N° 2726
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur la balance commerciale agricole
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Franck ALLISIO,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
Recommandations du rapporteur spÉcial
1. La montée en gamme des produits doit permettre d’obtenir des prix plus rémunérateurs
a. La stratégie de montée en gamme de la production agricole française
b. Les vins de Provence : un modèle en forme d’exemple
II. UN ECOSYSTÈME DE SOUTIEN AUX EXPORTS AGRICOLES PERFORMANT AUX MOYENS BUDGÉTAIRES LIMITÉS
B. Le soutien apporté à l’export agricole par la Team France Export
1. L’accompagnement à l’export des entreprises agricoles par Business France
2. Les garanties publiques et l’accompagnement à l’export assurés par Bpifrance
A. VERS UN EFFORT FINANCIER ACCRU AU PROFIT DES EXPORTATEURS
B. UNE POLITIQUE RENOUVELÉE DE SOUTIEN À LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX
1. Étendre le dispositif « TO-DE » aux salariés permanents
2. Vers une revue générale des normes environnementales
a. L’évaluation des sur-transpositions de normes environnementales
C. rééquilibrer les relations commerciales avec les pays tiers
a. Un accord de libre-échange aux effets macro-économiques peu significatifs
b. Des clauses miroirs insuffisantes
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
En 2023, le solde commercial des produits agroalimentaires est en excédent de 5,3 milliards d’euros, en recul par rapport à 2022, essentiellement en raison d’un effet-prix sur les céréales. Cette apparente bonne santé de la balance commerciale agroalimentaire ne doit pas éluder d’importantes disparités sectorielles, les excédents étant concentrés sur les filières des vins et spiritueux (13,6 milliards d’euros), des céréales (7 milliards d’euros), des animaux vivants (2,1 milliards d’euros), des produits laitiers (3,2 milliards d’euros) et des sucres (1,6 milliard d’euros). L’agriculture perd en compétitivité depuis 10 ans : son excédent est passé de 11,9 milliards d’euros en 2011 à 5,3 milliards d’euros en 2023 tandis que nos parts de marché à l’export sont passées de 7,5 % en 2000 à 4,5 % aujourd’hui. Deuxième exportateur mondial de produits agricoles au début des années 2000, nous sommes désormais au sixième rang, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Depuis 2015, l’agriculture française est en situation de déficit commercial vis-à-vis de l’Union européenne : celui-ci a atteint 4,6 milliards d’euros en 2023, traduisant une perte de compétitivité-prix et un positionnement en haut de gamme parfois décorrélé de la demande des consommateurs français et européens. En conséquence, le cœur de gamme de la consommation française est de plus en plus capté par les importations : par exemple, près de la moitié de notre consommation de poulets est désormais importée alors que cette filière était exportatrice nette en 2004. Si la stratégie de montée en gamme visant à capter des marchés de niche à hauteur valeur ajoutée permet de dégager des excédents dans certaines filières, elle a pour effet pervers une perte de compétitivité et des pertes de parts de marché qui ne sont pas compensées par la hausse des prix des produits vendus à l’international. Aussi, le rapporteur spécial considère que la politique publique de soutien à l’export agricole doit être davantage orientée vers la restauration de notre compétitivité prix, via la réduction du taux des impôts pesant sur la production agroalimentaire et l’évaluation des sur-transpositions de normes environnementales à l’origine de distorsions de concurrence. Il soutient la nécessité de rééquilibrer les relations commerciales avec les pays tiers dont les coûts ou les conditions de production sont trop éloignés des nôtres. Au surplus, il souligne la nécessité de renforcer les dispositifs de soutien à l’export via la distribution de prestations gratuites permettant aux néo-exportateurs de trouver un modèle d’affaires viable. |
Recommandations du rapporteur spÉcial Recommandation n° 1 : Associer à la stratégie de montée en gamme une stratégie de soutien à la compétitivité-prix des filières qui connaissent un déficit commercial. Recommandation n° 2 : Faire évoluer les prestations de Business France et son modèle de financement pour lui permettre de distribuer plus largement un accompagnement gratuit à l’export. Recommandation n° 3 : Augmenter le plafond de déficit associé à la procédure d’assurance-prospection et rétablir le chèque-relance export pour encourager les primo-exportateurs. Recommandation n° 4 : Étendre le dispositif dit « TO-DE » d’exonération de cotisations sociales aux salariés permanents des exploitations agricoles. Recommandation n° 5 : Mener un travail d’identification des produits et usages autorisés dans les autres États européens afin d’activer les clauses européennes de reconnaissance mutuelle et mener également un travail d’identification des sur-transpositions de normes environnementales à l’origine de distorsions de concurrence afin d’envisager des évolutions législatives et réglementaires. Recommandation n° 6 : Renforcer les moyens de la DGAL, de la DGCCRF et de la DGDDI pour leur permettre de contrôler le respect des normes par les produits importés. Recommandation n° 7 : Inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi, examiné par le Sénat le 21 mars 2024, relatif à la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part.
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I. le creusement du déficit commercial agroalimentaire vis-à-vis de l’union européenne témoigne d’une perte de compétitivité et des limites de la stratégie de montée en gamme
La dégradation de l’excédent commercial des secteurs agricoles et agroalimentaires français s’explique principalement par le creusement de notre déficit commercial avec l’Union européenne. Ainsi, alors que l’excédent avec les pays tiers reste élevé (9,9 milliards d’euros en 2023), la France est devenue importatrice nette de produits agroalimentaires depuis l’Union européenne en 2015 et son déficit –s’établit à 4,6 milliards d’euros en 2023.
Solde commercial de la balance des produits agricoles et agroalimentaires
(en millions d’euros)
Source : réponses de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises aux questions du rapporteur spécial.
A. La dégradation de la compétitivité-prix des produits agricoles et agroalimentaires français sur le marché européen
D’après les travaux produits par la direction générale du trésor ([1]) et le centre d’études et de prospective ([2]) du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, la dégradation de notre excédent s’explique essentiellement par un déficit de compétitivité-prix et, plus marginalement, par notre positionnement sur des marchés peu dynamiques (Union européenne, Amérique du Nord et Japon).
Le déficit de compétitivité-prix des entreprises agricoles françaises à l’export trouve sa source dans le poids des consommations intermédiaires dans les charges d’exploitation tandis que le coût du travail joue un rôle plus important pour les filières intensives en main d’œuvre (fruits et légumes) et l’industrie agroalimentaire.
1. Le différentiel de compétitivité-prix des fermes françaises par rapport à nos concurrents européens s’explique principalement par les consommations intermédiaires
Le différentiel de compétitivité des entreprises agricoles françaises a partie liée avec le poids des consommations intermédiaires (fertilisants, produits phytosanitaires et énergie) qui représentent 58 % du montant des recettes des exploitations de céréales, d’oléagineux et protéagineux contre 52 % en Allemagne et 50 % en Espagne entre 2012 et 2017.
En particulier, le coût des intrants et produits phytosanitaires constitue une charge d’exploitation nettement plus importante que ce que l’on observe chez nos concurrents européens. Pour la filière des céréales, oléagineux et protéagineux, les charges en produits phytosanitaires représentent 13,8 % des recettes totales des exploitations agricoles contre 9,2 % en Italie tandis que les fertilisants représentent 10,6 % de leurs recettes totales contre 5,4 % en Italie. Le coût du travail joue un rôle moins évident. Le modèle agricole français reposant davantage sur un emploi familial non salarié, le poids des salaires ne représente que 8 % des charges des exploitations agricoles françaises contre 10 % en Allemagne et aux Pays-Bas et 14 % en Italie et en Espagne.
Les charges salariales restent néanmoins un enjeu pour les filières intensives en main d’œuvre comme les producteurs de fruits et légumes. Pour ces filières employant de nombreux travailleurs occasionnels et saisonniers, l’exonération sociale dite « TO-DE » a permis d’améliorer notre compétitivité. L’article L. 741-16 du code rural et de la pêche maritime prévoit ainsi que les entreprises de la production agricole recrutant, pour 119 jours ouvrés par an et par salarié au plus, des travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (TO-DE), sont exonérées des cotisations sociales. Cela représente un gain agrégé de 578 millions d’euros en 2024.
2. Le déficit commercial important de nos industries agroalimentaires vis-à-vis de l’Union européenne est alimenté par le poids de la fiscalité sur la production agroalimentaire et le coût du travail
a. Les produits transformés constituent une part déterminante du déficit commercial de notre agriculture vis-à-vis de l’Union européenne
Si la balance commerciale en produits transformés est globalement excédentaire en raison de l’importance de nos exportations en vins et spiritueux, qui s’élèvent à 18,3 milliards d’euros en 2023, ce solde est nettement déficitaire vis-à-vis de l’Union européenne (-7,6 milliards d’euros en 2023).
De nombreuses filières sont marquées par des flux croisés conduisant à l’export de produits bruts et à l’import de produits transformés à plus forte valeur ajoutée :
– le rapport des députés Rodrigo Arenas et Charles Sitzenstuhl sur la souveraineté alimentaire européenne (2024) relève, par exemple, que le premier producteur européen de céréales exporte du blé dur et importe, depuis l’Italie, les semoules, farines et pâtes alimentaires produites à partir de ce blé dur ;
– le rapport du Gouvernement portant sur l’évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France (2024) souligne également que la France est exportatrice nette de bovins jeunes et maigres et de carcasses de porcs et importatrice nette de charcuteries et de viandes bovines transformées, consommées sous forme de viandes et de steak hachés.
b. Le coût du travail et le taux d’imposition sur la production agroalimentaire alimentent les délocalisations des industries de transformation
Le coût du travail est un facteur nettement plus important pour les industries agroalimentaires françaises. Son augmentation est deux fois plus importante par rapport à ce qui s’est produit en Allemagne : il a ainsi augmenté de 58 % entre 2000 et 2017 en France contre 34 % en Allemagne.
FranceAgriMer relève également que la fiscalité a longtemps pesé sur la compétitivité de nos industries agroalimentaires. Entre 2008 et 2016, le taux d’imposition sur la production agroalimentaire (5,5 %) était le deuxième plus élevé en part de valeur ajoutée parmi les branches productives françaises tandis qu’une quinzaine de taxes et une douzaine de redevances affectent spécifiquement les produits agroalimentaires. La baisse de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 11,1 milliards d’euros et celle des impôts de production à hauteur de 14,4 milliards d’euros ont néanmoins amélioré la compétitivité des industries agroalimentaires.
Comme l’industrie manufacturière, l’industrie agroalimentaire française est marquée par la délocalisation de la production. Dans son référé de 2019 sur les soutiens publics nationaux aux exportations agricoles et agroalimentaires, la Cour des comptes souligne notamment que les industriels du secteur laitier transforment presque autant de lait en France et à l’étranger : 23,8 milliards d’euros de litres de lait en France et 20 milliards d’euros de litres de lait à l’étranger. En Allemagne, les industriels transforment six fois plus de lait sur le territoire national (30,3 milliards d’euros de litres de lait) qu’en dehors du pays (5 milliards d’euros de litres de lait).
Les industries agroalimentaires sont enfin marquées par une stagnation de la productivité : alors que la productivité des exploitations agricoles a crû de 18 % entre 2000 et 2015, la productivité de l’industrie agroalimentaire est en baisse de 0,4 % par an en moyenne entre 1995 et 2015. Depuis 2015, la productivité apparente du travail a encore diminué à un rythme annuel de 0,96 %.
B. les disparités sectorielles de nos exportations agroalimentaires soulignent les limites de la stratégie de montée en gamme
Depuis le discours de Rungis (2017) prononcé par le Président de la République à l’occasion des états généraux de l’alimentation, la stratégie agricole française est caractérisée par un objectif de montée en gamme et d’amélioration de la qualité des produits qui épouserait l’évolution des aspirations des consommateurs et doit permettre aux agriculteurs de capter des marchés de niche plus rémunérateurs à l’export.
Cette stratégie de différenciation par la qualité fonctionne dans certaines filières, en particulier pour ce qui concerne les vins et les fromages. Toutefois, elle a pour effet pervers des pertes de parts de marché au sein de l’Union européenne dans certaines filières et ne correspond pas toujours aux choix des consommateurs ‑ ce qui explique le déficit commercial de certaines filières jadis en excédent.
1. La montée en gamme des produits doit permettre d’obtenir des prix plus rémunérateurs
a. La stratégie de montée en gamme de la production agricole française
La stratégie agricole française accompagne la valorisation des signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) des produits. Les lois du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoient, en outre, que tous les restaurants collectifs sont tenus de proposer au moins 50 % de produits durables et de qualité, dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans les repas servis.
Le programme stratégique national présenté par la France dans le cadre de la politique agricole commune vise par ailleurs à porter à 18 % la part de la surface agricole utile occupée par l’agriculture biologique, laquelle atteint 10,7 % aujourd’hui.
Cette stratégie a produit ses effets : le marché français des produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (appellation d'origine protégée, indication géographique protégée, label rouge, spécialité traditionnelle garantie) est passé de 26 milliards d’euros (hors taxe) en 2013 à 35 milliards d’euros en 2023.
D’après FranceAgriMer ([3]), cette évolution permet d’augmenter les prix tirés des exportations : un fromage bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée est exporté, en moyenne, à un prix supérieur de 11,5 % à celui d’un fromage sans appellation. Cette évolution répond à la montée en gamme des achats, alimentée par les préférences des consommateurs et par l’augmentation tendancielle du pouvoir d’achat qui caractérise les marchés émergents.
b. Les vins de Provence : un modèle en forme d’exemple
La filière des vins de Provence est un exemple particulièrement illustratif d’une stratégie à l’export s’appuyant sur la qualité et la montée en gamme des produits.
Alors que certaines régions viticoles sont marquées par un effet ciseaux entre la hausse des charges d’exploitation et des prix insuffisamment rémunérateurs, les volumes d’exportations des rosés de Provence ont été multipliés par 5 depuis 2010 et la part de la production de rosé exporté est passée de 5 % à 40 %, tandis que le prix de la bouteille de vin à l’export a doublé en une dizaine d’années.
L’année 2023 est néanmoins marquée par une baisse de 11 % des exportations en volume, laquelle évolue à un rythme similaire des sorties de chais qui diminuent de 9 %. Cette évolution n’est pas propre aux vins de Provence : les exportations de vins français ont diminué de 10 % en volume entre 2022 et 2023 tandis que les exportations de cognac et de champagne ont diminué respectivement de 21 % et 11 % en volume.
La baisse des exportations de rosé de Provence s’explique essentiellement par la rétractation du marché américain, premier client de la filière (37 % des exportations) devant le Royaume-Uni (18 % des exportations). Comme le souligne la fédération des exportateurs de vins et spiritueux, les exportations de vins français en direction des États-Unis ont diminué de 22 % en volume, retrouvant leur niveau de 2019, phénomène qui n’épargne pas le rosé de Provence. En 2023, les importateurs et distributeurs américains ont procédé à une rationalisation des stocks accumulés au cours des deux dernières années par crainte que les chaînes logistiques n’aient été perturbées par la pandémie, l’inflation ayant conduit les ménages américains à réduire leur consommation de vins français.
évolution des volumes de rosés de provence exportés
(En hectolitres)
Source : réponse du comité interprofessionnel des vins de Provence aux questions du rapporteur spécial.
2. La dégradation du solde commercial de la filière volaille illustre un décalage entre la qualité de la production française et les choix des consommateurs européens
Alors qu’elle connaissait un excédent d’1,15 milliard d’euros en 2000, le solde commercial de filière volaille est en déficit depuis 2016, et il atteint 1,23 milliard d’euros en 2023. Plus de la moitié des poulets consommés en France sont désormais issus de l’importation.
évolution du solde commercial de la filière volaille
(En millions d’euros)
Source : réponse de FranceAgriMer aux questions du rapporteur spécial.
Cette importante dégradation du solde commercial de la filière volaille s’explique par des facteurs multiples :
– l’arrêt des restitutions européennes aux exportations (2013) qui consistaient à compenser la différence entre les prix pratiqués sur le marché européen et les prix pratiqués sur le marché mondial, subventionnant ainsi les exportations dans les pays tiers ;
– le déficit de compétitivité des fermes françaises face à leurs concurrents européens, les exploitations françaises affichant un coût de production au kilo de poulet supérieur de 4 % à la moyenne européenne ([4]) tandis que les ateliers spécialisés de volailles de chair ont une capacité de production moyenne de 20 800 têtes en 2020 contre 70 000 têtes aux Pays-Bas ;
– le déficit de compétitivité des industries de transformation, les coûts de production des abattoirs étant 15 % plus élevés en France par rapport à la Pologne ;
– une évolution des comportements de consommation des ménages, la part des volailles entières dans les achats des ménages étant passée de 36 % à 18 % entre 2000 et 2022 tandis que la part des élaborés de volaille (panés, nuggets) est passée de 17 % à 33 %, segment sur lequel la compétitivité-prix importe davantage que la qualité des productions de poulets certifiés label rouge ;
– cinq épizooties d’influenza aviaire hautement pathogènes qui ont affaibli d’une manière substantielle la production de poulets malgré l’engagement des services de l’État aux côtés des producteurs.
Pour le rapporteur spécial, la filière volaille illustre les limites de la stratégie française. D’une part, la promotion du poulet entier certifié label rouge n’est pas adaptée à la demande des consommateurs et la volonté de conquérir des marchés de niche en haut de gamme aboutit à une dégradation du solde commercial et à la conquête du cœur de gamme de la consommation française par les importations.
D’autre part, elle illustre le déséquilibre des relations commerciales avec des pays ayant de faibles coûts de production : la part des importations depuis la Pologne dans les importations françaises en provenance de l’Union européenne a ainsi doublé en dix ans, passant de 14 % en 2014 à 32 % en 2023 tandis que le volume de ces importations a été multiplié par quatre, passant de 60 000 tonnes équivalent-carcasse à 234 000 tonnes équivalent-carcasse sur la même période.
S’il est difficile d’agir contre la concurrence de la Pologne, eu égard à son appartenance au marché unique, le rapporteur spécial considère qu’il n’était pas nécessaire de lever les derniers quotas d’importation et droits de douane portant sur les importations en provenance d’Ukraine. Les importations de volailles ukrainiennes au sein de l’Union européenne ont ainsi augmenté successivement de 58 % en 2022 et de 41 % en 2023 pour atteindre 231 000 tonnes équivalent-carcasse.
Recommandation n° 1 : associer à la stratégie de montée en gamme une stratégie de soutien à la compétitivité-prix des filières qui connaissent un déficit commercial.
3. Certaines filières sont affectées par une décapitalisation du cheptel et un plafonnement des rendements
Dans leur rapport portant sur la compétitivité de la ferme France (2022), les sénateurs Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou soulignaient ainsi que la collecte laitière française stagne depuis 2011 et qu’elle a même diminué de 2 % entre 2015 et 2021 alors que la collecte laitière européenne a augmenté de 6 % sur la même période.
La filière est également confrontée à une décapitalisation du cheptel et à la difficulté à renouveler les générations d’exploitants agricoles. Le nombre de vaches laitières a ainsi diminué de 580 000 têtes entre 2010 et 2023, passant de 3,74 millions de têtes à 3,16 millions de têtes. Le nombre de livreurs de lait, lui, est passé de 50 300 à 43 400.
En sus, les travaux scientifiques convergent pour relever un ralentissement tendanciel des hausses de rendements moyens des grandes cultures entre la période comprise entre les années 1970 et le début des années 1990, d’une part et la période s’ouvrant à partir de 1995, d’autre part. La hausse des rendements moyens de blés tendres est ainsi passée de + 1,7 % à 0,2 % entre ces deux périodes tandis que les légumineuses sont marquées par une baisse des rendements en raison de problèmes sanitaires et de stress hydriques et thermiques plus fréquents au printemps.
Ces évolutions des rendements ont pour causes principales les effets du changement climatique (sécheresses plus fréquentes au printemps et à la fin du printemps lors des phases de grossissement des grains), la réduction des intrants (azote, produits phytosanitaires), les changements dans la composition des successions de cultures (moins de légumineuses et raccourcissement des rotations), le développement de l’agriculture biologique et le déplacement de certaines cultures vers des sols moins favorables.
II. UN ECOSYSTÈME DE SOUTIEN AUX EXPORTS AGRICOLES PERFORMANT AUX MOYENS BUDGÉTAIRES LIMITÉS
A. Les crédits versés par le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire à la Sopexa et à Business France
● 7,5 millions d’euros sont versés par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire au titre du soutien à l’export agricole :
– 3,8 millions d’euros sont versés à la Sopexa au titre de la convention de concession de service public signée par l’opérateur privé, auxquels s’ajoutent 1,8 million d’euros de cofinancements apportés par les professionnels pour financer des actions de promotion des produits agroalimentaires ;
– 3,7 millions d’euros sont versés à Business France dans le cadre d’une convention finançant le programme France Export par lequel l’agence accompagne les entreprises agricoles à l’export, diffuse des informations sur les marchés internationaux prioritaires et met en œuvre des actions de communication autour de la marque Taste France.
B. Le soutien apporté à l’export agricole par la Team France Export
1. L’accompagnement à l’export des entreprises agricoles par Business France
● Business France apporte un soutien spécifique aux entreprises agricoles à l’export à travers différents programmes :
– la filière Agrotech déploie 150 spécialistes de l’export agricole dans 55 pays qui guident les exportateurs du secteur, notamment via le programme « Boosters Agrinest » et des opérations d’entreprises à entreprises pour permettre aux 1 300 entreprises accompagnées en 2023 de trouver des clients à l’export ;
– la plateforme e-vitrine permet à Business France de promouvoir 4 000 PME françaises du secteur agroalimentaire, dont 500 ont été approchées par des acheteurs professionnels à l’international et ont bénéficié d’un suivi individualisé par les équipes de Business France ;
– 880 volontaires internationaux en entreprises interviennent dans des entreprises du secteur agroalimentaire ;
– 70 des 250 conseillers de proximité mis en place par la Team France Export (conseillers internationaux et chargés d’affaires internationaux) ont une dominante agroalimentaire dans leurs activités d’accompagnement à l’export.
● Business France pilote également la Team France Invest et a mis en place des argumentaires sectoriels, une cartographie des acteurs de l’innovation dans la filière agroalimentaire, des webinaires et formations ainsi qu’un partenariat spécifique avec le pôle de compétitivité Vitagora pour accompagner l’implantation de projets d’investissements étrangers innovants.
Depuis 2019, 371 projets d’investissements étrangers dans le secteur agroalimentaire ont été recensés. Selon Business France, ils ont permis la création ou le maintien de 6 930 emplois sur le territoire et la pérennisation de 16 sites de production.
● Enfin, la subvention pour charges de service public de Business France a été abondée à hauteur de 13,3 millions d’euros en 2023, notamment pour financer le plan « Osez l’export ! » :
– l’envoi de 300 volontaires territoriaux de l’export, subventionnés à hauteur d’un montant maximal de 12 000 euros, avec un plafond à hauteur de 50 % des dépenses engagées par les entreprises demandeuses ;
– la hausse de la subvention publique apportée par Business France aux pavillons France sur les salons internationaux pour la porter à 30 % des financements requis ;
– l’exposition gratuite des produits des entreprises des secteurs de l’agroalimentaire et des cosmétiques sur la market place de Business France afin d’aider les entreprises à trouver des acheteurs professionnels étrangers ;
– l’accompagnement individualisé à l’export sur 30 mois d’une partie des lauréats des appels à projets du plan d’investissement France 2030 ;
– des programmes Boosters pour accompagner 200 entreprises à fort potentiel via un soutien sur mesure ayant pour vocation à faire réussir ces sociétés sur les marchés visés.
2. Les garanties publiques et l’accompagnement à l’export assurés par Bpifrance
● En 2023, Bpifrance a distribué une centaine de dispositifs de garanties publiques à l’export au bénéfice des entreprises agricoles et agroalimentaires françaises pour un encours de 47,2 millions d’euros de contrats garantis.
Ce montant relativement faible s’explique par la spécificité du financement des contrats agricoles à l’export. Considérant l’importance du financement public accordé à l’agriculture via la politique agricole commune et le rôle joué par le Crédit agricole en matière de financement bancaire, les conditions de distribution des garanties bancaires accordées par Bpifrance fixées par l’État excluent les entreprises du secteur agricole ayant un chiffre d’affaires inférieur à 750 000 d’euros ce qui, de facto, exclut une grande part d’entre elles.
Encours des Garanties publiques à l’export distribuées par BpiFrance aux entreprises agricoles et agroalimentaires
(en millions d’euros)
Encours des contrats garantis |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Assurance-crédit |
0 |
0 |
84,2 |
52,2 |
0 |
Assurance-investissement |
0 |
0 |
|
|
34 |
Assurance-prospection |
12,4 |
11,9 |
10,9 |
9,7 |
12 |
Garantie de change |
0 |
0 |
|
|
0 |
Garantie de caution et préfinancement |
0 |
0 |
|
|
1,2 |
TOTAL |
12,4 |
11,9 |
95,1 |
61,9 |
47,2 |
Source : réponses de Bpifrance aux questions du rapporteur spécial.
En outre, l’opérateur a mené 3 missions d’accompagnement à l’export au bénéfice de 20 entreprises agricoles ou agroalimentaires, ce qui représente 6 % de l’ensemble des entreprises accompagnées par Bpifrance.
● Bpifrance assure également la mise en œuvre de quatre mesures du plan « Osez l’export ! » :
– 6 222 entreprises ont bénéficié de rendez-vous individuels avec les équipes de Bpifrance pour initier un projet export ;
– l’académie de l’export a été lancée pour mettre à disposition des chefs d’entreprises des webinaires et des modules de formation ;
– des solutions techniques ont été mises à disposition des entreprises pour digitaliser le financement des contrats-export afin de réduire les coûts et les délais et d’améliorer la sécurité et la traçabilité des paiements ;
– le plan Farm a été mis en œuvre pour compenser les coûts juridiques liés à la structuration des crédits-export proposés aux acheteurs étrangers des exportateurs français.
C. Les dépenses fiscales et allègements de cotisations contribuent Au soutien à la compétitivité des entreprises agricoles et agroalimentaires
● 6,37 milliards d’euros d’allègements de cotisations sociales permettent de soutenir la compétitivité des entreprises agricoles et agroalimentaires :
– 2,59 milliards d’euros d’allègements de cotisations au bénéfice des exploitations agricoles : 290 millions d’euros au titre des allègements de cotisations individuelles des exploitants agricoles, 580 millions d’euros au titre des allègements de cotisations patronales « TO-DE » et 1,72 milliard d’euros au titre des allègements de cotisations patronales transversaux à l’ensemble des secteurs productifs ;
– 2,69 milliards d’euros d’allègements de cotisations patronales au bénéfice des coopératives agricoles et des industries agroalimentaires ;
– 1,09 milliard d’euros d’allègements de cotisations patronales au bénéfice des services agricoles.
● Le tarif réduit pour le gazole non routier, le fioul lourd et les gaz de pétrole liquéfiés utilisés pour les travaux agricoles et forestiers soutient la compétitivité des exploitations agricoles à hauteur de 1,63 milliard d’euros.
Les autres dépenses fiscales de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales relèvent davantage du soutien à la transition agro-écologique (crédit d’impôt en faveur des entreprises agricoles utilisant le mode de production biologique, crédit d’impôt au bénéfice des entreprises agricoles qui n’utilisent aucun produit phytopharmaceutique contenant la substance active du glyphosate) ou du soutien à la filière bois.
III. LE RAPPORTEUR spécial PROPOSE DE RENFORCER LES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT À L’EXPORT ET DE renouer AVEC UNE STRATÉGIE DE SOUTIEN À LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX DES FILIÈRES EN SITUATION DE DÉFICIT COMMERCIAL
A. VERS UN EFFORT FINANCIER ACCRU AU PROFIT DES EXPORTATEURS
1. Le modèle de financement de Business France fondé pour partie sur des ressources propres est une singularité en Europe qu’il convient de remettre en cause
● Financée à hauteur de 108 millions d’euros par deux subventions pour charges de service public versées via le programme 112 Impulsion et coordination des politiques d’aménagement du territoire de la mission Cohésion des territoires et le programme 134 Développement des entreprises et régulations de la mission Économie ainsi qu’un transfert en provenance du programme 149 Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales, Business France est également abondée, en partie, par des ressources propres liées à la vente de prestations d’accompagnement à l’export.
Dans la plupart des autres pays européens, les subventions publiques constituent une part prépondérante des ressources des agences de soutien à l’export : 100 % aux Pays-Bas ; 91,2 % en Italie et 84 % en Allemagne. En outre, le volume de ces subventions est nettement plus important dans de nombreux pays européens.
Part des subventions publiques dans les ressources de l’agence
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d’après les réponses de Business France aux questions du rapporteur spécial.
comparatif des SUbventions publiques des agences de soutien à l’export
(en euros par million d’euros de PIB)
Source : Commission des finances d’après les réponses de Business France aux questions du rapporteur spécial.
● Le rapporteur spécial considère que le modèle de financement de Business France doit évoluer dans le sens d’une augmentation de la part des subventions publiques afin de lui permettre de déployer davantage de prestations gratuites de façon à encourager les démarches des primo-exportateurs. On peut citer à titre d’exemple l’Italian trade agency, dont 95 % des dispositifs sont gratuits depuis la crise sanitaire.
Recommandation n° 2 : faire évoluer les prestations de Business France et son modèle de financement pour lui permettre de distribuer plus largement un accompagnement gratuit à l’export.
2. Le rapporteur spécial propose d’augmenter la distribution de l’assurance-prospection et de rétablir le chèque relance-export
● Pour le rapporteur spécial, il s’agit d’accroître la culture de l’exportation parmi les producteurs français. Le centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire souligne ainsi que seulement 25 % des entreprises agroalimentaires françaises sont exportatrices quand cette proportion atteint 80 % en Allemagne.
L’enjeu est de lever les premiers obstacles à l’export et de faciliter les démarches de prospection des primo-exportateurs. Il s’agit pour eux de trouver un importateur et de stabiliser un modèle d’affaires. Les importateurs américains, en particulier, demandent l’exclusivité aux exportateurs viticoles français. Ces producteurs de dimension régionale ou locale doivent engager des dépenses de prospection pour contracter avec un importateur dont les commandes correspondront à leurs capacités de production.
Le rapporteur spécial propose, à cet égard, d’augmenter le plafond de déficit associé à l’assurance prospection, procédure qui permet d’accorder aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 500 millions d’euros une avance sur les dépenses de prospection engagées. Aujourd’hui, Bpifrance ne peut distribuer cette prestation lorsque le déficit associé à la procédure atteint 95 millions d’euros. Il convient d’augmenter ce plafond de déficit autorisé pour permettre à l’opérateur de la distribuer plus largement.
Le rapporteur spécial propose également de rétablir le chèque-relance export, dispositif simple qui permettait de prendre en charge une partie des frais de participation à un salon international ou une partie du coût de l’achat d’une prestation de projection collective ou individuelle à l’export dans la limite d’un plafond fixé à 50 % de ce coût.
Recommandation n° 3 : augmenter le plafond de déficit associé à la procédure d’assurance-prospection et rétablir le chèque-relance export pour encourager les primo-exportateurs.
B. UNE POLITIQUE RENOUVELÉE DE SOUTIEN À LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX
Si la stratégie de montée en gamme et de valorisation de la qualité des produits est un gage de prix plus rémunérateurs et permet à certaines filières de prospérer, elle a eu des effets pervers dans d’autres filières où le prix des produits est le principal critère de choix des consommateurs européens.
Le rapporteur spécial considère qu’il convient donc d’orienter la politique agricole vers un objectif d’amélioration de sa compétitivité-prix et de réduction des contraintes normatives pesant sur nos producteurs nationaux.
1. Étendre le dispositif « TO-DE » aux salariés permanents
Le dispositif dit « TO-DE » est aujourd’hui limité à l’exonération de cotisations sociales associées à l’embauche de travailleurs saisonniers et de demandeurs d’emplois. Dans les filières arboricoles et maraîchères, cela a permis de nous rapprocher du coût du travail des Pays-Bas et de la Belgique.
Cette mesure n’a toutefois, pour l’heure, pas enrayé l’accroissement du déficit commercial de la filière fruits et légumes, passé de - 4,3 milliards d’euros en 2011 à -7,4 milliards d’euros en 2023.
Le rapporteur spécial a, en particulier, été alerté par la baisse des exportations de pommes, principal atout de l’arboriculture française à l’export. Notre production de pommes a ainsi diminué de près d’un quart depuis 2000, passant de 2 millions de tonnes à 1,6 million de tonnes en 2023. Cette chute de la production est corrélée à la diminution des surfaces cultivées et des installations dans la filière arboricole : les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 10 % (soit une baisse de 22 220 hectares) tandis que les surfaces cultivées en fruits ont diminué de 7 % (soit une baisse de 4 000 hectares).
Alors que la filière exportait 874 859 tonnes de pommes en 2000, ce chiffre est tombé à 306 708 tonnes en 2023. La filière a notamment subi les conséquences des mesures de rétorsions prises par la Russie à partir de 2014 et de la fermeture du marché algérien. En outre, la fermeture de ces marchés importants pour les producteurs européens a renforcé la concurrence des producteurs italiens et polonais sur les marchés situés au Moyen-Orient, aboutissant à des pertes de parts de marché pour la France.
Comme le souligne le rapport du Sénat sur la compétitivité de la ferme France (2022), malgré la qualité de sa production, la France fait face à un différentiel de prix trop important par rapport à nos principaux concurrents européens : le kilo de pomme française est 15 centimes plus cher que la pomme italienne et 66 centimes plus cher que la pomme polonaise.
Ce différentiel de coût s’explique principalement par le coût des charges salariales. En outre, le nombre des exploitations arboricoles de pommes diminue, leur taille s’agrandit et le besoin de qualifications des travailleurs s’accroît. Les producteurs de pommes ont de plus en plus recours à une main d’œuvre de salariés permanents. Les charges salariales composent désormais 40 à 60 % des charges des exploitations arboricoles et des stations de conditionnement.
Aussi, pour remédier à ces écarts de compétitivité, le rapporteur spécial juge utile d’étendre le dispositif d’exonération de cotisations sociales « TO-DE » aux salariés permanents.
Recommandation n° 4 : étendre le dispositif dit « TO-DE » d’exonération de cotisations sociales aux salariés permanents des exploitations agricoles.
2. Vers une revue générale des normes environnementales
Pour le rapporteur spécial, la complexité des réglementations en général et celle des réglementations environnementales en particulier constituent un autre élément amenuisant la compétitivité de nos produits à l’export.
a. L’évaluation des sur-transpositions de normes environnementales
Si les données scientifiques n’établissent pas de lien évident entre les réglementations environnementales et nos performances à l’export et qu’il n’existe pas de mesure permettant d’évaluer le niveau global des sur-transpositions de normes environnementales par rapport à ce qu’exige le droit européen, un certain nombre de cas concrets plaident pour une revue générale des normes environnementales afin d’identifier les sur-transpositions de normes à l’origine de distorsions de concurrence et d’envisager des évolutions législatives et réglementaires.
Les producteurs de pommes font ainsi face à des cumuls d’interdictions, pour certaines harmonisées au niveau européen, pour d’autres purement françaises. Ainsi, l’autorisation européenne de mise sur le marché du spirotétramate, substance active utilisée pour lutter contre les pucerons, a expiré le 30 avril 2024. Au niveau européen, l’alternative consiste à utiliser des substances néonicotinoïdes interdites en France par l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Il convient toutefois de relever qu’une dérogation a été instituée pour permettre aux producteurs de betteraves d’utiliser le spirotétramate jusqu’en juillet 2024, qua sa vente est autorisée jusqu’au 31 octobre 2024 et qu’il pourra être utilisé jusqu’au 31 octobre 2025. À terme, les arboriculteurs risquent néanmoins d’être dans une impasse liée à l’impossibilité d’utiliser tant le spirotétramate que les néonicotinoïdes.
b. L’activation des clauses européennes de reconnaissance mutuelle des traitements ne bénéficiant pas d’autorisations de mises sur le marché en France
Au-delà des problématiques de sur-transpositions de normes environnementales, certains produits autorisés dans d’autres pays ne bénéficient pas encore d’une autorisation de mise sur le marché en France. Pour pallier cette distorsion de concurrence, le plan de souveraineté en matière de fruits et légumes prévoit de mener un travail de recensement des produits et usages autorisés dans les autres États membres pouvant faire l’objet d’une demande de reconnaissance mutuelle en France. Le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques prévoit ainsi que les autorisations accordées par un État membre ou les conclusions de son évaluation sont acceptées par les autres États membres lorsque les conditions agricoles, phytosanitaires, environnementales et climatiques sont comparables.
Dans ce cadre, le comité des solutions mis en place par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a permis de mettre en lumière que les producteurs belges de poireaux bénéficient de 34 autorisations de mises sur le marché alors que les cultivateurs français n’en ont que 21. Dans le cas où ces produits n’ont pas fait l’objet d’autorisation de mise sur le marché en France, il pourra ainsi être utile d’activer les clauses européennes de reconnaissance mutuelle pour permettre aux producteurs français d’avoir accès à ces produits.
Recommandation n° 5 : mener un travail d’identification des produits et usages autorisés dans les autres États européens afin d’activer les clauses européennes de reconnaissance mutuelle et mener également un travail d’identification des sur-transpositions de normes environnementales à l’origine de distorsions de concurrence afin d’envisager des évolutions législatives et réglementaires.
c. Des interdictions de vente et des voies de recours multiples contre les projets de réserve d’eau préjudiciables aux producteurs français
D’autres interdictions paraissent peu pertinentes et laissent libre cours à la concurrence des produits d’importation. Ainsi, la vente de tomates issues de l’agriculture biologique sous serres chauffées était interdite entre le 21 décembre et le 30 avril. Les tomates d’importation issues de l’agriculture biologique disposaient donc d’un monopole de vente pendant l’hiver et le début du printemps jusqu’à ce que le Conseil d’État enjoigne à l’Institut national de l’origine et de la qualité d’abroger cette interdiction néfaste pour les producteurs français de tomates issues de l’agriculture biologique par un arrêt en date du 28 juin 2023.
Enfin, les complexités administratives et les multiples recours ouverts contre les créations de réserves d’eau peuvent constituer un poids pour les exploitations agricoles. Ainsi, une des moyens utilisés par les pomiculteurs pour éviter le gel précoce des récoltes consiste en l’aspersion d’eau. Or, de nombreux projets de création de réserves d’eau sont bloqués ou prennent du retard en raison du contentieux auxquels ils sont confrontés, ce qui a pour conséquence des pertes de 40 % de la récolte en moyenne lorsqu’il y a des gels particulièrement importants.
3. Le rapporteur spécial alerte sur les risques d’effets pervers induits par les objectifs du Pacte vert européen sur la production agricole
Enfin, pour le rapporteur spécial, le plafonnement des rendements agricoles et la dégradation de notre excédent commercial agricole mettent en lumière les limites du pacte vert européen et de la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Les objectifs de réduction significative d’usage des produits phytosanitaires enserrés dans des délais contraints envisagés par la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable et modifiant le règlement (UE) 2021/2115 doivent être revus. Cette proposition de règlement a été rejetée par le Parlement européen le 22 novembre 2023 et retirée par la Commission européenne.
Le rapporteur spécial considère que de tels objectifs ne doivent pas être repris car ils risqueraient d’affaiblir durablement les capacités de production de l’agriculture française et européenne. La proposition de règlement visait ainsi à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des risques associés de 50 % d’ici à 2030 par rapport à la période de référence 2015-2017.
Après la publication de la stratégie « De la ferme à la fourchette », plusieurs études avaient alerté sur les effets potentiellement récessifs de tels objectifs de réduction de pesticides :
– une étude du département américain de l’Agriculture([5]) anticipait une baisse de la production agricole européenne de l’ordre de 12 %, une hausse des prix alimentaires d’environ 17 % et une baisse du revenu des agriculteurs européens de 16 % ;
– le rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne ([6]) publié en juillet 2021 prévoyait également une baisse de la production agricole de l’ordre de 10 % à 15 % pour la plupart des produits agricoles d’ici 2030.
Il convient de rappeler les limites méthodologiques de ces études mentionnées dans le rapport de Rodrigo Arenas et Charles Sitzenstuhl sur la souveraineté alimentaire européenne (2024). Le modèle CAPRI utilisé par le Centre commun de recherche de la Commission ignore ainsi certaines initiatives portées par le Pacte vert (telle la moindre demande résultant de la réduction du gaspillage alimentaire) et la diversité des pratiques agronomiques. En outre, les anticipations de baisse de rendements ne tiennent pas compte des bénéfices associés à la restauration de la biodiversité et des effets induits par une transition agro-écologique brutale qui serait imposée par un appauvrissement accéléré des sols ou une rupture des approvisionnements en intrants.
Toutefois, le rapporteur spécial considère que, dans un contexte de plafonnement des rendements agricoles, de réduction annoncée de la démographie des agriculteurs et de la surface agricole utile, une telle transition ne peut être effectuée dans des délais aussi courts.
La reprise de cet agenda législatif devra tenir compte des déséquilibres concurrentiels et des baisses de rendements agricoles qu’impliquent de tels objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires en laissant davantage de temps à l’agriculture française et européenne pour faire évoluer leurs pratiques agronomiques.
C. rééquilibrer les relations commerciales avec les pays tiers
Le rapporteur spécial soutient que la multiplication des accords de libre-échange avec des pays caractérisés par un coût du travail et des pratiques agricoles incomparables aux nôtres est incompatible avec l’ambition agro-écologique de la France et du continent européen.
De nombreux accords de libre-échange ont été signés légèrement, sacrifiant l’équilibre économique d’une filière pour favoriser les exportations d’autres filières. Aussi, le rapporteur spécial considère qu’il faut se garder de signer d’autres traités de libre-échange et qu’il convient de renforcer les contrôles pour garantir le respect des normes européennes et françaises par les produits que nous importons.
1. L’accord euro-méditerranéen avec le Maroc (1996) : un cas d’école du traité de libre-échange instituant une concurrence déloyale
En 1996, l’Union européenne a signé un accord d’association euro-méditerranéen avec le Maroc libéralisant les importations de tomates depuis ce pays et mettant en concurrence les producteurs français de tomates dont le coût horaire de la main d’œuvre est de 12,80 euros avec des producteurs marocains dont le coût horaire de la main d’œuvre est de 0,74 euro.
En l’espace de 20 ans, la France est ainsi devenue le troisième importateur mondial de tomates, important un peu plus de 500 000 tonnes de tomates fraîches, principalement depuis le Maroc et l’Espagne.
Les maraîchers ont dû se replier sur la production de tomates cerises en haut de gamme mais subissent désormais la concurrence marocaine également pour ce produit : les importations de tomates cerises depuis le Maroc sont passées de 300 tonnes en 2005 à 70 000 tonnes aujourd’hui, comme le souligne le rapport des sénateurs Duplomb, Louault et Mérillou sur la compétitivité de la ferme France (2022).
Les évolutions de cet accord ne répondent pas à cette problématique de concurrence déloyale : ainsi, le nouvel accord signé entre l’Union européenne et le Maroc, entré en vigueur en 2012, plafonne les quotas d’exportations de pommes de l’Union européenne vers le Maroc à 4 500 tonnes quand les importations de tomates marocaines vers l’Union européenne sont plafonnées à 285 000 tonnes.
2. Si l’accord économique commercial global avec le Canada n’a pas encore produit tous ces effets, la représentation nationale doit pouvoir se prononcer sur sa ratification ou sa dénonciation
a. Un accord de libre-échange aux effets macro-économiques peu significatifs
Approuvé par le Parlement européen en février 2017, l’accord économique et commercial global est appliqué de manière provisoire depuis septembre 2017. Il prévoit la levée de 93,8 % des tarifs douaniers appliqués par l’Union européenne aux produits agricoles canadiens tandis que le Canada lève 91,7 % de ses droits de douane sur les exportations de produits agricoles européens.
7 ans après la mise en œuvre de l’accord, le bilan est relativement neutre pour le commerce extérieur français : les exportations françaises vers le Canada sont passées de 3,16 milliards d’euros en 2017 à 4,2 milliards d’euros en 2023 quand les exportations canadiennes vers la France sont passées de 3,13 milliards d’euros à 4,22 milliards d’euros, laissant apparaître un déficit commercial peu significatif de 23 millions d’euros. Selon les projections effectuées par le CEPII ([7]), à l’horizon 2035, la mise en œuvre de l’accord économique et commercial global se traduira par une progression plus importante des importations de la France en provenance du Canada (+ 40,4 %) que des exportations françaises vers ce pays (+ 13,74 %).
S’agissant de l’agriculture, l’application provisoire de l’accord a bénéficié aux filières des vins et spiritueux et des fromages. L’excédent commercial des vins et spiritueux a ainsi augmenté, passant de 475 millions d’euros à 591 millions d’euros entre 2017 et 2023 quand celui des produits laitiers est passé de 37 millions d’euros à 59 millions d’euros sur la même période.
Les inquiétudes portent sur les effets de l’accord sur la filière bovine, lesquelles ne se sont pas matérialisées pour l’instant. L’accord n’ayant pas encore été ratifié par l’ensemble des pays de l’Union européenne, le Canada n’a pas entrepris les investissements nécessaires pour se conformer aux exigences sanitaires européennes, ce qui explique que les importations françaises de viande bovine canadienne se limitent à 52 tonnes équivalent-carcasse en 2023.
Par ailleurs, des quotas d’importation ont été institués afin de prévenir un afflux massif de viande canadienne en Europe : un plafond de 45 840 tonnes est ainsi fixé pour les importations de viande de bœuf quand le plafond des importations de porc est fixé à 75 000 tonnes.
b. Des clauses miroirs insuffisantes
Comme le soulignait le rapport de la commission indépendante chargée d’évaluer l’impact de l’accord économique et commercial global sur l’environnement, le climat et la santé (2017), les conditions d’élevage du bœuf canadien diffèrent beaucoup du modèle européen. Les canadiens ont ainsi recours aux antibiotiques activateurs de croissance et l’engraissement des animaux s’effectue dans des feedlots dont 60 % comportent plus de 10 000 têtes.
La commission soulignait également que le Canada autorise 46 substances actives interdites en Europe tandis que les limites maximales de résidus de pesticides autorisées dans les produits alimentaires sont beaucoup plus élevées au Canada.
Afin de se prémunir de ces effets négatifs, l’accord prévoit deux clauses miroirs permettant de garantir le respect des réglementations européennes :
– l’interdiction des traitements hormonaux pour les animaux dans la viande importée ;
– l’interdiction d’utilisation de certains antimicrobiens ou de certains usages (promoteurs de croissance) pour les animaux élevés dans les pays tiers dont les produits seraient importés dans l’Union européenne, établie par le règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires.
Pour le rapporteur spécial, les garanties offertes par les autorités canadiennes sont insuffisantes. Ainsi, le règlement d’exécution 2024/399 de la Commission du 29 janvier 2024 modifiant l’annexe III du règlement d’exécution (UE) 2020/2235 et l’annexe II du règlement d’exécution (UE) 2021/403 en ce qui concerne les modèles de certificats pour l’entrée dans l’Union d’envois de certains produits d’origine animale et de certaines catégories d’animaux prévoit que l’absence de traitement des animaux avec des médicaments antimicrobiens destinés à favoriser leur croissance repose sur une simple attestation vétérinaire. Au surplus, cette interdiction ne sera applicable qu’en 2026.
Par ailleurs, le rapporteur spécial souligne que les autorités canadiennes ont transmis une demande à l’Autorité européenne de sécurité des aliments visant à autoriser l’importation de bœufs canadiens issus de carcasses décontaminées via de l’acide peroxyacétique, ce qui constitue un sujet d’inquiétudes tant pour les acteurs de la filière bovine que pour les consommateurs européens.
L’accord économique et commercial global prévoit un abaissement du taux de contrôle physique sur les produits animaux de 20 % à 10 % des lots dans les postes d’inspection aux frontières.
Par ailleurs, dans deux audits successifs (2019 et 2022), la Commission européenne a relevé des défaillances dans le système de contrôle canadien. Selon ces audits, il n’est pas garanti que les établissements autorisés à exporter vers l’Union européenne respectent les réglementations européennes. La traçabilité de la viande bovine, au Canada, repose sur des documents en version papier et pour lesquels des contrôles ont montré qu’ils pouvaient s’avérer incomplets ou contenir des informations fausses. Par ailleurs, les services de la Commission européenne ont identifié des risques de conflits d’intérêts pour les vétérinaires privés chargés de contrôler le respect des règles sanitaires dans la mesure où ces derniers sont rémunérés par les exploitants qu’ils contrôlent et à qui ils fournissent par ailleurs une assistance zootechnique et sanitaire.
Recommandation n° 6 : renforcer les moyens de la DGAL, de la DGCCRF et de la DGDDI pour leur permettre de contrôler le respect des normes par les produits importés.
d. La nécessité de soumettre la ratification de l’accord à l’approbation de la représentation nationale
Le rapporteur spécial s’émeut de ce qu’un accord de libre-échange s’applique provisoirement alors que l’autorisation de sa ratification a été adoptée par l’Assemblée nationale mais rejetée par le Sénat en première lecture.
En effet, en application de l’article 281 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sur proposition du négociateur, le Conseil a autorisé la signature de l’accord et son application provisoire avant son entrée en vigueur. Il a toutefois été approuvé par le Parlement européen.
En outre, le parlement chypriote a d’ores et déjà rejeté la ratification de l’accord, sans que le Gouvernement de Chypre ne se soit senti tenu de notifier ce rejet à la Commission européenne. Si tel avait été le cas, la Commission aurait alors été dans l’obligation de dénoncer l’accord et il ne s’appliquerait plus.
Le rapporteur spécial considère ainsi que la représentation nationale doit pouvoir de se prononcer sur cet accord et que le Gouvernement devrait alors notifier la décision du Parlement français à la Commission européenne.
Recommandation n° 7 : inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi, examiné par le Sénat le 21 mars 2024, relatif à la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part.
Lors de sa réunion de 21 heures 15, le mardi 4 juin 2024, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Franck Allisio, rapporteur spécial des crédits de la mission Économie : commerce extérieur, sur son rapport d’information sur la balance commerciale agricole, présenté en application de l’article 146, aliéna 3, du règlement de l’Assemblée nationale.
M. Franck Allisio, rapporteur spécial. En 2023, le solde commercial de la balance commerciale agricole affiche un excédent de 6,7 milliards d’euros, en recul de 3,6 milliards par rapport à l’année précédente. Cette diminution résulte principalement de la baisse des prix des céréales. Malgré cette bonne santé apparente, des disparités sectorielles importantes subsistent. Les excédents se concentrent essentiellement sur les filières des vins et spiritueux, des céréales et des produits laitiers. En revanche, le solde commercial des produits agricoles et alimentaires est en déficit de 8,5 milliards d’euros. En réalité, l’excédent commercial de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire diminue depuis dix ans, passant de 11,4 milliards d’euros en 2012 à 6,7 milliards d’euros l’an dernier. Nos parts de marché ont également reculé de 3 points depuis le début de l’année 2020. Nous sommes en outre, toutes filières confondues, en situation de déficit commercial vis-à-vis des autres pays européens depuis plusieurs années, atteignant 2,6 milliards d’euros en 2023. Le deuxième exportateur mondial que nous étions est désormais le sixième, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. La politique de montée en gamme de nos produits a bénéficié à certaines filières, à l’image des fromages bénéficiant d’une appellation d’origine protégée qui se vendent à un prix en moyenne 11,5 % plus cher que les fromages sans appellation. Cependant, dans d’autres filières, la montée en gamme conduit à des pertes de parts de marché et à une conquête du cœur de gamme de la consommation française par les importations. Le postulat selon lequel nous ne pouvons pas être compétitifs sur les prix et devons cibler des marchés de niche en haut de gamme aboutit à un recul de notre part de marché au sein de l’Union européenne. Certaines filières ont vu leur situation s’aggraver. Le déficit commercial des viandes est ainsi passé de 0,7 milliard d’euros en 2012 à près de 3 milliards d’euros en 2023. Celui des fruits et légumes est passé de 4,3 milliards d’euros en 2012 à 7,7 milliards d’euros en 2023. La filière des viandes de volaille, qui était en excédent dans les années 2000, affiche désormais un déficit de 1,23 milliard d’euros.
Le problème central que rencontre notre agriculture à l’export est celui de la compétitivité prix. Selon FranceAgriMer, notre perte de compétitivité s’explique principalement par le poids des consommations intermédiaires, telles que les fertilisants, les produits phytosanitaires et l’énergie, qui représentent près de 60 % du montant des recettes des exploitations agricoles de céréales, oléagineux et protéagineux par exemple. Certaines de nos filières sont par ailleurs marquées par un plafonnement des rendements, une décapitalisation du cheptel, voire une baisse de la production. Le nombre de vaches laitières a par exemple diminué de 400 000 têtes depuis 2015. Le solde commercial de l’agriculture française est enfin marqué par des flux croisés : nous exportons des produits bruts et importons des produits transformés. Notre déficit commercial en produits transformés avec l’Union européenne atteint 7,6 milliards d’euros, tandis que le solde commercial des produits bruts affiche un excédent de 5 milliards d’euros. La désindustrialisation affecte donc également l’industrie agroalimentaire, entraînant des délocalisations. Les travaux de la Cour des comptes révèlent que les industriels français transforment presque autant de lait en France qu’à l’étranger : ils transforment l’équivalent de 24 milliards d’euros de lait en France et 20 milliards d’euros de lait à l’étranger alors que les industriels allemands transforment 6 fois plus de lait en Allemagne par rapport à leurs activités de transformation à l’étranger.
En matière de soutien aux exportations agricoles, en plus des conseillers mobilisés par Business France, 47 millions d’euros de garanties sont accordées par BPIfrance pour les contrats d’export et 8 millions d’euros de crédits budgétaires sont mobilisés par le ministère de l’Agriculture pour soutenir l’export au travers de SOPEXA et Business France. Par ailleurs, 6,4 milliards d’euros d’allègements de cotisations sociales et 1,63 milliard d’euros de dépenses fiscales contribuent au soutien de la compétitivité des exportations agricoles. Si nos performances à l’export dépendent principalement de la compétitivité de nos produits, il me semble pertinent de réintroduire des outils tels le chèque relance export ou d’augmenter le budget de l’assurance-prospection pour aider les producteurs dont la surface financière est limitée et qui ont besoin d’un soutien pour trouver des importateurs et stabiliser leur modèle d’affaires.
Cela dit, sans abandonner la stratégie de montée en gamme pour les filières où elle permet d’accumuler des excédents à l’export, la priorité doit être d’améliorer cette compétitivité. Dans les filières les plus intensives en main-d’œuvre comme les fruits et légumes, il serait pertinent d’envisager l’extension du dispositif TO-DE aux salariés permanents. La réduction du coût du travail constitue également un enjeu majeur pour l’industrie alimentaire.
Par ailleurs, alors que les rendements plafonnent dans de nombreuses filières, je doute de la pertinence d’imposer des objectifs de réduction de pesticides aussi drastiques que ce que prévoyait la proposition de règlement « SUR », abandonné depuis, et le pacte vert européen, qui vise une diminution de 50 % des usages de pesticides. Dans une étude publiée en 2021, le centre commun de recherche de la Commission européenne avait anticipé une baisse de production de 10 à 15 % si cet objectif était imposé. Ces études sont à prendre avec précaution mais il faudra rester vigilant quant aux législations européennes qui pourraient prendre le relais de ce règlement.
Enfin, je souhaite aborder la nécessaire protection des producteurs agricoles. L’Union européenne a signé, à mes yeux légèrement, des traités de libre-échange désavantageant certaines filières, à l’exemple de l’accord euro-méditerranéen signé en 1996 avec le Maroc. En conséquence, nous importons un tiers des tomates fraîches consommées en France et près de 85 % des tomates transformées. De même, la levée des dernières barrières tarifaires avec l’Ukraine nous met en concurrence avec des filets de poulet ukrainiens produits dans des fermes-usines à un coût de trois euros le kilo.
L’Assemblée a voté une résolution demandant au Gouvernement d’inscrire à l’ordre du jour le projet de loi visant à la ratification du traité de libre-échange avec le Canada. Quand allez-vous le faire ? Si l’Assemblée nationale rejette cette ratification, comme l’a fait le Sénat, allez-vous notifier à la Commission européenne le refus français de ratifier cet accord ? Plus largement, quelle est la stratégie du Gouvernement pour redresser notre déficit commercial vis-à-vis de l’Union européenne, notamment concernant les filières les plus en difficulté ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. L’industrie, confrontée à une concurrence internationale, partage de nombreuses problématiques avec l’agriculture, notamment en matière de modernisation, de robotisation et de décarbonation. Ces enjeux sont essentiels pour la compétitivité de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire, qui représente le premier secteur industriel français avec plus de 400 000 emplois. L’agriculture est intrinsèquement liée à la biodiversité, à la gestion de l’eau et à notre rapport à la nature. Nous sommes convaincus que la France et l’Europe doivent rester des terres d’exploitation agricole malgré les tempêtes à venir. Nos terres fertiles et notre climat sont des atouts majeurs, même face à l’instabilité climatique qui nous menace. L’agriculture française et européenne doit continuer à nourrir les populations locales tout en maintenant des relations équilibrées avec le commerce international. Il est essentiel de ne pas fermer les portes du commerce extérieur, car cela pourrait entraîner des conséquences négatives. Je souhaite une agriculture française capable de nourrir la France et l’Europe tout en continuant à exporter, comme elle le fait déjà dans plusieurs secteurs. Les résultats de la politique agricole commune (PAC), soutenue par la France et l’Union européenne, ont permis à l’Europe de devenir le premier exportateur mondial. Ce modèle est également social, car il assure à nos agriculteurs un traitement et une reconnaissance proportionnels à leur contribution à la société. Bien que nous souhaitions que nos agriculteurs gagnent davantage, il est indéniable que leurs revenus sont en grande partie assurés par la PAC. Votre rapport, qui examine l’évolution sur le long terme, pourrait souligner que depuis sept ans, la situation tend à s’améliorer. Depuis 2017, après une période difficile, les conditions se sont améliorées. Il est également important de mentionner que la guerre en Ukraine a provoqué de fortes perturbations sur les marchés. Malgré ces perturbations, les exportations françaises ont bien résisté en 2022 et 2023, progressant même en valeur et en volume.
Je tiens en outre à souligner que la France exporte majoritairement des produits bruts et peu de produits transformés, et se positionne comme le premier pays de l’Union européenne en termes d’entreprises agricoles et agroalimentaires. Il est donc essentiel de mettre l’accent sur l’industrie agroalimentaire, qui constitue le premier secteur industriel français. Nous y parvenons grâce à des aides à la robotisation, à la décarbonation, à l’innovation, ainsi qu’à la réduction des impôts de production. En 2022, nous avons enregistré 54 ouvertures nettes dans le secteur de l’agroalimentaire, et 47 en 2023. Nous assistons ainsi à une réouverture des industries agroalimentaires en France. Je considère que la transition écologique représente une opportunité, à condition de pouvoir accompagner les secteurs concernés. Il est impératif de viser une norme de qualité et d’excellence environnementale tout au long de la filière, et de veiller à l’application simple des normes négociées. C’est le sens des annonces du Premier ministre : pas de hausse de la taxe sur les carburants, des aides pour les éleveurs touchés par la maladie hémorragique épizootique, des aides pour l’agriculture biologique, un plan de soutien à l’agriculture, des mesures de simplification, et la rationalisation des produits de la PAC. Les exploitations agricoles exemplaires bénéficient de sanctions allégées en termes de conditionnalité de la PAC. Nous organisons également des dérogations temporaires face aux conditions climatiques imprévues. Le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire s’engage à faire des annonces supplémentaires lors du congrès des jeunes agriculteurs.
Nous devons accompagner les agriculteurs afin qu’ils puissent atteindre trois objectifs : être compétitifs, réussir leur transition et bien vivre. Pour cela, nous mettons notamment en place des aides à l’investissement et un système d’assurance couvrant les entrants. Si je salue les actions de Business France et de BPIfrance, je suis en revanche réservé sur l’idée de gratuité des accompagnements à l’export, ainsi que sur la fin de la facturation des prestations d’accompagnement à l’export. Cela permet, selon nous, d’éviter les effets de dispersion et de concentrer les efforts d’accompagnement. Nous nous situons dans la moyenne européenne du financement public de l’aide à l’export.
Sur la compétitivité, nous devons continuer à progresser sans sacrifier les normes environnementales, qui doivent garantir la qualité sans être trop contraignantes. Vous mentionnez les effectifs des administrations, déjà en croissance pour 2024. En ce qui concerne le CETA, je rappelle que nous disposons du rapport de la mission parlementaire, qui suit les effets de l’accord sur les filières sensibles. Je souligne que cet accord a eu un impact extrêmement positif sur la filière laitière et celle des vins, sans impact négatif sur les autres filières, y compris le secteur bovin, initialement inquiet. La publication des études de la Commission devra également nous éclairer sur ses impacts économiques, sociaux et environnementaux.
M. le président Éric Coquerel. Ce rapport doit être mis en relation avec la grave crise et la mobilisation que nous avons connues il y a quelques mois. Il est essentiel que les producteurs puissent vivre de leur travail et de leur production. Ils ont besoin d’un prix garanti et rémunérateur. Il est également crucial d’examiner, d’une part, les marges réalisées sur les producteurs par certaines entreprises de transformation et, d’autre part, la concurrence déloyale due à l’importation de produits cultivés selon des normes environnementales et réglementaires moins strictes que les nôtres. La solution me semble être de protéger nos exploitations contre ces importations. Il existe une vaste zone de libre-échange avec ces produits importés, ce qui crée une concurrence pour nos producteurs.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Même sans accords de libre-échange, les exportations et les importations existent déjà. Ces accords ne sont pas simplement des moyens d’ouvrir les portes de la France à des produits venus du monde entier, mais l’occasion de renforcer des normes, y compris environnementales. Nous affirmons que le CETA est un bon accord, d’ailleurs voté par l’Assemblée nationale.
Mme Véronique Louwagie (LR). Si nous souhaitons une balance commerciale agricole solide, nous devons soutenir nos agriculteurs, notamment dans le domaine de l’élevage. Entre 2010 et 2020, la France a perdu 100 000 agriculteurs, entraînant une baisse de 12 % de la population bovine en six ans, soit une perte de 900 000 vaches. Sans éleveurs et sans industrie alimentaire, nous n’aurons pas d’exportations, mais des importations. Les agriculteurs ont besoin de reconnaissance et de considération.
M. Pascal Lecamp (Dem). À la fin des années 1990, une solution a été adoptée pour répondre à la question du libre-échange, en lien avec l’OMC, cadre essentiel pour améliorer les accords commerciaux. Le meilleur accord de libre-échange actuellement en vigueur est celui du marché européen. Parvenir à instaurer un marché unique mondial serait une victoire pour tous. La taille des exploitations et des entreprises de l’industrie de transformation constitue une spécificité française à préserver, qui ne doit pas être uniquement envisagée sous l’angle de la compétitivité, mais également en termes de contribution à nos territoires, à la diversité de nos productions et à nos AOC. Concernant le CETA, il est à noter que cet accord a permis l’ajout de 42 appellations de fromages supplémentaires, augmentant ainsi leur quota. En six ans, nous avons observé une augmentation de 60 % des exportations, mais 98 % des exportations seraient impactées si les accords de libre-échange venaient à disparaître.
Vous affirmez également qu’il est nécessaire d’introduire des clauses miroirs, qui constituent un outil essentiel du commerce extérieur, particulièrement dans le contexte de libre-échange. Cette position, défendue par la France au sein de l’Union européenne, constitue la meilleure réponse à cette nouvelle situation internationale. Ne pourrions-nous pas renforcer les services douaniers, voire vétérinaires, pour garantir l’application systématique de ces clauses miroirs dans les années à venir ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Tous les projets de loi votés visent à garantir que nos agriculteurs puissent vivre décemment de leur travail. Si les revenus agricoles sont globalement satisfaisants, le véritable défi réside dans la distribution de ces revenus, qui, dans certains secteurs et pour les petites exploitations, reste insuffisante.
Concernant notre capacité à contrôler, il s’agit évidemment d’un sujet de première importance qui doit être abordé au niveau européen. Nous disposons de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui accomplit un travail remarquable. Toutefois, les produits agricoles circulent librement en Europe. Le défi majeur consiste à renforcer les contrôles. La France se bat pour les clauses miroirs et continuera à le faire dans le cadre de la prochaine Commission.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Franck Allisio.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Coordination rurale – Union nationale *
– Mme Véronique Le Floc’h, présidente.
Confédération paysanne *
– Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale.
Association nationale interprofessionnelle des fruits et légumes transformés (ANIFELT) *
– Mme Victoire Cassignol, directrice générale ;
– M. Adrien Mary, président de l’Afidem.
Interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL) *
– M. Alexis Degouy, directeur général ;
– M. Daniel Soares, directeur international ;
– M. Éric Guasch, président de la commission internationale.
Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) *
– M. Arnold Puech d’Alissac, membre du bureau ;
– M. Xavier Jamet, directeur des affaires publiques ;
– M. Roch Marie Stern, chargé d’études économiques – PAC ;
– M. Hugo Bernard, chargé de mission aux Affaires Publiques.
Comité interprofessionnel des vins de Provence
– M. Brice Eymard, directeur général.
Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises
– M. Philippe Duclaud, directeur général ;
– M. Frédéric Lambert, chef du service Europe et International ;
– Mme Françoise Simon, sous-direcrice International ;
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
([1]) Direction générale du Trésor, Comment expliquer la réduction de l’excédent commercial agricole et agroalimentaire ?, 2018, Note Trésor-éco.
([2]) Centre d’études et de prospective, Dégradation de l’excédent commercial agricole et agroalimentaire
français : principaux facteurs explicatifs, 2021.
([3]) France Agrimer, Compétitivité des filières agroalimentaires françaises, 2021
([4]) Peter van Horne, Competitiveness of the EU poultry meat sector base year 2017, université de Wageningen, 2018.
([5]) Jayson Beckman et al., Economic and Food Security Impacts of Agricultural Input Reduction Under the European Union Green Deal’s Farm to Fork and Biodiversity Strategies, USDA, novembre 2020.
([6]) Jesus Barreiro-Hurle et al., Modelling environmental and climate ambition in the agricultural sector with
the CAPRI model, JRC Technical Reports, 29 juillet 2021.
([7]) CEPII, Évaluation macro-économique des impacts de l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, rapport d’étude n° 2019-01, juin 2019