N° 2721
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur le pilotage et la gouvernance de l’aide publique au développement
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Marc LE FUR,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
I. Replacer l’aide bilatérale au cœur de la politique d’aide publique au développement
III. La provision pour crises doit être préservée et doit bénéficier à des pays fragiles comme Haïti
B. Pourquoi abandonner Haïti, pourtant en situation de crise sans précédent ?
IV. Le financement dES ONG : l’exemple du Comité international de la croix-Rouge
1. Les activités d’assistance et de protection
2. Les activités de protection dans les zones de conflit
C. Les difficultés de financement du CICR
II. Les orientations de l’aide publique au développement ne doivent pas oublier l’Afrique
A. Le cas spécifique du départ des banques françaises d’Afrique
1. Le respect des règles de conformité bancaire
4. Les choix stratégiques des banques à l’international
5. La poursuite de la présence des banques françaises en Afrique par le biais de l’investissement
B. Un déclin de la France en Afrique au profit des puissances étrangères
Liste des recommandations du rapporteur spécial
Liste des personnes auditionnées ET DES DéPLACEMENTS effectués par le rapporteur spécial
Pour ses travaux, le rapporteur spécial s’est rendu à Bruxelles et au Royaume-Uni et a auditionné des ONG ainsi que des banques françaises en Afrique. À ce titre, le rapporteur spécial tient à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé aux travaux dont ce rapport est le fruit, à la fois les personnes qu’il a auditionnées mais également l’administrateur qui l’a accompagné.
À l’issue de ses travaux, le rapporteur spécial formule 10 recommandations listées à la fin du présent rapport pour améliorer le pilotage et la gouvernance de l’aide publique au développement française. Il formule le vœu que ce travail contribuera utilement à la réflexion globale sur les orientations de l’aide publique au développement française.
PREMIÈRE PARTIE : de la nÉcessité de clarifier la lisibilité des modalités de calcul de l’aide publique au développement
I. AmÉliorer la lisibilité des modalités de calcul de l’effort financier global consenti par la France au titre de l’aide publique au développement
Tout d’abord, votre rapporteur spécial souligne la faible lisibilité des modalités de calcul de l’effort financier global dédié à l’aide publique au développement. En effet, les crédits de la mission Aide publique au développement ne correspondent qu’à 63,2 % du budget de l’État dédié à la politique de développement ([1]). La mission Aide publique au développement recouvre quatre programmes, qui relèvent de deux ministères :
– le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, géré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), qui regroupe les moyens d’intervention en dons, dont l’aide-projet du MEAE et de l’Agence française de développement (AFD), ainsi que l’aide humanitaire. Cette aide prend la forme d’une coopération bilatérale, multilatérale ou européenne ;
– le programme 110 Aide économique et financière au développement, géré par la direction générale du Trésor (DGT) du ministère chargé de l’économie et des finances, qui rassemble les contributions financières à l’APD, via les institutions multilatérales de développement ou l’aide bilatérale. Une partie des crédits de ce programme finance les annulations de la dette des pays pauvres ;
– le programme 365 Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement, créé par la loi de finances initiale pour 2021, qui abonde l’agence en capital afin de respecter le cadre prudentiel applicable aux sociétés de financement ;
– et le programme 370 Restitution des biens mal acquis ([2]) créé par la loi de finances pour 2022 pour restituer aux pays d’origine les recettes liées aux confiscations judiciaires des « biens mal acquis » en France par des ressortissants étrangers.
Outre les quatre programmes budgétaires précités, deux ressources extrabudgétaires complètent les moyens de la mission :
– la taxe de solidarité sur les billets d’avion, instaurée en 2006, à hauteur de 210 millions d’euros ;
– et la taxe sur les transactions financières, instaurée en 2012, pour 528 millions d’euros.
Ces deux taxes alimentent le Fonds de solidarité pour le développement, qui finance des dépenses multilatérales en matière de santé et de climat.
Par ailleurs, la comptabilisation de l’aide publique au développement répond à des critères établis par l’OCDE. En conséquence, plus de 20 autres programmes du budget de l’État portent des crédits comptabilisés en APD, alors qu’une minorité des dépenses – entre 5 % et 10 % – de la mission Aide publique au développement n’y sont par ailleurs pas éligibles.
En prenant l’exemple des dépenses du programme 303 Asile et immigration, géré par le ministère de l’Intérieur, seules certaines dépenses liées à l’asile sont retenues. En effet, comme l’indiquait votre rapporteur spécial dans son avis sur les crédits de la mission Aide publique au développement du PLF pour 2024, « la faiblesse des montants déclarés par la France par rapport aux autres membres du CAD tend à démontrer une forme de sous-déclaration en APD de ces crédits. Le rapporteur ne peut que constater cette faible capacité à endosser et assumer les politiques publiques liées à l’immigration. Tout se passe comme si la France n’osait afficher trop clairement, notamment dans le cadre de l’APD, les dépenses effectuées en faveur des réfugiés ».
Votre rapporteur spécial déplore à nouveau que la France n’intègre pas davantage de dépenses liées à l’immigration et à l’asile dans le calcul de sa contribution à l’aide publique au développement et, plus généralement, que le Gouvernement n’assume pas d’intégrer les dépenses de ce type dans ce calcul par crainte du courroux médiatique. Votre rapporteur spécial plaide pour que l’effort financier global de la France en matière d’aide publique au développement soit clarifié.
II. La France fait injustement l’objet de critiques À l’international quant À son niveau d’aide publique au développement
Votre rapporteur spécial note par ailleurs que les modalités de calcul de l’aide publique au développement peuvent varier significativement d’un pays à l’autre. Outre les différences de montants alloués par les principaux pays donateurs, tous ne suivent pas les mêmes méthodes de calcul, en dépit de l’existence de critères communs (cf. infra). Le tableau ci-dessous indique la ventilation de l’aide publique au développement bilatérale pour les dix premiers pays bénéficiaires en 2020, qui témoigne bien de son caractère très politique :
Source : Cour des comptes et OCDE.
Comme l’a indiqué la Cour des comptes, l’analyse par types de dépenses fait notamment apparaître, pour l’année 2020, le poids variable de l’aide apportée aux réfugiés dans l’APD bilatérale de la part de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. La part des dépenses liées à l’accueil des étudiants étrangers varie également entre ces trois États. Les graphiques ci-dessous montrent la répartition par type de dépenses de l’APD bilatérale en 2020 entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni :
Source : OCDE.
Eu égard à cette situation, votre rapporteur spécial s’interroge sur la pertinence des comparaisons qui peuvent être faites entre les donateurs au regard des seuls montants déclarés à l’OCDE : dès lors que certains États font le choix d’intégrer certaines dépenses au titre de l’aide publique au développement et que d’autres États procèdent différemment, quelles conclusions peut-on tirer quant à l’effort financier réellement consenti par chaque État ? À titre d’illustration, le Royaume-Uni surévalue son aide publique au développement au profit de l’Ukraine en comptabilisant les dépenses à destination des réfugiés ukrainiens.
Sous la présidence de François Hollande, les crédits au profit de l’aide publique au développement ont considérablement diminué. À la fin de sa présidence, l’aide publique au développement française s’élevait à 8,7 milliards d’euros, soit seulement 0,38 % du revenu national brut. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, la France a engagé un renforcement de sa politique d’aide publique au développement, qui a vu ses crédits s’accroître rapidement. Le volume de l’aide publique au développement a ainsi atteint 15,2 milliards d’euros en 2022, soit 0,56 % du revenu national brut, contre 10 milliards d’euros en 2017, permettant à la France de se positionner à la quatrième place parmi les bailleurs mondiaux. Cet effort, inédit, a été constant, au moins jusqu’en 2024, et globalement partagé par les diverses sensibilités de l’hémicycle.
Dans le prolongement de cette interrogation, votre rapporteur spécial souligne que les critiques pouvant être adressées à la France quant à la faiblesse de sa contribution à l’aide publique au développement, comparée avec celles d’autres États, sont relativement infondées et appelle à la prudence quant aux comparaisons qui peuvent être faites entre la France et les principaux États contributeurs dans le monde.
Deuxième partie : Les budgets de l’aide publique au développement doivent s’inscrire de manière cohérente dans le cadre de la politique étrangère de la France
I. Replacer l’aide bilatérale au cœur de la politique d’aide publique au développement
Tout d’abord, votre rapporteur spécial déplore que l’aide bilatérale pâtisse des arbitrages budgétaires décidés par le Gouvernement pour faire face aux aléas. Ce choix s’explique certes, en partie, par la rigidité structurelle des crédits dédiés à l’aide publique au développement. À titre d’exemple, on estime que seuls 7 % des crédits de paiement du programme 110 exécutés en 2023 étaient discrétionnaires, les autres n’étant pas ou peu pilotables car résultant d’engagements juridiques internationaux de la France ou correspondant au versement à l’AFD des bonifications de prêts engagés par le passé. Pourtant, c’est à travers l’aide bilatérale que la France est en mesure de mettre en conformité son effort financier avec ses priorités politiques.
L’aide bilatérale était d’ailleurs présentée comme une priorité dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 13 juillet 2023 a acté l’abandon de la liste des 19 pays prioritaires pour l’aide bilatérale de la France au profit d’une cible établie à 50 % de l’effort financier bilatéral et multilatéral de l’État vers les pays les moins avancés et la possibilité d’élargir cette cible aux pays vulnérables ([3]).
Au-delà de l’aide bilatérale, la France gagnerait à s’inspirer de l’Allemagne et du Royaume-Uni en renforçant la « bilatéralisation » de son aide multilatérale. Contrairement à la France, ces deux pays pratiquent en effet de manière plus importante la « bilatéralisation » de leurs contributions volontaires aux organismes multilatéraux. Ainsi, depuis 2015, plus de la moitié des contributions du Royaume-Uni au système des Nations unies sont des contributions « fléchées ». La France s’y oppose par principe, au grand dam de votre rapporteur spécial qui estime que les financements octroyés dans le cadre de l’aide publique au développement doivent être corrélés aux objectifs politiques fixés par le Gouvernement, dans une logique de réciprocité avec les États bénéficiaires, singulièrement dans le domaine de l’immigration.
Votre rapporteur spécial estime par exemple que l’arrêt de l’octroi de financements dans le cadre de l’aide publique au développement au bénéfice d’États ne faisant pas suffisamment preuve de coopération dans le contrôle des flux migratoires vers la France doit être un levier à la disposition du Gouvernement, celui-ci devant concentrer son aide vers les pays dans lesquels la France est attendue, singulièrement le Cameroun et la République démocratique du Congo, mais également pour les pays qui, aujourd’hui, rejettent la France mais qui, demain, pourraient à nouveau aspirer à coopérer avec elle.
Cela impliquera également d’ouvrir un dialogue franc et sans concession avec l’Union européenne vis-à-vis des pays du Maghreb, et surtout vis-à-vis de la Tunisie avec laquelle la France est liée par un accord migratoire, afin que la politique de l’Union européenne soit plus ferme vis-à-vis de ces pays en termes de gestion des flux migratoires. Votre rapporteur spécial déplore tout particulièrement que, selon la Cour des comptes ([4]), seulement 10 % des OQTF prononcées en métropole ([5]) aient été exécutées en 2022.
II. Le décret du 21 février 2024 fait peser un risque conséquent sur l’atteinte des objectifs fixés dans le cadre de l’édition 2023 du CICID
En outre, le rapporteur spécial s’interroge sur l’atteinte des objectifs fixés dans le cadre du CICID au regard de la réduction drastique des crédits de la mission Aide publique au développement consécutive à la publication du décret du 21 février 2024 annulant 10 milliards d’euros au budget de 2024. Ceux-ci ont en effet diminué dans les proportions suivantes :
(en euros)
Intitulés de la mission ou du programme |
Numéro du programme |
Ministère responsable du programme |
Autorisations d’engagement annulées |
Crédits de paiement annulés |
Aide économique et financière au développement |
110 |
Ministère chargé de l’Économie et des Finances |
250 000 000 |
200 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement |
209 |
Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères |
492 115 795 |
542 115 795 |
Aide publique au développement |
∅ |
∅ |
742 115 795 |
742 115 795 |
Part des crédits annulés sur le total du budget de la mission |
∅ |
∅ |
11,8 % |
12,5 % |
Source : décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
Votre rapporteur a eu l’occasion de s’entretenir avec des représentants des ministères chargés du suivi des crédits des deux programmes principaux de la mission Aide publique au développement. S’agissant du programme 209, géré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le budget de la sous-action dédiée à l’aide-projet enregistre une baisse significative de 125 millions d’euros en AE et de 173,4 millions d’euros en CP. L’écrasante majorité de cette baisse concerne l’aide-projet géré par l’AFD. Le budget de la sous-action dédiée à la gestion et à la sortie de crise diminue quant à lui de 82 millions d’euros en AE = CP, dont 70 millions d’euros au titre de la provision pour crise, soit une baisse de 26 % des CP. Ces arbitrages budgétaires aboutiront, très concrètement, à l’annulation de plusieurs projets au profit d’États partenaires, notamment en Afrique.
Votre rapporteur spécial regrette amèrement ce recul, tant d’ailleurs quant à ses conséquences que sur sa forme ; l’annulation de crédits ayant pris la forme d’un décret et non d’un projet de loi de finances rectificative, ce qui a eu pour effet d’écarter le Parlement. Votre rapporteur spécial s’interroge enfin sur la possibilité de respecter l’engagement d’accroître l’aide humanitaire de la France à hauteur d’un milliard d’euros par an d’ici 2025 dans un tel contexte.
III. La provision pour crises doit être préservée et doit bénéficier à des pays fragiles comme Haïti
A. Préserver la provision pour crises, menacée par la baisse des crédits dédiés à l’aide publique au développement décidée en 2024
Enfin, votre rapporteur spécial plaide pour la sanctuarisation des lignes budgétaires dédiées à la gestion de crise. Les guerres en Ukraine et à Gaza nous prouvent qu’il est indispensable que la France conserve une capacité d’intervention en urgence pour les crises qui éclatent inopinément, en sus des financements octroyés dans le cadre de programmes de développement structurels et de long terme. À ce titre, votre rapporteur spécial estime que la ligne budgétaire consacrée à la provision pour crises dans le programme 209 doit absolument être sanctuarisée, ce qui ne sera malheureusement pas le cas en 2024 (cf. supra).
En 2023, l’exécution a été marquée par l’impact des crises, en particulier sur le programme 110. À la différence des années précédentes, les crises survenues au cours de l’année 2023 ont eu peu d’effets sur le programme 209, du fait de l’augmentation de la provision pour crises majeures, tandis que ces crises ont eu un impact plus fort sur l’exécution du programme 110. Le graphique ci-dessous présente l’utilisation de la provision pour crises en 2023 sur le programme 209 :
B. Pourquoi abandonner Haïti, pourtant en situation de crise sans précédent ?
Au-delà de la sanctuarisation du budget dédié à la provision pour crises, la question des pays bénéficiaires se pose. À titre d’exemple, le graphique ci-dessus montre que la provision pour crises au profit d’Haïti s’élève à 0 %. En réalité, certes, Haïti a bénéficié d’un million d’euros en 2023 d’aide d’urgence au titre de la provision pour crises pour une aide d’urgence dans le domaine de la protection civile. Mais c’est d’une faiblesse insigne pour ce pays francophone, ami de la France, où 50 % de la population souffre de malnutrition. Cela n’est pas à la hauteur de la situation. D’autres dépenses existent certes, mais elles ne correspondent pas aux priorités immédiates du pays, strictement et urgemment alimentaires.
Votre rapporteur spécial estime donc, au regard des éléments précités, que la provision pour crises doit donc être préservée, en ce qu’elle bénéficie à des États d’intérêt majeur pour la France comme, par exemple, Haïti.
IV. Le financement dES ONG : l’exemple du Comité international de la croix-Rouge
Ces financements bénéficient à des ONG comme le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), que votre rapporteur spécial a auditionné, qui intervient dans des zones de guerre en prenant soin de conserver une position de neutralité vis-à-vis de chacune des parties prenantes au conflit, garante de son efficacité.
En 2024, le budget du CICR s’élève à 2,12 milliards d’euros, soit une baisse de 23 % par rapport à son budget initial de 2023. Cette baisse a eu pour conséquence de conduire le CICR à renoncer à toute une série de projets, dans un contexte où les besoins sont pourtant croissants. Ses principaux postes de dépense sont consacrés à l’Ukraine, à la Syrie, au Yémen, à l’Afghanistan, à l’Éthiopie, à la Somalie, à la République démocratique du Congo, à Israël et aux Territoires palestiniens, au Nigeria, à l’Irak, ou encore au Sud Soudan. Environ 38 % de son budget « terrain » est consacré à l’Afrique, la zone « Proche et Moyen-Orient » venant en seconde position avec 25 %.
De manière générale, les États et l’Union européenne contribuent au budget du CICR à hauteur de 90 %. En 2023, la France a abondé le budget du CICR à hauteur de 71 millions d’euros, en provenance de différents guichets, dont le principal est celui de la direction en charge des Nations unies et des organisations internationales, dite « NUOI » ([6]), du MEAE, à hauteur de 35 millions d’euros (+ 26 % par rapport à 2022). Une partie de ce budget présente par ailleurs l’avantage de ne pas conditionner l’octroi de financements à leur fléchage vers un État ou un programme en particulier.
L’autre guichet est celui de l’aide alimentaire programmée, versée par la DGM du MEAE, qui, elle, est plus étroitement fléchée. Enfin, des financements sont octroyés par le CdCS, qui sont plus marginaux car celui-ci souhaite concentrer ses efforts sur les ONG françaises. Le CICR bénéficie également de financements dans le cadre d’un partenariat avec l’AFD.
Avec cette contribution à hauteur de 71 millions d’euros, la France est en septième position ([7]) des donateurs du CICR. La contribution de l’Allemagne est presque quatre fois supérieure à celle de la France, tandis que celle du Royaume-Uni est deux fois supérieure. Le principal donateur est les États-Unis. Le CICR bénéficie essentiellement de contributions financières étatiques.
Il ne bénéficie que marginalement et exceptionnellement de financements d’organisations internationales telles que le PAM de l’ONU. En revanche, il perçoit des financements de la part de l’Union européenne.
Le CICR ambitionne de répondre à la fois aux situations d’urgence et aux crises de long terme. Son action s’inscrit dans le cadre du nexus « humanitaire-développement-paix ». Ses activités se répartissent notamment en deux catégories : les activités d’assistance et de protection, et les activités de protection des civils dans les zones de conflits.
1. Les activités d’assistance et de protection
Les activités d’assistance et de protection sont celles qui coûtent le plus au CICR. Pour ce qui est des activités d’assistance, il s’agit, par exemple, d’activités dans le domaine de la santé, ou encore dans le domaine de la sécurité économique en situation de conflit (ce qui ne correspond pas, à proprement parler, à de l’aide publique au développement). Pour donner une illustration concrète des activités d’assistance et de protection du CICR dans le cadre du nexus précité, le CICR conduit à la fois des actions humanitaires d’urgence pour l’acheminement de l’eau dans les zones de conflit en Syrie mais également des actions de long terme pour bâtir les infrastructures de distribution de l’eau dans l’ensemble du pays. Ainsi, le CICR agit de manière complémentaire à la fois pour répondre à une situation d’urgence mais également pour contribuer au renforcement des capacités d’un pays donné sur le long terme.
2. Les activités de protection dans les zones de conflit
S’agissant des activités de protection dans les zones de conflits, les plus emblématiques sont les visites de détention, les activités de rétablissement des liens familiaux, et le dialogue avec les parties sur la conduite des hostilités afin de prévenir ou faire cesser des potentielles violations du droit humanitaire. À titre d’illustration, une équipe du CICR est présente de manière permanente à Gaza. Le CICR a notamment été impliqué dans la libération d’otages du Hamas et de prisonniers palestiniens à trois reprises. Il a également contribué au rapatriement de dépouilles des soldats ukrainiens.
C. Les difficultés de financement du CICR
Le CICR est confronté à des difficultés de financement liées à plusieurs facteurs : (a) la baisse des contributions financières des États, (b) la hausse des coûts liée à l’inflation, (c) les spécificités du mode de financement du CICR et (d) le taux de mise en œuvre du budget très élevé en 2023.
Le premier facteur a trait à la baisse des contributions financières des États. Lors d’un entretien de Mme Mirjana Spoljaric Egger, présidente du CICR, avec le Président de la République le 15 avril dernier ([8]), ce dernier s’est engagé à maintenir la contribution de la France au profit du CICR à son niveau de 2023. En ce qui le concerne, dans le contexte actuel caractérisé par la prise du décret de février dernier amputant le budget de l’État de 10 milliards d’euros, le CICR souhaite, a minima, que le montant de la contribution octroyée au CICR en 2024 soit identique à celui octroyé en 2023. Il s’agit là d’un recul de sa part, car il sollicitait auparavant une hausse de cette contribution compte tenu des besoins humanitaires croissants. Il attend que ces engagements se traduisent par des mesures concrètes. Il a par ailleurs de réelles craintes sur l’année 2025 car il dit n’avoir que peu de visibilité.
Le deuxième facteur a trait à la hausse des coûts liée à l’inflation, qui impacte les services et les marchandises.
Le troisième facteur a trait aux spécificités du mode de financement du CICR fondé sur la planification de ses besoins sur la durée. Contrairement à d’autres organisations qui ne lancent des projets que lorsqu’elles ont obtenu les financements afférents, le CICR est d’emblée engagé dans ses opérations de façon continue à une échelle pluriannuelle et cherche les financements au cours de l’année.
Enfin, le dernier facteur concerne le taux de mise en œuvre du budget du CICR. Ce taux est particulièrement élevé car il a atteint 98,4 %.
Votre rapporteur spécial salue l’excellence de l’action du CICR et la pertinence de son positionnement de neutralité qui lui permet d’agir efficacement dans les zones de conflit. Il estime que la contribution de la France au budget du CICR devra être sanctuarisée dans le cadre des arbitrages financiers pour 2025.
Troisième partie : Les questions de la gouvernance de la politique d’aide publique au développement : les cas des « dépenses vertes » et de l’afrique
I. Dépasser le dogme des « dépenses vertes », inefficaces, en recentrant l’aide publique au développement sur les vrais besoins des États partenaires
Sans en nier l’importance, votre rapporteur spécial s’interroge sur la part croissante des financements de l’aide publique au développement dédiée à la lutte contre le dérèglement climatique. Il estime que cet effort ne doit pas se faire au détriment des autres pans de la politique d’aide publique au développement, qui, par ailleurs, répondent davantage aux attentes et aux demandes exprimées par les États partenaires (construction d’infrastructures scolaires et sanitaires, accès à l’eau, etc.). D’ailleurs, votre rapporteur spécial rappelle que le développement des pays occidentaux a été rendu possible par l’exploitation d’énergies fossiles et que nous ne pouvons dès lors pas interdire aux pays africains de tirer parti de leurs richesses au motif de la lutte contre le dérèglement climatique avec, de surcroît, une approche moralisatrice.
Votre rapporteur spécial estime que la France ne doit pas, à travers sa politique d’aide publique au développement, renouer avec une forme de condescendance moralisatrice.
En 2023, les « dépenses vertes » ([9]) s’élevaient à 2,2 milliards d’euros, soit 38 % des crédits de la mission Aide publique au développement. Or, comme l’a souligné la Cour des comptes, faute de disposer de critères de performance adaptés, les ministères sont incapables de mesurer l’impact et les conséquences de ces « dépenses vertes » sur l’environnement.
Votre rapporteur spécial plaide donc pour que l’aide publique au développement se recentre sur des projets utiles, efficaces et correspondant aux attentes des pays partenaires.
Par ailleurs, en focalisant l’aide publique au développement sur un thème – le climat –, la géographie de l’aide publique de développement de la France s’en trouvera à terme bouleversée. Cette nouvelle donne est hélas une réalité budgétaire. Elle est également corroborée par les statistiques puisque l’Afrique ne représente plus que 38 % des autorisations de nouveaux financements en 2024. La lutte contre le dérèglement climatique ne peut et ne doit pas être un prétexte pour quitter des zones géographiques d’intérêt pour la France, comme l’est l’Afrique (cf. infra). La France ne doit oublier ni les pays les plus pauvres, ni l’Afrique. À titre d’illustration, si votre rapporteur spécial se réjouit de l’effort de la France au profit de Maurice (719 millions d’euros engagés depuis 2006 pour une population de 1,263 million d’habitants en 2022), il regrette concomitamment qu’un tel effort ne bénéficie pas à Madagascar (520 millions d’euros engagés depuis 2009 pour une population de 29,61 millions d’habitants en 2022, soit plus de 20 fois la population de Maurice). Cette différence de traitement suscite pour le moins des interrogations.
II. Les orientations de l’aide publique au développement ne doivent pas oublier l’Afrique
Il est généralement entendu que la présence française en Afrique est importante et que l’Afrique constitue une priorité pour la France. Or, nous assistons actuellement, de manière paradoxale, au retrait progressif de la France d’Afrique, qui se caractérise à la fois par le retrait de l’État, dans un contexte où certains pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont demandé à la France de partir, mais également par le retrait des entreprises françaises, et singulièrement des banques françaises (cf. infra).
A. Le cas spécifique du départ des banques françaises d’Afrique
Votre rapporteur spécial s’est particulièrement intéressé, dans le cadre de ses travaux, à la question des départs de banques françaises d’Afrique, et singulièrement des deux principales banques françaises traditionnellement présentes en Afrique que sont BNP Paribas et la Société Générale. Celles-ci sont en effet contraintes de quitter certains pays en raison des règles de conformité bancaire, de l’évolution des situations sécuritaire et géopolitique – singulièrement au Sahel –, du caractère décroissant de la rentabilité de leurs activités et de leurs stratégies à l’international.
1. Le respect des règles de conformité bancaire
Les banques françaises sont soumises à toute une série de règles de conformité bancaire de nature législative, mais également à de règles qu’elles s’imposent à elles-mêmes. Cette attention accrue s’explique par le précédent qu’a constitué l’amende de 9 milliards d’euros imposée à BNP Paribas en 2014. Comme l’a indiqué BNP Paribas lors de son audition, « pour comprendre cette attention particulière portée par BNP Paribas au respect des règles de conformité bancaire, il faut avoir à l’esprit le traumatisme qu’a constitué l’amende de 9 milliards d’euros qui lui a été infligée par les États-Unis en 2014. Les banques vivent dans la crainte permanente compte tenu de ce précédent, singulièrement eu égard aux pratiques qui peuvent avoir cours en Afrique. Le rachat par des banques africaines est d’autant plus aisé qu’elles ne sont pas, elles, soumises aux mêmes règles de conformité bancaire et ne sont que rarement exposées au dollar. Il faut également avoir conscience du fait qu’après le paiement de l’amende, la banque condamnée demeure sous surveillance ; de sorte que le moindre faux pas peut lui porter préjudice et lui être opposé. Le respect de ces règles est contrôlé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et, pour les grandes banques comme BNP Paribas, par son pendant à l’échelle de l’Union européenne ».
Comment demander à des pays passant d’une économie informelle à une économie formelle, comment demander à entreprises tout récemment bancarisées, les mêmes règles que celles exigées dans les pays riches ? Le but des règles de conformité n’était évidemment pas de provoquer le départ de nos banques d’Afrique, mais nous devons constater que cela en est une des conséquences.
De ce point de vue, comme l’a indiqué BNP Paribas lors de son audition, « c’est particulièrement le cas au Sahel. BNP Paribas a quitté le Mali, la Guinée et le Burkina Faso avant la survenance des coups d’État. Au-delà de la dégradation de la situation sécuritaire, des incertitudes peuvent également peser sur l’avenir au regard de l’évolution de la situation politique dans les pays de la région ».
La baisse tendancielle de la rentabilité est également un facteur déterminant pour les banques françaises. Comme l’a indiqué BNP Paribas lors de son audition, « globalement, BNP Paribas a selon les pays et les époques connu des hauts et des bas de ce point de vue mais elle était profitable en Afrique. Toutefois, la concurrence croissante des grandes banques panafricaines et des banques locales a pesé sur la rentabilité des entités du groupe qui sont handicapées par des process et des coûts plus élevés, notamment dans le domaine de l’informatique ».
4. Les choix stratégiques des banques à l’international
Au-delà des trois critères précités, le départ des banques françaises d’Afrique peut résulter de choix stratégiques faits par les banques à l’international. Interrogée sur le choix opéré par la Société Générale de quitter l’Afrique, celle-ci a indiqué que « dans le cadre de sa nouvelle stratégie mise en place en septembre 2023, la Société Générale a voulu passer en revue l’ensemble de son portefeuille d’activité en fonction de critères précis, parmi lesquels l’existence de position de leadership sur des marchés attractifs dans lesquels le groupe opère à l’échelle et délivre une rentabilité relative à la profitabilité du groupe, l’exposition limitée à des risques extrêmes ou exceptionnels, l’alignement à la stratégie dite « ESG » du groupe, ou encore l’existence de synergies avec les autres métiers du groupe. Sur le fondement de ces critères, il a été décidé de revoir l’ensemble des métiers et implantations du groupe ; ce qui signifie bien que l’Afrique n’est pas la seule zone géographique concernée. À titre d’illustration, nous avons annoncé la cession d’une filiale importante, SGEF, filiale internationale du groupe Société Générale spécialisée dans le financement des ventes et de biens d’équipement, entité qui n’opère d’ailleurs aucune activité en Afrique. Ainsi, la stratégie n’est pas fondée sur une volonté de quitter l’Afrique en particulier : elle vise à simplifier notre modèle et notre portefeuille d’activités afin de les rendre plus efficients et plus profitables tout en réduisant l’exposition à des risques extrêmes ou exceptionnels. S’agissant du cas de nos activités de banque de détail, en plus des critères précités, nous avons ajouté le critère relatif aux parts de marché, car ces activités impliquent d’avoir des franchises de premier plan. Au total, l’Afrique représente moins de 10 % de notre chiffre d’affaires. La banque de détail en Afrique représente 8 %, auxquels il faut ajouter environ 250 millions d’euros de revenus « offshore » générés par nos activités de banque d’investissement. » Ainsi, le choix opéré par la Société Générale n’est pas propre à l’Afrique mais s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale.
Il n’en demeure pas moins que la Société Générale assume d’avoir quitté plusieurs pays africains. Comme elle l’a indiqué lors de son audition, « nous avons annoncé notre départ de plusieurs pays d’Afrique : le Mozambique, le Burkina Faso, la Mauritanie, la Guinée équatoriale et le Maroc. Nous avons également annoncé la revue stratégique de nos activités en Tunisie et au Ghana Nous sommes d’ores et déjà partis de l’Égypte en 2012, du Tchad et du Congo-Brazzaville. Enfin, nous n’avons plus de banque (filiale ou succursale) en Afrique du Sud depuis 1990, seulement un bureau de représentation (depuis 1992) dépendant de notre banque d’investissement, et nous ne sommes pas en République démocratique du Congo. En ce qui nous concerne, il y a clairement un climat général qui se caractérise par un intérêt accru pour nos filiales en Afrique. Nous voulons rester actifs en Afrique et continuer d’accompagner les grandes entreprises, notamment au travers de notre activité de banque d’investissement ».
Lorsqu’une banque française quitte l’Afrique, l’expérience montre que ce qui importe surtout aux autorités locales est d’être en mesure de s’assurer de la qualité du repreneur. Une banque ne quitte d’ailleurs jamais un pays sans l’accord des autorités locales, qui donnent leur agrément pour permettre au repreneur de reprendre les activités de la banque française qui quitte le pays. Les banques travaillent en concertation rapprochée avec les autorités locales, et si ces dernières ne donnent pas leur accord, rien n’aboutit. Elles sont également en contact régulier avec les autorités publiques françaises, même si elles n’ont pas d’obligation de les prévenir en amont de leurs choix. En revanche, elles ont l’obligation d’informer l’ACPR et la BCE.
5. La poursuite de la présence des banques françaises en Afrique par le biais de l’investissement
Votre rapporteur spécial note toutefois que le départ des banques françaises d’Afrique ne signifie pas pour autant que celles-ci n’y investiront plus. Comme l’a indiqué la Société Générale lors de son audition, « s’agissant des activités de banque d’investissement de la Société Générale, nous ne sommes pas tenus de disposer d’une implantation dans un pays donné pour y investir. Nous travaillons en Angola depuis 40 ans sans jamais y avoir eu une implantation. Il y a d’autres manières de connaître un pays que d’y être implanté localement. Lorsqu’on connait les acteurs locaux ou internationaux qui, eux-mêmes, connaissent bien un pays, il n’est pas nécessaire d’y être implanté. Nous avons d’ailleurs des liens étroits avec les autorités françaises, européennes ou internationales sur place, notamment les ambassadeurs de France. Nous aurions pu d’ailleurs financer le projet de métro à Abidjan sans être présents sur place. Être présent sur place peut aider, mais ce n’est pas une condition nécessaire. Ainsi, tous les métiers de la banque d’investissement sont faits en offshore, depuis Paris ou Londres. Par exemple, en financement crédits export, nous avons une équipe d’une dizaine de personnes qui connaissent bien l’Afrique et qui savent y travailler. Nous avons mené une centaine d’opérations d’investissement en Afrique. À titre d’exemple, nous avons financé la culture du coton au Mali pendant 10 ans sans jamais que la Société Générale n’y soit implantée. Tout cela atténue grandement l’idée selon laquelle la Société Générale quitterait l’Afrique. Nous voulons continuer à être actifs en Afrique via nos activités de banque d’investissement. Elles sont par exemple très importantes dans des pays comme la Tanzanie ou le Nigeria. L’Afrique jouera un rôle majeur dans le domaine de la transition énergétique dans les années à venir : nous souhaitons y contribuer. »
Lors de son audition, la Société Générale a évoqué le cas du Maroc, qu’elle a choisi de quitter pour les activités de banque de détail : « Pour le Maroc, où nous sommes depuis 1913, il s’est agi d’un choix difficile. C’est d’ailleurs un cas particulier car nous n’avons pas été à l’initiative de ce départ. Nous avons reçu une proposition de rachat de la part d’un groupe marocain qui a vu que nous avions initié la cession de plusieurs filiales et qui a donc spontanément proposé de racheter notre filiale marocaine. Dans la mesure où nous avons estimé que la proposition était très intéressante pour nous, mais aussi pour les clients et les collaborateurs de l’entité cédée, nous y avons donné suite. La cession devrait intervenir d’ici à la fin de l’année. Un accord a été trouvé et un dossier a été déposé auprès de l’autorité de régulation marocaine. »
« Mais si nous souhaitons céder notre filiale au Maroc, nous y serons toujours présents par le biais des activités de notre banque d’investissement, notamment dans le domaine des infrastructures, du renouvelable ou de l’hydrogène. Par ailleurs, lorsque nous quittons un pays, nous le faisons de façon responsable et ne le quittons pas brutalement : un tuilage est mis en place, avec une période de transition qui permet aux employés et aux clients de s’adapter progressivement au changement. Dans ce cadre, nous avons des accords en vertu desquels, pendant une période déterminée, nous continuons de rendre des services au repreneur qui a racheté notre filiale au travers de services de transition, pour s’assurer notamment que tout fonctionne bien, par exemple sur le plan informatique pour éviter tout risque opérationnel. Nous veillons également à ce que notre départ, dans ses modalités, ne soit pas de nature à déstabiliser le système bancaire du pays. Nous conservons également des liens privilégiés avec le repreneur qui a racheté notre filiale, par exemple en garantissant que, pour certaines activités, la Société Générale sera un partenaire privilégié de ladite contrepartie, et inversement. La Société Générale peut également faire bénéficier ladite contrepartie et ses clients de son expertise pour certaines opérations financières de fusion-acquisition complexes ou pour le financement de projets d’envergure ».
Le départ des banques a un effet systémique, mais le départ des grandes entreprises emporte aussi de graves conséquences. À ce titre, la vente des activités portuaires du groupe Bolloré en Afrique constitue une date et confirme hélas le retrait de nos entreprises pourtant localement très appréciées. Le propos convenu concernant l’Afrique est d’insister sur le dynamisme des économies africaines et les perspectives gigantesques à terme. Hélas, dans l’immédiat, l’économie française est en train de se déconnecter de l’Afrique.
Votre rapporteur spécial entend l’argument de la continuité de la présence des banques françaises en Afrique par le biais de l’investissement mais il s’interroge toutefois sur la capacité des banques à exercer correctement leurs missions sans disposer d’antennes dans les pays africains. Au-delà de l’absence symbolique consécutive au retrait desdites antennes des pays africains, il estime que la bonne connaissance des pays dans lesquels les banques françaises investissent implique d’y être présentes physiquement.
B. Un déclin de la France en Afrique au profit des puissances étrangères
Ce déclin est d’autant plus regrettable qu’il profite à des puissances étrangères comme la Russie, la Chine et la Turquie qui voient leur influence grandir toujours davantage. Mais c’est aussi le cas notamment du Royaume-Uni, dont l’influence se maintient et grandit même en dehors de sa zone de présence historique puisque le Commonwealth s’élargit (Togo, Gabon).
D’autres prennent la place. Il faut que notre politique d’aide publique au développement se réorganise pour éviter les conséquences négatives de cette évolution. Mais l’aide publique au développement, dans ses objectifs, modalités et structures (AFD), a été définie à une époque de paix, où régnait l’illusion du doux commerce (entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, principe de l’aide déliée…). Elle doit s’adapter à un monde en crise, où les rapports de force s’exacerbent et où la géopolitique domine toute autre considération.
Quatrième partie : Pour une meilleure association du Parlement au contrôle de la politique d’aide publique au développement
Une évaluation du pilotage et de la gouvernance de l’aide publique au développement implique que le Parlement soit pleinement en mesure d’exercer ses missions de contrôle. De ce point de vue, votre rapporteur spécial déplore que plusieurs engagements pris vis-à-vis du Parlement n’aient pas été tenus. Malgré plusieurs demandes exprimées en ce sens, le rapport de l’Inspection générale des finances portant sur l’évaluation du coût de l’effort financier de la France au profit de l’Ukraine n’a toujours pas été remis. Pourtant, la remise de ce rapport pourrait utilement éclairer la représentation nationale. En particulier, il convient de répondre à la question : est-ce que l’aide publique au développement au profit de l’Ukraine se fait au détriment de l’Afrique ? Ce n’est pas sûr, mais votre rapporteur spécial attendait les éclaircissements de ce rapport. Il regrette que, malgré des demandes réitérées, M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n’ait pas communiqué ce rapport qui, selon les informations dont dispose votre rapporteur spécial, a été rendu. La dissolution de l’Assemblée nationale a interdit votre rapporteur spécial d’exercer la faculté de contrôle sur pièces et sur place, qu’il se proposait d’exercer. En tout état de cause, à défaut de ce rapport, votre rapporteur spécial n’est pas en mesure de démentir la rumeur selon laquelle l’aide publique au développement au profit de l’Ukraine se fait au détriment de l’Afrique. Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a indiqué lui-même, lors de la commission d’évaluation des politiques publiques de la commission des Finances du 4 juin 2024 consacrée à l’examen de l’exécution des crédits de la mission Aide publique au développement et du compte de concours financiers Prêts à des États étrangers en 2023, qu’il « n’a pas [été destinataire de] ce [rapport] », ce qui est très grave et inquiétant.
De plus, la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités prévoyait la création d’une commission d’évaluation de l’aide publique au développement française qui, au 3 juin 2024, n’était pas encore installée ([10]). La mise en place de cette commission aurait pourtant permis d’examiner plusieurs sujets d’intérêt pour votre rapporteur spécial, notamment la question de l’impact de la guerre en Ukraine sur l’aide publique au développement (cf. supra) ainsi que les conséquences des décisions de suspension de l’aide publique au développement que la France a prises en 2022 et 2023 concernant le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Enfin, de manière tout aussi révélatrice, la ligne budgétaire dédiée aux « réponses aux crises » dans le programme 110, n’apparaissait pas comme telle dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances, mais comme une possible nouvelle contribution au Fonds fiduciaire de la Banque mondiale pour le Liban qui, in fine, ne s’est pas matérialisée. Afin que le Parlement soit correctement éclairé dans son vote, et par souci de transparence et de lisibilité des documents budgétaires, l’inscription de cette ligne devrait figurer explicitement dans le prochain projet annuel de performances, comme c’est d’ores et déjà le cas pour le programme 209.
Liste des recommandations du rapporteur spécial
1– Améliorer la lisibilité de l’effort global de la France au titre de l’aide publique au développement
2– Intégrer davantage les dépenses liées à l’immigration dans le calcul de l’aide publique au développement
3– Conditionner l’octroi de financements dans le cadre de l’aide publique au développement à une coopération accrue en matière de lutte contre l’immigration régulière
4– Renoncer aux coupes budgétaires par la voie réglementaire en ayant systématiquement recours à un projet de loi de finances rectificative
5– Préserver la provision pour crises lors des arbitrages budgétaires
6– Renforcer significativement l’effort de la France au profit d’Haïti au titre de la provision pour crises dans le domaine alimentaire
7– Sanctuariser la contribution de la France au budget du CICR
8– Recentrer l’aide publique au développement en Afrique sur des projets utiles, efficaces et correspondant aux attentes des pays partenaires
9– Transmettre le rapport de l’Inspection générale des finances portant sur l’évaluation du coût de l’effort financier de la France au profit de l’Ukraine au Parlement
10– Mettre en place la commission d’évaluation de l’aide publique au développement prévue par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités
Lors de sa réunion de 17 heures, le mardi 4 juin 2024, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Marc Le Fur, rapporteur spécial des crédits de la mission Aide publique au développement et du compte spécial Prêts à des États étrangers, sur son rapport d’information sur le pilotage et la gouvernance de l'aide publique au développement, présenté en application de l’article 146, aliéna 3, du règlement de l’Assemblée nationale.
La commission a autorisé la publication du rapport d’information.
La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera prochainement consultable.
Liste des personnes auditionnées ET DES DéPLACEMENTS effectués par le rapporteur spécial
– BNP Paribas : M. Jean-Jacques Santini, conseiller exécutif du président et de la direction générale.
– Comité International de la Croix-Rouge : Mme Alexandra Jeannette Ortiz, chargée des relations avec la France, l’Italie et l’Espagne, M. Michel Katz, conseiller diplomatique, et M. Christophe Martin, chef de la délégation régionale à Paris.
– Société Générale : M. Pierre Palmieri, directeur général délégué, M. Francis Donnat, secrétaire général, et Mme Delphine Garcin-Meunier, directrice « mobilité, banque de détail & services financiers à l’international ».
Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne : Mme Emmanuelle Gallet, conseillère chargée de la politique de développement.
Commission européenne, direction générale des partenariats internationaux : M. Vincent Grimaud, directeur général chargé de la politique et de la coordination du développement durable, Mme Fiona Ramsey, cheffe de l'unité chargée d'une politique de développement efficace.
Commission européenne, direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement : M. Mathieu Bousquet, directeur, direction « Soutien Thématique, Coordination des instruments stratégiques et financiers ».
Banque européenne d'investissement : Mme Luciana Tomozi Schwandt, cheffe de la division affaires internationales et politiques sectorielles, Mme Dorothée Starck, conseillère affaires institutionnelles .
Parlement européen : M. Stéphane Bijoux, vice-président de la commission du développement.
Coalition for Global Prosperity : M. Ryan Henson, directeur général.
Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth : MM. Bruce Lawson McDowall, directeur programmes et expertise du Département Afrique, et Mark Smith, chef d’unité programmes et expertise, Département Afrique.
Independant Commission for Aid Impact : Sir Hugh Bayley, Deputy Commissioner.
British International Investment : MM. Nick O’Donohoe, Président Directeur Général, et M. Amar Mistry, conseiller Affaires globales.
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([1]) La politique française en faveur du développement fait l’objet d’un document de politique transversale dédié.
([2]) Ce programme n’a été abondé pour la première fois qu’à l’occasion de la LFI pour 2024. Le montant des crédits de ce programme pour 2023 est nul.
([3]) La commission des Finances avait d’ailleurs adopté un amendement visant à procéder, au moyen d’un rapport au Parlement, à l’établissement d’une définition de ces pays dits vulnérables. Cette mesure n’a finalement pas été retenue par le Gouvernement dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 49.3 de la Constitution.
([4]) Rapport thématique de la Cour des comptes sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière de janvier 2024.
([5]) Ce taux monte à 24,8 % si on inclut les mesures d’éloignement prises depuis les territoires ultramarins.
([6]) La direction des Nations unies, des Organisations internationales, des droits de l’Homme et de la Francophonie, dite « NUOI », relève de la direction générale et des affaires politiques et de sécurité du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
([7]) En comptant l’Union européenne parmi les donateurs, qui, en volume, est le 4e donateur du CICR, la France passe à la 8e position.
([8]) Le compte-rendu de l’entretien est consultable en suivant ce lien : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/04/15/entretien-avec-mirjana-spoljaric-egger-presidente-du-comite-international-de-la-croix-rouge-cicr.
([9]) Les « dépenses vertes » correspondent aux dépenses considérées comme favorables à l’environnement. Une dépense est considérée comme « verte » si elle a des impacts, directs ou indirects, sur les six thématiques suivantes : (1) la lutte contre le changement climatique, (2) l’adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels, (3) la gestion de la ressource en eau, (4) la transition vers l’économie circulaire, la gestion des déchets et la prévention des risques technologiques, (5) la lutte contre les pollutions et (6) la préservation de la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles.
([10]) Une proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 18 janvier et au Sénat le 26 mars 2024, prévoyait notamment de placer la commission d’évaluation auprès du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et non plus de la Cour des comptes. Interrogé à ce sujet, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a indiqué qu’il travaillait actuellement avec le ministère chargé de l’Économie et des Finances ainsi qu’avec l’AFD pour élaborer le projet de décret relatif à la mise en place et au fonctionnement de cette commission.