

Toilettes

Inversion de la porte, pose d’un sol non glissant, rehausse, barre d’appui et mains courantes.

de 1 000 € à 2 000 €

Cuisine

Pose d’un sol non glissant, d’un nouvel évier et mitigeur, sécurisation de l’installation électrique.

de 3 500 € à 4 500 €

Chambre

Détecteurs de présence, chemin lumineux, volets roulants automatisés.

de 1 900 € à 3 700 €

Escalier

Pose d’un monte-escalier.

de 3 500 € (escalier droit) à 8 000 € (escalier tournant)

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de la DGCS.

S’il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer le succès de la nouvelle aide, ses paramètres semblent sur le papier correctement calibrés, et les difficultés éventuelles ne proviendront pas de conditions trop restrictives ou trop complexes, comme pour la rénovation énergétique. En revanche, s’agissant d’atteindre un public âgé, l’information, la pédagogie et la levée des freins psychologiques (sentiment de stigmatisation, appréhension des travaux en logement habité) pourront être des facteurs déterminants de l’activation de l’aide. À cet égard, le rôle d’information et d’orientation que conserve la CNAV sera décisif pour orienter les personnes âgées vers le nouveau guichet unique.

Présentation de la nouvelle aide à l’adaptation des logements

Source : « kit de formation » de MaPrimeAdapt’, publié par l’Anah.

c.   Des objectifs et des moyens en hausse

Selon un chiffre du rapport de l’Anah et de la CNAV de 2013, et qui est désormais couramment admis malgré son manque de fondements statistiques ([32]), 6 % du parc privé de logements serait adapté. Cela ne signifie pas que les 94 % restants aient vocation à être adaptés.

Le nombre de logements occupés par des personnes de plus de 60 ans s’élèvera en 2030 à 14 millions, dont 4,2 millions ([33]) seraient susceptibles d’entrer dans le cadre de l’aide (au regard de la condition d’âge ou de dépendance et de revenus). Indépendamment des conditions de revenus, il y aurait besoin d’adapter selon le Cerema ([34]) 2 millions de logements, dont 500 000 de manière urgente et prioritaire. Cette proportion de 2 millions de logements à adapter sur 14 millions est cohérente avec un sondage réalisé en septembre 2023 par l’Ifop, selon lequel 14 % des personnes de plus de 60 ans n’ont pas l’impression de vivre dans un logement adapté.

L’objectif de MaPrimeAdapt’ est de soutenir l’adaptation de 680 000 logements en dix ans, selon le calendrier suivant :

– 250 000 logements sur la période 2023-2027 (pour 2023 : aide de l’Anah et aide de la CNAV), soit en moyenne 50 000 logements par an pour un montant moyen annuel de 300 millions d’euros par an ;

– 430 000 logements sur la période 2028-2032, soit en moyenne 86 000 logements par an pour un montant moyen de 500 millions d’euros par an.

De manière réaliste, le Gouvernement a prévu une montée en puissance progressive du dispositif, étant donné notamment que les espaces Conseil France Rénov’ n’ont pas encore la capacité de traiter le flux de dossiers qu’il connaîtra en rythme de croisière.

La montée en charge progressive du dispositif Ma Prime Adapt’

Source : « kit de formation » diffusé par l’Anah.

La Cour des comptes affirme que les objectifs de MaPrimeAdapt’ ne représentent pas d’augmentation importante du nombre de logements adaptés : « L’objectif consistant à adapter 68 000 logements par an en moyenne est affiché alors que 50 900 dossiers avaient été financés en 2021 par l’Anah et par la Cnav […] Il en ressort que “MaPrimeAdapt” ne prévoit pas d’augmentation massive du nombre de logements à adapter. »

En réalité, le chiffre de 51 000 dossiers par an ([35]) auparavant traités ne correspond pas à un nombre équivalent de logements, puisque 70 % des dossiers financés par l’Anah l’étaient aussi par la CNAV. Selon la DHUP, le nombre de logements adaptés tous les ans par ces deux aides (sans compter le crédit d’impôt, peu significatif) était compris entre 33 000 et 34 000. Par rapport aux années précédentes, l’objectif d’adapter 45 000 logements en 2024 représente donc une hausse importante d’un tiers.

Comme en matière de rénovation énergétique, il convient toutefois de ne pas confondre objectifs affichés et résultats futurs. Si les moyens budgétaires ont été conçus pour atteindre ces objectifs, les aides à la rénovation relèvent d’une logique de guichet et rien n’indique que l’offre rencontrera la demande ; une évaluation de la trajectoire prévisionnelle en fonction des résultats passés serait plus réaliste qu’un « rétroplanning » à partir d’une cible souhaitée à dix ans qui ne repose sur aucun fondement objectif. Les sous-exécutions et les annulations de crédits en matière de rénovation énergétique en sont le rappel (voir infra). Aussi, vos rapporteures invitent à la prudence en matière d’annonces d’objectifs.

3.   « MaPrimeAdapt’ » ne sera pas toujours la solution

La politique ambitieuse d’adaptation des logements poursuit d’abord un objectif de santé publique et un objectif humaniste de respect de la volonté des personnes âgées. Elle est aussi rationnelle d’un point de vue économique, en permettant à l’État et à la sécurité sociale de diminuer leurs dépenses futures. Il n’en demeure pas moins que certains logements seront structurellement inadaptables ou que certaines personnes ne pourront rester durablement à domicile. Une doctrine plus claire devrait donc être adoptée pour décider dans quels cas financer l’adaptation des logements, et dans quels cas privilégier l’accompagnement des personnes dépendantes vers une autre solution.

a.   Faut-il financer l’adaptation de logements structurellement inadaptables ?

i.   L’adaptation des logements est en principe un investissement vertueux

Tout comme la rénovation énergétique, l’adaptation des logements est un investissement qui permet des économies à long terme, et notamment pour l’État, grâce à la réduction des coûts afférents aux chutes à domicile et à l’accueil en établissement. On compte tous les ans 1,6 million de chutes de personnes de plus de 85 ans à leur domicile, dont 130 000 entraînent une hospitalisation.

Dans une étude d’impact réalisée en 2023 ([36]), le cabinet Ernst and Young estime que MaPrimeAdapt’ aura un bilan neutre ou positif pour l’État. L’adaptation de 850 000 logements entre 2024 et 2033 génèrerait un coût pour les finances publiques de 6,2 milliards d’euros, dont 300 millions d’euros pour les collectivités locales et 900 millions d’augmentation du coût des financements publics des soins à domicile, et un montant équivalent de recettes ou d’économies.

Les adaptations de logements permettraient en effet d’éviter, en dix ans :

– 700 000 chutes représentant un coût de 1,7 milliard d’euros en soins de santé, à la charge de l’assurance maladie ;

– 3 milliards d’euros de dépenses sur le financement public de la prise en charge en établissement (supportée aux deux tiers par l’assurance maladie).

estimation du Bilan économique de l’adaptation des logementS (2024-2033)

Source : étude d’impact E&Y (2023).

L’adaptation des logements sera plus largement la source de nombreuses externalités positives, à commencer par la création d’emplois (jusqu’à 8 000 emplois créés sur la période selon l’étude).

La logique économique qui conduit à financer largement l’adaptation des logements, conduit aussi à s’interroger sur l’opportunité de rénover certains logements qui ne seront jamais véritablement adaptés, ou dont les occupants connaissent une trajectoire de perte d’autonomie qui les obligera tôt ou tard à s’installer dans une structure conçue pour leurs besoins.

Contrairement à la rénovation énergétique des logements, qui revêt un caractère d’intérêt général et augmente la valeur du logement à long terme, l’adaptation des logements au vieillissement n’est prévue que pour l’occupant en place et peut même dégrader l’attractivité du bien pour ses successeurs (suppression des baignoires, installation d’équipements indésirables pour les plus jeunes). La politique d’adaptation des logements ne peut pas présenter un caractère aussi universel que la politique d’isolation des logements.

ii.   Logements inaccessibles et pertes d’autonomie irrémédiables : les limites de l’adaptation

Selon l’étude d’impact précitée, la moitié des 14 millions de logements occupés (en 2030) par des personnes de plus de 60 ans est inadaptable.

La principale cause d’inadaptabilité est l’absence d’ascenseur, pour les appartements situés en étage élevé. Est-il pertinent, du point de vue des finances publiques et de la prévention des accidents, de financer la transformation d’une baignoire pour prolonger le maintien à domicile d’une personne en perte d’autonomie habitant un logement situé au 6ème étage et accessible uniquement par escalier ?

Il existe certes une aide distincte de l’Anah pour financer les travaux « tendant à permettre l’accessibilité de l’immeuble et portant sur les parties communes » ([37]). Cette aide finance en pratique l’adaptation des halls d’immeuble (installation de mains courantes, portes automatisées etc.), à hauteur de 50 % et jusqu’à 10 000 €, mais elle ne finance pas, à juste titre, l’installation d’ascenseurs. Non seulement l’installation d’ascenseurs, quand elle est possible, est très chère, mais l’aide ne peut être soumise à des critères d’éligibilité personnels (autonomie, âge ou revenus) pour limiter les effets d’aubaine, puisqu’elle est versée au syndicat des copropriétaires (comme MaPrimeRénov’ Copro).

Le caractère inadapté d’un logement peut aussi résulter de son environnement, par exemple si certains services essentiels (notamment médicaux) font défaut à proximité.

La question se pose enfin de l’opportunité de financer l’adaptation de logements occupés par des personnes à un niveau de dépendance tel qu’elles ne pourront de toute façon pas y rester. L’étude d’impact précitée souligne que le maintien à domicile a du sens pour les personnes faiblement dépendantes, mais qu’il ne présente financièrement pas d’intérêt pour les personnes fortement dépendantes (GIR 1 et 2) du fait des coûts supérieurs de l’aide à domicile, même si la situation dépend de chaque personne et de la cause de sa perte d’autonomie (physique ou mentale).

Le dernier rapport du Conseil de l’âge ([38]) montre que l’adaptation des logements et les différentes aides techniques financées par l’APA ne sont pas toujours suffisantes pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées ; dans ce cas, la « mobilité résidentielle » est la seule solution viable.

b.   La solution du parcours résidentiel devrait être davantage envisagée

i.   Étendre la mission de conseil de l’accompagnateur aux alternatives à l’adaptation

Les alternatives à l’adaptation des logements et au maintien à domicile ne sont pas suffisamment envisagées par les services instructeurs de MaPrimeAdapt’.

Il était initialement envisagé d’adjoindre au diagnostic réalisé au moment de l’entrée dans le parcours d’aide une « évaluation à 360° », sur le modèle des évaluations réalisées par la CNAV, qui aurait eu pour objet d’orienter la personne vers la solution la plus pertinente (maintien à domicile, déménagement). L’évaluation à 360° ayant été abandonnée, l’AMO pourra seulement inviter les personnes trop dépendantes à renoncer à leurs travaux au profit d’un parcours résidentiel. En pratique, la doctrine de l’Anah étant de ne jamais refuser l’aide pour des motifs d’opportunité, l’AMO se contentera de mettre en garde le bénéficiaire sur le caractère déraisonnable du projet d’adaptation, mais il ne pourra ni s’opposer au financement des travaux, ni l’aider dans ses autres démarches.

La Cour des comptes estime que cette situation n’est pas satisfaisante : « Alors que les réflexions initiales portaient sur un double accompagnement permettant en partie de palier les situations dans lesquelles les situations personnelles du demandeur ou du lieu d’habitation rendent les travaux inutiles, la seule assistance à maîtrise d’ouvrage semble clairement insuffisamment adaptée à cet objectif ».

La délibération de l’Anah devrait donc préciser dans quels cas, fondés sur des critères objectifs, compréhensibles et vérifiables (association d’un coefficient GIR et de caractéristiques structurelles du logement, par exemple l’absence d’ascenseur), l’aide aux travaux d’adaptation pourra être refusée. En cas de refus, l’AMO devrait pouvoir accompagner la personne dans ses démarches jusqu’à ce qu’une solution plus appropriée ait été trouvée.

Proposition n° 3 : Ajouter une condition d’éligibilité à MaPrimeAdapt’ relative au potentiel d’adaptation du logement au regard de la situation de son occupant, et confier à l’AMO la mission d’accompagner les personnes âgées dans leurs démarches auprès du département visant à intégrer un parcours résidentiel, quand l’adaptation du logement ne suffirait pas à permettre le maintien à domicile.

ii.   Développer les résidences autonomie et l’habitat inclusif

La question de la mobilité résidentielle se pose d’autant plus que les logements des personnes âgées sont souvent sous-occupés : les personnes âgées continuent de vivre dans leur maison après le départ de leurs enfants, laissant des chambres vides.

L’adaptation du logement est donc une réponse parmi d’autres à la question de l’anticipation des besoins résidentiels, qui devrait se poser dès la retraite. Comme le montre un récent rapport de l’IGAS ([39]), le virage domiciliaire peut aussi intégrer, au sens large, des alternatives au logement historique telles que les résidences autonomie ou l’habitat inclusif.

La thématique, encore peu connue, du logement inclusif a en particulier été traitée par Denis Piveteau et Jacques Wolfrom dans un rapport qui a fait date ([40]). Selon les auteurs, 23 % des personnes âgées de plus de 70 ans cherchent une alternative au maintien à domicile et au placement en établissement. L’habitat inclusif est alors une solution à privilégier.

L’habitat inclusif, ou logement « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) est en fait une colocation pour personnes âgées ou handicapées. Les habitants disposent de parties privatives (par exemple un studio) et d’espaces communs (salon, cuisine, salle à manger). Ils bénéficient de l’accompagnement d’un animateur appelé « porteur du projet de vie partagé » ([41]) qui veille à la participation à la vie collective et à l’insertion dans leur environnement des personnes âgées. L’habitat inclusif est donc une alternative à l’institution médico‑sociale, moins coûteuse et plus valorisante.

C.   DES PROBLÉMATIQUES COMMUNES : L’OPACITÉ BUDGÉTAIRE, L’ACCOMPAGNEMENT ET L’ARTICULATION DES DEUX AIDES

L’aide à l’adaptation et l’aide à la rénovation énergétique des logements présentent des similitudes qui font naître des problématiques communes. Ces aides sont portées par une même agence, elles ont pour objet de favoriser des projets coûteux justifiant un accompagnement obligatoire, et elles se voient assigner des objectifs ambitieux qui ne parviennent pas à être réalisés à cause de conditions d’éligibilité contraignantes. Dans les deux cas, la gestion budgétaire des aides par l’Anah est particulièrement opaque (1). La mission de l’accompagnateur obligatoire, indispensable dans le cas de MaPrimeAdapt’, l’est beaucoup moins pour MaPrimeRénov’ (2). Enfin, aucune articulation n’est prévue entre les deux aides, malgré des synergies potentielles qui pourraient les rendre plus attractives ensemble (3).

1.   Des budgets présentés en hausse, mais opaques et difficiles à tracer

Le montant et l’évolution annuels des dépenses en faveur des aides de l’Anah sont particulièrement difficiles à connaître. Ce défaut de transparence concerne les deux aides, mais il est d’autant plus vrai pour les aides à la rénovation énergétique qui dépendent de deux programmes budgétaires différents dont les crédits sont systématiquement sous-exécutés.

a.   L’absence de publication du budget de l’Anah : un problème de transparence

Le budget des aides à la pierre (aides à la rénovation énergétique, à l’adaptation des logements, à la lutte contre l’habitat indigne) est voté tous les ans par le conseil d’administration de l’Anah. Ce budget n’est pas public.

Les documents budgétaires annexes mentionnent seulement le budget global de l’Anah, sans présenter la ventilation entre les aides (pas même entre les aides à la rénovation énergétique et les autres types d’aide, comme MaPrimeAdapt’), l’exécution des crédits et la trésorerie de l’agence. Le « jaune » relatif aux opérateurs ne porte en outre que sur le budget initial, qui n’est pas à jour puisque ce budget est modifié au moins une fois en cours d’exercice (il a été modifié deux fois en 2023 et déjà une fois en 2024). Bref, les documents budgétaires ne permettent pas de comprendre l’évolution et l’utilisation des crédits.

Cette opacité est accrue par la multiplicité des ressources budgétaires de l’Anah, composées de deux subventions de l’État, sur deux programmes budgétaires différents, et de diverses ressources propres présentées dans le jaune budgétaire dans une catégorie non détaillée « autres produits ». Le budget de l’Anah est abondé principalement par le programme 135, mais aussi, en ce qui concerne la partie nationale des aides à la rénovation énergétique, par le programme 174, et par différentes ressources extrabudgétaires. En 2024, l’Anah disposera notamment :

– d’une subvention d’équilibre de 1 063 millions d’euros en crédits de paiement, prélevée sur le programme 135 ;

– d’une subvention de 2 092 millions d’euros en crédits de paiement exclusivement dédiée au financement de l’aide nationale à la rénovation énergétique, inscrite sur le programme 174 ;

– d’une part du produit issu de la mise aux enchères des quotas carbone ; le plafond de cette recette, qui était de 481 millions d’euros en 2022, a été rehaussé à 700 millions d’euros par an depuis l’exercice 2023 ;

– du produit de la valorisation des CEE. Cette recette sera très élevée en 2024 du fait de la valorisation des CEE par l’Anah dans le cadre des aides individuelles à la rénovation globale, mais son montant est imprévisible car il dépend du volume de travaux réalisés. Selon la réponse commune de la DHUP, de la DGEC et de la mission de coordination interministérielle, elle pourrait être de l’ordre de 800 millions d’euros en 2024 ;

– de sa propre trésorerie : l’Anah dispose d’une trésorerie importante, de 995 millions d’euros au 1er janvier 2024 ([42]), née de l’accumulation de crédits non consommés durant les exercices antérieurs.

Ainsi, la loi de finances ne permet pas de connaître les ressources ni le montant du budget annuel de l’Anah.

Vos rapporteures manifestent leur incompréhension face au refus de la directrice générale de l’Anah de leur communiquer le budget de l’agence, pour des raisons peu convaincantes. Aux termes de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme, qui a valeur constitutionnelle : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » ; or force est de constater que le budget de l’Anah constitue une « boîte noire » dont le contrôle échappe même aux parlementaires.

Vu les montants en jeu (plus de 6 milliards d’euros cette année), dans un contexte de déficit budgétaire, et alors que les crédits alloués à la rénovation énergétique font l’objet de sous-exécutions et de suspicions de fraudes (voir infra), la non‑publication du budget de l’Anah ne paraît pas justifiable.

Proposition n° 4 : Rendre obligatoire la publication des documents budgétaires de l’Anah.

La mission a finalement réussi à se procurer les documents budgétaires de l’Anah auprès de l’une de ses trois autorités de tutelle.

En 2024, le budget initial de l’Anah s’élève à 6,4 milliards d’euros, dont 6,2 milliards d’euros pour les aides elles-mêmes (dépenses d’intervention – la différence correspondant aux dépenses de fonctionnement ([43])), parmi lesquels 5,2 milliards d’euros sont consacrés aux aides à la rénovation énergétique.

Évolution du budget de l’anah 2023-2024

 

Budget initial 2023

Budget initial 2024

Budget rectificatif 2024

Évolution

Budget Anah

4,1 Md€

6,4 Md€

4,9 Md€

+ 800 M€

dont rénovation énergétique

3,3 Md€

5,2 Md€

3,8 Md€

+ 500 M€

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des documents budgétaires de l’Anah.

Ce budget représente une hausse d’environ 60 % par rapport à l’année précédente, même si les crédits de paiement n’augmentent que de 24 % par rapport au dernier budget rectificatif pour 2023, atteignant 3,8 milliards d’euros en 2024. Mais le budget rectificatif de mai 2024 a diminué le budget d’intervention de 1,5 milliard d’euros : le budget des aides à la rénovation énergétique n’est donc plus en hausse de 1,9 milliard d’euros, mais de 500 millions d’euros seulement, et la progression globale du budget de l’Anah en 2024 par rapport au budget initial de 2023 n’est que de 800 millions d’euros.

Évolution du budget d’intervention de l’Anah

Source : délibération 2023-57 du conseil d’administration de l’Anah (non publique).

D’après ce tableau synthétique, issu de la délibération votée par le conseil d’administration de l’Anah du 6 décembre 2023, le budget des aides à la rénovation globale est de 3 349,6 millions d’euros. Mais la somme des budgets détaillés, présentés dans un autre document, n’est que de 3 302,7 millions d’euros : 1 974 millions pour MPR Sérénité, 606,7 millions pour MPR Copropriété, 530 millions pour MPR rénovation globale, et 192 millions pour les bailleurs ([44]). Il reste donc un écart de 42 millions d’euros qui n’est pas immédiatement explicable.

budget de l’anah pour 2024, ventilation aide par aide

Source : délibération 2023-57 du conseil d’administration de l’Anah (non publique).

Le montant de l’aide pour les copropriétés (606,7 millions d’euros dans le tableau) est lui-même incohérent avec celui qui est décrit dans le corps du texte (613,8 millions d’euros).

b.   Rénovation énergétique : une complexité accrue par la multiplicité des circuits de financement et par les annulations et reports de crédits

Alors que les aides à la rénovation énergétique créées en application de l’article L. 301-2 du code de la construction (appelées « aides à la pierre ») sont financées par le budget interne de l’Anah, l’aide nationale créée par le décret du 14 janvier 2020 est financée par des crédits inscrits au programme 174 du budget de l’État, qui transitent par le budget de l’Anah où ils constituent une sous‑enveloppe distincte dite « fléchée ». Cette dualité budgétaire, source d’une grande complexité, renforce le défaut de transparence dû à l’absence de publication du budget de l’Anah et à la pratique des reports et annulations de crédits.

i.   Une unification budgétaire à opérer entre deux programmes distincts

La prime de transition énergétique (« MaPrimeRénov’ »), correspondant à l’aide par geste et à l’aide à la rénovation globale pour les ménages intermédiaires et supérieurs, est financée par une subvention versée par l’État (programme budgétaire 174) à l’Anah. Cette subvention est ensuite inscrite au budget de l’Anah, dans une sous-enveloppe limitative ([45]) qui décrit ces dépenses qui ne peuvent pas être utilisées pour les autres dépenses de l’Anah ([46]).

Or le montant de cette subvention « fléchée » n’est pas directement connu dans la loi de finances. Ses crédits sont mélangés, au sein de l’action 2 du programme 174, aux crédits du « chèque énergie », qui n’a aucun rapport avec la rénovation des logements.

Pour connaître le montant de la dotation de l’Anah, il faut donc regarder les documents budgétaires annexes, mais ces documents ne sont pas à jour des amendements adoptés pendant l’examen de la loi de finances. Le montant de la dotation, qui devait être de 2,7 milliards d’euros (AE) selon les projets annuels de performance (PAP) – sur les 3,6 milliards d’euros de l’action 2 – a en fait été diminué de 400 millions d’euros par un amendement du Gouvernement du 5 novembre 2023. Aucun document public ne mentionne le montant actualisé de la dotation budgétaire au bénéfice de l’Anah au titre de MaPrimeRénov’.

D’un point de vue administratif, cette dualité budgétaire implique également une double compétence de la DGALN (responsable du programme 135) et de la DGEC (responsable du programme 174), qui peut nuire à la fluidité de la transmission de l’information – comme vos rapporteures ont pu s’en apercevoir en audition – et à la mise en place d’un pilotage harmonieux, malgré l’existence d’une « mission de coordination interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments » spécialement créée pour coordonner ces deux administrations qui dépendent de deux ministères différents (écologie et énergie).

Toute mesure de simplification et de transparence passera nécessairement par l’unification budgétaire des crédits alloués à la rénovation énergétique des logements. En principe, tous les crédits budgétaires à destination de l’Anah relèvent du programme 135. L’adjonction de crédits sur le programme 174 résulte seulement du lien de filiation historique entre MaPrimeRénov’ et le crédit d’impôt pour la transition énergétique, qui dépendait de ce programme. Cette dualité budgétaire apparaît aujourd’hui comme une anomalie qui n’a plus guère de justification.

L’existence de deux programmes crée en outre des difficultés de gestion budgétaire. Actuellement, tout rééquilibrage de crédits entre l’aide nationale et les aides à la pierre nécessite un décret. Une bascule sur le programme 135 de la subvention fléchée du programme 174 faciliterait le pilotage budgétaire en permettant une fongibilité des crédits entre les aides. Cela serait d’autant plus utile que la réforme puis la contre-réforme de 2024 auront pour effet de transférer la demande des aides à la rénovation globale vers l’aide par geste, qui dépend exclusivement de l’aide nationale.

Proposition n° 5 : Mettre fin à la dualité budgétaire qui caractérise le financement des aides à la rénovation énergétique en déplaçant la dotation MaPrimeRénov’ du programme 174 vers une action spécifique du programme 135.

Le montant des aides à la pierre, quant à elles (MaPrimeRénov’ Sérénité et Copropriété), n’est même pas inscrit dans les documents budgétaires annexes puisqu’il est voté tous les ans (et en général modifié une ou deux fois en cours d’exercice) indépendamment de la loi de finances.

Le rapport du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2024 note : « Il est en l’état impossible, à partir des seuls documents budgétaires, d’avoir une vision claire de la répartition de l’ensemble des aides à la rénovation énergétique. Le Parlement connaît ainsi des difficultés majeures pour assurer le contrôle et le suivi des crédits destinés à la rénovation énergétique des logements. »

Les crédits autorisés et réellement exécutés de toutes les aides à la rénovation énergétique devraient donc être détaillées dans le « jaune budgétaire » relatif à la rénovation énergétique des bâtiments.

Proposition n° 6 : Détailler, dans le jaune budgétaire relatif à la rénovation énergétique des bâtiments, le budget et l’exécution de chaque aide à la rénovation énergétique.

ii.   Un budget systématiquement surévalué, des crédits sous-exécutés et annulés en cours d’exercice

Dans le détail, le budget initial pour la rénovation énergétique s’élève à 5,2 milliards d’euros, dont 3,3 milliards d’euros pour la rénovation globale et 1,9 milliard d’euros pour l’aide par gestes.

Évolution des budgets des aides à la rénovation énergétique (2022-2024)

Source : réponse commune de la DHUP, de la DGEC et de la mission de coordination interministérielle au questionnaire.

D’après le budget initial, les autorisations d’engagement totales des aides à la rénovation énergétique devaient augmenter de 1,9 milliard d’euros en 2024. Cette hausse devait être financée par une augmentation des crédits adoptés en loi de finances (+ 700 millions d’euros sur le programme 135), par les recettes des CEE et par la trésorerie de l’Anah (172 millions d’euros). Le montant de la subvention du programme 174 dédiée à MaPrimeRénov’ stagne en 2024, après avoir été multiplié par cinq entre 2020 et 2023 (avec le concours ponctuel, entre 2021 et 2023, des crédits exceptionnels en provenance du plan de relance inscrits sur le programme 362).

Évolution des crédits en faveur de l’aide « MaPrimeRénov’ » (AE)

Source : « jaune budgétaire » relatif à « l’effort financier de l’État en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments ».

Ces évolutions budgétaires, exprimées en autorisations d’engagement, ne correspondent toutefois pas à la réalité des dépenses. Le budget est calculé en fonction d’hypothèses optimistes sur le taux d’activation de l’aide par les bénéficiaires potentiels. L’Anah prévoit systématiquement une marge appelée « mise en réserve » d’un montant d’environ 800 millions d’euros en 2024.

En réalité, le budget énergétique de l’Anah est sous-exécuté depuis plusieurs exercices, car les aides ne rencontrent pas le succès prévu, en raison notamment de la complexité dissuasive des démarches. Cette sous-exécution a conduit l’Anah à accumuler une trésorerie importante, de plus d’un milliard d’euros en 2023. Désormais, en cas de sous-exécution, le Gouvernement préfère annuler les crédits de l’Anah au lieu d’alimenter la trésorerie de l’Anah.

Deux annulations d’un milliard d’euros de crédits ont eu lieu successivement en novembre 2023 et en février 2024 :

– la loi de fin de gestion pour 2023 annule environ 400 millions d’euros en AE et 1 milliard d’euros en CP sur la subvention du programme 174 ;

– le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 annule 950 millions en AE et 1 300 millions d’euros en CP sur le programme 174, dont 800 millions en AE sur la subvention MaPrimeRénov’, et 380 millions d’euros en AE et en CP sur le programme 135.

Ces annulations de crédits sont symptomatiques de l’opacité des financements des aides à la rénovation énergétique. L’annulation de crédits de l’automne 2023 correspond en partie à une sous-exécution budgétaire (300 millions d’euros) ([47]), au versement de crédits résiduels du plan de relance (300 millions d’euros) et à l’utilisation de la trésorerie de l’Anah à la place des crédits adoptés pour l’année en cours (400 millions d’euros). Le rapport de la commission des finances du Sénat commente : « cette diminution des crédits sur le programme 174 illustre une nouvelle fois la complexité, qui confine à l’illisibilité, des financements consacrés à MaPrimeRénov’. »

L’annulation de crédits sur le programme 135 de février 2023 diminue la subvention d’équilibre de l’Anah, qui n’est pas fléchée. La ventilation de cette diminution entre les différentes aides a été actée dans un budget rectificatif adopté par le conseil d’administration de l’Anah du 7 mai 2024 ([48]), qui n’est pas public.

Prenant acte de l’échec des aides à la rénovation globale au premier trimestre 2024, l’Anah a décidé d’annuler 600 millions d’euros d’autorisations d’engagement sur les aides à la pierre, un montant supérieur à celui de l’annulation de crédits sur le programme 135 (380 millions d’euros). Ce décalage entre les flux budgétaires et les flux de trésorerie internes à l’Anah illustre une fois de plus l’opacité des financements des aides à la pierre et la déconnexion entre les budgets votés et les dépenses réalisées.

MODIFICATION du budget des aides à la pierre par le budget rectificatif
du 7 mai 2024

Source : délibération 2024-12a à 12c du conseil d’administration de l’Anah (non publique).

Au total, les annulations de crédits budgétaires au profit de l’Anah s’élèvent en 2024 à plus d’un milliard d’euros. Elles seront imputées sur le montant des réserves établies dans le cadre du budget initial.

La pratique des annulations de crédits en cours d’exercice, si elle est légitime pour faire davantage correspondre les allocations budgétaires à la réalité de l’exécution, soulève des interrogations à propos de la signification du budget préalablement soumis au Parlement. De toute évidence, les crédits adoptés en faveur de la rénovation énergétique sont constamment et délibérément surévalués (c’est ce qui forme la réserve de précaution), ce qui discrédite les annonces de hausse budgétaire et empêche de suivre l’évolution réelle des moyens financiers consacrés à cette politique.

iii.   Un possible détournement frauduleux des aides publiques

Les interrogations sur l’utilisation réelle des crédits consacrés à la rénovation énergétique sont également nourries par des soupçons de fraudes récurrentes et massives. Un article récent des Echos ([49]) révèle que Tracfin aurait signalé au ministre des comptes publics des suspicions de fraudes pour un montant de 400 millions d’euros. Ce montant ne concernerait que l’année 2023 ([50]). Si ces informations sont exactes, les détournements frauduleux représenteraient 15 % des crédits exécutés l’an dernier.

Ces fraudes peuvent revêtir différentes formes : utilisation de fausses identités, entreprises sans activité économique réelle, faux justificatifs, fausses factures (surévaluation des surfaces isolées, de la performance des travaux), travaux non réalisés…

Aux fraudes aux aides énergétiques s’ajoutent les infractions au droit de la consommation, au détriment des propriétaires : pratiques commerciales trompeuses, informations erronées, démarchage illicite, recours à la sous-traitance de professionnels ne disposant pas du label RGE… La DGCCRF relève un taux d’anomalie annuel compris entre 49 % et 56 %, ce qui signifie qu’environ une entreprise contrôlée sur deux est en défaut.

Le Gouvernement a annoncé en mars 2024 un renforcement des contrôles par la création d’une base de données commune (non publique) des chantiers et des contrôles réalisés et par une augmentation du taux de contrôle sur les entreprises avec un fort volume de chantiers aidés. Un projet de loi visant plus généralement les fraudes aux aides publiques est attendu à l’automne 2024.

c.   Adaptation des logements : un budget théoriquement en hausse

Ces remarques valent également, mais dans une moindre mesure, pour les aides à l’adaptation des logements.

Dans son rapport remis à l’automne au Comité d’évaluation et de contrôle, la Cour des comptes s’étonne que le projet de loi de finances ne prévoie aucun financement pour « MaPrimeAdapt’ » : « La Cour relève que cette nouvelle politique publique n’a fait l’objet, à ce stade, d’aucun exercice de programmation budgétaire. L’exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2024 fait mention du dispositif “MaPrimeAdapt”, mais reste muet sur les dévolutions budgétaires afférentes. »

Le PAP relatif au programme 135 mentionne une « subvention à l’Anah pour l’adaptation des logements au vieillissement » d’un montant de 67 millions d’euros, mais une telle subvention n’existe pas puisque la seule subvention prévue par le programme 135, d’un montant de 1 063 millions d’euros en 2024, est versée au budget général de l’Anah sans être fléchée vers telle ou telle dépense.

Le montant de 67 millions d’euros est d’ailleurs sans rapport avec l’ambition affichée de rénover 45 000 logements en 2024 pour un montant d’aide moyen d’environ 6 000 € (soit un coût de 261 millions d’euros). La même problématique vaut donc pour « MaPrimeAdapt’ » aussi bien que pour les aides à la rénovation énergétique : le budget réel n’est pas inscrit dans les documents budgétaires, mais dans le budget de l’Anah, qui dispose de ressources propres et qui n’est pas public.

En 2024, le budget de l’Anah consacre 263 millions d’euros à « MaPrimeAdapt’ », ce qui est cohérent avec la cible de logements à rénover. L’évolution budgétaire par rapport à l’année précédente nécessite de comparer ce montant au coût des aides fusionnées.

Exécution des AE relatives aux aides à l’adaptation des logements

 

2021

2022

2023

Habiter Facile (Anah)

(hors copropriétés)

crédits (AE)

87

95

95

nombre de logements

26 200

27 100

25 400

Habiter et cadre de vie (CNAV)

(hors parc social)

crédits (AE)

50

55

49

nombre de logements

24 800

24 000

18 800

Crédit d’impôt autonomie

crédits (AE)

42

50

ND ([51])

nombre de ménages

53 900

59 300

total

179 M€

200 M€

Source : Comité d’évaluation et de contrôle, à partir des données de la DHUP.

En 2022, les trois aides fusionnées par MaPrimeAdapt’ ont représenté un coût de 200 millions d’euros, pour environ 33 500 logements adaptés.

L’objectif de 45 000 logements adaptés en 2024 correspond à 11 500 logements de plus, pour un coût moyen d’aide de 5 800 euros, soit un « surcoût » de 67 millions d’euros. Le montant de 67 millions d’euros mentionné dans le PAP du programme 135 correspond donc à l’estimation du coût pour les finances publiques lié à la création de MaPrimeAdapt’.

En réalité, le besoin de financement complémentaire de l’Anah sera plus important, car l’Anah devra aussi prendre en charge les dépenses auparavant supportées par la CNAV. En 2023, le budget initial de l’Anah prévoyait 144 millions d’euros en AE pour Habiter facile ; le budget 2024, de 263 millions d’euros, représente donc un saut de 119 millions. Ces dépenses devraient être engagées en 2024 mais les décaissements s’étaleront sur plusieurs exercices.

Le montant total des aides à l’adaptation des logements (hors parc social) en 2024 s’élèverait donc à 263 millions d’euros pour MaPrimeAdapt’, plus les dépenses du crédit d’impôt qui ne seront connues qu’au printemps 2025. Le montant du crédit d’impôt, désormais réservé aux ménages intermédiaires, pourrait s’élever à environ 20 millions d’euros ([52]).

Comme pour les aides à la rénovation énergétique, ces chiffres correspondent davantage à des objectifs qu’à des dépenses réelles. Le budget prévisionnel n’a pas été calculé à partir du nombre de logement adaptés l’année précédente, mais à partir d’une cible de long terme sans lien avec la situation de départ. En 2023, l’objectif de logements adaptés par Habiter Facile était de 40 000, pour un budget prévisionnel de 144 millions d’euros. En réalité, seulement 27 100 logements ont été adaptés pour une exécution de 95 millions d’euros.

Aussi bien pour MaPrimeRénov’ que pour MaPrimeAdapt’, les moyens budgétaires importants mis en avant ne sont donc pas un indicateur fiable de la réalité des dépenses effectuées en faveur de la rénovation des logements.

2.   Une réflexion à mener sur le rôle de l’accompagnateur obligatoire

Les deux aides ont en point commun un accompagnement obligatoire. Toutefois, le rôle des accompagnateurs respectifs n’est pas tout à fait comparable. Alors que l’accompagnateur MaPrimeAdapt’ joue un rôle clé dans la définition du projet, l’accompagnateur Rénov’ n’a pas de plus-value évidente.

a.   Adaptation des logements : un accompagnement indispensable

L’accompagnement obligatoire est une nouveauté de MaPrimeAdapt’, qui est indispensable à la définition d’un projet de travaux pertinent et personnalisé.

Selon le degré d’autonomie des ménages, trois types d’accompagnement sont possibles :

– un accompagnement « socle » : réalisation du diagnostic autonomie, préconisation de travaux et aide au montage du dossier d’aides ;

– un accompagnement « complet » : gestion des devis et des artisans et vérification de la réception des travaux ;

– un accompagnement complet avec, en plus, un rapport d’ergothérapeute.

Le nombre d’ergothérapeutes a doublé en dix ans, il y en a désormais 15 000. Cela ne permet pas de couvrir tous les dossiers, aussi l’ergothérapeute n’intervient que quand la situation du demandeur le justifie. Le rapport d’ergothérapeute est systématiquement sollicité par l’accompagnateur quand la personne remplit deux des trois conditions suivantes : le demandeur a plus de 80 ans ; il a déjà fait une chute ; il est assisté au quotidien par un aidant. Dans beaucoup d’autres cas, l’intervention de l’ergothérapeute n’est pas nécessaire, surtout depuis que l’aide a basculé dans une logique préventive.

L’accompagnateur est donc un assistant à maître d’ouvrage (AMO) qui couvre de manière complète les besoins de la personne liés à son logement, et sa valeur ajoutée réside dans le fait de pouvoir prescrire, en opportunité, des travaux qui n’étaient pas prévus par la liste ou un rapport d’ergothérapeute, afin de définir un projet réellement « sur mesure ».

La mission de l’AMO de MaPrimeAdapt’ se limite en revanche au logement, puisque l’expertise « à 360 degrés » n’a pas été retenue. S’il constate des difficultés ne relevant pas de la sphère de l’aide (isolement social, dénutrition, syndrome de Diogène…), il orientera la personne vers le département ou la caisse de retraite en vue d’une évaluation complète sur le modèle de celle qui est effectuée pour déterminer l’éligibilité à l’APA.

b.   Rénovation énergétique : un accompagnement coûteux et dissuasif

i.   L’accompagnateur de MaPrimeRénov’ a-t-il une valeur ajoutée ?

L’AMO de MaPrimeRénov’ a un rôle plus limité que l’AMO de MaPrimeAdapt’, qui correspondrait à son niveau « socle ».

La mission de l’accompagnateur est définie à l’annexe de l’arrêté du 21 décembre 2022 relatif à la mission d’accompagnement du service public de la performance énergétique de l’habitat. Cette mission a trois volets :

– une « phase d’information préalable » comprenant des informations sur « le déroulé de l’accompagnement », « les aides susceptibles d’être attribuées » et sur « les délais et autorisations d’urbanisme pour commencer les travaux » ;

– un « diagnostic de situation initiale du ménage » portant sur la situation financière du demandeur et son éligibilité aux aides ;

– la réalisation d’un audit énergétique au sens de l’article 8 de l’arrêté du 17 novembre 2020, à moins qu’un audit conforme à l’arrêté du 4 mai 2022 pris en application de l’article L. 126-28-1 ait déjà été réalisé.

Les deux premiers volets de la mission de l’accompagnateur sont parfaitement redondants avec la mission légale des espaces conseil France Rénov’, qui ont pour objet d’assurer les mêmes prestations mais de manière gratuite : « Les guichets proposent un service indépendant d’information, de conseil et d’accompagnement […] Ils présentent les aides nationales et locales à la rénovation, notamment énergétique. Ils peuvent également assurer leur mission d’information de manière itinérante, notamment en menant des actions d’information à domicile […] Les informations et les conseils délivrés sont gratuits et personnalisés. Ils visent à aider les ménages à élaborer un projet de rénovation énergétique, à mobiliser les aides financières publiques ou privées ainsi qu’à les orienter vers des professionnels compétents tout au long du projet de rénovation » ([53]).

Le caractère redondant de la mission de l’accompagnateur est d’ailleurs inscrit dans l’arrêté, puisque celui-ci « [prend] en compte la première analyse réalisée par les guichets d’information, de conseil et d’accompagnement ». S’agissant d’une pure mission d’information, qui n’affecte ni les conditions d’éligibilité ni la nature du projet réalisé, il n’y a aucune raison qu’elle soit obligatoire pour accéder aux aides.

De plus, si l’accompagnateur informe les ménages sur « les délais et autorisations d’urbanisme pour commencer les travaux », informations qui n’ont d’ailleurs rien de spécifique à la rénovation énergétique, l’AMO n’assiste pas le bénéficiaire dans ses démarches d’urbanisme ou dans le processus de négociation avec les architectes des bâtiments de France, ce qui pour le coup présenterait un véritable intérêt étant donné que ces démarches, qui interviennent après la finalisation du projet de travaux, peuvent le remettre en cause en totalité (voir infra, II‑A‑2).

De même, si l’AMO donne des conseils généraux sur les travaux énergétiques, il n’assure pas la mission de maîtrise d’œuvre. Ce type d’accompagnement serait pourtant utile, voire indispensable, car le succès d’une rénovation globale dépend d’abord de la coordination entre les différentes entreprises amenées à intervenir pour éviter les ponts thermiques au niveau des interfaces. Il est certes possible de demander à l’AMO d’assurer la mission de maîtrise d’œuvre (un architecte peut faire les deux) mais cette deuxième prestation, plus chère que l’assistance à maîtrise d’ouvrage (en général 10 % du coût des travaux) n’est pas prise en charge. La Cour des comptes pointe un « double risque d’aboutir à un reste à charge dissuasif, ou à une prestation moins développée qu’escompté, pour mieux correspondre au forfait de financement de l’Anah ».

La troisième prestation de l’AMO est la seule qui apporte une véritable valeur ajoutée au projet, puisqu’il s’agit de l’audit énergétique déterminant la situation initiale du logement et les travaux à réaliser. Mais cet audit énergétique, réglementé et déjà obligatoire à la vente de maisons individuelles ([54]), peut être réalisé par n’importe quel professionnel répondant aux conditions du décret n° 2022‑780 du 4 mai 2022.

En somme : l’AMO Rénov’ assure une mission d’information qui est en principe déjà réalisée par les espaces France Rénov’ et il produit un audit énergétique qui peut être réalisé indépendamment de lui et dont disposent déjà les ménages s’ils ont acheté leur bien après le 1er avril 2023. Il semble donc que le recours obligatoire à un AMO externe soit un double aveu d’échec : l’échec de la simplification des aides, que les ménages devraient être en mesure de comprendre sans recours à un professionnel du secteur privé, et l’échec du réseau des espaces France Rénov’ (animé par l’Anah) à satisfaire sa mission d’information et de conseil prévue par la loi.

ii.   Une étape obligatoire qui peut freiner l’accès aux aides

L’assistance à maîtrise d’ouvrage obligatoire peut être bloquante à deux titres.

Premièrement, le caractère obligatoire de l’accompagnateur implique que les ménages ne peuvent pas solliciter l’aide sans AMO, même s’ils ont déjà réalisé un audit énergétique et sollicité des devis auprès d’entreprises RGE.

Deuxièmement, l’AMO représente une dépense d’environ 2 000 euros qui n’est prise en charge en totalité que pour les ménages très modestes (ou éventuellement, grâce aux aides locales, pour les ménages modestes). Pour les autres, la prestation AMO n’est pas tant un reste à charge qu’une dépense supplémentaire, puisqu’elle n’aurait pas été engagée sans la sollicitation des aides. Contrairement à l’aide pour les travaux, la prestation AMO ne peut faire l’objet d’aucune avance.

Les ménages devront donc engager une dépense importante avant de savoir s’ils seront éligibles aux aides, puisque c’est précisément ce que l’AMO a pour mission de déterminer. Si l’AMO conclut, à partir de l’audit énergétique, que le saut de deux étiquettes n’est pas possible, ou seulement à la condition de réaliser des travaux très coûteux qui dépassent les plafonds, les ménages très modestes ne seront pas remboursés des sommes qu’ils ont avancées au titre de l’AMO.

La directrice générale de l’Anah a confirmé en audition que le remboursement des frais d’AMO était conditionné à un engagement effectif de réalisation des travaux. Cette position est d’autant plus contestable qu’elle est contradictoire avec le cadre fixé par le décret ([55]), pour l’aide nationale, et avec la politique que l’Anah elle-même applique en matière d’aides aux copropriétés : « En l’absence de subvention pour travaux (que les travaux n’aient pas été engagés par la copropriété, qu’elle les ait réalisés sans solliciter de subventionner de l’Anah ou que la demande de subvention pour travaux ait été rejetée), il est procédé au paiement de la subvention d’AMO à hauteur des prestations effectuées. Ce versement intervient sur justification de réalisation de tout ou partie de la prestation d’assistance à maître d’ouvrage » ([56]).

Sur le principe, on peut s’interroger sur la légitimité d’une dépense obligatoire, imposée aux ménages, qui ne consiste qu’à une assistance aux démarches pour obtenir une aide, sans que ni l’éligibilité à l’aide ni le remboursement de la dépense soient garantis.

La situation problématique où des ménages modestes se retrouveraient « bloqués » après avoir engagé en vain des démarches payantes doit être anticipée au regard des difficultés générales déjà dénoncées par le Défenseur des droits. Dans une décision de 2022, le Défenseur des droits constate que l’aide est parfois refusée de manière arbitraire ou tardive alors que les ménages pensaient légitimement que leurs factures seraient prises en charge : « les réclamants ont été informés de l’inéligibilité de leurs travaux seulement au stade de la demande du versement du solde de l’aide, alors que les travaux réalisés étaient identiques à ceux prévus au moment du dépôt du dossier » ; « les services du Défenseur des droits ont été confrontés à des décisions ne permettant pas à l’usager de comprendre la justification de la position de l’Anah » dont les explications « pour le moins obscures » pouvaient « faire douter l’usager de l’analyse qui a été faite de son dossier » ([57]).

Entendue en audition devant une commission d’enquête du Sénat, la défenseure des droits a confirmé que la situation n’avait pas évolué depuis la publication de sa décision, faisant même état d’une augmentation du nombre de réclamations ([58]) : « MaPrimeRénov’ a été mise en place pour les foyers les plus démunis, mais ce sont aujourd’hui encore ces derniers qui pâtissent des dysfonctionnements du service, du manque d’interlocuteurs et du défaut d’information. » ([59])

iii.   Les usagers diligents devraient pouvoir déposer directement un dossier

Les AMO sont actuellement des entreprises privées, agréées selon une procédure définie par le décret n° 2022-1035 du 22 juillet 2022.

On pourrait se demander pourquoi la prestation d’accompagnement ne serait pas effectuée directement par les espaces conseil France Rénov’, qui ont justement comme mission de service public ([60]) d’aider les ménages à élaborer leur projet de rénovation énergétique en concordance avec les aides disponibles.

C’était d’ailleurs le mode de fonctionnement de l’aide « Sérénité » avant que l’accompagnement obligatoire soit étendu aux ménages INT et SUP. Le choix de l’externalisation a été retenu en raison du manque de ressources humaines des réseaux délégataires de l’Anah, alors que l’objectif de rénovations globales accompagnées en 2024 a été multiplié par trois par rapport au nombre de rénovations aidées par le programme « Sérénité » en 2023. Mais force est de constater que les ressources humaines ne sont pas davantage disponibles en externe qu’en interne : sur les 5 000 accompagnateurs nécessaires, on n’en compte aujourd’hui que 2 500. Le processus d’agrément est long, et il coûte 23 ETP à l’Anah.

Le fait de disposer des ressources en interne permettrait d’éviter les coûts de gestion liés à la procédure d’agrément et d’avoir des conseillers rémunérés par l’Anah exerçant l’activité d’AMO à temps plein. Actuellement, les entreprises agréées exercent leur mission d’AMO en parallèle d’activités privées, ce qui entraîne un turn over important et des besoins de formation plus importants.

L’internalisation de l’accompagnement coûterait vraisemblablement moins cher que le recours à des prestaires externes. Le budget de l’Anah prévoit en 2024 195 millions d’euros (AE) pour l’AMO, dont 173 millions dans le cadre du programme « Sérénité », c’est-à-dire 9 % des crédits d’intervention alloués à ce programme (1 974 millions d’euros), un budget suffisant pour recruter plusieurs milliers d’ETP. En d’autres termes, l’AMO représentera presque 10 % du montant prévisionnel de l’aide pour les publics qui bénéficieront de sa prise en charge. Cela représente un montant élevé par rapport au montant de l’aide « utile ».

Pour réduire le besoin en accompagnateurs il suffirait de rendre l’AMO facultative dès lors que les usagers présentent un audit énergétique valide et des devis conformes aux travaux préconisés par celui-ci.

Proposition n° 7 : Rendre facultative l’AMO, pour les aides à la rénovation énergétique, dès lors que les ménages présentent un dossier cohérent comprenant un audit énergétique et des devis conformes aux préconisations de cet audit.

Une simplification des critères d’éligibilité aux aides pourrait aussi rendre l’AMO tout à fait inutile. Vos rapporteures formulent des recommandations en ce sens (voir infra, II-A-1).

3.   Aller plus loin dans la logique du « guichet unique » et créer une vision d’ensemble de la rénovation des logements

La similitude des appellations (MaPrimeRénov’, MaPrimeAdapt’) et l’instauration d’un guichet unique peuvent laisser penser à un mouvement d’unification des aides à la rénovation des logements. Pourtant, sur le fond, aucune articulation n’existe entre les deux aides. La situation des logements nécessitant à la fois une adaptation et une rénovation énergétique devrait être mieux envisagée.

a.   Le guichet unique n’a pas permis d’unifier les démarches entre adaptation des logements et rénovation énergétique

Le législateur a créé un « service public de la rénovation énergétique de l’habitat » comportant un « réseau de guichets d’information, de conseil et d’accompagnement » ([61]) : ce sont les « espaces conseil France Rénov’ » (ECFR) résultant de la fusion du réseau « FAIRE » dirigé à l’époque par l’Ademe et des « Points information info service » (PRIS) de l’Anah. On compte aujourd’hui 550 espaces conseil France Rénov’ ; à terme, il y en aura un par EPCI (environ 1 250).

En 2023, la mission des ECFR a été élargie à l’ensemble des aides à la rénovation de l’habitat : rénovation énergétique, logement indigne, adaptation des logements au vieillissement. L’idée était donc de créer un « guichet unique » pour toutes les aides de l’Anah.

Les personnes entendues en audition ont toutefois souligné que les conseillers des espaces conseil France Rénov’ ne disposent pas encore des moyens en ressources humaines pour accomplir leurs nouvelles missions. Les espaces France Rénov’ sont de fait en charge de l’information des ménages pour MaPrimeAdapt’, mais les conseillers n’ont pas encore été formés, ou imparfaitement, à la perte d’autonomie et ils ne disposent en pratique que de la délibération votée par le conseil d’administration de l’Anah et d’un document de présentation Powerpoint (dont est extrait le schéma ci-dessous).

Parcours usager Ma Prime Adapt’

Source : « kit de formation » MaPrimeAdapt’.

Malgré l’existence d’un « guichet unique », composé de conseillers en principe compétents pour toutes les aides de l’Anah, il n’existe en outre pas de procédure unique pour demander à la fois une aide à la rénovation énergétique et une aide à l’adaptation des logements. Les personnes qui veulent faire adapter leur logement et l’isoler devront monter deux dossiers, choisir deux accompagnateurs et possiblement payer deux fois la dépense afférente au coût de l’AMO obligatoire.

Les accompagnateurs, eux, peuvent réorienter les ménages d’une aide à l’autre mais ils n’ont pas de vision d’ensemble de la rénovation des logements. Actuellement, l’AMO intervenant pour un diagnostic autonomie n’a pas de compétence sur le volet rénovation énergétique ; s’il constate une situation de précarité énergétique, il ne pourra que conseiller au ménage de commencer de nouvelles démarches pour demander MaPrimeRénov’ en parallèle.

À l’inverse, l’AMO intervenant pour la rénovation énergétique ne vérifiera pas si le logement est correctement adapté au vieillissement. L’obligation de signalement qui pèse sur « Mon accompagnateur Rénov’ » ne vaut que pour les logements indignes (insalubres ou en état de péril) mais pas pour les logements inadaptés à la perte d’autonomie. Cela est le signe que l’adaptation des logements est considérée, à tort ou à raison, comme moins prioritaire que la lutte contre l’habitat indigne.

b.   Des passerelles à créer entre MaPrimeRénov’ et MaPrimeAdapt’

Selon le rapport Sichel, les personnes de plus de 60 ans représentent 62 % des propriétaires occupants de passoires thermiques : il y a donc évidemment une articulation à opérer entre les deux aides.

i.   Prévoir un accompagnateur doublement agréé et la possibilité d’un dossier unique

Une première étape pour simplifier l’accès aux aides de rénovation d’ensemble, serait de prévoir systématiquement un accompagnateur avec double compétence, pour les personnes âgées sollicitant soit une aide à l’adaptation des logements ou une aide à la rénovation énergétique. Les logements des personnes âgées feraient ainsi l’objet d’un double diagnostic.

Proposition n° 8 : Encourager les bénéficiaires à réaliser une rénovation d’ensemble, en prévoyant systématiquement que l’accompagnateur soit doublement agréé pour les ménages sollicitant MaPrimeAdapt’ et pour les personnes de plus de 70 ans sollicitant MaPrimeRénov’.

Les AMO ont déjà la possibilité de cumuler plusieurs habilitations, même si les procédures d’agrément sont distinctes :

– pour la rénovation énergétique : agrément sur le fondement des articles L. 232‑1 et suivants du code de l’énergie ;

– pour MaPrimeAdapt’ : habilitation par l’Anah ou agrément par l’État (sur le fondement de l’article L. 365-3 du CCH).

Il est déjà possible de créer un dossier unique « MaPrimeAdapt’ » et « Ma prime logement décent » ; cette possibilité devrait être étendue à MaPrimeRénov’ Sérénité. Les deux tiers ([62]) des organismes habilités pour MaPrimeAdapt’ sont également habilités pour MaPrimeRénov’ et pourraient donc intervenir simultanément pour les deux aides.

Proposition n° 9 : Donner la possibilité aux usagers de créer un dossier unique MaPrimeAdapt’ et MaPrimeRénov’ Sérénité, comme cela est déjà possible pour MaPrimeAdapt’ et Ma prime logement décent.

ii.   Créer des passerelles d’éligibilité entre les aides

Le deuxième levier pour encourager les rénovations d’ensemble est le couplage des critères d’éligibilité aux deux aides.

Il n’est pas question, bien sûr, de refuser l’adaptation d’une passoire thermique si elle ne fait pas également l’objet d’une rénovation énergétique, car le reste à charge supplémentaire induit pourrait être dissuasif, mais de faciliter la rénovation énergétique des logements inadaptés et de « faire d’une pierre deux coups ».

Une première « passerelle » consisterait à rendre les personnes éligibles à MaPrimeAdapt’ automatiquement éligibles à MaPrimeRénov’ Sérénité, sans conditions de gain de performance. Concrètement, l’accompagnateur pourrait décider d’ajouter au projet de travaux d’adaptation des travaux de rénovation énergétique qui seront subventionnés avec le barème applicable à MaPrimeRénov’ Sérénité.

Cette souplesse serait pertinente à plusieurs égards :

– l’AMO de MaPrimeAdapt’, déjà compétent pour définir les travaux d’adaptation éligibles, pourrait prendre en compte les contraintes particulières des personnes âgées (par exemple, l’impossibilité d’une ITI en site occupé) pour définir un bouquet de travaux énergétiques réaliste ;

– cela permettrait de subventionner l’installation de PAC air-air chez les personnes âgées, poste qui n’est pas éligible à l’aide par geste mais qui est éligible à la rénovation globale. Les PAC air-air (climatisation réversible) sont essentielles au confort d’été de ce public qui souffre particulièrement des épisodes caniculaires.

Une deuxième passerelle, dans l’autre sens, permettrait aux personnes à revenus intermédiaires de plus de 70 ans (ou 60 ans si perte d’autonomie) éligibles à MaPrimeRénov’ (rénovation globale) d’être automatiquement éligibles à MaPrimeAdapt’, en principe réservée aux ménages modestes. Cette passerelle inciterait en fait les personnes âgées « intermédiaires » à rénover énergétiquement leur logement afin de pouvoir bénéficier de MaPrimeAdapt’, dont le montant est bien plus davantageux que le crédit d’impôt autonomie auquel elles ont actuellement droit.

Proposition n° 10 : Créer des passerelles entre MaPrimeAdapt’ et MaPrimeRénov’, afin d’encourager la rénovation énergétique des logements à adapter et inversement :

– rendre les personnes éligibles à MaPrimeAdapt’ automatiquement éligibles à MaprimeRévov’ Sérénité, sans condition de gain de performance, et donner la faculté à l’accompagnateur d’intégrer des travaux énergétiques au projet d’adaptation du logement ;

– rendre les ménages intermédiaires éligibles à MaPrimeAdapt’ à condition de réaliser en même temps une rénovation globale de leur logement.

iii.   Étendre le « prêt avance rénovation » aux travaux d’adaptation

Le prêt avance rénovation est réservé aux travaux éligibles au Fonds de garantie pour la rénovation énergétique. Comme son nom l’indique, ce fonds est d’abord destiné à faciliter « le financement de travaux d’amélioration de la performance énergétique », même s’il peut aussi servir à la rénovation des copropriétés en difficulté ([63]). Il ne peut donc pas intervenir en garantie de prêts consentis pour l’adaptation des logements à la perte d’autonomie. Les travaux d’adaptation sont seulement éligibles aux « prêts avance mutation » classiques, qui sont octroyés dans des conditions bien moins avantageuses puisqu’ils ne bénéficient pas de la garantie de l’État.

Le périmètre du Fonds de garantie pour la rénovation énergétique, qui deviendrait le « Fonds de garantie pour la rénovation de l’habitat », pourrait être étendu aux travaux d’adaptation à la perte d’autonomie afin de faciliter le financement bancaire du reste à charge de MaPrimeAdapt’ et non seulement de MaPrimeRénov’.

Proposition n° 11 : Étendre le périmètre du Fonds de garantie pour la rénovation énergétique (qui deviendrait le « Fonds de garantie pour la rénovation de l’habitat ») aux travaux d’adaptation des logements, afin que ceux-ci soient éligibles au « prêt avance rénovation » dans les mêmes conditions que les travaux de rénovation énergétique.

 


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II.   DES RÉFORMES À CONDUIRE POUR ENCLENCHER UNE RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE MASSIVE DES LOGEMENTS

Le succès de la politique nationale de rénovation des logements ne dépend pas seulement des moyens mis dans les aides publiques. L’atteinte des objectifs fixés par la stratégie nationale bas carbone suppose une mise en cohérence et une clarification de l’ensemble des textes réglementaires, qui peuvent être confus voire contradictoires. La réalisation de « rénovations performantes », dont la définition n’est d’ailleurs pas claire, peut être contrariée en centre-ville par une application obtuse de la politique du patrimoine et par les contraintes relatives aux copropriétés (A). Indépendamment des aides, les obligations de rénovation énergétique, qui concernent aujourd’hui les logements loués et les immeubles ravalés, devront être précisées et étendues (B).

A.   DES OBSTACLES JURIDIQUES ET ADMINISTRATIFS À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DES LOGEMENTS

La rénovation énergétique fait face à plusieurs obstacles qui ne sont pas d’ordre financier. La définition de la « rénovation performante » et les critères qui en découlent pour l’accès aux aides peuvent freiner la rénovation des logements (1). Cela est d’autant plus vrai en centre-ville, où les projets peuvent être bloqués sans discernement par les architectes des bâtiments de France (2), a fortiori dans les copropriétés qui sont soumises à des contraintes particulièrement complexes (3).

1.   Définitions, normes, régimes d’aides : recentrer les critères sur les travaux réalisés et non sur l’étiquette obtenue

La complexité des aides à la rénovation globale provient en premier lieu d’une définition confuse de la « rénovation performante », dont est dérivée celle de « rénovation globale ». Cette définition se traduit, en termes de critères d’éligibilité, par une exigence de gain d’étiquettes parfois contreproductive.

a.   Une définition confuse de la « rénovation performante »

La rénovation énergétique performante est définie au 17° bis de l’article L. 111‑1 du code de la construction et de l’habitation. Une rénovation est qualifiée de « performante » selon trois critères différents, qui dépendent de la situation du logement.

Par principe, une rénovation est dite performante quand elle permet d’atteindre l’étiquette A ou B, ou l’étiquette C pour les bâtiments qui étaient initialement classés F ou G. Par exception, quand l’atteinte de ces étiquettes n’est pas possible en raison de contraintes techniques, architecturales, patrimoniales ou économiques, il suffira d’atteindre un « saut » de deux étiquettes, à condition toutefois que l’ensemble des six postes de travaux constitutifs d’une rénovation énergétique (isolation des façades, de la toiture, des planchers bas, fenêtres, ventilation, production de chauffage et d’eau chaude sanitaire) aient été « traités ».

Critères de rénovation performante au sens de l’article L. 111-1 du CCH

Classe énergétique avant travaux

Critères de la rénovation performante

étiquette B à E

atteinte de la classe A ou B

étiquette F ou G

atteinte de la classe C

étiquette E à G (à titre subsidiaire)

réalisation des six postes de travaux et gain de deux étiquettes

La définition de la rénovation performante est donc ambiguë et paradoxale. Il s’agit d’abord d’une simple obligation de résultats : sont considérés comme « performants » tous travaux qui permettent d’atteindre l’étiquette A ou B. Ce critère n’étant pas atteignable dans nombre de logements anciens, le législateur a abaissé cette obligation de résultats à l’atteinte de la classe C pour les passoires thermiques. Cette deuxième définition tend à considérer que la performance de la rénovation n’est pas mesurée par le résultat obtenu, mais par le chemin parcouru entre la situation initiale et la situation d’arrivée ; pour les passoires thermiques, l’atteinte de la classe C correspond à un saut de trois ou quatre étiquettes.

Finalement, pour les logements qui ne pourraient même pas atteindre la classe C, le critère porte uniquement sur les moyens mis en œuvre : la rénovation sera considérée comme performante dès lors qu’elle aura couvert les six postes de travaux (le critère cumulatif d’un saut de deux étiquettes est alors superfétatoire).

Philosophiquement, trois conceptions de la rénovation performante sont donc inscrites dans la loi : l’une ne prend en compte que le résultat, l’autre la progression entre la situation initiale et la situation d’arrivée, et la dernière le type de travaux réalisés.

La première définition, qui est en principe la définition principale, n’est conceptuellement pas satisfaisante, parce qu’elle n’est relative ni aux travaux réalisés (les six postes de travaux devront seulement avoir été « étudiés ») ni à la situation du logement. Conséquence absurde, un monogeste tel que le changement des fenêtres ou du système de chauffage pourra être considéré comme une « rénovation performante » s’il permet à un bâtiment classé B d’atteindre la classe C.

La définition matérielle de la rénovation performante, relative au « traitement » des six postes de travaux, n’est exprimée qu’à titre subsidiaire alors qu’il devrait s’agir de la véritable définition. C’est d’ailleurs le critère principal retenu pour la « rénovation globale » qui est, aux termes du même texte, une rénovation performante réalisée dans un certain délai « et lorsque les six postes de travaux précités ont été traités ».

b.   Rendre plus pertinents les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation globale

Les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation globale s’inspirent de la dernière définition de la « rénovation performante », mais ils retiennent le gain de deux étiquettes sans s’intéresser à la cohérence des travaux réalisés.

i.   Des critères d’éligibilité trop rigides et inadéquats

Pour être éligible au « parcours accompagné » de MaPrimeRénov’, les ménages doivent obtenir un gain de deux étiquettes en réalisant un ou plusieurs postes de travaux. Ce critère est contestable dans la mesure où il n’est pas directement lié aux travaux réalisés ; aucune combinaison de travaux n’est obligatoire, ni suffisante.

D’une part, la logique des étiquettes entraîne des effets de seuil importants et pénalise les logements chauffés au gaz même quand il n’est pas possible d’installer une pompe à chaleur air-eau (voir supra).

D’autre part, les besoins d’énergie théoriques, qui déterminent l’étiquette, ne dépendent pas seulement de la qualité d’isolation du logement et de la performance du mode de chauffe, mais d’autres paramètres comme la quantité de surfaces déperditives (qui dépend de l’étage, pour un appartement, du nombre d’étages et de la mitoyenneté pour une maison) ou l’ensoleillement des façades. Toutes choses égales par ailleurs, il sera plus facile d’atteindre une étiquette performante avec une exposition sud qu’avec une exposition nord, ou en étage intermédiaire plutôt qu’en dernier étage.

Ainsi, il est possible que pour un même diagnostic de départ et un même projet de travaux, tel ménage soit éligible aux aides, mais pas un autre à cause de facteurs structurels qu’aucune rénovation ne pourra modifier. La situation du logement n’est pas non plus prise en compte, or en copropriété les seuls travaux privatifs ne confèrent pas toujours une latitude suffisante pour gagner deux étiquettes.

Enfin, plus radicalement, la fiabilité du DPE est douteuse. Les diagnostiqueurs n’ayant pas le droit d’opérer des sondages destructifs pour vérifier l’état réel de l’existant (par exemple, la présence ou l’épaisseur d’un isolant), ils n’ont d’autres choix que d’établir leurs calculs à partir d’hypothèses, qui reposent elles-mêmes sur les déclarations éventuellement partielles et biaisées des propriétaires. La distribution des consommations d’énergie des logements montre des « points de rupture » au niveau des seuils d’étiquette qui signifient que les calculs ont été faussés afin d’atteindre l’étiquette supérieure.

anomalies statistiques dans la distribution des consommations d’énergie

Source : CSTB, contribution écrite à la mission d’information.

Alors que les données de consommation énergétique sont normalement réparties entre les quatre premières étiquettes, la chute brutale du nombre de logements au niveau des seuils (entre l’étiquette D et E, E et F et F et G) signifie que de nombreux logements en bas de l’étiquette D devraient en réalité être situés en haut de l’étiquette E, et ainsi de suite. Une expérience de 60 millions de consommateurs ([64]), fondée sur l’analyse de vingt logements par cinq diagnostiqueurs, met en évidence la disparité des résultats obtenus et le manque de méthode scientifique : pour un même logement, les diagnostics concluent à deux voire trois étiquettes différentes.

Le fait de faire reposer la définition de la rénovation performante et les critères d’éligibilité des aides associées sur le DPE est donc une erreur à la fois conceptuelle et pratique.

ii.   Une réforme nécessaire des critères d’éligibilité et du rôle de l’accompagnateur

Les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation globale ne seront pertinents (et plus lisibles) qu’en quittant la logique de l’étiquette pour entrer dans la logique des travaux concrètement réalisables. Sans retourner à une aide « par geste », qui a le mérite d’être simple mais l’inconvénient de favoriser les effets d’aubaine sans permettre de rénovations véritablement performantes, il s’agit d’établir des combinaisons de gestes qui aient du sens du point de vue des gains de performance.

L’intérêt d’une rénovation globale réside dans le traitement des « ponts thermiques », c’est-à-dire des zones déperditives à l’interface entre deux surfaces isolées (entre la toiture et les murs, les murs et les menuiseries, etc.). La limitation des ponts thermiques suppose une isolation continue incompatible avec le fait de réaliser les travaux en plusieurs étapes.

Localisation des ponts thermiques

Source : Ademe.

Ainsi, il n’y aurait pas de sens à isoler une moitié de façades contiguës, ou la toiture sans les façades, ou à changer les fenêtres après avoir réalisé l’isolation. Les travaux d’isolation de « l’enveloppe » du bâtiment sont l’élément clé d’une rénovation énergétique, et ils doivent être réalisés de façon concomitante.

La ventilation du bâtiment est le corollaire de son isolation : l’isolation a pour effet de rendre les parois étanches à l’air, il faut donc assurer son renouvellement par un système mécanique. Une rénovation globale doit donc prévoir une solution de ventilation, mais cela n’implique pas nécessairement l’installation d’un nouveau système si l’ancien est fonctionnel.

Enfin, parmi les six postes de travaux, certains peuvent être réalisés séparément sans nuire à la cohérence thermique de l’ensemble : c’est le cas de l’isolation des planchers bas et du changement du mode de chauffage, qui peuvent sans inconvénient être réalisés dans un second temps.

L’aide à la rénovation globale devrait donc avoir pour objet premier l’isolation de l’enveloppe. En mélangeant besoins d’énergie (performance de l’isolation) et efficacité énergétique (mode de chauffage), les critères d’éligibilité actuels peuvent conduire à financer des projets de travaux incohérents, tels que l’installation d’une pompe à chaleur associée à une isolation partielle laissant subsister des ponts thermiques. Il serait plus pertinent de recentrer ces critères sur un « cœur » de travaux composé de l’isolation simultanée des façades et de la toiture, avec si nécessaire le remplacement des fenêtres peu performantes et l’installation d’un système de ventilation. L’isolation des planchers bas et le changement de chauffage seraient proposés en option pour compléter les travaux de base.

Ce système permettrait à tous les logements de bénéficier de l’aide à la rénovation globale, sans référence à un gain de performance. Les plafonds de travaux seraient modulés en fonction du nombre de lots à traiter (et non, comme c’est le cas actuellement, en fonction du gain d’étiquettes). Ainsi, dans un appartement en étage intermédiaire, disposant déjà de fenêtres double vitrage et d’une ventilation mécanique répartie (VMR), seule l’isolation par l’intérieur des façades (à défaut d’une isolation par l’extérieur) sera à réaliser.

Dans ce schéma, l’AMO aurait un véritable rôle : vérifier que les travaux d’isolation sont complets et qu’il ne subsiste aucun pont thermique entre les lots traités ; que les fenêtres peu performantes sont bien changées et que la ventilation du logement est aux normes ; et que l’aide ne finance pas de travaux redondants (remplacement d’une ventilation ou de fenêtres neuves).

Proposition n° 12 : Faire évoluer les critères d’éligibilité aux aides à la rénovation énergétique :

– dissocier l’objectif d’isolation des bâtiments de l’objectif de performance du mode de chauffage ;

– supprimer le critère du « saut d’étiquette » au profit d’un critère fondé sur la pertinence intrinsèque des travaux réalisés ;

– octroyer l’aide à tout projet cohérent incluant l’isolation complète, en une fois, des façades et de la toiture, avec si nécessaire le traitement des lots associés (fenêtres, ventilation).

2.   La politique de préservation du patrimoine peut s’opposer à la rénovation énergétique des logements

La technique d’isolation la plus efficace, et la seule capable de traiter des immeubles entiers, est l’isolation par l’extérieur. Mais celle-ci modifie l’aspect extérieur du bâtiment et peut à ce titre être prohibée par les Architectes des bâtiments de France (ABF), dont le pouvoir discrétionnaire devra être encadré pour permettre une réelle conciliation entre politique de rénovation énergétique et préservation du patrimoine.

a.   Les ABF méconnaissent leur obligation légale de « tenir compte des objectifs nationaux de rénovation énergétique des bâtiments »

i.   L’isolation par l’extérieur, plus efficace, modifie l’aspect des bâtiments

L’isolation par l’extérieur (ITE) s’oppose à l’isolation par l’intérieur (ITI). En cas d’isolation par l’intérieur, l’isolant est placé du côté du logement, puis il est recouvert d’un parement de plaques de plâtre. À l’inverse, en cas d’isolation par l’extérieur, l’isolant est fixé sur les façades puis recouvert d’un enduit ou d’un bardage.

L’ITI est souvent une solution « de facilité » : elle ne modifie pas l’aspect du bâtiment et ne requiert ainsi aucune autorisation. Elle présente néanmoins quelques contraintes : elle nécessite de refaire l’électricité, parfois la plomberie, car les anciennes prises et les anciennes canalisations deviennent inaccessibles ; elle « décale » vers l’intérieur la limite du mur et induit donc une perte de surface ; et, pour toutes ces raisons, elle n’est pas réalisable en site occupé, mais uniquement au moment d’un changement d’occupant. De plus, l’ITI uniformise l’aspect intérieur des logements, en recouvrant la maçonnerie par des plaques de plâtre fragiles et sans charme, ce qui est esthétiquement dommageable dans les logements anciens dont les parois sont couvertes de boiseries et de moulures.

Surtout, l’ITI ne permet pas d’atteindre une performance énergétique optimale, car elle crée à chaque étage des ponts thermiques aux points de jonction intérieurs entre les façades et les planchers. D’après les données de l’Observatoire BBC ([65]), portant sur un échantillon de rénovations réalisées, l’ITE permet en moyenne d’atteindre une résistance thermique supérieure à l’ITI (coefficient R de 4,4 contre 3,9). Dans une maison isolée par l’intérieur, 23 % des pertes thermiques sont dues aux ponts thermiques, contre seulement 18 % dans une maison isolée par l’extérieur. Comme le résume le Conseil national de l’Ordre des architectes : « l’ITE est toujours plus efficace que l’ITI car elle permet de réaliser l’isolation en continu et d’éviter les ponts thermiques » ([66]), à tel point qu’on peut se demander si une rénovation énergétique sans ITE peut vraiment être qualifiée de « globale ».

L’ITE offre en outre l’avantage de favoriser le confort d’été en préservant l’inertie thermique des façades.

Les plafonds de travaux, qui ne dépendent actuellement que du gain d’étiquette, indépendamment des travaux réalisés (40 000 € pour un saut de deux étiquettes), pourraient être modulés en fonction du type d’isolation choisi afin d’encourager les ménages à isoler par l’extérieur.

Proposition n° 13 : Majorer les plafonds de travaux en cas d’isolation par l’extérieur, afin d’inciter les bénéficiaires à isoler par l’extérieur plutôt que par l’intérieur.

ii.   Les ABF : une capacité de blocage à ne pas sous-estimer

Dans les « abords » des monuments historiques, correspondant à un périmètre de 500 mètres autour d’un bâtiment inscrit ou classé, l’avis des ABF est obligatoirement sollicité par la mairie pour toute demande d’urbanisme. L’avis est en principe « simple », c’est-à-dire consultatif, mais il est « conforme » et revêt de ce fait un caractère obligatoire en cas de « covisibilité » entre le monument historique et le bâtiment faisant l’objet de la demande (c’est-à-dire s’il est possible d’observer les deux bâtiments depuis un même point accessible au public). En pratique, la mairie suit presque toujours l’avis, même simplement consultatif, de l’ABF.

En d’autres termes, les ABF peuvent refuser tout projet de ravalement impliquant une ITE dans un périmètre de 500 mètres autour d’un monument inscrit ou classé, quand bien même le bâtiment à isoler ne présente en tant que tel aucun intérêt patrimonial. On compte sur le territoire 44 000 monuments historiques générant des abords.

De l’avis général des personnes entendues en audition, les ABF s’opposent systématiquement à l’ITE dans l’ancien. Les bâtiments anciens (c’est‑à‑dire construits avant 1948) représentent entre 10 et 11 millions de logements, soit environ un tiers du parc et ils concentrent une part importante de passoires thermiques. Selon l’Ademe, 60 % du bâti ancien est classé E, F ou G et sera de ce fait progressivement considéré comme énergétiquement indécent. La rénovation énergétique de l’ancien est donc un sujet incontournable et les ABF un frein potentiel.

Vos rapporteures ont eu des difficultés à obtenir des informations précises sur l’emprise territoriale de la compétence des ABF et sur les statistiques relatives aux avis émis sur les projets de ravalement avec ITE.

Il semble que l’association nationale des ABF et le ministère de la culture cherchent à minimiser leur rôle dans la politique de rénovation énergétique des bâtiments, en relativisant leur périmètre d’intervention et le taux d’avis défavorables. Le ministère de la culture fait ainsi valoir que les espaces soumis à l’accord des ABF ne représentent « que » 6 % du territoire national et que 83 % des projets de ravalement impliquant une ITE ont fait l’objet d’un avis favorable (dans 20 % des cas, après un premier avis défavorable).

Concernant le premier point, une grande partie du territoire national étant inhabitée, il serait plus pertinent de raisonner en termes de nombre de logements que d’étendue géographique. En faisant l’hypothèse que la compétence des ABF s’exerce pour l’essentiel dans les villes, lesquelles représentent 22 % du territoire mais 78 % de la population ([67]), soit une densité de population trois fois et demie supérieure à la moyenne du territoire, l’avis obligatoire des ABF couvrirait donc 21 % de la population et une proportion comparable de logements ([68]). En 2022, les ABF ont rendu 530 000 avis, dont un grand nombre portant sur des copropriétés ; l’avis des ABF concerne donc tous les ans plusieurs millions de logements ou de bureaux.

En ce qui concerne le taux d’avis favorables, les chiffres communiqués ne distinguent pas les avis favorables sans prescriptions des avis favorables avec prescriptions. Les ABF ont en effet la possibilité d’assortir un avis favorable de prescriptions susceptibles de modifier substantiellement le projet soumis, au point de le dénaturer. Dans ses réponses écrites, l’Agence parisienne du climat (APC), qui est l’espace France Rénov’ de la ville de Paris, estime qu’un tiers des demandes sont « soumises à des recommandations tellement contraignantes qu’elles remettent en cause le projet ». C’est donc artificiellement qu’un avis avec prescriptions est comptabilisé comme un avis « favorable ».

L’APC constate en outre « une forme d’autocensure de copropriétaires qui sont d’emblée convaincus qu’ils ne pourront pas faire de projet de rénovation » à cause de refus opposés à des copropriétés similaires. Cette autocensure explique qu’à peine 6 000 demandes annuelles adressées aux ABF sur 530 000 comprennent un projet d’ITE.

iii.   Une opposition systématique à l’isolation thermique par l’extérieur (ITE), sans doctrine rationnelle

Entendue en audition, l’association nationale des ABF a défendu ses réticences de principe face à l’ITE avec des arguments peu convaincants.

Les ABF estiment que l’ITE est moins « efficiente », c’est-à-dire moins efficace au regard de son coût, que l’ITI. Non seulement les ABF n’ont pas pour mission – ni pour habitude ([69]) – de protéger les intérêts financiers des demandeurs, mais l’ITE est toujours plus efficace que l’ITI, sans être plus chère quand elle est réalisée à l’occasion du ravalement.

Comparaison du coût de l’ITI et de l’ITE

La mission a demandé aux professionnels du bâtiment entendus un comparatif des coûts de l’ITE et de l’ITI. Le syndicat national des fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées (FILMM) estime, dans sa contribution écrite, que l’ITI coûte environ 50 euros le m², hors travaux induits, alors que l’ITE coûte 80 à 100 euros le m², coût du ravalement compris. Ces ordres de grandeur sont cohérents avec ceux qui ont également été transmis par la Fédération française du bâtiment (FFB).

Le coût de l’ITI doit être augmenté de tous les travaux induits : peinture, plomberie, électricité ; dans une cuisine ou une salle d’eau, l’ITI implique de remplacer les équipements intégrés, tels que les plans de travail, receveurs de douche, etc., ce qui rend l’opération extrêmement coûteuse. Enfin, l’ITI diminue la surface, donc la valeur du bien : dans un petit appartement parisien, cette baisse de valeur peut être supérieure au coût des travaux.

À l’inverse, l’ITE n’implique qu’un surcoût modéré quand elle est réalisée à l’occasion d’un ravalement. Le coût d’un ravalement étant d’environ 70 euros le m², le coût marginal associé à l’ajout d’un isolant par l’extérieur n’est que de 30 euros le m², ce qui rend l’ITE moins coûteuse et plus simple à mettre en œuvre qu’une ITI quand le ravalement était déjà programmé. Avec les aides (MaPrimeRénov’ Copro), un ravalement avec ITE est moins cher qu’un ravalement simple.

Les ABF soulignent en outre le danger que représenterait l’ITE pour le bâti ancien. S’il est vrai que le bâti ancien, qui se caractérise par des matériaux traditionnels (terre crue, pans de bois, torchis, pierre…) ne doit pas être isolé avec des matériaux étanches à l’air, tels que les isolants synthétiques, pour ne pas « piéger » l’humidité dans les murs et perturber les échanges hygrométriques, des solutions techniques permettent d’isoler l’ancien par l’extérieur en respectant ses propriétés. La mise en œuvre d’isolants biosourcés, comme les panneaux de fibres de bois, suffit à répondre à cette objection d’ordre technique.

Contredisant la position des ABF, une étude thermique de l’Apur conduite spécifiquement sur les bâtiments parisiens construits dans la première moitié du XVIIIe siècle ([70]) montre que l’ITE est en réalité plus adaptée au bâti ancien que l’ITI. En effet, l’isolation par l’intérieur nécessite la pose d’un pare-vapeur pour éviter les risques de condensation ; or la pose d’un pare-vapeur est délicate et « le moindre défaut concentre l’humidité en un point singulier ce qui peut s’avérer extrêmement problématique ». En outre, le pare-vapeur étanchéifie les logements, il faut donc installer une ventilation mécanique dont les manifestations extérieures (gaines de VMC) ne sont pas plus heureuses pour l’aspect du bâtiment qu’un enduit sur isolant.

Une autre objection de l’Apur est relative à l’inertie thermique. L’ITI est à double tranchant : l’été, elle empêche le mur de façade de restituer en journée la fraîcheur accumulée pendant la nuit, neutralisant ainsi l’inertie thermique qui est la propriété la plus intéressante du bâti ancien. L’ITI diminue donc les besoins de chauffage l’hiver, mais l’été, et singulièrement dans l’ancien, elle augmente les besoins de climatisation, ce qui n’est satisfaisant ni dans une perspective énergétique ni dans une perspective patrimoniale.

L’Apur résume ainsi les termes du débat : « Les bâtiments construits entre 1800 et 1850 possèdent généralement une valeur patrimoniale forte avec un niveau d’ornement des façades sur rue prononcé (bandeaux et corniches, encadrement de fenêtres, denticules, etc.) qui est l’un des déterminants de l’identité architecturale parisienne. Dans ces conditions l’ITE ne pourra être mise en œuvre sur les façades sur rue quand les façades sont ornementées. Faudra-t-il pour autant déplacer la question de l’isolation à l’intérieur des logements ? Couramment le débat sur les économies d’énergie s’accorde avec le sauvegarde du patrimoine par la préconisation de l’isolation intérieure des bâtiments. Il s’agit d’un raccourci terriblement simplificateur mais malheureusement courant [qui] conduit à une impasse tant sur le plan énergétique que sur le plan de la sauvegarde du patrimoine ».

Dans sa réponse écrite, l’APC relève « un déficit significatif de formation [des ABF] sur les questions d’amélioration énergétique des immeubles, surtout au regard de leur capacité de blocage des projets. »

Bien conscient des freins que pouvaient poser les ABF à la politique de rénovation énergétique, le législateur a récemment introduit dans le code du patrimoine une obligation pour les ABF de « tenir compte des objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables et de rénovation énergétique des bâtiments définis à l’article L. 100-4 du code de l’énergie » ([71]) qui fixe la stratégie nationale bas carbone. Entendus en audition, les ABF ne semblaient pas connaître cette nouvelle obligation qui reste en tout cas lettre morte.

b.   Résoudre le conflit de normes entre politique énergétique et patrimoine

i.   Établir une doctrine sur l’ITE de l’ancien pour chaque type de bâtiment

Il n’est certes pas question de recommander une isolation par l’extérieur systématique du bâti ancien. Mais vos rapporteures regrettent que l’association nationale des ABF n’ait présenté lors de son audition aucune doctrine cohérente fondée sur des considérations architecturales ou historiques. Les ABF semblent refuser l’ITE par principe, sans réflexion d’ensemble sur ce qui doit être conservé et sur ce qui peut évoluer afin de concilier rénovation énergétique et préservation du patrimoine.

S’il ne fait aucun doute que l’isolation par l’extérieur doit être purement et simplement interdite pour les bâtiments dont la façade est constituée de matériaux nobles ou portant la trace de techniques disparues, telles que les façades en pierre de taille ou à pans de bois apparents (« maisons à colombages »), il n’y a aucune raison de ne pas ajouter d’isolant sur les façades couvertes d’un enduit depuis le XVIIe siècle.

Notons à cet égard que la première politique d’isolation par l’extérieur des bâtiments date de l’ordonnance du 18 août 1667, qui impose que les maisons parisiennes à pans de bois apparents soient recouvertes d’un enduit de plâtre à la chaux. Cette mesure décidée par Louis XIV n’était certes pas motivée par des raisons thermiques, mais par une volonté de limiter les risques de propagation du feu, un an après le grand incendie de Londres. Il s’agit néanmoins de l’exemple d’une politique visant à protéger l’enveloppe externe des bâtiments pour motif d’intérêt général, dans la continuité de laquelle pourrait s’inscrire la politique contemporaine de rénovation énergétique.

Pour tous les bâtiments dont la façade est déjà couverte d’un enduit, l’isolation par l’extérieur ne consiste qu’à ajouter des panneaux de fibre de bois entre l’ossature et un nouvel enduit à la chaux. L’ITE ne modifie donc pas nécessairement l’aspect extérieur des bâtiments anciens, si ce n’est dans leur volumétrie ; elle peut même être l’occasion de reconstituer certaines modénatures qui ont pu se perdre au cours des siècles (bandeaux, chaînages d’angle et autres moulures en plâtre).

De même, les bâtiments en brique construits dans l’entre-deux-guerres pourront sans inconvénient être isolés par l’extérieur. En ce qui concerne les bâtiments haussmanniens, la prohibition de l’ITE côté rue ne doit pas empêcher l’ITE des façades côté cour, qui ne présente aucun intérêt patrimonial.

Histoire et intérêt patrimonial des différents matériaux
utilisés dans les bâtiments parisiens

La pierre de taille, ou « pierre de Saint-Maximin », est historiquement réservée aux bâtiments les plus nobles, qui revêtent aujourd’hui un intérêt patrimonial majeur : églises, hôtels particuliers, édifices royaux. Au milieu du XIXe siècle, les progrès techniques facilitent le transport de la pierre de taille qui sera largement utilisée pour la construction des immeubles bourgeois de la période « haussmannienne ». Ces bâtiments ne sont pas considérés comme historiques, mais leurs façades riches en ornements et modénatures méritent tout particulièrement d’être préservées. Les blocs de pierre de taille utilisés, d’une épaisseur de 40 à 50 cm, ont en outre des propriétés énergétiques intéressantes grâce à leur inertie très élevée.

Hormis le cas rare de la pierre de taille, les bâtiments les plus anciens sont construits en ossature bois et en torchis. À la suite du « grand incendie de Londres », qui a détruit en quelques jours plus de 13 000 maisons, Louis XIV décide d’interdire à Paris les pans de bois apparents qui devront donc être recouverts d’un enduit de plâtre à la chaux. On trouve ainsi, au XVIIe siècle, le premier exemple d’une obligation d’isolation par l’extérieur pour motif d’intérêt général. Il reste à Paris quelques exemples ([72]) de maisons à colombages.

À la suite de cette ordonnance, les constructions nouvelles sont le plus souvent en maçonnerie. La pierre utilisée, parfois appelée « pierre de Paris », est une pierre de moindre qualité qui ne dispose pas des mêmes propriétés esthétiques et architecturales que la pierre de taille. Contrairement à celle-ci, elle est en général recouverte d’un enduit.

La pierre a elle-même été progressivement remplacée par la brique. Considérée comme moins noble que la pierre, elle a longtemps été délaissée, à l’exception d’une brève période sous le règne d’Henri IV qui a donné lieu à plusieurs constructions remarquables dont l’exemple le plus emblématique est la place des Vosges. La brique est surtout utilisée à partir du milieu du XIXe siècle comme alternative moins coûteuse à la pierre de taille ; dans les bâtiments haussmanniens, la pierre de taille est réservée aux façades nobles et la brique est utilisée côté cour.

La brique continue de se développer dans la période post-haussmannienne, pour des raisons économiques. Apparaissent des bâtiments avec des façades mixtes, mélangeant pierre et brique. La brique est ensuite massivement utilisée, seule, après la Première guerre mondiale, dans le cadre de la construction du logement social (les « habitations bon marché ») avant d’être remplacée par le parpaing et par les matériaux modernes.

ii.   Encadrer le pouvoir discrétionnaire des ABF

En s’abritant confortablement derrière un raisonnement « au cas par cas », les ABF refusent de s’engager dans l’énoncé d’une esquisse de doctrine qui aboutirait à un référentiel opposable. Cette méthode d’analyse « au cas par cas », comme ils aiment l’appeler, semble d’ailleurs aboutir systématiquement à la même conclusion.

L’Agence parisienne du climat, qui porte la politique de rénovation énergétique à Paris, n’a connaissance que de 26 immeubles ayant reçu un avis favorable pour une ITE à Paris – et encore, ces autorisations ne portent le plus souvent que sur le côté cour. Les autorisations d’ITE côté rue sont très rares : à Paris Centre (qui rassemble les quatre premiers arrondissements), seules deux copropriétés ([73]) ont reçu une autorisation d’ITE côté rue, pour des travaux qui n’ont pas encore commencé. Dans deux cas ([74]), la mairie a autorisé l’ITE malgré un avis simple défavorable des ABF.

Les ABF disposent donc d’un pouvoir discrétionnaire qui n’est encadré par aucune directive nationale et confine parfois à l’arbitraire. Dans sa réponse écrite, l’APC dénonce une capacité de blocage « selon des doctrines parfois assez personnelles », variables d’un ABF à l’autre, et « un poids surdimensionné de l’ABF si celui-ci a décidé de partir en croisade contre l’isolation ». Vos rapporteures relèvent en outre une différence de discours, en audition, entre la direction générale des patrimoines et les ABF, qui donne l’impression que ceux-ci mènent une politique autonome qui échappe même au contrôle du ministère de la culture (sauf recours à l’encontre d’une décision individuelle).

Si le ministère de la culture mentionne l’existence de « guides pratiques » sur l’isolation du bâti ancien, il apparaît que ces guides ne sont pas destinés aux ABF mais aux maîtres d’œuvre. Il serait donc temps d’encadrer le pouvoir discrétionnaire des ABF par un texte opposable, par exemple une ligne directrice ([75]), qui explique clairement dans quels cas l’isolation par l’extérieur est prohibée (pierre de taille, maisons à colombages) et dans quels cas elle doit être acceptée (façade couverte d’enduit, brique XXe siècle) sous réserve de l’emploi de techniques appropriées (isolant minéral ou biosourcé, enduit de plâtre à la chaux).

Au demeurant, s’il n’y a pas de raison d’interdire l’ITE d’un bâtiment ordinaire au motif qu’il serait situé aux abords d’un monument historique, il n’y a pas non plus de raison d’autoriser l’ITE d’un bâtiment présentant un intérêt patrimonial, au motif qu’il n’est pas dans les abords. De nombreux villages sont dotés d’une architecture pittoresque qui mérite d’être préservée. Un texte national définissant dans quels cas l’ITE est prohibée aurait donc l’intérêt de préserver le patrimoine au-delà du périmètre de compétence des ABF.

Proposition n° 14 : Définir précisément dans une ligne directrice, opposable aux maîtres d’œuvre et aux ABF, l’étendue des contraintes patrimoniales relatives à la rénovation énergétique des logements : dire pour quel type de façades (matériaux, époque, état de conservation) l’isolation par l’extérieur est interdite, et pour quel type de façades elle est en principe autorisée, sous réserve de l’emploi de techniques adaptées aux caractéristiques du bâti.

Il conviendrait en outre de restreindre la compétence des ABF, en ce qui concerne les abords (et non les monuments historiques eux-mêmes) aux seules façades visibles depuis la rue, afin qu’ils ne puissent plus s’opposer à l’ITE côté cour.

Proposition n° 15 : Restreindre la compétence des ABF, en matière de travaux énergétiques modifiant l’aspect du bâtiment, aux seuls lots de travaux visibles depuis la rue, afin que l’isolation par l’extérieur des façades sur cour puisse être autorisée par la mairie sans consultation des ABF.

iii.   Adapter les aides pour tenir compte du coût de l’isolation de l’ancien

L’assouplissement de la contrainte patrimoniale implique, en parallèle, que les aides soient adaptées aux techniques particulières qu’impose la rénovation de l’ancien. Les critères actuels ne prennent en compte ni l’empreinte carbone des matériaux isolants, ni les spécificités du bâti à isoler. Les isolants synthétiques (de type polystyrène expansé) sont subventionnés au même titre que les autres, alors qu’ils sont moins intéressants en termes d’impact environnemental, de propriétés acoustiques et d’inertie, et que leur absence de perméabilité à l’eau les rend impropres à l’isolation de l’ancien. Les matériaux biosourcés (fibre de bois, liège, ouate de cellulose…) n’ont pas ces défauts mais ils sont plus coûteux et ne donnent droit à aucun bonus (sauf dans certaines collectivités locales).

Les ABF exigent en outre la réalisation d’un diagnostic patrimonial préalablement à tout projet d’ITE et le remplacement des fenêtres PVC par des fenêtres en bois plus coûteuses. Ces exigences, légitimes dans une perspective patrimoniale, ne doivent pas constituer un frein financier à la rénovation énergétique.

Les aides à la rénovation énergétique devraient donc être bonifiées pour tenir compte des contraintes techniques ou patrimoniales, et financer une partie du surcoût induit par le recours imposé à des menuiseries en bois, à l’utilisation d’isolants biosourcés et à la réalisation d’un diagnostic patrimonial.

Proposition n° 16 : Prévoir des « bonus » adossés aux aides à la rénovation globale pour financer une partie du surcoût induit par les contraintes techniques et patrimoniales propres à l’isolation de l’ancien (fenêtres en bois ; réalisation d’un diagnostic patrimonial ; emploi de matériaux biosourcés).

c.   Contrainte d’alignement : inciter les mairies à mieux anticiper et coordonner les ravalements à l’échelle de la rue

Au-delà des contraintes strictement patrimoniales, l’ITE peut également être rejetée pour des raisons relatives à l’alignement des bâtiments. La réalisation d’une ITE avec 14 cm de fibre de bois peut occasionner jusqu’à 20 cm de débord en comptant la lame d’air et l’épaisseur d’enduit. En centre-ville, la contrainte de l’espace piéton conduira bien souvent à ne faire commencer l’ITE qu’au premier étage.

Une élaboration fine du projet d’ITE peut permettre de réduire, voire d’annuler ce débord et de conserver l’alignement avec les bâtiments mitoyens. L’ancien enduit peut être « pioché » avant la fixation de l’isolant pour récupérer plusieurs centimètres. L’isolation par l’extérieur classique peut aussi être remplacée, ponctuellement, par un enduit isolant qui assure ainsi une double fonction dans une seule épaisseur. Des enduits innovants particulièrement performants ([76]) sont en train de se développer mais leur coût et leur faible disponibilité s’opposent encore à leur utilisation massive. Ces techniques ont été utilisées par les deux copropriétés précitées du centre de Paris pour concilier performance énergétique et contraintes d’urbanisme (voir encadré).

Concilier rénovation énergétique et patrimoine :
l’exemple de deux copropriétés du centre de Paris

Les copropriétés du 5-7 rue de Cléry et du 1 rue Paul Lelong sont les deux seules copropriétés de Paris Centre à avoir reçu une autorisation pour une ITE côté rue (avis favorables de l’ABF du 23 mars 2022, pour la première, et du 29 août 2023 – après un premier avis défavorable et un recours fructueux devant le préfet – pour la seconde).

Ces deux copropriétés, situées dans le 2ème arrondissement, datent respectivement de la fin du XVIIIe siècle et du milieu du XVIIe siècle. Les deux projets, commencés en 2016 et en 2022, constituent un modèle de conciliation entre rénovation énergétique et préservation du patrimoine.

Ces deux copropriétés présentent plusieurs points communs : elles sont construites en pans de bois et en pierre (au rez-de-chaussée) enduits ; elles ont été recouvertes dans la deuxième moitié du XXe siècle (après un arrêté de péril pour la seconde) par un autre enduit,  non traditionnel (de type mâchefer) qui bloquait la perspirance du bâti. En retirant cette « deuxième peau », d’une épaisseur moyenne de 8 cm, les deux copropriétés vont atténuer le débord résultant de la pose d’un isolant, et rétablir les équilibres hygrométriques au niveau des façades.

Dans les deux cas, l’emploi de matériaux biosourcés (fibre de bois, béton de chanvre), pour l’isolation des façades et de la toiture (par la technique du sarking) permettra de préserver les qualités du bâti ancien. Par exception, la copropriété située à l’angle de la rue Lelong et de la rue Montmartre prévoit côté Montmartre un enduit à l’aérogel d’épaisseur identique à l’enduit existant, afin de conserver l’alignement avec la copropriété mitoyenne et de satisfaire aux exigences d’urbanisme.

Les performances énergétiques seront significativement améliorées : les deux bâtiments passeront d’une étiquette G très dégradée (consommation annuelle par m² de 570 et de 546 kWh) à une étiquette F et E pour un gain thermique de 40 % et de 50 %.

Enfin, les deux projets prévoient le remplacement des menuiseries par des fenêtres en bois et la reconstitution de modénatures disparues : bandeaux en plâtre, corniches, lignes en bas relief, chaînages d’angle, etc., qui contribueront donc à restaurer les caractéristiques patrimoniales de ces bâtiments. À ces fins, la copropriété située 1 rue Paul Lelong a pu s’appuyer sur les conseils de la Commission du vieux Paris et sur le diagnostic patrimonial réalisé à la demande des ABF.

Ces deux copropriétés font partie des premières du centre de Paris à pouvoir bénéficier pleinement de MaPrimeRénov’ Copropriété et des aides complémentaires de la municipalité (Eco Rénovons Paris) portées par l’Agence parisienne du climat via la plateforme « CoachCopro ». Le niveau important des aides a été déterminant dans le choix d’effectuer une rénovation globale, même si le coût des travaux avant les aides (environ 35 000 € par lot) excède les plafonds éligibles (25 000 € par lot).

Après huit ans de démarches, le chantier devrait commencer à l’automne 2024 dans la copropriété du 5 rue de Cléry et en 2025 pour le 1 rue Paul Lelong.

Mais la question du débord signifie en fait que la rénovation énergétique des copropriétés en centre-ville ne devra pas être envisagée seulement à l’échelle du bâtiment, mais à l’échelle de la rue voire du quartier. La mairie aura donc à l’avenir un rôle de pilotage de la rénovation énergétique des immeubles qui ne pourra avoir lieu que de manière coordonnée.

La loi confère déjà au maire des prérogatives importantes tenant au ravalement des façades. Dans les grandes villes, le maire dispose d’un pouvoir d’injonction contraignant. Aux termes de l’article L. 126-2 du code de la construction et de l’habitation, « Les façades des bâtiments doivent être constamment tenues en bon état de propreté à Paris ainsi que dans les communes figurant sur une liste établie par décision de l’autorité administrative, sur proposition ou après avis conforme des conseils municipaux. Les travaux nécessaires sont effectués au moins une fois tous les dix ans, sur l’injonction qui est faite au propriétaire par l’autorité municipale. »

Les maires disposent donc d’un outil très puissant mais peu exploité. La mairie est censée tenir un registre des ravalements effectués pour pouvoir, le cas échéant, signifier une injonction aux immeubles n’ayant pas été ravalés depuis dix ans. Actuellement, l’instrument n’est pas utilisé dans une logique prospective et l’injonction n’est adressée qu’aux bâtiments dans un état tellement dégradé que le ravalement ne peut plus être différé pour y intégrer une dimension énergétique.

Il ne tiendrait qu’aux maires de s’approprier pleinement le pouvoir d’injonction et d’en faire un instrument au service de leur politique d’urbanisme et de leur stratégie environnementale. D’une part, les bâtiments faisant l’objet d’une injonction pourraient se voir accorder un délai supplémentaire à la condition de mettre en place un projet de rénovation plus ambitieux qu’un ravalement simple. D’autre part, le pouvoir d’injonction pourrait être utilisé pour orchestrer les ravalements à venir à l’échelle de la rue et éviter les ravalements « en ordre dispersé ». En adressant une injonction suffisamment tôt à deux copropriétés voisines, la mairie permet à celles-ci de réaliser leur ravalement de manière coordonnée, et ainsi d’y intégrer une isolation par l’extérieur tout en conservant l’alignement de leur façade.

À cette fin, il faudrait également permettre le dépôt conjoint d’une déclaration préalable par plusieurs copropriétés voisines, afin de définir dès l’autorisation d’urbanisme la limite commune des façades résultant de l’ITE future. L’article 29 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit déjà la possibilité de travaux communs entre plusieurs copropriétés dans le cadre d’une « union de syndicats ».

Proposition n° 17 : Encourager les maires à utiliser toute la latitude que leur confère le pouvoir d’injonction de ravalement défini à l’article L. 126-2 du code de la construction, afin que cet outil soit utilisé pour faciliter l’isolation par l’extérieur :

– modulation de l’injonction en fonction du projet de ravalement (laisser davantage de temps aux copropriétés souhaitant faire une rénovation globale) ;

– anticipation des ravalements à venir à l’échelle de la rue pour inciter les copropriétés concernées à se coordonner ;

– possibilité de délivrer des autorisations d’urbanisme communes à plusieurs copropriétés voisines afin de définir un nouvel alignement résultant de l’ITE.

3.   Les difficultés à la rénovation en copropriété insuffisamment prises en compte

En plus des contraintes externes d’urbanisme, les copropriétés font face à des contraintes internes spécifiques qui rendent le processus d’octroi des aides particulièrement difficile.

Les copropriétés représentent une part très réduite des bénéficiaires des aides de l’Anah. Selon la Cour des comptes, les appartements ne représentaient au premier trimestre 2023 que 4 % des dossiers aidés par l’Anah, alors qu’ils représentent 44 % des résidences principales. En 2022, il n’y a eu que 523 copropriétés aidées dans le cadre de MaPrimeRénov’ Copropriété, représentant 26 000 logements (contre un objectif de 40 000 logements la même année).

Pour 2024, l’Anah a fixé un objectif de 80 000 logements bénéficiant de MaPrimeRénov Copro (sur un objectif total de 200 000 rénovations globales) qui paraît irréaliste au regard de la complexité du processus d’octroi de l’aide. Malgré une augmentation des aides en 2024 (le taux passe de 25 % à 45 % en cas de gain thermique de 50 %), il est à prévoir que le budget alloué pour MaPrimeRénov’ Copro en 2024 sera largement sous-exécuté.

La première contrainte spécifique est celle du processus de décision, qui implique un vote en assemblée générale et donc l’assentiment d’une majorité de copropriétaires. En réalité, cette contrainte ne doit pas être exagérée car un projet de rénovation globale n’est pas plus complexe du point de vue de la procédure de vote que n’importe quel projet de ravalement.

Financièrement, grâce à l’aide de l’Anah augmentée des aides locales, une rénovation globale coûte moins cher aux copropriétaires qu’un ravalement simple. L’aide prend en effet en charge non seulement le coût de l’isolation, mais le coût des travaux induits – c’est-à-dire le ravalement lui-même – dans la limite d’un plafond de travaux de 25 000 € par lot. Une copropriété sous injonction de ravalement paiera donc moins cher l’ensemble des travaux si elle décide d’y adjoindre une isolation par l’extérieur. Le fait que les mairies ne profitent pas de l’injonction pour inciter les copropriétaires à entreprendre une rénovation globale est d’autant plus regrettable.

La proposition formulée par plusieurs acteurs ([77]) de basculer le vote des travaux de rénovation énergétique de la majorité de l’article 25 (majorité absolue) à celle de l’article 24 (majorité simple), comme les travaux « nécessaires à la conservation de l’immeuble » est intéressante, mais elle ne résoudrait pas les difficultés fondamentales qui se situent en fait en amont du vote des travaux.

Les copropriétés sont tout particulièrement concernées par les contraintes d’urbanisme doublées, en centre-ville, par des contraintes patrimoniales. Or les syndics de copropriété n’ont pas forcément la compétence, ni la motivation, pour contester un avis défavorable des ABF. Par conséquent, les syndics ont plutôt tendance à décourager les copropriétaires d’effectuer une ITE à l’occasion de leur ravalement. Un rapport récent de l’Institut Paris région ([78]) montre que les syndics sont au mieux, vis-à-vis de la rénovation énergétique, dans une logique de « suivisme ».

Les démarches à effectuer pour obtenir la subvention publique, déjà compliquées pour les aides individuelles, le sont encore davantage à l’échelle de la copropriété. Comme l’aide est conditionnée à un gain énergétique (35 % et, depuis cette année, 50 % pour accéder au deuxième niveau d’aide), il est nécessaire de réaliser un audit énergétique pour évaluer la situation initiale et le gain de performance induit par différents scénarios de travaux. Mais comme une copropriété peut comprendre plusieurs dizaines de logements, dont les caractéristiques sont toutes différentes, d’autant que les aides de l’Anah sont réservées aux bâtiments de plus de 15 ans qui ont en général subi d’importantes modifications depuis leur construction, il faut donc réaliser le travail fastidieux de visiter un par un tous les appartements pour vérifier le nombre de fenêtres simple vitrage, l’étendue des surfaces déperditives et l’épaisseur des murs (dans l’ancien, ces caractéristiques changent d’un étage à l’autre) pour établir le diagnostic relatif à la consommation énergétique initiale.

En pratique, une connaissance exhaustive de l’état des équipements avant travaux n’est pas possible ; elle serait de toute façon vaine, puisque les bailleurs inquiets de ne plus pouvoir louer leur logement (voir infra, II-B-2) et ne pouvant attendre plusieurs années que les démarches auprès de la copropriété aboutissent, s’empressent de rénover leurs parties privatives ce qui rend le diagnostic initial caduc. Par exemple, si le scénario de travaux avait calculé un gain thermique de 35 % avec une ITE et le remplacement d’un certain nombre de fenêtres simple vitrage, le constat ultérieur d’un nombre de fenêtres simple vitrage inférieur ou de surfaces isolées par l’intérieur plus importantes que prévu, peut remettre en cause l’éligibilité aux aides après plusieurs années de démarches.

À cela s’ajoute le fait que l’atteinte d’un gain de performance de 35 % n’est souvent possible qu’en réalisant des travaux à la fois sur les parties communes et sur les parties privatives. Chaque propriétaire peut donc bloquer l’éligibilité aux aides de toute la copropriété en refusant que l’on intervienne sur ses fenêtres et surtout sur sa ventilation, puisque le projet d’isolation dans son ensemble ne sera pas viable (ni subventionné) si tous les logements n’ont pas de ventilation mécanique.

C’est pour pallier ces difficultés que le législateur a introduit, avec la loi « Grenelle II » ([79]), la notion de « travaux privatifs d’intérêt collectif ». Les travaux privatifs d’intérêt collectif sont des travaux privatifs qui, en raison de leur intérêt pour l’ensemble de la copropriété, peuvent être décidés en assemblée générale à la majorité simple et imposés à l’ensemble des copropriétaires.

Le dispositif des travaux privatifs d’intérêt collectif souffre de deux défauts. Premièrement, la liste limitative de ces travaux, fixée par décret ([80]), comprend les fenêtres mais pas la ventilation. Deuxièmement, ces travaux sont entièrement à la charge du copropriétaire concerné ([81]), même s’ils constituent la condition indispensable à l’octroi d’une aide bénéficiant à l’ensemble de la copropriété. Le mode de répartition des coûts afférents aux travaux privatifs d’intérêt collectif peut être perçu comme injuste et dissuader les copropriétaires concernés de voter en faveur d’une rénovation globale qu’ils contribueront davantage que les autres à financer.

Il est donc nécessaire d’étendre la liste des travaux privatifs d’intérêt collectif à la ventilation et de mutualiser les coûts entre l’ensemble des copropriétaires quand ces travaux permettent de bénéficier d’une aide collective.

Proposition n° 18 : Étendre la liste des travaux privatifs d’intérêt collectif, définie à l’article R. 173‑10 du code de la construction, aux travaux de ventilation décentralisée et faire supporter par l’ensemble des copropriétaires le coût de ces travaux, quand ils ont été votés en application de l’article 25 f) de la loi du 10 juillet 1965 dans le but d’obtenir une aide collective.

Enfin, comme avec les aides individuelles, le critère d’éligibilité est excessivement rigide. Il est sans doute préférable d’imposer un gain de performance plutôt qu’un saut d’étiquettes, mais le seuil retenu (au moins 35 %) ne tient pas compte du mode de chauffage, individuel ou collectif, de la copropriété. Quand la copropriété est en chauffage individuel, elle ne pourra compter que sur l’isolation de l’enveloppe pour atteindre, bien plus difficilement, le seuil de 35 %.

Ces différentes contraintes expliquent que MaPrimeRénov’ bénéficie aujourd’hui à des copropriétés modernes (construites à 58 % entre 1961 et 1971), de grande taille (50 lots en moyenne), dont les logements ont des caractéristiques standards et sont chauffés de manière collective (61 %). L’Anah elle‑même reconnaît que l’aide n’est pas adaptée aux petites copropriétés situées en centre‑ville, qui présentent souvent des caractéristiques très hétérogènes, un chauffage individuel (à 90 %) et qui sont soumises à des contraintes d’urbanisme et à l’avis des ABF : « la faible part d’équipements communs (notamment le chauffage collectif) et les prescriptions urbaines et architecturales conduisent beaucoup de copropriétés à ne pas pouvoir atteindre un gain énergétique de 35 %, qui constitue une condition d’octroi de l’aide “MPR Copropriété” et agit comme un effet de seuil. En outre, les travaux déjà effectués par les copropriétaires ont parfois déjà réduit le gisement de gain énergétique. » ([82])

Comme pour les aides individuelles, la meilleure façon de simplifier l’aide aux copropriétés est de sortir de la logique du gain de performance pour ne considérer que les travaux concrètement réalisables. L’aide serait seulement conditionnée à une obligation de moyen tenant au traitement de tous les postes de travaux susceptibles d’être réalisés en parties communes : isolation par l’extérieur complète (sous réserve, en ce qui concerne les façades côté rue, des contraintes d’urbanisme), ventilation et changement des fenêtres si nécessaire, changement du chauffage collectif si existant.

Ainsi simplifié, le parcours d’accès à l’aide serait bien plus lisible et sécurisant pour les copropriétaires.

Il est à noter que l’Anah, prenant acte des difficultés liées à la rénovation des copropriétés anciennes, vient de mettre en place un dispositif expérimental, réservé aux copropriétés de moins de 20 lots (« MaPrimeRénov’ Petite Copro »), proche du mécanisme proposé par le présent rapport. Ces copropriétés seront dispensées d’un critère de performance à condition de :

– démontrer qu’elles n’ont pas la possibilité d’atteindre le seuil de 35 % à cause de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales ; un gain minimal de performance de 15 % est toutefois imposé pour « éviter tout dévoiement du dispositif » ([83]) ;

– réaliser la totalité des travaux prescrits par un audit énergétique, à l’exception des travaux rendus impossibles par un avis négatif des ABF.

Ce nouveau dispositif, qui n’est pour l’instant qu’une expérimentation limitée dans le temps (trois ans) et dans son périmètre (copropriétés de moins de 20 lots ayant un « potentiel énergétique » limité), est le signe prometteur d’une bascule d’une logique rigide de la performance vers une logique réaliste de réalisation de tous les travaux pertinents qu’il est possible de faire in concreto.

Il serait souhaitable que cette nouvelle doctrine soit étendue à l’ensemble des copropriétés anciennes, ainsi qu’aux logements individuels (voir proposition n° 12). Aussi, il faudra prendre garde que les dérogations systématiques en cas de refus des ABF n’aient pas pour conséquence une renonciation pure et simple à l’isolation par l’extérieur dans les secteurs soumis à leur compétence, plutôt qu’un infléchissement de la politique du patrimoine dans le sens de la politique de rénovation énergétique (voir propositions n° 14 et 15).

Proposition n° 19 : Supprimer le critère d’éligibilité de l’aide aux copropriétés tenant à un gain de performance thermique, et garantir l’octroi de l’aide à tout projet de travaux incluant l’isolation complète de la toiture et des façades (sous réserve, côté rue, des contraintes d’urbanisme), la ventilation et le remplacement des fenêtres peu performantes.

B.   LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE AU-DELÀ DES AIDES : INCITER PAR LA RÉGLEMENTATION

La politique de rénovation énergétique des logements ne peut pas se résumer à des aides publiques. D’une part, comme on l’a vu, les aides sont extrêmement complexes à paramétrer et à traduire en résultats – définition des critères, contrôles, risques de fraudes… D’autre part, les aides sont coûteuses et il appartient aussi aux propriétaires de prendre leur part de l’effort de rénovation énergétique des logements.

Il y a deux moments favorables à la rénovation globale d’un bâtiment, à l’occasion desquels elle pourrait être rendue obligatoire, ou du moins fortement encouragée : le ravalement, pour les immeubles ; la mutation ou le changement de locataire, pour les logements individuels.

Le législateur a déjà prévu deux normes contraignantes : l’obligation d’isoler par l’extérieur au moment d’un ravalement, et « l’interdiction » de louer les passoires thermiques. Mais la première n’est pas appliquée (1), et la deuxième pose plus de difficultés qu’elle n’en résout (2). Enfin, il n’existe aucun dispositif pour inciter les acquéreurs à rénover au moment de l’achat d’un bien (3).

1.   Faire appliquer l’obligation d’isolation au moment du ravalement

La loi prévoit déjà une obligation d’isoler par l’extérieur les bâtiments au moment de leur ravalement, que les nombreuses exceptions (a) et l’absence de dispositif de sanction (b) rendent inopérante.

a.   Des exceptions trop larges au principe, qui font du principe l’exception

Depuis la loi de transition énergétique du 17 août 2015, il existe une obligation d’isoler par l’extérieur les bâtiments au moment de leur ravalement, appelée obligation de « travaux embarqués » : « Lors de travaux importants de ravalement ou de réfection de toiture sur des bâtiments existants, des travaux d’isolation thermique sont réalisés, à moins que cette isolation ne soit pas réalisable techniquement ou juridiquement ou qu’il existe une disproportion manifeste entre ses avantages et ses inconvénients de nature technique, économique ou architecturale. » ([84])

Bien que cela ne soit pas dit explicitement, l’obligation d’isoler concerne bien évidemment l’isolation par l’extérieur, puisqu’elle est réalisée à l’occasion d’un ravalement.

Les exceptions prévues sont les exceptions habituelles, également mentionnées dans la définition de la rénovation performante (voir supra) et dans la réglementation relative aux logements énergétiquement indécents (voir infra). Ces exceptions concernent : la contrainte technique, la contrainte économique (coût disproportionné des travaux) et la contrainte juridique, qui couvre les contraintes d’urbanisme (règles d’alignement) et la contrainte patrimoniale (avis des ABF). Le texte prévoit également une exception en cas de dégradation de la qualité architecturale, y compris en-dehors des abords de monuments historiques ; cette exception doit être justifiée par une note argumentée rédigée par un architecte.

Les contraintes liées aux règles d’urbanisme, à la préservation du patrimoine et des qualités architecturales du bâti sont légitimes, bien qu’il soit nécessaire de les préciser par un texte opposable aux autorités administratives chargées de les appliquer, comprenant une liste claire de ce qui est interdit ou autorisé en fonction des caractéristiques des façades (voir proposition n° 14).

La contrainte technique et la contrainte économique, en revanche, sont définies de manière tellement large qu’elles peuvent toujours justifier une exception au principe. Les textes d’application circonscrivent l’obligation de travaux embarqués aux façades « constituées en surface à plus de 50 %, hors ouvertures, de terre cuite, de béton, de ciment ou de métal » ([85]), ce dont l’Ademe conclut qu’elle ne s’applique pas au bâti ancien ([86]). Cette limitation, qui n’est pas dans le texte de la loi, est d’autant moins justifiée qu’aucune contrainte technique n’empêche l’isolation par l’extérieur y compris dans l’ancien (voir supra). L’exception technique devrait donc être remplacée par des prescriptions techniques (emploi de matériaux perspirants dans le respect des règles de l’art).

La contrainte économique est définie par les textes réglementaires en fonction de la rentabilité du projet. Le coût de l’isolation sera considéré comme « disproportionné » si les économies d’énergie réalisées sur une période de dix ans ne suffisent pas à couvrir le surcoût lié à l’isolation. Or ce délai de retour sur investissement est trop court, puisqu’un ravalement est fait pour durer plusieurs dizaines d’années. En outre, l’assiette prise en compte pour calculer ce surcoût comprend non seulement les travaux d’isolation, mais « l’ensemble des coûts induits par l’ajout d’une isolation » ([87]), c’est-à-dire le coût du ravalement. Cela n’a pas de sens, puisque l’obligation de travaux embarqués a précisément vocation à s’appliquer à l’occasion d’un projet de ravalement indépendant, dont le maître d’ouvrage aurait de toute façon à supporter le coût.

Vos rapporteures considèrent donc qu’il faut supprimer purement et simplement l’exception technique, qui n’a pas lieu d’être, et réserver l’exception économique aux seuls bâtiments dont la classe énergétique est déjà de C ou mieux.

Proposition n° 20 : Supprimer l’exception pour cause de contrainte technique à l’obligation de travaux embarqués prévue à l’article L. 173-1 du code de la construction et de l’habitation, et réserver l’exception économique aux bâtiments de classe énergétique C.

b.   Une obligation méconnue, sans réelle contrainte juridique

Les personnes entendues en audition ont confirmé à vos rapporteures que l’obligation de travaux embarqués n’était souvent pas connue, y compris des professionnels. Faute de contrôles et de sanctions, l’obligation n’est pas respectée, comme le confirme le Conseil national de l’Ordre des architectes dans sa réponse écrite : « Un problème réside dans l’absence de dispositif coercitif qui pénaliserait les maîtres d’ouvrage qui refusent ces travaux. Aujourd’hui, dans les faits, l’obligation se limite à une préconisation ».

Fait significatif, le texte qui confère aux maires un pouvoir d’injonction pour ordonner le ravalement des immeubles (article L. 126-2 du code de la construction et de l’habitation) ne fait aucune référence au texte qui définit une obligation d’isolation en cas de ravalement (article L. 173-1 du même code).

Cela devrait pourtant être à la mairie, en tant qu’autorité compétente en matière de demandes d’urbanisme, de vérifier que le maître d’ouvrage a bien respecté son obligation de travaux embarqués au moment de l’examen des déclarations préalables relatives aux ravalements. Depuis un décret du 18 décembre 2023 ([88]), la liste des informations comprises dans la déclaration préalable ([89]) comprend désormais la mention de l’obligation d’installer un système de production d’énergies renouvelables ou un système de végétalisation dans les bâtiments tertiaires ([90]), mais elle ne mentionne toujours pas l’obligation de travaux embarqués, de sorte qu’aucun texte n’impose au maître d’ouvrage de justifier du respect de cette obligation, malgré la mention par l’article R. 173-6 du code de nombreuses « notes argumentées » que le maître d’ouvrage doit faire produire par un homme de l’art et qui ne sont en fait requises par aucun document administratif.

Pour donner corps aux textes existants, il faudrait donc conditionner la délivrance de l’autorisation d’urbanisme à la justification par le demandeur soit du respect de l’obligation d’isolation par l’extérieur – et, le cas échant, des prescriptions relatives à l’isolation du bâti ancien – soit de l’exception à cette obligation. En réalité, sauf cas où le bâtiment est déjà classé C (exception économique) ou en cas de particularités architecturales justifiées par un architecte, les exceptions seront d’ordre juridique et c’est la mairie qui les soulèvera d’office.

Proposition n° 21 : Conditionner la délivrance d’une autorisation d’urbanisme relative à un projet de ravalement à la justification, par le demandeur, de la satisfaction de l’obligation de travaux embarqués, en faisant référence à cette obligation dans le texte fixant la liste des informations devant figurer dans la déclaration préalable (article R*431-55 du code de l’urbanisme).

2.   Interdiction de location des passoires thermiques : un dispositif efficace, mais source d’incompréhension et d’insécurité juridique

La rénovation du parc locatif ne pourra pas se faire uniquement aux frais de l’État, avec des dispositifs d’aide de plus en plus avantageux mais qui sont légitimement limités, en ce qui concerne les bailleurs, à trois logements loués par période de cinq ans. Selon les chiffres de l’Insee, la moitié du parc de logements loués appartenant à des particuliers est détenu par 3,5 % de ménages propriétaires d’au moins cinq logements, ce qui témoigne d’une certaine concentration des richesses foncières ([91]). Les bailleurs, pour qui le logement représente une source de revenus, doivent être responsabilisés au moyen de contraintes réglementaires.

L’interdiction de location des passoires thermiques est le dispositif le plus contraignant, et sans doute le plus efficace, jamais créé pour engager le processus de rénovation massive des logements. Les textes relatifs à cette interdiction sont toutefois complexes, pas toujours compréhensibles, et sources d’une insécurité juridique majeure qui peut susciter l’inquiétude légitime de bailleurs de bonne foi soumis à des obligations contradictoires.

a.   Les logements énergivores progressivement considérés comme « indécents »

La contrainte réglementaire pesant sur les bailleurs prend deux formes qui se superposent : le gel des loyers depuis 2022 et les restrictions progressives à la location depuis 2023. À cela s’ajoute, pour tous les logements (loués ou non), une obligation de sortie du statut de passoire thermique pour 2028.

i.   Gel des loyers des passoires thermiques

L’article 159 de la loi n° 2021-1104 dite « Climat résilience » du 22 août 2021 interdit la revalorisation du loyer des logements classés F ou G, que ce soit à la date d’anniversaire du bail, à sa reconduction ou à la signature d’un contrat de bail avec un nouveau locataire.

Cette interdiction est en vigueur pour tous les baux signés ou tacitement reconduits à partir du 28 août 2022. La durée légale minimale d’un bail pouvant aller jusqu’à six ans, en cas de contrat de location nue conclu par une personne morale, elle ne s’appliquera que progressivement au gré des renouvellements des baux existants, jusqu’à l’année 2028.

ii.   L’interdiction progressive des logements classés G, F et E à la location

Le législateur a également introduit dans la loi la notion « d’indécence énergétique », faisant peser sur le bailleur l’obligation d’effectuer à ses frais des travaux dans les logements ne répondant pas à un « critère de performance énergétique minimale ».

Ce « critère de performance énergétique minimale », créé par la loi de transition énergétique du 17 août 2015, a évolué vers davantage de rigueur :

– initialement, le critère n’était pas défini dans la loi mais dans un décret qui le limitait à une exigence d’étanchéité à l’air et de ventilation ;

– avec la loi « Énergie climat » du 8 novembre 2019, ce critère doit s’apprécier en fonction d’un « seuil maximal de consommation d’énergie finale » qui a été fixé à 450 kW/h par m² et par an ([92]) ; il s’applique aux contrats de location conclus à partir du 1er janvier 2023 ;

– enfin, la loi « Climat résilience » ne fait plus dépendre le critère de la consommation d’énergie finale, mais de la classe énergétique du logement (de A à G), elle-même déterminée en fonction de sa consommation énergétique primaire. Cette réforme sera en vigueur à partir du 1er janvier 2025.

Tout en continuant curieusement à renvoyer à un décret en Conseil d’État, l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction issue de la loi « Climat résilience » précise directement un calendrier d’interdiction progressive à la location des logements mal classés.

Ainsi, l’interdiction de location des logements classés G se substituera à partir du 1er janvier 2025 à l’interdiction de location des logements ayant une consommation en énergie finale supérieure à 450 kWh par m² et par an.

Seuils progressifs d’indécence énergétique (métropole)

Calendrier

Seuil d’indécence

Équivalent en énergie primaire

1er janvier 2023

450 kW/h par m² et par an (énergie finale) (« G+ »)

entre 450 et 1 035 kWh par m² et par an ([93])

1er janvier 2025

G

421 kWh par m² et par an

1er janvier 2028

F

331 kWh par m² et par an

1er janvier 2045

E

251 kWh par m² et par an

iii.   Une interdiction à l’habitation des logements classés F en 2028 ?

En parallèle de la réglementation des critères de décence relatifs aux logements loués, la loi « Énergie climat » a prévu un bannissement de tous les logements classés F à partir de 2028 : « À compter du 1er janvier 2028, le niveau de performance, déterminé selon la méthode du diagnostic de performance énergétique, des bâtiments ou parties de bâtiment à usage d’habitation est compris entre les classes A et E » ([94]).

On ne peut que s’étonner de cette formule incantatoire, dont la portée juridique prête à confusion. S’agit-il de l’énoncé d’un objectif ou d’une norme contraignante ? La suite du texte semble soutenir la deuxième hypothèse, en définissant les exceptions à ce qui est désigné comme une « obligation », bien que la nature de cette obligation ne soit pas claire puisqu’elle ne pèse pas sur des personnes mais sur des bâtiments.

Il semble donc que la loi ait consacré une obligation implicite de réaliser des travaux énergétiques dans tous les bâtiments classés F ou G d’ici 2028, sauf exceptions habituelles (contraintes techniques, architecturales, patrimoniales, économiques).

La fin de l’article brouille toutefois le signal sur la portée réelle de l’obligation, en précisant : « le non-respect de l’obligation définie au même I est mentionné dans les publicités relatives à la vente ou à la location ainsi que dans les actes de vente ou les baux concernant ce bien. » Ainsi, la loi fixe une première obligation puis une deuxième obligation dans le cas où la première ne serait pas respectée, ce qui semble faire de celle-ci une simple norme indicative…

b.   Un régime juridique peu clair

i.   L’absence d’interdiction formelle de location des passoires thermiques

Le régime entourant « l’interdiction » de la location des passoires thermiques souffre de la même ambiguïté. Malgré la communication du Gouvernement affirmant l’inverse, aucun texte n’interdit juridiquement la location des logements classés G à partir de 2025.

L’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose seulement que : « si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions […] le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu’il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. » Ainsi, l’indécence d’un logement n’empêche ni la mise en location, ni la poursuite d’un bail en cours.

La législation relative à l’indécence est en effet paradoxale : elle a d’abord pour objectif de protéger le locataire, mais c’est surtout le locataire qui serait pénalisé par une sanction rigoureuse de sa violation (la fin du contrat de bail). Par conséquent, le propriétaire bailleur d’un logement indécent s’expose seulement à être contraint par le juge, saisi par le locataire, à la réalisation des travaux nécessaires, éventuellement à une diminution de loyer jusqu’à leur achèvement.

Ce paradoxe amène à s’interroger sur la question de savoir si le régime de l’indécence est l’outil le plus adéquat pour contraindre les bailleurs à isoler leur logement. Conceptuellement, l’indécence est une propriété objective des logements (un logement est décent ou ne l’est pas) ; or dans les textes actuels, la qualification d’indécence énergétique ne dépend pas tant des caractéristiques du logement, que de la qualité de l’occupant et de la date d’occupation. Ainsi, un logement pourra être considéré comme indécent du jour au lendemain, alors que matériellement rien n’a changé. Le même logement redeviendra décent si le propriétaire le vend à son locataire ou à un tiers qui en fait sa résidence principale. L’indécence énergétique se manifeste également de manière saisonnière (en hiver seulement) : si les restrictions étaient étendues à la location de tourisme, on pourrait se demander en quoi une mauvaise performance du radiateur justifierait l’interdiction de louer un logement pendant le mois d’août…

La notion « d’indécence énergétique » est en fait un outil de protection de locataire qui a été détourné de son objet pour devenir un instrument de politique environnementale, alors que ces objectifs n’ont rien à voir et peuvent même être contradictoires. Cette fragilité juridique et conceptuelle au cœur de la notion d’indécence énergétique explique les difficultés de sa mise en œuvre.

ii.   Des exceptions trop larges à « l’interdiction » de louer

L’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que le juge ne peut pas ordonner la réalisation des travaux de rénovation énergétique, en copropriété, lorsque « le copropriétaire concerné démontre que, malgré ses diligences en vue de l’examen de résolutions tendant à la réalisation de travaux relevant des parties communes ou d’équipements communs et la réalisation de travaux dans les parties privatives de son lot », il n’a pu parvenir au seuil de décence énergétique.

Une deuxième exception est prévue à partir du 1er janvier 2025, quand des « contraintes architecturales ou patrimoniales font obstacle à l’atteinte de ce niveau de performance minimal malgré la réalisation de travaux compatibles avec ces contraintes ».

La première exception vise le cas où l’atteinte du seuil de décence énergétique est impossible sans la réalisation de travaux dans les parties communes auxquels les autres copropriétaires se seraient opposés. En pratique, une telle situation n’existe pas, car l’isolation par l’intérieur (réalisée en parties privatives) est toujours une alternative à l’isolation par l’extérieur suffisante pour sortir du statut de passoire thermique. La loi « copropriétés dégradées » du 9 avril 2024 facilite en outre l’isolation des combles perdus, en permettant à chaque copropriétaire de réaliser à ses frais l’isolation de la toiture, même s’il l’on peut regretter que cette initiative doive être approuvée par l’assemblée générale à la majorité absolue de l’article 25.

Cette première exception constitue donc une faille majeure : de nombreux propriétaires pourraient prendre prétexte du rattachement de leur logement à une copropriété pour ne pas réaliser pleinement les travaux susceptibles d’y être entrepris. La notion de « diligences en vue de l’examen de résolutions » est particulièrement floue : suffit-il de demander au syndic l’inscription d’un point à l’ordre du jour pour être dispensé de tout effort supplémentaire, quitte d’ailleurs à voter contre le projet de résolution au moment de l’assemblée générale ?

La deuxième exception n’est pas plus opérante que la première, car les contraintes architecturales ou patrimoniales n’empêcheront pas l’isolation par l’intérieur, qui sera toujours suffisante, bien que non optimale, pour sortir du statut de passoire thermique.

Au demeurant, ces deux exceptions peuvent dispenser les bailleurs de réaliser les travaux, mais elles n’affectent pas le gel des loyers ni la faculté donnée au juge d’en ordonner la diminution ([95]).

Le législateur a donc choisi d’instaurer un régime bâtard, constitué d’une demi‑obligation et d’une demi-sanction : le bailleur pourra facilement s’extraire de l’obligation d’effectuer les travaux, sans que cela supprime la totalité des conséquences juridiques associées au statut de passoire thermique de son logement.

iii.   Une situation juridiquement impossible pour les bailleurs

Le dispositif « d’interdiction » de location des passoires thermiques place les bailleurs dans une situation peu compréhensible, même pour les professionnels auxquels ils s’adressent.

Les bailleurs n’ont en principe pas le droit de louer des logements énergétiquement indécents, mais ils n’ont pas non plus le droit de donner congé en cours de bail pour réaliser les travaux. Ils ne peuvent mettre fin au bail qu’à son échéance, c’est-à-dire, en ce qui concerne les baux de location nue conclus par une SCI, au bout d’au moins six ans, et ce uniquement pour un « motif sérieux et légitime » dont la loi ne précise pas si la mise aux normes énergétiques en fait partie.

Contrairement à « l’interdiction » de location des logements G+, qui ne s’appliquait à partir du 1er janvier 2023 qu’aux contrats de bail nouvellement conclus – laissant du temps pour faire les travaux entre deux locations –, l’interdiction de louer les logements G, à partir du 1er janvier 2025, s’appliquera également aux baux en cours. Du jour au lendemain, les bailleurs se retrouveront donc en situation de pouvoir être condamnés pour la location d’un logement indécent alors que le contrat de location a été conclu de manière régulière et que la substance de la chose louée n’a pas changé. Cette situation peut placer le propriétaire en porte-à-faux vis-à-vis du locataire.

iv.   De possibles comportements opportunistes de la part des locataires

Les locataires sont parfaitement informés du statut énergétique du logement au moment de signer le bail, puisque celui-ci contient obligatoirement un DPE ([96]). Certains locataires peuvent donc être tentés de louer sciemment des passoires thermiques pour profiter du gel des loyers et des autres contraintes pesant sur le bailleur. Même si le taux de contentieux sera probablement faible, la procédure judiciaire étant une solution longue et coûteuse, il n’est pas impossible que les locataires exercent une forme de chantage, menaçant de poursuivre le bailleur s’il ne consent pas à une diminution de loyer, tout en s’opposant à la réalisation des travaux qui devraient permettre au bailleur de s’acquitter de ses obligations.

Théoriquement, un locataire ne peut s’opposer à la réalisation de travaux de rénovation énergétique. Le locataire a en effet l’obligation « de permettre l’accès aux lieux loués pour la préparation et l’exécution de travaux […] d’amélioration de la performance énergétique à réaliser dans ces locaux » ([97]). S’applique alors le régime prévu par l’article 1724 du code civil : « Si, durant le bail, la chose louée a besoin de réparations urgentes et qui ne puissent être différées jusqu’à sa fin, le preneur doit les souffrir, quelque incommodité qu’elles lui causent, et quoiqu’il soit privé, pendant qu’elles se font, d’une partie de la chose louée. »

Le code civil ne prévoit aucune obligation de relocation, seulement une diminution du prix du bail « à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont il aura été privé ». Le bailleur n’a donc pas le droit de mettre fin au bail, mais il peut imposer des travaux qui rendent de fait le logement inhabitable pendant plusieurs mois – en cas d’isolation par l’intérieur –, avec pour seule conséquence une suspension du loyer durant la durée des travaux, mais sans prise en charge des frais de déménagement et de réaménagement. Cette solution, qui est juridiquement la plus rigoureuse, équivaut en pratique à forcer la fin du bail, dans des conditions moins protectrices pour le locataire puisqu’elle ne garantit aucun délai de préavis.

Le régime juridique relatif au statut d’indécence énergétique des passoires thermiques est donc inadapté, voire incohérent, parce qu’il place aussi bien le bailleur que le locataire dans une situation d’insécurité juridique, sans définition claire des obligations et des droits de chacun, et ce sans parvenir à atteindre efficacement ses objectifs que sont la protection des locataires et la réalisation de rénovations énergétiques véritablement performantes.

c.   Des réformes en cours qui ne résolvent pas la problématique juridique

Plusieurs réformes en cours, au printemps 2024, conduisent à relâcher temporairement la pression pesant sur les bailleurs, sans résoudre les difficultés de fond.

i.   La réforme en cours du DPE corrige un biais pour les petites surfaces

La première réforme est celle du mode de calcul du DPE pour les petites surfaces. Au 1er janvier 2023, on comptait environ 500 000 logements « G+ ». Ces logements sont souvent des petites surfaces, pénalisées dans le mode de calcul du DPE parce qu’il ne rapporte pas la consommation d’eau chaude au nombre d’occupants mais au nombre de mètres carrés. De ce fait, 27 % des logements de moins de 40 m² sont des passoires thermiques.

Le ministre de l’écologie a annoncé une réforme visant à appliquer un coefficient de pondération sur la production d’eau chaude sanitaire pour les logements de moins de 40 m². Il suffira pour les propriétaires concernés de mettre à jour leur DPE, sans qu’il soit nécessaire d’en refaire un nouveau. Grâce à cette réforme, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2024 (sur la base d’un projet d’arrêté publié pour consultation le 20 février 2024), 140 000 logements classés F ou G gagneront au moins une étiquette.

Cette réforme ne fait toutefois que repousser le problème, pour une partie des logements.

ii.   Une proposition de loi intéressante, mais insuffisante, en cours de discussion

En mai 2024, la proposition de loi n° 2596 « relative aux conditions de réalisation des travaux de rénovation énergétique des logements » présentée par M. Guillaume Vuilletet et issue d’un amendement déclaré irrecevable ([98]) du Gouvernement sur le projet de loi « copropriétés dégradées », formule des propositions qui vont dans le bon sens sans toutefois résoudre les difficultés juridiques de fond.

Ces propositions sont au nombre de trois (voir 1°, 2° et 3° de l’article 1er) :

– ne pas appliquer le statut d’indécence énergétique aux baux en cours, mais seulement aux baux nouvellement conclus, ou renouvelés ;

– protéger le bailleur contre un locataire faisant obstacle à l’exécution des travaux nécessaires à la mise en conformité énergétique ;

– en copropriété, suspendre l’obligation de travaux dans les parties privatives quand des travaux ont été engagés dans les parties communes.

La première proposition offre de la sécurité juridique aux bailleurs, en repoussant l’application du statut d’indécence au premier renouvellement du bail. Cela ne fait toutefois que reporter le problème à une échéance ultérieure (qui peut d’ailleurs paraître excessivement éloignée, surtout en cas de location nue) sans le résoudre si le bailleur n’a toujours pas les moyens légaux de s’opposer au renouvellement du bail pour motif de travaux énergétiques.

La deuxième proposition prévoit que : « Le locataire ne peut se prévaloir d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent s’il fait obstacle à l’exécution de travaux tendant à sa mise en conformité ». Cette proposition, qui vise légitimement à protéger le bailleur contre un locataire de mauvaise foi, est en réalité juridiquement incohérente. En effet, le locataire n’est pas censé pouvoir s’opposer à des travaux de mise en conformité ; s’il s’y oppose néanmoins, il se trouvera en faute ([99]) et ne pourra pas se prévaloir de la situation pour demander une diminution de loyer.

Cette disposition ne change donc rien à l’état du droit, et ne contribue même pas à le clarifier, en donnant implicitement l’idée que le locataire peut en effet s’opposer aux travaux de rénovation énergétique à condition de ne pas s’en prévaloir. Il serait donc plus utile, avant toutes choses, de préciser de quelle façon l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 et l’article 1724 du code civil s’appliquent en matière d’indécence énergétique.

La troisième proposition suspend l’obligation de réaliser les travaux dans les parties privatives quand la copropriété a décidé de réaliser dans les parties communes des travaux devant permettre la mise en conformité énergétique. Cette proposition de bon sens sera de nature à encourager les copropriétaires à mettre en œuvre des solutions plus efficaces au niveau de la copropriété (isolation par l’extérieur). Elle pourrait d’ailleurs être étendue aux maisons individuelles, pour laisser le temps au propriétaire d’effectuer les démarches d’urbanisme.

iii.   Une réforme plus importante à conduire

La proposition de loi en cours pourrait être complétée pour rendre plus robuste le dispositif « d’interdiction » de la location des passoires thermiques.

Il est d’abord nécessaire de clarifier dans quelles conditions le propriétaire peut imposer des travaux de rénovation énergétique en présence d’un locataire. Le cadre actuel, qui avait été conçu pour des travaux d’urgence (dégât des eaux, anomalies électriques…) n’est pas suffisamment protecteur pour le locataire alors que les travaux de rénovation énergétique peuvent rendre le logement inhabitable pendant plusieurs mois. Le locataire devrait pouvoir négocier le calendrier des travaux ou s’y opposer, signifiant ainsi son acceptation du statut énergétique de son logement.

Il faudrait en outre inscrire clairement dans la loi que la rénovation énergétique d’une passoire thermique est un motif légitime justifiant le non‑renouvellement du bail, à condition que le locataire ait refusé les travaux en cours de bail et que le propriétaire lui fournisse, à l’appui de sa lettre de congé, les devis signés des travaux qu’il s’engage à réaliser, le cas échéant sous le contrôle du juge. Cette clarification était initialement prévue par l’article 161 de la loi Climat résilience, qui fut écartée par le Conseil constitutionnel au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif ([100]).

Proposition n° 22 : Clarifier à l’article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989 dans quelles conditions le locataire peut s’opposer à des travaux de rénovation énergétique, signifiant ainsi son acceptation du statut énergétique de son logement, et considérer le cas échéant la réalisation de ces travaux comme motif légitime au sens de son article 25-8 pour justifier le non‑renouvellement du bail.

Les exceptions à l’obligation de réaliser les travaux devraient aussi être clarifiées. Les exceptions actuellement prévues peuvent être supprimées, car il n’existe aucune contrainte empêchant la sortie du statut de passoire thermique par l’isolation du logement par l’intérieur, sauf peut-être dans les appartements de très petite taille qui deviendraient inhabitables du fait de la surface perdue ([101]).

Ces travaux minimaux réalisables en parties privatives (ITI, fenêtres, ventilation) ne sont toutefois pas nécessairement conformes à l’objectif de faire rénover les logements de manière globale. Il ne s’agirait pas d’encourager les bailleurs à effectuer dans l’urgence des gestes de travaux tout juste suffisants pour gagner une étiquette et qui ancreraient pour longtemps le logement dans une classe énergétique médiocre.

La seule exception à « l’interdiction » de location devrait donc tenir à une volonté de réaliser des travaux plus ambitieux (isolation par l’extérieur) nécessitant des démarches importantes (surtout en copropriété).

À cet égard, l’exception instaurée par le b) du 3° de l’article 1er de la proposition de loi déposée le 2 mai 2024 est vertueuse. Il faudrait néanmoins préciser à quel stade des démarches l’exception peut être invoquée. La proposition de loi se réfère à une décision d’assemblée générale relative à des travaux, sans préciser son objet. Les démarches préalables à la mise au vote des devis pouvant durer plusieurs années, surtout si la copropriété sollicite des aides publiques (voir supra), peut-être faudrait-il prévoir l’invocabilité de l’exception dès le vote d’une mission de maîtrise d’œuvre conception dans le prolongement de la réalisation d’un audit énergétique.

Proposition n° 23 : Préciser la portée de l’obligation d’effectuer les travaux de rénovation dans les logements énergétiquement indécents loués :

– afin de clarifier l’étendue de l’obligation pesant sur le bailleur, supprimer les exceptions inopérantes tenant à des contraintes architecturales, patrimoniales ou au statut de copropriété ;

– suspendre l’obligation si des démarches ont été entreprises (vote d’une maîtrise d’œuvre conception ou demande d’urbanisme) en vue d’effectuer une rénovation globale plus ambitieuse, avec isolation par l’extérieur.

Enfin, il faut envisager le cas où, de fait, des logements énergétiquement indécents seront loués sans que ni le bailleur ni le locataire ne souhaitent de travaux : le premier parce qu’il estime que le dégel des loyers ne suffira pas à assurer la rentabilité des travaux, le second parce qu’il s’accommode de la situation et ne souhaite pas déménager pour quelques mois.

La loi sur « l’interdiction » de location des passoires thermiques n’est déjà pas respectée. Selon l’ONRE ([102]), il y avait au 1er janvier 2023 500 000 logements « G+ », dont 134 000 logements dans le parc locatif privé. Autrement dit, il existe aujourd’hui 134 000 logements qui ne respectent pas la législation en vigueur sur l’indécence énergétique. Ce nombre va croître au 1er janvier 2025, quand la totalité des logements G (environ deux millions aujourd’hui) sera considérée comme énergétiquement indécente.

Comment la loi a-t-elle vocation à s’appliquer quand des logements énergétiquement indécents sont loués, que le bailleur n’a pas l’intention de réaliser les travaux ni le locataire de saisir le juge ? Il faudra soit considérer que la loi n’a pas de réelle portée juridique (sauf cas, en pratique rarissime, où le locataire saisira le juge), soit envisager un mécanisme provisoire s’appliquant jusqu’à la réalisation des travaux.

La législation entourant l’indécence énergétique ne poursuit pas actuellement un objectif environnemental, mais un objectif de protection du locataire ; sinon, elle s’appliquerait à tous les logements, et non seulement aux logements loués. Est indécent le fait d’imposer à un locataire un coût déraisonnable en factures d’énergie qui pourrait le contraindre à renoncer à se chauffer. Il suffirait donc, pour satisfaire l’objectif de la loi, sans interdire radicalement la location des passoires thermiques – ce qui n’aurait pas de sens économiquement –, de prévoir l’obligation pour le bailleur refusant de réaliser les travaux, de prendre en charge les factures de chauffage à la place du locataire. Une telle mesure, qui est déjà la norme pour les locations de courte et moyenne durée (baux mobilité, location saisonnière), serait plus avantageuse pour le bailleur qu’une interdiction pure et simple de louer, et plus simple pour le locataire qu’un recours devant le juge.

3.   Pousser à la rénovation des passoires thermiques au moment de l’acquisition

Le changement de propriétaire est un moment décisif pour la rénovation énergétique des logements individuels. Les maisons sont en général vendues libres d’occupant, et le coût des travaux peut être anticipé par l’acquéreur au moment de réaliser son choix d’acquisition. Il en va autrement, bien sûr, des mutations à titre gratuit (successions) qui n’ont pas le caractère d’un investissement.

Alors que la loi prévoit, au moins théoriquement, l’obligation pour les propriétaires de rénover leur logement de sorte qu’il soit classé E ou mieux d’ici 2028 (voir supra), il est primordial que les passoires thermiques vendues dans les prochaines années soient systématiquement rénovées avant le changement d’occupant qui fait suite à un changement de propriétaire.

i.   Une décote à l’achat des passoires thermiques et des effets d’aubaine

Le marché a déjà intégré au prix de vente des passoires thermiques le coût des travaux futurs impliqués par leur statut d’indécence énergétique – de la même façon, en ce qui concerne l’achat d’un bien en copropriété, que le prix de vente tient compte du coût d’un ravalement prochain. Les acquéreurs bénéficient donc d’une décote pour l’acquisition d’une passoire thermique, qui doit en théorie leur permettre de financer les travaux de rénovation.

L’incidence économique du statut de passoire thermique a été chiffrée par une étude récente ([103]) des Notaires de France. La décote est plus forte pour les maisons, qui ont en général des surfaces à rénover plus importantes, une valeur au mètre carré plus faible et pour lesquelles les travaux représentent donc une part importante du prix d’achat. Pour la même raison, elle est aussi plus forte en province qu’en région parisienne. Ainsi, dans la région Grand Est, une maison classée F ou G sera vendue 21 % moins cher qu’une maison similaire classée D (étiquette de référence) et jusqu’à 34 % de moins qu’une maison classée A ou B. Pour les appartements, la décote va de 10 % à 25 % selon l’étiquette de comparaison.

Incidence de l’étiquette énergétique
sur le prix de vente des maisons anciennes (2022)

Source : Notaires de France (2022).

Cette décote peut générer de véritables effets d’aubaine. Paradoxalement, l’annonce de l’interdiction de location des passoires thermiques a eu pour effet de renforcer l’attractivité de ces biens perçus comme des « affaires » grâce à l’évolution de leur prix. Ainsi, la part de passoires thermiques vendues est en forte hausse entre 2021 et 2023.

Hausse des ventes de passoires thermiques (2021-2023)

Source : Notaires de France (2022).

Les ménages profitent de cette décote pour acquérir des passoires thermiques dans des secteurs autrefois inaccessibles (centre-ville, littoral), alors même que ces logements sont considérés comme indécents : « ces évolutions de prix reflètent davantage un déplacement des ventes d’appartements anciens d’étiquettes énergie F et G dans des zones géographiques plus chères […] après l’annonce des premières exigences de performance énergétique et tout particulièrement pour les appartements les plus énergivores d’étiquette G. » ([104]) En d’autres termes, les acquéreurs de passoires thermiques privilégient la surface et l’emplacement aux performances énergétiques ; ils accèdent à des biens qu’ils ne pourraient pas se permettre d’acheter s’ils étaient énergétiquement décents, sans avoir les moyens d’effectuer ensuite les travaux nécessaires.

Cette situation n’est pas raisonnable au regard de l’obligation légale pesant sur les propriétaires de rénover l’ensemble des passoires thermiques à l’échéance de 2028.

ii.   Flécher la valeur de la décote vers la rénovation énergétique

La solution la plus satisfaisante serait de réintégrer au prix d’acquisition la décote résultant du statut de passoire thermique, et de flécher cette économie vers les travaux de rénovation énergétique.

Plusieurs propositions ont été faites par les acteurs entendus par la mission d’information. La Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) propose de créer un « contrat de vente en état futur de rénovation énergétique », sur le modèle du contrat de « ventes d’immeuble à rénover ». Concrètement, le vendeur s’engage à réaliser les travaux entre le compromis et l’acte définitif de vente, mais les travaux sont financés par l’acquéreur. L’intérêt de ce cadre est de garantir à l’acquéreur l’achat d’un logement rénové, et de permettre au vendeur de réaliser les travaux même s’il ne dispose pas de trésorerie.

Le contrat de « vente d’immeuble à rénover » présente néanmoins plusieurs inconvénients. Déjà, il prolonge la vente de plusieurs mois, pour une durée imprévisible qui est celle des travaux. Ensuite, il laisse la conduite des travaux à l’ancien propriétaire, alors qu’il serait plus logique qu’ils soient réalisés par le nouveau, selon ses goûts, surtout s’il s’agit d’un achat de résidence principale. Enfin, ce cadre ne semble pas compatible avec les aides publiques, qui imposent des étapes et un calendrier propres et qui ne prévoient pas une dissociation du propriétaire et du financeur.

En somme, plutôt que d’imposer la rénovation des logements avant leur vente, aux frais de l’acquéreur, il serait plus simple de prévoir un engagement de l’acquéreur à réaliser lui-même les travaux dans un certain délai après la vente. Dans ce cadre, il pourrait être prévu l’obligation pour l’acquéreur d’une passoire thermique de déposer auprès de la Caisse des dépôts une consigne, d’un montant correspondant au coût prévisionnel des travaux, qui lui serait restituée sur présentation de factures ou de demandes d’acompte. Un tel système peut néanmoins paraître excessivement contraignant, en particulier pour les ménages modestes qui comptaient réaliser les travaux avec un reste à charge très faible grâce aux aides de l’Anah, sans disposer nécessairement de la trésorerie au moment de l’acquisition.

Dans l’immédiat, vos rapporteures suggèrent que la problématique de la rénovation consécutive à l’acquisition d’une passoire thermique pourrait être résolue par une adaptation des règles relatives à l’emprunt immobilier. Les établissements bancaires auront un rôle à jouer dans la définition des conditions d’acquisition d’une passoire thermique. En cas de projet d’investissement locatif, la banque vérifie déjà que le client a suffisamment d’apport pour financer, en plus de l’acquisition du bien, les travaux de mise en conformité sans lesquels l’investissement locatif n’est pas viable. Mais il n’existe pas de pratique analogue pour l’acquisition d’une résidence principale.

Les règles générales d’octroi des emprunts bancaires sont fixées par le Haut Conseil de stabilité financière ([105]). Sa dernière décision ([106]) limite ainsi à 35 % des revenus le taux d’effort d’un crédit immobilier, c’est-à-dire le ratio entre les revenus et les charges d’emprunt. Pour éviter que les ménages s’endettent au maximum de leur capacité pour l’achat d’une passoire thermique, sans pouvoir ensuite réaliser les travaux, il pourrait être prévu que la banque intègre fictivement au montant de la dette le coût sous-jacent des travaux de mise en conformité (ce coût faisant l’objet d’une estimation dans l’audit énergétique obligatoire).

En d’autres termes, les travaux de mise en conformité, tels que décrits et chiffrés par l’audit énergétique annexé à l’acte de vente, seront considérés comme une dette implicite, ou un coût différé (d’abord déduit sous la forme d’une décote). Ainsi, il ne serait plus possible de s’endetter à 35 % pour l’achat d’une passoire thermique sans plan de financement cohérent. Cela garantirait que l’acquéreur dispose d’un apport suffisant pour réaliser les travaux, ou du moins qu’il a une marge d’endettement suffisante pour les financer via un autre prêt (prêt classique ou prêt à taux zéro).

Proposition n° 24 : Inciter les établissements bancaires, lors de l’acquisition de logements énergétiquement indécents, à vérifier que les acquéreurs de passoires thermiques aient toujours la capacité financière de réaliser les travaux de mise en conformité énergétique.

 


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EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du jeudi 30 mai 2024 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.15318557_66583011adae9.comite-d-evaluation-et-de-controle-des-politiques-publiques--adaptation-des-logements-aux-transitio-30-mai-2024

 


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   ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

1. Auditions :

        Mme Carole Schaal, directrice Communication, mobilisation et sensibilisation de l’association Stop à l’exclusion énergétique (10 octobre 2023)

        Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l’efficacité énergétique et de l’air à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), accompagnée de M. Alexandre Dozières, sous‑directeur de l’efficacité énergétique et de la qualité de l’air (17 octobre 2023)

        M. Vincent Legrand, directeur général de l’Institut négaWatt, président de Dorémi* (17 octobre 2023)

        M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, accompagné de M. Joseph Hajjar, directeur de programme Énergie, bouclage GES et adaptation (7 novembre 2023)

        M. Damien Botteghi, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), accompagné de M. Mathieu Pzrybylski, adjoint au sous-directeur du financement et de l’économie du logement et de l’aménagement, et de Mme Coralie Ruffenach, adjointe au sous-directeur de la qualité de la construction (7 novembre 2023)

        Mme Isabelle Chave, sous-directrice des monuments historiques et des sites patrimoniaux à la direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA) du ministère de la culture (14 novembre 2023)

        M. Luc Broussy, auteur du rapport Nous vieillirons ensemble… 80 propositions pour un nouveau Pacte entre générations, rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires à la transition démographique (2021), président de France Silver Eco, accompagné de M. Mathieu Alapetite, directeur général (14 novembre 2023)

        MM. Denis Piveteau, conseiller d’État, et Jacques Wolfrom, directeur général du groupe Arcade-VYV*, auteurs du rapport Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous ! (2020) (15 novembre 2023)

        M. Simon Huffeteau, chef de la Mission de coordination interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments (21 novembre 2023)

        M. Fabien Sénéchal, président de l’Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), accompagné de M. Jean-Lucien Guenoun, vice-président (21 novembre 2023)

        Mme Laure de La Bretèche, directrice déléguée des politiques sociales de la Caisse des dépôts, et M. Gil Vauquelin, directeur de la transition énergétique et écologique de la Banque des territoires, accompagnés de Mme Selda Gloanec et de M. Léo Michel, conseillers en relations institutionnelles de la Caisse des dépôts (28 novembre 2023)

        Mme Béatrice Sédillot, cheffe du service des données et études statistiques (SDES) du Commissariat général au développement durable (CGDD), accompagnée de Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l’énergie au SDES (5 décembre 2023)

        M. Yves Contassot, président de Grand Paris Climat, et Mme Fatoumata Koné, présidente de l’Agence parisienne du climat (APC), accompagnés de Mme Karine Bidart, directrice générale, et M. Frédéric Delhommeau, directeur Habitat et rénovation de l’APC (5 décembre 2023)

        M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), accompagné de Mmes Annabelle Ferry, directrice Territoires et ville, et Catherine Maligne, directrice de cabinet (12 décembre 2023)

        M. Bertrand Hannedouche, chef du service Transition écologique de la Fédération française du bâtiment (FFB)*, accompagné de M. Thibault Pedrono, ingénieur au service Transition écologique (12 décembre 2023)

        M. Gérard Sénior, président de Qualibat (19 décembre 2023)

        M. David Marchal, directeur exécutif de l’expertise et des programmes de l’Ademe, accompagné de Mme Albane Gaspard, coordinatrice au service Bâtiment (19 décembre 2023)

        Mme Élisabeth Bardet, présidente du Syndicat national des fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées (FILMM)*, et M. Olivier Servant, directeur Solutions pour la construction de Saint-Gobain* Solutions France (17 janvier 2024)

        M. Laurent Pichard, sous-directeur chargé de la 4e sous-direction de la direction du budget, accompagné de M. Ulric de La Batut, chef du bureau du logement, de la ville et des territoires, et de Mme Marie Regrettier, adjointe au chef de bureau, en charge des sujets de rénovation du parc privé (17 janvier 2024)

        Mmes Amélie Renaud, adjointe au directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, et Manon Huré, adjointe au sous-directeur des politiques de l’habitat, DHUP (24 janvier 2024)

        M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM)*, accompagné de Mme Rachel Chane-See-Chu, directrice de cabinet ; et M. Thierry Marchand, administrateur et ancien président de la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers FNAIM (CDI‑FNAIM) (24 janvier 2024)

        M. Émile Hagège, président de l’Association des responsables de copropriété (ARC) (31 janvier 2024)

        M. Daniel Ibanez et Mme Françoise Verchère, auteurs d’une proposition citoyenne de loi visant à diminuer la consommation d’énergie pour le bâti (7 février 2024)

        Mme Roselyne Conan, directrice générale de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL), accompagnée de M. Louis du Merle, directeur juridique (7 février 2024)

        M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable (6 mars 2024)

        Mme Frédérique Garlaud, directrice nationale de l’action sociale de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) (6 mars 2024)

        M. Florian Kastler, chef du bureau de la prévention de la perte d’autonomie et du parcours de vie des personnes âgées de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), accompagné de Mme Elise Allavena, chargée de mission (13 mars 2024)

        Dr Julien Emmanuelli et M. Bruno Vincent, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), co-auteurs du rapport Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire - Se sentir chez soi où que l’on soit (février 2024) (13 mars 2024)

        M. Gilles Frémont, président de l’Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC) (20 mars 2024)

        Mme Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA)*, accompagnée de M. Mathieu De Vlieger, responsable des affaires publiques (20 mars 2024)

        Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), accompagnée de M. Antonin Valière, responsable des relations institutionnelles (20 mars 2024)

        M. Pierre Bocquet, directeur du département Banque de détail et Banque à distance de la Fédération bancaire française (FBF)*, accompagné de M. Antoine Esneault, chargé d’études relations institutionnelles France (27 mars 2024)

        Me Laurence Leguil, 2ème vice-présidente du Conseil supérieur du notariat (CSN)*, Me Édouard Grimond, membre du bureau, et Me François Devos, directeur des affaires juridiques du CSN et directeur de l’Institut d’études juridiques, accompagnés de Mme Camille Stoclin‑Mille, administratrice en charge des relations institutionnelles (3 avril 2024)

2. Organismes non entendus mais ayant fourni une contribution écrite :

        Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

        Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


 

 

 

 

 

 

 

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES

 

Cette contribution peut être consultée sur le site de la Cour des comptes à l’adresse suivante :

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-aux-logements-face-aux-evolutions-climatiques-et-au-vieillissement-de-la

 


([1]) Article L. 100-4, 7° du code de l’énergie.

([2]) Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), « Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2023 » (novembre 2023).

([3]) Cour des comptes, référé S2022-1527 sur « La rénovation énergétique des bâtiments » (28 juillet 2022).

([4]) Arrêté du 10 février 2023 concernant la collecte de données à des fins statistiques prévue à l’article L. 142‑1 du code de l’énergie.

([5]) CAE, focus n° 103, « Performance énergétique du logement et consommation d’énergie : les enseignements des données bancaires » (janvier 2024).

([6]) Meredith Fowlie, Michael Greenstone, Catherine Wolfram, « Do Energy Efficiency Investments Deliver? » (2018).

([7]) Rapport de la Gesamtverband deutscher Wohnungsunternehmen (fédération allemande de sociétés immobilières) « Die Wohnungswirtschaft in Deutschland » (juillet 2020).

([8]) Julien Grosjean, « Les stratégies des pays nordiques en matière de rénovation énergétique des logements » (mai 2022).

([9]) Apur, « Consommations réelles d’énergie des logements parisiens » (février 2024).

([10]) 25 % en chauffage collectif et 31 % en chauffage individuel.

([11])  « les limites supérieures de température de chauffage sont, en dehors des périodes d’inoccupation définies à l’article R. 241-27, fixées en moyenne à 19° C » (article R. 241-26 du code de l’énergie).

([12]) Délibération 2023-45 du 6 décembre 2023 pour les propriétaires occupants, délibération 2023-47 du 6 décembre 2023 pour les copropriétés, délibération 2024-02 du 13 mars 2024 pour les bailleurs.

([13]) Voir : Haut Conseil pour le climat, « Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions » (2022).

([14]) Le tableau n° 2 du rapport de la Cour des comptes, qui sert de base à ce tableau actualisé, comptabilise pour 2020 l’ensemble des aides du programme Sérénité (41 200 logements) et du programme Agilité (16 400) qui sera fusionné avec le crédit d’impôt pour donner lieu à la création de la prime de transition énergétique.

([15]) Le forfait « rénovation globale » de MaPrimeRénov’ est statistiquement négligeable : il ne représentait en 2022 que 2 400 dossiers (soit 4 % du total).

([16]) Depuis son ouverture en 2021 aux ménages INT et SUP.

([17]) Dans son rapport final de janvier 2024, le Comité d’évaluation du plan France Relance (France Stratégie) note que « le taux de subvention de MPR ne semble pas corrélé positivement avec l’efficience des gestes en termes de gains énergétiques par euro investi ».

([18]) Il était de 35 % pour les MO et de 50 % pour les TMO jusqu’à la délibération n° 2023-29 du conseil d’administration de l’Anah qui revalorise les barèmes du 1er octobre au 31 décembre 2023.

([19]) L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) retient une fourchette plus large de 40 000 € à 90 000 €. Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz, dans « Les incidences économiques de l’action pour le climat » (2023), retiennent une fourchette plus basse de 20 000 € à 37 000 € selon l’étiquette visée (de D à A).

(1) 55 % pour le forfait rénovation globale INT et SUP dans le cadre de l’aide nationale.

([21]) Le 20 décembre 2023, la CAPEB, soutenue par une trentaine d’acteurs de la filière, a envoyé un courrier au Premier ministre pour demander un moratoire à l’entrée en vigueur de la réforme, craignant ses effets sur la demande de travaux énergétiques.

([22]) Le Figaro, qui relate ces informations, titre : « MaPrimeRénov’ : de plus en plus en plus illisible, le dispositif vire au fiasco » (26 avril 2024). Voir aussi Les Echos, 7 mars 2024.

([23]) Source : délibération 2024-12a à 12c du conseil d’administration de l’Anah (non publique).

([24]) Dans sa réponse écrite, le FILMM affirme que les acteurs industriels sont « victimes des “stop and go” incessants qui caractérisent les politiques de rénovation énergétique ».

([25]) Dans des communiqués de presse du 8 mars 2024, la FFB déclare : « les alertes sur la complexité de MaPrimeRénov’ […] ont enfin été entendues » ; la CAPEB « salue ces décisions qui vont relancer le marché de la rénovation énergétique en net recul depuis l’entrée en vigueur de la réforme ».

([26]) Le volet « adaptation », réservé aux personnes dépendantes ou en situation de handicap, sans condition d’âge ; le volet « accessibilité », pour les personnes âgées ou handicapées, beaucoup plus restreint dans son périmètre (pour l’essentiel limité aux sanitaires et aux équipements de sécurité).

([27]) Il fallait un degré de dépendance équivalent à GIR 4 pour être éligible au crédit d’impôt. Un cumul avec l’aide de la CNAV était théoriquement possible, portant le plafond maximum à 23 000 €, pour un couple de personnes âgées très modestes dont l’une est faiblement et l’autre fortement dépendante.

([28]) L’aide était modulée selon les revenus et réservée aux ménages avec des revenus mensuels maximums de 1 542 € (personne seule) ou 2 312 € (couples), soit en gros l’équivalent des très modestes dans la grille de l’Anah.

([29]) 4 000 € pour Habiter Facile, 2 275 € pour la CNAV, et 2 000 € pour le crédit d’impôt. Quand les aides potentielles dépassent le coût des travaux, ce qui est le cas dans cette hypothèse, un écrêtement est opéré.

([30]) Arrêté du 30 décembre 2023 modifiant l’article 18 ter de l’annexe IV au code général des impôts pris pour l’application de l’article 200 quater A du code général des impôts.

([31]) La liste des travaux éligibles au crédit d’impôt est fixée au 18 ter de l’annexe IV du code général des impôts.

([32]) En audition, Luc Broussy insistait sur le fait que ce chiffre – désormais ancien – ne repose sur aucune véritable étude.

([33]) Étude d’impact de Ernst & Young.

([34]) Études réalisées en 2021 et 2022 à la demande du ministère du logement, citées par la Cour des comptes.

([35]) En 2022, plus précisément, 27 000 dossiers Anah et 24 000 dossiers CNAV. Il faut ajouter à ces chiffres 59 000 crédits d’impôt autonomie, qui portaient en partie sur les mêmes logements et en partie sur des logements appartenant à des ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs.

([36]) E&Y, « L’adaptation des logements au vieillissement, coûts et bénéfices pour la puissance publique » (2023) – étude commanditée par France Silver Eco et la Filière Silver Economie.

([37]) Article R. 321-12 du code de la construction et de l’habitation.

([38]) Conseil de l’âge, « Bien vieillir dans l’autonomie à domicile » (février 2024).

([39]) IGAS, « Lieux de vie et accompagnement des personnes en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire » (février 2024).

([40]) Devis Piveteau, Jacques Wolfrom, « Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous ! » (2020).

([41]) Cette fonction d’animation est financée depuis 2022 par une nouvelle prestation individuelle versée par les départements avec le concours de la CNSA : l’aide à la vie partagée (AVP).

([42]) Chiffres à jour du budget rectificatif de l’Anah voté le 7 mai 2024. Le budget initial faisait état d’une estimation inférieure (moins de 800 millions d’euros).

([43]) Les dépenses de fonctionnement de l’Anah s’élèvent à 140 millions d’euros. Ces dépenses couvrent principalement, par ordre d’importance : les dépenses informatiques, l’instruction des aides et les relations avec les usagers et les dépenses de communication.

([44]) D’après le texte de la délibération, l’aide à la rénovation énergétique représente 192 millions d’euros sur les 264 millions destinés aux bailleurs.

([45]) Au sens de l’article 178 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

([46]) « Le budget de l’agence comprend une sous-enveloppe, au sein de l’enveloppe des dépenses d’intervention, qui retrace les dépenses au titre de la prime de transition énergétique » (article R. 321‑8 du code de la construction et de l’habitation).

([47]) L’exécution de MaPrimeRénov’ en 2023 est donc de 2,0 milliards d’euros au lieu de 2,3 milliards d’euros.

([48]) Le budget rectificatif faisant suite au décret du 21 février 2024 aurait dû être voté en principe le 3 avril. Le report du conseil d’administration initialement prévu ce jour-là témoigne de la difficulté des arbitrages.

([49]) Les Echos, « Le nouvel arsenal antifraude de Bercy », 2 mai 2024.

([50]) Batiactu, « MaPrimeRénov’ : les 400 M€ signalés par Tracfin ne concernent que l’année 2023 », 3 mai 2024.

([51]) Le coût d’un crédit d’impôt ne peut être connu qu’avec une année de décalage.

([52]) En 2020, le crédit d’impôt a coûté 42 millions d’euros, dont 12 millions pour les MO / TMO et 30 millions pour les INT / SUP.

([53]) Article L. 232-2 du code de l’énergie.

([54]) Article 158 de la loi du 22 août 2021 dite loi « Climat résilience ». L’audit énergétique est également obligatoire pour les appartements situés dans des immeubles comportant au moins une passoire thermique.

([55]) Le II de l’article 2 du décret du 14 janvier 2020 prévoit que « le bénéficiaire peut déposer une demande après avoir réalisé la prestation mentionnée au 8 [audit énergétique] ou au 15 bis [AMO] de l’annexe 1 du présent décret » sans attendre l’accusé de réception de l’Anah et le début des travaux.

([56]) Instruction de la directrice générale de l’Anah du 17 mars 2023, à l’attention des préfets et des présidents des collectivités délégataires.

([57]) Décision du Défenseur des droits n° 2022-199 du 14 octobre 2022.

([58]) Le Défenseur des droits a été saisi de 500 réclamations relatives à MaPrimeRénov’ avant octobre 2022 et de 900 réclamations de plus entre octobre 2022 et avril 2023.

([59]) Audition de Claire Hédon du 13 avril 2023 devant la commission d’enquête du Sénat sur « l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique » (rapport du 29 juin 2023).

([60]) Article L. 232-2 du code de l’énergie.

([61]) Article L. 232-2 du code de l’énergie.

([62]) Selon les données de la DHUP, 362 organismes sont doublement agréés (et 340 sont également habilités habitat indigne) sur les 546 AMO habilités MaPrimeAdapt’.

([63]) Article L. 312-7 du code de la construction.

([64]) Article paru dans le numéro de juin 2022 de 60 millions de consommateurs.

([65]) Observatoire BBC, « Les maisons rénovées à basse consommation » (2021).

([66]) Réponse écrite au questionnaire adressé par la mission.

([67]) Insee Première, n° 1364 (2011).

([68]) 6/22*78.

([69]) Les ABF refusent ainsi le remplacement de fenêtres en bois par des fenêtres en PVC. Pourtant, le PVC est moins coûteux et plus efficace que le bois : les fenêtres en PVC peuvent atteindre un coefficient d’isolation thermique (Uw) inférieur à 1,20, alors que les meilleures fenêtres en bois du marché sont à Uw = 1,30.

([70]) Apur, « Analyse de la performance thermique des logements parisiens construits entre 1801 et 1850 » (2011).

([71]) Article L. 632-2 du code du patrimoine, modifié par l’article 8 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023.

([72]) Voir aux 11 et 13 rue François Miron : ces anciennes maisons, enduites de plâtre au XVIIe siècle, ont retrouvé leurs pans de bois apparents en 1967 dans le cadre du premier « plan de sauvegarde et de mise en valeur » du Marais.

([73]) La copropriété du 5 et 7 rue de Cléry (avis favorable du 23 mars 2022), construite en 1780, et la copropriété du 1 rue Paul Lelong, construite en 1760 (avis favorable du 29 août 2023, après un premier avis défavorable suivi d’un recours devant le préfet s’appuyant sur un diagnostic patrimonial). Voir encadré ci-dessous.

([74]) 161 rue de la Roquette (11ème arrondissement) et 50 bis rue de Crimée (19ème arrondissement).

([75]) Une ligne directrice (autrefois appelée « directive ») est un acte administratif de nature quasi réglementaire qui encadre l’emploi d’un pouvoir discrétionnaire. L’administration doit en principe suivre la ligne directrice, mais elle peut s’en écarter pour motif d’intérêt général.

([76]) Les enduits à base d’aérogel ont un coefficient de conductivité thermique très faible (λ = 0,0028 ou moins) ce qui permet d’atteindre la performance voulue avec une épaisseur deux fois moins importante.

([77]) Voir par exemple le rapport du Conseil supérieur du notariat « Logement et transition climatique » (février 2024).

([78]) Institut Paris région, « Les mutations contemporaines des syndics de copropriété » (octobre 2023).

([79]) Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010.

([80]) Article R. 173-10 du code de la construction et de l’habitation.

([81]) Article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.

([82]) Délibération 2023-49 du conseil d’administration de l’Anah.

([83]) Délibération 2023-49 du conseil d’administration de l’Anah.

([84]) Article L. 173-1 du code de la construction et de l’habitation.

([85]) Article R. 173-4 du code de la construction et de l’habitation.

([86]) « Elle porte donc sur les façades en briques industrielles (non artisanales), en béton banché, parpaings, briques monomurs ou bardage métallique, c’est-à-dire sur des parois principalement constituées de matériaux industriels au comportement hygrothermique distinct de celui du bâti traditionnel. » (Ademe, « Ravalement, rénovation de toiture, aménagement de pièces : l’obligation d’isolation », 2023)

([87]) Article R. 173-6 du code de la construction et de l’habitation.

([88]) Décret n° 2023-1208 du 18 décembre 2023.

([89]) Fixée à l’article R*431-35 du code de l’urbanisme.

([90]) Article L. 171-4 du code de la construction et de l’habitation.

([91]) France, portrait social – Insee références (2021).

([92]) Décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021.

([93]) À cause de l’énergie nécessaire à son production et à son transport, l’électricité se voit appliquer un taux de conversion de 2,3, c’est-à-dire qu’il faut 2,3 unités d’énergie primaire pour produire une unité d’énergie électrique finale.

([94]) Article L. 173-2 du code de la construction et de l’habitation.

([95]) Ce dernier point, ambigu dans la rédaction de l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 issue de la loi Énergie climat, a été clarifié par la loi Climat résilience, qui ajoute que l’exception à la possibilité pour le juge d’ordonner la réalisation des travaux est « sans préjudice de la possibilité de prononcer les autres mesures mentionnées au troisième alinéa ».

([96]) Article L. 126-29 du code de la construction et de l’habitation.

([97]) Article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989.

([98]) Amendement n° 138 déposé au Sénat le 27 février 2024, déclaré irrecevable au titre de l’article 45, alinéa 1 de la Constitution (cavalier législatif).

([99]) Au regard de l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989. Selon la maxime juridique, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (« Nemo auditur propriam turpitudinem allegans »).

([100]) Décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021.

([101]) Ainsi, un logement est considéré comme indécent s’il offre une surface inférieure à 9 m². L’isolation par l’intérieur d’un logement de 10 m² pourrait donc faire basculer le logement d’une cause d’indécence à une autre… la question se poserait aussi pour des logements à la configuration atypique, situés par exemple en dernier étage et comprenant des escaliers ou des couloirs biscornus.

([102]) ONRE, « Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2023 » (2023).

([103]) Notaires de France, « La valeur verte des logements en 2022 » (2023).

([104]) Notaires de France, « La valeur verte des logements en 2022 » (2023).

([105]) « Il peut, sur proposition du gouverneur de la Banque de France et en vue de prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques, fixer des conditions d’octroi de crédit par les entités soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ou de l’Autorité des marchés financiers » (5° de l’article L. 631-2-1 du code monétaire et financier).

([106]) Décision n° D-HCSF-2023-2 du 29 juin 2023.