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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur les défis et stratégies pour une gestion durable et optimisée
du patrimoine immobilier de l’État
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Mohamed LAQHILA,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
LISTE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
I. L’État est À la tête d’un parc immobilier très vaste et diversifiÉ
B. Le Patrimoine immobilier de l’État est diversifiÉ et concentré autour de quelques ministÈres
I. l’organiSATION de l’immobilier de l’État souffre d’importantes limites
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Occupant près de 96 millions de mètres carrés, le parc immobilier de l’État constitue la première surface foncière de France et le premier parc public d’Europe. Plus qu’un ensemble de bâtiments et de terrains, notre patrimoine immobilier est un puissant levier de modernisation de l’action publique, qui doit constamment s’adapter aux nouvelles exigences de la transition écologique et énergétique et à la digitalisation des modes de travail.
Aussi, le rapporteur spécial a souhaité consacrer ses travaux d’évaluation aux défis et aux stratégies pour une gestion durable et optimisée du patrimoine immobilier de l’État. Alors que de nombreuses règles bâtimentaires sont imposées à nos concitoyens et aux entreprises, l’État doit montrer l’exemple en disposant d’un parc adapté aux missions de service public dont il a la charge, modulable en fonction de l’évolution des besoins des agents et des usagers, et économe dans un contexte environnemental et budgétaire particulièrement dégradé.
Le rapporteur spécial a ainsi identifié deux axes de réflexion. Le premier est celui de la connaissance par l’État de son propre patrimoine immobilier, que ce soit l’exhaustivité du parc, la vétusté de ses biens ainsi que leur valeur. En effet, aucune politique immobilière ne pouvant être conçue, puis mise en œuvre, sans disposer d’un inventaire complet du patrimoine et de son état. Le second concerne l’organisation de la fonction immobilière au plus haut niveau de l’État, le Gouvernement ayant récemment annoncé la création d’une foncière publique, qui constituera la plus grande évolution de la politique immobilière de ces vingt dernières années.
Pour cela, le rapporteur spécial a souhaité étudier l’immobilier public d’autres États européens afin d’identifier des modes de gestion vertueux dont pourrait s’inspirer notre pays. Il a également entendu les responsables de grands groupes privés disposant d’un patrimoine immobilier important et qui sont parvenus à mettre en place une fonction immobilière performante et agile.
À l’issue de ses travaux, le rapporteur spécial constate que la connaissance par l’État de son parc immobilier demeure lacunaire. S’il dispose d’une vision relativement exhaustive de son contenu, des marges de progrès importantes demeurent s’agissant de l’état des biens et de leur valorisation (Première partie). Face aux limites de l’organisation actuelle de la fonction immobilière, le projet de foncière publique annoncée par le Gouvernement et inspiré de nombreux exemples étrangers et du secteur privé semble être la bonne solution, à condition de respecter certains principes pour qu’une réforme d’une telle ampleur soit un succès (Seconde partie).
LISTE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL Recommandation n° 1 : Mettre en place des outils communs de mesure de l’état et des coûts des biens immobiliers après recensement des bonnes pratiques auprès des différents ministères. Recommandation n° 2 : Enrichir le DPT-PIE d’un indicateur relatif au niveau de satisfaction des occupants, agents comme usagers, des biens immobiliers. Recommandation n° 3 : Développer un plan de contrôle interne afin de s’assurer de la fiabilité des données immobilières renseignées dans le SIIE, et prévoir un indicateur de cette fiabilité. Recommandation n° 4 : Faire du développement et de la mobilisation des connaissances en sciences des données une priorité de la politique immobilière de l’État afin de concevoir des outils dynamiques et proactifs de suivi de l’inventaire. Recommandation n° 5 : Opérer un lien entre le système d’information de l’immobilier de l’État et la base de données nationale des bâtiments du Centre scientifique et technique du bâtiment, afin d’enrichir l’inventaire de données supplémentaires. Recommandation n° 6 : Définir des objectifs chiffrés et crédibles pour chacune des priorités de la politique immobilière de l’État dans le DPT-PIE. Recommandation n° 7 : Définir un calendrier de mise en œuvre de l’objectif de réduction des surfaces occupées par l’immobilier de l’État. Recommandation n° 8 : Mettre en place un tableau de bord de pilotage de la politique immobilière de l’État reposant sur des indicateurs pertinents et distinguant le volet propriétaire du volet occupant. Recommandation n° 9 : Conduire le projet de mise en œuvre de la foncière immobilière en veillant au respect des principes suivants : un périmètre le plus large possible ; la progressivité de la réforme ; un portage politique au plus haut niveau ; l’association de l’ensemble des acteurs concernés aux travaux ; une organisation en filiales est possible, mais une architecture par ministère est à exclure ; la mise en place de la foncière devra s’accompagner d’une réflexion plus générale sur l’évolution de la gouvernance de la politique immobilière de l’État et de son architecture budgétaire.
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PremiÈre partie :
La connaissance du parc immobilier de l’État, prérequis pour concevoir et mettre en œuvre une politique immobilière ambitieuse, doit être améliorée
I. L’État est À la tête d’un parc immobilier très vaste et diversifiÉ
A. Le parc immobilier français est d’une ampleur considérable par rapport À d’autres pays européens et acteurs privés
L’État, ses établissements publics et ses opérateurs occupent au 31 décembre 2023 une surface utile brute de 95,9 millions de mètres carrés. Ce parc est d’une ampleur considérable en comparaison avec les autres pays européens (60 millions de mètres carrés pour l’Allemagne, ou encore 11,7 millions de mètres carrés pour les Pays-Bas) et les acteurs du secteur privé (la SNCF, deuxième propriétaire foncier de France derrière l’État, occupe une surface de 7,7 millions de mètres carrés, contre 5,9 millions de mètres carrés pour le groupe La Poste).
Cette surface, répartie entre 194 456 bâtiments et 30 918 terrains, est en baisse sur les dix dernières années, passant de 101,2 millions de mètres carrés en 2013 à 95,9 millions de mètres carrés en 2023, soit une diminution de 5,2 %.
Évolution de la surface occupée du parc immobilier de l’État
(en millions de mètres carrés de surface utile brute, au 31 décembre)
Source : DPT « Politique immobilière de l’État » annexés aux projets de loi de finances.
La notion d’occupation ne recouvre pas nécessairement celle de propriété : 72 % de la surface occupée correspondent à des biens possédés par l’État, les 28 % restants lui étant mis à disposition par d’autres entités.
B. Le Patrimoine immobilier de l’État est diversifiÉ et concentré autour de quelques ministÈres
Le patrimoine immobilier de l’État se caractérise par la grande diversité de ses actifs. Ainsi, le parc se compose essentiellement d’immeubles de bureau (22,9 millions de mètres carrés, soit 24 % du parc), de bâtiments d’enseignement (20,2 millions de mètres carrés, soit 21 %) et de logements (18,3 millions de mètres carrés, soit 19 %). Il est complété par des bâtiments techniques, des bâtiments sanitaires ou sociaux, ainsi que des bâtiments historiques culturels liés notamment à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Un cinquième de la surface occupée se situe dans la région Île-de-France. 4 % des biens sont localisés en outre-mer et 3 % à l’étranger.
Trois ministères occupent plus des deux tiers de la surface totale du parc : le ministère des armées (25 millions de mètres carrés, soit 26 % de la surface), le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (24,5 millions de mètres carrés, soit 26 %, essentiellement les universités) et le ministère de l’intérieur (15,4 millions de mètres carrés, soit 16 %). Les sites multi-occupants représentent quant à eux 5 millions de mètres carrés.
II. SI les outils numériques permettent aux services du domaine de disposer d’une vision exhaustive du parc, des marges de progression importantes demeurent s’agissant de l’état des biens et de leur valorisatioN
A. Les services du domaine ont progressivement mis en place un système d’information permettant de disposer de nombreuses données ImmobiliÈres
Le Domaine a mis en place dès 2009 le système d’information de l’immobilier de l’État (SIIE), commun aux services de l’État, à partir du module RE-FX du progiciel de gestion intégrée Chorus, qui permet de retracer l’inventaire physique des biens immobiliers de l’État et de ses opérateurs. Le recensement des biens est réalisé de façon permanente par les services des directions régionales et départementales des finances publiques, pilotés par la DIE qui s’assure de la qualité des données renseignées.
Le SIIE a par la suite été enrichi d’applications interministérielles afin d’apprécier l’état du parc, notamment :
– Le référentiel technique (RT), qui recueille l’ensemble des données techniques, réglementaires et d’exploitation des bâtiments (état de vétusté du bien, consommations énergétiques grâce notamment à l’outil de suivi des fluides interministériel [OSFi], accessibilité, risque amiante, respect des contrôles réglementaires, etc.) ;
– L’outil d’aide au diagnostic (OAD), qui permet de visualiser les données pour l’ensemble d’un parc (d’un ministère ou d’une région par exemple), là où le RT n’offre une vision qu’à l’échelle d’un bâtiment. L’OAD permet ainsi d’identifier les biens les plus vétustes, les plus consommateurs d’énergie ou encore ceux présentant un risque amiante nécessitant des travaux de mise aux normes.
Le RT et l’OAD permettent de calculer une note de complétude des données à l’échelle d’un bien ou d’un parc. Celle-ci se base sur seize critères répartis en trois catégories de données : les données générales (surface, nombre de résidents, etc.), les données techniques (état de vétusté, d’accessibilité du bien, etc.) et les données d’exploitation (consommation d’énergie, d’eau, charges, etc.). Le niveau de renseignement de ces données se traduit par un certain nombre de points, complétés par d’autres points attribués à partir de contrôles de cohérence. La note globale peut ainsi compter jusqu’à 275 points, avec un seuil de 240 points défini par la DIE afin de considérer que les données sont suffisamment fiables pour construire une stratégie immobilière robuste. Au 16 mai 2023, la note de complétude moyenne s’élevait à 192 points pour l’ensemble des bâtiments et à 218 points pour les immeubles de bureau.
Selon la Cour des comptes ([1]), le SIIE comptait 9 355 utilisateurs début 2023. Le RT et l’OAD constituent les principaux outils de collecte de données avec environ 2 800 utilisateurs. Afin de renforcer l’alimentation du SIIE, une instruction du ministre délégué chargé des comptes publics du 15 juin 2023 est venue conditionner l’octroi des crédits immobiliers interministériels à la tenue à jour des données du RT et de l’OFSi.
À côté de ce système d’information commun, certains ministères et opérateurs ont mis en place leurs propres applications : ministère des armées (outil de gestion domanial de la défense, G2D), de la justice (Patrimmo), de l’intérieur (Géaude), direction générale de l’aviation civile (Gesimmo). Celles-ci ne sont toutefois pas toujours interfacées avec Chorus RE-FX ni avec le RT.
Le numérique a constitué un axe de réflexion important de la DIE lors de ces dernières années. Ainsi, elle a mis en place depuis 2023 un « SI Data » destiné à collecter, transformer et valoriser les données mises à jour au sein du SIIE afin d’interagir avec des systèmes tiers. Elle s’est également dotée d’un pôle « Data » composé d’experts analystes des données et dont l’offre de service a vocation à être élargie aux autres administrations de l’État. Enfin, une politique de libre accès aux données (open data) immobilières dont l’État est propriétaire et/ou occupant a été mise en place à partir du SIIE, portant sur près de 60 % des bâtiments.
Cartographie du système d’information de l’immobilier de l’État
Source : Cour des comptes.
B. Des marges de progression importantes demeurent s’agissant de l’État des biens ainsi que de la valorisation comptable du patrimoine immobilier
Les services du Domaine doivent disposer de quatre types de données afin de piloter la gestion du parc l’immobilier : l’inventaire physique (emplacement, surface, type de lieu, etc.), son état (vétusté, accessibilité, mise aux normes, etc.), ses coûts (d’utilisation, d’entretien) et sa valeur (comptable, commerciale).
1. Si l’exhaustivité du parc est bien connue, la connaissance technique et de l’état de santé des biens doit être améliorée
Le perfectionnement des outils du SIIE et les campagnes successives de fiabilisation des données permettent à l’État d’avoir une description assez fidèle du contenu de son parc immobilier.
En revanche, la connaissance de l’état des biens et de leurs coûts de fonctionnement est largement perfectible. La Cour des comptes considère ainsi dans son rapport de décembre 2023 consacré à la politique immobilière de l’État, dont les rapporteurs ont été auditionnés par le rapporteur spécial, que les données dont dispose la DIE pour caractériser l’état du parc, et donc évaluer la nature et le coût des travaux de rénovation à entreprendre, « sont assez lacunaires ». Cette analyse, partagée par le Conseil de l’immobilier de l’État (CIE) ([2]), était déjà formulée par le Sénat dans un rapport d’information de 2017 selon lequel « la connaissance de (l’état du parc immobilier de l’État) et de ses caractéristiques techniques et économiques est très lacunaire et ne permet guère l’élaboration d’une stratégie globale d’intervention »([3]).
Plusieurs éléments viennent étayer ce constat :
– Alors qu’un indicateur de l’état de vétusté des biens, portant sur les bâtiments de bureau, de logement et d’enseignement supérieur et de recherche, est disponible dans le document de politique transversale consacré à la politique immobilière de l’État (DPT-PIE) annexé au projet de loi de finances de l’année, avec quatre niveau de cotation (très satisfaisant, satisfaisant, peu satisfaisant et pas satisfaisant), cette information n’est complète que pour 43 % de l’échantillon s’agissant du PLF pour 2024. Le cas échéant, 7 % des biens sont jugés dans un état peu ou pas satisfaisant. Ce faible taux de complétude rend difficile l’appréciation de l’état du parc ;
– Si les données générales relatives aux biens immobiliers sont relativement bien renseignées, les données techniques et surtout celles d’exploitation font davantage défaut. Aussi, le rapporteur spécial recommande que la DIE mette en place, avec les directions immobilières des ministères, des outils communs de mesure de l’état et des coûts des biens immobiliers, en s’inspirant des bonnes pratiques recensées auprès des administrations ;
Recommandation n° 1 : Mettre en place des outils communs de mesure de l’état et des coûts des biens immobiliers après recensement des bonnes pratiques auprès des différents ministères.
– Contrairement à d’autres pays européens ([4]), il n’existe pas en France, d’indicateur de satisfaction des utilisateurs des bâtiments de l’État, agents comme usagers. Le Danemark, la Finlande ou encore la Lettonie mènent régulièrement des enquêtes de satisfaction qui leur permettent d’évaluer l’environnement de travail et de connaitre les besoins des utilisateurs des biens afin d’adapter leur parc. Le rapporteur spécial propose de se doter d’un tel indicateur.
Recommandation n° 2 : Enrichir le DPT-PIE d’un indicateur relatif au niveau de satisfaction des occupants, agents comme usagers, des biens immobiliers.
– La connaissance de la consommation énergétique des bâtiments reste partielle.
Dans son rapport de 2023 précité, la Cour des comptes considère que les lacunes de fiabilité et de complétude des données immobilières ont notamment pour origine le fait que les acteurs qui saisissent les données immobilières sont les administrations occupantes dans le cadre de la gestion courante des bâtiments, et non les utilisateurs directs des applications d’inventaire. Ces agents ont ainsi une faible incitation à renseigner les données, parfois complexes, d’autant que l’utilisation de certaines applications s’avère compliqué en pratique. La DIE reconnait de réelles lacunes de qualité des données, qui peuvent être soit absentes soit non actualisées au sein du RT pour diverses raisons (manque de moyens humains, manque de connaissances techniques suffisantes, etc.). La mise à jour des données constitue en pratique un travail peu valorisé et souvent perçue comme une contrainte formelle. Les différentes applications de l’inventaire, si elles deviennent de plus en plus efficaces, souffrent dès lors d’un défaut de fiabilité des données dès l’origine.
Le rapporteur spécial réitère la recommandation de la Cour à destination du ministère de l’économie et des finances de développer un plan de contrôle interne afin de s’assurer de la fiabilité des données immobilières renseignées dans le SIIE, et de prévoir un indicateur de cette fiabilité.
Recommandation n° 3 : Développer un plan de contrôle interne afin de s’assurer de la fiabilité des données immobilières renseignées dans le SIIE, et prévoir un indicateur de cette fiabilité.
En l’absence de données fiabilisées, l’État n’est pas en mesure d’avoir une vision complète de son inventaire et ainsi de définir correctement sa politique immobilière, reposant sur des doctrines d’arbitrage claires et des stratégies d’intervention sur son parc. Faute d’information fiable, les ministères peuvent être conduits à prendre de mauvaises et coûteuses décisions sur le long terme, notamment en favorisant des nouveaux projets immobiliers au détriment de l’entretien ou de la rénovation du foncier existant.
Si la connaissance parfaite du parc est une cible illusoire, une telle situation ne saurait être satisfaisante. Des acteurs du secteur privé sont pourtant parvenus à mettre en place des outils de suivi de leur inventaire complets et réactifs. Le rapporteur spécial a notamment auditionné les représentants de La Poste Immobilier, foncière intégralement détenue par le groupe La Poste et gérant l’ensemble des actifs de ce dernier, qui dispose d’une base de données patrimoniales de l’ensemble du parc, actualisée en temps réels au fil des acquisitions et cessions et qui permet d’anticiper l’évolution du parc. La Poste Immobilier estime « très bonne » la connaissance de son parc, ses outils lui permettant de connaître « toutes les caractéristiques physiques et administratives des immeubles, leur état d’occupation, leurs baux, leurs budgets de gros entretien prévisionnel, les plans locaux d’urbanisme qui les affectent, les dernières évaluations, etc. ».
Si ce cas ne peut être directement transposé à l’État au regard des fortes spécificités de son parc, il invite à utiliser les avancées en matière de sciences des données pour concevoir de nouveaux outils et passer d’un système de gestion reposant sur un inventaire statique à un système d’information dynamique qui permette de piloter finement le parc immobilier.
Recommandation n° 4 : Faire du développement et de la mobilisation des connaissances en sciences des données une priorité de la politique immobilière de l’État afin de concevoir des outils dynamiques et proactifs de suivi de l’inventaire.
Par ailleurs, le rapporteur spécial recommande d’enrichir les données du parc en opérant un lien entre le SIIE et la base de données nationale des bâtiments développée par le Centre scientifique et technique du bâtiment, établissement public affilié au ministère chargé du logement, qui établit pour les bâtiments résidentiels et non résidentiels français une fiche d’identité détaillée avec plus de 400 informations disponibles (morphologie des bâtiments, matériaux constitutifs et équipements techniques, consommation et performance énergétiques, etc.) grâce au regroupement de nombreuses bases publiques (base Mérimée pour les sites classés « monuments historiques », diagnostic de performance énergétique DPE, base d’ENEDIS pour les points de livraison et la thermosensibilité des biens, base de l’Arcep pour le haut et très haut débit, etc.).
Recommandation n° 5 : Opérer un lien entre le système d’information de l’immobilier de l’État et la base de données nationale des bâtiments du Centre scientifique et technique du bâtiment, afin d’enrichir l’inventaire de données supplémentaires.
2. La valorisation comptable du patrimoine immobilier de l’État, en hausse ces dix dernières années, est régulièrement assortie de réserves
La valeur du parc immobilier de l’État est déterminée chaque année pour chaque bâtiment dans le cadre de la comptabilité générale. Au 31 décembre 2023, le patrimoine immobilier de l’État était évalué à 73,7 milliards d’euros, en hausse de 0,4 milliards d’euros par rapport à 2022 et de près de 26 % sur les dix dernières années.
Évolution de la ValORISATION du PARC immobilier de l’État
(en milliards d’euros au 31 décembre)
Source : DPT « Politique immobilière de l’État » annexé au PLF pour 2024.
Cette valorisation a fait l’objet de réserves de la part de la Cour des comptes dans son acte de certification des comptes de l’État relatif à l’exercice 2023, reprenant un constat dressé de façon récurrente dans ses précédents actes. Par exemple :
– Les informations renseignées dans le progiciel Chorus ne concordent pas avec celles figurant dans les applications de gestion immobilière des ministères des armées et de la justice, ainsi que les directions générales de la gendarmerie nationale et de l’aviation civile. Interrogé sur ce point, le ministère des armées a indiqué au rapporteur spécial que si son outil d’inventaire G2D transmettait des données à la DIE pour être intégrées dans le module RE-FX, certaines informations immobilières ne pouvaient être partagées au niveau interministériel pour des raisons de sécurité ;
– En ce qui concerne les bâtiments de bureaux et de logements, les vérifications réalisées chaque année depuis 2018 sur une centaine de sites font systématiquement ressortir, dans un quart des cas en moyenne, une ou plusieurs anomalies (superficies non documentées, absence de visite sur place, données utilisées à des fins de comparaison peu pertinentes, défaut de justification des décotes appliquées, etc.).
De récentes évolutions de méthode ont eu lieu afin de disposer d’une vision plus fidèle de la valorisation du parc. L’article 30 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que les normes comptables utilisés par l’État sont celles employées par les entreprises, soit une évaluation au coût des biens ([5]), sauf lorsque des spécificités des biens le justifient.
Une exception était jusqu’alors appliquée aux immeubles de bureau et de logement, évalués suivant la valeur vénale, qui se réfère à l’état d’un marché ([6]). Cette dernière ayant fait l’objet de réserves de la part de la Cour des comptes, c’est la valorisation au coût historique amorti qui est appliquée depuis le 1er janvier 2024. Cette évolution est censée simplifier et harmoniser les méthodes de comptabilisation, la méthode de la valeur vénale supposant de recourir à une valeur marchande qui n’était pas disponible pour certains cas très spécifiques. L’application de cette méthode sur la longue durée permettra de disposer d’une valeur fiable du parc, dont la DIE considère qu’il est aujourd’hui surévalué.
La Cour des comptes considère que ce changement de méthode ne doit pas pour autant conduire à l’abandon des contrôles sur place, permettant d’actualiser la connaissance de l’état du parc et d’identifier les dégradations éventuelles.
Seconde partie :
FACE aux limites de l’organisation de l’immobilier de l’État, le projet de foncière annoncé par le Gouvernement peut constituer un mode de gestion vertueux
I. l’organiSATION de l’immobilier de l’État souffre d’importantes limites
A. Le principe de distinction entre l’État propriétaire et les services occupants n’est pas réalisé en pratique
La distinction entre l’État propriétaire et les services occupants, considérée comme le principe structurant de la politique immobilière de l’État depuis la création de France Domaine en 2006 ([7]) et apparue comme nécessaire face au constat du mauvais entretien du parc, repose sur l’idée que chacune de ces deux familles d’acteurs doit assumer des responsabilités distinctes et complémentaires s’agissant des biens immobiliers :
– L’État propriétaire doit être le garant de la qualité structurelle du parc et de sa valorisation ;
– Les ministères occupants doivent quant à eux garantir le bon usage des locaux ainsi que la juste adéquation des moyens mobilisés aux besoins de leurs missions.
En pratique cependant, les ministères occupants assument la majorité des prérogatives de l’État propriétaire, sans pour autant être responsables de la qualité et de la valorisation du parc.
La principale explication de cette confusion entre propriétaire et occupant réside dans l’éclatement de l’architecture budgétaire, les crédits immobiliers étant essentiellement inscrits sur les programmes supports des différents ministères, qui conservent ainsi la maîtrise de la quasi-totalité de la gestion immobilière. Les 10 milliards d’euros de crédits consacrés à l’immobilier de l’État dans le projet de loi de finances pour 2024 sont ainsi répartis entre 45 programmes du budget général, du budget annexe Contrôle et exploitation aériens et du compte d’affectation spéciale (CAS) Gestion du patrimoine immobilier de l’État. Ce dernier, à vocation interministérielle, vise à mutualiser les recettes issues de cessions immobilières et des redevances et loyers afin de financer des opérations structurantes et des dépenses d’entretien réalisées au profit des services de l’État et de ses opérateurs.
Sur ces 45 programmes, 3 portent des crédits destinés à l’ensemble des ministères :
– Le programme 348 Performance et résilience des bâtiments de l’État et de ses opérateurs de la mission Transformation et fonction publiques (527,9 millions d’euros en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2024) ;
– Le programme 362 Écologie de la mission Plan de relance (373,9 millions d’euros) ;
– Le programme 723 Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l’État du CAS Gestion du patrimoine immobilier de l’État (340 millions d’euros).
Au total, ces 3 programmes interministériels représentent 1,24 milliard d’euros, soit seulement 12 % du montant total des crédits immobiliers dans le projet de loi de finances pour 2024. Ces programmes ne peuvent donc constituer les outils budgétaires de la stratégie immobilière de l’État.
Un tel éclatement constitue un obstacle à la mise en œuvre cohérente de la politique immobilière de l’État. Les crédits immobiliers sont souvent considérés comme des variables d’ajustement, et non comme des moyens de préserver l’outil de travail. Les ministères peuvent être tenté de faire jouer la règle de fongibilité pour diriger ces crédits immobiliers vers d’autres postes de dépenses considérés comme prioritaires, ou encore de ne pas investir les crédits nécessaires à l’entretien des biens et compter sur l’ouverture de crédits exceptionnels via des plans successifs afin de financer des opérations de réparation ou de construction neuves. Il s’ensuit un défaut récurent d’entretien et donc une dégradation de l’état du parc, entamant sa valeur.
La mise en place des loyers budgétaires dès 2006 était censée matérialiser ce principe de distinction entre le propriétaire et l’occupant en incitant les services à réduire leur surface afin de diminuer le montant de leurs loyers. Perçus comme inefficaces, ces loyers budgétaires ont été supprimés en 2019.
Les loyers budgétaires
Les loyers budgétaires étaient des loyers dont les services administratifs de l’État s’acquittaient lorsqu’ils occupaient des bâtiments dont ce dernier était propriétaire, majoritairement des bureaux. Issus d’une expérimentation prévue dans la loi de finances pour 2006 auprès de trois ministères (économie et finances, affaires étrangères et justice), ces loyers ont été généralisés aux autres ministères par une circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009. L’objectif de ce dispositif était de rationaliser le parc immobilier de l’État en incitant les services occupants à réduire leur surface utilisée en fonction de leurs besoins réels.
Le montant des loyers était calculé à partir de la valeur locative de marché de l’immeuble et évoluait en fonction de l’indice des loyers des activités tertiaires déterminé par l’INSEE. Ces loyers étaient fixés dans les conventions d’utilisation conclues entre les ministères et la DIE, matérialisant ainsi la mise à disposition des immeubles de l’État à ses services et établissements publics. Le montant total des loyers budgétaires a évolué de manière stable autour d’1 milliard d’euros.
Pour atteindre l’objectif de rationalisation des surfaces occupées, le dispositif prévoyait deux mécanismes d’incitation :
– L’intéressement des services occupants, avec une baisse du montant des loyers en cas de réduction de la surface occupée ;
– La baisse des dotations budgétaires, qui intervenait si aucune réduction n’était entreprise alors que la DIE proposait une solution de rationalisation.
Plusieurs travaux ont dressé le bilan du dispositif des loyers budgétaires, perçus comme dysfonctionnels et inefficaces :
● Des difficultés techniques (incohérences de mesure des surfaces, écarts entre les loyers et les prix du marché, anomalies dans le paiement des loyers) ;
● Des difficultés d’organisation et de gestion (faible suivi par l’État propriétaire, non activation des dispositifs incitatifs, retards de signature des conventions, qui ne couvraient pas l’ensemble du parc) ;
● Une évaluation insuffisante : le lien entre les loyers et l’évolution des surfaces occupées n’a pas été clairement établi et leur effet sur cette évolution n’était pas distingué des autres facteurs (contraintes budgétaires, évolutions organisationnelles, etc.) ;
● Un coût disproportionné entre les moyens consacrés (environ 40 ETPT) et les bénéfices obtenus, ainsi qu’une gestion centralisée au niveau des ministères qui nuisait au caractère incitatif de la mesure et aboutissait à un simple jeu d’écriture (pour acquitter ces loyers, les ministères recevaient des crédits inscrits en loi de finances) ;
● Une mauvaise appréhension de l’outil par les agents chargés de le mettre en œuvre, finalement ressenti comme une contrainte chronophage et inutile pour les administrations occupantes.
Le dispositif a été finalement supprimé par la loi de finances pour 2019.
B. La fonction ImmobiliÈre fait l’objet d’une grande diversitÉ de modes d’organisation et de gestion selon les ministÈres
L’organisation des ministères s’agissant de la fonction immobilière, reflétant un degré de maturité variable dans la gestion de leur patrimoine, est très hétérogène :
● Certains ministères (armées, économie et finances, intérieur) disposent d’une gestion immobilière très organisée et de compétences internes importantes pour pratiquement tous les métiers (gestion du propriétaire, exploitation-fonctionnement, conduite d’opération).
La fonction immobilière du ministère des armées
Avec 25 millions de mètres carrés de surface bâtie et 275 000 hectares de terrains, le ministère des armées dispose du plus grand parc immobilier en France. Ses actifs sont très diversifiés (espaces d’entrainement, ports militaires et bases aériennes, installations de dissuasion nucléaire, hôpitaux, entrepôts, bâtiments administratifs et d’enseignement, logements, etc.).
En raison de la spécificité de ses missions, la loi prévoit que le ministère dispose d’une certaine autonomie de gestion des biens qu’il occupe ([8]). Cette autonomie ne signifie pas pour autant une indépendance vis-à-vis de la politique immobilière de l’État : les grands principes de la politique immobilière du ministère s’inscrivent dans les objectifs définis par la DIE, dans la mesure où ceux-ci sont compatibles avec l’exigence d’opérationnalité des forces.
Le ministère des armées a développé une fonction immobilière très structurée sous la responsabilité du secrétariat général pour l’administration du ministère (SGA), ce dernier s’appuyant sur la direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE) qui agit en tant que direction immobilière en élaborant et mettant en œuvre la politique de l’ensemble du ministère, et sur le service d’infrastructure de la défense (SID), bras armé opérationnel qui construit, entretient et réhabilite l’ensemble des infrastructures.
Le SID dispose de l’ensemble des compétences immobilières, allant de la construction à la démolition des biens, en passant par la maintenance et l’expertise technique. Sa présence sur le territoire permet au ministère de disposer d’un service garant de la disponibilité des infrastructures et d’en maitriser le cycle de vie.
Pour mener à bien ses missions, le ministère des armées a recours à plusieurs applications. L’outil G2D, application socle du ministère, répertorie l’ensemble des emprises domaniales. Il est complété par l’outil SIMEO qui cartographie la performance et l’état de dégradation des biens, et qui permet de définir un niveau de priorité pour les travaux d’entretien et de rénovation, afin de mieux orienter les ressources budgétaire et humaines nécessaires à l’entretien du parc.
● D’autres ministères (culture, justice, enseignement supérieur) ont recours à des opérateurs spécialisés dotés du statut d’établissement publics administratifs. Ils disposent surtout de compétences en matière de conduite d’opération ;
● Enfin, des ministères disposent de compétences immobilières relativement faibles, notamment pour les petites et moyennes opérations. Les ministères sont régulièrement confrontés à des difficultés de recrutement s’agissant des métiers de l’immobilier.
Les difficultés proviennent surtout d’un défaut de compétences métiers, en particulier au niveau déconcentré. En témoigne l’abandon récent de trois projets de rénovation de cités administratives (Brest, Melun et Tours), faute de compétences suffisantes au niveau local dans l’instruction des projets. La création de l’Agence de gestion de l’immobilier de l’État (AGILE) dès 2021, chargée notamment de fournir aux services occupants des prestations d’exploitation maintenance (gestion locative, budgétaire et comptable, entretien-maintenance, services généraux, etc.), de maîtrise d’ouvrage et de gestion d’actif (réalisation d’études, conduite de projets et d’opérations, etc.) illustre ces difficultés.
Si une telle diversité témoigne de besoins parfois différents des ministères, cette organisation en silos ne facilite pas la mise en œuvre cohérente et efficace de la politique immobilière de l’État, en particulier s’agissant de sujets transversaux comme l’adaptation du parc au changement climatique et à la transition énergétique. Les différents ministères partagent peu d’espaces d’échange en dehors des structures institutionnalisées autour de la DIE au niveau central ([9]) et des préfets au niveau déconcentré, qui se traduisent rarement par des prises de décisions. La DIE n’a d’ailleurs pas de connaissance précise des moyens humains consacrés à la gestion du patrimoine immobilier de l’État, cette information reposant sur des enquêtes annuelles réalisées auprès des ministères à l’occasion de la préparation du DPT-PIE. Ces moyens sont aujourd’hui évalués entre 12 000 et 13 000 ETPT, dont environ la moitié relève du ministère des armées. La DIE a annoncé que des travaux était en cours pour préciser cette donnée.
C. La stratégie immobilière de l’État n’est toujours pas suffisamment formalisée NI soutenue par des doctrines d’arbitrage claires
Une des principales observations de la Cour des comptes dans son rapport de décembre 2023 précité est que la stratégie immobilière de l’État n’est pas formalisée dans un document synthétique officiel retraçant les orientations générales et les objectifs. La politique immobilière fluctue en fonction du contexte, alors que celle-ci doit être envisagée au long cours autour de grandes priorités (adaptation du parc aux besoins des services et des occupants, mise aux normes environnementales, de sécurité et d’accessibilité, réduction du taux d’occupation des surfaces, etc.).
La Cour souligne également l’absence de doctrines d’arbitrage claires afin de mettre cette politique en œuvre, notamment quant aux choix à opérer entre la propriété ou la location, entre la cession ou la valorisation d’un bien disponible, entre la domanialité ou le recours au parc privé s’agissant des logements, ou encore entre la réhabilitation ou la construction neuve d’un bâtiment lorsque des travaux importants sont nécessaires.
Interrogée sur ce point par le rapporteur spécial, la DIE a indiqué qu’un document de synthèse était en cours de validation par le cabinet du ministre à la suite de l’annonce du projet de foncière, et que la politique immobilière de l’État s’organisait autour de trois principes structurants : la transition écologique du parc, son adaptation aux nouvelles organisations du travail, et son efficience économique. La DIE indique que ces priorités sont déclinées dans trois documents principaux :
– Le DPT-PIE créé en 2013, destiné à informer les parlementaire et les citoyens sur la consistance du parc immobilier de l’État et de ses opérateurs, de l’état des biens et des moyens qui leurs sont consacrés ;
– La feuille de route « transition énergétique » des bâtiments de l’État de 2018, qui fixe comme principaux axes une meilleure connaissance du parc, la définition et la mise en œuvre d’une stratégie sur le parc, ou encore la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effets de serre des bâtiments. Cette feuille de route doit aujourd’hui être actualisée afin de tenir compte des nouvelles normes (géothermie, îlots de fraicheur, etc.) ;
– La circulaire « surface » de la Première ministre du 8 février 2023, qui substitue aux deux ratios alors en vigueur ([10]) un ratio unique d’occupation exprimé en surface utile brute (SUB) par résident, avec une cible de 16 mètres carrés et un plafond de 18 mètres carrés. Cette révision permet de mieux prendre en compte le nombre de personnes réellement utilisatrices des bâtiments, ce que ne permettait pas la notion de poste de travail qui pouvait être inoccupé ou multiplié selon les besoins d’un même agent. Un objectif de réduction des surfaces tertiaires est fixé à 25 % sur 10 ans.
Si le rapporteur spécial salue ces efforts de précision et d’actualisation des priorités de la gestion du parc, ces documents ne lui semblent pas encore constituer une stratégie complète et opérationnelle de l’immobilier de l’État.
Le DPT-PIE, s’il comporte de nombreuses informations, souffre dès l’origine du manque de fiabilité des données et ne contient pas toujours d’indicateurs pertinents et d’objectifs chiffrés au regard des grandes priorités. Sa structure est le reflet de la complexité de la politique immobilière, éclatée entre une quarantaine de programmes budgétaires, comme le souligne la CIE dans son avis du 10 mars 2022 selon lequel, malgré les évolutions récentes, « le DPT reste une photographie du parc avec des données brutes peu commentées » et « ne constitue pas un document d’appui à la définition d’une stratégie » ([11]). Le rapporteur spécial recommande ainsi de mieux définir, au sein du DPT-PIE, des objectifs chiffrés et crédibles pour chacune des priorités de la politique immobilière de l’État.
Recommandation n° 6 : Définir des objectifs chiffrés et crédibles pour chacune des priorités de la politique immobilière de l’État dans le DPT-PIE.
Quant à la nouvelle doctrine d’occupation des surfaces, si le rapporteur spécial se félicite qu’un objectif de réduction ait été défini pour la première fois à un niveau ambitieux (diminution d’un quart du parc au minimum sur 10 ans), il remarque que le précédent ratio de 12 mètres carrés de surface utile nette par poste de travail n’a jamais été respecté. Convaincu que la diminution de la taille du parc est une solution efficace de réduction des coûts et permet de réduire la consommation énergétique de l’État, il craint que cet objectif reste lettre morte s’il n’est pas porté par une volonté politique forte ni suivi finement quant à sa mise en œuvre, d’autant qu’un calendrier de mise en œuvre n’a pas encore été défini. Le rapporteur spécial recommande donc de se doter d’un tel calendrier, assorti d’objectifs crédibles de réduction des surfaces.
Recommandation n° 7 : Définir un calendrier de mise en œuvre de l’objectif de réduction des surfaces occupées par l’immobilier de l’État.
Aussi, le rapporteur spécial recommande que la DIE se dote d’un tableau de bord de pilotage de la politique immobilière de l’État, comme le propose le CIE ([12]). Celui-ci permettra de disposer d’un état à date du parc, de comparer les résultats aux objectifs et de déterminer les trajectoires afin de les atteindre. Ce tableau de bord reposera sur un nombre limité d’indicateurs de résultats et de moyens pertinents, devra distinguer un volet propriétaire d’un volet occupant, et être simple et intuitif d’utilisation.
Recommandation n° 8 : Mettre en place un tableau de bord de pilotage de la politique immobilière de l’État reposant sur des indicateurs pertinents et distinguant le volet propriétaire du volet occupant.
II. Une foncière publique, plébiscitée par de nombreux pays et entreprises et annoncée par le Gouvernement en février 2024, peut constituer un mode d’organisation vertueux s’il respecte certaines conditions
A. De nombreux pays européens ainsi que des entreprises du secteur privé ont fait le choix de centraliser leur fonction immobilière autour d’une foncière
1. Une étude comparative sur l’immobilier public européen de 2022 met en exergue trois modèles de propriété, dont le recours à une foncière
À l’initiative de la DIE, une étude comparative sur l’immobilier public européen, financée par l’Union européenne, a été confiée en septembre 2021 aux deux cabinets de conseils Ernst & Young (EY) et Jones Lang LaSalle (JLL). Cette étude, portant sur 20 pays, visait notamment à améliorer la connaissance des données des parcs, à recenser les initiatives et échanger les bonnes pratiques en matière de gestion immobilière.
Publiés en 2022, les résultats de l’étude font apparaître des difficultés partagées : une difficulté à recenser le patrimoine de manière exhaustive et à disposer d’une vision globale du parc, la moindre priorité accordée aux questions immobilières par rapport aux autres politiques publiques, l’existence de lourdeurs administratives spécifiques au secteur public, et des utilisateurs peu sensibilisés à la question des coûts de gestion de l’immobilier.
L’étude souligne également l’existence de priorités communes :
– L’amélioration de l’efficience de la gestion de l’immobilier public ;
– La réduction des coûts pour les finances publiques ;
– L’amélioration des services rendus aux agents et aux usagers ;
– L’adaptation du parc au changement climatique ;
– La modernisation des bâtiments.
Pour atteindre ces objectifs, trois modèles de propriété de l’immobilier public ont été identifiés :
● L’État est propriétaire des biens (Espagne, Italie, France, Portugal), avec une dispersion plus ou moins importante de la fonction immobilière ;
● La propriété des biens a été transférée à une agence foncière chargée de la gestion du parc (Allemagne, Belgique, Danemark, Finlande, Pays-Bas). La mise en place de loyers permet de mettre en œuvre le principe de distinction entre l’État propriétaire et les services occupants ;
● Les administrations occupent des locaux loués auprès d’opérateurs privés (Suède, Norvège).
De nombreux pays sont dans une situation médiane ou transitoire entre ces trois grands modèles.
Il ressort de cette comparaison que le principe de gratuité de l’occupation par les services – comme c’est le cas en France – est une exception : la plupart des pays ont instauré un système de loyers payés par les administrations occupantes afin de baisser les coûts du parc et d’augmenter l’efficience de ce dernier, dans un contexte général de dégradation des finances publiques.
Les trois modèles de gestion des parcs immobiliers des États européens
Source : Étude comparative sur la gestion de l’immobilier d’État en Europe, EY et JLL, juin 2022.
Disposant d’une fonction immobilière parmi les plus centralisée d’Europe, le cas de l’Allemagne est à cet égard particulièrement intéressant. L’État fédéral dispose d’une agence – l’Agence fédérale des biens immobiliers (Bundesanstalt für Immobilienaufgaben, « BImA ») – créée en 2005 afin de gérer les biens immobiliers de l’État suivant des méthodes comparables à celles du secteur privé. Placée sous l’autorité du ministère des finances, la BImA s’est vue transférer de 2005 à 2013 la quasi-totalité des biens fédéraux ([13]), à l’exception des armées et des affaires étrangères. Juridiquement propriétaire des bâtiments, la BImA perçoit un loyer de la part des administrations occupantes, ce qui lui permet de financer des opérations de construction et d’entretien à la charge du propriétaire. Le bénéfice dégagé par ces loyers et les produits de cessions sont reversés par la BImA au budget général afin de contribuer au désendettement de l’État. Ce modèle de gestion permet aux pouvoirs publics de disposer d’une vision consolidée des coûts complets de la gestion du parc immobilier fédéral.
Le Royaume-Uni quant à lui se trouve dans une situation transitoire, le gouvernement britannique assumant dès 2006 un objectif de réduction des coûts de l’immobilier public. Créée en 2018, la Government Property Agency (GPA) est chargée de gérer les biens publics tertiaires et de conseiller les différents ministères dans la gestion de leurs biens, en s’assurant de la conformité de leurs plans avec la stratégie immobilière. Pour ce faire, la propriété des actifs lui est progressivement transférée (représentant une surface de près de 3 millions de mètres carrés d’ici 2025), et des loyers au prix de marché sont mis en place. Certains actifs spécifiques restent gérés par les ministères de tutelles (défense, écoles, établissements de santé). La GPA a vocation à s’étendre aux entrepôts et aux locaux techniques. Le Royaume-Uni a également fixé des normes d’occupation strictes ainsi qu’un objectif de développement de grands pôles multi-ministériels.
2. Certaines entreprises ont également centralisé leur gestion immobilière, jusqu’à mettre en place un système efficace de foncière financée par des loyers
La centralisation de la fonction immobilière s’observe également dans certaines grandes entreprises. La mise en place d’une telle structure répond souvent à un objectif de rationalisation des coûts, s’inscrit dans le temps long et bénéficie d’un portage fort au sein de la direction.
● Le rapporteur spécial a ainsi auditionné les responsables de La Poste Immobilier, foncière sous forme de société anonyme créée en 2005 et intégralement détenue par le groupe La Poste. Cette foncière s’est vue transférer la propriété de l’ensemble des actifs du groupe ([14]), composés de 9 100 biens représentant 5,9 millions de mètres carrés, ce qui constitue une des plus grandes surfaces privées de France. La foncière loue ensuite ces biens aux services des autres branches du groupe à la valeur de marché. Son chiffre d’affaires s’élève à environ 900 millions d’euros en 2023.
Le choix du groupe de créer une filiale dédiée à la fonction immobilière répondait à trois objectifs principaux :
– L’identification des coûts de l’immobilier pour le groupe, en concentrant l’ensemble des données suivant une comptabilité privée ;
– La professionnalisation de la gestion du parc, en constituant une filiale de professionnels des métiers de l’immobilier ;
– La réévaluation des actifs.
Le rapporteur spécial souligne le caractère vertueux d’une telle gestion immobilière marquant clairement la distinction entre le propriétaire et l’occupant, comme en témoignent la réduction du nombre d’immeubles (de 16 000 à 9 100) ainsi que des surfaces occupés (de 7,5 à 5,9 millions de mètres carrés) depuis 2005. La foncière a réduit ses coûts de fonctionnement en diminuant son nombre de salariés de 1 150 en 2005 à 685 fin 2023. Elle a permis à La Poste de mieux connaître la composition et l’état de son parc ainsi que d’identifier ses coûts afin de l’adapter aux besoins du groupe. Si sa mission première est d’assurer la fonction immobilière auprès des autres branches, la foncière a permis, par sa centralisation des données et des compétences immobilières, de développer des nouvelles sources de recettes (rénovation des bureaux de poste, transformation d’anciens immeubles en logements et en résidences séniors, création d’entrepôts et d’espaces de coworking…).
● Le rapporteur spécial a également souhaité entendre les représentants de la SNCF Immobilier, structure créée en 2015 et relevant de la direction générale de la société holding du groupe, la SNCF SA. La SNCF est le premier propriétaire foncier privé de France, avec un parc couvrant une surface de 7,7 millions de mètres carrés.
La SNCF Immobilier assure une mission de gestion d’actifs (gestion de projets, contrôles, maintenance, services supports de nettoyage) et de valorisation du foncier (location et cession des biens inutilisés) pour le compte des filiales du groupe (branches Voyageurs, Fret, Réseau, Gares et connexions). Elle gère également un parc d’environ 100 000 logements, dont 85 % de logements sociaux. Au total, environ 1 200 salariés sont affectés aux fonctions immobilières au niveau de la holding.
La propriété des actifs du groupe se répartit entre la holding et ses différentes filiales Il n’y a donc pas à proprement parler de foncière dédiée à la fonction immobilière au sein du groupe SNCF, les filiales gérant en propriétaire les biens dont elles ont la charge et pour lesquels elles détiennent les compétences métiers suffisantes, à deux exceptions :
– La Société foncière ferroviaire pour l’immobilier tertiaire (S2FIT), filiale du groupe dédiée à la valorisation du patrimoine de la SNCF à travers des opérations de réhabilitation pour les actifs anciens ainsi que la construction de nouveaux actifs pour des besoins spécifiques ;
– La Société nationale d’espace ferroviaire (SNEF), également filiale du groupe, dédiée à l’acquisition de sites inexploités à forts enjeux de valorisation et au développement de « quartiers bas carbone ».
Les représentants de la SNCF Immobilier ont indiqué lors de leur audition par le rapporteur spécial que le système de foncière présentait des avantages importants, en permettant au propriétaire de piloter finement les coûts de la fonction immobilière grâce notamment à une meilleure connaissance du parc et à une centralisation des compétences. Une réflexion sur l’instauration d’une foncière est actuellement en cours s’agissant des immeubles tertiaires et des terrains. L’exemple de la SNCF illustre le fait que certains biens peuvent rester à l’écart de la centralisation sous forme de foncière lorsqu’ils présentent de fortes spécificités et que les services occupants disposent des compétences nécessaires pour entretenir et valoriser le parc, ce qui n’est pas le cas de nombreux ministères s’agissant du patrimoine immobilier de l’État.
B. Le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé la mise en place d’une foncière immobilière sous forme d’un pilote déployé en 2025
À la suite de l’étude comparative européenne de 2022 dont elle a été à l’initiative, la DIE a entamé des travaux visant à créer une foncière publique. Ce sujet avait déjà été évoqué lors de la réunion du comité interministériel de la transformation publique d’octobre 2018. Face aux défis majeurs auxquels devra faire face l’immobilier public, notamment l’important effort d’investissements nécessaires en matière de transition écologique et énergétique des bâtiments, évalué en 2022 par la DIE à 92 milliards d’euros sur 30 ans ([15]), et la transformation du parc sous l’effet de la digitalisation et du développement du télétravail, la centralisation de la fonction immobilière autour d’une structure incarnant réellement l’État propriétaire et en capacité de piloter une politique d’ensemble apparaît comme étant la bonne solution.
L’étude comparative de l’immobilier public européen confirme d’ailleurs la viabilité d’un tel projet, les pays ayant choisi de recourir à une foncière n’envisageant pas d’abandonner ce système, et d’autres États comme le Royaume-Uni étant en transition vers ce modèle.
Lors de la séance du CIE du 29 février 2024, le ministre délégué chargé des comptes publics a confié au Conseil le soin de définir le projet de foncière pour l’immobilier de l’État, incarnant le propriétaire et responsabilisant les ministères dans leur gestion des biens.
Les auditions menées par le rapporteur spécial permettent de préciser le contenu du projet ainsi que son calendrier de mise en œuvre :
– S’agissant de ses missions : la foncière se verra transférer la propriété d’actifs immobiliers et les mettra à disposition des administrations occupantes en contrepartie du paiement de loyers. Ces derniers permettront à la foncière, avec les recettes tirées de cessions et de la valorisation du parc, de financer des opérations relevant du propriétaire (préservation et création de la valeur des actifs, optimisation de la dépense, maîtrise d’ouvrage, gros entretien, connaissance du parc, etc.), les services occupants assumant les charges de gestion courante (services généraux, aménagement intérieur des locaux, maintenance quotidienne, etc.) en contrepartie de la disposition d’un immobilier aux normes. Les contrats de bail préciseront le montant des loyers, les modalités de répartition des charges locatives et des droits et devoirs entre le propriétaire et l’occupant. La foncière sera placée sous la tutelle de la DIE, représentant l’État, qui fixera les orientations et validera la stratégie de valorisation de la foncière.
RÉpartition des missions entre la fonciÈre et les services occupants
Source : Conseil de l’immobilier de l’État.
– S’agissant de son périmètre : un pilote, mis en place dès le début de l’année 2025, portera sur les immeubles de bureau des ministères des finances et de l’intérieur (sauf bâtiments des forces de sécurité de police et de gendarmerie), les sites multi-occupants ainsi que les biens devenus inutiles aux services publics des régions Grand-Est et Normandie. La surface occupée s’élèverait ainsi à environ 1 million de mètres carrés. Certains biens des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France pourraient également être concernés. La foncière a vocation s’étendre progressivement et intégrer a minima l’ensemble de l’immobilier de bureau et les biens non spécifiques de l’État et de ses opérateurs, soit un parc qui pourrait avoisiner les 20 millions de mètres carrés ;
– S’agissant de son support : l’AGILE, société anonyme intégralement détenue par l’État, constituera le support de ce pilote. L’architecture juridique de la foncière (statut, existence de filiales, etc.) sera précisée au cours de sa mise en œuvre.
De nombreuses questions devront encore être tranchées dans les prochaines semaines, notamment le périmètre précis du pilote, le transfert de propriété et la valorisation des biens, la gouvernance et le véhicule de la foncière, le calcul des loyers, ou encore la contractualisation des relations entre la foncière et les services occupants.
C. Le projet de foncière publique devra respecter certaines conditions afin de constituer un mode d’organisation vertueux de l’immobilier de l’État
Le rapporteur spécial se félicite de ce projet de foncière présenté par le Gouvernement, qui présente selon lui de nombreux avantages :
– La foncière donnera un signal prix aux administrations occupantes, avec le paiement d’un loyer qui constituera une dépense obligatoire pour les ministères s’ils souhaitent conserver leur outil de travail dans de bonnes conditions. Ces loyers constitueront une incitation forte à la réduction des surfaces. Les biens libérés pourront ensuite être valorisés par la foncière.
– Elle professionnalisera les métiers de l’immobilier, notamment grâce à la souplesse de recrutement et de gestion des carrières permise par son statut de droit privé. Comme l’ont souligné de nombreux acteurs auditionnés, une structure dédiée de professionnels de la gestion d’actifs, du montage et de la conduite d’opérations fait aujourd’hui défaut, l’État ayant beaucoup perdu en compétences, notamment sous l’effet de la décentralisation ;
– Elle améliorera la connaissance de l’état du parc, comme en témoigne l’exemple de La Poste Immobilier dont la centralisation de la fonction immobilière au sein de la foncière lui permet de disposer d’une vision précise de l’état et des coûts de ses biens, et ainsi d’identifier la nature et l’ampleur des travaux de rénovation ou de construction nécessaires ;
– Elle permettra de percevoir des recettes supplémentaires et de développer des nouveaux modes de valorisation.
Un exemple de projet de valorisation :
le campus Arts et Métiers d’Aix-en-Provence
Au cours de ses travaux, le rapporteur spécial a reçu la direction de École nationale supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM) et de son campus d’Aix-en-Provence, afin d’étudier le projet de valorisation patrimoniale de ce dernier.
Créé en 1843 et situé dans le centre-ville d’Aix-en-Provence, le campus Arts et Métiers d’Aix est l’un des huit campus de l’ENSAM. Occupant une surface de près de 3 hectares, il accueille environ 850 élèves et est spécialisé dans trois secteurs industriels : l’aéronautique, les énergies décarbonées et la digitalisation. Le patrimoine immobilier, appartenant à l’État, est composé de salles de cours, d’équipements de formation spécialisée (usinage, fonderie, ateliers électriques, de mécanique des fluides, etc.), de bâtiments administratifs, d’une résidence étudiante et d’un restaurant universitaire.
Face à la vétusté des locaux et à l’insuffisance des moyens octroyés à l’école, la direction du campus d’Aix a décidé de présenter, début 2024, un projet de valorisation immobilière. Ce projet vise à développer plusieurs « centres de profit » sous forme de partenariats publics-privés avec des entreprises liées à l’offre de formation du campus, dans lesquels celles-ci réaliseront les opérations de rénovation et où les revenus tirés de l’exploitation de ces centres seront partagés entre le campus et les entreprises. Ce projet comporte quatre grandes opérations :
– Un espace de coworking : cet espace sera destiné à accueillir des entreprises au sein du campus, et notamment les PME et les start-ups créées par les élèves de l’école;
– Le Grand Amphithéâtre : construit en 1874 et disposant d’une capacité d’environ 500 places, le Grand Amphithéâtre n’est plus exploité depuis plus de trente ans en raison de sa dégradation, la charpente menaçant de s’effondrer. L’objectif est d’en faire un lieu de réunion et de conférences pour l’école, mais aussi un site de spectacles de théâtre et de musique, voire une annexe du Collège de France ;
– Un terrain multisports : ce terrain sera ouvert aux membres du campus ainsu qu’aux utilisateurs extérieurs. Ce site pourra accueillir des activités de recherche technologique autour du sport de haut niveau et du handisport ;
– Un espace dédié à l’étude de la mobilité décarbonée : en plus de fournir un lieu de stationnement d’environ 500 places de stationnement équipé de bornes de recharge électriques au cœur du centre-ville d’Aix-en-Provence, cet espace sera dédié à la recherche sur la mobilité décarbonée en lien avec des start-ups spécialisées.
Le patrimoine immobilier resterait la propriété de l’État, et ces centres de profits pourraient faire l’objet d’une foncière sous la forme de sites pilotes. Ces projets doivent désormais être validés par l’État.
Le rapporteur spécial a constaté, au cours de ses auditions, l’existence d’une vision commune du projet de foncière entre les différents acteurs concernés, ce qui est un gage de réussite pour une réforme d’une telle ampleur. À la lumière de ses travaux, il formule plusieurs recommandations afin de mener ce projet à son terme :
● Le périmètre de la foncière devra être le plus large possible afin d’atteindre la masse critique nécessaire pour incarner pleinement le rôle de l’État propriétaire. Si certains types de biens très spécifiques pourront être exclus du périmètre, cela devra être décidé au cas par cas et uniquement s’il est avéré que les ministères concernés disposent de solides compétences métiers pour gérer ces biens ;
● La mise en œuvre de la réforme doit être progressive afin de permettre à l’ensemble des acteurs concernés, aux niveaux central comme local, de s’adapter à ce qui constituera la plus grande réforme de la politique immobilière de l’État de ces vingt dernières années. La BImA allemande s’est ainsi vue transférer les actifs immobiliers fédéraux sur huit ans. Quant à La Poste Immobilier, celle-ci continue de se perfectionner après pratiquement vingt ans d’existence ;
● Cette progressivité ne doit pas pour autant conduire à ce que les premières difficultés de mise en œuvre de la foncière, inévitables dans le cadre d’une réforme d’une telle d’ampleur, ne conduisent à son abandon pur et simple. Le projet de foncière devrait donc faire l’objet d’un portage politique au plus haut niveau, capable d’incarner le caractère interministériel de ce projet, d’autant que certains ministères satisfaits de leur organisation actuelle seraient opposés à la mise en place d’une foncière ;
● L’ensemble des acteurs devra être associé aux travaux de mise en œuvre de la foncière, afin que celle-ci ne soit pas perçue comme un projet imposé par le haut sans connaissance de la réalité de l’organisation de la fonction immobilière au sein des administrations ;
● Si la foncière pourra être organisée en filiales (par régions ou par types d’actifs par exemple), l’architecture par ministère est à exclure car elle réintroduirait un fonctionnement en silos, ce qui est une des limites actuelles à l’efficacité de la politique immobilière de État ;
● La mise en place de la foncière devra s’accompagner d’une réflexion plus large sur l’évolution de la gouvernance de la politique immobilière de l’État et de son architecture budgétaire.
La DIE a indiqué au rapporteur spécial que si le projet de réforme allait nécessairement impacter les flux financiers, l’architecture budgétaire ne serait pas en elle-même bouleversée, chaque programme ministériel ayant vocation à supporter les loyers versés à la foncière. Le CAS immobilier ne serait alors utilisé que par le ministère des armées.
La question de la place de la DIE, notamment sa séparation de la direction générale des finances publiques et son placement sous l’autorité directe du ministre, comme le recommandent le CIE, la Cour des comptes ainsi que l’IGF, pourra également être posée.
Recommandation n° 9 : Conduire le projet de mise en œuvre de la foncière immobilière en veillant au respect des principes suivants : un périmètre le plus large possible ; la progressivité de la réforme ; un portage politique au plus haut niveau ; l’association de l’ensemble des acteurs concernés aux travaux ; une organisation en filiales est possible, mais une architecture par ministère est à exclure ; la mise en place de la foncière devra s’accompagner d’une réflexion plus générale sur l’évolution de la gouvernance de la politique immobilière de l’État et de son architecture budgétaire.
Lors de sa réunion de 17 heures, le mercredi5 juin 2024, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Mohamed Laqhila, rapporteur spécial des crédits du compte d’affectation spéciale Gestion du patrimoine immobilier de l’État, sur son rapport d’information sur les défis et stratégies pour une gestion durable et optimisée du patrimoine immobilier de l'État, présenté en application de l’article 146, aliéna 3,, du règlement de l’Assemblée nationale.
La commission a autorisé la publication du rapport d’information.
La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera prochainement consultable.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
– Direction de l’immobilier de l’État : M. Alain Resplandy-Bernard, directeur, Mme Béatrice Bellier-Ganière, adjointe au directeur, et M. Jérôme Bonherbe, sous-directeur DIE1 ;
– Agence de gestion de l’immobilier de l’État : Mme Béatrice Bellier-Ganière, présidente
– Conseil immobilier de l’État : M. Jean-Paul Mattei, président et M. Bruno Brossard, secrétaire général ;
– Cour des comptes : M. Emmanuel Giannesini, conseiller maitre, président de section à la 1ère chambre, M. Louis-Paul Pelé, conseiller maitre en service extraordinaire, M. Thomas Basset, conseiller référendaire en service extraordiniaire et M. Emmanuel Bichot, conseiller maitre
– Ministère des armées : Mme Sylviane Bourguet, directrice des territoires, de l’immobilier et de l’environnement, et Mme Cécile Le Berre, sous-directrice synthèse et pilotage financier ;
– Groupe La Poste : M. Rémi Feredj, directeur général de La Poste Immobilier, et Mme Rebecca Peres, déléguée aux affaires territoriales et parlementaires ;
– Groupe SNCF : M. Antoine de Rocquigny, directeur de l’immobilier, Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire ;
– École nationale supérieure des Arts et Métiers : M. Laurent Champaney, directeur général, M. Féthi Ben Ouezdou, directeur du campus d’Aix-en-Provence.
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([1]) Cour des comptes, La politique immobilière de l’État – Une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir, décembre 2023.
([2]) Le CIE est une instance consultative placé auprès du ministre chargé du domaine, composé de parlementaires et de personnalités qualifiées, chargé de fournir un éclairage expert et indépendant aux décideurs publics dans la mise en œuvre de la politique immobilière de l’État.
([3]) Rapport d’information des sénateurs Michel Bouvard et Thierry Carcenac, L’avenir du compte d’affectation spécial « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », 31 mai 2017.
([4]) Selon l’étude comparative sur la gestion de l’immobilier d’État en Europe publiées par les cabinets EY et JLL en juin 2022, un indicateur de satisfaction client est utilisé dans 64,3 % des 14 pays sondés.
([5]) L’évaluation au coût correspond à l’addition des coûts d’acquisition et de production, diminuée pour les construction d’un montant représentatif d’un amortissement.
([6]) La valeur est déterminée à partir des transactions récentes réalisées sur des biens similaires dans une zone géographique comparable.
([7]) La DIE lui a succédé en 2016.
([8]) L’article L. 1142-1 du code de la défense dispose notamment que le ministre des armées « est en particulier chargé de l'infrastructure militaire ».
([9]) Notamment la Conférence nationale de l’immobilier public (CNIP) réunissant les secrétaires généraux des ministères autour de la DIE et fixant les orientations générales de la politique immobilière de l’État, ainsi que les conférences immobilières qui réunissent chaque année les représentants de la DIE, des ministères et de la direction du budget pour évoquer le financement des grands projets.
([10]) Un ratio exprimé en surface utile brute par poste de travail et un ratio exprimé en surface utile nette par poste de travail, plafonnés respectivement à 20 mètres carrés (18 en zone tendue) et à 12 mètres carrés (10 en zone tendue).
([11]) Avis n°2022-02 du 10 mars 2022, Avis sur les outils de pilotage de la politique immobilière de l’État : document de politique transversale-politique immobilière de l’État (DPT-PIE) et tableau de bord.
([12]) Avis n° 2022-02 du 10 mars 2022 précité (recommandation n° 4), avis n° 2022-09 du 20 octobre 2022 sur le bilan d’activité 2021 de la DIE (recommandation n° 1).
([13]) Les Länder disposent de leur propre patrimoine immobilier et le gèrent avec leur propres organismes.
([14]) Les biens de La Poste se répartissent entre l’immobilier industriel (50 % de la surface du parc, essentiellement les centres de tri), les bureaux de poste (30 %) et l’immobilier tertiaire (20 %).
([15]) IGF, Immobilier de l’État : Une nouvelle architecture pour professionnaliser, avril 2022.