N° 2725

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

sur l’évaluation de la compensation carbone et du système d’échanges de quotas d’émission à l’aune de la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Xavier ROSEREN,
rapporteur spécial

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SOMMAIRE

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Pages

SynthÈse

Principales propositions du rapporteur spÉcial

Introduction

I. La compensation carbone : un outil vertueux nÉcessaire, mais coûteux, en faveur des entreprises

A. Limiter les distorsions de concurrence et soutenir l’activitÉ industrielle des entreprises électro-intensives

1. Présentation de la compensation des coûts indirects

a. Un encadrement juridique strict

b. Des critères de calcul et de périmètre qui sont l’objet d’âpres négociations

2. Des secteurs éligibles divers et stratégiques pour le tissu économique européen

a. Des secteurs économiques variés mais présentant des caractéristiques communes

b. Une aide concrète et essentielle pour les secteurs énergo-intensifs

B. Un coÛt budgÉtaire qui ne cesse de s’accroître

1. 2016-2024 : la montée en puissance budgétaire de la compensation carbone

a. Une dépense faiblement pilotable

b. Une dépense budgétaire en hausse constante témoignant d’un soutien fort envers les entreprises exposées au risque de fuite de carbone

2. Une évolution budgétaire incertaine arrimée au renforcement des ambitions environnementales

a. Le financement de la compensation demeure trop peu lisible

b. Une évolution budgétaire faiblement prévisible

C. Un dispositif au service de l’environnement et au soutien de la compÉtitivitÉ des entreprises concernÉes

1. Le soutien public internalisant le coût de la réglementation carbone favorise la compétitivité-prix des entreprises

2. Loin d’être une incitation à polluer, la compensation carbone favorise les comportements vertueux

II. Le systÈme d’Échanges de quotas d’Émission : DÉcarboner l’industrie sans Amoindrir la compÉtitivitÉ

A. Donner un prix au carbone

1. Concrétiser les engagements climatiques : instaurer un mécanisme pollueur-payeur

2. La mise en œuvre lente mais nécessaire du marché européen du carbone

B. Un correctif imparfait

1. Plafonner les émissions de CO2.

2. Une offre excédentaire de quotas décorrélée des émissions effectives

3. Apurer le stock de quotas d’émission : un enjeu de crédibilité

C. Soutenir les entreprises par les quotas gratuits : une dangereuse dépendance

1. Une politique d’attribution des quotas gratuits justifiée par l’intensité de la concurrence internationale

2. Une politique insuffisamment ciblée facteur d’enrichissement sans cause

3. À l’avenir, une politique d’attribution entièrement rénovée

III. La compensation carbone : un avenir incertain

A. Un maintien incertain de la compensation carbone avec l’introduction du MÉcanisme d’ajustement carbone aux frontiÈres

1. Protéger le marché européen : taxer les importations de gaz à effet de serre

a. Un dispositif théoriquement efficace

b. Un dispositif en réalité complexe et au risque de contournement fort

2. Vers un affaiblissement du tissu industriel européen

3. Que restera-t-il de la compensation des coûts indirects ?

B. Soutenir diffÉremment : prÉvoir de nouvelles routes

1. Les contrats d’écart compensatoire carbone

2. Vers un protectionnisme vert européen : le Buy European and Sustainable Act

Travaux de la commission

Liste des personnes auditionnÉes  par le rapporteur spÉcial

 

 


   SynthÈse

Les secteurs industriels grands consommateurs d’électricité font l’objet, au sein de l’Union européenne, d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics. Situés aux confluents des enjeux de réindustralisation et de verdissement de l’économie, ces secteurs exposés à un fort risque de fuite de carbone constituent à bien des égards une singularité.

Singuliers en ce que la réglementation environnementale les somme d’être à la fois moins carbonés et plus compétitifs sur le marché mondial des échanges. C’est ce paradoxe, constituant les deux faces d’une même médaille, que le système d’échanges de quotas d’émission de l’Union européenne et la compensation des coûts indirects résultant de ces quotas d’émission (connue sous le nom de compensation carbone) tentent de résoudre.

La compensation carbone résulte de l’existence du marché des quotas d’émission dont le fonctionnement entraîne une hausse des prix de l’électricité consommée dans le processus de production. Elle est justifiée par le fait que certains secteurs fortement exposés au commerce international n’ont pas la capacité de répercuter ce surcoût sur les prix de vente, sauf à perdre d’importantes parts de marché ou à faire le choix de délocaliser leur activité vers des lieux où la réglementation en matière d’émission de carbone est faible voire inexistante.

Si ce dispositif de soutien a retenu l’attention du rapporteur spécial, c’est en raison de son évolution budgétaire : l’enveloppe a été multipliée par douze entre 2016 et la loi de finances pour 2024, passant respectivement de 93 millions d’euros à 1 074 millions d’euros.

Aux yeux du rapporteur spécial, le moment était donc opportun pour conduire une évaluation de la compensation carbone.

Les dispositifs communautaires sont plus que jamais mouvants. Les quotas gratuits alloués aux secteurs assujettis au système d’échanges de quotas d’émission vont connaître une extinction programmée en 2034 ; la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières – vertueuse certes, mais incomplète réglementairement – inquiète les industriels concernés ; l’avenir de la compensation des coûts indirects apparaît menacé par l’inclusion hypothétique des émissions indirectes dans le champ de la taxe carbone aux frontières.

Si rien n’est inépuisable, le soutien aux entreprises européennes fortement consommatrices d’énergie et exposées au risque de fuite de carbone apparaît incontournable pour le rapporteur spécial. Il propose ainsi des pistes d’évolution qui tirent les conséquences de ces incertitudes réglementaires pesant sur l’activité des industriels et le verdissement de l’économie européenne.


   Principales propositions du rapporteur spÉcial

 

1 – RÉviser les critÈres et assurer le suivi budgÉtaire de la compensation carbone

Proposition n° 1. Réviser le facteur d’émission applicable pour le calcul de la compensation carbone en favorisant un facteur d’émission unique à l’échelle du territoire de l’Union européenne.

Proposition n° 2. Introduire dans les critères de définition du périmètre de la compensation des éléments qualitatifs et non pas seulement quantitatifs.

Proposition n° 3. Affecter directement une partie des recettes tirées des enchères des quotas d’émission au financement de la compensation carbone. Inscrire comme plafond de recettes affectées le seuil de 25 % des recettes tirées des enchères afin de se conformer à la limite prévue par le droit communautaire.

 

2 – Anticiper les besoins des secteurs exposÉs au risque de fuite de carbone

Proposition n° 4. Réaliser une étude économique sur les effets de la fin des quotas d’émission à titre gratuit, analysant en particulier les fuites de carbone et les conséquences sur la réindustrialisation.

Proposition n° 5. Étendre le périmètre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières à des produits finis et semi-finis.

Proposition n° 6. Maintenir au niveau européen un dispositif de compensation carbone.

Proposition n° 7. Mettre en place des contrats d’écart compensatoire carbone au bénéfice des secteurs actuellement bénéficiaires de la compensation carbone.

Proposition n° 8. Mettre en place, au niveau européen, un Buy European and Sustainable Act (BESA) afin de soutenir l’effort de décarbonation des secteurs les plus émetteurs.

 

 


   Introduction

Entre le 5 avril 2023 et le 5 avril 2024 le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen a presque été divisé par deux, passant de 97,53 euros à 57,5 euros. La volatilité du prix du carbone peut sembler paradoxale alors que les engagements environnementaux des États membres n’ont de cesse de s’étendre et s’intensifier, ce qui devrait avoir pour corollaire naturel une tendance haussière du prix de la tonne de CO2. En tout état de cause, le cours actuel est fortement éloigné de la valeur tutélaire du carbone – estimée à 250 euros par tonne de CO2 pour 2030 selon le rapport Quinet II ([1]) – permettant d’atteindre nos ambitions environnementales.

Au-delà de la nécessité d’attribuer un prix à la pollution dans une logique pigouvienne, le système européen d’échanges de quotas d’émission (ci-après SEQE-UE ou ETS-EU pour European Union Emissions Trading System) affecte singulièrement certains secteurs grands consommateurs d’énergie. Au sein de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE), les entreprises que la littérature a pour coutume de qualifier d’« électro-intensives », sont redevables de droits à polluer au titre de leurs émissions directes et indirectes de carbone.

Le rapporteur spécial tient à souligner le mérite du système d’échanges qui a permis d’instituer une « culture du carbone » au sein des milieux industriels européens. S’il demeure imparfait sur le plan théorique en raison de la dualité des missions qui lui étaient assignées – lutter contre le réchauffement climatique et soutenir la compétitivité de l’industrie européenne – les résultats obtenus sont significatifs. En France, une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 44 % entre 2005 et 2021 pour le secteur industriel couvert par le SEQE-UE a été observée, sans que des effets préjudiciables à la productivité des entreprises ne puissent être constatés ([2]).

Dans le cadre du printemps de l’évaluation 2024, le rapporteur spécial a souhaité s’intéresser aux installations industrielles concernées par le SEQE-UE et bénéficiaires de la compensation carbone telle que prévue dans le programme 134 – Développement des entreprises et régulations de la mission Économie. Les règles du SEQE-UE applicables au domaine du transport maritime et à l’aviation ne seront pas appréhendées dans ce rapport.

La compensation des coûts indirects des quotas carbone, également connue sous le nom de compensation carbone, est une mesure destinée aux secteurs ou sous-secteurs considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone en raison du coût des quotas répercutés sur les prix de l’électricité. La fuite de carbone correspond à la délocalisation d’une activité émettrice de CO2 vers des « havres de la pollution », zones géographiques dans lesquelles la réglementation environnementale en matière de carbone est faible voire inexistante.

Le rapporteur spécial a estimé opportun d’évaluer un dispositif introduit en loi de finances pour 2016, dont l’enveloppe budgétaire a été multipliée par douze et n’ayant pas fait l’objet d’un rapport d’information jusqu’à présent.

Il n’a pas souhaité limiter son approche à cette compensation sectorielle, mais a étendu celle-ci aux dispositifs de soutien à destination des entreprises électro-intensives dans le cadre du système d’échanges de quotas d’émission. Cette extension du périmètre du rapport lui est apparue incontournable à l’issue des auditions qu’il a menées afin de se saisir pleinement des enjeux dans une perspective d’évaluation thématique plus étendue que la seule évaluation des crédits budgétaires.

Ce rapport d’information s’intéresse ainsi à la politique d’attribution des quotas d’émission à titre gratuit, mesure européenne ciblant les émissions directes, ainsi qu’à la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières voté en 2023 et dont les effets sur la compensation et les secteurs industriels interpellent.

Souvent perçue comme une « incitation à polluer » pour certains promoteurs d’une politique environnementale exigeante, cette aide apparaît aux yeux du rapporteur spécial strictement conditionnée par des incitations au verdissement.

Économiquement, si la compensation a pu être critiquée pour son manque de ciblage ou des supposés effets anticoncurrentiels sur le marché mondial, le rapporteur spécial apporte dans son étude des éléments de réponse. Le constat est simple : en l’absence des compensations au surcoût du carbone, les segments de l’industrie européenne sujets aux fuites de carbone auraient fortement délocalisé leurs activités, entraînant des suppressions d’emplois en masse, une perte de savoir-faire européen et une dépendance accrue aux importations extra-européennes.


I.   La compensation carbone : un outil vertueux nÉcessaire, mais coûteux, en faveur des entreprises

La compensation des coûts indirects a été introduite pour soutenir les entreprises et limiter les distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne (A). Cette mesure, d’abord d’un poids budgétaire modeste, a connu en moins de dix ans une trajectoire de dépense fortement haussière pour les finances publiques (B), mais dont les effets se sont révélés vertueux tant sur le plan économique qu’environnemental (C).

A.   Limiter les distorsions de concurrence et soutenir l’activitÉ industrielle des entreprises électro-intensives

La compensation des coûts indirects est apparue nécessaire afin de limiter le risque de fuite de carbone au niveau européen (1) d’un tissu économique diversifié et stratégique (2).

1.   Présentation de la compensation des coûts indirects

a.   Un encadrement juridique strict

La compensation des coûts indirects résultant des quotas d’émission, également connue sous le nom de « compensation carbone », est progressivement devenue nécessaire pour faire face au risque de perte de compétitivité-prix des entreprises européennes sur le marché mondial.

Le législateur européen, par une directive du 23 avril 2009 ([3]) a introduit plusieurs mesures destinées à soutenir certaines industries à forte intensité d’énergie exposées au risque de fuite de carbone.

La mesure générale consistait en l’attribution de quotas d’émission gratuits pour les émissions directes (dites émissions de scope 1) des entreprises fortement émettrices dont la capacité de répercussion du coût sur les chaînes de valeur sans subir de perte importante de parts de marchés en faveur d’installations établies hors de l’Union européenne est faible.

La mesure subsidiaire consistait à autoriser les États membres à compenser, pour les entreprises exposées à un risque significatif de fuite de carbone, les coûts liés aux émissions de gaz à effet de serre répercutés sur les prix de l’énergie (on parle alors d’émissions indirectes de scope 2).

Comprendre la nature des Émissions

Source : Global climate initiatives.

La définition et les mesures d’application de la compensation des coûts indirects ont ensuite été précisées par voie de lignes directrices à deux reprises, en 2012 pour la période 2012-2020 ([4]) puis à nouveau en 2020 pour la période débutant en 2021 ([5]).

L’Allemagne a introduit un mécanisme de compensation des coûts indirects à partir de 2013 afin d’enrayer la perte de compétitivité-prix de ses entreprises.

En France, un dispositif similaire a été introduit par un amendement gouvernemental en séance publique à l’Assemblée nationale à l’article 68 de la loi de finances pour 2016 ([6]) et codifié à l’article L. 122-8 du code de l’énergie.

À ce jour, un dispositif de compensation des coûts indirects a été adopté dans treize États membres de l’Union européenne.

Le calcul de la compensation des coûts indirects

Le calcul de la compensation des coûts indirects résulte du produit de cinq facteurs :

        le facteur d’émission de l’électricité consommée en France (en tCO2/MWh), fixé à 0,51 tCO2/MWh par l’article D. 122-14 du code de l’énergie ;

        le prix de la tonne de CO2 (€/tCO2), défini par arrêté annuel du ministre compétent ;

        selon le cas, le volume d’électricité consommé (en MWh) ou le tonnage d’un produit éligible (en tonnes) ;

        un référentiel déterminé au niveau européen par code PRODCOM ([7]), en MWh par tonne de produit, ou en pourcentage pour les produits pour lesquels aucun référentiel n’a été fixé (80 % pour 2021 et réduit ensuite de 1,09 % par an) ;

        l’intensité de l’aide, fixée à 75 % au V de l’article L. 122-8 du code de l’énergie.

Source : DGEC, réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

Les États membres désireux de soutenir les entreprises exposées à un risque de fuite de carbone doivent présenter à la Commission européenne un régime d’aide sur une période pluriannuelle de neuf ans. La Commission s’assure alors que la mesure n’est pas de nature à produire des distorsions de concurrence entre États membres et que les exigences en matière d’audits énergétiques définies dans les lignes directrices sont respectées.

Ensuite, la mesure est administrée au niveau national. En France, la direction générale des entreprises du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est chargée de la gestion de la compensation des coûts indirects et l’Agence des services et de paiement (ASP) recueille les pièces justificatives nécessaires à l’instruction des demandes.

b.   Des critères de calcul et de périmètre qui sont l’objet d’âpres négociations

La détermination des règles de calcul et de périmètre des secteurs éligibles à la compensation des coûts indirects au niveau européen revêt une importance capitale pour les entreprises.

Tout d’abord, le facteur d’émission de l’électricité consommée en France, composante du calcul de la compensation carbone, a fait l’objet de négociations intenses avec la Commission européenne. Cette dernière, pour déterminer le niveau du facteur d’émission, prend en considération le mix énergétique fossile de chaque État membre afin d’estimer le prix du carbone sur le prix de l’électricité dans une zone géographique considérée.

Lors de la dernière révision de la directive relative à la compensation des coûts indirects, la Commission européenne a écarté la France de la zone géographique « Europe du centre-ouest » à laquelle appartiennent l’Autriche, l’Allemagne et le Luxembourg. La France s’est vue attribuer un facteur d’émission unique, d’abord fixé à 0,44 tCO2/MWh puis rehaussé à 0,51 tCO2/MWh. Ce dernier demeure nettement inférieur au facteur retenu pour la zone « Europe du centre-ouest » qui bénéficie d’un facteur de 0,72 tCO2/MWh. Il est en revanche comparable au facteur retenu pour la péninsule ibérique (0,53) ou pour l’Italie (0,46).

Si le rapporteur spécial reconnaît la spécificité du mix énergétique français, en raison de l’importance de son parc nucléaire, il regrette toutefois l’absence de prise en compte du coût d’approvisionnement réel des entreprises qui demeure largement soumis au coût de la production marginale d’électricité. Il tient toutefois à saluer l’engagement de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne qui, par leur portage politique, ont obtenu un facteur d’émission plus favorable à l’industrie française que celui envisagé initialement.

Les représentants des secteurs industriels concernés auditionnés par le rapporteur spécial ont exprimé le souhait que le taux du facteur d’émission soit révisé dans l’avenir. Ils considèrent que la solution actuelle n’est qu’un pis-aller et qu’une révision est indispensable afin de ne pas souffrir d’une perte de compétitivité de l’industrie française.

Le rapporteur spécial appelle à une révision de ce facteur d’émission. Il estime que ce dernier est vecteur de perte de compétitivité des entreprises françaises et de surcroît, qu’il fragilise la lisibilité de la position européenne en matière de politique environnementale. La pluralité de facteurs d’émission se justifie d’autant moins que le prix de l’électricité effectivement payé par une entreprise française ou allemande est souvent similaire en raison du fonctionnement même du marché de gros de l’électricité.

Proposition n° 1. Porter au niveau européen le projet d’une révision du facteur d’émission afin d’aboutir à un facteur d’émission unique applicable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

À défaut, le rapporteur spécial appelle à ce que le facteur d’émission demeure a minima inchangé, c’est-à-dire stabilisé à 0,51 tCO2/MWh, et que les facteurs d’émission des pays de la zone « Europe du centre-ouest » convergent progressivement vers le niveau français.

En second lieu, les mesures de périmètre des secteurs éligibles à la compensation des coûts indirects apparaissent comme devant faire l’objet d’une attention particulière.

Lors des auditions qu’il a menées, le rapporteur spécial a été conduit à porter son attention sur les mesures de périmètre ayant eu pour effet l’éviction de certains secteurs précédemment éligibles à la mesure de compensation des coûts indirects.

À titre d’exemple, les secteurs de la chimie organique de base, des produits azotés et engrais, des gaz industriels ou des matières plastiques ont été écartés de la liste des secteurs éligibles en raison de critères qui apparaissent insuffisamment souples pour apprécier la réalité de la situation économique d’un secteur.

En l’absence d’un soutien idoine, le risque de perte de parts de marché pour des secteurs généralement fortement intégrés dans les chaînes de valeur européennes, est élevé. Alors que l’impératif de réindustrialisation européenne est un objectif affiché, tant au niveau européen que français, le rapporteur spécial estime qu’une révision des critères d’éligibilité des secteurs doit avoir lieu dans les meilleurs délais.

Proposition n° 2. Introduire dans les critères de définition du périmètre de la compensation carbone des éléments qualitatifs et non pas seulement quantitatifs.

Cette proposition est soutenue par la direction générale des entreprises qui estime que des critères plus souples seraient de nature à prendre en compte les évolutions des pratiques des industriels et de favoriser l’implantation dans l’Union européenne de nouvelles unités industrielles.

2.   Des secteurs éligibles divers et stratégiques pour le tissu économique européen

a.   Des secteurs économiques variés mais présentant des caractéristiques communes

Les secteurs et sous-secteurs éligibles à la compensation des coûts indirects ne doivent pas être confondus avec la définition et les critères juridiques français retenus pour qualifier les entreprises d’électro-intensives. Les qualifications retenues au niveau national permettent de faire bénéficier certaines activités de dispositifs spécifiques.

Aux termes de l’article L. 351-1 du code de l’énergie, il est prévu que les « entreprises fortement consommatrices d’électricité peuvent bénéficier, pour tout ou partie de leurs sites, de conditions particulières d’approvisionnement en électricité ». Les critères retenus pour bénéficier d’un tel dispositif sont distincts et moins restrictifs que ceux prévus au niveau européen.

Aux termes des articles L. 312-64 et L. 312-65 du code des impositions sur les biens et services, le législateur a prévu des tarifs réduits de l’électricité consommée par certaines entreprises industrielles électro-intensives. À cet égard, le programme 134 Développement des entreprises et régulations de la mission Économie est porteur des quatre dépenses fiscales suivantes, dont le montant total s’est élevé à 396 millions d’euros en 2022 ([8]) :

        un tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée par les installations industrielles électro-intensives exposées à un risque important de fuite de carbone en raison des coûts indirects ;

        un tarif réduit d’accise sur l’électricité pour les centres de stockage de données numériques exploités par une entreprise ;

        un tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée par les installations hyper électro-intensives (HEI) ;

        un tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée sur des sites industriels électro-intensifs où sont exploitées des installations industrielles et pour l’électricité consommée par des entreprises industrielles électro-intensives exploitant des installations industrielles.

Les critères permettant de déterminer les secteurs et sous-secteurs éligibles au dispositif de compensation des coûts indirects diffèrent de ceux permettant de bénéficier des tarifs réduits prévus par le code des impositions sur les biens et services. Les lignes directrices de la Commission européenne permettent de déterminer, sur la base de critères stricts, les secteurs éligibles. Depuis l’introduction de la mesure, certains grands secteurs industriels sont systématiquement inscrits sur la liste d’éligibilité. Sans que cela soit exhaustif, sont au nombre des secteurs concernés par la compensation carbone :

        les secteurs de la sidérurgie, de la production d’aluminium, de la chimie inorganique, de la production de cuivre ou encore de la fabrication de papier et de carton font partie des secteurs éligibles à la mesure de compensation des coûts indirects depuis l’introduction de la mesure ;

Des secteurs stratégiques exposés : le cas Aluminium Dunkerque.

L’entreprise Aluminium Dunkerque fait partie des leaders mondiaux de la production d’aluminium bas carbone avec une capacité de production pouvant atteindre 300 000 tonnes d’aluminium par an.

Malgré sa position favorable sur le marché mondial des échanges, l’entreprise a été contrainte à la fermeture temporaire de 25 % de ses capacités de production en raison du récent choc sur les prix de l’énergie. Face au risque d’une importation croissante d’aluminium moins onéreux produit hors UE, la seule solution de repli a consisté à sous-utiliser les facteurs de production.

La formation des prix de l’aluminium s’effectue à partir d’un cours mondial des métaux, ce qui ne permet pas à l’entreprise de répercuter de manière durable une hausse des prix de l’énergie à ses clients tels que la filière automobile.

Une telle situation illustre la nécessité d’un soutien public à destination des secteurs exposés à un risque de fuite de carbone et sujets à des chocs exogènes sur les prix.

Source : commission des finances, à partir des réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.

        depuis la révision des lignes directrices pour la période 2021-2030, de nouveaux secteurs sont éligibles à la compensation : la fabrication de produits pétroliers raffinés, l’hydrogène ou encore les sous-secteurs de la fibre de verre.

Tous ces secteurs ont pour caractéristique commune de présenter un fort risque de fuite de carbone en raison de leur exposition à la concurrence internationale. De surcroît, compte tenu de leurs procédés de production, ils se caractérisent tous par une demande inélastique au prix de l’électricité.

b.   Une aide concrète et essentielle pour les secteurs énergo-intensifs

La compensation carbone apparaît aujourd’hui essentielle aux entreprises européennes qui, selon le secteur considéré, sont plus ou moins vulnérables sur le marché mondial des échanges.

La faible capacité de répercussion des coûts du quota carbone sur les prix finaux rend indispensable aujourd’hui le soutien des pouvoirs publics aux industriels soumis à une forte concurrence internationale.

En effet, les possibilités de « pass through » (i.e. la capacité de répercussion des prix dans la chaîne de valeur) sont limitées par la formation des prix sur le marché mondial. En cas de hausse des prix d’un produit final visant à compenser un coût unitaire de production supérieur au coût moyen hors Union européenne des produits non soumis au système d’échanges de quotas d’émission, l’entreprise européenne se trouverait désavantagée compétitivement sur le marché des échanges.

L’appréhension de la capacité de répercussion des coûts du quota sur le prix d’un secteur est d’autant plus délicate qu’elle est fortement hétérogène. Ainsi, selon une étude conjointe de La Fabrique de l’industrie et Deloitte de mars 2022, le secteur de l’aluminium, par exemple, dispose d’une capacité de répercussion des coûts comprise entre 0 et 20 % en raison d’un prix indexé sur le London Metal Exchange alors que dans le domaine de l’acier plat, à titre de comparaison, l’intervalle de répercussion est compris entre 55 % et 120 % ([9]).

Sans vouloir segmenter l’approche des secteurs électro-intensifs exposés à un risque de fuite de carbone, le rapporteur spécial tient à faire état de ces disparités en ce qu’elles sont révélatrices de risques distincts. Un secteur ayant des capacités de répercussion plus faibles est, toutes choses égales par ailleurs, plus susceptible de pâtir des effets du coût carbone.

À cet égard, par exemple, le secteur de la métallurgie française fait état de vulnérabilités significatives. Ce secteur présente un des taux de marge les plus faibles, environ de 11 %, un taux d’ouverture à l’international particulièrement élevé et une intensité énergétique de production forte ([10]).

Le sous-secteur de la chimie de base se caractérise également par des marges particulièrement faibles – comparativement au sous-secteur des cosmétiques et parfumeries – et est exposé à un risque d’éviction en raison d’une forte concurrence internationale. Cette dernière est telle que le leader mondial de la chimie BASF a pris la décision de fermer plusieurs sites de production en Allemagne tandis que ladite société ouvrait en parallèle une usine pétrochimique à Zhanjiang, dans la province du Guangdong, au sud-est de la Chine ([11]).

De telles situations alertent le rapporteur spécial, qui voit dans ces délocalisations, certes, des pertes de marché, des destructions d’emplois et un affaiblissement de l’emploi industriel, mais également une délocalisation des activités polluantes – ce qui va à l’encontre de tous les objectifs européens.

Le rapporteur spécial considère que la compensation des coûts indirects agit aujourd’hui comme un filet de sécurité indispensable à certains secteurs. Le maintien de la mesure – tant pour le périmètre des secteurs concernés que pour l’intensité de la compensation et sa prévisibilité – constitue un impératif pour l’industrie française.

B.   Un coÛt budgÉtaire qui ne cesse de s’accroître

Le coût pour les finances publiques de la compensation des coûts indirects s’est progressivement intensifié (1). La trajectoire budgétaire du dispositif demeure incertaine et dépendra fortement des ambitions environnementales au niveau européen (2).

1.   2016-2024 : la montée en puissance budgétaire de la compensation carbone

a.   Une dépense faiblement pilotable

La compensation des coûts indirects est une dépense de guichet faiblement pilotable. Elle repose sur des facteurs externes sur lesquels les pouvoirs publics n’ont que peu de marges de manœuvre.

Afin d’inciter au verdissement de l’industrie, le législateur a prévu une trajectoire dégressive du montant de l’aide. Ainsi, aux termes du V de l’article L. 122-8 du code de l’énergie : « le montant de l’aide est fixé à 85 % des coûts mentionnés au III supportés en 2015, à 80 % des coûts mentionnés au III supportés en 2016, 2017 et 2018, puis à 75 % des coûts mentionnés au III supportés en 2019 et 2020 ». Pour la période contemporaine, le taux de 75 % est maintenu.

Le coût budgétaire de la compensation des coûts indirects repose par ailleurs sur le prix de la tonne de carbone. Une tonne de CO2 correspond à un quota carbone au sein du système d’échanges de quotas d’émission de l’Union européenne. Le prix de cette tonne correspond à la moyenne arithmétique des prix à terme à un an des quotas d’émission pour les livraisons effectuées en décembre de l’année pour laquelle l’aide est accordée.

Chaque année, un arrêté du ministre compétent arrête le prix du quota carbone utilisé dans le calcul de l’aide. Pour les coûts supportés en 2023, le prix à terme des quotas du système d’échanges de quotas d’émission a été fixé à 83,56 € par tonne ([12]).

Les pouvoirs publics sont ainsi dépendants de la confrontation de l’offre et de la demande sur le marché des quotas échangeables.

b.   Une dépense budgétaire en hausse constante témoignant d’un soutien fort envers les entreprises exposées au risque de fuite de carbone

  1.   Une dépense budgétaire en hausse

La compensation des coûts indirects, dont l’enveloppe budgétaire ne cesse de croître, agit comme un véritable bouclier face aux hausses des prix de l’électricité en raison de la répercussion des coûts du quota dans le prix de la matière première.

Entre 2016 et la prévision inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024, le montant de la compensation des coûts indirects a presque été multiplié par douze.

DÉpenses d’intervention conCernant la compensation carbone

(crédits de paiement, en millions d’euros)

Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performances annexés aux projets de loi de finances.

Selon les chiffres communiqués par les auditionnés et notamment la DGE, environ 300 entreprises sont aujourd’hui bénéficiaires de la compensation des coûts indirects. Ainsi, en moyenne pour 2023, c’est près de 2,64 millions d’euros qui ont été attribués à chaque entreprise s’étant déclarée auprès des services de l’État.

La compensation des coûts indirects est versée selon un échéancier biannuel. La compensation inscrite en année n compense les dépenses effectives en année n-1, mais fournit également une avance au titre des coûts supportés au cours de l’année dont le montant ne peut excéder 24,45 % du montant de l’aide à verser au titre de l’année en cours.

Un complément à la compensation carbone : le « supercap ».

En complément du soutien « socle » que constitue la compensation des coûts indirects, certaines entreprises peuvent se voir attribuer un complément de compensation dit « supercap ».

Celui-ci a concerné 51 entreprises au titre de l’aide pour 2022 (en hausse sensible par rapport à 2021 où 38 entreprises étaient concernées).

Le montant de ce complément correspond à la différence entre 25 % des coûts indirects supportés par l’entreprise (soit la part des coûts indirects restant à la charge de l’entreprise) et 1,5 % de la valeur ajoutée brute de l’entreprise. Si la différence est négative, l’entreprise ne reçoit pas d’aide complémentaire.

Enfin, cette dernière ne peut pas excéder 25 % des coûts indirects supportés par l’entreprise.

Source : commission des finances, à partir des réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.

Le rapporteur spécial regrette que la maquette budgétaire ne permette pas de mesurer de manière lisible le poids du « supercap » dans la compensation des coûts indirects.

La hausse de la compensation ne peut être appréhendée qu’en tenant compte de la hausse sous-jacente du prix de la tonne de CO2. Elle a pour effet de renchérir mécaniquement le montant de la compensation carbone. Le graphique ci-dessous retrace l’évolution du prix du carbone retenu pour calculer la compensation des coûts indirects.

Prix de la tonne de CO2 fixé par arrêté du ministre

Lecture : En abscisse, l’année correspond à l’année de paiement de la compensation inscrite dans le budget général. En ordonnée, le montant est indiqué en euros. Les données correspondent au prix payé en euros par tonne de CO2.

Source : commission des finances, à partir des arrêtés fixant le prix du quota carbone utilisé dans le calcul de la compensation des coûts indirects.

L’évolution du prix du quota justifie la tendance haussière de la trajectoire budgétaire de la compensation carbone. Comme le remarque la Cour des comptes dans son rapport consacré aux mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie de mars 2024, « l’aide versée […] qui dépend directement du prix des quotas carbone, devrait […] quasiment doubler en masse financière entre 2021 et 2023, passant de 391 M€ à plus de 700 M€. L’aide qui sera octroyée en 2024 au titre de 2023 pourrait même dépasser 1 Md€, sur la base d’un prix du quota de carbone supérieur à 80 €/t » ([13]).

Le rapporteur spécial souhaite insister sur le fait que l’évolution de la compensation carbone ne caractérise en rien un « État dispendieux » ou mauvais gestionnaire des deniers publics. Le prix du quota carbone dans le coût total de la mesure est pour l’essentiel responsable de cette augmentation à travers les années. Le rapporteur spécial tient à saluer le rôle de la direction générale des entreprises dans le suivi fin et précis de cette mesure.

  1.   Une enveloppe budgétaire strictement encadrée.

Le montant de la compensation des coûts indirects ne relève pas d’un choix purement discrétionnaire des pouvoirs publics. Celui-ci est largement encadré par le droit européen.

La compensation carbone constitue, au regard des règles applicables en matière de droit de la concurrence au niveau européen, une aide d’État susceptible de créer des distorsions de concurrence au sens de l’article 107 § 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ainsi, la France est tenue de notifier à la Commission européenne un régime d’aide. Pour la période 2021 à 2030, le budget validé par la Commission pour l’octroi de la compensation carbone a été estimé à 13,5 milliards d’euros pour la France ([14]). Ce programme d’autorisation fait toutefois l’objet d’une révision à mi-parcours permettant un ajustement à la hausse ou à la baisse de l’enveloppe pluriannuelle de compensation. Actuellement, les dépenses effectivement décaissées ainsi que les dépenses prévisionnelles à horizon 2027 semblent légèrement inférieures à la trajectoire anticipée lors de la présentation du régime d’aide à la Commission.

En sus de cet encadrement général, les États membres sont tenus de réaliser un « rapportage » annuel sur les mesures financières en faveur des secteurs exposés à un risque significatif de fuite de carbone. Ce dernier, publié sur le site du ministère de l’écologie, retrace, pour chaque secteur et sous-secteur bénéficiaire de la compensation des coûts indirects, le montant total versé sur l’année.

2.   Une évolution budgétaire incertaine arrimée au renforcement des ambitions environnementales

a.   Le financement de la compensation demeure trop peu lisible

Si le rapporteur spécial considère que l’encadrement budgétaire de la compensation carbone par des règles européennes est opportun, il estime que les sources de financement sont trop peu lisibles.

Conformément à la directive européenne de 2003 et aux lignes directrices encadrant la compensation des coûts indirects susmentionnées, les États membres doivent consacrer moins de 25 % de leurs recettes tirées de la mise aux enchères des quotas pour compenser les coûts indirects du carbone. Ceux qui dépassent ce seuil de 25 % sont tenus de publier un rapport justifiant une telle utilisation des recettes.

En France, selon les dernières données disponibles correspondant au montant versé en 2022 au titre des coûts indirects engagés en 2021, 20,7 % des recettes tirées de la mise aux enchères des quotas carbone ont été consacrées à la compensation carbone ([15]).

Les recettes tirées de la mise aux enchères des quotas carbone sont fortement dynamiques compte tenu de la hausse combinée du prix du quota et du volume d’enchère. À cet égard, le montant des recettes s’est élevé à 2,1 milliards d’euros en 2023 et devrait avoisiner 1,8 milliard d’euros pour 2024.

Le graphique ci-dessous retrace les recettes des enchères de quotas d’émission reversées à la France et précise leurs ventilations.

Source : DGEC, réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

Néanmoins, hormis la limite des 25 % fixée par les règles européennes, le fléchage de ces recettes d’enchères demeure libre, ce qui peut conduire à ne pas favoriser le financement de la compensation carbone au moyen de ces recettes.

Pour le rapporteur spécial, une réflexion sur le fléchage des recettes d’enchères ne serait toutefois pas superflue.

En effet, aux termes de l’article 43 de la loi de finances pour 2013 ([16]), le législateur a prévu que 700 millions d’euros du produit de la mise aux enchères des quotas carbone soient directement affectés à l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Le surplus des recettes est reversé au budget général, ce qui ne permet pas de lier les recettes dégagées et le financement de la compensation carbone. Le rapporteur spécial estime qu’un fléchage d’une partie des recettes d’enchères vers la compensation carbone serait de nature à crédibiliser, justifier et pérenniser le financement de cette dépense.

Si l’absence d’affectation pouvait se justifier lors des premières années du dispositif, le poids pris par ce dernier justifie à tout le moins une action spécifique.

Proposition n° 3. Affecter directement une partie des recettes tirées des enchères des quotas d’émission au financement de la compensation des coûts indirects.

Inscrire comme plafond de recettes affectées à la compensation des coûts indirects 25 % des recettes des enchères afin de se conformer à la limite prévue par le droit communautaire.

b.   Une évolution budgétaire faiblement prévisible

La compensation carbone est une dépense imprévisible par nature pour les raisons précédemment exposées dans le rapport.

La volatilité du cours de la tonne de CO2 limite les ancrages d’anticipation des acteurs. Si le cours du carbone avait atteint 101,25 euros le 21 février 2023, il n’était que de 52,43 euros en février 2024 ([17]). Or, l’absence d’un signal-prix à long terme nuit à la bonne prise de décision des acteurs économiques et au réalisme des prévisions budgétaires.

Malgré une telle volatilité, les dernières prévisions ([18]) en matière de compensation des coûts indirects réalisées en 2023 pour les années 2024 à 2027 sont les suivantes :

Évolution anticipÉe de la trajectoire budgÉtaire
de la compensation carbone

(en millions d'euros)

Année d'exécution

2024

2025

2026

2027

Aide au titre de l'année n

915,9

936,7

1 067,2

1 166,9

Solde au titre de l'année n

711,7

712

811,5

889,3

Avance au titre de l'année n+1

224,7

255,7

277,6

346,9

Montant du supercap

138,9

142,1

167,1

186,2

Montant versé au cours de l'année n+1

1 075

1 100

1 256

1 422

Source : DGE, réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

Enfin, si la pérennité de la mesure n’est pas directement menacée à moyen terme, les négociations actuelles au niveau européen relatives à la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) font peser des incertitudes sur le dispositif. L’inclusion des émissions indirectes dans le spectre de ce nouveau mécanisme est un sujet de débat. Seules les émissions directes, anciennement couvertes par les quotas gratuits, sont aujourd’hui incluses dans le périmètre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)

Depuis le 1er octobre 2023, le règlement (UE) 2023/956 ([19]) a introduit le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne. Le MACF vise à soumettre les produits importés dans le territoire douanier de l’Union européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits. L’objectif premier de ce dispositif est de lutter contre les fuites de carbone, dans un contexte de renforcement de l’ambition climatique au niveau européen.

Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Le rapporteur spécial appelle à être particulièrement attentif et vigilant aux négociations européennes sur le sujet. Une inclusion des émissions indirectes dans le périmètre du MACF ferait peser des incertitudes fortes sur les acteurs économiques et menacerait le maintien du dispositif de compensation carbone.

C.   Un dispositif au service de l’environnement et au soutien de la compÉtitivitÉ des entreprises concernÉes

La compensation carbone soutien à la fois la compétitivité-prix des entreprises (1) et la décarbonation des processus de production (2).

1.   Le soutien public internalisant le coût de la réglementation carbone favorise la compétitivité-prix des entreprises

Les dernières études économiques et économétriques disponibles révèlent, de façon dénuée d’ambiguïté, l’effet positif du soutien public sur le développement économique des activités sujettes au système d’échanges de quotas d’émission ayant bénéficié d’un soutien public ciblé, qu’il s’agisse de l’attribution de quotas gratuits ou de mesures nationales telles que la compensation des coûts indirects.

Tout d’abord, le soutien public à destination des entreprises confrontées à une hausse des prix de l’électricité en raison des coûts du carbone a eu un effet positif sur la productivité des entreprises. À rebours de l’idée longtemps admise, les entreprises, à tout le moins durant les premières phases du SEQE-UE, n’ont pas pâti de cette réglementation ou de façon marginale.

La hausse de la productivité mesurée tient peut-être d’abord d’un effet de sortie des entreprises les moins productives, ce qui rehausse globalement le niveau de productivité des entreprises d’un secteur donné ([20]).

Cette hausse de la productivité résulte en outre de la capacité des entreprises de grande taille à s’adapter à la réglementation environnementale. La direction générale du Trésor relève ainsi que ces dernières ont été en mesure de réallouer une partie de leur production vers les installations couvertes par le SEQE-UE les plus efficaces. Ces dernières auraient également une plus grande facilité à amortir les coûts fixes tels que ceux relatifs à la compréhension du marché ou aux démarches administratives ([21]). Ce faisant, pour le secteur manufacturier par exemple, les résultats empiriques montrent que, si la réglementation a effectivement augmenté le coût de l’énergie consommée, le SEQE-UE n’a pas désavantagé les entreprises réglementées : en moyenne, leurs ventes annuelles ont augmenté de 5 à 10 % ([22]).

Ensuite, le soutien public a eu pour effet d’accroître le niveau d’innovation des entreprises d’un secteur considéré. Les études économiques démontrent que le SEQE-UE agit comme un vecteur de « progrès technique dirigé » incitant à investir dans des facteurs de production décarbonés.

Loin d’être marginales, selon une étude économique de 2016 ([23]), les entreprises « réglementées » - soit ayant au moins une usine couverte par le SEQE-UE – produisent en moyenne 36 % de brevets supplémentaires que les entreprises non réglementées. La productivité globale des facteurs – permettant de mesurer le niveau d’innovation d’un secteur – s’en retrouve donc de facto augmentée. Or, ce troisième facteur de production implicite a un poids tout à fait notable dans la productivité globale d’un secteur. Dès lors, bénéficier d’un niveau de brevet plus élevé peut être indirectement un révélateur de la qualité du soutien public.

Par ailleurs, sans que cela ne soit directement mesuré par la littérature économique, les secteurs soumis au SEQE-UE bénéficient d’un effet d’aubaine qui tient à l’acculturation au marché carbone. Les « coûts de menu » et le coût de la gestion administrative de la réglementation environnementale en matière de carbone sont d’ores et déjà intégrés par les secteurs économiques réglementés. Alors que les réglementations environnementales ont une propension forte à s’étendre dans le temps et dans l’espace (de plus en plus de pays établissent des dispositifs carbone), les entreprises européennes bénéficient d’un coup d’avance sur les entreprises concurrentes.

Néanmoins, les effets économiques négatifs sur les secteurs réglementés existent. En effet, les pays hors Union européenne n’établissant pas de réglementation carbone subventionnent de facto leurs entreprises en offrant un avantage de compétitivité-prix sur le marché. Le risque de fuite de carbone, critère retenu par la Commission européenne pour définir les secteurs bénéficiaires de la compensation des coûts indirects, n’est pas un simple fantasme des industriels électro-intensifs.

L’effort de décarbonation des pays établissant une politique environnementale ambitieuse est en partie neutralisé par les fuites dites « directes », c’est-à-dire relevant du canal de la compétitivité.

Les fuites sont également « indirectes », relevant, elles, du canal du marché de l’énergie, c’est-à-dire d’une plus faible demande sur le marché des énergies faisant baisser le prix de ce dernier pour les concurrents économiques ([24]).

Au total, le rapporteur spécial salue le caractère vertueux du marché carbone dont les avantages semblent outrepasser la contrainte économique qu’il crée pour les entreprises européennes. Il demeure toutefois conscient de l’existence d’effets de bord.

2.   Loin d’être une incitation à polluer, la compensation carbone favorise les comportements vertueux

Si le soutien public a permis d’amoindrir les effets économiques de la réglementation en matière d’émissions polluantes, il n’a pas eu pour effet d’annihiler les ambitions environnementales.

L’attribution de la compensation des coûts indirects est soumise à des règles proches de l’éco-conditionnalité. Afin de bénéficier de la compensation carbone, les entreprises doivent produire un plan de performance énergétique (PPE) qui fait état des investissements en matière d’efficacité énergétique que l’entreprise s’engage à réaliser. Ce plan de performance énergétique doit comporter les investissements identifiés lors des audits ou des revues énergétiques transmis par les entreprises à l’Agence de services et de paiement (ASP).

Le rapporteur spécial tient à insister sur le fait que la compensation carbone n’est pas une « incitation à polluer », mais plutôt une « incitation à décarboner », afin de réduire in fine la facture globale d’électricité effectivement payée par l’entreprise.

Plusieurs études ont ainsi souligné qu’en sus d’une augmentation de la productivité des secteurs soumis à la réglementation, ces derniers ont parallèlement fortement réduit leurs émissions polluantes. Depuis la mise en œuvre du SEQE-UE, les émissions des usines manufacturières réglementées « ont diminué de 6 à 21 % en moyenne selon les années » ([25]).

Les émissions de CO2 pour la production à destination du marché intérieur de l’Union ont été diminuées de 1 à 6,1 millions de tonnes par an. En l’absence d’une telle réglementation, c’est jusqu’à 17 % des émissions nationales observées qui n’auraient pas été évitées.

*

En parallèle de la compensation carbone, le rapporteur spécial s’est intéressé à la politique d’attribution des quotas gratuits. Cette dernière a longtemps été la mesure phare de l’Union européenne pour soutenir les secteurs exposés à un surcoût de leur consommation intermédiaire en raison de la réglementation carbone.

S’ils ne sont pas directement reliés à la compensation des coûts indirects, les quotas gratuits sont le verso du soutien de l’Union pour les émissions directes de CO2 des entreprises électro-intensives.

Dans un souci de cohérence et afin d’appréhender dans son ensemble le soutien à ces secteurs énergivores, le rapporteur spécial s’est penché sur le fonctionnement du SEQE-UE et sur la politique d’attribution des quotas.

II.   Le systÈme d’Échanges de quotas d’Émission : DÉcarboner l’industrie sans Amoindrir la compÉtitivitÉ

Le système d’échanges de quotas d’émission, bien qu’imparfait (B), a permis d’octroyer un prix à la pollution, constituant une grande avancée écologique (A). La politique d’attribution de quotas à titre gratuit – visant à accompagner les entreprises dans leurs transitions – a montré néanmoins ses faiblesses (C).

A.   Donner un prix au carbone

Afin de respecter les engagements internationaux pris en faveur de la réduction des émissions de gaz à effets de serre (1) le législateur européen a introduit un mécanisme de plafonnement et d’échanges de droits à polluer (2).

1.   Concrétiser les engagements climatiques : instaurer un mécanisme pollueur-payeur

Afin de répondre aux engagements de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique de 1992 (CNUCC) et au Protocole de Kyoto de 1997 ([26]), l’Union européenne a décidé d’introduire, dès 2003, un mécanisme correcteur favorisant la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). D’abord limité, l’objectif était de réduire les émissions d’au moins 5 % à horizon 2012 en prenant pour niveau de référence les émissions enregistrées en 1990. La conférence de Marrakech de 2001 (COP7) fixa les règles opérationnelles pour les marchés internationaux d’échanges d’émissions entre les parties au protocole.

Aux termes de l’article 17 du Protocole de Kyoto, les États signataires peuvent « participer à des échanges de droits d’émission aux fins de remplir leurs engagements ». Ce procédé innovant constitue l’un des trois mécanismes de flexibilité prévu par le Protocole. Le mécanisme des permis négociables, sur lequel se fonde la Communauté européenne à l’époque, est l’outil phare du texte.

Par une directive du Parlement européen et du Conseil de 2003 ([27]), la Communauté européenne a décidé l’instauration d’un mécanisme d’échanges de quotas d’émission. Ce dernier, entré en vigueur depuis 2005, concourt à deux objectifs. D’une part, il cherche à orienter les décisions des entreprises soumises à déclaration de leurs émissions par l’instauration d’un signal-prix sur le carbone. D’autre part, il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le principe du pollueur-payeur, dont la paternité revient à Arthur Pigou ([28]), consiste à mettre en place une taxation correctrice des externalités négatives afin d’internaliser les coûts sociaux liés aux activités économiques. Dans le cas d’un marché des droits à polluer, un tel mécanisme consiste à donner un prix aux émissions afin de renchérir le coût de production pour l’émetteur. L’objectif n’est pas tant de renforcer la contrainte économique sur l’activité de l’entreprise que d’encourager celle-ci à modifier ses facteurs de production afin de favoriser des facteurs moins émissifs.

2.   La mise en œuvre lente mais nécessaire du marché européen du carbone

La mise en œuvre du système européen d’échanges de quotas d’émission ne répondait pas d’une logique d’« écologie punitive » mais davantage d’une « écologie des solutions » ([29]). Elle n’était pourtant pas naturelle à l’activité des entreprises, mais relevait d’un choix du législateur européen ([30]).

Afin d’assurer son acceptabilité, et donc son efficacité à moyen et long termes, il était nécessaire d’introduire progressivement le mécanisme. Cette mise en œuvre lissée dans le temps a permis d’acculturer les acteurs aux effets du carbone, c’est-à-dire, à prendre conscience de la nature polluante de leurs activités et du coût social afférent.

Dès lors, la stratégie européenne a consisté à établir plusieurs phases de mise en œuvre du système d’échanges de quotas d’émission. Chaque étape a été l’occasion de rehausser les impératifs environnementaux. Les différents moments du SEQE-UE peuvent être décomposés comme suit :

Les trajectoires fixées au début de la phase IV ont d’ores et déjà été revues afin de les rendre conformes à l’objectif climatique de l’Union européenne à l’horizon 2030, à savoir une réduction de 62 % des émissions par rapport au niveau de 2005. Le facteur linéaire de réduction du plafond d’émission a été porté à 4,3 % pour la période 2024-2027 et à 4,4 % à partir de 2028 ([31]). Le rapporteur spécial salue l’ambition de cette nouvelle trajectoire qui lui paraît nécessaire à l’atteinte de nos engagements environnementaux.

Aujourd’hui, le SEQE-UE dans sa dernière phase touche plus de 11 000 sites de production représentant 45 % des émissions de gaz à effet de serre européennes.

B.   Un correctif imparfait

Le système d’échanges de quotas d’émission repose sur un principe de plafonnement « cap » (1) rapidement caractérisé par un surplus d’offre de quotas (2) dont le passif a dû être apuré afin de conserver la crédibilité du dispositif (3).

1.   Plafonner les émissions de CO2.

Le SEQE-UE est un programme de « plafonnement et d’échange » (cap and trade) qui répond à une logique d’offre et demande en situation d’offre contrainte. Chaque année, la Commission définit un plafond maximal de quotas disponibles. Les quotas d’émission sont ensuite obtenus de différentes manières : allocations à titre gratuit, mise aux enchères et ventes ou échanges entre exploitants.

La définition d’un plafond annuel de quotas d’émission au niveau européen a permis, dès le départ, de délimiter le niveau d’émission possible. Ce plafond est défini par la Commission européenne qui publie chaque année avant le 1er juin le nombre total de quotas en circulation (total number of allowances in circulation ou TNAC) au 31 décembre de l’année N-1. Ce nombre correspond à la différence entre l’offre (le nombre de quotas mis sur le marché, allocations gratuites et enchères) et la demande (émissions historiques cumulées ayant nécessité la restitution de quotas).

Le graphique présenté ci-dessous reflète la politique européenne en matière de quotas d’émission depuis l’introduction du SEQE-UE en 2005 :

Plafonds de quotas dÉfiniS par la commission europÉenne

Lecture : les barres indiquent les plafonds, les barres de couleur plus claire entre 2014 et 2016 montrent les quotas gelés des enchères, les barres de couleur plus claire depuis 2019 matérialisent les ajouts à la réserve de stabilité du marché en quotas, la ligne discontinue figure les émissions vérifiées.

Source : Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen du carbone en 2022.

Néanmoins, ce graphique n’établit pas, au sein du plafond de quotas arrêté par la Commission européenne, la méthodologie d’attribution de ceux-ci. Or, comme le remarque la Cour des comptes européenne dans son rapport spécial de juillet 2020 ([32]) consacré à l’allocation de quotas à titre gratuit, la quasi-totalité des quotas ont été attribués à titre gratuit jusqu’en 2012.

Lors des phases I et II du SEQE-UE, l’allocation de quotas à titre gratuit reposait sur des niveaux historiques d’émission. Cela a favorisé une inadéquation entre la trajectoire effective des émissions de gaz à effet de serre et le stock de quotas d’émission mis sur le marché.

À partir de la phase III, l’allocation des quotas à titre gratuit était fonction de référentiels de produits qui fondaient l’allocation sur la performance des exploitants les plus efficaces d’un secteur donné.

Mais ce constat général cache des spécificités qui dépendent des secteurs concernés. Pour les secteurs intéressant le rapporteur spécial, soit ceux considérés comme exposés à un risque de fuite de carbone, l’attribution de quotas à titre gratuit à hauteur de 100 % de leurs référentiels de produits demeure la règle en vigueur. Sans être une anomalie compte tenu de la faible capacité des entreprises de ces secteurs à répercuter les coûts directs du SEQE-UE sur leurs prix, le maintien de ce « coup de pouce » européen favorise une dépendance au sentier de cette aide, vouée à s’amoindrir à mesure que le mécanisme d’ajustement aux frontières entrera en vigueur.

2.   Une offre excédentaire de quotas décorrélée des émissions effectives

Consciente du caractère déstabilisant d’un surplus d’offre de quotas d’émission sur le marché des échanges, la Commission européenne a entendu réduire le plafond annuel d’émission à partir de la fin de la phase III.

ExcÉdents de quotas dans le SEQE-UE (2013-2022)

Source : Commission européenne.

Néanmoins, elle a été confrontée à une difficulté notable qui tient au manque de pilotage de la masse de quotas en circulation. À la différence de la Banque centrale européenne, qui dispose d’un mandat et des outils idoines permettant d’agir sur la masse monétaire en circulation, l’Union européenne ne dispose pas d’un dispositif comparable permettant d’agir sur l’offre et la demande de quotas.

En 2013, en partie en raison de la crise économique ayant entraîné un ralentissement de l’activité économique et donc des émissions, l’excédent de quotas d’émission a atteint environ 2,1 milliards de quotas en circulation. Un tel surplus a favorisé un désajustement naturel de la courbe de l’offre et de la demande en faveur d’une moindre demande, ce qui a réduit mécaniquement le prix du carbone.

À cette aune, certaines entreprises ont donc certainement pu constituer des réserves de quotas échangeables à moindre coût. Le prix bas du carbone a également pu rompre l’incitation à investir dans les technologies à faible teneur en carbone et nuire à l’efficacité générale du système.

3.   Apurer le stock de quotas d’émission : un enjeu de crédibilité

Afin de dépasser cette situation de surplus d’offre, il a été décidé d’instaurer un mécanisme correctif. En 2015, le législateur européen, sur proposition de la Commission, a voté en faveur de l’instauration d’une réserve de stabilité de marché  (RSM ou market stability reserve – MSR en anglais) ([33]). Créée en 2018, celle-ci est entrée en vigueur au 1er janvier 2019. Son objectif principal était, d’une part, de diminuer le stock de quotas d’émission historiquement émis afin de garantir l’intégrité environnementale du système d’échanges de quotas d’émission et d’assurer que ce dernier continue à jouer son rôle d’incitation à décarboner. D’autre part, l’objectif de cette réserve de stabilité était de renforcer la résilience future du système d’échanges face aux chocs exogènes en ajustant le nombre de quotas mis à disposition sur le marché.

La réserve de stabilité de marché a progressivement évolué. Au départ, elle avait seulement été conçue comme un moyen de stockage des quotas d’émission surnuméraires. Ainsi, par exemple, des « quotas gelés » correspondant à 900 millions de quotas dont la mise aux enchères a été reportée de la période 2014-2016 jusqu’en 2020 ont été placés dans la réserve de marché.

Depuis 2023, la réserve de stabilité de marché permet également d’invalider des quotas d’émission. Au 31 décembre 2022, la RSM contenait plus de 3 milliards de quotas : conformément aux dispositions du paragraphe 5 bis de l’article 1er de la décision instituant la réserve de stabilité de marché, 2,5 milliards de quotas d’émission ont été invalidés au 1er janvier 2023 afin de conserver uniquement la part destinée aux enchères.

Si le rapporteur spécial comprend la nécessité de parvenir à un accord simple et lisible permettant d’apurer le passif de SEQE-UE, il souhaite mettre en garde contre deux phénomènes qui lui paraissent dangereux :

        L’absence de visibilité à moyen et long termes du prix du carbone que favorise ce mécanisme de réserve semble néfaste aux entreprises en réduisant leurs possibilités d’ancrages d’anticipation.

        Économiquement, une telle solution semble imparfaite dans la mesure où supprimer un quota revient in fine à supprimer une valeur marchande. Le quota d’émission étant un droit échangeable adossé à une valeur monétaire, la suppression pure et simple de quotas revient à détruire de la monnaie échangeable. Or, cela ne favorise pas la confiance des acteurs envers la valeur du carbone dont le cours peut fluctuer fortement en cas de décision de suppression d’une partie du stock de quotas.

C.   Soutenir les entreprises par les quotas gratuits : une dangereuse dépendance

L’attribution de quotas à titre gratuit visait initialement à soutenir les entreprises exposées à une forte intensité concurrentielle (1), mais la trop grande latitude du dispositif a favorisé des situations d’enrichissement sans cause (2). La Commission européenne a entendu, à l’avenir, strictement délimiter cette politique de quotas gratuits (3).

1.   Une politique d’attribution des quotas gratuits justifiée par l’intensité de la concurrence internationale

L’attribution de quotas à titre gratuit peut sembler, à première vue, contre-productive. Cette compensation des émissions directes des entreprises polluantes (relevant du scope 1 du SEQE-UE) a pu apparaître comme une « incitation à polluer ».

Aux termes des articles 10 et 11 de la directive de 2003 établissant le SEQE-UE, il revient aux États membres d’attribuer les quotas d’émission.

En modifiant cette directive-cadre, le législateur européen a apporté d’importantes précisions quant à l’attribution des quotas gratuits en fonction des secteurs concernés. Ainsi, aux termes de l’article 10 ter de la directive modifiée ([34]), les secteurs et sous-secteurs exposés à un risque de fuite de carbone « se voient allouer des quotas à titre gratuit pour la période allant jusqu’en 2030, à concurrence de 100 % de la quantité déterminée ».

Le rapporteur spécial estime cette approche de compensation totale des coûts pertinente en l’absence de dispositif environnemental similaire à l’extérieur de l’Union européenne. Le rapporteur spécial estime surtout légitime ce dispositif dans la situation spécifique des secteurs exposés à des risques de fuite de carbone et pour lesquels les capacités de répercussion des coûts sur les chaînes de valeur sont faibles voire inexistantes.

Part des quotas gratuits

Source : Rapport de la Cour des comptes européenne, op. cit., juillet 2020.

Deux hypothèses sont généralement formulées à l’égard de la politique d’attribution de quotas gratuits. Soit l’attribution de quotas gratuits vise à soutenir économiquement la compétitivité-prix des entreprises européennes via mutatis mutandis un système de subvention, soit elle permet d’accompagner les entreprises dans leur processus de décarbonation. Les deux objectifs sont souvent difficilement conciliables compte tenu de la nature des marchés concernés.

Il est généralement admis que la politique d’attribution de quotas gratuits a essentiellement eu pour effet de maintenir la compétitivité-prix des entreprises concernées. La décision d’attribuer des quotas à titre gratuit a donc d’abord été conçue comme un soutien, temporaire, à l’adaptation des chaînes de production.

En revanche, s’agissant de l’incitation environnementale, soit la seconde hypothèse, l’effet de l’attribution de quotas gratuits fait débat. À cet égard, le rapporteur spécial fait sienne les conclusions du rapport d’information de l’Assemblée nationale consacré à « l’évolution du marché des crédits carbone au niveau européen » ([35]) : le rapporteur spécial soulignait l’allocation – trop – généreuse de quotas gratuits ayant conduit à affaiblir l’ambition environnementale du SEQE-UE. Il lui semble toutefois que le fléchissement observé ces cinq dernières années dans l’attribution de quotas gratuits répond à ce dysfonctionnement.

2.   Une politique insuffisamment ciblée facteur d’enrichissement sans cause

Depuis l’apparition des quotas gratuits en 2005, plusieurs critiques ont été émises à l’encontre de ce dispositif jugé insuffisamment ciblé.

D’abord, le niveau de quotas attribué à titre gratuit a longtemps été dépendant du niveau historique d’émissions des secteurs soumis au système d’échanges. Ce faisant, la politique d’attribution des quotas ne tenait pas compte de l’évolution des pratiques de production : utilisation de procédés moins polluants, réduction du niveau réel de consommation d’énergie et délocalisation d’activités polluantes. En l’absence d’adéquation entre le niveau réel d’émissions et le montant de quotas alloués à titre gratuit, les entreprises ont pu, pour certaines d’entre elles, tirer profit de cette situation.

Les quotas alloués à titre gratuit ne sont pas restitués en fin d’année, ce qui permet au secteur et à l’entreprise d’accumuler dans son bilan un passif de quotas d’émission utilisables pour les années à venir. Cette maîtrise de trésorerie des quotas d’émission a pu permettre à certaines entreprises de revendre leur excédent lorsque le cours du quota était au plus haut, tout en continuant à profiter des quotas gratuits pour l’année en cours ([36]).

La Cour des comptes européenne estime en effet que la politique d’attribution de quotas à titre gratuit a été trop généreuse et qu’elle a conduit à des « bénéfices exceptionnels » pour certains secteurs ([37]).

Néanmoins, depuis la phase III mais surtout la phase IV du SEQE-UE, l’attribution de quotas gratuits repose sur des référentiels de performance. Ces référentiels reflètent l’intensité moyenne des émissions par unité de produit des 10 % des installations les plus efficaces par secteur. La Commission européenne met à jour tous les cinq ans ces référentiels afin que ceux-ci demeurent incitatifs à la réduction des émissions de CO2.

La Commission tient désormais compte dans l’octroi des quotas gratuits de l’évolution de la nature de la production industrielle ([38]).

L’introduction de ces deux mécanismes régulateurs a permis de modifier sensiblement la politique d’attribution de quotas gratuits afin de limiter les effets de bord précédemment constatés.

3.   À l’avenir, une politique d’attribution entièrement rénovée

Dans le cadre du Pacte Vert pour l’Union européenne promu par la Commission européenne depuis 2019, les objectifs environnementaux sont constamment renforcés. Désormais, à horizon 2030, l’objectif est à la réduction d’au moins 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. La neutralité climatique est également affichée comme un objectif principal à horizon 2050.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures dont la vocation est d’infléchir la courbe des émissions polluantes. Parmi celles-ci, une directive concerne directement les installations soumises au SEQE-UE ([39]) et prévoit une diminution progressive des quotas alloués à titre gratuit.

Dans les secteurs non couverts par le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ([40]), le mode de calcul des référentiels qui servent de support à l’allocation de quotas gratuits est modifié. Ainsi, le taux de réduction des émissions en fonction du niveau de progrès technologique par sous-secteur variera entre 1,6 % et 2,5 % dès 2026.

S’agissant des secteurs couverts par le MACF, c’est-à-dire, pour l’essentiel, ceux concernés par le présent rapport spécial, ils verront le niveau de quotas gratuits réduit progressivement à partir de 2026 jusqu’à son extinction prévue en 2034 conformément au récent règlement délégué adopté par la Commission ([41]) .

Baisse programmée des quotas gratuits
pour les secteurs couverts par le MACF

Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, https://www.ecologie.gouv.fr/marches-du-carbone .

Les représentants des industriels auditionnés par le rapporteur spécial ont unanimement fait valoir leur inquiétude quant à la disparition des quotas gratuits dans un contexte où le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne parvient pas à convaincre. Certains, parmi eux, ont exprimé le souhait que la trajectoire de réduction des quotas gratuits fasse l’objet d’une révision. Ils soutiennent que les quotas gratuits pourraient être maintenus pour les industriels ayant démontré des efforts dans la transition énergétique et qui ne sont pas en mesure de supporter le coût du quota carbone sur le prix du produit fini vendu sur le marché.

Le rapporteur spécial estime néanmoins que l’introduction d’une telle nuance dans l’appréciation des situations des sites industriels serait sujette à des biais et ferait perdre en lisibilité alors que le dispositif est déjà complexe. Cela induirait d’ailleurs un risque de rupture d’égalité intra-secteurs qu’il ne semble pas opportun d’envisager.

Malgré cela, le rapporteur spécial émet des réserves sur la capacité du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières à soutenir de manière équivalente les secteurs actuellement bénéficiaires des quotas gratuits. Il appelle à ce qu’une réflexion de fond soit menée sur ce sujet et que les acteurs économiques soient directement associés dans le processus de mise en œuvre de cette taxe.

Proposition n° 4. Réaliser une étude économique sur les effets de la fin des quotas d’émission à titre gratuit, analysant en particulier les fuites de carbone et les conséquences sur la réindustrialisation.

La réalisation de l’étude pourrait être confiée à la direction générale du Trésor ou au Conseil d’analyse économique.

III.   La compensation carbone : un avenir incertain

Dans cette dernière partie, le rapporteur spécial a voulu esquisser l’avenir possible de la compensation des coûts indirects résultant des quotas d’émission et s’intéresser aux dispositifs qui pourraient la remplacer.

À l’occasion des auditions qu’il a pu mener, plusieurs thématiques ont été évoquées avec récurrence. L’introduction du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières en lieu et place de l’attribution des quotas gratuits suscite une inquiétude soulignée tant par les acteurs institutionnels que par les représentants des professionnels (A). En revanche, les mécanismes permettant de rendre plus prévisibles les prix du carbone, comme les contrats à long terme, ont suscité un intérêt positif (B).

A.   Un maintien incertain de la compensation carbone avec l’introduction du MÉcanisme d’ajustement carbone aux frontiÈres

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières poursuit le double objectif de taxer les importations sur des critères d’émission de CO2 et de protéger les entreprises européennes aujourd’hui soumises au SEQE-UE (1).

Toutefois, ce mécanisme novateur est facteur de craintes pour les industriels qui anticipent des pratiques de contournement du dispositif (2) et la disparition à terme de la compensation des coûts indirects (3).

1.   Protéger le marché européen : taxer les importations de gaz à effet de serre

a.   Un dispositif théoriquement efficace

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est présenté, depuis 2021, comme le fer de lance de la politique européenne en matière de lutte contre les émissions de CO2 importées et donc in fine contre le réchauffement climatique global.

Ce dispositif novateur qui vise, dans son principe, à assigner un prix équivalent à une tonne de CO2 aux marchandises produites hors de l’Union européenne est entré en vigueur au 1er octobre 2023 ([42]). Il devrait être de pleine application à partir de 2026, mais ne concernera jusqu’à cette date que certains secteurs considérés comme exposés à un fort risque de fuite de carbone : le fer, l’acier, le ciment, l’engrais, l’aluminium, l’hydrogène ou encore l’électricité. Parmi ces secteurs, il convient de rappeler que le ciment et l’engrais ne sont pas éligibles à la compensation des coûts indirects.

L’importation d’émissions de gaz à effet de serre est consubstantielle au commerce international et à l’ouverture des économies ; il serait vain de penser pouvoir l’endiguer aisément. Les études économiques relèvent toutefois que, quel que soit le scénario de départ, la mise en œuvre d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières « réduit significativement les fuites de carbone » avec des effets neutres sur le PIB européen et la consommation totale ([43]).

Sur le plan théorique, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières devrait offrir aux entités industrielles les plus « propres » un avantage compétitif sur le marché européen. L’existence depuis près de vingt ans d’un marché du carbone européen a offert aux industriels communautaires un coup d’avance dans le processus de décarbonation de l’industrie.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières devrait contribuer à accélérer significativement le verdissement de l’industrie européenne – ce dont se réjouit le rapporteur spécial. Il estime que cela va dans le bon sens et constitue un continuum avec les mesures précédentes : instauration d’un système d’échanges de quotas d’émission, renforcement des objectifs environnementaux et soutien public à la transformation verte des industries.

b.   Un dispositif en réalité complexe et au risque de contournement fort

  1.   Un dispositif complexe

La compatibilité juridique du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières avec les réglementations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’est pas évidente. Cette dernière interdit le traitement différencié entre des produits similaires provenant de régions différentes et entre la production européenne et la production importée.

Le rapporteur spécial estime toutefois que ce mécanisme peut être compatible au regard de la jurisprudence constante de l’organe de règlement des différends de l’OMC, dite jurisprudence « tortues et crevettes » ([44]), faisant une application positive des dérogations environnementales prévues à l’article XX du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) de 1947.

Même si le dispositif pourrait être jugé juridiquement compatible avec les règles de l’OMC, rien ne permet toutefois de garantir qu’aucune « représailles commerciale » n’aura lieu.

Par ailleurs, le suivi effectif et le contrôle des déclarations d’émission des productions extra-européennes ne semblent pas aisés. La charge administrative incombera en partie aux producteurs exportateurs qui devront mettre en place des dispositifs permettant de mesurer leurs niveaux d’émission.

Pour le rapporteur spécial, le dispositif tel qu’il est actuellement présenté est trop complexe pour être efficace. Les limites du mécanisme apparaissent déjà nombreuses.

Selon l’UNIDEN auditionnée dans le cadre de ce rapport, un importateur extra-européen pourra, grâce à un mécanisme de garanties d’origine d’énergies renouvelables mis en place dans son pays d’origine, attester que les produits exportés ont une empreinte carbone faible alors que le mix énergétique du pays concerné est fortement carboné. Or, cela va à l’encontre même du MACF dont l’objectif est d’inciter à la décarbonation les industries extra-européennes.

Le suivi et le contrôle des déclarations administratives semblent difficiles à mettre en œuvre. Les déclarations administratives étant réalisées dans les pays exportateurs, il va falloir contrôler sur place la réalité des émissions déclarées au regard des émissions effectives. Les besoins humains à mobiliser en conséquence semblent particulièrement forts. Ces besoins vont par ailleurs être d’autant plus importants que les secteurs soumis au MACF ont vocation à être de plus en plus nombreux.

Enfin, le MACF tel qu’actuellement établi ne prévoit de taxer que les matières premières, soit l’amont de la chaîne de valeur d’un bien final. À cet égard, le carbone contenu dans la plupart des produits semi-finis ou finis importés de pays hors de l’Union européenne ne se verrait pas taxer ([45]).

La seule inclusion des matières brutes dans le MACF inquiète le rapporteur spécial qui anticipe une baisse des importations de ces matières brutes, potentiellement préjudiciable aux industriels européens.

  1.   Un risque de contournement important

Les représentants des industriels auditionnés ainsi que la direction générale des entreprises et la direction générale de l’énergie et du climat ont exprimé des appréhensions quant au possible contournement du dispositif. Le rapporteur spécial souhaite mettre l’accent sur les risques suivants :

        l’évitement par le truchement de matières soumises au MACF au sein de produits ayant des codes douaniers non couverts, ce qui représente environ 80 % des chaînes de valeur aval de l’acier et de l’aluminium. Ce faisant, les produits finis ou semi-finis produits hors d’Europe présenteront un prix inférieur aux biens domestiques ;

        la « réallocation des ressources » (plus connue sous l’expression anglo-saxonne de « resource shuffling ») reviendrait in fine pour les groupes hors Union européenne à n’engager que de manière artificielle les transformations nécessaires à la décarbonation. Cette pratique consiste à réallouer la part de sa production carbonée vers des marchés n’imposant pas de réglementation environnementale, tandis que le marché réglementé ne reçoit que des produits à faible émission de carbone. Cette hypothèse neutralise les effets d’entraînement du MACF ;

        la formation des prix des métaux continuera à s’établir sur des cours de valeur internationaux sans incorporer le prix du carbone européen. La décarbonation des procédés industriels en Europe n’aura pas d’impact sur le prix du métal européen, ce qui n’encouragera pas les acteurs du secteur à verdir leurs productions.

Les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur le fonctionnement réel de ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sont sources d’inquiétudes pour les acteurs du secteur.

Dans un tel contexte le rapporteur spécial espère des précisions et des réponses concrètes aux craintes des secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Proposition n° 5. Afin de limiter les effets de contournement, étendre le périmètre du MACF à des produits finis et semi-finis.

Si, en l’état actuel, le MACF a le mérite de cibler des produits dont le contenu carbone est facilement mesurable, la justification économique et environnementale est faible.

L’extension du périmètre du MACF est soutenue et souhaitée par le commissaire européen chargé de l’action pour le climat, M. Wopke Hoekstra. Dans un discours du 21 mai 2024 prononcé devant l’Université de Maastricht, après avoir vanté les mérites du marché carbone européen, il a fait entendre que le MACF devait « s’appliquer à des produits plus essentiels pour l’Europe » ([46]).

2.   Vers un affaiblissement du tissu industriel européen

Il convient de rappeler que la mise en œuvre de ce mécanisme entraîne à terme la fin programmée des quotas gratuits. Ces derniers sont pourtant aujourd’hui un outil incontournable du soutien de la politique industrielle européenne à destination des secteurs exposés à un fort risque de fuite de carbone. En 2034, l’extinction totale programmée des quotas d’émission va exposer les secteurs concernés à une concurrence directe des produits chinois, indiens et américains largement subventionnés.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières peut également entraîner un effet déstabilisateur de la demande extérieure. Tel que présenté, le MACF ne se concentre que sur les effets à l’importation dans l’Union européenne, mais ne prévoit rien sur les effets de perte de compétitivité-prix à l’exportation pour les industriels européens. L’étude d’impact réalisée par la Commission européenne lors de la présentation du mécanisme évalue à 6,8 % la diminution en valeur des exportations de l’Europe vers les pays tiers en 2030 ([47]) .

Le risque existe en effet d’un report des fuites de carbone vers l’aval des chaînes de valeur en raison d’un renchérissement du coût des consommations intermédiaires, qui, par effets de cascade, renchérira le coût de production des biens finaux européens. Les producteurs européens verraient ainsi leur compétitivité-prix largement affectée en comparaison des pays tiers.

L’industrie européenne peut également être affaiblie de manière indirecte par le soutien public des pays tiers à destination de leur production industrielle domestique.

L’Inflation Reduction Act (IRA) est topique d’un tel risque. Constituée d’une enveloppe de 370 milliards de dollars à destination de la décarbonation, cette mesure entraîne des effets de bord sur les autres États n’adoptant pas des soutiens comparables. Si, en l’espèce, cette mesure ne présente pas de risques majeurs pour l’industrie européenne compte tenu des programmes similaires initiés par l’Union européenne tels que le plan industriel du Pacte vert ([48]), rien ne permet d’affirmer qu’à l’avenir des programmes communautaires permettront toujours de pallier les programmes étrangers massifs ([49]). La Chine se caractérise également par un fort soutien vertical à destination de sa production industrielle ([50]), ce qui pourrait affecter la production européenne.

Au total, le rapporteur spécial souhaite insister sur le caractère pluriel des risques que sous-tend le MACF pour l’industrie européenne, que ces derniers résultent directement de la réglementation ou indirectement du comportement de nos partenaires commerciaux.

Les effets d’éviction sur l’industrie européenne susceptibles de se produire sont sérieux et doivent être appréhendés par les pouvoirs publics.

3.   Que restera-t-il de la compensation des coûts indirects ?

Si le périmètre actuel du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières exclut les émissions indirectes, l’inclusion de celles-ci dans le périmètre du dispositif pourrait conduire à l’extinction de la compensation des coûts indirects.

Aujourd’hui, la direction générale de l’énergie et du climat et la direction générale des entreprises n’ont pas de vision sur l’évolution potentielle du périmètre du MACF.

La possibilité d’étendre le périmètre du MACF aux émissions indirectes de l’ensemble des secteurs doit être évaluée par la Commission européenne à horizon 2026. Pour les auditionnés, compte tenu des effets de la suppression de la compensation des coûts indirects sur les secteurs qui en bénéficient, l’évaluation de l’extension du périmètre doit se faire à la lumière de son impact sur la décarbonation et la compétitivité des secteurs électro-intensifs exposés au commerce international.

L’extension du périmètre du MACF ne signifie pas pour autant la disparition de la compensation des coûts indirects. Le dispositif de compensation serait naturellement revu afin de prévenir un risque de « double protection » des secteurs concernés par les fuites de carbone. La révision de cette compensation serait également nécessaire pour se conformer aux règles de l’Organisation mondiale du commerce.

Le rapporteur spécial estime toutefois nécessaire le maintien de la compensation des coûts indirects, en l’état actuel du fonctionnement annoncé du MACF et des craintes exprimées par les secteurs industriels concernés.

Proposition n° 6. Maintenir au niveau européen un dispositif de compensation carbone ou prévoir un dispositif aux effets équivalents.

Plutôt que de cibler les émissions indirectes, le nouveau dispositif pourrait se concentrer sur la formation des prix sur le marché de gros de l’électricité afin d’atténuer le coût pour les gros consommateurs exposés au risque de fuite de carbone.

B.   Soutenir diffÉremment : prÉvoir de nouvelles routes

Afin d’anticiper d’éventuelles mutations de la compensation de coûts indirects, le rapporteur spécial s’est intéressé aux possibilités de soutenir différemment les industriels exposés à des risques de fuite de carbone.

Dans le cadre de ses travaux, plusieurs pistes sont apparues, spécifiques d’abord, avec les contrats d’écart compensatoire carbone, plus connus sous l’appellation de carbon contracts for difference (CCFD) (1), et générales ensuite avec l’hypothèse d’une préférence européenne dans les marchés publics (Buy European and Sustainable Act) (2).

1.   Les contrats d’écart compensatoire carbone

À l’occasion de la réunion du Conseil national de l’industrie au Bourget le 23 juin 2023, la Première ministre avait esquissé la possibilité d’établir un régime de soutien via des contrats pour différence pour soutenir des projets industriels de verdissement de l’industrie.

Ces contrats d’écart compensatoire carbone permettent aux bénéficiaires de limiter l’impact de la volatilité du prix du carbone sur le résultat du projet et ainsi de restreindre le risque qui pèse sur la mise en œuvre du procédé industriel. Des études soulignent l’effet complémentaire de ces contrats au système d’échanges de quotas d’émission ([51]). En effet, les CCFD permettent de garantir un prix déterminé par tonne de CO2 évitée et donc, de prévenir la tendance baissière du prix de la tonne de carbone sur le marché.

Le principal inconvénient de ces contrats demeure l’incertitude budgétaire forte qu’ils induisent sur la subvention effectivement décaissée. Ils ne préviennent pas non plus le risque industriel « d’éléphant blanc » ([52]), imprévisible par nature.

L’exemple allemand de la mise en œuvre de CCFD.

Le ministère fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat (BMWK) a lancé le 12 mars 2024 des contrats d’écart compensatoire pour une enveloppe totale de 23 milliards d’euros sur 15 ans.

Ce soutien vise à accompagner les entreprises grandes consommatrices d’énergie dans leurs projets de transformation.

Les projets industriels devront présenter un objectif de réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre au plus tard 3 ans après le lancement du projet. Le secteur ou sous-secteur doit être éligible au SEQE-UE.

Source : communiqué de presse du ministère fédéral de l’économie et de la protection du climat du 12 mars 2024.

Des réflexions sont en cours entre la DGEC, la DGE et l’Ademe sur la mise en œuvre d’un CCFD pour l’industrie dans le cadre du plan France 2030.

La détermination du cadre et des secteurs industriels éligibles à ce dispositif apparaît indispensable au rapporteur spécial pour la réussite de la décarbonation de l’industrie française et européenne.

Proposition n° 7. Mettre en place des contrats d’écart compensatoire carbone au bénéfice des secteurs actuellement bénéficiaires de la compensation carbone.

Dans un premier temps, favoriser un ciblage sur les secteurs les plus émissifs et les plus difficiles à décarboner. Déterminer un objectif de réduction des émissions de GES ambitieux concordant avec les orientations du paquet Fit for 55.

2.   Vers un protectionnisme vert européen : le Buy European and Sustainable Act

La préférence européenne en matière commerciale réapparaît progressivement. Cette hypothèse, longtemps reléguée au rang des mesures protectionnistes déstabilisatrices du libre-échange, retrouve de la vigueur avec les mesures prises par nos principaux partenaires commerciaux.

L’idée d’une préférence européenne verte en matière d’achat (Buy European and Sustainable act (BESA) en anglais) pourrait être un des leviers du plan vert industriel européen ([53]). L’objectif d’une telle mesure est de favoriser les critères qualitatifs et environnementaux de l’industrie européenne.

Dans une récente étude du cabinet de conseil Carbone 4 ([54]), il est fait état des bénéfices et des effets que pourrait procurer la mise en place d’un BESA sur les marchés publics européens. Le périmètre retenu est particulièrement pertinent pour le rapporteur spécial puisqu’il cible les secteurs les plus émetteurs étudiés dans ce rapport : l’acier, le ciment, l’aluminium ou encore la construction.

Deux critères sont établis pour les achats publics :

        Un seuil minimal de contenu local européen des produits achetés par la puissance publique ;

        Un seuil maximal sur le contenu carbone ou les émissions de GES en phase d’usage des biens acquis par le biais des marchés publics. L’intensité carbone prise en compte serait variable selon le secteur.

L’étude conclut que si le BESA, tel que défini, avait été mis en place depuis 2019, c’est 34 MtCO2 de baisse annuelle moyenne de l’empreinte carbone de l’UE (3 MtCO2 sur le périmètre de la France), 6 milliards d’euros d’augmentation des ventes annuelles pour les entreprises de l’Union européenne (1 milliard d’euros sur le périmètre France) et près de 380 000 emplois supplémentaires dans des activités vertes en UE (55 000 sur le périmètre France) qui auraient été constatés ([55]).

Alors que 82 % des Français se disent favorables à la réindustrialisation et que 83 % déclarent que l’industrie française est une fierté pour le territoire ([56]), le rapporteur spécial appelle à dépasser le « tabou du protectionnisme », qui n’existe que dans l’esprit européen.

Le rapporteur spécial estime toutefois que ce Buy European and Sustainable Act (BESA) doit trouver à s’articuler avec :

        Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) ;

        Le Fonds pour l’innovation abondé en quotas d’émission du SEQE-UE.

Proposition n° 8. Mettre en place, au niveau européen, un Buy European and Sustainable Act (BESA) afin de soutenir l’effort de décarbonation des secteurs les plus émetteurs.

Faire du « made in Europe » l’une des clefs pour la passation des marchés publics européens.


   Travaux de la commission

Lors de sa réunion de 21 heures, le mardi 4 juin 2024, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Xavier Roseren, rapporteur spécial des crédits des programmes 143 Développement des entreprises et régulations, 343  Plan France Très Haut Débit, 367  Financement des opérations patrimoniales envisagées en 2023 sur le compte d’affection spéciale « Participations financières de l’État » et du compte de concours financiers Prêts et avance à des particuliers ou à des organismes privés.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

 

 


   Liste des personnes auditionnÉes
par le rapporteur spÉcial

(par ordre chronologique)

 

La Fabrique de l’industrie *

– M. Vincent Charlet, délégué général ;

– Mme Caroline Granier, cheffe de projet ;

– M. David Lolo, chargé d’étude ;

– Mme Julie Celeste Meunier, chargée des relations presse.

 

Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique – Direction générale des entreprises

– Mme Orianne Chenain, sous-directrice des matériels de transport, de la mécanique et de l’énergie ;

– M. Hubert Virlet, directeur de projets à la sous-direction des matériels de transport, de la mécanique et de l’énergie.

 

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires – Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)

– Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l’efficacité énergétique et de l’air ;

– M. Mickaël Thiery, sous-directeur de l’action climatique ;

– M. Julien Viau, chef du bureau des marchés carbone ;

– M. Frédéric Branger, adjoint au chef de bureau ;

– M. Jérémie Benhamou, adjoint au chef de bureau.

 

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– M. Philippe Berdou, conseiller Mertens.

 

 

France Industrie *

– M. Alexandre Saubot, président ;

– M. Vincent Moulin Wright, directeur général ;

– Mme Murielle Jullien, directrice des affaires publiques.

 

UNIDEN *

– M. Nicolas de Warren, président ;

– M. Jean-Philippe Perrot, président de la commission climat et efficacité énergétique ;

– M. Fabrice Alexandre, conseil.

 

Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique – Secrétariat Général

– Mme Anne Blondy-Touret, secrétaire générale ;

– M. Fabrice Beaulieu, chef du service des achats et des finances ;

– M. Christophe Moret, sous-directeur gestion finances et achats.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


([1]) France Stratégie, Rapport de la commission présidée par Alain Quinet, « La valeur de l’action pour le climat. Une valeur tutélaire du carbone pour évaluer les investissements et les politiques publiques », février 2019.

([2]) Direction générale du Trésor, « Quel effet du marché carbone européen sur la productivité des entreprises », février 2023.

([3]) Directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

([4]) Lignes directrices C 158/04 du 5 juin 2012 concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2012.

([5]) Lignes directrices C 317/5 du 25 septembre 2020 concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021

([6]) Loi de finances n° 2015-1785 du 28 décembre 2015 de finances pour 2016.

([7]) La liste PRODCOM est une liste de codes produit que les États membres de la Communauté européenne utilisent pour établir leurs statistiques de production (source : INSEE).

([8]) Selon le rapport annuel de performances annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023, les quatre dépenses fiscales ont représenté, en 2022, 56 millions d’euros pour le tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée par les installations industrielles électro-intensives exposées à un risque important de fuite de carbone en raison des coûts indirects, 10 millions d’euros pour le tarif réduit d’accise sur l’électricité pour les centres de stockage de données numériques exploités par une entreprise, 16 millions d’euros pour le tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée par les installations hyper électro-intensives et 314 millions d’euros pour le tarif réduit d’accise sur l’électricité consommée sur des sites industriels électro-intensifs où sont exploitées des installations industrielles et pour l’électricité consommée par des entreprises industrielles électro-intensives exploitant des installations industrielles.

([9])  Olivier Sautel, Caroline Mini, Hugo Bailly et Rokhaya Dieye, La tarification du carbone et ses répercussions – exposition sectorielle au surcoût carbone, Les Notes de la Fabrique, Paris, Presse des Mines, 2022.

([10]) Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Les Thémas de la DGE n° 13, « Quelle incidence de la hausse des prix de l’énergie sur l’industrie ? », septembre 2023.

([11]) Le Figaro économie, « Chimie : l’Allemand BASF supprime 3 300 emplois dans le monde », 24 février 2023.

([12])  Arrêté du 27 décembre 2023 fixant le prix du quota carbone utilisé dans le calcul de l’aide accordée au titre de 2023 ainsi que l’avance accordée au titre de 2024 aux entreprises exposées à un risque significatif de fuite de carbone en raison des coûts du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre répercutés sur les prix de l’électricité.

([13]) Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie, rapport public thématique, mars 2024, p. 66-67.

([14]) Commission européenne, Aide d’État SA.63404 (2022/N) – France Compensation des coûts des émissions indirectes en France pour la période 2021-2030, 1er décembre 2022.

([15])  Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen du carbone en 2022, présenté conformément à l'article 10, paragraphe 5, et à l'article 21, paragraphe 2, de la directive 2003/87/CE, COM (2023) 654 final du 31 octobre 2023.

([16])  Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

([17]) Nathan Canas, « Chute du prix du carbone : les acteurs du marché cherchent à rassurer », in Euractiv, 4 mars 2024, https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/chute-du-prix-du-carbone-les-acteurs-du-marche-cherchent-a-rassurer/  

([18])  Ces prévisions reposent sur les hypothèses suivantes : le facteur d’émission, l’intensité de l’aide, le coefficient de l’avance et le référentiel restent inchangés ; l’assiette éligible évolue proportionnellement à l’évolution de la consommation d’électricité au sein des secteurs éligibles prévue dans le rapport Futurs énergétiques 2050 de RTE ; la trajectoire du prix de la tonne de CO2 repose sur les dernières données disponibles au moment de l’élaboration de la trajectoire pour la LPFP 2023-2027.

([19]) Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([20]) Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Les incidences économiques de l’action pour le climat, Rapport à la Première ministre, France Stratégie, mai 2023.

([21]) Ariane Alla, « Quel effet du marché carbone européen sur la productivité des entreprises ? », Trésor-Éco, Direction générale du Trésor, n° 323, février 2023.

([22])                            Geoffrey Barrows, Raphael Calel, Martin Jégard, Hélène Ollivier, Estimation de l’effet du marché du carbone européen sur l’industrie manufacturière française, Focus n° 101, Conseil d’analyse économique, novembre 2023.

([23]) Raphaël Calel et Antoine Dechezleprêtre, « Environnemental policy and directed technological change : Evidence from the European carbon market », Review of Economics and Statistiques, vol. 98, 2016, p. 173 à 191.

([24]) Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, op. cit.

([25]) Conseil d’analyse économique, op. cit., p. 6.

([26]) Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques signé le 11 décembre 1997 et entré en vigueur le 16 février 2005.

([27]) Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté.

([28]) Arthur Cecil Pigou, The Economics of Welfare, 1920.

([29]) Agnès Pannier-Runacher, « Pour une écologie des solutions », Les Échos, 27 mai 2021.

([30]) Rapport d’information du Sénat n° 649 du 9 juillet 2019 fait au nom de la mission d’information sur « les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement » par madame la sénatrice Valérie Létard.

([31]) Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen du carbone en 2022, op. cit.

([32])  Cour des comptes européenne, Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE : l’allocation de quotas à titre gratuit devrait être mieux ciblée, rapport spécial 18, 2020.

([33]) Décision (UE) n° 2015/1814 du 6 octobre 2015 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché (dite MSR).

([34])  Directive (UE) 2018/410 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2018 modifiant la direction 2003/87/CE.

([35]) Rapport d’information n° 2160 déposé par la commission des affaires européennes sur l’évolution du marché des crédits carbone au niveau européen et présenté par monsieur le député Henri Alfandari, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 février 2024.

([36]) Guillaume Delacroix, Emmanuelle Picaud et Luc Martinon, « Comment les entreprises polluantes ont transformé les quotas gratuits de CO2 en un marché de plusieurs milliards d’euros », Le Monde, 30 mai 2023.

([37]) Cour des comptes européenne, op. cit,. juillet 2020.

([38]) Règlement d’exécution (UE) 2019/1842 de la Commission du 31 octobre 2019 portant modalités d’application de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne des modalités supplémentaires pour les adaptations de l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit liées aux variations du niveau d’activité.

([39]) Directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union.

([40]) Règlement (UE) 2023/955 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un Fonds social pour le climat et modifiant le règlement (UE) 2021/106.

([41]) Règlement délégué 2024/873 de la Commission du 30 janvier 2024 modifiant le règlement délégué 2019/331 en ce qui concerne les règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit.

([42]) Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

([43]) Kevin Parra Ramirez, « Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : quelles voies possibles ?», Focus n° 059-2021, Conseil d’analyse économique, avril 2021.

([44])  Affaires n °58 et 61 dite « tortues et crevettes » de l’OMC, décision adoptée le 6 novembre 1998.

([45]) BPI France, « Fin des quotas gratuits et taxe carbone aux frontières – quand compétitivité rime avec industrie décarbonée », Flash Éco n° 17, octobre 2023.

([46]) Discours du commissaire européen Wopke Hoekstra du 21 mai 2024 devant l’Université de Maastricht https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/SPEECH_24_2725

([47]) Rapport d’information du Sénat n°755, 6 juillet 2022, Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.

([48]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 1er février 2023, « Un plan industriel du pacte vert pour l’ère du zéro émission nette », (COM2023) 62 final.

([49]) Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA) et présenté par mesdames les députées Marietta Karamanli et Sabine Thillaye, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

([50])  « Les subventions chinoises à l’industrie, « un risque » pour l’économie mondiale selon Yellen », La Croix, 5 avril 2024.

([51])  Corinne Chaton, Coline Metta-Versmessen, « Le contrat carbone pour différences, un outil adapté pour la décarbonation de l’hydrogène ? », in Revue économique 2023/5 (Vol. 74), p. 705 à 737, URL : https://www.cairn.info/revue-economique-2023-5-page-705.htm

([52])  Expression qui désigne le risque pour l’État d’un soutien à une entreprise qui n’a pas d’avantages compétitifs avérés et qui, à terme, risque de coûter davantage que ce qu’elle ne rapporte, ce qui induit une perte sèche.

([53])  Communication (COM2023) 62 final, op cit.

([54]) Cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie bas-carbone et l’adaptation au changement climatique créé en 2007.

([55]) Étude Carbone 4, Grandjean, Aulanier, Crépel et Damond, Buy european and sustainable act : accélérer la transition vers une économie européenne bas-carbone », mai 2024.

([56]) Bpi France, « Comment gagner la bataille de la réindustrialisation ? Regards croisés entre territoires, industriels et société civile », 15 mai 2024.